Le Devoir
-
-
- p.n.n. - vue 1/836
-
-
-
- 5* ANNÉE, TOME 6 — N° 474
- £e numéro hlâomadaire 20 c. BiMANCHE 8 JANVIER 4882
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- 4^TTM-
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Dire cteur- Gérant Fondateur du Fami listèr e
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau cle Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . dOfr. »» Six mois . . . 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale Un an . . . . 11 fr. »» Autres pays
- Un an. . . . 13 îr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillom
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- j*sl. w im:
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- A propos des Caisses de Retraite, une rectification. --La France en 1881. — Le premier de fan au Familistère. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère 1I\ Vil. — L’Eglise et l’Etat.
- A PROPOS DE LA CAISSE NATIONALE DES RETRAITES
- Une rectification
- Dans notre dernier article sur la Caisse nationale des Retraites de la vieillesse, nous avons analysé d’une façon succincte l’économie du projet de loi proposé par MM. Nadaud, Hip. Maze et autres à la Chambre des députés, et montré en quoi, tout en constituant assurément un progrès, il n’en était pas moins encore insuffisant, parce qu’il restreignait les avantages de cette Caisse à une catégorie de travailleurs, et en excluait précisément ceux, qui étant
- plus malheureux, en avaient un plus grand besoin. Nous avons taché de prouver qu’en élargissant l’idée qui a dicté cette proposition et en embrassant dans toute son étendue la mutualité humaine, on pouvait arriver à faire face à toutes les exigences, combler toutes les lacunes sociales et détruire enfin d’une manière efficace le paupérisme.
- Nous avons indiqué, chiffres en main, que l’Etat pouvait sans trop augmenter ses charges, et même sans les augmenter d’une façon sensible, pourvoir à l’entretien de ces caisses d’assurances contre la vieillesse, la maladie, l’incapacité du travail, pour une cause ou pour une autre, et garantir ainsi à tout jamais contre la misère le sort de tous les travailleurs sans distinction ni réserve ; et pour cela, nous nous sommes appuyés non point sur des théories plus ou moins plausibles, plus ou moins étayées de preuves tirées du raisonnement ; mais bien sur une expérience faite et parfaite, basée sur les faits et les chiffres, et pratiquée depuis plus de vingt ans au Familistère de Guise. Comme depuis 1859, ces assurances y fonctionnent sans interruption, ni entrave, et qu’elles ont constamment donné d’excellents résultats, il serait difficile de nier de bonne foi l’utilité et l’efficacité de leur organisation, et c’est ce qui fait notre force, lorsque nous argumentons en vue d’obtenir que ces institutions passent enfin du domaine particulier dans le domaine public, avec l’aide de l’Etat, sous forme d’encouragement à leur établissement et de subvention annuelle pour leur fonctionnement.
- Mais dans notre article précédent, il y a lieu de rectifier les chiffres que nous avons donnés comme base des ressources nécessaires pour la bonne mar-
- Page de titre 849 - vue 2/836
-
-
-
- 850
- LE DEVOIR
- che de ces éléments divers de la mutualité nationale en France. Le chiffre de 70,000 fr. que nous avons indiqué comme représentant la somme payée durant l’année 1880-81 pour pensions, secours et autres, est celui des dépenses totales afférentes aux services non-seulement des habitants du Familistère, mais encore des ouvriers de l’usine habitant soit la ville de Guise, soit les communes environnantes. Sur les 1,400 ouvriers qui travaillent à l’usine, il y en a plus des deux tiers qui ne résident point dans le Familistère, puisque la population de ce dernier ne compte que 418 ouvriers, dont les familles, femmes et enfants portent le chiffre total de cette population à 1,200 personnes environ au lieu de 1,000, que nous portions dans notre calcul de comparaison.
- Le montant des dépenses des caisses d’assurances contre la maladie a été pour hommes et femmes ensemble de Fr. 20,951
- Les frais de pharmacie se sont élevés à 3,833
- Et ceux de pensions ,et secours aux veuves et orphelins à 16,900
- Ce qui donne un total pour l’exercice 1880-81, de Fr. 41,684
- Les assurances du Familistère portant, ainsi que nous l’avons dit sur une population de 1,200 personnes, cela donne par personne un chiffre de 34 fr. 70 pour toutes les assurances garantissant le nécessaire à la vie en toute circonstance:
- Si tenant compte maintenant de la partie de la population de la France qui, vivant dans l’aisance, n’a point besoin de recourir à ces institutions de garantie d’avenir, on suppose ces mesures applicables à 20 millions de Français, nous trouvons un budget d’assurances nationales de 695,000,000, dont moitié pour l’Etat et moitié pour les communes, c’est-à-dire 350 millions environ pour chacun.
- Cette rectification ne change (bailleurs absolument rien à la portée de notre comparaison, et elle lui donne au contraire une nouvelle force, car, si, comme nous l’avons montré dans notre dernier article, en raisonnant sur ce qui a lieu pour une population de 1,400 ouvriers, ce qui avec les femmes et enfants donne environ 4,000 personnes, la France pourrait aisément fournir la subvention que nous indiquions, à plus forte raison lui serait-il facile de payer celle de fr. 350,000,000, représentant la moitié complémentaire des ressources annuelles pour pourvoir aux nécessités de la mutualité définitivement organisée sur ces bases. Quipotestplus potest minus.
- Donc l’expérience tentée et poursuivie pendant vingt années au Familistère démontre de la façon la plus péremptoire, c’est-à-dire par les faits eux-
- mêmes, que l’établissement par communes de caisses nationales de mutualité sociale, comprenant la caisse de retraites pour la vieillesse, l’assurance contre le chômage, la maladie, les infirmités et la misère est non-seulement pratiquement possible mais dans une certaine mesure facile. Le rôle de l’Etat se bornerait au début à en faciliter la création par tous les moyens possibles, et à subventionner annuellement les caisses en fonctions. Quant à l’administration de ces caisses, l’Etat devrait y rester étranger, et c’est aux délégués de la commune qu’elle devrait être confiée. C’est à ce fait que les assurances du Familistère ont toujours été administrées par les intéressés eux-mêmes qu’est dû en grande partie leur succès, et c’est une chose qu’il est essentiel de ne point perdre de vue.
- A ce propos, nous avons été surpris de lire dans le numéro du Petit Journal du 2 janvier les réflexions suivantes :
- « Ce que l’on veut, c’est la vie assurée par le travail ; la retraite possible à un âge déterminé et dans certaines conditions.—Il en est qui veulent le bénéfice certain et la retraite assurée, partant de ce principe que l’être humain étant venu au monde sans sa participation, a droit à l’existence et que la Société la lui doit. — C’est une façon de communisme et d’abstraction de l’individu par l’Etat : Je me refuse absolument à les suivre sur ce terrain où se trouveraient trop de paresseux et de non valeurs.
- « Je tends au possible ; je ne veux que le possible. La nature est notre règle en tout; de même qu’elle crée des êtres dissemblables par la force physique, par l’intelligence, par l’activité, de même dans l’ordre moral et économique il y a des dissemblances inévitables; l’égalité absolue est une utopie qui mènerait à la guerre civile en permanence. »
- Comme nous sommes de ceux qui veulent le bénéfice cet tain et la retraite assurée, et comme le Devoir a toujours visé dans ses articles sur cette question à obtenir ce résultat, nous ne croyons pas possible de laisser passer ces appréciations sans un mot de réponse. Le sympathique rédacteur en chef du Petit Journal a une autorité trop bien constatée sur l’esprit de ses nombreux lecteurs pour que l’opinion qu’il exprime de la sorte ne soit point partagée par beaucoup de personnes qui risquent d’être induites en erreur, faute de bien envisager la question.
- Nous ne voyons pas tout d’abord comment le droit de chaque homme à l’existence, droit qui se traduit pour la société en devoir de lui fournir les moyens d’existence, constitue une façon de commu-! nisme et d’absorption de l’individu par l’Etat. Est-ce
- p.850 - vue 3/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 851
- que les sociétés de secours mutuels qui ont pour but d’assurer à leurs membres les ressources nécessaires à la vie dans la maladie ou la vieillesse font du communisme ou sont absorbées par l’Etat ? Or qu’est-ce en définitive que l’organisation de la mutualité sociale comme nous la proposons, sinon la généralisation et lextension à tous les habitants du pays des effets de l’institution des sociétés particulières de secours mutuels ? Le droit de tous sans exception à l’existence ost incontestable; mais si l’homme est privé par une cause quelconque des moyens d’exercer ce droit, il est victime d’un déni de justice, bien plus encore d’une véritable spoliation, et c’est la société qui se rend coupable de ce crime à son égard. La société est en effet tenue non-seulement de respecter ce droit primordial et sacré entre tous, mais encore d'en faciliter l’exercice par tous les moyens possibles, c’est la condition essentielle de son existence à elle, qui, sans cela, n’aurait point de raison d’être. En présence de cette obligation stricte et de droit absolu, l’objection tirée du trop grand nombre de paresseux et de non-valeurs n’a point une portée sérieuse,
- Est-ce qu’il est jamais venu à personne l’idée de contester le droit de la société de confier à des tribunaux le pouvoir de juger les délits et les crimes, parce qu’il pouvait y avoir trop d'erreurs judiciaires de commises ? Or contester l’obligation de la société d’assurer à tous le nécessaire parce que cela pourrait encourager la paresse et les non-valeurs, c’est nier à la justice le droit de punir par crainte des erreurs judiciaires. Les abus auxquels peut donner lieu l'exercice d’un droit ne peuvent porter atteinte à l’exercice de ce droit.
- D’ailleurs est-il bien certain que l’exercice de la mutualité donnerait naissance à cet abus. Qui est-ce qui dans l’organisation actuelle de la société provoque réellement la paresse ? Les paresseux par tempérament sont rares parmi les travailleurs. Ce qui les rend tels, c’est surtout l’ivrognerie, et l’ivrognerie est souvent le fruit de la gêne, des privations et des souffrances du foyer. Un ouvrier bon travailleur et honnête se marie; son salaire joint aux petits profits que l’on tire du travail de la femme leur permet de vivre sans gêne ni privations. Comme son intérieur dans ces conditions est gai et attrayant, il s’y plaît et il y passe tout le temps que n’exige point l’atelier. Ce jeune ménage est heureux ; bientôt un enfant naît, c’est un charme de plus, mais c’est aussi une charge dont on n’a point à se plaindre cependant, et c’est encore une année heureuse que celle qui suit cette naissance bien fêtée. Mais i l’année suivante la famille s’accroît encore, et nous ;
- voilà avec un surcroît de charges et avec une diminution de ressources, car la mère, trop,occupée désormais par les soins à donner aux enfants, ne peut plus travailler de son côté, et le salaire du père est resté le même. Petit à petit, ce sont les privations, la gêne, la souffrance qui surviennent. Cet intérieur naguère si riant et si gai est triste et repoussant. En rentrant, l’ouvrier souffre de voir pâtir les siens ; ce spectacle le navre, et peu à peu il finit par le redouter ; il s’en éloigne, et après avoir lutté plus ou moins longtemps sans succès, il va au cabaret pour finir cette réalité cruelle de son intérieur. Il boit pour s’étourdir, il se grise et il est perdu. Plus il boit, plus la misère augmente chez lui, et plus il a besoin de s’éloigner de ce désolant tableau; il finit par s’installer définitivement au cabaret, et alors il néglige tout, même l’atelier, et cet ivrogne misérable est devenu un paresseux.
- La mutualité sociale en assurant aux travailleurs le nécessaire toujours enlèverait à tout jamais cette cause de mal, bien loin de la favoriser, et c’est à tort que notre éminent confrère du Petit Journal s’éloigne de l’examen de cette question, parce que sur ce terrain il craint de trouver trop de paresseux et de non-valeurs.
- Quant à la possibilité de mettre en œu vre cette mutualité nous l’avons démontré, et nous sommes surpris de voir cet écrivain dire qu’il ne veut que le possible. Qu’il vérifie les chiffres que nous avons donnés, qu’il visite le Familistère pour se convaincre des résultats que donne le bon fonctionnement de la mutualité, et il ne jugera plus la chose impossible. Il verra si parmi cette population d’ouvriers la paresse a trouvé la moindre place dans les cœurs et si avec la sécurité de l’avenir la mutualité n’encourage point au contraire au travail.
- Nous pensons comme lui que l’égalité absolue est une utopie, si par cette égalité on entend la richesse pour tous à égale dose. Mais il s’agit de l’égalité absolue des droits naturels, non-seulement nous ne la considérons point comme une utopie, mais nous la tenons pour un fait bien établi et bien constaté.
- LA FRANCE EN 1881
- Les années se suivent comme les jours et ne se ressemblent pas. Le .Devoir, à pareille époque l’an dernier, constatait avec une satisfaction légitime que sous son apparence insignifiante, l’année 1880 avait été bonne et digne de figurer honorablement dans l’histoire, parce qu’elle avait vu ce fait sans
- p.851 - vue 4/836
-
-
-
- 852
- LE DEVOIR
- précédent pour ainsi dire d’un gouvernement contraint par la pression de l’opinion publique d’adopter quelques importantes mesures véritablement démocratiques, telles que l’amnistie arrachée après des mois de lutte entre le pays d’une part et les chambres et le ministère de l’autre, la dissolution des congrégations religieuses tant désirée par la nation, les lois laïques sur l’enseignement et la victoire du libre échange sur les prétentions surannées du protectionnisme.
- Aujourd’hui, à cette heure d’examen de conscience sérieux et loyal, qu’avons-nous à constater?
- A l’intérieur, un gouvernement se passant le plus qu'il l’a pu du concours de la Chambre, et administrant les affaires du pays à sa guise, sans contrôle, sans règle, un peu à l’aventure, comme aux beaux jours du régime impérial, si bien que dans la crainte du blâme justifié de la Chambre dont les pouvoirs expiraient, il a hâté d’une façon tout à fait inusitée les élections législatives pour retarder ensuite le plus possible la convocation de la nouvelle chambre.
- Ces élections ont été le grand événement de l’année parce qu’elles constituaient, comme toujours une consultation du pays qui n’a que ces rares occasions de faire connaître sa velonté, Dans cette circonstance, il s’est prononcé très catégoriquement, avec une énergique netteté en faveur de réformes radicales non seulement au point de vue politique, mais encore, ce qui est infiniment plus important, à notre sens, au point de vue social. Il a montré sans la moindre équivoque possible qu’;l jugeait l’heure venue de se mettre résolument à l’œuvre pour doter la nation d’institutions formellement démocratiques,et de restreindre dans une large mesure l’importance accordée jusqu’alors en matière de gouvernement aux questions purement politiques, pour donner une part plus considérable aux questions sociales.
- Dans la majeure partie des programmes élaborés par les comités électoraux et acceptés par tous les candidats presque sans exception, les réformes sociales tiennent en effet une plus large place que dans ceux de toutes les élections précédentes, et les candidatures ouvrières se sont produites sur un grand nombre de points, sans succès, il est vrai, mais battues dans des circonstances qui permettent d’espérer de les voir réussir dans un temps peu éloigné.
- Presque partout dans ces programmes, à côté de la révision de la constitution en ce qui concerne le Sénat, cet élément de conflit et de luttes,on voit la création de caisses de retraite pour les vieillards et les invalides du travail, l’amélioration des rapports entre le travail et le capital, la suppression des livrets d’ouvriers, la responsabilité des patrons en matière d’ac-
- î cidents, la création d’écoles d’apprentissage,l’admission des syndicats ouvriers aux adjudications de travaux publics, l’égalité civile, politique et économique des deux sexes,et une foule d’autres réformes non moins significatives, dont les programmes des élections antérieures ne faisaient pas la moindre mention.
- Si le pays pénétré de plus en plus de la conscience de son droit souverain et plus éclairé de jour en jour sur ses intérêts politiques et sociaux fait chaque fois un pas plus accentué vers le progrès, en est-il de même de ses représentants, qui lorsque simples candidats, ils se trouvent en face de leurs électeurs promettent tout ce qu’en leur demande, mais qui une fois élus oublient très vite leurs promesses pour se perdre dans les intrigues de couloirs, dans les rivalités d’amour propre, dans les conciliabules de majorités ou de minorités ? La chambre nouvelle, à l'heure actuelle,n’a pas encore eu le temps de faire grand’chose Mais si l’on en juge par ses actes assez rares, il est à craindre que cette fois encore les aspirations les plus ardentes de la nation ne trouvent point d’appui sérieux chez ses représentants. Donner une majorité au ministère a paru dès le début sa principale préoccupation, quoique ce ministère, que, par anticipation on a surnommé le grand ministère, n’ait peut-être point encore répondu aux désirs manifestés si clairement par le corps électoral.
- Ce ministère né en même temps que la Chambre actuelle n’a pas eu non plus le temps de donner sa mesure par des actes ; mais les nominations par lesquelles il a débuté ne sont peut être pas de nature à inspirer une bien grande confiance, car ces nominations paraissent peu justifiées, et l’on se demande ce que l’on peut attendre d’utiles réformes de l’admi-uistration, lorsqu’on voit placer à sa tête des hommes notoirement hostiles à la forme de gouvernement qu’ils sont appelés à servir.
- Mais si à l’intérieur la politique du gouvernement pendant l’année 1881 n’est point faite pour dissiper les inquiétudes, celle suivie par lui à l’extérieur est plus injustifiable encore.
- Cette année nous a offert l’étrange spectacle d’un gouvernement républicain qui, sans consulter le pouvoir législatif, et sans la moindre déclaration de guerre, a entrepris une campagne longue, difficile, dans laquelle les maladies et les fatigues plus que les combats ont semé la route de l’armée de victimes, et cela sans but bien défini, sans résultat appréciable autre que d’imposer à la Tunisie notre protectorat que Ton a appelé la pire des annexions. Cette expédition peu justifiée, mal combinée et mal conduite, a provoqué delà part des tribus algériennes du Sahara
- p.852 - vue 5/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 853
- oranais une insurrection à laquelle l’incapacité et le mauvais vouloir de quelques chefs militaires chargés de la réprimer ont fini par donner une certaine importance, et qui n'est point encore détruite, malgré le courage, l’abnégation et la valeur de nos troupes lancées dans le désert, le plus souvent sans vivres, sans provisions d'aucune sorte, car, malgré toutes les leçons de l’expérience, malgré tous les efforts et les sacrifices du pays, l’administration militaire parait toujours d’après les impressions reçues du théâtre même de la guerre aussi insouciante de la santé et de la vie des hommes que par le passé.
- Par cette conduite, le gouvernement; a mécontenté l’Italie qui devrait être naturellement la plus fidèle . alliée de la France, il a inquiété l’Angleterre, et rassuré l’Allemagne que la politique correcte jusqu’alors du gouvernement français gênait pour la réalisation de ses projets ambitieux sur l’Europe. Aussi voyons-nous au dernier moment se réveiller la « question romaine » plus grosse peut-être de graves complications que jamais, soulevée qu’elle est cette fois par le prince de Bismarck, qui avait besoin de nous voir empêtrés en Tunisie et en Algérie pour avoir ses coudées franches et pouvoir agir suivant ses vues.
- Telie est la situation au moment où l’année «qui se termine vient de faire place à une année-nouvelle. Le legs qu’elle lui laisse peut être une source d’embarras et de déboires, si mieux partagée que sa devancière, elle ne voit pas nos gouvernants se raviser et suivre une voie meilleure. Malgré les ombres du tableau que nous venons de tracer en toute sincérité, nous ne sommes ni pessimiste ni adversaire du nouveau ministère. Nous ne sommes pas davantage son partisan de parti-pris, mais nous voulons espérer que, s’inspirant fidèlement de la volonté si clairement manifestée du pays, il marchera résolument à l’intérieur dans la voie des réformes sociales indispensables, et à l’extérieur dans celle de la paix, qui, mieux que toutes les guerres possibles, peut développer rapidement la prospérité nationale, sa prépondérance et sa dignité. Qu’il sache laisser aux gouvernements monarchiques la prétendue gloire des conquêtes et des victoires, et que s’élevant au-dessus des intérêts mesquins qui dirigent les actes deschets dynastiques, il se souvienne que la véritable gloire d’une nation est inséparable de sa prospérité, de sa tranquillité, de ses progrès politiques et sociaux 1 aussi bien qu’économiques. Ii y aura toujours plus! d’honneur pour un gouvernement, quoi qu’on en dise, | à rendre son pays prospère, heureux et riche, à en f bannir à tout jamais la misère et la souffrance, qu’à !
- augmenter par la violence et la guerre qui ruine, son territoire et ses possessions. Les triomphes éphémères de la tribune d’autre part ne valent pas une réforme utile silencieusement réalisée, et il est mille fois préférable d’assurer le sort des prolétaires et de les mettre à l’abri du besoin, que d’être acclamé dans les assemblées ou porté en triomphe par la foule ignorante et passionnée.
- LE JOUR DE L’M AU FAMILISTÈRE
- Toutes les fêtes du Familistère sont remarquables principalement par le sentiment intime de plaisir et de bonheur que chacun y apporte et qui se lit plus ou moins clairement sur ces visages d’ouvriers du Nord si peu mobiles en général. Comment pourrait-il en être autrement puisque cette population de travailleurs est heureuse véritablement, et si bien à l’abri des soucis cuisants de l’existence qui forment le triste lot de la plupart de leurs frères et empoisonnent leurs rares moments de joie. C’est l’association et les avantages qu’elle leur procure qui produit cet inappréciable résultat et qui assure leur avenir contre les éventualités du malheur. Cette absence de préoccupations est un bien inestimable qui permet à ce sentiment de satisfaction intime dont nous parlons de s’épanouir à l’aise dans les cœurs et d’y vivre sans nuage et sans trouble. Ils le comprennent, ils le sentent et ils en sont reconnaissants. Leur gratitude, c’est surtout au moment du renouvellement de l’année qu’ils trouvent l’occasion de l’expriiffer, et c’est pour cela, qu'à notre avis, cette fête du premier de l’an est la plus intéressante, la plus émouvante de toutes. La Fête du Travail et celle de l’Enfance ont leurs charmes, leurs traits touchants, leurs cérémonies imposantes ou gracieuses certainement ; mais celle du commencement de l’année est moins solennelle, moins officielle, pour ainsi dire,et partant beaucoup plus cordiale, comme ayant quelque chose de plus spontané. Dans cette circonstance, c’est l’enfance qui se fait l’interprète des sentiments de tous, et ce n’est point sans émotion que l’on peut entendre ces jeunes voix exprimer au fondateur de l’Association les vœux que la reconnaissance leur dicte ainsi qu’à leurs pères et mères attendris.
- Cette année, la journée s’était levée radieuse ; dans le ciel sans le moindre nuage, le soleil dorait à son lever les hautes cheminées de l’usine et les toits du Familistère. La terre couverte au bord des routes d’une nappe de gelée blanche paraissait n’attendre
- p.853 - vue 6/836
-
-
-
- 854
- LS DEVOIR
- que les premiers rayons de sa vivifiante chaleur pour se dépouiller de cette parure nocturne. Sur les branches dénudées des arbres, les rares moineaux francs secouant leurs ailes avec de petits cris joyeux saluaient l’aurore d’un beau jour, et partaient à tire d’aile pour leur chasse* matinale Dans les prairies que l’Oise enserre dans ses capricieux méandres, les vapeurs brumeuses de la nuit se dissipaient lentement, et l’œil pouvait suivre à l’horizon toutes les ondulations du paysage. Bientôt la façade méridionale du Familistère se trouvait inondée de lumière et prenait un aspect riant et gai, un véritable air de fête.
- A l’intérieur ies tambours et les clairons sonnent la diane et tout le monde est sur pied se préparant joyeux à la touchante cérémonie du matin. De temps à autre une aubade signale la visite de nos braves pompiers à quelque chef de service, et si l’on se rencontre dans les passages ou les galeries,tous,petits et grands se serrent la main et formulent des souhaits réciproques sincères parce qu’ils sont désintéressés.
- Les enfants, à qui ïa veille l’on a fait en petit comité une distribution de récompenses, se parent impatients, car ils ont un rôle important, le premier rôle dans le défilé et la petite fête du jour. L’enfance si impressionnable, si mobile aime tout ce qui es^ joie, fête, bonheur ; elle sent vivement,et manifester ses sentiments est pour elle un besoin irrésistible. Ces petits cœurs battent plus vite sous la pression de l’attente ; ils ont hâte de voir leur bienfaiteur et ses dignes collaborateurs. Aussi les mamans n’ont-elles pas aujourd’hui à les stimuler, à les presser comme cela arrive peut-être quelquefois les jours ordinaires.
- Enfin l’heure a sonné. Dans la cour du pavillon de gauche se sont rassemblés à l’avance les pompiers, tambours et clairons avec le drapeau en tête, les archers groupés également autour de leur drapeau, les enfants guidés par leurs nombreuses bannières précédées de la bannière d’honneur aux cinq couleurs, et l’harmonie du Familistère en grande tenue, avec son splendide étendard couronné d’innombrables médailles.
- Les membres des conseils, les travailleurs endimanchés arrivent,et le cortège bientôt formé se met en marche au son d’une musique entraînante vers la cour du pavillon de droite,où se trouve l’appartement de l’administrateur-gérant. Partout les galeries sont garnies de dames, de mères qui contemplent d’un œil satisfait ce cortège où leurs enfants, leurs époux ont leur place et auquel elles regrettent de ne pas se joindre.
- | Au fond de la cour se massent en rangs serrés les enfants par divisions et par classes, encadrées par les bannières aux couleurs variées. Sur le côté Nord sont groupés les pompiers et les archers, et au centre la musique formant un vaste cercle. Lorsque tout le monde a pris place, les membres du conseil de gérance et du conseil de surveillance montent chez le fondateur qui les reçoit dans son salon, én-touré de la digne collaboratrice de son œuvre depuis vingt ans,et de la gracieuse directrice des écoles. L’administrateur-gérant donne à chacun une cordiale poignée de main en lui souhaitant une heureuse année,et en indiquant avec le sens pratique qui ne l’abandonne jamais, que le meilleur moyen d’être heureux c’est de travailler par soi même à le devenir. Ces dames accueillent de leur côté avec leur grâce habituelle ces représentants autorisés de la population qui les aime et leur sait gré de leur dévouement infatigable et sans limites.
- Le fondateur accompagné de son état-major, si l’on peut s’exprimer ainsi descend alors au milieu des travailleurs rassemblés dans la cour. Dès qu’il paraît dans le couloir, la musique salue sa présence par un allegro militaire dont l’exécution est véritablement digne d’éloges. Pendant ce temps de tous côtés les | mains se serrent, des vœux de bonheur s’échangent, I et de loin des saluts souriants se croisent. C’est un I touchant spectacle donné par cette population si peu I communicative en général.
- I A la musique succède un silence pendant lequel
- I un jeune garçon se détache des rangs et s’avance un papier à la main jusqu’auprès de l’administra-
- Iteur-gérant, auquel il lit d’une voix claire le petit discours suivant, composé par lui seul et choisi au concours pour être lu publiquement. Nous le reproduisons parce que suivant l’usage établi dans les écoles du Familistère, il est l’œuvre sans correction ni retouche de l’enfant qui le lit :
- Les écoles du Familistère à M. Godin leur bienfaiteur :
- Cher bienfaiteur, c’est avec un vif plaisir que nous voyons arriver ce jour; nous sommes tous heureux de pouvoir montrer la reconnaissance que nous avons pour notre bienfaisant protecteur. Non-seulement vous nous donnez l’instruction pour rien,mais encore vous voulez faire de nous ce que nos parents n’avaient jamais espéré, c’est-à-dire que vous allez encore sacrifier une grande partie de vos bénéfices pour créer un cours supérieur aux écoles ordinaires afin de développer notre intelligence et nous mettre en état, quand nous serons devenus des hommes, de remplir nos devoirs avec toute la perfection désirable.
- p.854 - vue 7/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 855
- Si plus tard nous sommes ignorants, nous pourrons diro que c’est notre faute ; si, au contraire, grâce à vous, nous avons acquis une position supérieure à celle que nous avons pu espérer jusqu’à présent, nous n’aurons plus qu’une chose à faire, ce sera de vous remercier du plus profond de notre cœur. Aussi nous faisons tous le serment de nous appliquer à l’étude avec toute l’ardeur dont nous sommes capables, afin d’acquérir le plus d’instruction qu’il nous sera possible,et de nous montrer di-x gnes de tant de bienfaits. Cher bienfaiteur, nous implorons Dieu chaque jour pour qu’il vous accorde une longue vie et tout le bonheur réservé à une g existence passée à répandre le bien-être autour f d’elle. » .
- Ce petit morceau d’éloquence enfantine si juste dans l’expression des faits et des sentiments qu’ils éveillent naturellement dans les cœurs a été écouté avec des marques non équivoques d’approbation.
- Aussitôt, une jeune fille vient prendre place à son tour et lit un petit compliment dans lequel nous relevons les deux pensées suivantes :
- « Croyez, cher bienfaiteur, que vos bienfaits sont gravés dans notre cœur d’une manière ineffaçable et permettez-nous de vous offrir l’expression de notre gratitude. La dette de reconnaissance que vos bienfaits nous ont fait contracter est une de celles qui ne s’acquittent jamais. »
- Ces sentiments ont un écho dans le cœur de tous les habitants du Familistère et rien n’est plus touchant à notre avis que de voir de jeunes enfants d’une quinzaine d’années à peine s’en faire ainsi les interprètes.
- Le fondateur remercie les enfants de leurs bons sentiments, mais il relève avec une certaine insistance la parole prononcée par le premier enfant d’après laquelle ce serait une partie de ses bénéfices à lui qui serait consacrée à la création d’un cours supérieur. Il montre que depuis l’établissement définitif de l’association, les bénéfices de l’industrie sont devenus des bénéfices sociaux, et que la part de ces bénéfices consacrée à l’instruction est la propriété de l’association et non la sienne. Si, en sa qualité d’associé ayant une part plus considérable dans les résultats, à raison de ses apports et de la direction qu’il imprime à la marche de l’entreprise il contribue plus largement que les autres à cette œuvre de l’éducation, ce n’est pas une raison pour lui en attribuer exclusivement le mérite et l’honneur, et il tient à ce que cette distinction soit bien | comprise* Il leur rappelle en terminant tous les I
- avantages de l’instruction et de l’éducation et les engage à ne pas oublier leur promesse de faire tous leurs efforts pour en tirer tout le profit possible pour leur avenir.
- Après cela le chant d’un chœur charmant approprié à la circonstance et célébrant la puissance et la vertu du travail, que tout le monde écoute avec plaisir, est exécuté d’une façon très convenable par les enfants. Nous citerons le couplet. suivant qui était tout à fait en situation :
- En ce beau jour rendons hommage A la puissance du travail Qui modifie pour tout usage La fonte et le fer et l’émail Et d’un génie fécond et sage Reconnaissons tous les bienfaits Offrons lui nos meilleurs souhaits Au travail rendons hommage, etc.
- L’Harmonie du Familistère exécute ensuite une fantaisie patriotique d’un brio endiablé que l’on applaudit à tout rompre. Le fondateur félicite le chef de musique qui non-seulement avait parfaitement conduit, mais qui avait arrangé lui-même ce meli-melo d’airs nationaux français ; il passe dans les rangs donnant une bonne parole d’encouragement aux pompiers, un bon souhait à l’un, une congratulation à l’autre,et après une polka dans laquelle les solos de cornet à piston font merveille, l’on se sépare heureux et satisfait.
- Cette journée qui à Paris, par exemple, est une corvée horrible, s’écoule dans ce milieu paisible et prospère du Familistère dans la joie calme et sans mélange du bien- être bien acquis et noblement assuré par le travail. C’est dans l’intimité du foyer qu’elle s’achève,et comme cette heureuse fête est une de celles dans lesquelles le cœur a le plus de part, c’est aussi celle qui laisse les meilleurs souvenirs. Nous souhaitons à tous les travailleurs de pouvoir la célébrer aussi heureusement qu’on la célèbre tous les ans au sein de ce splendide Palais du Travail, malheureusement encore unique au monde.
- FAITS POLITIQUES A SOCIAUX DE LA SEMAINE
- H*ess caisses de retraite. — Les on-dit les plus dignes de foi nous donnent comme certain le dépôt, parM. Allain-Targé, ministre des finances, sur le bureau de la Chambre des députés, dès l’ouverture de la session législative de 1882, d’un projet de loi tendant à assurer une retraite aux ouvriers vieux ou infirmes et ne pouvant plus travailler.
- Il y a longtemps que cette idée germe dans le cerveau des réformateurs. Déjà, en 1848, elle fut mise à l’étude par la commission du gouvernement pour les travailleurs
- p.855 - vue 8/836
-
-
-
- 856
- LE DEVOIR
- qui siégeait au Luxembourg, et si elle ne fut pas poussée plus avant à cette époque, cela a tenu au peu de durée du gouvernement provisoire et au triomphe de la réaction.
- Sous l’Empire, quelques sociétés professionnelles essayèrent timidement, sans résultats appréciables, de constituer des caisses de retraite en faveur de leurs membres. Le peu de stabilité de la politique impériale ne prêtait pas assez au développement de ce principe. Cependant, vers 1869, après la loi qui autorisait les réunions publiques traitant les questions économiques, les caisses de retraite furent mises en dicussion. Vint la guerre de 1870 Le danger national effaça toutes les autres préoccupations. Ce ne fut qu’après les deux ordres moraux de 1873 et de 1877 que les Sociétés ouvrières reprirent l’étude de ce point important, presque capital, de leur programme.
- En 1879, on en parlait un peu partout, et M. Martin Nadaud, qui fait tout son possible pour donner satisfaction aux justes revendications des travailleurs, crut devoir déposer sur le bureau de la Chambre un projet, embryonnaire il est vrai, mais appelant l’examen, pour ne plus laisser les ouvriers sans ressources lorsqu’ils ne peuvent plus travailler.
- M. Nadaud n’était pas absolument fixé sur les moyens d’exécution de son projet ; ce qu’il savait de mieux, c’est qu’il était indispensable, pour l’honneur de la République, de faire quelque chose dans le sens qu’il indiquait.
- Pour mieux s’éclairer, l’honorable député de la Creuse se rendit dans plusieurs réunions corporatives ouvrières où il demanda la discussion sur son projet. Il était partisan d’une certaine retenue sur les salaires, mais les intéressés objectèrent bien haut qu’ils ne pourraient jamais sacrifier, sur le produit de leur travail, les retenues nécessaires au capital voulu pour leur retraite.
- Plusieurs comités se sont formés pour étudier les voies et moyens d’application. D’aucunes Sociétés, telles que celle des comptables et celle des tailleurs de la rue Tur-bigo, ont fait chez elles la pratique du système préconisé. Nous savons que la caisse de retraite des tailleurs formée par une partie des bénéfices provenant de leurs opérations commerciales, s’élève déjà à 115.000 francs, et que l’avoir y relatif des comptables est au moins aussi élevé. Mais les membres de ces professions qui ne font pas partie, pour n’importe quelle cause, de ces Sociétés, ont toujours la perspective de la misère pour leurs vieux jours.
- C’est sans doute cette catégorie d’indifférents, d’inconscients ou d’opposants qui a déterminé le gouvernement, par l’organe deM. Allain-Targé, à suppléer, en matière si délicate, l’insuffisance de l’initiative privée.
- Quelle est l’économie du projet gouvernemental? Fait-il supporter à l’Etat toutes les charges de ces retraites ? Retient-il une part, si minime soit-elle, des salaires des ouvriers ? Se base-t-il sur le système des assurances de la vie? Dérive-t-il d’autres combinaisons ? Jusqu’à présent, le public a dû se borner à des suppositions plus ou moins fondées. Quoiqu’il en soit, le gouvernement, en prenant cette initiative, a fait acte de courage et de justice.
- Nous attendons avec impatience le dépôt du projet en question pour l’analyser et l’apprécier.
- ITALIE
- On commence à se préoccuper sérieusement du réveil de la • question romaine * en Italie, à la suite des justes articles de la Post, de la brochure le Pape et l'Italie, et des paroles adressées par Léon XIII aux évêques réunis au Vatican la veille de Noël. Certains journaux affectent, il est vrai, de n’attacber que peu d’importance à cette agitation, mais ils ne trahissent pas moins leurs préoccupations, leurs « angoisses patriotiques » sous le masque d’indifférence dont ils se couvrent.
- La Rifomia s’attache à établir que l’accord négocié entre l’Allemagne et le saint-siège, en admettant qu’il
- se réalisât, ne saurait être ni sérieux ni durable; qu’à tout prendre, il ne pourrait revêtir un caractère international, et, par suite, devenir dangereux pour l’Italie, et que, dès lors, le seul dommage qu’en éprouverait cette puissance consisterait dans l’impossibilité de donner à ses relations avec l’Allemagne toute l’intimité désirable. L’organe de M. Grispi persiste, en conséquence, à refuser toute importance aux articles de la Post, et à demeurer convaincu que Léon XIII restera à Rome comme l’eût fait Pie IX, à moins que l’Italie ne juge la présence du pape dans la capitale du royaume incompatible avec les intérêts du pays.
- La Perseveranm suppose que les articles de la Post n’ont eu d’autre but que de tâter le terrain. M. de Bismarck l’a trouvé si résistant, que vraisemblablement il ne s’engagera pas dans une aventure qui mettrait l’Europe en feu, et risquerait d’ébranler l’empire sur ses bases. On peut donc assister sans inquiétude à l’agonie du kulturkampf.
- Le Diïitlo, qui est pourtant le principal organe du cabinet, se montre moins rassuré que les deux journaux que nous venons de citer. Dans un nouvel article qui nous est signalé par le télégraphe, le Diritto discute la possibilité de voir M. de Bismarck entamer des négociations internationales sur la question de la papauté. Le Diritto dit à ce sujet que 1 Italie doit prévenir ces négociations en s’alliant avec l’Autriche et l’Allemagne, et en achevant l’œuvre commencée par le voyage à Vienne, qui a été un premier pas dans cette voie. Non-seulement des raisons d’ordre particulier relatives à la question de la papauté, mais encore des raisons d’ordre général relatives à la question de la paix européenne, conseillent cette alliance.
- Le Popolo Romano dément que l’Italie ait reçu des puissances aucune communication au sujet de la* situa tion du pape. Ce journal déclare que le gouvernement déclinerait alors toute discussion, parce qu’il considère la question de la liberté du pape comme épuisée par la loi des garanties et comme d’ordre purement intérieur. Le Popolo Romano ajoute : Si l’Autriche-Hongrie, dont les populations sont toutes catholiques, n’a jamais songé depuis dix ans (et ceci avec une délicatesse que nous devons reconnaître), à révoquer en doute les droits de l’Italie sur Rome, si elle a toujours reconnu la pleine liberté de l’Italie à régler la question de la papauté comme une question d’ordre intérieur, il serait absurde de supposer que l’Allemagne, en grande partie peuplée de non-catholiques, puisse considérer cette question comme ayant un caractère international. Les déclarations mêmes de notre monarchie, en transportant la capitale à Rome, ferment la porte à toute immixtion étrangère dans cette question. La papauté a deux partis à prendre : se résigner à sa destinée en prenant des accommodements avec l’Italie, ou partir. Nous persistons à croire que le pape actuel est trop Italien et a l’intelligence trop élevée pour choisir le second de ces deux partis. >
- N’est-il pas pour le moins étrange de voir le Popolo Romano réduit à faire appel aux sentiments patriotiques du pape ?
- Il n’est pas sans intérêt, croyons-nous, de rapprocher de ces extraits de la presse italienne, le passage suivant d’une correspondance de Rome, adressée à Vin-dépendance belge sur la même question :
- « L’attitude du chancelier allemand a éclairé tout à coup les esprits qui s’étaient laissé aveugler par la passion, à propos des affaires tunisiennes. Le ministère serait sûr d’obtenir l’approbation de l’opinion publique, s’il parvenait à rétablir un accord complet entre la France et l’Italie, en prenant pour base le principe de la résistance aux empiètements du cléricalisme. Le traité du Bardo constitue momentanément un point ae controverse laborieuse entre les deux pays ; mais des négociations très actives ont lien en ce moment, entre Paris et Rome, dans le but de résoudre cette importante question. Le protectorat français est un fait sur lequel il n’y a pas à revenir; seulement le ministère français peut accorder à l’Italie, pour la protection de sa colonie,
- p.856 - vue 9/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 857
- et surtout la sauvegarde de son amour-propre, des fa- | cilitês qui lui permettraient de supporter dignement ce protectorat et d’y contribuer indirectement. » D’après notre correspondant, rien ne trahit mieux les alarmes de l’Italie J que cette tendance à se rapprocher de la France, à arriver à un accord sur la question tunisienne. Tous les chemins mènent à Rome, môme celui de Tunis. »
- *
- ¥ ¥
- La catastrophe «le Varsovie. —- Le correspondant du Voltaire à Varsovie vient d'envoyer les détails suivants sur la catastrophe survenue dans cette ville et dont nous avons parlé dans notre dernier numéro :
- Vous savez quelles sont la ferveur et la dévotion du peuple polonais. Ce matin, 23 décembre, une foule énorme se trouvait réunie pour la grand’messe à l’église Saint-Croix. Cette église est située au faubourg de Cracovie ; il s’y trouve une image célèbre de Jésus-Christ portant une croix.
- L’office était presque terminé quand le cri : au feu ! s’étant fait entendre, il s’ensuivit une panique, une bousculade indescriptibles. Il faut dire que la sensation causée par la catastrophe de Vienne a été immense en notre ville. C’est ce qui explique en partie la terreur folle et subite qui s’est emparée de la foule réunie à l’église Saint-Croix.
- Un perron d’environ vingt marches donne accès dans l’église. Nombre de ces malheureux furent précipités sur ses degrés.
- L’alarme était fausse. Sur l’origine de la panique, beaucoup de versions ont circulé dans la ville. Voici, quelle est, ce semble, la vérité :
- L’église Saint-Croix est fréquentée par un monde élégant, par les femmes les plus riches de la ville. Plusieurs voleurs, juifs, à ce qu’on assure, s’y étaient rendus dans l’intention d’y opérer, pendant la grand’messe. Un fidèle auquel un de ces voleurs essayait de prendre sa montre lui mit la main au collet. Le juif alors se mit à crier au feu. Ce cri fut aussitôt répété par plusieurs do ses camarades de bande. ,La foule, à l’instant, se précipita vers la porte en criant et dans le plus grand désordre.
- L’homme qui a donné la fausse alarme a été victime d'une espèce d'exécution sommaire. Peut-être est-il mort au moment où j’écris. Je l’ai vu moi-mème, il y a quelques heures, tout sanglant et respirant à peine.
- Quarante-deux personnes ont été tuées, quarante-six blessées très grièvement. Tels sont du moins les chiffres officiels. Parmi les morts figure la comtesse Alexan-drowicz. Le désespoir du mari de cette dame était affreux a voir : j’ai été de ceux qui l’ont empêché de se donner la mort auprès du cadavre de la comtesse.
- Beaucoup de morts appartiennent à la classe pauvre.
- Se trouvant plus près de la porte, ils ont reçu le premier et le plus terrible choc de la colonne.
- Aussitôt que le bruit de cet événement se fut répandu dans la ville, on commença à battre et à assommer dans les rues les juifs et les juives qui passaient. Les marchands juifs se hâtèrent de fermer leurs magasins. De forts pelotons de gendarmes à pied et à cheval furent aussitôt déployés pour contenir la foule.
- Quand le chiffre des morts fut connu, la multitude exaspérée rompit les ligues des troupes et se porta au quartier juif, notamment rues Ordinacka et Prêta, et place Alexandre. Là, il y eut un désordre effroyable.
- Les magasins et les logements furent pillés. Un certain nombre de juifs qui s’élaient réfugiés dans les maisons furent jetés par les fenêtres.
- La troupe, avec beaucoup de peine, a réussi enfin, sans effusion de sang, à faire évacuer ces quartiers. Les rues étaient pleines de barriques défoncées, de monceaux de cuir, de bougies, etc., etc.
- La rue Ordinacka était toute blanche d’une espèce de neige provenant du duvet des oreillers et des matelas.
- — Parmi les juifs qui ont été assaillis dans cette rue, t quelques-uns, dit-on, sont morts des suites de leurs ! blessures. ' 1
- A l’heure où j’écris — minuit — la tranquillité est rétablie. Seulement une foule nombreuse continue de circuler dans les rues, so portant notamment sur le lieu du sinistre. On entend s’élever, d une manière continue, un grand bruit de voix.
- Les morts et les blessés ont été transportés à l'hôpital Saint-Rocb, en face de l’église et â l’hôpital de l’Enfant-Jésus.
- Le gouverneur, prince Àlbedinsky, qui a parcouru plusieurs fois la ville avec une suite nombreuse, a montré, dans ces circonstances difficiles, une décision, une énergie et une prudence fort remarquables.
- 26 décembre, malin.
- Au moment d’expédier ma lettre, j’y joins quelques mots. —- On se bat sérieusement dans plusieurs rues. — Défense d’ouvrir les boutiques. — Il y a déjà un certain nombre de morts. — Les morts d’hier ont été portés au cimetière nuitamment, afin d'éviter une manifestation.
- ALLEMAGNE
- La Gazette de l'Allemagne du Nord, feuille officieuse, s’est abstenue jusqu’à présent de commenter les articles du Diritto sur la position que crée à 1 Italie la politique de M. de Bismarck, si favorable au Saint-Siège. La Gazette se borne a donner de ces articles de liés courts résumés.
- La Gazette nationale rappelle, après la Gazette de Cologne, que la Gazette de VAllemagne du Nord vient de reprocher à certains journaux français d’essayer de semer la défiance entre l’Allemagne et ï Italie. « La Gazette de l'Allemagne du Nord a tort d’adresser ce reproche aux journaux français; les articles officieux de la Po&t ont semé cette défiance avec bieu plus de force et de succès que les articles des journaux parisiens. »
- Voici la traduction des lignes consacrées par la Correspondance provinciale (très officieuse) au Eulturkampf :
- La nouvelle année sera, nous l’espérons, la date d'un revirement décisif dans les rapports entre l’Eglise et l’Etat, et spécialement dans les rapports entre l’Eglise catholique et la Prusse. Sur ce terrain, le gouvernement a agi en se basant sur la connaissance des besoins du pays et de ses sujets catholiques, et avec le désir d’amener une paix 'sincère.
- L’esprit conciliant de la curie et des chapitres a permis de ramener une situation normale dans quatre évêchés, d’instituer deux évêques et deux administrateurs. D’antres succès de ce genre sont imminents. La conviction de la nécessité de la paix entre l'Eglise et l’Etat s’est répandue môme dans les cercles qui ont pris parta la lutte contre l'Eglise pour des raisons politiques qui dépasi aient le but de l’Etat. Il iaut donc espérer que ce commencement de paix se développera heureusement dans la nouvelle année. Mais ce but élevé ne saurait être atteint que si les catholiques et leur Eglise prêtent un appui sincère et sérieux à l’Etat.
- La Gazette nationale croit savoir que les Chambres prussiennes seront convoquées pour le 14 janvier. C’est alors que s’ouvriront les grands débats sur le Kuitur-hampf. Au Reichstag, la discussion sur la motion ’Windshorst tendant à abolir une des lois de mai ne peut avoir d’autre effet que d’amener quelques déclarations du gouvernement sur le point où en est arrivée la question. La solation de la question ne peut être obtenue qu’avec le concours des Chambres prussiennes. Le Kul-turkampf est en effet une question prussienne.
- La Gazette de la Croix du 28 décembre, commentant l’intention qu’on attribue au prince de Bismarck à l’égard du pape, dit que le chancelier voudrait régler la situation du Saint-Siège par voie internationale'; mais.ijoute la Gazette, cette question forme encore le sujet de pourparlers entre les puissances, et tous les articles publiés sur celte affaire par les journaux officieux et officiels ne sont que des bâtions d’essai et n'ont de signification que comme tels.
- On mande de Rome à la Post, que M. le comte Pras-
- p.857 - vue 10/836
-
-
-
- 858
- LE DEVOIR
- chma, membre du Parlement allemand, s’est rendu à Rome pendant la dernière session de cette assemblée. On croit que le parti du centre avait chargé ce député de remplir une mission auprès de la Curie.
- D’après la Gazelle de Cologne, l’empereur a reçu, le 29, dans l’après-midi, le sous-secrétaire d’Etat Busch, qui revient, comme on sait, de Rome. M. Busch avait été reçu la veille par le prince impérial.
- Le même journal annonce que le Landtag prussien va être convoqué pour le 14 janvier.
- Une correspondance télégraphique de Berlin, publiée par le Daily Télêgraph du 30, dit qu’il y a en Russie, et dans les classes élevées de la société, une recrudescence de haine contre tout ce qui est allemand. Il ré suite également d’informations parvenues à Berlin que les circonstances pourraient devenir trop puissantes pour le Tzar et le forcer de renoncer à ses intentions pacifiques. On est généralement persuadé, à St-Péters-bourg, que la politique européenne entrera prochainement dans une phase où la Russie trouvera son avantage à fausser compagnie à l’Allemagne. Cette dernière puissance s’occupe vivement de tout ce qui se fait en Russie pour l’amélioration de l’armée,et bien des observateurs allemands se demandent si la Russie se prépare à la guerre.
- I
- AUTRICHE-HONGRIE
- La Yorstad'-Zeitung et les autres organes progressistes de Vienne approuvent vivement le langage du Diritto, à l’égard de la question romaine, et sont charmés de la leçon que le journal romain vient de donner au chancelier allemand.
- La Nouvelle Presse libre dit :
- Si le prince Bismarck veut réellement tendre la main à la papauté, s’il veut devenir le Monk de la curie, il ne manquera pas de provoquer une crise sanglante qui pourrait amener la ruine de l’Italie, sans honneur ni profit pour l’empire d’Allemagne. Et même s’il ne fait — comme nous le croyons toujours — que jouer avec le pape, le centre et rlialie, si Léon XIII, Windthorst et Mancini ne sont pour lui que des figures sur son échiquier politique, il n’en a pas moins ravivé le feu qui couvait sous la cendre depuis des années, et l’on voit recommencer aujourd’hui, au grand étonnement du siècle, la lutte pour Rome.
- *
- ¥ *
- On télégraphie de Vienne au Daily News du 30 que des nouvelles officielles de Prague annoncent la conclusion d’un arrangement entre l’Autriche et l’Allemagne relativement à la question d’Orient. Ces deux puissances seraient décidées à employer tous les moyens pour empêcher une autre puissance de s’annexer l’Egypte.
- ¥ ¥
- Puisqu’on recense tout : la population, les chevaux, les voitures, donnons les chiffres d’un recensement qui vient d’être achevé au ministère de la marine.
- Voici le nombre des navires qui composent la marine du monde entier :
- Il y a actuellement 55,894 navires, se décomposant comme il suit :
- Navires à vapeur, 6,857; navires à voiles, 48,039.
- Voici maintenant quels sont les pays qui possèdent le plus grand nombre de navires :
- Navires à vapeur. — L’Angleterre en possède 4,106; l’Amérique, 569; la France, 361 ; l’Allemagne, 303 ; l’Espagne, 237 ; la Russie, 179, etc.
- Navires à voiles. — L'Angleterre possède 18,403 navires; l’Amérique. 6,045; la Norvège,4,178 ; l’Allemagne, 3,021: l’Italie, 3,018; la France, 2,678.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE VII
- Grandes chacune comme la nef des plus grandes églises de Paris, Notre-Dame ou Saint-Eustache, sont les quatre fonderies de l’usine. Divisées en deux dans la largeur par les piliers qui soutiennent la toiture, elles le sont encore dans la longueur par les fourneaux destinés à refondre le métal et qui portent le nom de cubilots. Ce sont, quant à la forme, des hauts fourneaux en miniature ; seulement leur cuve est à peu près cylindrique. Comme il ne s’agit point de transformer des masses volumineuses de minerai, mais simplement de refondre du métal en seconde fusion, il n’est pas besoin de capacités énormes. Chaque cubilot peut avoir cinq ou six mètres de hauteur sur un mètre environ dè diamètre intérieur. Ses parois consolidées par une épaisse enveloppe de plaques de fer sont intérieurement formées de briques réfractaires sur lesquelles la chaleur n’exerce qu’une action insignifiante, ou bien de sable de fondeur fortement tassé, que la chaleur contracte et vitrifie à la surface.
- Lorsqu’on pénètre dans ces ateliers immenses en pleine activité, le coup d’œil d’ensemble est magnifique. Tout le long des murs et le long de la paroi centrale, des mouleurs préparent activement les moules qui encombrent ensuite sur plusieurs rangs l’espace devant eux, ne laissant au milieu que le passage marqué par les rails, pour la circulation des vagonnets chargés et des hommes. Autour du cubilot, les fondeurs armés de leurs poches au long manche de fer reçoivent le métal en fusion à cette fontaine de feu, pour le porter ensuite en courant et ployés sous le faix dans les moules disséminés partout en rangs pressés. Ce sont comme autant de fournaises ardentes qui vont et viennent dans toutes les directions, en traçant sur leur passage comme un long sillon d’éblouissante lumière. On tremble en les voyant se hâter, on se range pour les laisser passer, et l’on se sent mal à l’aise d’avoir les mains dans ses poches, en se croisant avec ces travailleurs au visage noirci de sueur et de poussière.
- L’homme de plume, le penseur, le philosophe est un travailleur aussi, un homme de peine même très souvent. Il se fatigue lui aussi, et gagne péniblement sa vie, mais dans cette activité incessante des grands ateliers, au milieu de ce mouvement bruyant et assourdissant des machines et des hommes, il semble perdu, et il fait l’effet d’une mouche dans une jatte de lait. Je ne m’y aventure jamais
- p.858 - vue 11/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 859
- pour ma part, sans un sentiment instinctif de crainte vague, d’inquiétude, que je n’ai éprouvé nulle part ailleurs. Avoir l’air désœuvré au milieu d’une foule de gens occupés, c’est une souffrance, une cause de malaise réel.
- Au bas de chaque cubilot se trouve l’orifice de coulée avec sa gouttière, et sur le coté un peu en arrière, celui destiné à l’écoulement du laitier. Au tiers de la hauteur du fourneau ou à peu près, une ouverture beaucoup plus grande reçoit l’extrémité du tube de la tuyère, gros presque comme le corps d’un homme, par lequel le vent, sous l’action d’un puissant ventilateur, s’engouffre dans le cubilot avec un grondement sourd qui couvre la parole humaine et impressionne vivement. C’ést grâce à cette constante projection d'air dans le foyer, qu’elle alimente d’oxygène, que la combustion est sans cesse activée, et qu’on lui fait atteindre la température élevée nécessaire à la mise en fusion du métal.
- Sur la plate-forme qui se trouve au niveau du gueulard, un homme est occupé à charger le cubilot de fonte, de charbon et de craie alternativement, et cette vaste gueule du monstre paraît insatiable, car à peine lui a-t-on donné ainsi une abondante pâture, qu'il faut recommencer, tant cette fournaise absorbe rapidement le solide aliment. Les gaz parfois s'échappent enflammés au-dessus de cette masse de matière, et forment contre la paroi voûtée de l’orifice des flammes d’un blanc bleuâtre transparent, et d’une chaleur intense. L’ouvrier se hâte alors de lancer de plus belle dans cç gouffre ardent les matériaux, qu’un treuil à double chaîne lui monte au fur et à mesure que les charges se vident.
- La fonte solide en haut traverse l’espace incandescent qui la sépare, dans le fourneau du trou de coulée, ou elle arrive liquide en ruisselant à travers le combustible en feu, pour s’amasser en fusion au fond du creuset.
- Cependant l’orifice de coulée est ouvert ; le jet brûlant d’un blanc éblouissant dont l’œil a peine à supporter l’éclat, s'élance en projetant dans toutes les directions des étincelles solides, et il est reçu dans les poches, comme l’eau d’une borne-fontaine dans les brocs des ménagères. Les hommes, leur récipient plein, se dispersent dans tous les sens porter le liquide en fusion dans les moules disposés pour le recevoir. De petites flammes bleuâtres s’élèvent quelque fois au-dessus des moules remplis ; c’est de l’oxyde de carbone qui se dégage et vient brûler à la surface.
- Aux ardents reflets que la fonte projette en jail-
- lissant du cubilot, tout apparaît subitement et comme fantastiquement éclairé en face de l’orifice de coulée. Chaque chose sort tout à coup de la nuit avec de grandes lignes de lumière coupées d’ombres portées bizarres, qu’elles se renvoient de l une à l’autre. C’est un contraste heurté, violent, d’un grand effet, et l’on ne trouve point ailleurs ces oppositions violentes de clarté et de ténèbres, à moins que ce ne soit dans ces grands incendies qui la nuit finissent par avoir raison de l'obscurité. L œil ébloui se perd dans cet antagonisme insolite, et il y a des moments où l’on avance au milieu de ces heurts étranges de lumière et d’ombre, comme des aveugles au hasard, ou comme des clairvoyants dans la nuit.
- De temps à autre l’on procède à l’enlèvement du laitier. A grands coups de ringard le fondeur brise le tampon d’argile qui bouche l’orifice à ce destiné, et peu à peu l’on voit apparaître une substance, non plus fluide mais pâteuso, qui coule lentement, rouge d’abord et blanche et lumineuse ensuite, consistante comme une épaisse mélasse, sortant pour ainsi dire avec répugnance, et s’attachant aux parois de la gouttière dont il faut à tout instant la détacher. Au lieu de cet aspect métallique brillant que prend la fonte en refroidissant dans les moules, ce liquide visqueux prend une apparence vitreuse avec des teintes verdâtres, violettes, bistrées, qui ^dénotent la présence des divers sels, silicates pour la plupart, qui constituent les laitiers.
- Notre étude de ces ateliers ne serait point complète, si nous ne donnions pas quelques indications sur cet admirable perfectionnement inauguré à l’usine du Familistère et qui dans l’une de ses fonderies joue le principal rôle, nousvoulons parler du moulage mécanique. Si le moulage à la main tient une place tellement importante, qu’il occupe constamment quatre cents ouvriers, les progrès incontestables à tous les points de vue réalisés par cette innovation en font un sujet d’étude entièrement intéressant. En effet, si le moulage à la main est exécuté par ces 400 ouvriers rangés sur 22 rangs dans les divers ateliers, ayant un développement d’environ mille mètres, la mécanique prend une part considérable aussi dans cette importante branche des travaux de l’usine, et remplace très-utilement la main de l’homme dans cette très pénible besogne.
- Le métier du mouleur dont j’ai décrit les travaux dans une précédente étude est très rude ; aussi est-il en général exercé par de grands et solides gaillards, qui ne s’y livrent point sans fatigue ni dangers . Il doit manœuvrer ses modèles pour les mettre sur chantier, placer dessus les lourds châssis, les
- p.859 - vue 12/836
-
-
-
- 860
- LE DEVOIR
- remplir de sable qu’il foule à tour de bras, porter ces moules d’un poids considérable sur Faire de la fonderie, et toutes ces opérations préliminaires ac complies, aller chercher le métal en fusion, ruisselant du cubilot, dans des louches contenant vingt kilogrammes de matière environ, et transporter ce métal ainsi liquéfié à une distance de 60 mètres quelquefois, pour couler les moules qu’il a préparés.
- C’est en le voyant en ce moment que l’étranger visitant l’usine est effrayé à la pensée qu’un faux pas, un trébuchement, le moindre obstacle'placé sur les pas de ces hommes, sillonnant ainsi dans tous les sens les halles de la fonderie, peut les faire tomber et occasionner de terribles accidents. Ce dangereux liquide se répandant sur leur pied ou sur une partie du corps quelconque y peut exercer des ravages effroyables. La seule idée d'un pareil accident vous fait frissonner et quelques fois l’événement a justifié ces craintes, mais très rarement, il faut en convenir. Si rares qu’ils soient, ils seront toujours trop fréquents ; mais grâce aux précautions prises, au bon ordre qui règne partout dans ces ateliers, on a réussi à les éviter autant que possible, et ce qui le prouve, c’est que, sur un nombre aussi considérable de mouleurs, on ne compte pas un accident tous ies six mois, et encore lorsqu’il s’en produit, sont ils bien moins terribles qu’on ne l’imaginerait.
- Une partie de ces inconvénients disparaît avec l’emploi du moulage mécanique. Les machines moulantes sont une invention récente, dont l’association du Familistère a été enrichie par son fondateur.
- La pensée qui lui a inspiré l’idée d’adopter les machines à mouler c’est la possibilité d’enlever par ce moyen aux ouvriers la partie pénible et dange- ! reuse de leurs travaux, et le désir d’en faire de la ] sorte des agents intelligents dirigeant l’action des forces chargées de les remplacer dans la partie matérielle de la besogne. Grâce à cette bienfaisante initiative et à cette heureuse invention, les machines exécutent le travail dans l’usine de Guise, avec une régularité, une précision et une perfection véritablement merveilleuses. Ainsi c’est mécaniquement que s’effectuent l’apport des modèles, la pose des châssis, le transport et le tamisage des sables, le foulage des moules, le démoulage et remoulage, le ! transport des moules à proximité du cubilot, Feulé- j vement des moules, le déballage et lemalaxsage des 1 sables, au moyen des machines mues par une force 1 motrice de cinquante chevaux-vapeur. Là, le tra- î vailleur n’a plus qu’à guider et surveiller la marche I
- I des appareils, à en régler les mouvements et à en I diriger les opérations.
- ! Il est impossible de ne pas admirer ce merveilleux I ensemble qui fonctionne avec une précision mathématique. Des plateaux tournants emportent les sables et les châssis sous la presse ; d’autres transportent les moules avec les ouvriers qui les surveillent; de puissantes grues aux longs bras de fer prennent les châssis, enlèvent les moules et les placent automatiquement sur les sables, qui les emportent comme d’eltes-mêmes vers le cubilot où la coulée s’opère sans déplacement de l’ouvrier et de la matière. A peine le métal a-t-il rempli les cavités des moules, une grue vient reprendre ces moules et les porter sur le plateau de déballage, où les ouvriers retirent du sable les pièces de fonte encore rouges ; le sable tout chaud encore s’engouffre sous le sol, et reparaît bientôt emporté par une toile sans fin, pour servir à de nouveaux moulages dans les châssis dir moule que l’on vient de défaire, et qu’une grue emporte de nouveau à la place qu’ils doivent occuper.
- Tout cela s’exécute avec tant de précision que le spectateur en est émerveillé. Chaque pièce vient se mettre en place juste au moment voulu et n’y reste que le temps strictement nécessaire à l’opération. Les grues, les plates-formes, les tables manoeuvrent comme d’elles-mêmes avec une régularité mathématique, qui facilite singulièrement la besogne du travailleur, en lui épargnant une somme immense de fatigue et de peine.
- Dans cette partie de la' fonderie, ce sont les machines qui font le travail ; l’ouvrier n’a qu’à les diriger, et c’est bien là que se montre dans toute sa splendeur la supériorité de l’homme sur la matière. Il n’est plus une force agissante par elle-même, il se relève, et reprend son rôle d’intelligence direc trice, commandant aux forces de la nature, qui lui obéissent avec une docilité et une ponctualité rigoureuse. C’est la vapeur qui accomplit la partie fatigante du labeur qui retombe ailleurs sur le dos de l’ouvrier; et au lieu d’avoir à transporter lui-même les lourdes pièces qu’il manœuvre, moules, châssis etc. tout cela vient pour ainsi dire naturellement se placer sous sa main, comme un chien fidèle qui recherche une caresse de son maître.
- Cette invention étonnante est certainement un événement nouveau et sans précédent dans Fart de la fonderie. Elle sera pour la production de la fonte moulée un immense progrès réalisé, quelque chose comme ce qu’a été la filature comparée au rouet de nos grand’mères.
- Comment en présence de ces améliorations considérables, de ces perfectionnements merveilleux
- p.860 - vue 13/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 801
- dûs au génie de l'homme, ne pas reconnaître que le progrès industriel tend de plus en plus à décharger le travailleur de la partie fatigante de sa tâche, et à étendre Faction de son intelligence dans les travaux qu’il exécute ! Les inventions du genre de celle que nous venons d’examiner ont le double avantage d’augmenter considérablement la quantité et la qualité des produits, tout en enlevant à l’ouvrier la plus grande partie de la peine que ce travail exige. En puisant ailleurs qu’en lui la force brute nécessaire, on allège singulièrement son fardeau, et ce qu’on lui épargne en force musculaire il peut le compenser d’autant mieux en habileté et en intelligence dans son œuvre. C’est profit pour tout le monde, pour le producteur dont la somme de production augmente, pour l’ouvrier qui gagne autant et plus avec moins de fatigue, et pour la consommation qui obtient des produits meilleurs à des prix moins élevés.
- Ainsi se développe naturellement et pacifiquement la sphère d’action de l’homme sous le rapport de la puissance et de l’intelligence, en admettant le travailleur dont la dignité est ainsi accrue à l’initiation aux lois naturelles des forces et du mouvement. Dans une usine où, comme celle du familistère, l’on sait appliquer judicieusement tous les progrès, le travailleur cesse d’être pour ainsi dire une machine humaine inconsciente et aveugle, pour devenir une intelligence exécutant sa part d’une œuvre qu’elle comprend et qu’elle pourrait peut-être diriger à un moment donné. Or, c’est là, l’on en conviendra un résulat immense et inestimable.
- De même que le progrès industriel qui élargit le champ de la production et augmente les sources de richesse d’un pays, en améliorant les conditions du travail manuel'de l’ouvrier, marche avec le progrès des sciences, et le suit pour ainsi dire pas à pas de même le progrès social devrait accompagner les améliorations matérielles, et introduire enfin un principe inébranlable d’équité dans la répartition des fruits du travail entre tous les éléments qui concourent à les produire. C’est ce qu’a parfaitement compris le fondateur de l’Association du Familistère, et l’on peut dire qu’il y a là encore un précieux exemple à suivre pour tous les chefs d’in^ dustrie bien inspirés. Nous avons foi en l’avenir, et nous espérons que cet exemple ne sera point perdu; malgré sa lenteur, la marche progressive de 1 humanité n’éprouve point d’arrêt définitif jamais, et bon gré mal gré elle avance toujours ; ce pas sera donc franchi à son tour, et ce jour-là le mal social sera vaincu. (A Suivre),
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- _^ 1
- Ere mérovingienne II
- Quand l’institution dont nous venons dé parler (le défenseur de la cité) est fondée, l’invasion des barbares a déjà commencé; l’Empire d’Occident en a déjà été ébranlé. C’est du Tanaïs au Danube que le mouvement des peuples envahisseurs s’est opéré.
- Ce mouvement qui, dans l’esprit dévastateur et l’idolâtrie sauvage des peuplades envahissantes, apporte au Paganisme deux puissants auxiliaires, se continuant avec des phases différentes, ne laisse pas que d’inquiéter vivement la Société chrétienne. Mais après la chùte d’Eugène et d’Arbogaste (en 394,) qui avaient relevé un moment les autels de l’ancienne religion, le christianisme désormais à l’abri des réactions politiques, n’a plus à vaincre que les habitudes traditionnelles et les poétiques superstitions des campagnes. C’est à remporter cette nou velle victoire qu’il va s’appliquer.
- Peu lui importe que le même mouvement qui s’est opéré de Tanaïs au Danube se fasse maintenant du Danube au Rhin !
- Peu lui importe que les peuples de l’Europe Orientale ou centrale refluant les unes sur les autres, quittent leurs anciennnes demeures et viennent planter leurs étendards sur les frontières de l’Empire et jusqu’au sein même de la Gfaule !
- Peu lui importe le bruit des cités croulantes sous les coups des furieux qui l’assiègent !
- Peu lui importe l’aspect démoralisateur des sceptiques, des hommes ébranlés dans leur croyance et se jetant par désespoir dans toutes les ivresses de l’orgie !
- Peu lui importe !!! Mais que dis-je : Il lui importe beaucoup, au contraire, car dans ce flux et ce reflux de barbares, l’établissement impérial est emporté,et César confiné dans les faubourgs de Constantinople n’aura bientôt plus qu’une suprématie nominale.
- Car, en même temps que s’écroulent les cités, la Rome des Empereurs disparaissait pour faire place à la Rome des Papes.
- Car l’étendard de la croix après s’être substitué à l’Aigle romaine deviendra avant qu’il soit longtemps l’étendard des envahisseurs eux-mêmes.
- Car tandis que, les fleurs au front et la coupe en main, fermant l’oreille aux bruits sinistres, les sceptiques meurent dans les délires des sens, ceux qui font profession de croire et ceux qui croient redoubleront de zèle et de ferveur, et d’une voix tantôt douce et persua-ive, tantôt rude et menaçante, la Société chrétienne plus cosmopolite que le despotisme des Empereurs, dira à ces peuplades diverses que le
- p.861 - vue 14/836
-
-
-
- 862
- LE DEYOIR
- genre humain est un, que le Romain et le barbare sont frères, frères en Dieu, que leur réconciliation doit s’opérer au nom de ce Dieu un et dans le sein de cette Église une, dont le chef est le successeur de saint Pierre.
- Et cette voix sera écoutée ; en attendant la conversion, le respect s’imposera : Attila, le fléau de Dieu, s’inclinera devant Léon, le pontife de ce Dieu. Déjà la juridiction disciplinaire accordée à l’évêque de Rome, lui a assuré la juridiction des consciences, c’est à dire le pouvoir spirituel; déjà le pape prend l’initiative et demande la convocation des conciles qui lui était imposée auparavant... Encore un peu et il ordonnera cette convocation et de ces assemblées, avec ou sans l’approbation du pouvoir civil, sortira l’omnipotence du pouvoir religieux, l’infaillibilité discutée de son chef. Mais n’anticipons pas sur les événements et, après avoir assisté, l’histoire à la main, aux drames de l’invasion, après avoir vu se briser les liens politiques qui existaient depuis plus de cinq siècles entre la G-aule et Rome,reportons plusspécialement notre attention sur certains acteurs de ces drames.
- III
- Chacune des trois nations principales qui, au Nord, s’étaient ruées sur l’Empire, savoir la Germanique, la Gothique et la Scythique, comprenaient plusieurs peuples. Parmi les peuplades voisines des Gaules et appartenant à la Germanique, les Francs étaient celle qui avait le plus de liaison avec les Romains et qui était le moins barbare.
- Les Francs étaient divisés en plusieurs tribus confédérées dont les deux plus importantes étaient la tribu des Saliens et celle des Ripuaires. Le druidisme était leur religion. Ils croyaient qu’Odin, le dieu suprême, n’ouvrait le paradis qu’aux braves qui mouraient les armes à la main. Ils n’admettaient pas la bigamie et bien qu’ils achetassent les femmes, ils avaient pour elles une pieuse vénération.
- Chaque tribu séparée choisissait ses rois, ou plutôt ses chefs militaires égaux en droits à leurs compagnons.Une famille privilégiée,celle des Mérowings ou Mérovingiens était celle où ces chefs étaient choisis. Deux principes supérieurs étaient leur règle de conduite dans la vie privée et dans la vie publique , ils professaient qu’on ne saurait contraindre l’homme à faire ce qui contrarie la volonté et que l’on peut, quand cela plaît, renverser les chefs qu’on a élévés sur le pavois.
- Leurs affaires domestiques se réglaient dans des assemblées générales appelées Mâts. D’autres assemblées nommées Champs-de-Mars auxquelles participait la masse libre de toutes les tribus, étaient
- consacrées à la discussion des affaires de la confédération.
- Il n’existait aucune distinction de sexe ni de rang dans le partage des successions ; et c’est par une fausse interprétation de la loi Salique qu’on* a, postérieurement exclu les femmes et les puinés du droit d’hérédité au trône.
- La peine de mort était rarement appliquée et l’on pouvait même s’en affranchir en payant ce qu’on appelait la Wehrgeld. Le combat judiciaire, en cas de refus de l’accommodement par le paiement de la Wehrgeld, était accordé par la loi. Mais quand l’accommodement était accepté, le coupable devait payer, pour le meurtre d’un Franc, 200 sous d’or ; pour celui d’un Germain, 160 sous ; pour celui d’un Romain, 100 sous seulement. Quand il s’agissait du meurtre d’une femme, la somme à payer était double de celle ci-dessus. Pour celui d’un Evêque, on payait 900 sous d’or ;
- Les Francs qui, au commencement du cinquième siècle, étaient chargés spécialement de garder la ligne du Rhin, avaient empêché que les Vandales ne violâssent le territoire confié à leur garde. Mais bientôt exposés à une nouvelle agression, non seulement de ceux qu’ils venaient de vaincre, mais encore des Alains, des Hérules et des âuèves, ils ne purent résister et succombèrent sous le nombre. Le Rhin cessa dès lors d’être une barrière de l’Empire. Le torrent de l’invasion se répandit dans toute la Gaule, dont la ruine eut été moins complète, si l’Océan tout entier eut débordé sur ses champs dévastés. Que fait l’Eglise à ce moment ?
- — Nous sommes en 408. — Une protestation s’est élevée contre les abus introduits dans la Religion. Vigilance, le premier hérésiarque qu’aient produit les Gaules, dogmatise depuis trois ans contre le célibat des Ecclésiastiques, condamne le culte des reliques et traite de superstition l’usage d’allumer en plein jour des cierges en l’honneur de ces reliques. On ne doit plus, selon lui, veiller publiquement dans les Eglises... c’est immoral. Cependant il admet qu’on puisse le faire le jour de Pâques, seul jour de fête auquel i! doit être permis de chanter des Alléluia. Il critique l’habitude d’envoyer des aumônes à Jérusalem et soutient qu’il vaut mieux que vendre son bien pour le donner aux pauvres, le garder et leur distribuer les revenus. Se faire Moine est, à ses yeux, se rendre sinon nuisible, tout au moins inutile à sou prochain. Il ne sera pas le seul à professer ce que St-Jérôme et l’Eglise avec lui, nomme Les erreurs de Vigilance et l’on peut se demander si l’herésiarque n’est pas plus et mieux dans le vrai que ceux qui traitaient sa doctrine
- p.862 - vue 15/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 863
- d’erronée et de mensongère.
- Cependant l’Eglise d Orient et celle d’Occident sont encore divisées et ce n’est qu’après le saccage de Rome par Alaric, à deux reprises différentes, et en présence de la doctrine de Pélage, que Innocent I, \ tout en tonnant, tend la main à l’Orient. Rome fait | ses efforts pour conserver la profession de foi Chré- j tienne et, à quelque chose malheur est bon, lorsque, j en 411, Ataulfe, beau-frère d’Alaric, revient piller j la ville éternelle, les Chrétiens contraints de cher- j cher un refuse en Toscane, en Sicile, en Afrique, en j Egypte, en Orient et en Palestine, portent la bonne j nouvelle où elle n a pas encore pénétré et prêtent une nouvelle force aux localités où déjà elle est connue. 1
- De 411 à 417, la lutte continue toujours entre les barbares et la société Romaine, et parfois entre les barbares eux-mêmes.Chaque commotion produite par cette lutte ébranle de plus en plus l’Empire en dépit de quelques succès éclatants remportés par ses défenseurs, et à chaque nouvel ébranlement, le clergé gagne en autorité spirituellement et temporelle-ment. Cette sorte de promiscuité des dieux et des hommes et cette confusion de principes, qui, selon Tacite, régnaient chez les envahisseurs, semblent s’imposer aux envahis. Il n’est pas jusqu’aux coutumes des Germains qui reconnaissaient en même temps aux ministres de leur culte l’autorité qu’ils tenaient de la religion et un pouvoir politique supérieur à celui des rois, qui ne favorisent les empiètements de l’Eglise. Les Evêques arbitres des jugements investis d’une autorité pénale, contestent déjà à la société le droit de mettre à mort les criminels sans le ministère des prêtres. Le pape Innocent I, à propos des troubles en Palestine, exécutés dit-on par les Pélagiens, écrit à St-Jérôine que si l’on porte une accusation contre quelque personne, il donnera des juges, ou pourvoira par quelque remède plus prompt.
- En 418 et le let mai, deux cents évêques s’assemblent à Carthage pour se prononcer sur la doctrine de Pélage et la condamner, selon la volonté de Zo-zime qui occupe le siège de St-Pierre. Dans ce concile synodal, sur les neuf points qui sont discutés et admis comme vérités, deux sont remarquables : le 6e où l’on dit « Anathème à ceux qui prétendent que personne n’est sans péché » ; le 98 conçu en ces termes : « Si quelqu’un dit que quand le Seigneur a dit, il y a plusieurs demeures dans la maison de mon père, il a voulu faire entendre que dans le Royaume des Cieux il y a un lieu mitoyen, ou quelqu’autre lieu où vivent heureux les enfants qui sortent de cette vie sans baptême, sans lequel ils ne peuvent entrer
- dans le Royaume des Cieux, qui est la vie éternelle : Qu’il soit Anathème. Car, puisque le Seigneur a dit : Quiconque ne renaîtra pas de l’eau et du St-Esprit ne peut entrer dans le Royaume des Cieux, quel catholique peut douter que celui qui ne méritera point d’être cohéritier de J.-C. n’ait sa part avec le diable? Celui qui n’est pas à la droite, sera sans doute à la gauche. »
- Il est facile de voir que dans la pensée de ce sixième point l’infaillibilité papale est en germe. Il peut, il doit y avoir qui puisse être sans péché ; or qui peut être ce quelqu’un, sinon le représentant de Dieu sur la terre, le successeur de St-Pierre, le vicaire de J.-C.?
- Quant au 9e article, nous avouons qu’il nous plaît assez en ce qu’il excommunie d’une manière formelle tous les bons catholiques d’aujourd’hui qui affirment, eux, que les enfants non baptisés iront en Purgatoire, ce lieu mitoyen, sorte d’étuve où en sortant de ce monde, ils doivent être lavés avant d’entrer dans le Royaume des Cieux.
- Le premier de ces canons cités sera effacé mais reviendra plus explicite et le monde chrétien s’inclinera devant lui. L’infaillibilité papale comme l’Im-maculée-Conception seront articles de foi.
- Le deuxième disparaîtra. Le Purgatoire sera rétabli pour les enfants comme pour les grandes personnes. Il sera le bagne des pécheurs.
- Dans la même année (418) et à la fin de décembre, un fait prend place que nous ne voulons pas oublier de mentionner.
- Nous avons dit que les dignitaires de l’Eglise étaient élus par les suffrages populaires. Les canons des conciles ordonnaient pour la validité de ces élections le concours du clergé, des magistrats, des militaires et des citoyens, c’est-à-dire le consentement de tous les citoyens. Voici du reste la formule contenue dans le Livre journal d^es papes :
- « Nous assemblés en commune, selon l’usage, sa-« voir tous les prêtres et grands de l’Eglise, et tout * le clergé, ainsi que les magistrats et l’armée, les « honnêtes citoyens et la généralité du peuple de « cette ville de Rome, conservée par Dieu,
- « Depuis le petit jusqu’au grand;
- « Notre élection a concouru, et s’est accordée en « faveur de la personne de très saint... etc., etc. *
- Zozime était à peine mort. Symmaque, préfet de Rome, contrairement aux prescriptions des canons, intime au peuple d’avoir à laisser au clergé la liberté de 1 élection du Pontife appelé à succéder au défunt. Il fait plus, il menace les corps des métiers collegia opificum et les chefs des quartiers s’ils s’avisaient d’aller contre ses ordre», ce qu'il appelle troubler le
- p.863 - vue 16/836
-
-
-
- 864
- LS DEVOIR
- repos de la ville. L’archidiacre Eulalius surquiSym- j mais qu’il ne fat roi que d’une tribu. C'est, du reste, maque avait jeté les yeux pour occuper le siège pon- , l’opinion généralement admise aujourd’hui.
- iifîcal s’empare de l’Eglise de Latran et après en avoir fait fermer les pori.es ; y attend le moment de l’élection, ayant pour lui une partie du clergé et du peuple.
- L’autre partie des électeurs qui voulaient choisir Boniface, s’emparent à leur tour de l’Eglise de Théodore et envoient des délégués aviser Eulalius de ne rien faire sans la participation du clergé en majorité.
- Le.jour de l’élection arrive. Eulalius n’a pas voulu céder et l’évêque d'Ostie le consacre. Boniface, de son côté, reçoit l’imposition des mains dans l’Eglise de St-Marcel.
- Protestation des partisans d’Eulalius qui en écrivent à l’Empereur qui, seul, peut ratifier l’élection.
- Dénonciation de la part des partisans de Boniface, de la violation des canons par les électeurs d’Eulalius.
- Tout d’abord Honorius penche pour Eulalius, mais un acte de désobéissance de la part de ce dernier à un ordre de l’Empereur lui aliène celui-ci qui décide en faveur de Boniface et qui écrit : « Celui-là seul sera maintenu dans la chaire apostolique que l’inspiration divine et le consentement de l'Universalité aura choisi parmi les clercs. »
- Ainsi, on le voit, si le clergé reconnaît encore tout au moins comme arbitre lepouvoir de l’empereur, déjà il tente de se soustraire à cette condition d’universalité exigée pour l’élection du souverain pontife.
- Pendant ce temps les Wisigoths et les. Burgondes prenaient possession des territoires que leur avait concédés l'empereur, et le gouvernement impérial dirigeait une expédition contre les Francs qui étaient devenus envahisseurs à leur tour et ne cessaient d’infester la seconde Germanie et la première Belgique. Cette expédition n’amena pas de résultat important et Trêves pillé par les Francs resta en leur pouvoir.
- C’est à cette époque (420) que l’on fait commencer le règne de Pharamond, règne assez hypothétique et que plus d’un historien met en doute. Le plus ancien ouvrage qui en parie est celui intitulé: Gesta regum Francorum. L’auteur s’appuie indirectement sur un passage de Grégoire de Tours, qui sans parler de Pharamond, semble croire que les Francs n’eurent que des chefs de guerre, (duces), des ducs, jusqu’à Marcomir et Sunn, et qu’ils eurent ensuite des rois. Ce qu’il y a de certain c’est que, dit Henry Martin,
- « nous ne voyons plus de traces, au ve siècle, parmi les tribus frankes, de la distinction entre les rois ou chefs civils des Germains, et leurs ducs, ou chefs
- militaires. » Il est probable dès lors que Pharamond a été momentanément le chef de guerre des Francs,
- Nous n’avons pas à retracer ici tous les événements- militaires qui se déroulent de Pharamond à Clovis. Nous n’avons pas à suivre Aëtius dans les Gaules, tantôt luttant contre les Yisigoths et les Bourguignons, tantôt repoussant les Francs commandés par Ciodion, sans pourtant reconquérir les cités de Tournai et de Cambrai dont celui-ci s’était rendu maître. Nous laisserons les historiens critiquer le général romain laissant, après l’avoir vaincu, échapper Attila dans les Gaules ; mais nous mentionnerons en passant l'intervention de saint Léon auprès du Fléau de Dieu, intervention efficace et qui eut pour résultat la conclusion de la paix et la retraite du roi des Huns au delà du Danube.
- Yalentinien III, assassiné par des créatures d’Aë-tius vengeant ainsi le meurtre de leur général, laissera le trône à Majorien dont le règne sera illustré par le maître de la milice des Gaules, Egidius, vainqueur des Vandales et choisi comme roi par les Francs établis à Tournay à la place du fils de Mérovée, Chil-déric, déposé par ses sujets irrités de ce qu’il séduisait leurs filles.
- Après Majorien massacré par son armée révoltée, viendra Severus qui mourra empoisonné par Ricimer. Puis aura lieu l’élévation d’Anthemius auquel succédera Julius Nepos, et enfin avec Augustule s’écroulera l’empire d’Occident sous les derniers coups que lui porte Odoacre, roi des Gots, sous la domination ""duquel passera Rome, en l’an 477.
- Childéric qui est rentré dans Tournay, rappelé par ses sujets, y meurt en 480, laissant la couronne à son fils Clovis, âgé seulement de seize ans.
- De 420 à 480-481, date de l’avènement de Clovis, le siège pontifical a été occupé par Boniface I, Céles-tin I, Sixte III, Léon I, Hilaire I et Simplicius. Durant cette période, plusieurs conciles ont eu lieu, parmi lesquels deux sont œcuméniques, le concile d’Ephèse dans lequel est condamné le Nestorianisme et celui de Chaleédoine o£i sont condamnés les Eu-ty chiens.
- L’Eglise de Rome, en d’autres termes, la papauté, sous ces divers pontificats, affermit de plus en plus son autorité spirituelle et ne laisse échapper aucune occasion de se mettre en contradiction avec cette parole du Maître : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Cette parole va devenir de plus en plus une lettre morte. Il y aura des temps d’arrêt dans cette voie, des mouvements de recul par moment, mais le temps perdu se regagnera et le mouvement de recul sera celui du canon qui foudroie les ennemis qui lui font face. [A suivre) G. P. Maistre.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- Setat-'Qoân&i — lmp. âe la Société anonyme du Glaneur
- p.864 - vue 17/836
-
-
-
- «• ANNÉE, TOME 6 — N” 175 :Le numéro hliomadaire 20 c. DIMANCHE 15 JANVIER 1882
- IfsS
- f
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr.»»
- Un an. . . . 41 fr. »»
- Six mois ... 6 »» Autres pays
- Trois mois . . 3 »» Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- w isc
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gi'atuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Questions sociales : Paupérisme et Misère.— Études anticalholiques IV : L’Église et Vinfaillibilité.— Faits politiques et sociaux, — Voyage autour du Familistère IF partie VIII. — Lettres sur la Russie. — L’Eglise et L’Etat : Ere mérovingienne IV. Les Centenaires.
- LES QUESTIONS SOCIALES (1)
- Paupérisme & misère
- IX
- Si, poursuivant les développements du programme des réformes sociales que j’ai donné au début de ces articles, nous voulons, après avoir posé l’abolition de la guerre comme point de départ indispensable pour assurer la sécurité des peuples, la vie et l’existence des citoyens, descendre dans les questions finales du problème social, nous voyons que celles-ci 'ont pour but et pour objet d’effacer de la
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre, 4,11, 18, 2o décembre 1881 et laP janvier 1882.
- société la misère et le paupérisme et de substituer à leur place le bien-être par le travail et une équitable répartition de la richesse.
- Ce n’est plus seulement aujourd’hui au nom de simples considérations d’ordre moral et philantropique que la question se pose ; ce n’est plus seulement au nom du devoir, mais au nom du droit révélé par l’étude pratique des faits, c’est au nom de la science de l’économie sociale, que la société se trouve mise en demeure de faire place au soleil à tout le monde.
- La morale religieuse et la morale philosophique ont conseillé aux hommes de s’entr’aider les uns les autres, plaçant ainsi le devoir de chacun dans l’accomplissement libre de la charité, et laissant complètement dans l’oubli la question du droit individuel. Aujourd’hui la science de l’économie sociale ne se borne plus à inscrire les prescriptions du devoir, elle nous montre le principe des droits de cha cun; et, ayant ajouté le droit au devoir, elle nous démontre que le respect de l’un et l’accomplissement de l’autre se trouvent dans l’équité et la justice de la répartition sociale des produits du travail.
- Le travail prend dans la société moderne un rôle considérable. La richesse n’est plus seulement due aux simples produits de la nature, produits qui, parce que l’homme ne les créait pas, semblaient appartenir à quiconque s’était approprié le sol. Aujourd’hui, l’homme centuple l’action de la nature par le travail ; et la production due à ses labeurs se montre ainsi visible à tous les yeux.
- Pourquoi ceux qui créent la richesse ne prennent-ils qu’une si faible part aux avantages créés par
- p.865 - vue 18/836
-
-
-
- 866
- LE DEVOIR
- leurs labeurs ? Cela est dû à une fausse répartition des fruits du travail, fausse répartition qui constitue le problème social à résoudre aujourd’hui.
- Cet état de choses soulève la question du droit dans son principe. La société se trouve en face d’elle-même, se demandant quel est le droit réel de chaque citoyen, quel est le devoir de la société envers chacun de ses membres ? La science de l’économie sociale répond à cela qu’au nom des principes les plus élémentaires de la morale et de la justice, tout homme naît avec le droit à la vie, et que la société humaine est établie pour le maintien de ce droit. Elle démontre, en outre, combien il serait facile, si l’on ne violait la justice dans la répartition des fruits de la production, de placer tout être humain sous la protection des garanties sociales, de manière à ne plus laisser de déshérités dans la société. L’heure est donc venue de donner accès aux institutions et aux réformes par lesquelles on peut remplacer les errements du passé, et ne plus laisser la routine égoïste continuer la tradition des abus et de la corruption, au milieu d’une société qui a soif de justice et d’équité.
- Vainement on a prétendu que les réformes sociales sont du domaine privé et doivent émaner de l’initiative des citoyens, que le gouvernement doit attendre des expériences individuelles les améliorations que la société peut recevoir.
- Cette manière de voir est celle des esprits paresseux et indifférents qui, satisfaits de leurs habitudes, ne se préoccupent que de leurs propres personnes. Ils ne se doutent pas que celui qui a faim, qui a froid, dont la famille manque du nécessaire, a de fortes raisons pour ne pas être du même avis qu’eux. Peu importe aux satisfaits : ils sont dans l’aisance ; il n’y a rien à changer dans une société où ils trouvent les satisfactions qu’ils désirent. Jamais ils n’ont pensé au véritable but de la vie; jamais ils ne se sont dit que l’existence est donnée à tout homme pour travailler au progrès de la vie même et que notre premier devoir est d’en aider l’essor dans nos semblables.
- Mais si cette indifférence peut se concevoir chez les individus, pourquoi prétendre qu’il faut attendre d’eux le remède aux maux de ceux qui souffrent. Pourquoi refuser aux pilotes de l’Etat la faculté de conduire le navire dans la direction des progrès nécessaires ?
- C’est au contraire aux élus du peuple, aux chefs des nations, qu’incombent le soin et le devoir de faciliter les réformes sociales. C’est au gouvernement qu’il appartient de favoriser les expériences d’amé-
- lioration intérieure, comme c'est à lui qu’il appartient de nous donner les sécurités extérieures.
- Gouverner, c’est la mission de faire marcher les affaires sociales au mieux des besoins et des intérêts de tous les citoyens. Sacrifier les intérêts des faibles et ne s’occuper que des intérêts des forts, c’est faire acte d’oppression gouvernementale, c’est agir contrairement aux tendances progressives de notre époque.
- En gouvernant ainsi, on provoque les conflits ; on pousse à la révolte. Si, au contraire, le gouvernement favorisait les expériences de réformes sociales, l’esprit public se tournerait de ce côté, le peuple vivrait d’espérances, en attendant que les réformes après lesquelles il aspire lui apportassent un allègement sérieux.
- Les réformes sociales ne sont pas aussi inextricables que beaucoup le pensent. L’ignorance de nos hommes politiques en fait la difficulté. Si nos gouvernants avaient assez étudié les conditions pratiques de ces réformes pour en aborder franchement l’expérience, la société actuelle ne serait pas si en peine de sa situation.
- Dans les nations civilisées et surtout en France les questions sociales dominent les questions politiques, par ce fait que toutes les questions politiques revêtent un caractère social. Ce ne sont plus guère aujourd’hui les intérêts des rois et des princes qui forment le fond des questions de gouvernement et d’Etat ; les intérêts des peuples en ont pris la place. Le passé monarchique a bien laissé sa tradition de monopoles et d’accaparements dans le fond de toutes nos institutions, mais ces monopoles et accaparements existent seulement par le fait de nos lois et de nos mœurs nationales. Aucune caste ni classe ne pouvant plus s’en prévaloir, les monopoles et l’accaparement s’attachent à la fortune et s’organisent particulièrement au profit de la richesse et au détriment'du travail.
- Les questions politiques et sociales se simplifieraient singulièrement, si l’on en cherchait la solution en s’inspirant des intérêts du plus grand nombre, c’est-à-dire des classes laborieuses. Mais il n’en est pas ainsi. La politique du régime royal et nobiliaire a disparu de France avec ses privilèges, mais elle est remplacée par la politique du capital, de la finance et de la spéculation. L’une et l’autre politique pressurent les peuples et les considèrent comme leur champ d’exploitation.
- ' C’est ce régime qui constitue la question sociale ; c’est ce régime qu’il faut adoucir d’abord et faire disparaître peu à j>eu, si l’on veut éviter des complications redoutables. Qu’y a-t-il à faire pour cela ?
- p.866 - vue 19/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 867
- S’inspirer des intérêts du peuple et rendre justice à ses droits.
- J’ai précédemment démontré que la sécurité sociale était le premier des biens à réaliser; que l’abolition de la guerre, et l’organisation de la paix seraient la base la plus réelle des réformes qui doivent donner aux classes laborieuses les garanties de l’existence.
- C’est certainement ce que feront les gouvernements lorsqu’ils placeront le bonheur des peuples au-dessus des ambitions et des cupidités de l’égoïsme qui, encore aujourd’hui, divisent les nations.
- La sécurité sociale, les garanties de l’existence, voilà le véritable fond de la question sociale, ce à quoi le travailleur aspire.
- Ce qu’il désire, c’est vivre en travaillant ; c’est que le travail assure en même temps l’existence de sa famille.
- Lorsque la Société aura satisfait à ce vœu du travailleur, les questions sociales ne seront plus [un embarras pour les classes dirigeantes, car elles seront entrées dans la voie de l’équitable répartition de la richesse qui rendra toutes les réformes faciles.
- Nos gouvernants reconnaîtront dès lors que la Société présente naturellement trois catégories faciles à établir :
- La première possède la richesse, vit au sein de l’opulence à des degrés divers ;
- La seconde jouit de l’aisance ou du nécessaire; elle possède des ressources qui assurent son lendemain ;
- La dernière ne possède rien que le travail de ses mains. Si ce travail fait défaut, les privations et la misère en sont immédiatement la conséquence.
- C’est évidemment en faveur de cette dernière catégorie que les mesures à prendre doivent d’abord s’appliquer, puisque les deux autres trouvent, sous la protection des lois et de la Société, la garantie des avantages dont elles jouissent. Mais la loi et la Société ne garantissent rien au travailleur auquel le travail fait défaut ; elles ne garantissent rien à sa femme ni à ses enfants. Nos sociétés ont oublié que tous les hommes sont solidaires devant la nature et que tous naissent avec le droit à l’existence. C’est la loi de justice, autrement l’humanité serait au niveau de la brute ; le faible serait légitimement à la merci du fort. Je sais bien qu’il est des hommes aujourd’hui qui professent cette théorie brutale et la croient applicable à la Société. Cette fausse idée disparaîtra comme disparaissent tous les sophismes monstrueux. La vérité seule subsiste à travers le temps. Et la véritable morale sociale c’est que les
- | hommes sont solidaires les uns des autres dans le * progrès vivant de l’humanité..
- Mais comment cette solidarité peut-elle et doit-elle s’exercer ? Comment le droit de tous les citoyens à l’existence peut-il recevoir une consécration légale ? Par quels moyens pratiques la Société peut-elle en instituer les garanties ? Voilà ce qui est à démontrer pour résoudre les questions qui enser? rent de toutes parts les nations civilisées.
- Quel sera le point de départ de ces réformes ? Par quel moyen en commencer la réalisation ?
- Prenons le problème tel qu’il se pose dans sa donnée générale.
- Contrairement à l’opinion des Malthusiens nous posons, au-dessus de toute autre considération, ce principe de morale et d’économie sociale :
- « Tout homme a droit à Vexistence et le devoir de la Société est de gara/ntir mutuellement ce droit à chacun. »
- Par une perversion de l’ordre et de la justice dans la répartition générale de notre régime agricole et industriel, l’accumulation des fruits du travail se fait dans la Société sous le plus complet oubli du droit naturel des classes laborieuses à la satisfaction des besoins de la vie.
- C’est cet oubli qu’il faut réparer. Il faut que les réserves faites sur les fruits du travail donnent à la famille du travailleur les garanties de l’existence.
- Si, pour atteindre le but pratique voulu par une juste protection sociale, nous envisageons le problème dans ses moyens d’exécution les plus applicables à l’état actuel des nations les plus avancées, les questions principales se présentent de la façon suivante :
- La famille est livrée à ses seules ressources ; aucun lien ne la rattache au reste de la Société. L’association généralisée sera un jour considérée comme la règle du bien dans l’humanité. Mais, en attendant, la mutualité sociale étendue de l’Etat à la commune peut servir de remède aux maux qui résultent actuellement de l’insolidarité des familles et des citoyens.
- L’enfance est abandonnée à toutes les rigueurs du sort de la famille sans protection et sans appui : Il faut que l’enfance soit protégée non-seulement dans la famille par l’effet de la protection générale, mais qu’elle le soit aussi par l’institution et le perfectionnement des salles maternelles, des écoles et de toutes les institutions concernant l’éducation de l’enfance et l’instruction de la jeunesse.
- Le travailleur malade manque de ressources, de 1 soins et du nécessaire : Il faut assurer au travail-
- p.867 - vue 20/836
-
-
-
- 868
- LE DEVOIR
- leur la satisfaction des besoins de la vie pendant la J maladie. J
- Le travailleur invalide peut être privé de toute ressource, tomber dans l’abandon, mourir dans la I misère : Il faut prévenir cet abandon, et donner à l’invalide une retraite digne de l’homme, digne du ! travailleur qui a consacré sa vie à enrichir la So- j ciété. J
- Il me reste à exposer comment, par la mutualité f sociale organisée dans la commune et administrée par l’association communale, sous la protection de I l’Etat, le mécanisme de ces institutions peut fonc- | tionner.
- (A suivre). GODIN.
- ÉTUDES ANTICATHOLIQUES
- IV.
- L’Eglise et Vinfaillibilité.
- L’église, dit le catéchisme, est la société des fidèles établie par Jésus-Christ, répandue par toute la terre et soumise à l’autorité des pasteurs légitimes, principalement du pape... Le pape est le vicaire de Jésus-Christ, et les pasteurs légitimes sont les évêques successeurs des apôtres que le Messie a chargés d’instruire et de gouverner son Eglise.
- Comment Jésus -Christ a-t-il établi cette Eglise et comment a-t-il donné mission aux apôtres de l’instruire et de le gouverner ?
- Il a dit à Pierre : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise et les portes de la mort ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera aussi délié dans les cieux. Paissez mes agneaux, paissez mes brebis.
- Aux apôtres il a dit : Allez enseigner toutes les nations ; baptisez-les au nom du père, du fils et du saint esprit en leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandés. Et assurez-vous que je serai toujours avec vous jusqu’à la consommation des siècles. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; mais celui qui ne croira point sera condamné. Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. Celui qui vous écoute m’écoute et celui qui vous méprise me méprise.
- Nous avons cité les principaux textes épars dans les divers évangiles, par lesquels le Christ a expliqué la mission des apôtres et celle de Pierre, afin de pouvoir les apprécier à leur juste valeur, parce qu’en les groupant tous ensemble, cet examen est plus facile. La mission ainsi donnée étant bien définie, il sera aisé d’en tirer les conséquences logiques, et de se bien rendre compte, de la pensée du fondateur que les innombrables commentaires des théologiens de tous les siècles ont si singulièrement embrouillée et dénaturée.
- Dans l’ensemble de ces textes, une chose frappe tout d’abord l’observateur désintéressé qui les examine sans le moindre parti-pris. C’est qu’en réalité, le Christ ne fait pour ainsi dire point de différence entre la mission donnée à Pierre et celle conférée aux apôtres : A tous il dit : Ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel et ce que vous délierez sera délié ; car si c’est en ces termes qu’il s’adresse à Pierre, il dit l’équivalent aux apôtres dans la phrase : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. Paissez mes agneaux, paissez mes brebis, dit-il à Pierre. Allez, enseignez toutes les nations dit-il aux apôtres. Et ces textes quoique variés dans les termes ont si bien une signification analogue, que c’est sur eux que l’Eglise s’est toujours appuyée pour justifier le pouvoir des ministres du culte d’absoudre les péchés et de conférer les sacrements aux fidèles.
- Quant au fameux jeu de mots : tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, c’est une plaisanterie innocente qui n’a certainement pas dans la pensée du Christ, la portée qu’on lui a donnée en en faisant la base de la Souveraineté spirituelle du pape. Les portes de la mort ajoute-t-il, ne prévaudront point contre elle, ce qui revient à peu près au même que ce qu’il promet aux apôtres en leur disant: Assurez-vous que je serai avec vous jusqu’à la fin des siècles.
- Ainsi, il n’y a rien de positivement net qui exprime une différence réelle entre les attributions de Pierre et celles des Apôtres. Le mot Petra dont se sert Jésus, n’appartenait pas à la langue Hébraïque, et dans l’idiome Syro-Chaldaïque des Galiieens, comme dans le Chaldeen d’où il était issu, il s’appliquait tout particulièrement à l’interprète des oracles ; c’est donc dans ce sens qu’il faut l’entendre, et dès lors cette parole donne à Pierre le droit d’interpréter la doctrine, droit qui dans le passage déjà cité est également conféré aux Apôtres.
- S’il l’on admettait à la rigueur qu’une différence existât dans la pensée du fondateur entre la mission de Pierre et celle des autres Apôtres, en quoi consis-
- p.868 - vue 21/836
-
-
-
- LS DEVOIE
- 869
- terait-elle d’après les paroles mêmes du Christ ? II. dit à Pierre qu’il sera l'assise de fondement de l'Eglise, si nous prenons au sérieux le jeu de mots sur le nom de Pierre, soit. Mais lorsqu’il dit à tous les apôtres indistinctement d’aller enseigner sa doctrine à toutes les nations, de prêcher son évangile, il ne manifeste en aucune façon l’intention de subordonner leur enseignement aux décisions de Pierre, on est en droit de conclure que c’est en forçant le sens des textes que les successeurs de Pierre se sont arrogés ce privilège. La parole : paissez mes brebis semble indiquer d’ailleurs quel est le sens de l’autorité qu’il aurait conférée, si tant est qu’il en eut conféré une en réalité au prince des Apôtres. Cette autorité serait, par exemple, celle du berger sur le troupeau : elle consiste à le surveiller, le garder, le protéger contre les dangers auxquels il pourrait être exposé, mais c’est là tout son rôle. Ce n’est pas lui qui, au pâturage lui choisit à son goût l'herbe à paître, sachant bien que l’instinct de la brebis est un guide bien plus sûr, et lorsque dans l’étable il leur donne lui-même la nourriture, c’est d'après leurs préférences et non les siennes qu’il la fournit, Il est vrai, qu’au besoin, il s’arroge ie droit de les manger.
- De même, la figure de la pierre fondamentale indique ie rôle de Pierre doit être celui d’un disciple plus ferme, plus solide dans ses convictions que les autres, puisque dans la construction d’un édifice ou choisit des matériaux plus résistants pour cette partie de la bâtisse, mais il n’y a point autre chose, et à ce point de vue la supériorité de Pierre est plutôt une supériorité de devoirs qu’une supériorité de droits.
- Celui qui vous écoute m’écoute, dit-il aux apôtres, et celui qui vous méprise me méprise. Cette parole est autrement explicite et claire que celle sur laquelle les théologiens ont basé la Suprématie papale. En s’identifiant de la sorte avec ses disciples sans distinction, il montre que c’est bien eux qu’il considère comme ses représentants autorisés sur la terre, ses véritables vicaires.
- Cela avait été si bien compris de la sorte par les premiers disciples immédiats de Jésus-Ghrist et par les Apôtres eux-mêmes, que pendant les premiers siècles du Christianisme, ion voit ces derniers se mettre souvent en lutte avec Pierre, dans la discussion de certains points de doctrine. Ainsi, saint Paul, pharisien de naissance, et ennemi acharné des chrétiens qu’il persécute très activement d'abord, s'étant converti au Christianisme et étant devenu un des plus ardents apôtres de la nouvelle foi, se trouva presque dès le début de son apostolat en antago-
- nisme avec le prétendu prince de3 Apôtres. Paul qui appartenait à une classe de la Société plus élevée que celle dans laquelle le Christ avait choisi ses disciples, était beaucoup plus instruit qu’eux ; initié peut-être lui-même comme le maître aux mystères, il avait mieux compris la pensée du fondateur, et, sentant toute la vanité des rites Mosaïques, il en poursuivait l’abolition avec toute la fougue de son ardente nature. Pierre, au contraire, très ignorant, et n’ayant point démêlé la différence entre l’esprit des nouveaux dogmes et celui des anciens, demeurait attaché aux pratiques judaïques qu’il voulait conserver, et entre autres à celle de la circoncision. De là, deux écoles bien distinctes, dont la querelle, en se prolongeant prit des proportions telles, que pour trancher le différent, il fallut le soumettre à l’appréciation de tous les Apôtres réunis. C’est ce que les historiens ecclésiastiques désignent sous le nom de Concile de Jérusalem.
- La prétendue suprématie de Pierre était si peu reconnue à cette époque, que non-seulement 1e. Concile ne fut point présidé par lui, puisqu’il le fut par l’apôtre saint Jacques, mais encore qu’après mûr examen, il rejeta l’opinion de Pierre pour admettre celle de Paul, et décida que la circoncision et autres observances judaïques devaient être abolies. La déclaration duConciie à cet égard commence par ces paroles : « II a semblé bon au saint Esprit et à nous, etc. » Cette décision démontre que nul, au sein de l’église primitive, ne considérait Pierre comme investi du pouvoir de trancher dgs points de doctrine, et d’imposer ses opinions. En lui donnant tort, en condamnant ses prétentions, le Concile prouvait qu’il se considérait comme supérieur à lui en ces matières, et qu’il n’admettait point la suprématie de Pierre telle que l’ont définie depuis les théologiens. Elle prouve en outre qu’il ne lui reconnaissait en aucune façon la prétendue infaillibilité, dont on n’a point craint de nos jours de faire un dogme, à la grande honte de l’épiscopat contemporain en général, et des évêques de France, qui n’en croient pas un traître mot, en particulier.
- Au deuxième siècle, nous voyons l’église infliger un blâme sévère aux papes Eleuthèreet Victor, pour avoir admis les Montanistes à la communion, et en 251 le Concile de Carthage présidé par Cyprien, évêque de cette ville, condamne la doctrine défendue par le pape Etienne, à propos de la nécessité de rebaptiser les hérétiques qui abjuraient leurs erreurs.
- Il semble bien difficile de concilier ces condamnations de papes par les conciles dans les trois premiers siècles avec la prétendue souveraineté du Pontife de Rome, et avec son infaillibilité. La vérité est
- p.869 - vue 22/836
-
-
-
- 870
- LE DEVOIR
- que l’évêque de Rome était considéré par tous ies autres évêques comme leur égal et ainsi qu’eux soumis à l’autorité des conciles, représentants légitimes du Christ et de son Eglise. Ce n’est en effet qu’au concile général de Sardique, dans le courant du quatrième siècle, que l’on voit pour la première fois des évêques latins tenter d’asseoir la suprématie du siège de Rome, sans autre effet d’ailleurs que d’envenimer les haines qui existaient déjà entre les églises d’Orient et d’Occident au sujet du Manichéisme et de l’Arianisme, et de rompre de fait leurs relations, préludant ainsi au fameux Schisme d’Orient qui dure encore.
- Le concile de Nîcée lui-même, tenu en 325, dont le symbole est toujours resté le résumé le plus respecté de la doctrine catholique, n’attribue aucune suprématie au siège de Rome, puisqu’il se contente de donner à l’église le titre de sainte, catholique et apostolique, sanctam, catholioam et apostolicam ecclesiam. Il n’y est nullement question de l’église catholique apostolique romaine, comme on la qualifie de nos jours.
- Est-il admissible que, pendant les quatre siècles les plus rapprochés de l’époque à laquelle vivait le Christ, ses disciples se soient tous mépris à ce point sur l’autorité du siège apostolique, sur la qualité du vicaire du Christ attribuée depuis aux successeurs de Pierre, et sur leur infaillibité ? Or le fait que l’église ne considérait nullement en ce temps là l’évêque de Rome comme son chef, est historiquement démontré par les condamnations que nous avons déjà citées et qui ne sont pas les seules. C’est au concile de Tolède en l’an 400 qu’on donne pour la première fois au pontife romain le nom de pape, et c’est Anas-tase Ier qui s’en para le premier. Ce siège était déjà une source de richesses et naturellement fort convoité par les prêtres. « Celui qui parvient à ce but», dit Ammien Marcellin, « est sûr de s’enrichir,quand ce ne serait que des offrandes des matrones. Il ne se montre plus en public que sur un char, magnifiquement vêtu, et ses repas somptueux l’emportent sur les tables des rois. » Eorum convivia regales supe-rant mensas.
- Sous le pape Symmaque en 503, le.concile de Rome décide pour la première fois, sur la proposition du diacre Eunodius, que le Saint-Siège rend impeccables ceux qui y montent. Malgré ce brevet de sainteté et d’impeccabilité, quelques évêques ayant refusé d’accepter les décisions du cinquième concile, le pape Pelage ordonna à l’eunuque Narsés de marcher contre eux : « Ne craignez pas d’être appelé persécuteur, lui dit-il, il n’y a que les schismatiques
- qui persécutent. Nos rigueurs à nous seront de la pure bienveillance. »
- A cette prétention absurde, les évêques réunis en concile en 558, répondirent, en excommuniant le pape.
- A la fin du sixième siècle, le pape Saint-Grégoire rejetait le titre d’Evêque universel qui diminuait les honneurs, les droits et la dignité des autres évêques, ses frères, attendu, disait-il, que rien n’était plus contraire à l’Evangile et aux Canons ; et il ajoutait que de pareilles prétentions annonçaient la proche venue de l’Antéchrist : Propin qua jam Antechristi esse tempora.
- Ainsi, on le voit, le titre de pape et l’impeccabi-lité y afférente n’étaient encore au septième siècle, pour Grégoire-le-Grandet pour les évêques, que des créations platoniques sans portée ni effet, au point de vue de la Suprématie du siège papal, et à plus forte raison de son infaillibilité. Cela est si vrai, que quelques années après la mort de Grégoire, un de ses sucesseurs, le pape Honorius qui avait admis l’opinion des monothélites fut successivement condamné comme hérétique et fauteur d’hérésies, par trois conciles généraux, savoir : le sixième, le septième et le huitième Conciles de Constantinople.
- Ce n’est qu’au huitième siècle que l’on voit Grégoire III revendiquer hautement pour les papes le droit d’être les arbitres de la chrétienté. Cela n’empêche point les évêques de France en 833, de menacer le pape Grégoire IV, de l’excommunier, menace qui effraya si bien le pontife, qu’il fut sur le point de s’en retourner à Rome pour apaiser l’épiscopat Français ; cela n’empêche pas davantage un concile de condamner à la fin du 9° siècle, le pape Formose, et un autre de dégrader de prêtrise et d’exiler le pape Benoit Y au siècle suivant.
- Nous pourrions multiplier les citations de faits à l’appui de notre thèse, mais nous devons nous borner, et ceux que nous venons d’énumérer suffisent à démontrer que la souveraineté spirituelle des papes n’était nullement reconnue par l’église pendant les onze premiers siècles de l’église, puisque deux conciles, celui de Worms et un autre tenu dans le Tyrol en 1075 et 1080 ne craignirent pas de déposer le fougueux Grégoire III (Hildebrand), malgré ses prétentions à la puissance suprême. Ils prouvent également que jamais elle n’a admis leur prétendue infaillibilité, absolument inconciliable avec les nombreuses condamnations pour hérésie infligées aux papes. Etre infaillible et hérétique en même temps est chose impossible ; et pour soutenir l’infaillibilité papale, il faut renoncer à celle des conciles, ce qui est contraire à la doctrine catholique. Mais il est
- p.870 - vue 23/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 871
- impossible d’échapper au dilemne. Si le pape déclaré hérétique est infaillible, c’est le concile qui le condamne qui se trompe; et si au contraire le concile est infaillible, c’est le pape qui ne l’est point.
- Il est vrai, devons-nous ajouter pour être exact, que, si l’on en juge par les faits de l’histoire ecclésiastique, les conciles ne le sont pas plus que les papes, car rien n’est plus contradictoire que leurs décisions mêmes dogmatiques, et en suivant pas â pas leurs travaux, on ne tarde point à se convaincre qu’ils donnent comme une vérité aujourd’hui, ce que le lendemain ils déclarent être une erreur* La prétendue infaillibilité soit de l'église soit delà papauté ! ne soutient pas une minute l’examen des faits, et elle n’existe en réalité que dans les enseignements du clergé, qui a intérêt à asseoir sur cette base fragile sa domination sur les cœurs, au profit de sa fortune temporelle*
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- Le grand événement de la semaine est l’élection sénatoriale de dimanche. C’est la série G du Sénat que le pays était appelé à renouveler et qui comprenait 75 sénateurs sortants plus 4 sénateurs décédés. Parmi ces 79 membres du Sénat, on comptait 42 républicains et 37 réactionnaires. Les élections ont donné les résultats
- suivants :
- Républicains élus............... 64
- Réactionnaires élus........... 15
- Ce sont donc vingt deux sièges gagnés à la République dans la Chambre haute, où la présence des nouveaux élus, rendra plus difficile, il faut l’espérer, le succès des coalitions antipatriotiques des Jules Simon avec les de Broglie, Buffet et consorts, pour fatre échec aux réformes les plus utiles et les plus vivement désirées par le pays. En attendant donc la révision plus ou moins complète de la Constitution en ce qui concerne le Sénat c’est encore une bonne journée à enregistrer pour la cause républicaine.
- * *
- Le commandant anglais Cheyne, qui poursuit depuis plus de deux ans ses préparatifs de voyage au pôle nord à l’aide de bdlon, vient d’arriver à Montréal, annonce le Courrier des Etats-Unis, dans le but d’intéresser le public canadien à son projet du voyage aérien. Les personnes intéressées à l’entreprise désirent que ce soit une expédition anglo américaine à organiser par souscription populaire.
- Les frais s’élèveront à 80,000 dollards, dont 40,000 doivent être recueillis dans chaque pays.
- Un comité a déjà été organisée Elisabeth (New-Jersey) et l’on se propose d’en former dans les principales villes du pays. Le navire de l’expédition sera appelé le Grinnell du nom du célèbre patron de l’exploration arctique. Le lieutenant Scbwatka est disposé à accompagner l’expé-ditien.
- Les trois ballons, qui coûteront 20.000 dollars, seront f confectionnés en Angleterre. New-York sera le point de | départ de l’expédition. Le commandant Cheyne a dit | dernièrement : « Nous irons à Saint-P4trick’s-Bay,où le ?
- capitaine Naresa trouvé un immense gisement de charbon à la surface. Nous construirons une maison sur le charbon. Nous installerons des appareils et fabriquerons du gaz hydrogène pour les ballons.
- Cet endroit est à 6 milles du point où le navire du capitaine Navares, le Dïscorery, a hiverné en 1875-1876, et à 496 milles du pôle.
- Quand nous aurons le vent favorable, il nous faudra de dix-huit à vingt-quatre heures pour atteindre le pôle.
- Le commandant Cheyne dit que l’expérience de la Jeannette n’est qu’une autre confirmation du fait qu’il est impossible d’atteindre le pôle au moyen de navires.
- Dans son opinion la région polaire est un archipel pris dans un océan déglacé solide ne présentant aucune ouverture à la navigation.
- Chaque ballon sera pourvu d’un traîneau, d’un canot et de vivres pour 51 jours et lâchera du fil télégraphique à mesure qu’il s’éloignera, pour se tenir en communication avec la station principale.
- Les aérostats seront chargés de manière à ne pas s’élever dans l’air, et le commandant Cheyne croit qu’il pourra descendre à 10 milles du pôle.
- Il ne prévoit aucune difficulté du froid pendant le voyage en ballon, qui aura lieu au mois de juin de l’année après le départ de l’expédition.
- Il dit même que les voyageurs aériens devront ôter leur paletot pour n’avoir pas trop chaud.
- L’expédition sera composée de 17 hommes, qui seront rejoints par trois Esquimaux au Groenland.
- Le gouvernement danois a déjà envoyé l’ordre aux autorités du Groenland de prêter toute l’assistance possible à l’expédition.
- IRLANDE
- La situation de l’Irlande devient tous les jours plus grave, le problème tous les jours plus insoluble. La juridiction de la cour instituée pour l’évaluation des fermages avait d’abord paru être acceptée par les tenanciers ; les demandes de redressement étaient si nombreuses que le tribunal en était débordé ; puis, tout à coup, le mot d’ordre donné par les meneurs a prévalu, le cri de no rent, point de redevance ! l’a emporté, et non seulement le tenancier a refusé de payer le fermage dont il avait obtenu la réduction, mais celui qui avait envie de s’acquitter dans ces nouvelles conditions a été menacé de mauvais traitements, voire de mort. Ce qu’on appelle la question irlandaise a aussi changé de face. Il y a quelques mois, il ne s’agissait que de faire payer des gens qui n’acquittaient pas leurs engagements sous prétexte que le propriétaire du sol leur demandait trop ; ce qu’ils exigeaient alors, c’était uniquement une fixation plus équitable des prix. Aujourd’hui que le Land Act leur a donné satisfaction, la réduction du loyer de la terre ne leur suffit plus, c’est la possession même du sol que réclame le paysan, c’est l’expulsion à son profit des détenteurs actuels de la propriété foncière. On comprend la difficulté que présente le mouvement sous cette nouvelle forme. Le gouvernement est engagé d’honneur à faire respecter la loi et à rétablir l’ordre i Après avoir obtenu du Parlement une mesure aussi exceptionnelle que le bill agraire, après avoir amené l’opinion de l’Angleterre à un sacrifice de principes aussi considérable, le cabinet se. sent doublement tenu de supprimer une agitation factieuse, et qui ne tend d’ailleurs à rien de moins qu’à une révolution sociale. Mais comment s’y prendre? L’adversai-.e est insaisissable. On veut arrêter les malfaiteurs qui ont assassiné un propriétaire : tout le'monde les cache. Ou bien on les a saisis, et on veut les faire juger ; les jurés n’osent condamner. On veut que force reste à la loi, le tenancier qui s’obstine à ne pas payer devra être évincé; mais il résiste, et le district entier résiste avec lui. La police, la troupe trouvent devant elles une masse profonde d’hommes, de femmes et d’enfants contre lesquels on n’ose se porter aux dernières extrémités. On le ferait, d’ailleurs, sur un point, qu’on ne pourrait le faire
- p.871 - vue 24/836
-
-
-
- 872
- LE DEVOIR
- sur tous à la fois, et c’est la population entière qui, dans l’Ouest et le Sud, refuse de payer. « Vous avez beau faire, disait un journal Irlandais, vous ne pouvez pourtant pas jeter tout un peuple à la mer ! » Ainsi, l’Irlande est, de fait, en état de guerre civile, mais de guerre civile passive, n’offrant par conséquent pas de prise à une répression armée, et défiant les moyens d’action qui restent à la disposition d’un gouvernement dans notre siècle de régime populaire et d’humanité.
- AUTRICHE-HONGRIE
- Le Lloyd, de Pesth reçoit de Rome la nouvelle que le gouvernement italien s’est assuré ces derniers temps qu’aucune des puissances européennes n'avait l’intention de faire de la situation de la papauté l’objet d’une discussion internationale. On aurait beaucoup remarqué, il est vrai, le fait que, depuis quelque temps, des négociations avaient lieu entre le gouvernement de l’empire d’Allemagne et la curie romaine au sujet des questions politico-ecclésiastiques, mais on se croirait autorisé à supposer que ces transaciions se rapportaient uniquement à la législation réglant la situation de l’Eglise catholique vis-à-vis de l’Etat prussien. Selon toute apparence — tel est l’avis qui prévaut au Quirinal — le prince de Bismarck n’aura pas fait de promesses relativement à la situation de l’Eglise vis-à-vis d’autres pays.
- L’association ouvrière de Grafz vient d’être dissoute pour s’être rendue coupable de menées socialistes démocratiques et dangereuses pour l’Etat.
- RUSSIE
- Les journaux russes discutent longuement les questions soulevées par la dernière émeute antisémitique de Varsovie ; le Journal de Saint-Pétersbourg, analysant les réflexions émises à ce sujet par le journal russe le Pays s’exprime en ces termes :
- Les désordres en question ont duré plus longtemps et ont été plus sérieux qu’on ne l’avait cru d’abord. Ç a été la reproduction exacte de ceux de la Russie méridionale, au printemps dernier. Rien de plus triste qu’une lutte intestine, et en une telle occurence on n’éprouve qu’un sentiment : exiger une protection efficace de ceux qui sont persécutés.
- Les événements de Varsovie déplacent un peu la question israélite ; on proposait, pour sa solution, la reconnaissance de l’égalité des droits de toutes les races et de toutes les confessions, et la faculté pour les juifs de vivre librement dans les différentes parties de l’empire.
- Nous croyons, en ce moment encore, que ce serait le véritable parti à prendre, mais notre confrère (le Pays) voit, dans le fait de la possibilité de désordres dans une localité où les juifs sont florissants et prépondérants, une preuve que la cause essentielle des désordres ne gît que dans la haine de races. Nous ne savons pas en quoi la situation des israélites polonais diffère ! de celle de lôurs correligionnaires du Midi, où leur agglomération est dans tous les cas moindre que dans les i provinces de la Vistule. Or, c’est cette agglomération j excessive qui disparaîtrait par la faculté accordée aux i juifs de s’établir dans l’empire entier.
- Le Pays déclare qu’il n’est guère opportun en ce moment de s’appesantir sur les reproches qu’on adresse généralement à nos israélites ; il n’y a place en effet que pour des mesures de pacification. L’Etat impose à nos israélites, à l’égal des autres, l’impôt du sang et l’impôt matériel ; aussi leur doit-il, à l’égal des autres, sécurité et protection.
- Un nouveau Mathusalem. — Voici un cas de longévité extraordinaire :
- La revue médicale de Londres, Lancet, reçoit de son
- correspondant de Santa-Fé-de-Bogota, capitale de la Nouvelle-Grenade, dans l’Amérique du Sud, l’intéressante communication suivante :
- C’est Bogota qui possède, sans contredit, l’homme le plus âgé de la terre. Il accuse lui-même cent quatre-vingts°ans (1880 ans); mais ses voisins prétendent qu’il est plus âgé que cela. Il est d’origine semi-espagnole et s’appelle Michael Solio. Son existence est affirmée par le docteur Hernandez, à qui il a été assuré qu’un des vieux habitants delà ville en avait déjà entendu parler comme d’un centenaire, à l’époque où lui-méme n’avait encore que dix ans. Sa signature figure, du reste, au bas d’un acte relatif à la construction d’un couvent et qui date de 1712, soit de 169 ou 170 ans.
- Le docteur Hernandez voulut voir ce curieux personnage et le trouva occupé à des travaux de jardinage. Sa peau, dit-il, ressemble à du parchemin, ses cheveux sont blancs comme de la neige et enveloppent sa tête comme un turban. Il attribue sa longévité à des habitudes très régulières; il ne mange qu’une fois par jour pendant une demi-heure seulement, prétendant que la force de digestion en vingt-quatre heures est proportionnée à la quantité d’aliments pris en trente minutes. De plus, il a l’habitude de jeûner tous les 1er et 15 de chaque mois en buvant autant d’eau que possible. Il ne prend, enfin, que des aliments froids et nourrissants, et c’est, pense t-il, à ce régime qu’il doit de se porter à merveille.
- Nous reproduisons cette communication telle qu’elle a été adressée à la revue médicale de Londres, sans en rien retrancher et sans y ajouter aucun commentaire.
- * ¥
- Il nous arrive d’Amérique une nouvelle qui détrône les conceptions les plus fantastiques de Jules Verne :
- Il est maintenant question en Amérique d’un chemin de fer transatlantique. Un tunnel sous le lit de l’océan serait trop coûteux et trop long; alors, on descendra au fond de l’Atlantique un tube de 5,600 kilomètres de long, de 8 mètres de diamètre, suffisant pour le passage de voie de chemins de fer.
- Pour résister à l’énorme pression de plus de 200 atmosphères, qui règne à ces profondeurs, il faudra donner aux parois de ce tube gigantesque au moins 50 centimètres d’épaisseur.
- Le tube sera divisé en tronçons de 50 mètres chacun; le plus difficile sera l’opération de la descente.
- Voici le procédé proposé par les auteurs du projet : cinq de ces tronçons, portés sur des pontons solidement amarrés, seraient soudés sur place et leurs deux extrémités hermétiquement closes, de façon cependant que l’on puisse,les ouvrir de l’intérieur; ensuite toute cette pièce de 250.mèt. de longueur serait descendue au fond de la mer au moyen de chaînes d’acier, de manière à arriver exactement à l’extrémité de la portion déjà posée ; des ouvriers descendus avec elle, s’occuperaient d’effectuer la jonction, et ce travail continuerait jusqu’à ce que l’on eût atteint la côte d’Irlande.
- Pendant la pose du tube, des légions d’ouvriers s’occuperaient de poser les rails, les fils du télégraphe, les appareils d’éclairage électrique et de ventilation.
- M. Edison assure qu’avec une locomotive électrique de sa construction, les trains pourront effectuer le trajet en cinquante heures d’une côte à l’autre. Le coût de la ligne, en y comprenant le matériel roulant, ne dépassera pas 4 milliards de fiancs.
- ALLEMAGNE
- D’une dépêche de Berlin, il résulterait que l’on se montre préoccupé, dans la capitale prussienne, des tendances de la Russie.
- Certains journaux berlinois établissent une relation secrète entre l’activité croissante des armements russes et les progrès du sentiment anti-aliemand à Saint-Pétersbourg. Ils semblent prévoir, de ce côté, un péril éventuel pour l’Allemagne.
- Ce n’est pas la première fois que nous voyons se manifester des inquiétudes de ce genre. De même que jusqu’à présent,elles sont aujourd’hui encore prématurées.
- p.872 - vue 25/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 873
- Mais il se pourrait bien que, un jour ou l’autre, il apparaisse du feu derrière cette fumée. Dans tous les cas," ce malaise, cette vigilance soupçonneuse vis-à-vis de leurs voisins est l’indice d’un assez mauvais état de conscience chez les sujets de M, Bismarck.
- •¥ *
- Le correspondant berlinois de la Gazette de. Cologne assure que dans les cercles diplomatiques de la capitale allemande on n’a pas connaissance de la note, qu’au dire de la Gazette nationale,1e cardinal Jacobini aurait adressée aux puissances catholiques, et qui aurait posé les deux questions suivantes :
- 1® Au cas où le pape serait forcé de partir en exil, les diplomates accrédités auprès de lui recevraient-ils l’ordre de le suivre?
- 2° Les puissances seraient-elles disposées à prendre en ce cas sous leur protection collective les basiliques et palais appartenant au St-Siège, et les couvriraient-elles de leur garantie collective ?
- La Gazette de VAllemagne du Nord publie la note officieuse suivante au sujet des négociations relatives à l’apaisement du Kullarkampf :
- Les journaux s’exposeraient à moins d’erreurs s’ils réfléchissaient qu’il faut scinder les négociations en trois parties séparées : celle relative à la partie politico-religieuse, au sujet de laquelle M. Schloezer a entamé des pourparlers qui seront probablement repris sous peu; les négociations relatives aux affaires courantes, dans lesquelles la curie a aussi son mot à dire; enfiD, celles concernant la situation faite à la papauté. Il n’est pas encore sûr que cette dernière question, soulevée dans les discours officiels du pape soit engagée par voie diplomatique.
- Les journaux berlinois sont unanimes à dire que le projet que le prince de Bismarck soumettra aux Chambres prussiennes et qui aura trait « à la partie politico-religieuse » se bornera à peu près à remettre en vigueur les pouvoirs exceptionnels conférés au roi par la loi de juillet 1880, et qui autoriserait le roi à suspendre l’application de certaines dispositions des lois de mai. Ces pouvoirs sont expirés le 31 décembre 1881.
- D’autre part, on annonce que la proposition Windt-horst tendant à abolir une des lois de mai sera discutée dès le 11 janvier au Reichstag. Nous avons déjà dit que cette proposition ne peut pas avoir de sanction au Reichstag, le Kulturkampf étant une affaire prussienne, et non une affaire de l'empire.
- On télégraphie de Berlin, à la date du 4 janvier, à la Gazette d'Augsbourg :
- On dément officieusement les bruits relatifs à une dissolution projetée du Reichstag. Ou dément aussi la nouvelle version d’après laquelle la dissolution du Rei-chstage aurait lieu vers la fin de l’automne.
- La Chambre des députés de Bavière a voté, le o janvier, en seconde lecture, une loi qui punit le concubinage. La demande en poursuites doit être introduite par la police, et les poursuites n’auront lieu que « si le concubinage a donné lieu à scandale public. >
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE VIII
- En visitant les fonderies, et en voyant ces hommes au visage noirci courant de toutes parts avec leurs louches pleines du liquide lumineux et brûlant, nous avons parlé des accidents, première pensée qui s’offre
- | à l’esprit de l’étranger mis en présence de ce pittoresque tableau. Je vous ai dit, ami lecteur, que, grâce à la bonne organisation du travail dans cette usine, ces accidents étaient extrêmement rares, et c’est la vérité. Mais ce que je ne vous ai pas dit, ce que j'éprouve le besoin de vous dire avant de quitter ces ateliers pour parcourir les autres, c’est que non seulement toutes les précautions ont été prises pour les éviter, mais encore que l’on a eu le soin d’organiser la mutualité entre les travailleurs de façon qu’en cas d’accident, aucune atteinte ne soit portée à l’entretien de sa famille, et à son bien-être.
- Cette organisation est admirablement comprise et parfaite, non seulement dans son ensemble mais encore jusque dans ses plus petits détails. Dans ce moment où même les politiciens les plus encroûtés, les économistes et jusqu’aux simples journalistes sans spécialité commencent à comprendre que la question sociale a une importance bien supérieure à celle de toutes les questions politiques, diplomatiques ou purement économiques, et où ils sentent que l’étude en devient chaque jour plus urgente, il n’est nullement intempestif, ce me semble, de consacrer quelques instants de notre tournée à l’examen de cette institution que tous les industriels, tous les chefs de grandes administrations et tous les gouvernements même devraient prendre pour modèle, afin de donner satisfaction à tous les besoins sociaux jusqu’alors méconnus.
- La grande lacune des institutions politiques de tous les peuples est le défaut d’organisation de la mutualité nationale, qu’aucun gouvernement n’a compris être le seul remède au paupérisme. Beaucoup de gouvernants ont cherché dans tous les expédients imaginables ce remède que quelques-uns ont cru naïvement avoir trouvé dans le développement des travaux publics, du luxe, aliment prétendu du commerce, de la richesse nationale en un mot, par tous les moyens possibles. Lorsqu’ils s’étaient donné beaucoup de peine pour atteindre ce but, ils étaient tout surpris de voir que malgré l’accroissement de la richesse publique, la misère exerçait toujours les mêmes ravages et se maintenait aussi âpre, sinon plus cruelle, chez les classes nécessiteuses, dans le monde des travailleurs. Ces derniers, mieux inspirés, avaient entrevu la vérité, et ils avaient tâché de la suivre en instituant entre eux des Sociétés de secours mutuels qui, quoique très gênées dans leurs allures par les restrictions gouvernementales, ont rendu de véritab es services à ceux de leurs membres que les circonstances plaçaient dans la nécessité de recourir à elles.
- D’où vient donc que, préoccupés comme ils sem-
- p.873 - vue 26/836
-
-
-
- 874
- LE DEVOIR
- blaient l'être, de trouver le moyen de combler cette lacune, qu’ayant compris que la Société négligeait un de ses devoirs les plus impérieux en n’accordant pas aux classes laborieuses des garanties contre la misère et le besoin, ils n’aient point suivi la piste tracée par les travailleurs eax-mêmes, par la création des Caisses de secours mutuels ? Ne serait-ce point parce que la routine aveugle les intelligences au point de les empêcher de voir les choses sous leur véritable point de vue, et que de même que l'homme atteint de la jaunisse voit tous les objets jaunes, l’esprit humain faussé par les préjugés ou porté vers les complications transcendantes perd la perception des choses par trop simples, et ne saisit plus distinctement la logique des faits? Colomb, défié de faire tenir un œuf posé sur sa pointe, écrase cette partie de l’œuf et lui donne ainsi le point d’appui nécessaire, et l’on est tout surpris de ne s’être point avisé d’un moyen aussi simple. ISh bien, la plupart de ces problèmes, qui fonttant travailler les cerveaux pour trouver leur solution, sont peut-être aussi aisés à résoudre que celui-là, mais on a beau quelques fois montrer aux hommes cette solution, ils ne savent point la voir. Celui qui pour prouver le mouvement se mit à marcher, perdrait peut-être aujourd’hui son temps, car l'assistance devant laquelle il ferait sa démonstration serait capable de ne pas la comprendre.
- Il semble difficile, sans cela, de s’expliquer qu’en voyant les résultats fournis par les Sociétés de secours mutuels dans leur sphère d’action extrêmement limitée, on n’ait point compris dans les régions gouvernementales que la solution du problème social était trouvée, et qu’il n’y avait qu’à étendre l’institution à la nation entière, au lieu de la laisser particularisée comme elle l’était, et à lui faire embrasser toutes les variétés de souffrances humaines pour arriver à donner satisfaction à tous les besoins.
- Eteindre le paupérisme était le rêve avoué de celui qui fut Napoléon III, lorsqu’il n’était encore qu’un prétendant sans espoir, il le fut peut-être encore lorsqu’il eut étouffé la République et escaladé le trône en posant résolument le pied sur son serment; mais, dans tous les cas, il échoua en ce qui concerne la réalisation du rêve caressé par lui, peut-être parce qu’il n’était point digne d’accomplir cette œuvre, la plus belle qu’il puisse être donné à un homme d’entreprendre et de mener à bonne fin. Parmi tous les grands hommes dont l’histoire ait soigneusement enregistré les noms, il n’en est pas un, non pas un seul, qui ait rempli une tâche aussi noble, aussi méritoire, aussi glorieuse que celle de mettre la société
- humaine à même de détruire à tout jamais le paupérisme au sein de l’humanité.
- Faire que grâce aux institutions, dans le plus petit bourg aussi bien que dans la plus populeuse des villes, le travailleur n’ait plus à redouter en aucun cas les atteintes lugubres de la misère et du besoin, qu’il soit tranquille dans le présent parce qu’il a son avenir assuré, c’est une mission supérieure à toutes celles dont un homme ait été investi, sans en excepter même le Christ, une gloire qui dépasse en grandeur et en éclat toutes les gloires humaines, autant que la lumière éclatante du soleil surpasse la lueur indécise des étoiles. Et les Louis XIV, les Napoléon ont préféré à cette immense illustration, à cette œuvre lumineuse, les tueries et les massacres, les batailles et les victoires qui coûtent tant de sang et de larmes à l’humanité. Il a suffi à Henri IV, dans un de ces élans de philanthropie si rares chez les rois, de formuler le souhait que chacun de ses sujets put mettre la poule au pot le dimanche, pour lui faire octroyer la qualification de bon roi ; qu’aurait-ce été s’il eût rééellement fait en sorte que ce souhait se réalisât ? Mais ce fait ne démontre-t-il pas que le peuple apprécie mieux la philanthropie chez les chefs d’Etat, que le génie guerrier qui n’est utile à rien ?
- Ce qu’aucun gouvernant n’a jamais su faire ni même comprendre, ce qu’ils ont tous négligé pour porter toute leur attention sur ces casse-tête chinois périodiques qu’on a nommés la question d’Orient, la question romaine, la question des principautés, etc., heureusement pour l’humanité des chefs d’industrie moins puissants l’ont compris, et parmi eux, un surtout, et avant tous, l’a réalisé complètement dans sa sphère d’action. La création du Familistère est la mise en œuvre du principe, l’application la plus parfaite du système de mutualité, propre à garantir à jamais le travailleur contre le paupérisme.
- Non content d'avoir assuré à l’ouvrier, par la construction du Palais social, une habitation saine et commode avec tous les équivalents de la richesse, d’avoir, par l'association, porté au maximum possible ia rémunération de son travail, le créateur de cette association a complété son œuvre en mettant ces travailleurs à l’abri de toutes les mauvaises éventualités de l’existence, par un ensemble d’assurances qui prévoit tous les cas. Gontre la maladie, contre l’accident, contre l’incapacité de travail, contre la vieillesse, une caisse spéciale pourvoit au desideratum, et c’est ainsi que nous trouvons à l’usineldu Familistère et dans l’habitation unitaire un système d'assurances mutuelles qui remplissent parfaitement le but à atteindre, l’extinction du paupérisme.
- L’ôspacô et le temps nous manquent aujourd’hui
- p.874 - vue 27/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 875
- pour nous livrer à l’étude sommaire de cette remarquable institution qui mérite pourtant à tant de titres d’être bien examinée et bien comprise. C’est à ce travail éminemment utile autant qu’intéressant que nous consacrerons notre prochain chapitre, avant de visiter les nombreux ateliers qui nous restent encore à parcourir dans l’usine. Ce sera pour ainsi dire une halte dans notre voyage, halte dont le temps ne sera point perdu pour vous, ami lecteur, puisqu’il sera consacré à l’un des sujets les plus nobles, les plus dignes de votre attention, qui puissent tenter la plume d'un écrivain. La mutualité, c’est le complément naturel de la fraternité humaine, la mise en action de la solidarité sociale, mille fois plus noble et plus efficace que la charité tant vantée, dont les secours souvent avilissants sont toujours fatalement insuffisants et absolument impuissants à remédier au mal.
- [A suivre).
- LETTRES SUR Là RUSSIE
- Le dernier numéro de la Volonté du Peuple
- Je viens de recevoir le dernier numéro de la Volonté du Peuple, lequel vient de paraître à Saint-Pétersbourg, où il est répandu en nombreux exemplaires dans les classes laborieuses, aussi bien que dans l’aristocratie, malgré tous les efforts de mille et mille gendarmes, mouchards et policiers pour en empêcher la propagation.
- Comme tous les autres numéros, celui-ci commence par un martyrologe. Ainsi que d’habitude la colonne s’ouvre par une bordure deuil, mais, tandis que toujours on y trouvait des noms russes, le nom d'un de ces révolutionnaires qu’on avait récemment pendus ou qui était mort en prison, cette fois, on y lit avec grand étonnement les lignes suivantes :
- * Le 20 (8) septembre 1881 est mort des suites de « ses blessures le président des Etats-Unis d’Amé-« rique, James-Abraham Garfield.
- Et immédiatement au-dessous vient le manifeste suivant, lequel émane du comité exécutif.
- « Exprimant au peuple des Etats-Unis ses condo-« léances à l’occasion de la mort du président James-« Abraham Garfield, le comité exécutif croit faire « son devoir en protestant, au nom des révolution-* naires russes, contre toutes violences semblables « à l’attentat de Gtuito.
- * Dans un pays où la liberté individuelle permet
- « de lutter par l’idée, où la libre volonté du peuple, « non-seulement fait la loi mais choisit les diri— « géants, dans un tel pays, l’assassinat politique, u comme moyen de lutte, est une manifestation res-« sortant de ce même esprit despotique dont nous « poursuivons l’abolition en Russie.
- « Le despotisme, qu’il provienne d'un individu ou « d’un parti, est toujours condamnable, et la vio-« lence ne peut être justifiée que lorsqu’elle répond « à la violence. »
- « Le comité exécutif, le 10 septembre 1881. »
- Est-ce un avertissement à l’adresse du tsar, ou est-ce une justification des attentats commis? On voit, dans tous les cas, que pour mettre fin à la terrible lutte engagée entre les révolutionnaires et le tzarisme, il suffit que ce dernier parti mette d’abord un terme à ses violences et permette à la pensée révolutionnaire russe de faire son chemin librement.
- Les autres articles de cette feuille, laquelle contient 16 pages en deux colonnes serrées, traitent habilement de toutes les questions économiques qui concernent la Russie.
- Comparant le budget de la Russie à celui des autres nations, la Volonté du Peuple en arrive à cette petite conclusion que les 700 millions de roubles (2,800 millions de fr.) qu’on fait payer chaque année au peuple russe ne sont nullement employés à la satisfaction de ses besoins, mais sont prodigués pour les plaisirs de ses maîtres.
- Ainsi le tzar lui-même reçoit de cette somme 50 millions de roubles, et d’après la loi fondamentale du pays, chaque petit-fils de l’empereur a droit à 500 mille roubles et toute femme d’un arrière petit-fils à 15 mille roubles.
- Dans un autre article la Volonté du Peuple s’efforce de démontrer que la bourgeoisie russe elle-même a peur du parlementarisme, car elle craint de s’y rencontrer face à face avec les paysans et les hommes de science qui, sous un régime libre, mettront immédiatement fin à l’exploitation de l’homme par l’homme.
- Quant à la personne du tzar lui-même, elle est jugée comme il suit par le journal révolutionnaire :
- « Alexandre III est un despote et encore un des-» pote peu spirituel; il ne fait donc pas exception à « sa dynastie. Les exploits ne diffèrent en rien des « exploits de nos autres tzars. Il développe logique-« ment l’idée dynastique des Romanof, et il croit,
- « peut-être sincèrement, que son honneur de souve-« rain réclame la marche de conduite qu’il suit. S’il * y a des valets de naissance, comme Aksakof, qui
- p.875 - vue 28/836
-
-
-
- 876
- LE DEVOIR
- « partagent cet avis, d'autant plus cette opinion j « doit-elle être naturelle chez un despote né. Nous ! « n’avons rien contre la personne d’Alexandre III et « nous sommes, par cela même, d’autant plus sé-« vères pour son système.
- « Si les tendances fondamentales de ce système ne « peuvent répondre aux intérêts du peuple, le sys-« tème doit être anéanti,même parla violence,même « avec les plus grands sacrifices, car le bonheur du « peuple est au-dessus de tout. »
- Ces dernières lignes indiquent bien la marche de
- conduite que va suivie le parti révolutionnaire en !
- Russie. ~ S
- J
- Michaïl Achkinasi.
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- %
- Ere mérovingienne IV
- Quelle était la pensée de Constantin lorsqu’il résolut de transporter l’Empire d’Occident en Orient ?
- A cette question nous n’avons trouvé qu’une ré ponse. Sa pensée état de rajeunir la gloire du nom Romain vieillie par tant de siècles et de recommencer pour ainsi dire les destinées du monde. Et comme il savait qu’on ne rajeunit pas du vieux avec du vieux, comme il crut trouver dans ce qui composait la société chrétienne, en tant que force morale du moins, tout ce qui lui était nécessaire pour daterune nouvelle ère dans le monde, il embrassa le Christianisme. Prévoyait-il qu’il préparait et favorisait l’émancipation du Pontife romain ? Voyait-il qu’il assurait ainsi à la Rome religieuse, à la Rome chré- i tienne, l’indépendance et la domination que perdait la Rome païenne, la Rome politique ? Cela n’est guère probable.
- Quoiqu’il en soit, lorsque le culte nouveau soumit ] les Césars eux-mêmes, lorsqu’il domina du haut du trône où il venait de s’asseoir, lorsqu’il ordonnaaux peuples d’aoandonner l’idolâtrie, les maîtres du monde qui, jusqu’alors, avaient été les proscripteurs de ce culte et les persécuteurs de ceux qui le protégeaient, crurent ne pouvoir mieux faire pour expier leurs torts que de, par un zèle immodéré, propager violemment la doctrine nouvelle et tenter de faire table rase de tout ce qui paraissait contraire à son progrès et à son esprit.
- Quel fut le pouvoir de Clovis en se faisant chrétien? Il voulut créer un Empire
- Roi de la tribu des Saiiens, c’est-à-dire maître d’un ] territoire fort étroit; avec l’ambition, doué de tous !
- les talents d’un conquérant, il jeta les yeux sur la G-aule et résolut d’en faire le siège de cet empire qu’il projetait. Les cinq premières années de son règne, si nous pouvons nous servir de cette expression furent pour ainsi dire une période de recueillement, non pas qu’il resta complètement inactif, mais rien d’écîatant ne marqua cet espace de temps. Ce ne fut qu’en 486, après avoir sondé le terrain et s’être rendu compte des éléments qu’il pouvait s’approprier qu’il frappa le premier coup.
- Syagrius commandait à Soissons comme patrice Romain et Remigius ou saint Romain évêque métropolitain de Reims était alors le prélat le plus influent de la Gaule septentrionale.
- Vaincre Syagrius, c’était détruirple dernier débris de la domination romaine dans la Gaule, dire à celle-ci qu’elle n’avait qu’à subir les lois des Francs et prouver à ces derniers qu’ils avaient à leur tête l’homme digne de les commander. Syagrius fut vaincu. Cette victoire détermina l’Eglise qui avait toujours été portée d’instinct à favoriser les barbares, à se mettre en relation avec les vainqueurs. Elle pressentait l’action qu’elle allait avoir à exercer sur ces flots d’hommes nouveaux. Ne confessaient-ils pas eux-mêmes, du reste que ce qu'ils faisaient ne venait pas d’eux, qu’ils étaient entraînés et poussés en avant par une mission dJvine »? De là à accepter comme inspirateur de cette mission le Dieu des chrétiens, il n’y avait qu’une légère distance à parcourir. Le premier pas fut fait par Clovis en épousant Clotiide, nièce des rois Bourguignons, la seule femme catholique qu’il y eut dans les familles des rois Germains.
- De son côté, l’Eglise par la voix de saint Remi, félicita « Clovis, seigneur illustre et magnifique en mérite, d’avoir pris le gouvernement des choses de la guerre et d’être ainsi ce que ses pères avaient toujours été avant lui. » Mais après ses félicitations le saint Prélat ne manqua pas d’exhorter celui qui devait être le premier fils aîné de l’Eglise, « à rendre honneur aux évêques du pays où il commandait, à écouter leurs conseils s’il voulait que la situation de sa province s’améliorât ou s’agrandît. » Le clergé d’alors savait aussi bien que celui d’aujourd’hui que les femmes étaient les meilleures missionnaires qu’on pùt choisir pour opérer des conversions. Il ne négligea rien de ce qui pouvait pousser Clotiide à préparer son mari à « connaître la vérité. » Il n’est pas jusqu’au plaisir de tirer vengeance des meurtriers de ses parents et de ses frères qui, présenté à la Reine ou naturel chez elle, on ne saurait trop dire lequel, ne servit d’agent aux desseins de l’Episcopat Romain. La bataille de Tolbiac et la conversion de
- p.876 - vue 29/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 877
- Clovis qu’elle décida fut pour le catholicisme la prise de possession de la magistrature de l’Occident. Cette conversion fut en même temps un acte de haute po litique de la part du roi Franc. Diverses hérésies troublaient et divisaient i’Fgîise.
- Théodoric, roi d’Italie, Alaric, roi des Visigoths, le roi des Vandales et celui des Bourguignons professaient l’Arianisme. Le nouveau converti allait donc être le seul prince catholique. De plus ses peuples futurs, c’est-à-dire ceux sur lesquels il aspirait à régner obéissaient à l’Eglise Romaine. Il ne pouvait se faire le persécuteur de leur religion... Il avait tout à y perdre. Il l'adopta : les deux lettres suivantes prouvent assez l’eflet que cette adoption produisit sur l’esprit des évêques et du Pape lui-même. Voici ce que lui écrivit Avitus, évêque de Vienne : « Chacun applaudit aux succès, à la gloire que vous procurez à votre pays ; combien votre bonheur nous intéresse 1 Toutes les fois que vous combattez, c’est nous-mêmes qui triomphons ! »
- « G-lorieux et illustre fils, » disait le pape Anas-tase II, « maintenez la joie de votre mère, et ayez « pour elle la solidité d’une colonne de feu, afin que « cette mère vous protège dans toutes les voies où « vous entrerez, et qu’elle vous procure la victoire « sur tous les ennemis qui sont autour de vous i »
- Ecoutons également ce que nous dit l’historien : « A la conversion de Clovis, l’Eglise changea de situation, et passa, comme la société de l’état impérial à l’état barbare ; elle qui avait eu, devant les rois couverts de pourpre, un air de dépendance et d’infériorité, prit, devant les rois couverts de fourrures, un ton de bienfaitrice et de maîtresse. Désertant la cause de l’empire, elle se fit l’auxiliaire de l’invasion, l’amie et la conseillère des barbares, à qui elle traça leur marche politique, dont elle dirigea les conquêtes et favorisa la domination, à l’ombre desquels elle négocia, administra, gouverna. »
- Dès lors l’accord de Clovis et du clergé fut un fait accompli et, secret de la puissance de ce prince, dura autant que lui. Les donations qu’il fit à l’Eglise sont immenses et l’on peut s’en faire une idée en apprenant qu’il dota l’Eglise de Reims d’autant de terres que saint Remy pourrait en parcourir à cheval pendant que lui prendrait son sommeil de midi. « Ces-« sez, » disait-il aux prêtres, « d’être étrangers . parmi les Francs, et que les possessions qui vous viennent de nous vous tiennent lieu de patrie.» Grâce à ces donations, ses conquêtes étaient présentées comme des manifestations de la volonté divine en faveur du conquérant, et les actes sanguinaires dont il se souilla pour accomplir l’œuvre qu’il poursuivait :
- I l’unité de la race franke, furent excusés par Grégoire de Tours lui-même qui, après avoir raconté plusieurs de ses crimes, dit sans hésitation: « Dieu prosternait ses ennemis devant lui, parce qu'il marchait avec un cœur droit devant le Seigneur, et qu’il faisait.tout ce qui était agréable à ses yeux. »
- Dans la pensée de celui que l’on considère comme le fondateur de la nationalité française, Dieu n’était qu’un fidèle allié qui avait droit à sa part de biens, conquêtes ou autres, dépouilles des vaincus, ou tributs payés aux vainqueurs. La part qu’il attribuait à cet allié était grande et le dévouement ou la complaisance, comme on voudra l’appeler, des ministres do ce Dieu, était largement récompensé. Cependant quelque généreux que fût Clovis, quelque respect qu’il aflectât de porter ou qu'il portât réellement au clergé, il n’abdiqua pas entre ses mains. Il renouvela et étendit encore certains privilèges de l’Eglise, tels que le droit d’asile et l’exemption de toutes charges accordée à des basiliques par lui dotées, exemptions qui s’étendaient à tous les clercs attachés au service de ces Eglises. Il confirma également le droit de la curie épiscopale ou « cour de chrétienté » comme on la nomma plus tard, qui jugeait en dernier ressort toutes les causes du clergé ; mais, nous le répétons, en dépit de tout cela, il n'abdiqua point sa puissance et le Concile d’Orléans tenu en 511, en témoigne dans ce sens que 1° il fut assemblé par les seuls ordres du roi, 2° que les évêques dûrent soumettre leurs travaux à son approbation; 3° et que le 4e Canon prononça qu’aucun laïque ne pouvait être admis à la cléricature sans l’ordre du roi ou le consentement du magistrat.
- y
- En résumé, dès le commencement de l’invasion, l’Eglise s’était faite la médiatrice entre les vainqueurs et les vaincus. Modérer les premiers et essayer de les dominer par tout ce que la civilisation romaine mettait à sa disposition ; frapper leur esprit parla pompe et l’éclat des cérémonies tout en se faisant humble selon les circonstances ; engager les seconds à l’obéissance et les protéger de tout ce que sa position matérielle et morale lui donnait d’influence ; placer toujours la croix, promesse et menace tout à la fois, entre la tête des opprimés et le bras des oppresseurs ; s’appliquer à mélanger les éléments romain et germanique de façon à les pénétrer l’un de l’autre et à en former un tout aussi homogène que possible; tel fut le rôle qu’elle s’imposa immédiatement. Elle en avait dès le principe compris la portée et sut le remplir avec cette habileté qui la caractérise. Aussi peut-on dire qu’avec la conversion de Clovis et la soumission des Francs à cette sorte de
- p.877 - vue 30/836
-
-
-
- 878
- LE DEVOIR
- théocratie nouvelle, commença l’unité religieuse rêvée par Constantin ; seulement ce fut avec « la royauté germaine pour instrument et non la royauté impériale pour maîtresse » que cela se fit. Rome, selon l’expression de Chateaubriant, reconnue des barbares eux-mêmes comme l’ancienne source de la domination, parut recommencer son existence, et continuer la ville éternelle. » L’histoire de l’Eglise devint celle des Francs.
- L’Orient n’ofîrait pas le même spectacle ; les schismes le séparaient souvent de l’Occident et l’évêque de Rome était loin d’être constamment d’accord avec l’évêque de Constantinople et les autres patriarches. L’empereur Bizantin appuyait de son crédit les hérétiques (ainsi désignés par Rome) dans les violences qu’ils exerçaient parfois contre les orthodoxes, lesquels, à leur tour, sous le prétexte de la religion, ne se faisaient pas faute de nuire à leurs adversaires. Pape et empereur ne vivaient pas non plus en bonne intelligence,et les lignes suivantes de Symmaque témoignent assez des dispositions d’esprit de la papauté, en même temps qu’elles font pressentir que le moment n’est peut-être pas loin où le pouvoir temporel qu’on veut bien encore reconnaître, va se joindre entre les mains du pontificat, aux puissances spirituelles dont on est en possession.
- * Comparons », dit le pontife à l’empereur, « la dignité d’un évêque avec celle d’un empereur. Il y a autant de différence entre elles, qu’il y en a entre les choses de la terre dont celui-ci a l’administration,et celles du ciel dont le premier est le dispensateur. Vous recevez, prince, le baptême de l’évêque; il vous administre les sacrements * Vous lui demandez des prières : Vous attendez sa bénédiction, et vous vous adressez à lui pour vous soumettre à la pénitence.En un mot, vous gouvernez les affaires des hommes, et lui il dispense les biens du ciel. On doit du respect aux puissances de la terre (ajoute-t il), mais si l’on est obligé de leur obéir, c’est surtout aux puissances spirituelles que cette obéissance est due. »
- Les successeurs immédiats de Clovis continuèrent à favoriser le clergé et l’on retrouve même dans la constitution de Childebert (554) les premiers pas vers les lois d’inquisition et de sacrilège. Cependant les prêtres ne trouvaient pas toujours chez les Francs la docilité qu’ils leur recommandaient comme une vertu, et ces mots de Chilpéric : « Notre fisc devient pauvre ; nos richesses sont transférées aux églises ,* ce sont les évêques qui régnent.: Notre dignité périt et leur est transportée, » attestent des dispositions peu amicales. C’est que ces prélats battant monnaie, rendant la justice, levant des impôts et des soldats,
- faisant enfin tous les actes de la souveraineté sans être soumis à aucun des devoirs, à aucune des char** ges que devraient remplir et subir les autres ci-* toyens,devaient exciter passablement l’envie d’hommes que, selon l’expression d’Henri Martin, « le christianisme enveloppait sans les pénétrer. » Rien « donc, d’étonnant dans cette plainte du roi Neus-trien, plainte, résistance si on le veut, mais résis* tance peu efficace et que Clotaire II s’empressa bien vite de faire oublier en confirmant dans sa constitution perpétuelle toutes les donations faites, toutes les immunités accordées, tous les privilèges cédés aux ecclésiastiques par ses prédécesseurs.
- \
- Ces immunités, ces privilèges concédés étaient l’équivalent d’un fief. On donnait un fisc à l’Eglise et on lui laissait les prérogatives que ce fisc aurait eues si on l’avait donné à un leude... c’était le système féodal qui s'établissait et avec lui, la confusion des deux pouvoirs, Les églises et les abbayes se gouvernant isolément, la hiérarchie ecclésiastique se confondait.
- Les évêques leudes produits de la fraude ou de la violence, vendaient ou dilapidaient les biens de leurs églises, vivaient de ehasse, de pillage, de guerre, exerçaient une tyrannie des plus iniques sur les prêtres soumis à leur juridiction. Bref dans la société religieuse plus encore que dans la société civile, c’était l’écrasement du petit parle grand. Vainement Dagobert essaya-t-il de remédier à cet état de choses, ses successeurs qui ne furent plus qu’une ombre de la souveraineté n’eurent pas la force de continuer l’œuvre qu’il avait ébauchée. Ils se nomment dans l’histoire les Rois fainéants et ce sont les maires du palais qui vont régner sous leurs noms ; Ebroïn en Nesutrie,d’abord,puis Pépin d’Heristall en Austrasie et en Neustrie. A la mort de ce dernier, Karl son fils, qui sera Charles Martel après s’être rendu maître de la Neustrie,de l’Austrasie et de la Bourgogne voulant se faire une armée de soldats dévoués, dépouille le clergé de ses biens, de ses dignités, pour les donner à ses guerriers, jette avec ses troupes des missionnaires dans la Germanie ennnemie desFrancs, et prépare la conversion des tribus qui seront les sujets les plus aveuglément soumis aux papes et,par leur exemple de subordination absolue,contribueront immensément à établir leur suprématie dans toute l’Europe.
- Vainqueur des germains, l’Etat franc ramené à sa constitution primitive,Charles tombe sur la Gaule méridionale, puis après avoir éerasé les arabes dans les champs de Poitiers, revient de nouveau daas le
- p.878 - vue 31/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- midi et meurt sans avoir pu assurer la tranquillité aux frontières de son empire, en 741.
- Ses fils Pépin et Carloman se divisent les Etats de leur père. Carloman prince pieux entre au couvent de Saint Benoît sur le Mont-Cassin où il fait les vœux monastiques, en 747.
- pépin resté seul maître de l’empire,l’ère des Mérovingiens est close et celle des Carlovingiens commence en fait, quoique nominalement on ne la date que de Charlemagne. C.-P. Maistre.
- LES CENTENAIRES
- Depuis quelques semaines les centenaires sont tout à fait à la mode. Tous les jours, les journaux enregistrent un nouveau cas de longévité. Tantôt c’est Pierre Brossand, un journalier, né en 1774, qui est trouvé couché sur un banc, à Lyon, et écrouq pour vagabondage. Par parenthèse, il semble humiliant qu’une société civilisée n’ait d’autre refuge à offrir que la prison à un journalier de cent sept ans ! Puis c’est Mme George, née le 21 avril 1766, trois ans avant Napoléon leT. Cette petite vieille de cent quinze ans, alerte et proprette, écrit sans lunettes, et a conservé, avec un grain de coquetterie, un goût immodéré pour les procès. Elle a vu tomber deux empires, deux républiques et trois monarchies ; elle a connu les paniers de l’ancien régime, les tuniques du Directoire, les turbans du premier empire, les manches à gigot de la Restauration, les crinolines d’il y a vingt ans et les costumes collants d’aujourd’hui. Elle est veuve depuis soixante-sept ans, et il va y avoir cent ans qu’elle s'est mariée. Si elle est douée d’observation et si elle a gardé de la mémoire, sa conversation doit être prodigieusement intéressante. Il est curieux de penser que son grand-père aurait parfaitement pu être contemporain de Louis XIII et de Richelieu î
- Ces jours-ci, est mort à Belleville Mathieu Frediani, un centenaire tout jeune, il n’avait que cent trois ans 1... Tout cela n’est rien à côté du centenaire de la Nouvelle-Grenade, découvert par la gazette médicale anglaise The Lancet : Michael Sollo habite Bohota et se porte à merveille ; il accuse cent quatre-vingts ans, mais ses voisins prétendent qu’il se rajeunit 1
- Voilà qui efface les mille centenaires enregistrés par Haller et Hufeland, et dont une trentaine avaient dépassé cent vingt ans. De ceux-là, le plus authentique est Thomas Parr, qui mourut « prématurément» à la suite d’excès de table et qui eut l'honneur d’être disséqué par Harvey. Et si nous ne parlons pas des patriarches, d’Abraham qui meurt à cent soixante-
- 879
- quinze ans, d’Isaac et de Jacob qui atteignent cent quatre vingts et cent quarante-sept ans, de Mathusa-lem qui meurt à neuf cent soixante-neuf ans, c’est que l’état civil de ces temps reculés ne nous inspire qu’une médiocre confiance.
- Après Mathusalem, on ose à peine citer Fontenelle, qui meurt modestement à cent ans, dans toute la plénitude de ses facultés. Les exemples de longévité sont rares d’ailleurs parmi les hommes illustres. Fontenelle était un égoïste ; il faut, pour atteindre ces limites extrêmes de la vie, un fonds de sécheresse et un parfait équilibre qui ne sont pas le fait du génie. Il faut surtout une excessive modération et une parfaite sobriété. Thomas Parr vivait de légumes et de laitage, et Mme George suit un régime analogue. Le plus curieux effet de la tempérance sur la durée de la vie est;certainement celui de Louis Cor-naro, noble Vénitien, d’une constitution débile, et condamné par les médecins à trente-cinq ans. Il eut l’idée d’en appeler, réforma sa vie, se soumit à un régime scrupuleux, douze onces d’aliments solides et quatorze onces de vin par jour, et dépassa la centaine, à la barbe des médecins.
- Pour en arriver là, il faut de l’héroïsme, et ne pas penser comme Larochefoucauld que « c’est une ennuyeuse maladie de conserver sa santé par un trop grand régime ». Il semble aussi qu’il y ait des dispositions spéciales, souvent héréditaires. Les deux fils de Henry Jenkins, mort à cent-soixante-neuf ans dépassèrent la centaine. Il est mort au commencement de ce siècle, en Livonie, un vieillard de cent soixante-huit ans, qui avait combattu à Pultava. Il laissait deux fils dont l’aîné avait quatre-vingt-seize ans et le cadet quatre-vingt deux. On raconte que le cardinal d’Armagnac, passant en 1554 dans une rue de Paris, aperçut un vieillard qui pleurait* Il l’interrogea. « C’est, lui dit le vieillard, que mon père m’a battu et mis à la porte pour avoir manqué de respect à mon grand-père. » Ce grand-père avait cent quatre-vingt quatre ans et le père cent trois. Le fils irrespectueux était un gamin de quatre-vingts ans ! »
- En dehors de la régularité et de la tempérance, on a cherché des moyens de prolonger la vie : Cardan, Bacon et Maupertuis prétendaient que la transpiration abrège nos jours. On dit, en effet, qne les cen*» tenaires sont plus nombreux sous les latitudes sep» tentrionales. Là-dessus, Cardan concluait à l’immobilité, Bacon aux onctions huileuses, et Maupertuis rêvait de nous enduire de poix.
- Nous donnerions la préférence au système du baron de Feuchtersleben, un médecin viennois, qui est 1 basé sur la croyance de l’action de l’âme sur le corps #
- p.879 - vue 32/836
-
-
-
- 880
- LE DEVOIR
- Suivant lui, c’est la peur de vieillir qui nous vieillit, et nous mourons de la peur de mourir. Buffon, à soixante-seize ans appelait la vieillesse « un préjugé ». Sans l'arithmétique, disait-il, nous ne saurions pas que nous vieillissons. On sait que Flourens, dans son curieux traité « de la Longévité humaine », a entrepris de prouver que nous gaspillons une existence qu’il ne tiendrait qu’à nous de prolonger, que nous ne mourons pas, mais que nous nous tuons, et que nous aurions droit à un siècle de vie normale et à deux siècles de vie extrême ! Pour lui, la première vieillesse commence à soixante-dix ans seulement, et il la prolonge jusqu’à quatre-vingt-cinq ans. Puis vient la seconde et dernière. Pour lui, comme pour Buffon, la vieillesse est le meilleur temps de la vie. C’est aussi l’avis de Fontenelle qui, à quatre-vingt quinze ans, affirmait n’avoir jamais été aussi heureux qu’entre cinquante-cinq et soixante-quinze ans.
- Cicéron aussi a fait une éloquente apologie de la vieillesse. Mais tout le monde n’est pas de leur avis : Montaigne haïssait sa « vertu lasche etcatharreuse, et cet accidentai repentir que l’aage apporte ». Et La Rochefoucauld prétend que les vieillards aiment à donner de bons préceptes pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples, Par contre, La Fontaine a dit :
- «... Qu’on me rende impotent,
- Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme Je vive, c’est assez, je suis plus que content.
- Toute la question est là : la vie, elle-même, est-elle un bien ? Ici encore les avi3 sont partagés. Pour Schopenhauer et les pessimistes, si la douleur n’est pas son but, notre existence n’a aucune raison d’être. La vie est un pensum, et le monde une colonie pénitentiaire, où l’excès de la population amènera finalement la famine et l’entre-égorgement. Mais il nous arrive d’Angleterre une thèse plus consolante : suivant M. Herbert Spencer, le bonheur est destiné à l’emporter sur la souffrance ; l’hostilité entre l’homme et son milieu ira se réduisant dans la suite des siècles, tandis que l’antagonisme entre le développement et la reproduction amènera une diminution graduelle de la multiplication.
- Cet encombrement de populations, qui était une source de progrès, cessera quand le progrès aura atteint un certain degré. L’espèce finira par arriver à un état stationnaire, où chaque génération se bornera à peu près à reproduire un nombre égal au sien. Par là, la lutte pour l’existence perdra son caractère impitoyable; les sentiments antisociaux, qui correspondaient à la période de guerre dont nous commençons à sortir, feront place à un ordre de choses où, grâce à l’association et à la coopération,
- 1 ces sentiments deviendront nuisibles, et où c’est la * fraternité qui deviendra nécessaire.
- Alors, le devoir et l’intérêt enfin réconciliés, il en résultera un accroissement de bonheur pour l’humanité, dont les soucis sont allégés et les joies multipliées par la mutuelle sympathie, la limitation de la population et l’accroissement de la science.
- Le jour où un pareil âge d’or sera réalisé, notre intérêt sera évidemment de rester le plus longtemps possible sur cette terre de félicité... mais encore, c’est de l’humanité qu'il s’agit là, et non de l’individu. Pour l’homme isolé,il y aura toujours, en dépit de tous les progrès, des destinées irrémédiablement malheureuses,et le problème de l’inégale répartition des biens et des maux n’est pas de ceux qui seront résolus ici-bas. Il y aura donc toujours des mécontents, qui s’écrieront avec Voltaire, mais plus légitimement que lui : « Je ne sai s pas ce que c’est que la vie éternelle, mais celle-ci est une mauvaise plaisanterie ». Avant de nous mettre au régime de Cor-naro, il faudrait savoir si, comme on dit vulgairement, le jeu en vaudra la chandelle. Assurément, par le temps qui court, la curiosité y pousserait. Il y aura tant de choses à voir pour ceux qui vivront seulement une cinquantaine d’années encore. La vapeur et le gaz détrônés par l’électricité, probablement les chemins de fer, les cuirassés et autres engins meurtriers remplacés par de pacifiques aérostats; qui sait, peut-être même les Français d’accord sur un système de gouvernement?... Mais la curiosité n’est pas tout dans la vie. Il faudrait persuader à tous ceux que nous aimons de se mettre à la diète, car il serait bien triste de rester seul ! Il faudrait encore être sùr de ne devenir ni sourd ni aveugle, et de ne pas trop souffrir. L’abbé de Chaulieu, « poète aimable»,disent les biographes, a dit très justement:
- Bonne ou mauvaise santé Fait notre philosophie.
- Et puis, on aura beau faire l’éloge de la vieillesse, malgré Cicéron, Buffon et Fontenelle, nous serons toujours tentés de lui préférer « cette ivresse continuelle, cette fièvre de la santé, cette folie de la raison », où l’on jouit si peu de l’heure présente,où l’on ne possède ni le calme des passions, ni les trésors de l’expérience, ni l’épuration de l’esprit, mais où l’on a mieux que tout cela, les illusions et l’espérance ! Toujours le vieux don Ruy Gomez, voyant passer le jeune pâtre qui s’en va chantant, dira tout bas :
- «... O mes tours crénelées,
- Mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais,
- Oh ! que je donnerais mes blés et mes forêts,
- Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines.
- Mon vieux nom mon vieux titre, et toutes mes ruines, Et tous mes vieux aïeux, qui bientôt m’attendront, Pour sa chaumière neuve et pour son jeune front. »
- Noisy.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- eetatOaeatin — lmp. de ta Société anonyme du (Hangar
- p.880 - vue 33/836
-
-
-
- 6- ANNÉE. TOME 6 — N* 8
- •Lt numéro teldemadaire 20 c. DIMANCHE 22 JANVIER 1882
- L
- mwwom
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant ondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . . IQfr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 w»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr, »» Autres pays Un an. . . . 13 îr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petit s-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm* w m:
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Questions sociales. — Organisation des Assurances mutuelles. — Faits 'politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère, IF IX. — Etudes anticatholiques : les Sacrements. — L’Eglise et l’Etat, de Charlemagne à François 4er.— Etat civil du Familistère.
- LES QUESTIONS SOCIALES (1)
- Organ isation des assurances mutuelles. Extinction do la misère et de la meu« dicité.
- X
- Il est bon de redire que toute créature humaine naît avec les mêmes droits à la vie que les êtres qui l’ont précédée; que si, dans la société, il est des personnes privées de la liberté et des satisfactions attachées aux besoins de l’existence ; c’est par une violation du droit naturel inhérent à la personne humaine.
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre; 4, 11, 18, 25 décembre 1881 ; 1 et 15 janvier 1882.
- Lorsque des hommes sont assez dévoyés pour vouloir porter atteinte à l’existence d’autres hommes, ils ouvrent par ce fait, contre eux-mêmes, le droit à la réciprocité par la résistance ; c’est le droit de légitime défense reconnu à tout individu auquel on veut nuire.
- La violation du droit individuel conduit donc à la conflagration de tous les intérêts entre les hommes, tandis que la reconnaissance et la satisfaction de ce même droit conduit à la paix sociale et à l’accord universel. •
- Ce seul fait établirait le besoin des réformes sociales si tout le passé de l’humanité, si la morale de tous les temps, n’enseignaient aux hommes de s’aimer et de s’entraider les uns les autres, comme moyen d’accomplir les lois de la vie.
- L’organisation de la mutualité sociale n’est donc pas autre chose que la reconnaissance du droit naturel de toute personne humaine à la vie et aux choses nécessaires à l’existence.
- L’organisation de la mutualité sociale n’est pas autre chose que la mise en pratique de la plus pure morale enseignée aux hommes, par les Sages de tous les temps.
- La morale en parole est sans effet; la morale en actions est seule profitable ; elle seule constitue l’obéissance aux lois de la vie.
- Que la société présente sache donc obéir à ces lois en mettant en pratique les préceptes de la morale, par une bonne organisation de la mutualité sociale; qu’elle consacre ainsi d’une façon définitive le droit de chacun à la vie : le monde sera sauvé.
- Gouvernants qui dirigez les nations, faites appel
- p.33 - vue 34/836
-
-
-
- 34
- LE DEVOIR
- à la mutualité nationale et organisez l’assurance sociale.
- Donnez aux familles ouvrières les garanties de l’existence.
- Etablissez par de sages lois les ressources nécessaires.
- Faites que les successions laissent au capital de la mutualité une part d’héritage proportionnée à l’importance des services rendus par le domaine public et le domaine naturel dans la création de la richesse.
- Gouvernants, effacez ainsi le paupérisme et la misère, vous aurez bien mérité de l’humanité.
- Et vous, riches et puissants du monde, décidez-vous à un léger sacrifice.
- Le soulagement de toutes les misères vous serait si facile ! Aidez sans résistance à la mutualité sociale. Imposez-vous une contribution dans ce noble but.
- Quelle satisfaction vous éprouverez d’avoir organisé le bien-être universel !
- Quelle paix intérieure vous vous donnerez en travaillant ainsi à la pacification du monde !
- Maintenant à vous travailleurs, hommes de labeur, d’aider de votre côté à l’organisation des garanties sociales auxquelles vous avez droit.
- Mais ne perdez pas de vue que le droit social ne s’établit pas de lui-même ; qu’il ne s’organise que par le progrès de la raison humaine, que par l’étude des institutions et l'amour de la justice pour tous.
- Pour que les choses soient faites en équité sociale, il faut que vous ayez le juste sentiment de vos droits, et que vous soyez en état de gérer vous-mêmes les institutions qui vous permettent d’en jouir.
- Vous devez au premier appel établir vos sociétés mutuelles, les constituer et organiser ; c’est seulement ainsi que l’Etat pourra contribuer aux besoins de vos familles, lorsque les ressources du travail vous feront défaut.
- Vous devez vous-mêmes donner l’exemple de l’amour et du dévouement à la cause de l’humanité, en vous cotisant et en constituant dans la fabrique, dans l’usine, dans la commune, les premiers groupes des socialistes unis dans l’intention mutuelle de se prêter secours et d’obtenir de l’Etat la protection due aux travailleurs.
- Les sacrifices que vous aurez à faire n’en seront pas, puisque ce que vous verserez dans la caisse de vos assurances pendant que vous serez en santé et dans la vigueur de l’âge, vous sera rendu avec largesse pendant la maladie, l’incapacité du travail et la vieillesse. En versant 2 p. 0/0 de vos salaires dans la caisse commune, vous commencerez dignement
- l’œuvre qui effacera à tout jamais la misère parmi vous.
- Salariés de l’agriculture et de l’industrie , en posant ce premier germe de solidarité entre vous, vous appellerez la société à reconnaître les droits primordiaux que toutes vos familles possèdent à la participation des avantages sociaux.
- La société reconnaîtra que la richesse n’est pas seulement le fait de ceux qui la possèdent, mais qu’elle est le résultat du travail général et de la protection que la société accorde elle-même aux détenteurs de la richesse ; que celle-ci, en outre, provient pour une forte part du concours que la nature prête à l’humanité en vue du bien commun.
- Le législateur reconnaîtra que vos droits \ au domaine public et vos droits au domaine naturel, constituent pour la société l’obligation de prélever une part sociale sur la richesse générale au profit de tous les enfants des hommes.
- Cette part devra consister en deux choses : le revenu disponible,et le fonds du capital des garanties.
- Le revenu sera produit par un impôt sur le capital ou la richesse qui s’ajoutera à vos cotisations.
- Le fonds se constituera par un prélèvement sur l’héritage au moment des successions.
- La part due aux travailleurs se créera ainsi à mesure que la mutualité s’organisera parmi vous et que vos comités seront en état d’administrer les ressources de vos assurances. De cette façon les garanties contre la misère et le dénuement s’établiront en faveur de toutes les familles ouvrières* Tous les citoyens seront placés sous la protection des garanties sociales.
- Les esprits auxquels les mesures les plus sages font toujours peur craindront que la mutualité sociale étendue ainsi aux besoins légitimes des individus ne devienne une cause de dissipation et de paresse. Cela pourrait avoir lieu chez un certain nombre, si les ouvriers restaient étrangers à l’administration des assurances, s’ils n’avaient aucune responsabilité dans leur fonctionnement. Mais dès que les ouvriers auront à verser une cotisation régulière, et qu’ils seront chargés de la distribution des subsides, ils seront économes du fond des assurances et les premiers à chercher les moyens de maintenir une prudente réserve, afin de ne pas voir amoindrir le taux des secours que tout mutualiste est intéressé à recevoir s’il tombe malade à son tour.
- Il est très important,d’après ma propre expérience, que le fonds des assurances soit fait, pour une certaine partie, par les mutualistes eux-mêmes; et que
- p.34 - vue 35/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 35
- chacun d’eux soit tenu de verser une contribution déterminée, suivant des règles fixées par la constitution de l’assurance.
- Si cette mesure était écartée, les travailleurs se désintéresseraient de la marche de l’institution, et les assurances ne seraient que des caisses de secours analogues à nos bureaux de bienfaisance. Elles seraient un sujet de dégradation morale au lieu d’être une cause de relèvement.
- Les règles statutaires de ces assurances doivent être laissées à la liberté des comités, afin qu’elles se produisent suivant les besoins des professions, des industries, des localités et des populations.. On doit laisser la plus grande liberté possible dans les règlements, la constitution et la forme de ces assurances mutuelles, tout en admettant en principe que l’Etat ne subventionnera les caisses de ces assurances que proportionnellement aux versements faits par les mutualistes eux-mêmes.
- La liberté des moyens étant laissée aux travailleurs pour constituer la mutualité entre eux, la variété dans les expériences doit s’en suivre, et permettre d’établir par comparaison quelles sont celles qui procurent les meilleurs résultats.
- En laissant aux comités la responsabilité de direction de ces assurances,on crée parmi les mutualistes un intérêt direct à bien gérer l’institution, à bien opérer la répartition des secours, puisqu'on ne pourrait prodiguer les allocations sans imposer au corps des mutualistes des charges proportionnées à la prodigalité dans laquelle on serait tombé,
- Si, en effet, la répartition des ressources aux familles subventionnées se faisait de façon à amener bientôt l’insuffisance des ressources en face des be* soins, les mutualistes se verraient alors appelés à une augmentation du chiffre de leurs propres cotisations, et par conséquent obligés d’ouvrir les yeux sur les abus.
- C’est pourquoi il est indispensable que les travailleurs soient eux-mêmes les intéressés et les agents de la mutualité. Cela bien entendu n’exclut pas le contrôle financier de l’Etat, mais c’est à cela seulement que le rôle de l’Etat doit se limiter; une intervention plus grande aurait pour conséquence de paralyser le bon effet et le résultat social de l’assurance mutuelle des travailleurs.
- Pour les esprits qui vont au fond des questions les garanties données à la classe ouvrière sur les bases que je viens d’énoncer pourront paraître incomplètes, Si la cotisation est exigée, dira-t-on, comment y fera-d-on participer les personnes sans ressources d’aucune sorte, les femmes et les enfants hors d’état de travailler?
- Je réponds que les travailleurs représentent la famille, et que les règlements de la mutualité indiquent le minimum des ressources dont la famille doit disposer pour ne pas être privée du strict nécessaire. C’est sur cette base que la mutualité accorde sa protection aux familles. Dès que la famille peut pourvoir à ses besoins par son travail ou ses épargnes, la caisse de l’assurance n’a rien à verser, sinon la subvention due au malade.
- L’assurance mutuelle sociale ne doit en aucune circonstance se prêter aux calculs et aux spéculations de l’égoïsme; son seul objet est d’anéantir la mendicité et la misère, d’assurer par conséquent le nécessaire pour vivre à ceux auxquels il peut faire défaut, et de ne pas laisser la famille du travailleur en proie aux dures privations, lorsque l’ouvrier par son travail crée la richesse qui s’accumule tous les jours.
- On objectera qu’à côté des travailleurs laborieux et honnêtes, il y a les paresseux, les ivrognes, les débauchés, des aliénés, des malades abandonnés, etc..., j’ajouterai même qu’il y a des fripons, des voleurs et des malfaiteurs, mais cela n’existe pas seulement parmi les ouvriers ; toutes les classes de la société en offrent de tristes exemples. Que fait la société actuelle, contre ce que je puis heureusement appeler ces exceptions? Elle a des hospices, des asiles d’aliénés, des maisons de correction et de détention, des prisons et des bagnes où justement elle assure à toutes ces gens le nécessaire à l’existence.- La mutualité n’empêcherait en aucune façon la société de se garantir contre les excès du mal, bien au contraire. La mutualité sera un excellent moyen d’épuration ; car les exclusions que les ouvriers prononceraient en assemblée générale tomberaient certainement sur les hommes qu’il serait de l’intérêt social de classer dans la catégorie de ceux qui ont besoin d’un traitement spécial.
- La société se charge déjà de ce soin ; elle devra le faire encore mieux dès qu’elle s’intéressera davantage à l’amélioration et au progrès des citoyens. Alors la société tentera le traitement moral comme elle tente aujourd’hui le traitement physique.
- Du reste le malheur en toutes ces matières, c'est qu’on s’exagère les difficultés et les conséquences. On cherche plutôt à se représenter les embarras que les moyens de les vaincre. C’est pourtant la vérité que ces difficultés sont infiniment moins grandes qu’on se l’imagine, et que la pratique des garanties de l’existence sera bien loin d’être aussi dispendieuse qu’on le pense. #
- L’aumône et la mendicité suppléent aujourd’hui à ces garanties pour les malheureux qui ne craignent
- p.35 - vue 36/836
-
-
-
- 86
- LE DEVOIR
- pas de recourir à la charité privée, mais les pauvres honteux, ceux qui sont souvent les plus dignes d’égards, demeurent en proie à la plus affreuse misère.
- Pourquoi, quand les citoyens qui possèdent la richesse s’imposent des sacrifices pour les premiers, la société n’organiserait-elle pas les secours dus à tous les nécessiteux ?
- N’est-ce pas le cas de montrer que la charité publique n’est pas autre chose que la restitution d’un bien dû à l’homme ; que la vie donnée à la personne humaine implique le droit de celle-ci à l’existence ; et que si l’individu ne peut disposer des choses indispensables à son existence, c’est que d’autres s’en sont emparés.
- Il est juste, il est opportun que la Société songe aux devoirs qui lui incombent, et qu’elle restitue aux classes déshéritées leur droit perdu.
- L’insuffisance d’une simple caisse de retraite établie en faveur des ouvriers prévoyants et en situation de faire des économies et des dépôts, se ferait vite sentir , car une telle caisse laisserait de côté la grande masse des familles imprévoyantes, sans secours et sans protection, tandis que c’est surtout en faveur de celles-ci que la prévoyance sociale doit s’exercer.
- Ce n’est pas seulement la retraite assurée pour la vieillesse qu’il faut à l’ouvrier, mais aussi l’existence toute entière garantie pour la famille.
- Les choses à faire pour atteindre ce résultat sont :
- 1° Qu’un tantième de salaire quotidien de l’ouvrier forme le premier fonds de chaque assurance ;
- 2° Que 1 Etat mette le concours du salaire sous la responsabilité de la ferme, du chantier, de l’atelier, de la fabrique, de l’usine, de tous les établissements enfin occupant des salariés ;
- 3° Que l’Etat, de son côté, verse une somme proportionnelle ;
- 4° Que dans les successions l’héritage abandonne la part due au travail.
- Qu’on n’exagère pas les conséquences, et qu’on veuille bien avoir plus de confiance qu’on en accorde à la grande masse de la classe ouvrière. Nulle classe plus qu’elle n’est pénétré de l’amour du devoir. Est-ce que ce n’est pas elle qui accomplit le devoir le plus sacré, le plus vrai dans la Société : celui du travail ? Cn craindra un encouragement à la paresse ; ceux qui penseront ainsi ne savent pas combien est grand chez l’ouvrier l’amour, le besoin du travail. La perspective d’une retraite ne le lui fait pas abandonner, tant que la santé lui laisse la possibilité de tirer du travail des ressources supé-
- rieures à celles que la retraite lui offre. Il préfère se livrer au travail que s’abandonner à des occupations improductives ; il méprise l’oisiveté, et ce n’est que quand il se sent incapable de travailler qu’il accepte la retraite.
- Mais je remarque qu’ici- je ne serai peut-être pas compris par la plupart des personnes. L’idée de la retraite se présente naturellement à l’esprit sous la forme qui lui a été donnée jusqu’ici par l’Etat dans l’armée et dans les administrations publiques, c’est-à-dire comme un droit acquis, après un temps déterminé de service, de recevoir une somme quel que soit l’état de fortune et de santé du fonctionnaire.
- Ce n’est pas ainsi que les retraites du travail doivent être comprises ; elles s’appliquent à l’incapacité de travail survenue par vieillesse, accident ou maladie, à toute personne sans ressource. -La retraite, dans le système de garanties que j’invoque n’est qae la continuation des garanties de l’existence assurées au travailleur ou au prolétaire jusqu’à sa mort.
- Qu’on ne s’effraie donc pas de la proposition. Quelque empressement qu’on puisse mettre à la voter, l’application en sera lente ; la mutualité mettra du temps à s’organiser. Quelques groupes locaux se constitueront promptement et serviront d’exemple, mais ce sera assez lentement que la chose se généralisera. L’Etat aura toute facilité pour prendre les mesures nécessaires afin d’établir dans ses perceptions les moyens de contrôle des caisses locales.
- Quant aux comités administratifs de la mutualité, ils devront être composés de deux sections : l’une d’hommes, l’autre de femmes. Ces sections seront élues dans chaque commune par le suffrage universel des hommes et des femmes.
- Chacun de ces comités sera chargé de veiller séparément sur la santé et les besoins de son sexe, avec la faculté de délibérer en commun sur les questions de direction et d’administration.
- La loi devra assurer et protéger ces libertés ; elle prescrira aux patrons le tableau nominatif des ouvriers qu’ils occupent, des salaires payés à chacun d’eux,et des versements de cotisations prélevées sur les salaires.
- Des règlements d’administration publique détermineront les mesures nécessaires à la comptabilité des assurances communales, et le mode de nomination des collecteurs vérificateurs chargés d’assurer la régularité des opérations, et d’en verser le montant aux caisses municipales pour être réparti suivant les décisions des comités.
- p.36 - vue 37/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 37
- Ainsi pratiquée la mutualité réaliserait, en faveur des familles ouvrières, les premières garanties qui leur sont nécessaires. Honneur au gouvernement qui provoquera ces mesures en France ; il aura la gloire d’avoir fermé les plaies de la misère : il aura bien mérité de l’humanité.
- (A suivre). Godin.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- Le projet die ré-vision- — Samedi dernier,à la Chambre, le ministère a présenté la proposition de la constitution tant discuté d’avance dans la presse.
- Au début de la séance, le président de la Chambre en prenant possession du fauteuil, a prononcé le discours d’usage.
- Immédiatement après M. le président du conseil monte à la tribune et dépose un projet de révision portant sur divers articles de la loi constitutionnelle II donne lecture de l’exposé des motifs dont voici l’analyse :
- Cet exposé débute par déclarer que, le suffrage universel s’ôtant nettement et à plusieurs reprises prononcé pour la présidence de la Répunlique et le système des deux Chambres, il convient de placer ces deux principes au-dess-us de toute discussion.
- On ne touchera pas au premier paragraphe de l’article fer de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 qui porte : « Le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées: la Chambre des députés et le Sénat. »
- On modifiera la teneur du paragraphe 2 qui porte : « La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel dans les conditions déterminées par la loi électorale, où l’on mettra après les mots : « par le suffrage universel », les mots: « au scrutin de liste. »
- L’insertion de ce membre de phrase n’introduit dans la Constitution que le principe du scrutin de liste, le mode d’application restant abandonné à une loi électorale organique subséquente.
- L’exposé des motifs dit textuellement à ce sujet : «Au jour que vous fixerez vous-mêmes et vers le terme du mandat de la Chambre des députés, vous élaborerez uDe loi organique. »
- Le 3e paragraphe de l’article 1er dit : « La composition, le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale. « De même que pour la Chambre, le gouvernement proposera d’inscrire dans ce paragraphe le principe du mode de recrutement du Sénat; ce principe, c’est l’élection par les membres et délégués de tous les corps politiques issus du suffrage universel.
- Pour l’application de ce principe, il faut modifier la deuxième des lois constitutionnelles qui est l’organisation du Sénat el dont les articles 4 et 7 fixent le inode de recrutement : le premier des sénateurs départementaux, le deuxième des sénateurs inamovibles.
- Pour les premiers, on proposera que chaque commune ayant moins de 500 électeurs inscrits ait un délégué élu par le Couseil municipal, qui devra élire en outre, au scrutin de liste, autant de délégués et de suppléants que la commune renferme de fois 500 électeurs inscrits.
- Les grandes communes, Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux,seraient appelées ainsi à être représentées par P.lus de 100 délégués ; cette proportion paraissant excessive, il y aura lieu de voter des dispositions spéciales qui trouveront leur place dans la loi organique du 2 août 1875, soumise comme telle, non pas au Congrès, mais aux deux Chambres successivement, comme une loi ordinaire.
- Le gouvernement proposera au Congrès de supprimer le privilège de 1 inamovibilité pour les'75 sénateurs nommés par l’Assemblée nationale ^ Cette suppression ne portera pas sur les sénateurs déjà nommés, mais seulement sur ceux qui seront appelés a les remplacer.
- Pour ces derniers, ils seront élus par les deux Chambres votant séparément et non en Congrès.
- A chaque décès, le collège «national» ainsi composé, aura à élire un nouveau sénateur, mais cette élection ne se fera qu’à chaque renouvellement d’une série de 75 sénateurs départementaux.
- Dans ce but, les 75 sénateurs inamovibles actuels seront répartis par la voie du sort entre 3 séries de 25, dont l’ordre de renouvellement sera également tiré au sort.
- L’exposé des motifs aborde ensuite la réglementation des droits financiers respectifs des deux Chambres.
- On sait que l’article 8 de la loi constitutionnelle relative à l’organisation du Sénat porte que « les lois de finance doivent être en premier lieu présentées à la Chambre des députés et votées par elle. »
- Le gouvernement proposera au Congrès d’établir par un texte indiscutable, comme conséquence directe de cette disposition,que le Sénat n’a en matière die budget qu’un droit de contrôle et qu’il ne peut pas rétablir un crédit supprimé par la Chambre des députés.
- Enfin le gouvernement propose de supprimer la disposition constitutionnelle prescrivant des prières publiques pour le dimanche qui suit la rentrée des Chambres.
- Ces explications données, le gouvernement soumet à la Chambre, conformément à 1 article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 et au nom du président de la République, le projet de résolution qui suit :
- « La Chambre des députés décide qu’il j a lieu de réviser :
- » 1° Les paragraphes 2 et 3 de l’article 1®? de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics;
- » 2° Les articles 4, 7 et 8 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat;
- » 3° Le paragraphe 3 de l’article 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics. »
- M. le président du conseil, après cette lecture, demande à la Chambre de vouloir bien examiner ce projet avec la gravité qu’elle apporte dans les questions qui intéressent le pays. Il s’agit, dit-il, d’un intérêt vital pour l’Etat et pour la République; le gouvernement ne demande pas l’urgence; le projet est dispensé de droit de l’examen de la commission d’initiative et la Chambre appréciera lors de la première délibération s’il y a lieu d’abréger la discussion.
- ANGLETERRE
- Le Daily Teleyraph raconte un incident caractéristique arrivé la semaine passée en Irlande. Des troupes avaient été envoyées à Gorey, comté de Wexford, pour empêcher une chasse organisée par les land leaguers. En quittant Gorey, les soldats ont entonné un chant national irlandais, accueilli avec enthousiasme parle peuple, qui a donné la conduite à la troupe en accompagnant le chant. Malgré les remontrances des officiers, les soldats ont continué à chanter.
- Samedi, l’association nationale des chasseurs, composée exclusivement d’Irlandais, a organisé une battue à laquelle ont assisté plus de cent cavaliers dont les chevaux étaient décorés des noms de « Buckshots, RévoJver, Dynamite. Rachrent » et autres noms ex; rimant des sentiments d’hostilité envers les Auglais. La police de Dublin a saisi une nouvelle caisse de révolvers et fusils qui portaient l’adresse imaginaire d’un ecclésiastique de Glare.
- *
- I Le correspondant de Limerick écrit au Standard que I la situation du district est plus grave que jamais et que
- p.37 - vue 38/836
-
-
-
- 38
- LE DEVOIR
- les troupes nouvellement arrivées sur la demande du nouveau magistrat résident des comtés Glare et Limerick ont fort à faire pour suffire au maintien de l’ordre.
- *
- ¥ ¥
- On a trouvé une affiche de la Ligue et un manifeste prêchant la doctrine du No rent, pas de loyers ! sur la porte même du tribunal de la cour agraire, avec des menaces contre les membres de cette cour.
- On siguale de nouvelles attaques contre des huissiers chargés de porter à des tenanciers insolvables des ordres d’éviction.
- * ¥
- Une dépêche du correspondant parisien du Times donne sur les négociations commerciales entre la France et l’Angleterre, les renseignements suivants :
- Les négociations relatives au traité de commerce continuent avec des chances sérieuses de succès. La question de principe n’est plus en discussion, et l’entente à établir ne porte plus que sur certaines classes de laines et de cotons. Un petit nombre seulem nt de ces classements à effectuer soulève des difficultés, et il y a toutes
- raisons de croire que, avec l’esprit de conciliation qui anime les deux cabinets, on trouvera des compromis qui permettront de signer le traité, sinon dans quelques jours, du moins presque certainement d’ici à trois semaines. Sir Charles Dilke repassera encore une fois le détroit, mais seulement pour signer le traité.
- Ce résultat pouvait être prévu du moment que les hommes d’Etat de France et d’Angleterre admettaient que la question politique primait la question technique, et que des concessions mutuelles étaient nécessaires pour ne pas troubler des relations également importantes pour les deux pays.
- * ¥
- TT si arbitrage iuternational. — La République Dominicaine et les Pays-Bas sont en différend à l’occasion de la saisie que les autorités dominicaines ont faite d’un navire hollandais, Hamna-paesset. Les parties ont choisi M. J. Grévy, président de la République française. Cette fois, du moins, le juge choisi jugera lui-même et par lui-même. On sait, en effet, que M. J. Grévy a sa place très honorablement marquée parmi les jurisconsultes de son pays.
- ITALIE
- U se joue en ce moment une singulière comédie au Vatican. Le pape regrette toujours le pouvoir temporel et s’ennuie de ne régner que sur les âmes. Il se trouve aussi fort à l’étroit dans, ce somptueux palais aux vastes jardins, où des paroles imprudentes de son prédécesseurs l’ont moralement enfermé.
- Il lui vient par accès la tentation d’aller, comme on dit, planter sa tente ailleurs, sur une terre où, bien entendu, il régnerait en souverain. Mais, avec la malice des gens d’église, il voudrait que son. départ de Rome prît aux yeux du monde catholique l’apparence d’un départ forcé ; il voudrait y paraître contraint par une persécution du gouvernement italien, et les troubles que les gens du Vatican ont provoqués lors de la cérémonie de la translation des cendres de Pie IX n’avaient peut-être pas d’autre but que de fournir au pape des motifs nouveaux de se poser en persécuté et en martyr.
- L’attitude à la fois ferme et modérée du Quirinal n’a pas donné au Vatican l’occasion cherchée. On n’en a pas moins, le lendemain, répandu le bruit que le pape allait quitter Rome, où il n’était plus en sûreté, pour se réfugier à Malte, à Fulda, ou ailleurs. Et depuis, la nouvelle revient, disparaît, reparaît. Le pape déclare solennellement à ses cardinaux qu’il considère comme impossible à Rome l’accomplissement de sa mission spirituelle. Puis, cette déclaration ne produisant pas la consternation qu’on espérait, on annonce que le pape a été mal compris et n’a jamais eu l’intention de quitter la
- ville de Pierre. Puis, les pieux monarchistes racontent qu’une grande puissance — ils ne disent pas laquelle — a offert au pape un asile. Et, finalement, des télégrammes ténébreux nous apprennent que le pape fait boucler ses malles et que, comme un conspirateur* il va quitter Rome la nuit.
- Et le pape ne s’en va toujours pas. Mais savez-vous pourquoi? Parce que Pltalie, qui ne peut pas vivre sans son pape, fait soigneusement garder par ses sbires toutes les issues par lesquelles Léon XIII pourrait s’évader nuitamment.
- Je ne me doutais pas que l’Italie eût un amour si passionné pour le pape qu’elle a réduit à la portion de territoire congrue. J’ignore, je le répète, ce que veut faire le pape, et peut-être l’ignore-t-il aussi. Mais s’il est vrai-qu’il veuille partir et qu’on l'oblige à rester, ça lui apprendra à jouer au « prisonnier du Vatican ». Il s’enfermait quand il pouvait sortir , quand il veut sortir, on l’enferme. Le prisonnier volontaire est devenu le prisonnier malgré lui. Ce serait drôle, si c’était vrai.
- *
- ¥ ¥
- 3Le® moines ©n. Suisse. — Il nous arrive de Suisse une nouvelle qui n’est pas sans importance.
- Des maristes et des capucins français, appartenant aux congrégations qui ont été dissoutes par le ministère Ferry pour n’avoir pas voulu se conformer à la loi, avaient gagné le territoire helvétique et s’étaient établis dans le canton de Fribourg, le plus catholique des cantons de la confédération suisse.
- Le conseil fédéral suisse, s'appuyant sur l’article 82 de la Constitution fédérale, lequel interdit de fonder des couvents ou des ordres religieux et de rétablir ceux qui ont été supprimés, a invité le gouvernement cantonal de Fribourg à fermer, dans le délai de quatre semaines, rétablissement des maristes et celui des capucins et à interdire à ces peu sympathiques personnages tout autre établissement semblable sur le territoire fri-bourgeois.
- On sait qu’en Suisse les couvents ont été supprimés à la suite de la guerre civile, dite du Sonderiund, suscitée par le clergé romain en 1816. Seuls, les religieux de quelques couvents isolés et non impliqués dans ce mouvement clérical ont été admis à finir leurs jours dans les établissements où ils vivaient à la date de l’insurrection, Ces couvents ne peuvent recruter de nouveaux adeptes et aucun nouveau couvent ne peut se fonder.
- G’est ainsi que la loi suisse a réalisé ce que l’ancien conseiller national Gamperio appelait en 1846 « réchenille ment des moines. »
- Peut-être les législateurs de la République française, constamment aux prises avec des congrégations qui finissent par former un Etat dans l’Etat, feraient-ils bien d’étudier une législation qui amènerait progressivement chez nous à l’égard des couvents l'état dé choses qui règne en Suisse.
- ALLEMAGNE
- Bî. de Bismarcket les Corporation®. —
- Après avoir rompu ouvertement avec le libéralisme parlementaire, après avoir contresigné le rescrit royal du 4 janvier, cette affirmation solennelle de l ab-mlu-tisme monarchique en Prusse, M. de Bismarck vient de se prononcer d’une manière plus décisive qu’il ne l’avait encore fait jusqu’ici contre tous les principes de la liberté économique en Allemagne.
- Dans la séance du Reichstag du 9 janvier, répondant à une interpellation de M. de Herting, il a annoncé que des projets d’ensemble sur la question ouvrière seraient présentés bientôt, « peut-être au mois d'avril. * Et à ce propos, il s’est déclaré le partisan convaincu et décidé « des corporations ouvrières ferméçs. » Chacune de ces Corporations comprendrait un nombre d’ouvriers déterminé.
- Tout ouvrier serait tenu de faire partie de Pune d’elles, en sorte que le travail lui serait infceJdit e»
- p.38 - vue 39/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 39
- dehors de son métier et de sa corporation, Enfin l’assurance obligatoire serait imposée par la loi à chaque ouvrier. En d’autres termes, M. tie Bismarck entend résoudre le problème social en Allemagne en restaurant purement et simplement le système des anciennes maîtrises et jurandes. Il y aurait quelque chose en plus : 1° l’assurance obligatoire ; 2° la discipline de l’Etat prussien s’étendant sur tous les ouvriers indistinctement, depuis l’enfance par l’apprentissage jusqu’au service militaire, et après le service militaire, par la corporation, légalement constituée, jusqu’au tombeau.
- M. de Bismarck a bien voulu avouer qu’il ne se rendait pas encore bien compte des voies « et moyens qu’il proposerait au parlement allemand. » C’est qu’en effet, ce qu’il propose pour la solution des questions sociales est en contradiction et en opposition avec tous les progrès qui se sont accomplis en matière économique depuis un demi-siècle et plus, non-seulement en Prusse, mais dans toute l’Allemagne.
- En politique, le chancelier s’est servi du libéralisme, du parlementarisme, du suffrage universel, de tous les moyens révolutionnaires pour reconstituer l’empire d’Allemagne sur la base de la forte discipline militaire prussienne : un chef qui commande et une nation armée qui obéit. Cela fait, il tourne brusquement le dos à tous ceux qui, dans le parlement ou hors du parlement, vivaient de l’esprit moderne. Il s’agit maintenant d’accomplir la môme volte-face sur le terrain économique, de substituer au libre-échange la protection à outrance, à la liberté industrielle et commerciale la corporation fermée et la rude discipline de l’Etat,.
- Les corporations d’arts et métiers ont pesé plus lourdement, dans le passé, sur l’Allemagne que sur n'importe quel autre pays. Il a fallu des efforts inouïs pour les extirper et triompher de leur influence néfaste. Les grandes Expositions internationales, celle de Londres surtout en 1851, prouvèrent aux Allemands combien leur avait nui le manque de liberté, le défaut d’initiative à une époque où la libre concurrence gagnait de proche en proche, avec le développement des chemins de fer, toutes les nations civilisées.
- En 1864, Bœhmer montrait les populations florissantes dans les Etats d’Allemagne où les populations, entrées en possession de la liberté industrielle, n’étaient plus étranglées par les règlements abusifs d’autrefois, comme un soldat prussien dans sa capote. En même temps se créèrent et se multiplièrent les associations libres dont Schultze-Delitsch fut le grand prombteur. Yoilà ce qu’on veut combattre et détruire, pour en revenir aux corporations de jadis, remaniées et disciplinées selon la méthode prussienne.
- Mais ce qui mérite d’être particulièrement signalé à propos de cette réforme à reculons, c’est que le gouvernement de Berlin s’est pendant de longues années servi du libre-échange, de la liberté industrielle et commerciale pour établir sa suprématie en Allemagne. La Prusse a commencé sa fortune par le Zollverein ou association douanière. Dans le préambule du premier traité signé à Berlin le 22 mars 1833 avec les deux Hesse, la Bavière et le Wurtemberg, les contractants déclarent que « leur désir est de favoriser la liberté du commerce entre leurs Etats et dans l’Allemagne en général. » Ils s'engagent à continuer leurs efforts communs « pour encourager l’industrie par l’adoption de principes uniformes, et pour que les sujets d’un Etat jouissent, d’une manière aussi étendue que possible, de la faculté de chercher du travail et de l'occupation dans un autre Etat. »
- On le voit : ce sont les principes de la liberté industrielle, du libre-échange qui sont ici affirmés, et au nom desquels on attire et ôn groupe tous les Etats allemands autour de la Prusse, à l’exclusion de l’Autriche. Ce sont les mêmes principes que l’on donne pour base aux traités signés le 2 août 1862 avec la France par la Prusse et auxquels adhéreront tous les Etats associés du Zollverein.
- La contradiction n’est donc pas moins éclatante sur le terrain économique que sur le terrain politique entre les moyens dont la Prusse s’est servie naguère pour fonder sa domination en Allemagne, et ceux dont elle I
- veut se servir aujourd’hui pour l’y maintenir et l’y consolider. Il y a là un véritable défi jeté à tout ce que la société moderne affirme être la condition même de son développement régulier,
- *
- * *
- L’attitude ouvertement despotique de l’empereur Guillaume inspiré par M. de Bismarck, cause une profonde émotion en Allemagne.
- Toute la presse libérale proteste.
- Un journal de Berlin dit : « Le peuple saura faire respecter la Constitution ; » un autre dit : « Le peuple restera derrière ses représentants pour lutter contre la tyrannie. »
- Le sentiment général est que M. de Bismarck veut précipiter le conflit en prononçant la dissolution du Reichstag, et au besoin celle* des Chambres prussiennes.
- Un fait est certain, c’est que la lutte, une lutte acharnée, est maintenant ouverte en Allemagne entre les partisans du régime constitutionnel et les tenants du régime absolu.
- L'Empire entre dans une phase de crises qui l’affaibliront au dedans, et détruiront l’action prépondérante qu’il exerçait au dehors depuis les événements de 1870-71.
- La plupart des journaux anglais d'hier matin commentent le rescrit de l’empereur d’Allemagne qu’ils considèrent comme le début d’une grave crise constitutionnelle.
- Le Standard et le Morning-Post l’expliquent sans le justifier, mais le Daily News 1© qualifie de « coup d’Etat. »
- *
- ¥ ¥
- La Gazette de Voss contenait dans un de ses numéros de la semaine dernière l’avis suivant :
- « Une veuve n’ayant pas assezr d’espace dans son habitation pour loger ses enfants, offre de les céder ensemble ou séparément à toute personne qui les désirera. »
- Et qu’on ne croie pas que ce soit là une exception. De pareilles offres paraissent par dizaine dans un même numéro.
- *
- * *
- JL,©^ docteresses. — On sait que, depuis quelques années, il s’est développé en Russie un mouvement en quelque sorte irrésistible qui porte les femmes vers les hautes études.
- On lira avec intérêt les détails suivants qui nous sont fournis sur les « femmes médecins » par le Journal de Saint-Pétersbourg ;
- Chaque année on voit se présenter aux cours de médecine un nombre de postulantes dépassant le chiffre normal d’admission (70). Il arrive souvent (notamment en 1876, 1877 et 1878) que le nombre des postulantes ayant satisfait aux exigences d’admission est du double des places vacantes. Chaque année on voit s’accroître les exigences des examinateurs ; le prix des inscriptions a été élevé de 50 r. à 80 r. (70 r. d’inscriptions et 10 r. pour frais de rémunération des examinateurs) et le nombre des postulantes, loin de s’affaiblir augmente toujours.
- Sur les 959 étudiantes qui ont suivi les cours dans l’espace de dix ans, il n’y a eu que quatre femmes impliquées dans des procès politiques et encore pour des actes de peu d'importance commis avant leur admission aux cours. Parmi les 281 femmes qui ont terminé complètement leurs études et les 152 qui ont été admises a exercer la médecine, pas une seule n’a été impliquée dans des procès politiques... Il s’est trouvé qu’avant même la première sortie des étudiantes en médecine, des femmes qui avaient terminé leurs éludes dans les universités avaient reçu la qualification officielle de « médecin ». En 1877, à la veille des examens desortie, 25 étudiantes en médecine partirent pour le théâtre de la guerre.
- p.39 - vue 40/836
-
-
-
- 40
- LE DEVOIR
- Leur activité eut un grand retentissement, non seulement en Russie, mais encore à l’étranger, et fut honorée de l'attention du dêiunt empereur, qui vit lui-même à l’œuvre ces femmes-médecins. L’inspecteur du service de santé de l’armée active a trouvé juste de demander, dans son rapport officiel de 1878, que les étudiantes en médecine qui ont participé aux opérations militaires pussent être décorées, « à titre d’exception », de l’ordre de 3aint-Stanislas de 3e classe orné de glaives.
- Après le premier examen de sortie de nos étudiantes en médecine, le conseil de médecine a sollicité en 1878 pour les femmes- médecins le droit d’exercer leur profession soit d’une manière indépendante, soit au service des zemstvos et des municipalités. Bientôt les zemstvos se montrèrent de plus en plus enclins à préférer les femmes-médecins à leurs collègues du sexe masculin. Le nombre des bourses fondées par les zemstvos aux cours de médecine pour femmes allait toujours croissant, et à l’heure qu’il est l’administration de ces cours possède toute une collection de témoignages les plus flatteurs délivrés par les zemstvos en faveur des utiles services rendus par les femmes-médecins. Ii faut noter encore que tout cela s’est produit en dépit d'une opposition assez vive de la part de plusieurs administrations provinciales, allant jusqu’à défendre aux pharmacies de délivrer les médicaments prescrits par les femmes-médecins.
- Au commencement de l’année courante le conseil de médecine a réitéré ses sollicitations en faveur des femmes-médecins, mais la question reste toujours ouverte. Il y a douze femmes-médecins officiellement attachés aux cours de médecine pour femmes. Trente femmes-médecins sont officiellement au service des zemstvos, quarante autres servent dans les hôpitaux et les hospices. Toutes portent avec honneur les insignes institués pour elles par le défunt empereur.
- En fait, l’institution des femmes-médecins existe donc en Russie, mais en droit elle n’est pas encore reconnue.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE
- IX
- C’est presque de l’établissement de l’Usine de Guise que date l’organisation des assurances qui fonctionnent actuellement au Familistère. La première constituée fut celle contre la cessation de travail pour cause de maladie ou d’accident. Les ressources en furent formées d’une cotisation de 1 1/2 à 2 p. 0/0 des salaires, du montant des amendes et retenues infligées pour malfaçons ou violation des règles de l’établissement.
- Administrée dès l’origine par un comité élu par les ouvriers, cette assurance fournissait au travailleur malade, pendant la durée de la maladie, un subside un peu inférieur à son gain habituel, soit environ les deux tiers de son salaire. Mais ce subside n’était garanti en tout état de cause que pendant un temps déterminé,et le secours ainsi octroyé cessait au bout d’une année.
- Les femmes de leur côté constituèrent une Caisse d’assurances pour elles, sur la base d’une cotisation dont le minimum fut porté à 1 franc par mois, et
- qui fut administrée par leurs propres déléguées d’après les mêmes principes que celle des hommes.
- Malgré que les deux comitéseussentdécidéplus tard d’augmenterde0,50parmois le montantdes cotisations mensuelles, et malgré les bons effets que produisait l’organisation et le fonctionnement de ces garanties qui, grâce à cette augmentation, permettaient de procurer aux membres atteints tous les soins et les médicaments durant la maladie, une lacune considé-ble subsistait encore en face de besoins qui se révélaient en dehors de ceux prévus par le réglement des assurances en vigueur.
- Outre les incapacités de travail temporaires occasionnées par la maladie ou l’accident, il y avait, en effet à en constater d’autres plus graves et plus durables, provenant 'd’infirmités ou de la vieillesse, auxquelles les fonds de ces assurances n’avaient point pour objet de satisfaire.
- Ce que voyant le fondateur du Familistère, il provoqua une réunion des comités existants, pour leur proposer l’adjonction d’une nouvelle branche d’assurances, ayant pour but de garantir une retraite aux travailleurs invalides, et des subventions exceptionnelles aux familles auxquelles, en raison du nombre de leurs membres ou de faits accidentels imprévus, les secours fournis par les caisses en fonctions ne suffisaient pas. Pleinement convaincu que la création de ce nouveau fonds d’assurances était un acte de reconnaissance dù aux services de ses anciens ouvriers, collaborateurs de sa fortune, le fondateur proposa, pour en former le capital, de faire dans la caisse de cette branche de la mutualité un versement annuel de 2 p. 0/0 du montant de tous les salaires payés par l’établissement pendant l’année, prélevé sur.les bénéfices de l’usine.
- C’est grâce à cette combinaison que l’assurance ainsi constituée a pu garantir des moyens d’existence aux invalides du travail, et satisfaire aux besoins exceptionnels survenus dans les familles à la suite de malheurs. Depuis la formation définitive de l’association, les mesures consacrées par les statuts ont créé des ressources propres à cette assurance générale, et l’ont mise en possession d’un capital qui s’élevait au dernier inventaire à la somme de 368,000 fr. environ.
- Ainsi donc, aujourd’hui l’ensemble de ces caisses est alimenté au moyen d’une cotisation individuelle de 1 1/2 pour cent des salaires pour les ouvriers de Fusine résidant au dehors, et de deux pour cent pour ceux qui habitent le Familistère. Par respect du droit de tout homme à la jouissance des ressources naturelles, et pour remplir le devoir qui en résulte pour la Société, l’industrie qui en profite
- p.40 - vue 41/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 41
- contribue à l’entietien des caisses pour une somme équivalente au montant total des cotisations, y compris l’abandon des amendes, des malfaçons outils, etc.
- Ces assurances se subdivisent donc en : 1° Assurance des pensions et du nécessaire à la subsistance, ayant pour objet de servir des pensions aux travailleurs de l’Association devenus incapables de travailler, de fournir aux associés et sociétaires malades l’allocation à laquelle leur donne droit leur cotisation, de donner le nécessaire aux familles dont les ressources seraient momentanément insuffisantes, et enfin de prendre soin des orphelins et de venir en aide aux veuves. 2° Assurance mutuelle contre la maladie, dont le but est de rétribuer les services médicaux, et de procurer les médicaments nécessaires. Ces assurances sont administrées par des délégués élus par les travailleurs eux-mêmes, et pris moitié parmi les associés ou sociétaires du Familistère, et moitié parmi tous les travailleurs indistinctement, hommes ou femmes.
- Ainsi tous les besoins sont prévus, et il y e-t sagement pourvu par l’Association. Une expérience de vingt années atteste l’excellence pratique de cette organisation de la mutualité, et il semble difficile,en présence de faits aussi clairs et aussi concluants, de ne pas reconnaître que c’est un modèle aussi parfait, que possible à imiter, un exemple à suivre par les gouvernements pour asseoir sur des bases solides la mutualité sociale.
- Chaque commune en France, par exemple, peut constituer au point de vue de la mutualité une association dont chaque habitant sera membre, moyennant une cotisation de un à deux pour cent. Les excédants de ressources de la commune, s’il y en a, les dons et legs, et la subvention de l’Etat alimenteraient également les fonds des assurances mutuelles,et leurfourniraient les moyens suffisants de parer à toutes les éventualités,de pourvoir à toutes les nécessités. Dans cette organisation, l’Etat remplirait vis-à-vis de la commune le rôle que l’industrie remplit dans l’Association du Familistère, en subventionnant la mutualité communale au prorata des versements des habitants. Ainsi, supposons que dans une commune de mille âmes, les salaires ou revenus des habitants représentent une somme annuelle de 900,000 francs ; le montant de leurs cotisations pour les assurances mutuelles de la commune serait donc annuellement de 9 à 18.00 fr. chiffres ronds. Le gouvernement fournissant une subvention d’égale somme, les ressources annuelles de l’assurance seraient donc en moyenne de 28,000 fr. ou soit 28 fr. par habitant, ce qui est à peu près la
- proportion fournie au Familistère par les ressources de la mutualité. Or, comme depuis vingt ans cela suffit largement aux besoins de toute sorte des membres de l’Association, puisqu’il y avait par exemple au dernier bilan, un solde important dans la caisse de chaque assurance, il est évident qu’il n’y a point de raison pour qu’il n’en fut point de même dans la commune, où, en général, le nombre d’habitants aisés, dispensés par conséquent d’imposer des charges à ces caisses, est plus considérable qu’au Familistère, tout peuplé de travailleurs dont le travail constitue la principale, sinon l’unique ressource.
- Pour la caisse des retraites, le capital en pourrait être formé par le gouvernement à l’aide d’un prélèvement équitable sur les successions qui, représentant la richesse, doivent être grevées des charges do la richesse. Il trouverait même à notre avis dans les biens de main-morte des ressources plus que suffisantes pour tous les besoins de la mutualité dans le pays.
- De même que dans l’Association dont nous parlons les caisses communales d’assurances mutuelles seraient administrées par des délégués de la commune élus par tous les habitants, sans que l’Etat y eût à y intervenir en aucune façon.
- Ce plan est simple et d’une mise en pratique facile. Il a été réalisé non seulement au Familistère de G-uise, mais, à son exemple, dans quelques autres usines ou administrations, quoique nulle part d’une façon aussi étendue et aussi complète. Il a donc reçu la consécration de l’expérience. Aucune objection sérieuse ne paraît possible à sa mise en œuvre sur une grande échelle, et il semble, par conséquent,que rien ne dût s’opposer à ce qu’on l’appliquât. Eh bien, qui pourra dire exactement combien il s’écoulera de temps encore avant que nos gouvernants conçoivent l’idée de s’en occuper? Sans être un grand prophète, je prédirais volontiers que notre génération passera probablement, et une autre peut-être aussi, avant cet heureux moment. Les hommes auront beau souffrir et se plaindre,réclamer à la société ce qu’elle leur poit légitimement,la Société compatira platoniquement à leurs souffrances, elle écoutera leurs plaintes avec émotion, elle répondra qu’il serait nécessaire de trouver un moyen efficace de remédier à ce mal, mais s’aviser d’aller prendre le remède où il est, c’est autre chose, l’idée ne lui viendra pas. A moins toutefois que lassé de ces souffrances,le peuple qui, en somme est la force et la puissance, ne finisse par se révolter et par imposer sa volonté à laquelle rien ne saurait résister,et que,changeant les rôles,il
- p.41 - vue 42/836
-
-
-
- 42
- LB DEVOIR
- n'en vienne à commander là où il s’est jusqu’à présent contenté d’obéir.
- Est-ce que vous n’êtes point frappé, comme moi, lecteurjde ce spectacle étrange que l’histoire de l’humanité nous offre, de gens, absolument impuissants par eux-mêmes, faisant la loi à infiniment plus forts qu’eux ? Partout, des millions d’hommes robustes et vigoureux obéissant avec une inconcevable soumission à des avortons couronnés qu’un seul d’entre eux aurait suffi à écraser. Et chose incroyable, ces chétifs monarques font souffrir de toutes manières ces millions d’hommes, en vertu de cette maxime absurde : la force prime le droit, comme si la force n’était point précisément du côté de ceux qu’on asservit de la sorte I Que pèse donc dans la balance de la destinée un Charles Stuart ou un Louis XVI, en face de la justice où même du courroux populaire ? Qu’est-ce que le prétendu droit de la naissance ou la puissance de l’argent en présence de la colère d’un peuple? Ya-t-il au monde un pouvoir, une force qui puisse dompter ce lion une fois déchaîné, ce torrent dévastateur qui brise tout sur son passage! Eh bien,malgré cela, si, fatigué de souffrir,il réclame, au lieu d’écouter ses légitimes plaintes, on cherche à les étouffer,et à une grève, les gouvernants répondent toujours par l’envoi de baïonnettes. On dit que le pouvoir aveugle ceux qui en sont investis,cela doit être,car comment s’expliquer autrement qu’ils paraissent toujours prendre à tâche d’irriter ce lion populaire qui finira par les dévorer, au lieu de se conformer à la logique du bon sens qui veut qu’on lui rende justice par équité d’abord, et par intérêt ensuite, car c’est bien du peuple que l’on peut dire avec raison ce que lo poète biblique dit de Dieu : c’est en vain qu’on bâtit une maison, si Dieu n’y aide, c’est en vain qu’on fait bonne garde si Dieu ne veille avec ceux qui le font.
- Gouvernants, classes vous disant dirigeantes, sachez donc que votre devoir strict et votre intérêt bien entendu vous obligent à donner à tous les travailleurs la juste part qui leur revient dans la satisfaction à donner aux nécessités de l’existence,et que la chose vous étant aussi aisée qu’obligatoire, vous serez sans excuse au jour peut-être proche des comptes à rendre, si vous avez continué à fermer les yeux à l’évidence et l’oreille aux inspirations de la justice. Hâtez-vous de travailler sans relâche à organiser la mutualité sociale qui seule peut donner sstisfaction aux justes et légitimes besoins des travailleurs, et mettre un terme de la sorte à leurs incontestables griefs, à leurs réclamations hélas trop fondées. C’est une mesure à prendre juste, équitable et en même temps habile, car elle sauvegardera du même coup de la façon la plus efficace vos intérêts
- les plus chers, les prétendus droits auxquels vous tenez le plus.
- suivre).
- ÉTUDES ANTICATHOLIQUES
- Y
- Les Sacrements
- L’Eglise compte sept sacrements qu’elle nomme : baptême, confirmation, pénitence, eucharistie, ordre, mariage et extrême-onction. On trouve mention de quelques-uns de ces sacrements dans l’Evangile, mais en fait, pour être exact, on doit dire qu’aucun de ces sacrements ne tire son origine de l’Evangile, puisqu’on les retrouve tous longtemps avant Jésus-Christ dans les religions de l’Inde.
- Le baptême indou et le baptêmo chrétien, tel que l’ont pratiqué Jean-Baptiste et les premiers chrétiens, ont une foule d’analogies. C’est dans le fleuve sacré le Jourdain, que Jean baptise Jésus, exactement comme les prêtres de Brahma baptisent leurs fidèles dans les eaux sacrées du Gange. D’un côté comme de l’autre, ce sacrement a la vertu d’effacer la prétendue tâche originelle. Plus tard, comme il devient impossible de présenter tous les néophytes au Jourdain, on adopte l’usage indou, en vertu duquel les brahmes, pour un motif identique, ont remplacé l’eau du Gange par l’eau lustrale, dans laquelle on fait dissoudre du sel et des aromates pour la conserver. L’eau lustrale d’ailleurs était également en usage à Rome dans les cérémonies païennes.
- Le baptême est une des plus anciennes pratiques adoptées par toutes les nations dans leurs mystères religieux, comme ablution sacrée. Les Nazaréens qui tenaient Jean-Baptiste pour leur prophète en avaient hérité de leur contact avec les Chananéens, les Phéniciens et les Perses. Les Pharisiens eux-mêmes qui, comme leur nom l’indique, étaient un dérivé de Par-sis, l’avaient reçu de ces derniers, et ils le connaissaient, s’ils ne le pratiquaient pas. En l’implantant chez les Juifs, le précurseur fournit au Christ le signe de son affiliation. « Le baptême, dit Renan, avait été mis par Jean en très grande faveur ; Jésus se crut obligé de faire comme lui : il baptisa, et ses disciples baptisèrent aussi. Sans doute ils accompagnaient cette cérémonie de prédications analogues à celles de Jean. Le Jourdain se couvrit ainsi de tous les côtés de baptistes, dont les discours avaient plus ou moins de succès. L’élève égala bientôt le maître, et
- t son baptême fut fort recherché. » Mais, comme il était nécessaire d’établir une distinction entre le
- p.42 - vue 43/836
-
-
-
- LE DEVPIR
- 43
- baptême nazaréen, nabathéen ou ébionite et le baptême chrétien, pour l’adapter aux nouveaux dogmes, on imagina de faire de l’eau le symbole du Saint-Esprit. C’est ainsi qu’une interpolation manifeste dans le texte des Evangiles fait dire à Jean qu’il baptise dans l’eau, mais queCelui qui doit venir après lui baptiserait dans le Saint-Esprit et le feu.
- Malgré ces innovations, le baptême est resté tel qu’il était,quant aux cérémonies extérieures, et il est évidemment emprunté aux Nazaréens qui ne l’avaient point inventé,et le tenaient eux-mêmes des religions antérieures de tous les pays. C’est aux Nazaréens que l’on doit attribuer le jeûne de quarante jours après le baptême fidèlement pratiqué par le Christ, qui du reste se conforma aux usages des Nazaréens, des Esseniens, des prêtres de Bouddha et autres, en portant ses cheveux longs et sa barbe entière, en prenant pour vêtement une tunique blanche sans coutures, en enseignant le mépris des richesses, l’amour du prochain, la victoire sur les passions et en parlant par figures, par images, par paraboles.
- Si du baptême, nous passons à la confirmation, dont nous ne trouvons aucune mention dans l’Evangile, car la parole : « Recevez le Saint-Esprit » est véritablement insuffisante pour constituer l’institution d’un sacrement, nous pourrons en voir l’origine dans l’Atharva Yeda (livre des préceptes), l’un des livres Vedas de l’Inde. Il s’exprime ainsi :
- « Quiconque, avant l’âge de seize ans, n’a point fait confirmer dans le temple sa purification par l’onction de l’huile sacrée, l'investiture sanctifiée et la prière de la Sâvitri, doit être chassé du milieu du peuple comme un contempteur de la parole divine. »
- Et le Code de Mianou (livre II, Sloca 38 et 39), est conçu en ces termes ;
- « Jusqu’à la seizième année pour un brahme, jusqu’à la vingt-deuxième pour un tchatrias, jusqu’à la vingt-quatrième pour un vaisya, le temps de l’investiture sanctifiée par la Sâvitri n’est point encore passé.
- « Mais au delà de ce terme, les jeunes hommes de ces trois classes, qui n’ont pas reçu ce sacrement en temps convenable, seront déclarés indignes de l’initiation, excommuniés (viâtyas), et livrés au mépris des honnêtes gens. »
- En présence de ces textes on peut se passer de commentaires, car ils démontrent jusqu’à l’évidence que ce sacrement,dans le christianisme, n’est qu’une copie servile d’une pratique des cultes anciens de l’Asie. On est surpris de retrouver dans ces religions tous les rîtes, les cérémonies et jusqu’aux formules employées dans le rituel chrétien. Non contente «remprunter ees pratiqués extérieures aax cultes
- orientaux, l’Eglise en a même pris en dehors de la religion, à la Cabale, par exemple. Ainsi les formules de l’exorcisme de l’eau, du sel et du mauvais esprit sont à peu près identiques dans le cérémoûial cabalistique et dans celui du catholicisme.
- Longtemps avant que le signe de la croix fut adopté comme un symbole chrétien, il était en usage, comme signe de reconnaissance parmi les néophytes et les adeptes des religions anciennes. Il était pratiqué en Egypte dans les mystères, au temps des Pharaons, il appartenait également à^a Cabale, et il marquait les oppositions de l’équilibre quartenaire des éléments. Les prêtres et les initiés ne le faisaient pas de la même manière que les néophytes et les profanes. L’Apocalypse est d’ailleurs toute remplie d’expressions cabalistiques.
- Le troisième sacrement, la pénitence, est également originaire de l’Inde. « Les anciens brahmes, dit Jaeolliot, étaient juges, recevaient l’aveu public des fautes, et appliquaient les peines. Les apôtres s’arrogèrent les mêmes fonctions, et établirent les confessions publiques, seules en usage, ainsi qu’on le sait, pendant les premiers temps de l’Eglise.
- « Ce n’est que plusieurs siècles après Jésus-Christ que les évêques remplacèrent l’ancien mode par la confession particulière, pouvoir occulte dont le but démoralisateur est trop facile à signaler. »
- Quelle est la part que le fondateur du christianisme a prise dans l’institution de ce sacrement ? Nulle part il n’a parlé de confession. Il a bien donné à ses apôtres le pouvoir de lier et de délier, de remettre ou de retenir les péchés, mais c’est tout. Ses ministres ont ainsi la faculté d’absoudre ou de ne pas absoudre du pêché, mais non point celle d’obliger les fidèles à venir à huit-clos raconter leurs faiblesses. Nous savons bien que les théologiens nous disent : Pour prononcer un jugement sur des fautes il faut bien que les juges apprécient, et comment pourraient-ils les apprécier si l’on ne les leur fait pas connaître? Mais cet argument n’est que spécieux; les prêtres ne sont point chargés d’apprécier les fautes, et ils n’ont même pas besoin de les connaître. Ce qu’ils ont à juger, ce sont les dispositions du pénitent, son degré de repentir, sa volonté de s’améliorer, puisqu’ils absolvent des crimes les plus abominables les pénitents bien disposés, et qu’ils refusent l’absolution à ceux qui ne leur paraissent pas dans des dispositions convenables, quelque légères que soient leurs fautes. Or pour cela,la connaissance des péchés n’a aucune utilité. Le Christ lui-même leur en a donné l’exemple, lorsqu’à des personnes sollicitant de lui une guérison où une grâce quel-* conque, il répond : Allez, vos péchés vous sont remis
- p.43 - vue 44/836
-
-
-
- 44
- LE DEVOIR
- sans qu’il y ait eu de leur part le moindre aveu. Et à ceux qui semblent étonnés de cette conduite il dit : C’est votre foi qui vous a sauvé. Ainsi, c’est la foi de la personne, et non point sa confession qui a motivé le pardon accordé de la sorte.
- Ce n’est pas tout encore. Pour être juste, il faudrait ajouter au pouvoir de remettre les péchés,celui de réparer les conséquences qu’ils auront pu avoir. En effet, supposons un homme qui a tué un père de famille dont le travail faisait vivre sa femme et ses enfants, et brûlé sa maison. Il est pris par la police, traduit devant les tribunaux et condamné à mort. Dans l’intervalle entre la condamnation et le supplice, il se réconcile avec Dieu par la pénitence, et il meurt pardonné, absous, indemne. Ce criminel dans ces conditions n’est-ii pas mieux traité moralement que cette malheureuse veuve et ces orphelins que son crime a voués à la misère et à la souffrance, en les privant d’asile et de soutien ? Est-ce équitable et juste? Evidemment non, et, par conséquent, quoi qu’on en dise, cela est impossible, parce que Dieu n’a pas pu le vouloir. Pour être juste,il faudrait, en même temps que l’on accorde l’absolution de la faute, rendre à la vie la victime afin de réparer le mal causé à sa famille, en un mot, remettre les choses en l’état où elles étaient avant le crime.
- La communion et le sacrifice de la messe se retrouvent aussi, comme les sacrements précédents, dans la religion Brahmanique. C’est le Sarmaveda, sacrifice universel symbolique de la création, dans lequel Brahma est tout à la fois le sacrificateur et la victime, comme Jésus dans le sacrifice catholique. L’offrande, dans la religion Indoue, se compose d’une galette de riz arrosée de beurre cl irifié que le brahme doit manger après l’avoir offerte à Dieu et sanctifiée par ses prières. Les fidèles étaient tenus de leur côté de manger dans le temple avec le prêtre la farine, le riz, et les fruits offerts en sacrifice, et cette nourriture purifiait de toutes les souillures :
- Dans les mystères des religions antiques, le pain et le vin étaient présentés symboliquement par l'hiérophante initiateur au candidat, avant la révélation de l’initiation définitive, et le néophyte mangeait et buvait, pour montrer que l’esprit doit dominer la matière, c’est-à-dire que la divine sagesse allait s’emparer de ce corps par la révélation qui allait lui être donnée. Ce sacrifice était pratiqué par Melchissedec du temps d’Abraham.
- Que de querelles, de discussions, de luttes ardentes a suscitées pendant des siècles, au sein de l’Eglise, l’institution de ce sacrement? Latransubstantiation, la présence réelle, ou simplement symbolique, niai-
- series solennelles, outres pleines de vent, que de larmes, que de sang elles ont fait répandre! Toutes les hosties consacrées dans le monde entier ne valent pas une goutte de sang, dont les ministres du Christ se sont montrés si prodigues, au sujet de ce sacrement institué par le Christ comme un symbôle d’union et de concorde, comme un gage de paix et de fraternité. Pauvres insensés qui prêchent une religion dont ils n’ont pas compris le premier mot depuis dix huit siècles !
- Le sacrement de l’ordre, qui est de création apostolique, est encore une imitation du Brahmanisme. Les prêtres de Brahma étaient, comme les nôtres, oints avec de l’huile consacrée, les consécrateurs leur imposaient les mains,et ils portaient la tonsure et recevaient l’investiture de la ceinture sacrée. C’est aux religions antiques que sont empruntés tous les ornements sacerdotaux des ministres catholiques. La tiare papale était la coiffure des démiurges et des anges de l’Assyrie chez lesquels elle était surmontée de l’emblème de la trinité mâle, la croix. La mitre était également une coiffure sacerdotale antique que l’on retrouve dans la Chaldée ; la crosse n’est autre chose que le bâton des augures d’Etrurle, la tonsure est une imitation de la couronne que portaient les prêtres du soleil en Perse et à Heliopolis. Le pallium était porté par les prêtres assyriens et égyptiens, il était parsemé de taus égyptiens qui sont aussi la croix de Bouddha, emblème féminin de la trinité dans l’unité, Yarba ou le quaternaire mystique. Les cloches viennent également des pagodes Bouddhiques.
- Est-il nécessaire de poursuivre cet inventaire, et d’indiquer l’origine de l’amict, de l’aube, du cordon, de l'étole,du manipule, de la chasuble, de la chape et du pluvial? Tout cela se retrouve dans les cultes antiques, mais nous n’en finirions pas si nous voulions tout indiquer.
- Le sacrement de l’ordre comprend cinq degrés, sans compter le degré suprême, l’épiscopat. Ce sont la tonsure, les ordres mineurs, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise ; chacun de ces grades confère des droits particuliers, dont le détail n’offrirait aucun intérêt, et que d'ailleurs les évêques eux-mêmes ne respectent plus aujourd’hui, puisque l’on en a vu tout récemment poursuivre devant les tribunaux des prêtres, pour leur faire interdire le port de la soutane, contrairement au principe ecclesiastique, qui imprime un caractère indélébile au sacrement de l’ordre, et qui confère au simple cLrc, et à plus forte raison au prêtre, le droit inaliénable de porter l’habit ecclésiastique.
- C’est surtout pour le sacre de ses pontifes que
- p.44 - vue 45/836
-
-
-
- LE DEVOIR!
- l’église déploie ses plus éclatantes magnificences. Le temple est orné de guirlandes sur lesquelles se détachent de pilier en pilier ou d’espace en espace les armes du consécrateur alternant avec celles du consacré. Tout ce que le trésor de l’église renferme de plus précieux pare le sanctuaire où un autel provisoire est dressé pouri’évêque élu à droite du maître autel, où se tiennent le consécrateur et les deux évêques assistants. La présence d un clergé nombreux, l’or des ornements, des croix et des chandeliers d’autel, l’éclat des cierges, le parfum de l’encens, la beauté des chants lithurgiques, les accents harmonieux des orgues, tout contribue à faire de cette cérémonie une des plus imposantes du culte.
- A un moment donné, le nouvel évêque étant prosterné, la face contre terre, on le charge de la crosse, de la croix épiscopale,du livre des Evangiles, de tous les ornements, comme pour lui indiquer qu'en lui conférant l’épiscopat, c’est un lourd fardeau qu’on lui impose et qu’il accepte. Tandis qu’aux simples prêtres le pontife n’oint de saint-chrême que le pouce et l’index de chaque main, à .’évèque, c’est la paume entière, et la tête que le consécrateur recouvre du baume sacré. On le revêt ensuite graduellement des ornements pontificaux, l’amict, 1 aube, la ceinture, l’étole, la croix pectorale, la tunique, la dalmatique, la chasuble ou la chape, suivant le moment, ainsi que le manipule pour la messe, la mitre et la crosse, qui avec la croix, d’or et l’anneau sont les insignes spéciaux de sa dignité.
- La messe célébrée ensuite simultanément par le consécrateur et le consacré, chacun à son autel, ce dernier, mitre en tête et crosse en main, va offrir au consécrateur des dons d’actions de grâces sous forme de deux pains et de deux barils, l’un argenté et l’autre doré, il lui souhaite longue vie à trois reprises, ad multos annos, et la cérémonie est close par la bénédiction pontificale et le Te Deum.
- Toutes ces pratiques sont des réminiscences des cultes antiques desquels sont tirés la mitre, la crosse, la croix, la pallium des archevêques,la chasuble, le surplis, la tonsure, les pains et les barils de vin, etc.
- Avons-nous besoin de parler du mariage, dont les cérémonies ont une si frappante analogie avec celles des mariages de l’antiquité ?
- Quant au dernier des Sacrements, l’Extrême Onction, nous n’en voyons ni l’origine, ni l’utilité, car quelques formules niaises et quelques insignifiantes pratiques ne peuvent avoir aux yeux des gens sensés la moindre valeur, et il nous semble matériellement impossible que Dieu y attache un prix quelconque. S’il nous était permis d’employer une locution tri—
- 4B
- [ viale pour exprimer notre opinion au sujet de ce Sacrement, nous dirions qu’il nous paraît aussi utile qu’un cautère sur une jambe de bois.
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- I
- X>e Oh.arleiiia.g-ne à François Ier
- Charles Martel damné pour s’être emparé des biens de l’Eglise et en avoir doté ses Leudes, eut pu être roi s’il l’eut voulu. Il dédaigna la couronne.
- Pépin, son fils, au contraire la crut nécessaire à sa politique, et pensa qu’il l’affermirait bien solidement sur sa tête et celle de ses successeurs, s’il ?e faisait un allié du clergé. Cette alliance, comme il la désirait, n’était possible qu’en se rendant préalablement indispensable à ses amis et redoutable à ses ennemis. Au bout de huit ans de guerres et de négociations le moment lui parut favorable,et il proposa au Pape ce cas de conscience.
- « Faut-il que le titre de roi appartienne à un individu incapable de régner, quand le pouvoir royal est « entre les mains d’un homme qui l’exerce bien? »
- La réponse n’était pas douteuse. Le pape Zacharie, par l’autorité de saint Pierre, manda au peuple des Francs que Pépin qui possédait la puissance royale devait aussi jouir des honneurs de la royauté. Pépin fut donc, après avoir été élu dans la forme habituelle, oint comme roi par saint Boniface.
- Cette consécration religieuse faisait du nouveau roi non pas seulement un allié, mais encore un membre du clergé. Comme tel il se trouvait autorisé à se mêler des affaires de l’Eglise ; mais aussi comme tel il pouvait et devait s’attendre à ce que l’Eglise cherchât de son côté à se subordonner la royauté dans sa personne, à faire de lui, en quelque sorte, son pouvoir exécutif et à voir s’établir ia doctrine que ceux qui avaient fait le Roi pouvaient le défaire.
- Un an plus tard, le 28 juillet 754, l’onction de l’huile sainte fut de nouveau conféré au monarque et à ses deux fils, par le pape Etienne, successeur de Zacharie. « Il fut interdit aux Francs, sous peine d’excommuniation.d’élire jamais un roi issu des reins d’un autre homme que Pépin. » Enfin le titre de Patrice Romain lui fut également donné. L’empereur ne comptait plus.
- Cette cérémonie du sacre est l’origine du droit divin. Le droit d’élection de la part du peuple cesse d’être la loi vivante,et c’est sur le nouveau droit que s’appuiera au moyen âge le système social dans lequel le Pape sera le souverain suprême, comme re-
- p.45 - vue 46/836
-
-
-
- 46
- LE DEVOIR
- présentant de Dieu sur la terre. Un peu plus tard, la donation faite par Pépin au siège apostolique de l’exarchat de Ravenne et d’autres cités par lui conquises, place le pontife de Rome parmi les souverains temporels.
- Enfin en soumettant les affaires importantes et la confection des lois aux assemblées d’évêques et de seigneurs : Plaids, champs de mars et conciles, en restituant au clergé une partie des biens pris par Charles Martel, en lui laissant comme corps, un grand crédit dans les champs de mars changés complètement par cette innovation, Pépin sembla ouvrir une ère nouvelle dans les rapports de l’Eglise et de l’Etat.
- On tenta, en effet, selon l’expression des Capitulaires de Çarloman, de ramener l’Eglise vers la loi de Dieu altérée, et si une part assez large lui fut concédée dans la puissance politique, du moins, en lui rappelant en principe ces paroles de l’apôtre ; « Qu’aucun homme engagé au service de Dieu ne doit se mêler des affaires temporelles » lui fit-on entendre clairement qu’elle ne devait pas abuser des concessions qui lui étaient faites, et qu’il importait avant tout qu’elle ne perdit pas de yue sa mission évangélique.
- Recommandation Vaine ! On était loin des âges apostoliques,et la mission était entendue bien autrement que dans le principe. On se faisait humble vis-à-vis du fort, lorsque ce fort donnait ; mais que la main cessât de faire sentir sa puissance et de s’ouvrir pour donner, l’humilité se changeait en arrogance,et l’anathème succédait à la bénédiction sur la tête du donateur,
- Continuateur de l’œuvre de Pépin en l’élargissant encore, Charlemagne, son règne et celui de ses successeurs sont une preuve de,quelques réflexions précédentes.
- Malgré la donation de Pépin 4 l’église, donation confirmée et considérablement augmentée par Charlemagne, en 774, le clergé et la noblesse étaient loin de vivre en bonne intelligence. Les précaires établis par Pépin ne contentaient personne; car tandis que les nobles, au lieu de restituer les biens qu’ils possédaient ayant appartenu au clergé et qu’ils devaient lui rendre à la mort des usufruitiers, prétendaient qu’il était de l’intérêt de l’Etat de continuer les précaires en conservant lesdits biens, les prêtres, eux, ne cessaient au contraire d’en réclamer la restitution* Il fallut l’intervention de Charlemagne pour amener les deux ordres à se faire des concessions mutuelles,et à terminer ainsi leurs querelles, Le roi donna lui-même l’exemple de ces concessions.
- Dans un voyage, le 2» qu’il avait fait à Rome, il
- avait reçu du pape et des Romains, outre la dignité de Patrice, le droit de donner l’investiture des évêchés et même de nommer les papes. Il renonça à ce droit et rendit au peuple et au clergé la liberté des élections.
- Les nobles furent ainsi conduits à bien vouloir contribuer aux réparations des églises et des monastères dont ils avaient les terres, et à payer la dixme (dîme) des récoltes de ces terres, moyennant quoi,du consentement du clergé, ils restèrent définitivement en propriété des précaires.
- D’un autre côté, les justices seigneuriales que le clergé s’était faites, lui furent confirmées et les droits y attachés furent aussi étendus que ceux dont jouissaient les justices des seigneurs laïcs.
- Enfin on maintint expressément le privilège de cléricature consistant en ce que, dans aucune occasion, les ecclésiastiques d’un diocèse n’eussent d’autre juge que leur évêque.
- Néanmoins, le roi, non-seulement ne voulut pas abandonner le gouvernement de l'église à elle-même, mais encore il voulut là comme ailleurs, conduire la société, « entraînant les autres derrière lui. Il y avait réellement chez les prêtres décadence morale et intellectuelle ; il ne pouvait donc espérer d’eux l’assistance qui lui était nécessaire qu’en les relevant, C’est ce qu’il fit en ne permettant pas de don« ner les dignités ecclésiastiques à des hommes dont la science et la vertu n’étaient point à la hauteur de ces dignités, La surveillance qu’il exerça sur l’épiscopat au moyen de ses envoyés royaux, la discipline rétablie et les études restaurées; la réforme dans les institutions monastiques, les prescriptions rela* tives à l’ordination des prêtres, les remèdes apportés aux abus qui s’étaient introduits dans le droit d’asile, l’interdiction aux évêques de la chasse et de la guerre, furent autant de mesures qui rendirent à l’épiscopat l’ensemble qui fait la force et la régularité qui fait la vie, force et vie dont il allait se seryir après la mort du maître, pour transformer à son pro-fit l’œuvre de celui-ci. La rédaction des contrats de mariage et des testaments qui fut accordée aux desservants des paroisses déjà en possession du baptême, c’est-à-dire de l’enregistrement de la naissance, ne contribuèrent pas peu à accroître leur influence. Mais, nous le répétons, sous la surveillance du monarque, sous sa direction suprême, cette in* fluence ne put créer, tant que le grand roi vécut, un autre Etat dans l’Etat. Ce ne fut qu’après sa mort et lorsque le sceptre tomba entre de faibles ou inhabiles mains, que se développe la puissance temporelle de l’église, aidée des armes spirituelles qu’elle pos* sédait et dont l’usage qu’elle faisait tournait à son
- p.46 - vue 47/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 47
- profit, même lorsqu’elle les mettait au service des autres.
- C’est ainsi qu’en 787, plus riche encore de six villes nouvelles que venait de lui donner Charlemagne après les avoir conquises sur le duc de Béné-vent, le St-Siége, sous le prétexte de punir le duc de Bavière de sa mauvaise foi vis à vis du roi,- lança sur lui les foudres de l’excommunication, déclarant que « le roi et son armée ne seraient coupabl s d’aucun péché, pour les homicides, les incendies et les autres maux qui arriveraient en Bavière. » C’était sous le voile de la reconnaissance et sous le prétexte de sévir justement contre un coupable, établir un précédent, s’arroger le droit d’interdit sur le temporel des princes souverains, autoriser les crimes qui répugnent le plus à l’humanité.
- En 799, le Souverain-Pontife Léon III accusé de grands crimes par les Romains, étant parvenu à s’échapper du couvent où il avait été jeté, vint trouver le roi à Paderborn (Saxe) et se placer sous sa protection. De longues conférences eurent lieu entre eux. Qu’y fut-il décidé ? Nul n’a été mis dans la confidence, mais on peut le deviner ou le présumer d’après les événements qui suivirent.
- Léon III retourna à Rome comblé d’honneurs pour y attendre Charlemagne qui devait venir en personne sur les lieux pour faire justice. Il y vint en effet en 800 et le procès du Pape commença. Il ne fut pas de longue durée, car à peine assemblés les Evêques déclarèrent qu’ils ne pouvaient juger le siège apostolique, par lequel tous sont jugés, tandis qu’il ne peut l’être par personne : Le Pape jura qu’il n’était pas coupable et tout fut dit.
- « Le jour de Noël suivant, 25 de décembre, le Roi « vint à Saint-Pierre entendre la Messe. Comme il « était debout, incliné devant l’autel pour faire sa « prière, le Pape lui mit de sa main sur la tête une « couronne précieuse et en même temps tout le peu-« pie de Rome s’écria : A Charles Auguste, couronné « de la main de Dieu, grand et pacifique Empereur « des Romains, "Vie et Victoire ! Après les acclama-« tions réitérées, le Pape l’adora à la manière des « anciens Princes , c’est-à-dire qu’il se prosterna « devant lui, le reconnaissant son souverain. Ainsi « le nom d’Empereur Romain éteint en Occident « l’an 476, fut rétabli après 324 ans. »
- Charlemagne “crut* par cette cérémonie , avoir relevé la chose romaine, mais il n’avait relevé que son nom. Son système de monarchie n’avait préparé que le triomphe de l’aristocratie féodale et de la domination universelle des Papes. L’œuvre d'unité et de centralisation qu’il poursuivit jusqu’à sa mort arrivée en 814, c’est-à-dire un an après avoir fait
- reconnaître Louis, son troisième fils, comme Roi et Empereur, ne devait pas lui survivre longtemps.
- II
- Le Clergé comprit de bonne heure, après la mort de Charlemagne, que si celui-ci s’était servi de lui comme d’un moyen politique, Louis le pieux ou le débonnaire, comme on voudra l’appeler, se soumettrait à lui comme à une puissance. Les papes qui se succédèrent sur le trône pontifical ne manquèrent jamais, tant que vécut le grand Empereur, de solliciter la confirmation impériale avant d’être ordonnés. Etienne IV qui venait d’être élu, (en 816), se fit, lui, ordonner avant de demander cette confirmation. IL se hâta, il est vrai, de se faire excuser auprès de Louis de cette violation d’un droit qu’entraînait avec soi la restauration de l’Empire, mais le fait n’en est pas moins significatif, et il l’est rendu encore davan* tage par l’humilité que le Roi témoigne à Etienne, lors de sa visite que lui fit celui-ci en Gaule. S’étant avancé à un mille du monastère de Saint Remy, hors Reims, au-devant du Pape, Louis se prosterna par trois fois devant lui en le saluant de ces paroles ; « Béni soit celui qni vient au nom du Seigneur v à quoi Etienne répondit : « Béni soit Dieu qui nous a fait voir de nos yeux un second David. »
- Le dimanche suivant eut lieu le sacre de Louis comme Empereur. « La nécessité du couronnement », dit Henri Martin, « s’accrédita un peu plus tard, mais d’une manière analogue à la nécessité du consentement de l’empereur à l’élection du pape. »
- i Suivre).
- tTAT-CIVIL DU FAMILISTERE
- NAISSANCES
- 31 Décembre.— Louis Emile-Ernest, fils de Louis Eugène et de Pagnier Adèle.
- 9 Janvier. — ilerny Lydie, fille de Herny Henri et de Darsonville Marie.
- DÉCÈS
- Le 6 Janvier : de Masse Charles, né le 13 octobre 1881.
- MARIAGE
- Le 7 Janvier : de Gardet Honoré et deDuchemin Louise.
- Le Directeur-Gérant : GODIN.
- L’ÉCOLE
- BEVUE SE l'INSTRUCTION PKMAIBE, PARAISSANT V& MMAHCUB
- B»*ect«ua : 3. SAiNT-ÜAHTHf, député.
- Pédagogie théorique pratique. — Sciences naturelles.
- — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour !es brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique. — histoire. — Littérature. Musées séolakes. — Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le teste.
- $ fr.pOT an. Les aibotmemenls partent du ï« de chaquemois.
- On s'abonne en envoyant un mandat-poste ,à l’ordre de
- M.PICARD-BËRNHËIM Q fj tt, rue Seafflot, à Pad«.
- p.47 - vue 48/836
-
-
-
- EN VENTE
- MUTUALITÉ SOCIALE
- ET -,v
- ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- ' ou
- EXTINCTION DU PAUPÉRISME
- Par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production contenant les statuts de la Société du Familistère de Guise
- Far QOÏ3I3V
- Broché avec la vue générale des établissements de l’Association. . . 5 fr. ; sans la vue 4 fr.
- DU MÊME AUTEUR
- SOLUTIONS.SOCIALES, 1 volume de 655 pages, avec la vue générale du Familistère, les vues intérieures, plans et gravures, édition in 8, 10e édition grand in-18. . . 5 fr.
- Les ouvrages ci-dessus sont en vente à la librairie du Devoir ainsi que chez Guillaumin et Ge libraires, 11, rue Richelieu et à la librairie Ghio, 1, 3, 5,7 galerie d’Orléans, Palais-Royal, à Paris.
- OU MÊME AUTEUR à la Librairie du DEVOIR:
- La Politique du travail et la Politique des privilèges, volume de 192 pages. . 0.40 c.
- La Souveraineté et les Droits du Peuple, volume de 192 pages...................0.40 c.
- La Richesse au service du Peuple, volume de 192 pages..........................0.40 c.
- Les Socialistes et les Droits du travail, volume de 192 pages..................0.40 c.
- Histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, de G. J. HOLYOAKE, résumé extrait et traduit de l’Anglais, par Marie MO R ET....................... . . 0.75 c.
- COLLECTION DU DEVOIR
- 1er volume broché, 432 pages.................... 3 francs.
- 2e » » 464 d .................... 3 »
- 3e » » 624 » 4 50
- 4e » » 832 » 6 »»
- 5e » » 864 3> 6 »»
- EN PRIME AUX ABONNÉS OU « DEVOIR »
- U FILLE DE SON PÈRE. par Mme Marie Howland, volume de 650 pages au prix
- réduit de 1 fr. 50.
- Ge dernier volume se vend également au prix de 3 fr. 50, chez Ghio, éditeur, 1, 3, 5, 7, Galerie d’Orléans, Palais-Royal, Paris.
- Ces ouvrages soitt envoyés franco contre mandats ou timbres-poste adressés au gérant du Devoir, à Guise (Aisne).
- Saiat-Qwaün—lmp. fe U Société anonyme du Glaaaur
- p.48 - vue 49/836
-
-
-
- 6> ANNÉE, TOME 6 — N* 177
- ijt numàv ieliomadairs 20 e, DIMANCHE 29 JANVIER 1882
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LETMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- J9k. w m es®
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Questions sociales : Capital de la Mutualité. — Voyage autour du Familistère, IIe X. — Faits politiques et sociaux. — L'Eglise et l'Etat, de Charlemagne à François PT (Suite). — Coopération en Angleterre. — Causerie anticatholique et religieuse: Trafic des choses saintes. — Etat civil du Familistère. — Causerie scientifique. — Variétés.
- ERRATUM
- Dans notre dernier numéro, article : « Voyage autour du Familistère», page 41, une erreur de com.. position nous faisait dire que le montant des cotisations des habitants de la commune serait annuellement de 9 à 18,00 fr. au lieu de 9 à 18,000. Le zéro final qui manque rend les chiffres aussi inexats qu’incompréhensibles.
- LES QUESTIONS SOCIALES (1)
- XI
- Capital <3.e la mutualité. — Successions & héritages.
- J’ai posé en principe que l’Etat devrait posséder en faveur des masses populaires un capital social dont les revenus serviraient à la garantie de leurs droits à l’existence. Jusqu’ici la propriété n’a servi qu’aux privilégiés de la fortune. J’ai montré comment elle doit désormais servir à tous les hommes.
- La justice voulant que les bienfaits de la richesse profitent à tous les membres de la Société et surtout à ceux qui les font naître, j’ai posé, comme condition nécessaire de l’organisation des garanties mutuelles, qu’un prélèvement fut fait par l’Etat sur les successions ou héritages.
- Je dirai même que l’Etat devrait rentrer en pleine possession des fortunes lorsque la succession n’a pas d’héritiers directs. Il est temps de reconnaître que nos lois sur l’héritage ne sont que de vieilles coutumes qui n’ont aucune justification devant la raison moderne. Nous les conservons ainsi parce qu’elles sont ainsi faites, mais nous les conserverions autrement si le passé nous les avait autrement léguées.
- Notre époque de progrès ne pourra pas toujours rester stationnaire sur les questions qui touchent à l’organisation de la propriété et de la richesse générales. Là comme ailleurs, il faudra bien apporter les améliorations que le temps aura rendu nécessaires.
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre; 4, 11, 18, 25 décembre 1881 ; 1, 15 et 22 janvier 1882.
- /
- p.49 - vue 50/836
-
-
-
- 50
- LE DEVOIR
- Or, il semblera tout à fait légitime de poser, dans J un temps assez rapproché, la question de l’organisation de la propriété sur des bases plus justes et plus équitables. On pourra se demander avec raison en vertu de quel principe d’équité, quand un homme délaisse ses biens par la mort et qu’il n’a pas d’enfants ou d’héritiers du sang ayant pu prendre part à l’édification de sa fortune, cette fortune peut passer en des mains étrangères qui n’ont rien fait pour l’édifier ; lorsqu’au contraire les travailleurs qui ont concouru à la création de ces biens n’en héritent rien.
- Il n’y a d’autre raison à faire valoir pour expliquer la cause de ces dispositions de nos lois que la tradition et la coutume : on fait ainsi parce qu’on le faisait autrefois.
- Dans les sociétés antiques, des castes et des clas-ses’étaient établies ; les liens de familles et les droits d’héritage constituaient les démarcations qui séparaient les esclaves et les serfs des hommes jouissant du droit de propriété. Ces lois serviles ont disparu, mais un reste de tradition a perpétué l’hérédité sur les bases antiques.
- Ne serait-il pas plus juste, au lieu d’abandonner ainsi les fortunes délaissées à des personnes qui souvent possèdent déjà de grandes richesses, de restituer ces biens au travail qui a servi à les édifier, à les conserver et à les rendre fructueux.
- Il convient donc que l’Etat établisse un impôt sur les successions en général, impôt qui doit rendre au fonds de garantie des classes laborieuses l’équivalence du capital obtenu à l’aide du concours de la nature et des services rendus par le domaine public. Mais il convient tout autant que les fortunes qui n’ont pas d’héritiers directs rentrent tout entières dans le fonds des garanties mutuelles.
- J’entrevois qu’ici va naître cette objection : Que fera l’Etat de cet impôt de mutualité sur les successions et des biens qui s’accumuleront entre ses mains par les héritages à défaut d’héritiers directs ? Tout s’enchaîne en effet dans l’ordre social ; le déplacement d’un rouage exige la création d’un rouage nouveau. Mais heureusement celui qui doit remplacer le régime irrationnel et vieilli du droit de succession sera un grand bienfait social. qüi, non-seulement a ce mérite inappréciable de restituer à tous les garanties du droit à Vexistence, mais de servir en même .temps à la solution de ce double aspect de la question sociale : Vorganisation du travail et Vassociation du travailleur aux bénéfices de la production.
- Si, en effet, U est pressant au point de vue du de- i
- voir social d’instituer les garanties de l’existence, il ne l’est pas moins, au point de vue de la paix publique, d’organiser le travail et d’instituer les rapports entre directeurs et ouvriers, entre l’administration et le travail, sur des bases rationnelles et légitimes, donnant satisfaction à tous les intérêts.
- Ce problème ne se résoudra que par l’association de tous les concours producteurs, donnant à chacun d’eux, dans les résultats de la production, une part proportionnelle à la valeur de son concours.
- Telle est la grande question que je veux faire sortir de celle des garanties de l’existence.
- Nous venons de voir, en effet, que lEtat rentrant en possession d’une certaine partie des fortunes accumulées, peut se .trouver détenteur de biens considérables.
- Or, je ne propose pas que l’Etat exploite par lui-même ces domaines. Il n’en deviendrait propriétaire que pour faire passer les revenus à leur destination sociale.
- Ce rôle de propriétaire n’est pas aussi difficile que celui d’industriel. L’Etat ne sera pas embarrassé pour le remplir. Il le fait déjà pour les domaines qu’il possède. Il est vrai que jusqu’ici la direction des domaines de l’Etat n’a guère eu pour objectif de résoudre les problèmes sociaux, ni de venir en aide au travail. Au contraire, nos domaines nationaux sont souvent cause de la destruction des récoltes de nos laboureurs, par l’entretien du gibier en vue des chasses princières dont les classes dirigeantes ont encore besoin même sous la République.
- Il n’en sera pas ainsi des nouveaux domaines et des valeurs qui tomberont entre les mains de l’Etat, au profit de la mutualité nationale. Pour ceux-là d’abord, il n’y a à demander au gouvernement aucune sorte d’intervention dans l’exploitation. Tous ces biens, l’Etat les laisse à l’exploitation privée. Il les loue, les afferme, comme un simple propriétaire et il en touche les revenus.
- Quant aux valeurs mobiliaires, l’Etat en devient le dépositaire. Il les inscrit au compte de la mutualité nationale et lui en sert les intérêts.
- Mais s’il doit en être ainsi aux débuts, s’il est prudent que le gouvernement évite les difficultés de gestion des biens constituant le domaine social, et qu’il écarte ainsi tout embarras et toute cause de gêne dans l’exploitation et la production de ces biens ; on conçoit néanmoins que le gouvernement peut instituer un conseil chargé d’examiner et d’étudier les voies et moyens révélés par l’expérience et la discussion, pour faire entrer ces biens dans les modes d’exploitation les plus en accord avec la justice distributive, les plus propres à établir entre tra-
- p.50 - vue 51/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 51
- vailleurs et capitalistes de tous ordres, l’équité de répartition des bénéfices provenant de l’exploitation de ces biens.
- S’il est un point sur lequel à un moment donné l’Etat serait libre d’imposer le respect des principes de la justice et des droits du travail, c’est assurément sur les propriétés et les biens qu’il donnerait à ferme, soit à des individus prenant l’exploitation à leurs risques, soit à des associations se chargeant d’exploiter ces biens collectivement. Dans l'un comme dans l’autre cas, l’Etat serait libre d’imposer dans le bail la condition de la participation des travailleurs aux bénéfices de chaque exercice, proportionnellement à la valeur du travail de chacun d eux dans les industries ou cultures louées par l’Etat.
- De cette manière, l’Etat peut aisément intervenir dans l’organisation du travail sans en assumer la direction. Il suffît que la loi pose le principe de l’association des travailleurs aux bénéfices réalisés sur les biens de l’Etat, et que le gouvernement en impose le respect à ses tenanciers, pour qu’aussitôt l’industrie et l’agriculture entrent dans une nouvelle phase d’exploitation.
- Une fois la stabilité de ce mode d’exploitation industrielle et agricole assurée par la loi et l’appui de l’Etat, les conditions les plus favorables à ce nouveau mode d’exploitation se révéleront très-vite par l’étude et l’expérience. La science de l’économie agricole et industrielle est déjà presque entièrement faite sous ce rapport. On sait la supériorité de la grande culture et de la grande industrie sur la culture et l’industrie morcelées.
- L’Etat manœuvrera donc de façon à ce que les associations de travailleurs puissent apporter dans l’atelier agricole l’aménagement le plus propre à une exploitation productive et économique, et qui permette l’emploi des procédés révélés par la science des engins et des machines créés par l’industrie. Alors l’infériorité relative de l’agriculture disparaîtra pour offrir aux regards étonnés, des champs montrant l’abondance de toutes parts.
- L’Etat fera la même chose pour l’industrie. Il concentrera les ressources qui sont entre ses mains; il aidera à l’union des travailleurs et des capitalistes. L’association industrielle marchera parallèlement à l’association agricole; les deux pourront même se fusionner. Et si, comprenant bien les immenses res sources de la mutualité et de l’association, le gouvernement, une fois entré dans cette voie, la suit avec l’amour du succès, ce sera l’œuvre la plus remarquable du siècle par elle-même et par les merveilles qu’elle réalisera. Ce serait dans un temps rapproché
- la transformation et la régénération successives des communes ou villages de France, remplaçant partout la misère par l’aisance, l’ignorance par l’instruction.
- Mais qui admettra aujourd’hui que le progrès social puisse être étudié au point de vue de profondes réformes dans l’architecture rurale? Qui ne considérera comme une utopie d’avancer que les misérables masures dont sont composés la plupart de nos villages ne sont pas le dernier mot d’un ordre social en voie de progrès ?
- Pourtant nous procédons aujourd’hui à la démolition des vieux quartiers des villes pour les rebâtir à neuf dans des conditions plus favorables à l’hygiène, à la circulation et à toutes les relations publiques. On devra reconnaître aussi, lorsqu’on s’occupera des intérêts ruraux, que le village ou la commune actuelle est établie dans les conditions les plus anti-économiques et les plus contraires à tout progrès.
- Quand l’Etat sera en possession d’usines et de domaines dans lesquels la population associée sera,par le fait même de l’association, intéressée à réaliser les conditions donnant, avec le moins d’elïort, la plus grande somme de produit, on s’apercevra bien vite que l’état actuel de nos campagnes est l’opposé des véritables conditions de l’exploitation productive de l’agriculture et de l’industrie, en même temps qu’il est l’opposé des véritables conditions du progrès et du bien-être des populations.
- Si l’on se représente que l’Etat soit entré en possession d’immeubles présentant les ressources suffisantes pour permettre à des essaims agricoles et industriels de constituer de puissantes associations,on ne peut concevoir qu’une commune nouvelle se fondant de toutes pièces puisse édifier les habitations d’après le système désordonné de nos villages actuels. Les habitations ainsi que les fermes et les ateliers ruraux seraient établis d’après un plan d’ensemble conçu en vue de la plus grande productivité possible.
- On concevrait alors que l’habitation est en connexion très étroite avec le bon emploi de l’activité humaine et que d’elle, en grande partie, dépendent le bien-être et l’état moral des populations. On n’abandonnera donc plus les constructions des nouveaux villages à l’ignorance et à l’incapacité de chacun ; la science et les mesures d’intérêt public présideront alors à l’édification de l’habitation, à la campagne comme à la ville.
- Dans les communes placées sous le régime de la participation des travailleurs aux bénéfices, cela se ferait mieux encore qu’on ne le fait actuellement
- p.51 - vue 52/836
-
-
-
- 52
- LE DEVOIR
- dans nos villes ; car alors les intérêts de la population auront un même but, celui de la prospérité gé-- nérale dans laquelle chacun trouvera un complément de fortune proportionné à ses services.
- L’habitation actuelle est édifiée sous le seul empire de vues individuelles restant complètement étrangères aux considérations d’ordre général.
- Abriter sa misère sans espoir d’en sortir sur un coin de terre que le villageois se procure suivant les circonstances du hasard, telle est souvent la cause déterminante de la construction de l’habitation des familles pauvres.
- Ainsi s’expliquent les villages sans nivellement, sans alignement, aux chaumières délabrées, aux masures insalubres construites pêle-mêle sur le bord d’étroits sentiers, souvent sans chemins accessibles aux voitures.
- Pourrait-il en être ainsi s’il s'agissait de popula tions de travailleurs placées sous la garantie du droit au nécessaire à la subsistance. Chaque individu étant considéré comme une des forces de l’association, l’intérêt collectif ainsi que le devoir social commanderait d’utiliser les services de chacun delà façon la plus profitable. L’habitation serait donc édifiée de façon à réunir pour tous les membres de l’association les conditions indispensables à l’hygiène et à la santé ; elle serait conçue en outre de manière à faciliter les rapports entre les personnes et les fonctions, dans tous les travaux de la communauté.
- Avec nos préjugés et nos vues égoïstes l’idée de présenter le logement comme une des choses comprises dans le minimum nécessaire à la vie paraîtra une idée étrange à beaucoup de personnes qui, jouissant d’un intérieur confortable, d’un bon lit et d’une bonne table, se soucient peu qu’il y ait des individus assez malheureux pour être obligés de passer le jour sans savoir où ils passeront la nuit. Et pourtant combien en est-il de gens qui n’ont aucun abri certain et combien en est-il d’autres dont l’intérieur n’est qu’un lieu de tortures.
- Ah, si les angoisses de la froidure, si les dégoûts d’un intérieur malsain et incommode étaient ressentis par ceux qui peuvent prévenir ces maux, certainement la question du logement ne serait pas considérée comme une utopie. On comprendrait que la froidure, triste campagne de la faim et de toutes les autres misères, doit au même titre mériter l’attention du législateur et qu’il ne suffît plus, lorsque la richesse publiquepeut effacer toutes ces douleurs, de se contenter de faire appel à la charité publique, mais que le moment est venu où, au nom du droit
- | humain et du devoir social, la loi ne doit plus rester indifférente sur les souffrances des déshérités de : tout bien.
- (A suivre). God in
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- j DEUXIEME PARTIE
- i
- i X
- !
- | Pleinement rassurés désormais sur le sort de ces Î braves travailleurs dont la vieillesse est à l’abri du | besoin et même de la gêne, grâce à cette admirable | organisation de la mutualité que nous avons étudiée jj dans notre précédent chapitre, nous pouvons main-| tenant poursuivre notre exploration de l'usine, l’es-J prit tranquille et l’âme en repos.
- Nous avons vu le métal en fusion coulé dans les moules prendre les diverses formes que l’on a bien voulu lui donner, et se métamorphoser suivant les besoins en grillages délicats et fins, en panneaux pleins, en pieds contournés de meubles, en couvercles de calorifères, en colonnes cannelées ou à jour, en mille objets différents, dont l’assemblage forme des appareils de chauffage plus ou moins simples ou compliqués, plus ou moins élégants et gracieux, mais toujours bien conçus, bien combinés, et parfaitement exécutés. C’est la première opération à laquelle en vont succéder beaucoup d’autres.
- A p une la pièce est-elle retirée du moule et refroidie, elle passe dans l’atelier dit de la Râperie. C’est une grande halle très longue, coupée en deux dans la longueur, comme tous les autres ateliers de l’usine, par une voie ferrée pour le passage des wagonnets, qui apportent constamment les pièces à nettoyer et emportent celles qui ont subi l’opération complémentaire du râpage. Elle consiste à debarrasser les articles de fonte des parcelles de sable des moules qui adhèrent après le démoulage à certaines parties creuses et fines. Une cinquantaine de femmes armées de petites brosses ou balais formés d’un faisceau de fils métalliques, brossent les parties ainsi obstruées, et en enlèvent les souillures du moulage.
- C’est toujours une excellente chose que cette combinaison de travaux qui permet d’utiliser le travail des femmes dans les manufactures concurremment avec celui des hommes. Les femmes en effet travaillent aussi vite et aussi bien que les hommes dans bien des parties, et beaucoup mieux qu’eux dans une foule d’autres. Tout ce qui demande du soin, de l’attention, de la délicatesse de main, peut leur être avantageusement confié, elles l’exécuteront toujours
- p.52 - vue 53/836
-
-
-
- LE DEVOIR!
- 53
- avec une supériorité réelle. C’est à tort et par suite i d’un préjugé ridicule, que l'on a considéré pendant | longtemps le travail des femmes comme inférieur, et qu’on les a tenues éloignées de certaines professions pour lesquelles elles montrent autant d’aptitudes au moins que les travailleurs du sexe fort.
- Il fut un temps où les philosophes considéraient la femme comme un être inférieur à l’homme sous le rapport de l’intelligence et des qualités de l’âme. Il y en a même eu qui n'ont pas craint de leur dénier une âme. Pour soutenir leurs doctrines insensées ils avaient recours à des systèmes très compliqués de raisonnement, invoquant des arguments aussi alambiqués que prétentieux qui ne tenaient pas un instant debout devant les faits. Que d’exemples du contraire l’histoire ne nous offre-t-elle pas, en effet?
- Y a-t-il une vertu, une haute qualité que l’on ne retrouve chez les femmes à un degré aussi élevé et plus élevé même que chez les hommes, dans la plupart des cas ?
- En fait de patriotisme, par exemple, qui donc a accompli parmi les hommes une entreprise aussi merveilleuse que celle que mena à bonne fia l’incomparable héroïne de Vaucouleurs, la noble vierge d’Orléans, l’immortelle Jeanne d’Arc ? Ce qu’elle fit alors, nul homme ne l’eût pu faire, dans les déplorables circonstances où la coupable insouciance d’un roi indigne avait placé le pays.
- L’histoire vante,comme un trait sublime de fidélité à son roi et de loyauté, le sacrifice accompli par le capitaine espagnol, qui, assiégé dans Tarifa, et menacé par les assiégeants de voir tuer sous ses yeux son fils aîné leur prisonnier, préféra leur jeter pardessus les murailles son épée pour servir à l’immo lation, que de manquer à son serment de fidélité en livrant la place. Mais si ce que cet homme a fait là est sublime, combien plus grand encore est le sacrifice accompli par la mère des Macchabées, qui voit immoler sous ses yeux, dans des conditions à peu près analogues, non pas un, mais sept fils !
- A tous les héros de l’humanité, nous pourrions b ainsi opposer des héroïnes qui ne le cèdent en rien lorsqu’elles ne leur sont point supérieures, comme dans les deux cas que nous venons de citer. La vérité est que la femme est à tous les points de vue l’égale de l’homme, qu’elle possède les mêmes droits, et que c’est à tort que jusqu’à ce jour on a refusé de les lui reconnaître dans la même mesure qu’aux hommes.
- La doctrine de la prétendue infériorité des femmes est proche parente de celle qui prônait la nécessité de maintenir à tout jamais le peuple dans l’ignorance, afin de perpétuer la domination exercée sur lui, dans ce temps d’obscurantisme et de malheur, où les prê-
- tres faisaient la loi non seulement aux particuliers ignorants et faibles, mais encore aux plus superbes potentats, dans ce ténébreux moyen-âge, témoin de tant d’abominations et de scélératesses de toute sorte. C’est une de ces iniquités que notre siècle est destiné à faire disparaître entièrement, comme il a fait disparaître l’absurde inégalité des classes et les privilèges monstrueux de la noblesse et du clergé. Devant Dieu comme devant la nature et devant l’humanité,tous les êtres sont égaux à quelque classe et à quelque sexe qu’ils appartiennent, et tous les sophismes du monde, toutes les arguties ne prévaudront jamais contre cette inéluctable vérité.
- Tout le monde aujourd’hui le reconnaît, et partout où l’on emploie les femmes dans les ateliers on constate qu’elles travaillent aussi vite et aussi bien que les hommes. Dans ces conditions il est de toute justice que leur salaire soit le même que celui des hommes, et beaucoup de chefs d’industrie ont équitablement établi l’égalité de salaires correspondant à cette égalité de services dans la production.
- De nos jours, on tend de plus en plus à admettre que la femme a absolument les mêmes droits que l’homme et que, par conséquent elle doit trouver devant elle toutes les carrières ouvertes. L’on compte déjà un certain nombre de doctoresses, des femmes avocats, professeurs, etc., et plus nous irons et plus le progrès s'accentuera certainement dans ce sens. Dans l’île de Man comme au Familistère de Guise, les femmes sont admises à voter exactement comme les hommes, et au nombre des titres multiples du fondateur de ce dernier établissement à la reconnaissance de ses contemporains et de la postérité, il faut faire figurer en première ligne cette équitable innovation .
- Les objections des obscurantistes à cette émancipation radicale des femmes sont très justement réfutées dans un discours prononcé le 4 septembre dernier par M. Paul Bert à la distribution des prix de l’école communale des filles d’Auxerre.
- « Mais s’écrient les alarmistes, dit-il, les femmes vont venir exercer les professions des hommes,faire concurrence aux hommes ! Oui et non, soyez tranquilles. Elles ne feront concurrence aux hommes que là où les hommes ont pris leur place en vertu du droit du plus fort. L’égalité n’est pas l’identité; si elles sortent de leur rôle, l’échec les attend; mais elle réduiront l’homme à rentrer dans le sien. Et, en vérité, dans une société ou des hommes se sont faits couturières et modistes,il est'au moins bizarre d’entendre parler de concurrence des femmes! On a dressé l’ignorance des femmes comme une barrière, comme un droit protecteur del’industrie des hommes;
- p.53 - vue 54/836
-
-
-
- 54
- LE DEVOIR
- la République est îibre-éehangiste ; il faut que cette f républicaine, parce que nous lui donnerons l’égalité barrière tombe.
- « Et quand elle sera tombée, grâce au développement donné aux écoles primaires des filles, grâce à la création des collèges de filles, ce n’est plus seulement l’égalité dans l’accession aux professions diverses, c’est une part plus considérable’de l’égalité civile que les femmes seront en droit de réclamer au législateur. Ouvrez votre code civil, si admirable pourtant. Partout il fait de la femme une mineure, une incapable ; il lui enlève même la tutelle de ses enfants,s’il plaît ainsi à son mari mou* rant; pour les autres tutelles, pour les conseils de famille, il lui en interdit l’accès, et la place sur le même rang que « les incapables, » les infidèles, les gens d’une inconduite notoire, les condamnés à une peine afflictive et infamante.
- « Puis,par une contradiction étrange, cette femme, à qui son incapacité légalement proclamée devrait garantir un certain degré d’irresponsabilité, le code pénal ne la distingue plus de l’homme quand il s’agit de la frapper; ses crimes, ses délits, sont punis des mêmes peines que ceux de l’homme, et l’on inscrit même pour elle des délits et des crimes spéciaux.
- « Cet incroyable illogisme n’a pas d’excuses. Si la femme est inférieure à l’homme, ayez pour ses fautes une indulgence particulière. Si elle ne l’est pas, rendez-lui l’égalité des droits en lui imposant l’égalité des devoirs... Mais, dit-on, ces droits, elle ne saura pas s’en servir, instruisez-là. Ne laissez pas croire qn’après avoir fait de l’ignorance de la femme une excuse, vous en voulez faire un moyen.
- « Ainsi pressé, le moderne Chrysale s’échappe et s’exclame : Vous voulez donc que les femmes fassent de la politique? Mais croyez vous donc qu’elles n’en
- font point aujourd’hui.............................
- « Et d’aillleurs n’est-il pas légitime qu’elles en fassent ? Ne ressentent-elles pas autant que l’homme les joies et les douleurs de la patrie? Elles qui tiennent la bourse du ménage, n’apprécient-elles pas le poids de l’impôt? Dans l’incendie et le bombardement, l’obus prussien les distingue-t-il des hommes? La faim, le froid, la misère des villes assiégées leur sont-ils moins sensibles ? Et si l’homme risque de se faire tuer à la frontière, n’est-ce pas leur propre sang à elles, et le plus précieux, que leurs fils y
- yont verser?..........*............................
- ...... La République veut faire sortir la femme
- d’une condition sociale injuste, et lui promet,comme à l’homme, l’accession à la liberté en ce monde sublunaire. La femme s’est faite chrétienne parce qu’on lui annonçait l’égalité oélüte par la foi» Ella se fera
- terrestre par l’instruction. »
- Voilà de bonnes et sages paroles que la vue de ces dignes ouvrières assidues à leur banc,brossant dans tous les sens les pièces sorties du moule nous a rappelées, en nous suggérant les réflexions qui précèdent sur le travail des femmes, et sur l’injuste inégalité qu’on a si longtemps maintenue entre elles et les hommes ! Et voyons; de bonne foi, croit-on que, si pour une raison ou pour une autre, ce travail qu’on leur confie dans l’atelier de la raperie, était donné à faire à des hommes, croit-on, dis-je, qu’il serait mieux exécuté que par elles? Assurément non; et par conséquent il est bien que ce soit elles que l’on en ait chargées.
- Ce travail est peut être plus minutieux que pénible, mais il présente aussi ses difficultés. Les conditions climatériques exercent une certaine influence sur lui, et par un temps froid et humide, il s’exécute infiniment moins bien que par une température élevée et sèche. Les particules de sable impalpable adhèrent alors plus étroitement, et l’on a plus de mal à les faire disparaître des parties creuses ou elles se sont logées. Cela rend la journée dans la saison plus fatigante et moins lucrative, car il faut évidemment plus de temps pour chaque pièce, et cette besogne est exécutée aux pièces,ce qui est certainement la façon la plus logique et la plus équitable de rémunérer le travail, et de proportionner le salaire à la production.
- En sortant des mains de l’ouvrière, la pièce est soumise à l'inspection du préposé à la réception, et marquée par lui ; dès qu’elle est reçue, elle est inscrite sur le carnet de l’ouvrière, en même temps que sur le registre de l’atelier et sur la feuille de journée, ce qui facilite singulièrement le contrôle. Après cela la pièce passera, suivant le cas, à l’atelier d’é-barbage ou à celui du montage, ou nous la suivrons pour voir ce qu’elle devient.
- Mais avant de quitter ces travailleuses, dignes mères de familles pour la plupart, ajoutant leur salaire aux ressources du ménage, et aidant ainsi leur mari à porter le fardeau commun, rendons hommage à leur bonne tenue, à leur activité et au bon ordre qui règne dans cette vaste enceinte presque silencieuse, si l’on la compare aux bruyants ateliers voisins, où le mouvement des machines sans cesse en haleine fait régner un vacarme assourdissant. Si dans ceux-ci, l’on peut dire : autant de bruit que de besogne, dans celui-là, nous dirons : « plus de besogne que de bruit, a ce qui est, à notre avis, une excellente devise* (A SuUite}»
- p.54 - vue 55/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 65
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Ouvriers et patrons. — Nous considérons comme un très heureux symptôme et comme un indiscutable grand progrès moral, la réunion qui a eu lieu samedi dernier, salie Rivoli, entre les délégués autorisés des chambres syndicales ouvrières et patronales.
- Des discussions approfondies, gardant de part et d’autre le plus grand caractère de convenance, se sont produites,
- D’une part, les ouvriers ont exposé leurs justes doléances, l’impossibilité de vivre, malgré un labeur assidu, à cause de la surélévation des loyers et de toutes les denrées.
- D’autre part, les patrons ont exposé les difficultés économiques que leur créent la concurrence étrangère, la production effrénée.
- Ouvriers et patrons ont décidé de continuer ces réunions pour étudier la possibilité d'une cpnciliation entre les deux grands facteurs de la prospérité nationale : le capital el le travail.
- L’objet spécial de cette conférence contradictoire était l’étude spéciale de la question des grèves.
- La grève, reconnue légale par tous les orateurs, a été fort bien définie par un des orateurs ouvriers : « c’est une arme à deux tranchants qui blesse autant celui quelle frappe que celui qui s’en sert. »
- Un fait bien remarquable : aucun des orateurs habituels des clubs, dont quelques-uns sont des meneurs à gages, d’après l’opinion d’un orateur sérieux, n’était présent.
- Les déclamations, les phrases creuses auraient du reste eu bien peu de succès dans le nombreux auditoire qui cherchait surtout des moyens pratiques, et qui a toujours applaudi tous les orateurs qui se sont élevés contre le système de grève et tous les systèmes de violence.
- La présidence a ôté donnée à M. Gruhier, représentant d’une chambre syndicale ouvrière, et la vice-présidence à un des membres de l’Union patronale du commerce.
- Le président expose combien les intérêts du capital et du prolétariat sont identiques, combien les chambres syndicales ouvrières sont désireuses d’arriver à un compromis, honorable pour tous, avec les chambres patronales.
- Les ouvriers, dit-il en terminant, sont animés du désir légitime d’améliorer leur situation par l’étude, le travail, l’ordre et l’économie. Us considèrent comme une utopie la réalisation de la question sociale par la violence. Mais il y a des nécessités matérielles dont il faut tenir compte; ils se féliciteront si de ces conférences peut sortir un accord entre le travail et le capital.
- M. Marly, ouvrier, rappelle par des exemples les conséquences désastreuses des grèves, tout en constatant que le prix moyen des journées n’a pas suivi la progression du prix de revient de toutes choses.
- Il proteste contre le travail industriel dans les prisons, qu’il voudrait voir changer en colonies agricoles,et dans les couvents, qu’il voudrait voir ramener au droit commun, c’est-à-dire à l’assujettissement »des patentes de tous les industriels.
- L’orateur étudie les dangers que fait courir à l’industrie nationale l’intrusion des ouvriers étrangers. Il estime que si les patrons bénéficient sur le coup de 80 centimes ou un franc par jour en employant ces ouvriers, le résultat total leur sera aussi funeste qu’aux ouvriers français, ceux-ci étant forcés de s’expatrier.
- Il termine par l’historique de quelques grèves, et démontre, avec chiffres à l’appui, que le plus clair de leur résultat a été de faire dépenser des sommes péniblement amassées dans les caisses des associations ouvrières.
- M. Bonni, au nom de3 chambres syndicales patronales, manifeste tout le plaisir qu’éprouvent les patrons h entrer en discussion sérieuse mm des ouvriers §é*
- fi em,
- Patrons et ouvriers, dit-il, ne doivent plus rester ennemis, dans l’intérêt surtout de la prospérité nationale.
- Le capital représente le travail accumulé; il est une nécessité absolue.
- Il exprime le vœu que les chambres syndicales ouvrières se développent de plus en plus. Les discussions libres et contradictoires pourront seules amener une détente, un rapprochement. Les patrons se trouvant devant une force sérieuse, disciplinée, pourront discuter et admettre les revendications sérieuses.
- Le défaut de place nous empêche seul de nous étendre sur les intéressants discours prononcés successivement par MM. Simon Félix, Carpentier, Veyssier, Limousin et Hiélard.
- M. Carpentier, patron, a fait une proposition très pratique. Il demande que toutes les chambres syndicales patronales et ouvrières se livrent à une enquête résumant les causes et les résultats des grèves, les pertes qu’eUes ont fait subir aux ouvriers comme aux patrons, les modifications de salaire et de production, les prix actuels de revient, etc,
- Les questions de traités de commerce, d’adjudications ont été traitées à fond.
- La conférence s’est terminée par le résumé fait par le président des différents discours, et par l’adoption d’un vœu, longuement et sagement motivé, qui se termine par l’expression d’un désir tendant à renouveler les discussions afin de tâcher d’arriver h un rapprochement entre le capital et la production.
- *
- * *
- 3La, ïaBgg’n© français© ©a Al»ace-Loi*-raiae. — On sait que M. de Manteuffel a provoqué et obtenu qu’une loi formelle interdit à la Délégation d’Alsace-Lorraine l’usage de la langue française dans ses délibérations. Cette mesure dictée par la haine frappe d’ostracisme la moitié des délégués, qui ne peuvent parler l’aUemand et dont beaucoup même ne l’entendent point. Nous n’avons pu lire et nous ne pouvons reproduire sans émotion quelques-unes des paroles éloquentes par lesquelles l’un des délégués lorrains, M, Antoine, a protesté avee autant de force que de dignité contre cette dernière avanie :
- «... Nous n’avions jamais espéré, Messieurs, qu’on nous traiterait en enfants gâtés de la grande Allemagne. Nous n’attendions rien delà générosité allemande; nous connaissions trop ce que nous avions perdu. Nous ne demandions pas même d’être traités en citoyens libres et indépendants, nous ne voulions être traités qu’en hommes ; c’était bien peu ; on nous le refuse. Nous tomberons en vous disant que nous n’avons rien appris de vous, Messieurs les gouvernants, mais que nous n’avons rien oublié des autres ! Après onze ans, il vous plaît, de gaieté de cœur, de prononcer le Yæ victis ; nous le subirons avec plus de dignité que vous n’avez mis d’ardeur à le prononcer. Nous n’aurons pas la naïveté de croire que nos vœux pourraient faire revenir le Parlement sur cette mesure ; nous nous souvenons trop bien encore que la force prime le droit ; nous ne cesserons cependant de protester, ne craignant pas plus la dictature que l’annexion à la Prusse, dont certains de vos journaux n’ont cessé de nous menacer ; et, malgré vous, il nous restera ce que vous ne pourrez jamais nous enlever : Fespoih. Nous aussi, nous crierons à nos populations d’attendre, car au-dessus de vos menées il y a la majesté du droit et de la justice.
- RUSSIE
- G’est du Nord, cette semaine, que semble venir la lumière. Deux ukases du Tsar achèvent l’émancipation des serfs : une année est encore laissée aux propriétai*. res pour régler amiablement avec les paysans, en ar-
- Igent ou en prestations et redevances, le prix des terres restituées à ceux-ci. L’année expirée, PJEtat achèvera iui*même la liquidation, en se substituant aux propriétaire* qu’il désintéressera,et deviendra seul créancier des
- p.55 - vue 56/836
-
-
-
- 56
- LE DEVOIR
- paysans. La mesure est bonne en elle-même, mais il lui manque d’être fécondée par l’instruction et par la liberté; elle fera plus assurément contre le nihilisme que l’emprisonnement, la déportation, le knout et la potence, mais elle ne fera point disparaître le nihilisme. Le despotisme a contre lui de ne pouvoir pleinement accomplir le bien, même quand il veut faire le bien. La route où l’engage et le maintient son principe est un cercle vicieux.
- ALLEMAGNE
- Frnfige. — Le rescrit royal contre lequel tous les pays de régime constitutionnel se sont, la semaine dernière, soulevés avec tant d’unanimité, n’a point surpris les Prussiens. La doctrine de ce rescrit fut de tout temps la doctrine de la maison de Hohenzollern. Le précédent roi a fait jusqu’à sept de ces rescrils, tous profondément marqués d’absolutisme. Ce rescrit a d'ailleurs déclaré ce qui est. Cette idée monstrueuse de ministres responsables, non point de ce qu’ils font, mais de ce que fait par eux le roi irreeponsable, lui, quoiqu’il ait le gouvernement et l’action, c’est le fond même de la politique prussieune, c’est sa maxime, et le texte de la constitution se prête grammaticalement à cette interprétation qui, en Angleterre, en France, en Belgique, en Italie, en Autriche même parait une énormité. C’est contre cette maxime que s’est faite en 1848 la révolution allemande. M. de Bismarck, qui n’a point d’autre pratique et qui veut étendre cette pratique à l’empire et l’imposer au Reichstag, n’a point encore cependant notifié officiede-ment le rescrit, le Reichstag feint de l’ignorer. Le dis-courscu trône que M. de Putkammer a lu à l’ouverture du Landtag n’y a fait aucune allusion, Ce discours annonce une amélioration de revenu, mais cependant un emprunt; ilannonce aussi le rétablissement des relations diplomatiques entre la Prusse et le Vatican. Le Reichstag a voté par 233 voix contre 115 la proposition de M. de Windhorst d’abolir la loi qui défendait aux prêtres catholiques d’officier sans autorisation, c’est un triomphe pour l’église, mais ce n’est pas encore l’abrogation des lois de mai ; Bismarck tient la dragée haute.
- BAVIÈRE
- La Chambre bavaroise a par un vote très remarquable, enjoint au gouvernement de faire réclamer par le repré-sentaBS de la Bavière au Conseil fédéral la diminution du budget de la guerre et la réduction du service militaire à trois ans. Tous les Etats allemands devraient imiter la Bavière, il faudrait bien à la longue que la Prusse eédât devant leur unanimité. Le parti progressiste se fortifie au Reichstag, il prend l’initiative d’une loi qui rendrait les patrons responsables envers leurs ouvriers des accidents survenus dans les travaux. Excellente initiative Ce n’est point par des négations seulement qu’il faut combattre les mauvaises doctrines du chancelier, mais par des propositions meilleures que les siennes. Le Reichstag se fera disssoudre, mais si le peuple allemand a quelque vigueur, il le fera voir et renommera les mêmes députés. Ainsi se font par la patience et par l’énergie les révolutions pacifiquee ; il s’en va grand temps pour l’Allemagne de faire la sienne j n’a-t-elle plus souvenir de 1848?
- ANGLETERRE
- Une bonne nouvelle pour l’Angleterre, pour la France pour l’Europe, c’est l’annonce de la prochaine conclusion j du traité de commerce. L’union de la France et de l’Angleterre est aujourd’hui la première condition du progr ès européen et un pas vers la paix et vers la liberté. Désormais il n’y a point d’union solide entre les peuples, que celle qui est sanctionnée par leur prospérité économique.
- La résistance aux lois agraires poussée au delà du No renô jusqu’aux crimes contre les personnes continue en Irlande. Ce serait un malheur que M. Gladstone, qui veut faire du vote d’une nouvelle loi contre les obstructionnistes une question de cabinet, quittât le pouvoir. Personne n’est aussi capable que lui de faire comprendre au peuple anglais combien il est encore loin d’avoir fait droit à l’Irlande.
- AUTRICHE
- Le général Jovanovitch est reparti en toute hâte de Vienne pour la Dalmatie. Ce n’est plus dix mille hommes qu’il faut en Herzégovine, mais trente-cinq mille. C’est 10 millions de florins que l’on vole pour les premiers frais des tueries que l’on va faire. L’Autriche n’est point si mécontente qu’elle veut en avoir l’air. Sous prétexte de répression et d’ordre, elle poussera de Novi-Bazar à SaloDique. Elle a permission de l'Allemagne. Oui, mais point de la Rassie. La Russie a toujours le Monténégro,sous la main, et le prince Nikita pour allié dévoué. Symptôme significatif, celui-ci vient d’envoyer à Antivari sa femme,son jeune fils et sa vieille mère.
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- I
- De Charlemagne à François Ier
- [Suite)
- Quoi qu’il en soit, Pascal I", élu le 25 janvier 817, suivit l’exemple de son prédécesseur et, dans une lettre apologétique, donna pour cause de son retard à demander ia ratification impériale, l’empressement du clergé et du peuple qui l’avaient forcé, disait-il.à prendre en main le gouvernement de l’église. Ainsi, on le voit, l’église annulait déjà le droit du souverain dans la pratique, au moment où elle le reconnaissait en principe. L’église est constante dans ses agissements, quant au but qu’elle poursuit et, pour atteindre ce but, quand la grand’route ne l’y conduit pas, elle prend les chemins de traverse. Qui veut la fin, veut les moyens !
- « Pierre » avait dit le pape en mettant le diadème sur la tête de Louis, « se glorifie de te faire ce présent, parce que tu lui assures la jouissance de ses justes droits. »
- Ces droits auxquels il était fait allusion, c’était entre-autres, la liberté dCélection des évêques par le clergé et le peuple, pris dans le diocèse même, en considération de leur mérite, gratuitement et sans acception de personne. Cette liberté prenait dans la pratique une direction tout à fait opposée à celle que lui avait imprimée Charlemagne. Le capitulaire dans lequel Louis avait fait inscrire la reconnaissance de ce droit avait été sanctionné par l’Assemblée d’Atti-gny, sous l’inspiration d’un traité du diacre Florus, lequel, interprète de la pensée d’Agobard,archevêque de Lyon, le plus influent des prélats de la Gaule, dé*
- p.56 - vue 57/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 57
- clarait que « la coutume de consulter le prince touchant l’élection des évêques, bien qu’utile pour entretenir la charité et la paix avec la puissance séculière, n’était pas une condition nécessaire pour autoriser l’ordination. » L’épiscopat, on le' voit, s’affranchissait de la domination du roi, en attendant qu’il pùt intervertir complètement les rôles que le souverain laïque et le corps de l’église avaient rempli sous le sceptre de Charlemagne, le successeur de ce prince, du reste,faisait tout ce qu’il fallait pour cela, et la confession publique de ses péchés en août 822 dans cette même assemblée d’Attigny, les humiliations auxquelles il se soumit sous prétexte de pénitence, ne purent que enhardir l’aristocratie épiscopale dont il se faisait l’instrument.
- Cependant une sédition ayant éclaté dans Rome, en 824,l’année même de l’élection du pape Eugène II, successeur de Pascal Ier, Louis résolut d’y faire respecter son autorité, et envoya pour cela son fils Lothaire qu’il avait investi du royaume d’Italie. Celui-ci y installa des commissaires chargés de maintenir les droits du souverain et de rendre la justice. Il fit mander en sa présence les ducs, juges et autres personnes d’autorité, pour savoir leur nombre et leurs noms et les avertir de leur devoir. Enfin il voulut que la souveraineté de l’empereur sur Rome fut de nouveau reconnue et dans ce but, fit prêter au clergé et au peuple romain le serment suivant : « Je promets d’être fidèle auxempereurs Louis et Lothaire, sauve la foi que j’ai promise au pape, et de ne point consentir qu’on élise le pape, si-non canoniquement, ni que le pape élu soit consacré avant qu’il fasse en présence des commissaires de l’empereur un serment pareil à celui que le pape Eugène a fait par écrit. » Les Romains furent fidèles à ce serment lors de l’élection de Grégoire IV dont l’ordination n’eut lieu que le 5 janvier 828, après l'approbation de Louis, quoique il eut été élu dans la première semaine d’octobre 827.
- Mais il semblait que tout acte d’autorité de la part du roi dût être suivi de preuves de la faiblesse accoutumée. Telle fut la nouvelle confes ion qu’il fit à Saint-Médard en 833 ou, enjoint par les évêques d’avouer en détail tous ses péchés, prosterné sur un cilice étendu à terre devant l’autel, il se reconnut coupable de tout ce dont on l’accusait, et ce à lMnsti-gation de ce même Lothaire qui javait été cinq ans auparavant le porteur de ses ordres souverains. Tel fut encore à la suite du Plaid de Thionville en février 835, l’acte dit de conciliation qui prit place dans la basilique de Saint-Etienne de Metz, où les évêques réunis le relevèrent de sa pénitence et, prenant la I couronne impériale sur l’autel la lui remirent sur la |
- tête. La subordination de son pouvoir au corps épiscopal fut ainsi constatée plus solennellement par cette sorte de restauration que par sa chute. Il est vrai que les évêques dans cette réunion ne contestèrent pas qu’ils avaient mérité d’être déposés comme ayant été, chacun d’eux en particulier, traîtres et parjures envers leur prince, mais que signifiait cette déclaration et la démission ou déposition de quelques uns en présence des faits précédents !
- Bref, ce pouvoir que Chariemagne avait élevé si haut s’affaissait sur lui-même, et malgré les grandes circonstances où l’on avait pu voir le souverain laïque et l’église Gallo germanique décidant sans la papauté et malgré elle, l’accroissement de l’action de cette dernière était selon l’expression d’un historien « le fait habituel de chaque jour. »
- . Lorsque mourut Louis le débonnaire, en 840,1’em-pire Carlovingien était à deux doigts de sa ruine. L’aristocratie épiscopale s’était élevée sur la tête de la royauté, elle s’était saisie de la suprématie au milieu et à 1 aide des guerres extérieures et des dissensions intestines de l’empire, mais elle n’avait ni les lumières, ni les forces nécessaires pour conserver cette suprématie. D’un autre côté les usurpations des gens de guerre allaient croissant et la force comme aujourd’hui,quelque part en Europe, primant le droit et faisant loi, le clergé devenir à son tour victime. Des trois pouvoirs poiitiques existant c’était le moins éclairé, le plus anarchique, le plus déréglé qui allait avoir la prépondérance effective. Les nobles, les leudes, les grands laïques intronisaient un ordre nouveau. Lq jugement de Dieu s’est déjà prononcé et se prononcera encore plus d’une fois contre ceux-mêmes qui l’auront provoqué et invoqué. Qu’auront-ils à se plaindre ? Nous les laisserons gémir, mais nous dirons un mot de cet ordre nouveau qui va être une société nouvelle dont le développement va surtout dater de Charles le Chauve et qui,malgré les évolutions qui déplacent et les révolutions qui bouleversent,a laissé des traces qui s’aperçoivent encore de nos jours.
- [A suivre) G. P. Maistre.
- Voilà une façon d’entendre le duel. Les conditions dans lesquelles se présentent les deux adversaires doivent être absolument égales ; autrement il faut surseoir.
- Ainsi, deux citoyens de la libre Amérique, L... et K... eurent une querelle qui aboutit a un cartel. L... qui était marié, répondit à son provocateur qu’il ne pouvait accepter son cariel, attendu que leur position sociale n’était pas égale. K... ne répliqua rien, mais quelque temps après, nouveau cartel accompagné de son acte de mariage. «La partie n’est pis encore égale répondit L... ; j ai un enfant et vous n’en avez pas.» Autre délai. Au bout d’un an, troisième cartel auquel se trouve joint cette fois l’acte de naissance d’un enfant. « J’en ai
- p.57 - vue 58/836
-
-
-
- 58
- LE DEVOIR
- deux, répondit L...»Bref, chaque année, K... venait frapper à la porte de son adversaire avec un nouvel enfant ; mais il trouvait toujours L... en avance d’un rejeton. Les deux pères poursuivent ainsi avec ardeur le duel à la paternité ; leurs femmes, à ce qu’il semble, désirent éterniser la lutte, car elles secondent leurs maris avec un dévouement admirable.
- Le duel, ainsi compris, je l’admets;qui plus est, je l’encourage.
- Dans ces conditions, on ne peut dire qu’une affaire de duel soit une question de « vie ou de mort ».
- De vie seulement, fît môme un brevet de longue vie.
- LA COOPÉRATION EN ANGLETERRE
- Au nombre des institutions dont l’immense développement de la coopération anglaise a permis la création, se trouve le journal hebdomadaire, le Cooperative News. CJn compte rendu de l’assemblée générale de la Société qui possède cet organe, publié dans un des récents numéros, nous apprend que la circulation de cette feuille spéciale est de 20,550 exemplaires,
- Les actions de la Société particulière sont possédées par 190 associations coopératives. On ne nous dit pas à quel chiffre monte le capital, mais on nous dit que le fonds de réserve s’élève à 36,658 fr. 60 et qu’il est égal à 93,69 0/0 du capital actionnaire. Le bénéfice net du premier semestre, après paiement de l’intérêt à 5 0/0 du capital et des fonds empruntés, s’est élevé à 2,866 fr. 55, somme qui a ôté versée au fonds de réserve.
- Nous donnons ces chiffres parce qu’il nous a paru intéressant de faire connaître le développement d’un journal s’occupant exclusivement de coopération, lu uniquement par les coopérateurs. Ajoutons qu’il a trente-deux pages et se vend un penny ou dix centimes,
- *
- t
- ¥ ¥
- Il existe en Angleterre des Sociétés coopératives à l’usage des ouvriers, et d’autres à l’usage des « bourgeois », ces dernières s’appellent les Civil service supply associations. Leurs actionnaires sont tous des employés du gouvernement, et leur fondation est due au désir qu’éprouvèrent un jour ces employés de concilier l’élévation du prix des choses nécessaires à la vie avec la fixité de leurs émoluments.
- Ainsi fut fondée une société qui, à l’origine, ne servait qu’à l’approvisionnement de ses membres. Mais les amis de ceux-ci, gens de même condition, désirèrent jouir des mêmes avantages, on créa une catégorie de simples acheteurs, ou ticket holders (porteurs d© permissions).
- Le eêté prtieate de gatte ioaiété s bourgeois §
- fut qu’elle vendait au prix de revient majoré d’un léger quantum pour les frais, tandis que les Sociétés d’ouvriers vendent aux prix, des marchands et distribuent des dividendes. Ces dernières associations, qui pratiquent le système dit de Rochdaîe, ont pour objet de faire réaliser des épargnes à leurs membres et de les rendre ainsi capitalistes. Les Sociétés du service civil, au contraire, sont formées de gens qui n’éprouvent pas le moindre besoin d’épargner, et qui ne désirent qu’acheter à bon marché.
- Il arriva que 1a, Civile service supply Association prit un rapide développement. Le quantum de prévision pour les frais, calculé largement, arriva à constituer un fonds de réserve de deux millions de francs. Comme cette réserve était inutile, on agita la question de la partager, Oui, niais entre qui la partager ? Entre tous les acheteurs share holders et tichet holders ? ou entre les share holders ou actionnaires, seulement?
- Puisque la Société n’avait aucun caractère commercial, qu’il était entendu qu’on ne ferait pas de bénéfices, l’équité aurait voulu que la répartition de ce fonds de réserve eut lieu entre tous ceux qui l’avaient créé. Ajoutons que les tichet holders sont beaucoup plus nombreux que les actionnaires. Mais pour être coopérateurs on n’en est pas moins hommes, et deux millions forment une somme exerçant un mirage, même quand on est quelque chose comme cinq mille copartageants. Ce qui fait en moyenne 400 fr. par tête.
- Bref, il fut décidé, par une majorité des deux tiers des actionnaires, que le fonds de réserve serait partagé entre les actionnaires. Le tiers opposant fit alors scission et fonda une nouvelle société ou l’on est plus équitable envers les tichet holders. Cette seconde association n’a pas tardé à prendre, elle aussi, un développement considérable. Elle a réalisé, pendant le premier semestre de 1881, un bénéfice brut de 187,186,40, dont 39,717 fr. de profits nets; cela pour un chiffre d’affaires de 1,612,992 fr. 70. Il résulte de ces chiffres, que le prix de revient des marchandises est, pour la vente, majoré de 11 0/0, que les frais ont absorbé 9.14 0/0 et qu’il est resté seulement 2.46 de bénéfice net, C’est là une quotité dont les marchands n’ont pas l’habitude de se contenter.
- ¥ ¥
- Une autre Société, mais du type de Rochdaîe, c’est-à-dire vendant avec profits, celle de Leeds, débite pour environ 10,000 francs de charbon par semaine. Elle possède, pour lui amener ses approvisionnements de la mine, 34 wagons et 18 bateaux, C©î»©@ m inoygas transferts ét&îént mmm
- p.58 - vue 59/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 59
- insuffisants, on vient de lancer un quatorzième bateau.
- *
- ¥ ¥
- La reconnaissance est une vertu rare, chez les collectivités aussi bien que chez les individus. Cependant elle fleurit quelquefois, et elle se trouve particulièrement dans le cœur des coopérateurs anglais. Il y a quelques jours, le 12 novembre, une Société de production qui se livre à la fabrication des futaines et existe dans une petite ville de 10,000 habitants appelée Hebden Bridge, a offert un témoignage de reconnaissance à M. Webster, son secrétaire, et à M. Thomas Hughes, avocat, un des plus chauds et des plus dévoués partisans de la coopération, qu’il soutient depuis plus de trente ans.
- Le cadeau offert à M. Hughes a consisté en un vêtement complet fait avec de la futaine fabriquée par la Société. Un des orateurs qui ont pris la parole dans le meeting, M. Vansittart Neale, a rappelé que M. Hughes, membre de la Chambre des communes, ne fut pas réélu il y a quelques années, et n’a plus pu l’être, par suite de la coalition des épiciers et
- autres commerçants ennemis de la coopération.
- *
- ¥ ¥
- L'étude des questions ouvrières s’impose actuellement à tous les gouvernements. Tandis que M. de Bismarck s’obstine dans son socialisme d’Etat, le ministère Gambetta déclare qu’il se préoccupe des problèmes sociaux, et M. Minghetti annonce, à la réouverture du Parlement italien, que M. Berti, ministre de l’agriculture, prépare des projets de loi destinés à améliorer la situation des travailleurs des campagnes.
- Un congrès des Sociétés de secours mutuels ouvrières italiennes, qui devait se réunir ce mois-ci à Rome, a été ajourné jusqu’en janvier prochain, afin que les délégués assemblés puissent examiner les projets qui, alors, auront été déposés sur le bureau do la Chambre.
- Les cataracte® «la. Niagara
- Les cataractes du Niagara sont depuis quelque temps déjà éclairés à la lumière électrique pendant une partie de la nuit. Ce spectacle, qui attire une grande foule de touristes, est décrit de la manière suivante par le journal universel d’électricité, la Lumière électrique :
- « Le voyage de New-Vork aux cataractes du Niagara s’exécute en une nuit ou un jour de la façon la plus agréable dans les magnifiques sleeping ca^s des chemins de fer américains ; notre départ s’est effectue le soir par la gare de l’Erié Railroad; le lendemain matin nous étions à Suspension Bridge, petit village deU son mm à m pont eoasirmil sa?
- Ila rivière Niagara et qui fait communiquer la rive américaine avec le territoire canadien.
- » On sait que les grands lacs du Nord de l’Amérique, les lacs Supérieur, Michigan, Huron et Erié, envoient la masse des eaux qu’ils accumulent vers le lac Ontario, à travers un canal de 50 kilomètres qui constitue la rivière Niagara,
- » Les cataractes sort divisées en deux parties par l’île de la Chèvre : la chute américaine, à peu près droite, a une largeur de 300 mètres et une hauteur de 55 mètres; la partie canadienne, ou fer-â-cheval est large de 570 mètres et haute de 86.
- » L’origine du nom est un peu ince taine, on croit pourtant qu’elle vient de l’iroquois et signifie Tonnerre des eauw. Les cataractes du Niagara ont été vues pour la première fois par un homme de race blanche il y a environ 200 ans; c’est, dit-on, le père Hennepin, jésuite missionnaire français, qui les découvrit dans un voyage d’exploration en 1678,
- » Le bruit de ces immenses chutes s’entend au loin, et leur puissant grondement est plus ou moins distinct suivant la direction des vents. Le flot irrésistible qui se précipite à un débit de 100 millions de tonnes par heure. La violence des frottements exercés par l’eau recule, paraît-il, le précipice de plus de 30 centimètres chaque année. La largeur des chutes est de 1,000 mètres, et la différence totale du niveau entre les lacs Hérie et Ontario de 151 mètres.
- u Ces renseignements précis, que les Américains ne manquent jamais de donner, permettent d’apprécier plus sûrement le côté grandiose du spectacle.
- » Du pont suspendu on aperçoit les chutes dans toute leur étendue. Ce fameux pont est construit à 2,800 mètres environ au-dessous des chutes; on a, en le traversant, un admirable point de vue ; les trains des compagnies de chemins de fer Great Western et New-York central en font usage pour passer des Etats-Unis au Canada.
- » On peut se faire une vague idée de l'émotion profonde qui envahit le spectateur à la vue de cette masse liquide en fureur qui court, bondit, se précipite en nappes gigantesques pour tourbillonner, se tordre en mille remous au bas de sa chute, et repartir avec plus de fureur pour former les rapides.
- » D’immenses nuées formées par les eaux pulvérisées s’élèvent sans cesse au-dessus du gouffre et présentent quelquefois dans leurs masses légères toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Le décor qui sert à entourer une des plus belles scènes naturelles du monde est du reste admirable, les rochers abruptes et la végétation vigoureuse qui recouvre toutes les hauteurs donnent au paysage des effets encore plus grandioses. Mais toutes ces merveilles deviennent une féerie lorsqu’on peut les contempler la nuit par un beau clair de lune, et le climat de l’Amérique du Nord n’est pas avare de ces magnifiques effets.
- » C’est alors que la lumière électrique vient compléter le spectacle fourni par la nature en faisant ressortir tous les détails rapprochés.
- » On a ingénieusement placé de grands foyers électriques derrière les murailles de roches qui se trouvent en avant de chaque côté des chutes, et les rayons lumineux sont dirigés vers les cataractes : en regardant de Suspension Bridge, on croirait voir un théâtre de géants avec ses montants gigantesques et son décor fabuleux. Le ciel, admirablement éclairé, laisse tous les fonds se détacher en silhouettes fantastiques ; les premiers plans, mis en relief par Féclairage électrique, présentent des aspects marvel lisais d’embre et d§ lumière, les grande*
- p.59 - vue 60/836
-
-
-
- 60
- LE DEVOIR
- nappes d’eau miroitent et font jaillir de leurs ondulations vertigineuses mille reflets argentés.
- » On ne se lasse pas d’admirer de pareils prodiges ; on reste ébloui, fasciné, et il est impossible de trouver des expressions suffisantes pour dépeindre la sublimité d’un pareil spectacle. »
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE ET RELIGIEUSE
- Le trafic des choses saintes.
- Ma maison est une maison de prières, et vous en avez fait un repaire de voleurs. (Evang. selon S. Luc, ch. xix, v. 46).
- Si Christ revenait un jour parmi nous, quel ne serait pas son étonnement de constater le peu de conformité qui existe entre la morale de renoncement aux choses de ce monde qu’il est venu enseigner aux hommes, et la religion catholique, avec son cortège de pratiques ridicules,et le trafic qu’elle fait des choses saintes dans la maison de Dieu.
- Comme dans un vulgaire bazar, dans l’Eglise, tout est classé et tarifé, et on y vend à beaux deniers comptants chants et prières pour la délivrance des âmes du Purgatoire.
- On sait que l’invention du Purgatoire ne remoute guère qu’au m® siècle après Jésus-Christ ; l’enfer éternel pour les méchants, et le béat Paradis pour les justes, telles étaient à l’origine les deux uniques demeures où devaient fatalement échouer les âmes de ceux qui quittaient la terre. Les premiers chrétiens, sentant tout ce qu'il y avait d’injuste et de cruel, de la part du Créateur, à punir de l’enfer éternel les fautes les plus légères, enrichirent le séjour des âmes d’une demeure expiatoire inconnue jusqu’alors.
- Il y a, dans certain coin du ciel, déclarèrent les évêques réunis en concile, un lieu réservé aux âmes des pécheurs qui ne se sont rendus coupables que de fautes légères. Tout aurait été pour le mieux, si les théologiens s’étaient bornés à décréter l’existence de ce lieu d’expiation ; et nous ne pourrions que les féliciter de l’heureuse inspiration que venait de leur suggérer l’ardent désir de concilier les dogmes de la religion nouvelle avec la justice et avec la raison. Mais il fallait être logique jusqu'au bout, et déclarer que les âmes, dans ce nouveau séjour, ne devront leur salut qu’à la sincérité de leur repentir, et aux efforts qu’elles feront pour racheter leurs fautes passées ; il fallait, an un mot, s’inspirant de ces paroles du Christ : En vérité, en vérité, je vous le dis, il faut que vous naissiez de nouveau, accepter avec toutes ses conséquences la croyance à la pluralité
- des existences, vérité capitale, sans laquelle il est impossible de concilier la croyance à l’immortalité de l’âme avec la justice divine.
- Malheureusement, il n'en fut point ainsi, et l’on décida, au concile de Trente, que les âmes, que des fautes légères retenaient en Purgatoire, attendraient patiemment pour en sortir, que de bons amis de la terre intercédassent pour elles auprès du Tout-Puissant.
- Lorsqu’à cette forte génération des premiers chrétiens, nourrie des souvenirs des apôtres et de la parole du maître, eut succédé le règne des théologiens et des casuistes de toutes sortes, lorsque le Christianisme se fut érigé en religion, qu’il eut des tempes, des dogmes, et un corps sacerdotal, la primitive pureté de la doctrine du Christ s’était déjà altérée , la foi était moins vive et les mœurs moins austères. Ce qui paraissait dominer alors chez les successeurs de Saint-Pierre, c’était l’idée fixe de conquérir le monde pour régner sur lui, plutôt que Tardent désir de le rendre meilleur.
- La révélation de l’existence du Purgatoire fut accueillie favorablement par toute la chrétienté ; les masses satisfaites et reconnaissantes virent dans ce fait un adoucissement aux rigueurs de la justice divine; les riches et les puissants du monde y virent un moyen facile d’éviter l'enfer qu’ils redoutaient, sans avoir à s’efforcer de devenir meilleurs. Les évêques et les papes, oubliant le motif louable qui avait guidé les pères du concile, y virent autre chose qu’une révélation ; ils virent là une riche mine à exploiter, une source inépuisable de richesses; aussi les puissants potentats de la cour de Rome, dont les mœurs dissolues engloutissaient tant d’or, firent-ils appel sans retard à cette nouvelle ressource en inventant le bref des indulgences.
- Chacun sait ce que c’est que les indulgences. C’est, d’après l'église, une convention intervenue entre le pape et Dieu, par laquelle le Tout-Puissant s’engage à ouvrir toutes grandes les portes de son Paradis, aux âmes qui auront fait de leur vivant des provi-' sions suffisantes de cette marchandise, pour contrebalancer les crimes et les forfaits dont ils se sont rendus coupables pendant leur vie.
- Le pape Alexandre VI, peu scrupuleux, en vendait aux juifs, c'est grâce ,au produit de ce petit commerce qu’il conquit la Romagne.
- Jules II, imagina de les mettre aux enchères et de les vendre sur la place publique.
- Léon X, organisa des indulgences pour payer les frais d’une croisade contre les turcs. Il existe une bulle de ce pape, décrétant que les bandits, en donnant une partie du produit de leurs vols à l’œuvre
- p.60 - vue 61/836
-
-
-
- LK DEVOIR
- des indulgences pourront jouir en paix de leurs rapines.
- En 1095, le concile de Clermont accorda une indulgence plénière à tous les croisés; aussi ces défenseurs de la foi, se croyant tous les crimes permis, se livrèrent-ils sans scrupule à toutes sortes de vols et de brigandages.
- Ce fut en Allemagne que le trafic des indulgences fut le plus scandaleux. Albert, archevêque de Magde-bourg, avait sur cette vente une grosse part des bénéfices. Tetzel,le plus célébré des émissaires allemands chargés de colporter cette singulière marchandise, allait de ville en ville, prêchant partout la rémission des péchés.
- Quiconque, disait-il dans ses harangues, achète des indulgences, peut avoir l’âme en repos sur son salut. Vols, incestes, crimes de toute nature seront effacés grâce à l’efficacité de ces précieuses lettres; grâces à elles, le viol de la Sainte Vierge, s’il était possible, serait remis à celui qui s’en rendrait coupable. Demandez, il y en a pour toutes les bourses,il y en a de 40 jours, de 100 jours, de 7 ans, et d’autres beaucoup plus précieuses : A perpétuité.
- Luther, le père du protestantisme, s’indigna un des premiers contre cet infâme trafic qu’il dénonça à l’opinion publique.
- Imposteurs, disait-il, de Tetzel et de ses acolytes, qui amenez les peuples à négliger la religion et la pratique des vertus en leur promettant le pardon de leurs fautes moyennant une somme d'argent, soyez maudits; on ne doit se reposer de son salut que sur Dieu seul, et les péchés ne s’effacent que par le repentir et la pénitence.
- Le pape et les évêques, informés des prédications hérétiques du grand réformateur, prirent parti pour Tetzel contre Luther; le puissant orateur n’en continua pas moins dans ses prêches à tonner contre les indulgences et autres abus du catholicisme, il rompit complètement avec Rome et posa les fondements de l’église protestante. La lutte qui s’engagea alors fut longuement terrible, et si le catholicisme survécut au coup qui lui fut porté, il n’en sortit pas moins considérablement amoindri,ne devant son salut qu’à quelques potentats couronnés et à la nuit horrible de la Saint-Barthélemy.
- Le tableau des trafics scandaleux auxquels on se livrait alors sous le couvert de la religion paraîtra peut-être exagéré à ceux qui n’ont pas lu l’histoire ; il est pourtant en tous points conforme à la plus stricte vérité. Cent auteurs, et des plus impartiaux, ont relaté les faits que je viens de rapporter.
- D’ailleurs, qu’est-il besoin de tant de preuves pour établir la vérité de mes assertions. Ce que l’église
- fil
- fit dans le passé, ne le continue-t-elle pas aujourd'hui ? Si la forme en est plus réglée et moins scandaleuse, les abus en existent-ils moins ?
- N’avons-nous pas encore, dans la plupart des églises,des chapelles privilégiées où il suffit de s’agenouiller pour obtenir des indulgences ?
- Est-ce que nous n’avons pas aujourd’hui, les eaux ant renommées de Lourdes et de la Salette,qui contiennent des indulgences en dissolution, et dont de nouveaux Tetzel, trafiquent impudemment ?
- Est-ce que de nos jours, la foule ignorante et superstitieuse, n’accourt pas encore, faire adresser à certains saints, des messages pour obtenir la guérison des maladies dont ils sont affligés ?
- Hélas, oui 1 le peuple a progressé, les sciencss ont avancé, mais l’église, toujours aussi routinière, suit sans cesse les mêmes errements. Aujourd'hui comme autrefois, elle vend aux familles désolées des messes pour le repos des âmes du purgatoire. Christ a dit : A chacun selon ses œuvres, et l’église déclare que les portes du paradis s’ouvriront plus ou moins vite devant lésâmes qui gémissent dans ce lieu d’expia-piation, suivant que leurs parents auront dépensé plus ou moins d’or pour faire prier pour elles.
- Populations imbéciles et superstitieuses, prêtres fanatiques et coupables, ne vous apercevez-vous pas que vous offensez Dieu en préconisant une semblable doctrine. Que devient donc la justice divine si l’àme du riche pour lequel on dépense beaucoup se sauve plus vite que celle du pauvre qui n’a rien?
- Nous ne croyons pas à l’efflcacité de ces messes, disent tout bas, bien bas, certains prêtres chez lesquels le fanatisme n’a pas entièrement absorbé le bon sens, et dont la voix de la conscience n’est pas étouffée par les ordres impérieux de la cour de Rome ; nous croyons que rien au monde ne saurait modifier le cours de la justice divine.
- Si ces messes et ces prières ne servent de rien, pourquoi les vendez-vous ?
- Exploiteurs habiles, vous avez tout tarifé jusqu’aux enterrements. Il y en a de lre, de 2e et de 3e classe. Dans la maison de Dieu, pourquoi cette inégalité ?
- Si les âmes de nos morts doivent profiter de ces longues prières chantées sur leur cercueil et tarifées comme une chose vénale, déclarez-le, afin que nous dénoncions au monde civilisé votre Dieu que l’on peut corrompre avec de l’or; si, au contraire, elles ne servent de rien, et que l’âme du riche, comme celle du pauvre, n’ait devant le Tout-puissant d’autre défenseur que ses bonnes œuvres, ces prières et ces chants, pourquoi les vendez-vous ?
- Apostats, qui reniez la justice de Dieu, Pharisiens, qui trafiquez des choses sacrées, je vous dénonce à
- p.61 - vue 62/836
-
-
-
- 62
- LE DEVOIR
- l’opinion publique pour qu’elle vous connaisse et s’éloigne de vous ; je vous dénonce au Christ, sous le manteau de qui vous vous abritez pour perpétuer le règne de vos trafics sacrilèges, et je réclame pour vous les lanières dont il se servit jadis pour chasser les marchands du temple.
- Edmond Bourdàin.
- TJ ai nouveau bat eau rapide
- M. Raoul Pictet vient de faire connaître la théorie d’un bateau rapide qui ne peut manquer d’intéresser vivement ' les ingénieurs de constructions navales. M. Pictet a combiné un bateau large, relativement plut, et dont le fond reçoit constamment une poussée de bas en haut opposée” à la pesanteur. Cette poussée tend à déniveler le bateau et à diminuer soutirant au fur et à mesure que la vitesse augmente.
- Le travail de la machine propulsive passe par un minimum, lorsque le bateau atteint la vitesse pour laquelle la courbe de la carène a été calculée. La construction graphique de la courbe des vitesses et du travail du propulseur correspondant montre que, dans certaines limites, trois vitesses correspondent au même travail du moteur: une vitesse relativement faible, première période; une vitesse plus considérable, instable et difficile à maintenir constante, vu l’influence des moindres variations ; une vitesse supérieure à la vitesse minimun voulue, seconde période.
- A partir de la vitesse où commence la seconde période, les résistances passives de l’air, de l’hélice dans l’eau, les frottements ,' etc., etc., augmentent constamment et amènent un maximum dans le travail du moteur, correspondant au maximum absolu de vitesse possible.
- Le calcul montre qu’on peut espérer atteindre des vitesses de 50 kilomètres et 60 kilomètres à l’heure, avec un bateau rapide construit sur ce principe.
- D’ailleurs, nous ne tarderons pas à connaître si, dans ce cas, la pratique est conforme à la théorie, puisque M. Raoul Pictet,pour la vérification expérimentale, vient de confier à une société gênevoise la construction d’un bateau rapide, dont les expériences doivent avoir lieu le 1er mars 1882.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCES
- Le 17 Janvier. — Marie Blanquin, fille de Blanquin Jules, et de Haltet Marie, morte le 18.
- DÉCÈS
- Le 17 Janvier, — Mme Lelong, âgée de 28 ans.
- Le 19 Janvier. — Legrand Maximin, employé, âgé de 18 ans.
- Les fats en papier et le pétrole
- Le Moniteur industriel relate le fait curieux du transport récent à New-York d’un chargement complet de pétrole embarillé dans des fûts en papier.
- Ces fûts sont fabriqués par une Compagnie qui possède trois usines, et sont vendus au prix de 6 fr. 65 la pièce.
- Les avantages des fûts en papier comprimé consisteraient principalement dans l’absence de joints entre les douves, et par suite dans une diminution notable des pertes par coulage ; fis sont élastiques et se brisent moins
- facilement que ceux en bois; enfin, la dilatation est moindre, et, par suite, les frais accessoires de reccrelaga et de rebatage seraient ou annulés ou du moins très diminués.
- Le Standard oil Compagny se proposerait, paraît-il, de substituer, sur une grande échelle, cette fabrication à celle des fûts en bois, dont elle exporte chaque année des quantités considérables.
- --.-VATj'i/ljWJ'AfVW*--
- CAUSERIE SCIENTIFIQUE
- 3Le Caméléon
- Ne craignez rien, chers lecteurs, je ne veux pas vous parler du caméléon politique, de ce bipède qui prend les couleurs de tous les drapeaux et les nuances de tous les partis. Le sujet serait pourtant de circonstance; mais les régions politiques me sont interdites. Donc,je resterai sur le terrain purement scientifique. L’animal dont je viens décrire les moeurs vaut la peine qu’on l’étudie.
- Le caméléon, dont on connaît aujourd’hui cinquante espèces, distinguées pour la plupart, par diverses saillies réparties sur certains points du museau, des sourcils, du vertex ou de l’occiput, est comme on sait, un reptile paradoxal et vraiment fantastique, dont les particularités singulières de structure, aussi bien que les changements de couleur ont, de tout temps, attiré l’attention des naturalistes. Aristote pensait qu’il ne dort pas, et qu’il n’a de sang qu’au voisinage des yeux. Pline ajoutait qu’il ne mange, ni ne boit, et, qu’inoffensif en tout autre temps, il devient redoutable pendant la canicule. Avec Démocrite, il lui attribue le pouvoir de fasciner les oiseaux de proie; et, rejetant comme fabuleuses, ces croyances Grecs, que la jambe droite du caméléon, préparée aux fines herbes, peut rendre une personne invisible, ou qu’il suffit de frotter une porte avec une mixture composée des intestins du camaléon et de l’urine d’un singe , pour la rendre odieux à ses concitoyens ; il ne parait pas éloigné de croire que la tête et le cou (?) du caméléon , brûlés sur du charbon de chêne, déterminent l’apparition simultanée du tonnerre et de la pluie. Aldrovandus affirmait qu’une goutte de salive, lancée par le caméléon, suffit à tuer une vipère rampant sous l’arbre où il perche, et que les éléphants, mangeant souvent par mégarde des caméléons avec des feuilles d’arbre dont rien ne les distingue, ce mets leur était fatal, à moins qu’il ne prissent comme antidote une certaine quantité d’olives sauvages.
- Les naturalistes d’aujourd’hui s’en occupent à un autre point de vue. On sait que l’animal forme un groupe à part dans l’ordre des Lacertiens, dont le
- p.62 - vue 63/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 63
- type est le lézard, et où le caméléon a pour proches parents les iguanes. Ce groupe se distingue des •autres du même ordre par des différences considérables, et l’on se préoccupe de savoir comment les conditions de la « lutte pour l’existence » a pu suffire à créer ces différences. M. Georges Mivart vient d'étudier ce côté de la question dans une conférence faite au Jardin zooiogique de Londres, et a donné en même temps de l’animal un portrait dont nous reproduisons les traits principaux.
- *
- * *
- A première vue, le caméléon, a l’air chétif et vraiment « famélique ». De fait, c’est un vorace qui ne vit que pour manger. Il passe d’un état de maigreur excessive à un état d’obésité relative, qui n’est, il est vrai, qu’apparente ; car, bien que la disposition de son appareil respiratoire lui permette de se gonfler à volonté, sa forme générale dépend de son attitude et de l’élévation de son corps sur ses longues jambes. Ses pattes sont de véritables pinces et sa queue est prenante. Sa peau est tuberculeuse et non écailleuse comme celle des lézards ; sa bouche est très grande, mais hermétiquement close au repos,au point d’être presque imperceptible.
- Les yeux du caméléon sont surtout remarquables, bien que très grands, ils sont presque totalement recouverts par les paupières dont la peau ne diffère en rien de celle du corps et ne laisse qu’une étroite ouverture, sorte de pupille extérieure, pour le passage des rayons lumineux. Mais, par une exception unique dans le règne animal, les deux yeux sont indépendants, de telle sorte que î’un peut regarder en arrière pendant que l’autre regarde en avant. L’animal oriente à volonté ses yeux comme un cheval ou un chat orientent leurs oreilles. La stracture intime de l’œil n’est pas moins spéciale. Sa rétine, suivant Henri Muller, n’a que des cônes sans bâtonnets, disposition qui se retrouve chez nous dans ce qu’on appelle la tache jaune, le point de l’œil où la vision est le plus délicat, ce qui autorise à attribuer au caméléon une acuité visuelle supérieure.
- Il n’a pas d’oreilles apparentes ; et c’est le cas de beaucoup de reptiles ; mais les éléments de l’oreille se retrouvent dans l’épaisseur de son crâne; et l’oreille communique avec la bouche, comme chez nous, par la trompe d'Eustache. Cette oreille n’a qu’un limaçon rudimentaire, ce q >i la rend très imparfaite ; mais elle suffit pour percevoir les bruits.
- La langue est ce qu’il y a de plus remarquable chez le caméléon. Elle est formée de trois parties. La plus extérieure présente une cavité bordée de deux espèces de lèvres. C’est la seule apparente à
- l’ouverture de la bouche. Mais derrière elle, s’enroule, se « love » la seconde partie qui remplit la cavité buccale, d’ailleurs fort grande. La troisième partie est rigide et reliée au plancher de la bouche par des membranes et des muscles qui en assurent la mobilité. Cette langue est longue de six à sept pouces quand l’animal la dégaine sur un insecte à sa portée.
- Nous aurions encore bien des particularités anatomiques curieuses à faire ressortir chez le caméléon : au sujet de ses pieds prenants, de ses poumons envoyant des prolongements dans tout l’intérieur du corps, de son appareil pigmentaire contractile, qui lui permet de faire varier constamment la dose du pigment apparent dans l’épaisseur de la peau et de ..changer à volonté de couleur en totalité ou en partie, dans des limites assez étendues, etc., etc.
- C’est d’ailleurs un animal parfaitement inoffensif et nuliement farouche, qui vit très bien sous une cage de verre , à la condition de lui fournir des insectes, de l’eau, de la chaleur et quelques branchages où il puisse percher. II se meut avec une lenteur exceptionnelle. Il vit exclusivement sur les arbres. Aucun animal n’est aussi hien conformé pour ce genre de vie, au point de vue surtout de la disposition des pinces digitales et de la queue préhensible. Ces particularités se retrouvent isolées chez d’autres animaux, mais le caméléon est le seul où elles soient réunies et où elles présentent cette adaptation parfaite à l’épiderme sur les arbres.
- La rapidité avec laquelle l’animal dégaine sa langue sur un insecte à portée et la ramène avec la proie dans sa bouche aussitôt fermée qu’ouverte, contraste avec la lenteur de tous les autres mouvements; elle est véritablement prodigieuse.
- *
- * *
- Tel est le sujet. Sa patrie est l’Afrique. Seul le caméléon vulgaire se retrouve en Espagne, en Asie-Mineure, en Arabie, dans l’Indoustan etàCeylan. Les quarante-neuf autres espèces sont propres à 'Afrique et à certaines des îles adjacentes ; la plupart ne se retrouvent plus au nord de l’équateur. Yingt-et-une espèces appartiennent à Madagascar et dix-sept, sur les vingt-cinq espèces cornues ou turbulentes, dont nous parlions en commençant, sont exclusives à cette île, où l’on serait tenté de voir le berceau de la famille. On n’a trouvé qu’une mâchoire pouvant se rapporter à un caméléon fossile. La détermination en est douteuse. Elle a été trouvée dans l’Amérique du Nord, au sein de couches éocènes.
- Ce n’est pas assez pour nous édifier sur Vorigine de cet être intéressant. Il reste isolé dans la théorie transformiste, comme le singe qu’on renonce à faire
- p.63 - vue 64/836
-
-
-
- @4
- LE DEVOIE
- descendre des Lumériens de Madagascar; comme les cétacés, comme les chauve-souris, qui n’ont pas non plus d'ancètre. Sa queue prenante le rapproche, il est vrai, de certains genres arboricoles : singes, ratons, kinkajous, porcs-épics, opossums; mais ce caractère est loin d’être général chez les singes et il est exceptionnel chez les autres. Les paresseux et les oiseaux-grimpeurs ont aussi des pattes dont les doigts disposés en deux groupes sont opposables; mais, chez le caméléon, cette opposition a lieu dans les conditions que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
- On sait que les oiseaux paraissent dériver des reptiles : par les dinosauriens pour les analogues de l’autruche et pour les autres par les ptérosauriens, sortes de chauves-souris fossiles, dont Y arthéoptéryx est le type le plus remarquable. Cependant, malgré ses pattes de perroquet, on ne peut rapprocher sans effort le caméléon des oiseaux, bien qu’il ait, comme eux, les poumons communiquant avec des loges aériennes disséminées dans l’intérieur du corps, et que beaucoup de membres du genre présentent une tendance à se pousser des appendices cornus, comme les paradisiers à se pousser des appendices emplumés. Cependant, on a dit que c’était là le résultat d’un caprice de mauvais goût chez la famelle du caméléon, qui manifesterait une préférence indiscutable pour les mâles les mieux doués sous le rapport des tubercules, cornes et autres appendices frontaux. Tous les naturalistes qui ont cru devoir discuter sérieusement cette explication ne s’en sont pas montrés également satisfaits ; car encore faut-il que les femelles accusent d’une manière précise leurs préférences pour tel ou tel genre de cornes.
- Quant à nous, dussions-nous nous voir une fois de plus acculés à l’hypothèse des créations successives de chaque espèce ou même de chaque genre en particulier, nous croirons difficilement que la lignée des caméléons ait pu si bien adapter aux exigences de la lutte pour la vie : la longueur, en apparence inutile de ses jambes, sa langue prodigieusement mobile, ses yeux indépendants, ses doigts en pince, sa queue prenante et ses changements de couleur que l’on retrouve, il est vrai, chez certains mollusques et chez certains poissons, mais qui ne sont en aucune façon — la chose est bien prouvée — adaptés aux nuances du milieu ambiant. Les facultés de l’animal se résument dans l’habileté avec laquelle il fait mouvoir sa langue ; est-ce là une condition de survivance des mieux doués ? Enfin n’est-il pas prodigieusement ridicule d appliquer ici la théorie de la sélection sextuelle ? Alors que nous avons, nous, si peu de perspicacité à cet égard, comment pouvons-nous croire que les
- caméléons devinent si bien les caprices de leurs femelles et s’y conforment au point de perpétuer leurs moyens deséduction dans leur progéniture?
- P. Küntz.
- Une grotte aux Etats-Unis
- On connaît aux Etats-Unis cinq ou six grottes remarquables par leur étendue et leur beauté.
- Une correspondance de Lichfield (Etat de Kentucky) annonce qu’on vient d’en découvrir une nouvelle à un mille du bureau de poste de ce village, sous la ferme de M. Evan Rogers.
- Derrière la maison Rogers est une colline élevée dans laquelle sont percées plusieurs petites grottes, dont une sert de cave à la famille. Dans le dessein de l’agrandir, M. Rogers a fait sauter les rochers formant le fond et mis ainsi à découvert une vaste ouverture, qui n était séparée delà grotte cave que par une mince paroi de roc d’albâtre couvert d’une formation calcaire, et il a eu la surprise de voir devant lui une grotte immense, avec avenues de plus de cent pieds de large. Sautant à cheval, il a couru faire part de sa découverte aux habitants du village, puis, accompagné d’un certain nombre de personnes munies de torches, il est revenu explorer le mystérieux souterrain. Dès l’entrée dans la grotte, les explorateurs ont été fortement* impressionnés par sa grandeur. Pendant trois heures ils ont suivi ses spacieuses avenues aux formations étonnantes, et iis ont rencontré ensuite une première barrière, une rivière large et profonde foisonnant de poissons sans yeux et de monstres également sans yeux du monde marin.
- Le lendemain, un détachement plus nombreux que la veille a recommencé l’exploration, en compagnie du surveyor John Stones, qui a mesuré exactement les distances parcourues. La principale avenue, en supposant, comme ils le croient, qu’ils en ont atteint le bout, a 14 milles de long. La rivière est large, longue, assez profonde pour permettre la navigation d’un petit bateau à vapeur de l’Ouest. De magnifiques stalactites, brillantes comme des diamants énormes, pendent aux voûtes, et plus bas de lourds stalagmites et des piliers d’albâtre ressemblent à autant de monuments artistiques.
- Dans une chambre se trouve une pyramide, exactement semblable à celles d’Egypte, ainsi qu’un autel maçonnique et quelques emblèmes, et un grand nombre de momies très bien conservées dans des cercueils de pierre sculptée. Tout indique que cette grotte a été l’habitation d'une race préhistorique analogue aux anciennes races égyptiennes. Un géologue de Louisville a emporté plusieurs momies et d’autres spécimens, mais il a été décidé de laisser la pyramide intacte.
- Le Directeur-Gérant : GODIN.
- L’ÉCOLE
- BEVUE DE L’INSTRUCTION PRIMAIRE, PARAISSANT LE DIMANCHE
- Dikecteük : J. SAINT-MARTIN, député.
- Pédagogie théorique pratique.— Sciences naturelles. — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour les brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique. — Histoire. — Littérature. — Musées scolaires.— Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le texte.
- 6 fr.paran. Lesabonnementspartentdulerdechaquemois. On s'abonne en envoyant un mandat-poste à l’ordre de M. PICARD-BERNHEIM O 11, rue Soufilot, à Paris.
- 6tua t--Quentin— Inap. de la Société anonyme du Glaneur
- p.64 - vue 65/836
-
-
-
- 6- ANNÉE, TOME 6 — N* 478 * numéro bMmadaire 20 e, DIMANCHE B FÉVRIER 1882
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS. PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . .
- Six mois . . . Trois mois . .
- 10 fr. »» 6 »» 3 ))»
- Union postale
- Un an. . . . ilfr. »» Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- w :*c ss
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Les questions sociales :le logement aux pauvres — Voyage autour du Familistère XI — Faits politiques et sociaux — Les Revendications du sol — Le Magnétisme — Variété.
- LES QUESTIONS SOCIALES (1)
- Le logement aux pauvres
- XII
- Dès que la question sociale est envisagée au point de vue des garanties nécessaires à l’existence, le logement se range au nombre des premiers besoins à satisfaire. Il faut ou nier le droit à la vie, au citoyen privé de ressource, ou lui reconnaître le droit au couvert.
- Dans les sociétés civilisées où la multiplicité des
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre: 4 il 18, 25 décembre 1881 ; 1, 15, 22 et 29 janvier 1882. ’ ’
- fonctions semble devoir répondre à la multiplicité des besoins, on se repose sur les propriétaires de maison, les logeurs, les aubergistes et les hôteliers pour donner abri à ceux qui le demandent. La Société se confie à cette illusion que chacun à l’argent nécessaire pour payer son logement. Malheur à ceux qui sont dans l’impuissance de le faire. Quelque recoin d’impasse ou quelque refuge ignoré des champs sont seuls témoins de leurs douleurs et de leurs angoisses.
- Parmi les peuples anciens moins avancés que nous en civilisation, et même encore parmi certaines populations, l’hospitalité est considérée comme une des premières vertus sociales. Partout où se trouve une habitation, le soir venu elle est ouverte au voyageur. Les vertus domestiques inspirent spontanément ce respect de la vie humaine qui fait accorder, à l’individu, l’asile dont l’hôte ne voudrait pas être privé en pareille circonstance.
- La vertu de l’hospitalité a été remplacée dans nos sociétés civilisées par l’égoïsme de chacun chez soi et par la cupidité de l’argent au moyen duquel on acquiert un abri. Malheurà ceux qui, faute d’argent, ne peuvent se payer un lit pour la nuit.
- On conviendra que notre civilisation n’a pas élevé sa bonté morale au niveau de son état de prospérité, puisque chez elle la vertu hospitalière est complètement oubliée et perdue ; et que la Société, malgré l’état prospère de la richesse générale, ne remplace cette vertu par aucune mesure d’hospitalité générale. Et pourtant quelle différence entre la pauvreté des peuples qui pratiquent l’hospitalité, et l’état de ceux qui, de nos jours, jouissent des ri-
- p.65 - vue 66/836
-
-
-
- 68
- LE DEVOIR
- chesses accumulées par le travail des générations modernes.
- J’ai démontré au cours de ces études comment l’individualisme s’emparant de toute chose, la Société a privé le citoyen de la jouissance de ses droits naturels et lui a enlevé le libre accès aux choses de la nature. Nous voyons maintenant que là où la nature libre lui laisse encore cette jouissance, il y trouve aussi l’hospitalité que n’offre plus notre Société policée. Ces faits passent trop inaperçus de ceux qui jouissent de tous les avantages de notre prospérité foncière, mobilière, industrielle et commerciale. Ils ne se doutent pas assez que les privations des exploités, les tortures de ceux qui ont faim, de ceux qui n'ont qu’un abri insuffisant, sont des brandons de discorde sociale, des causes qui éveillent l’aigreur dans les esprits et l’idée de revendications* violentes.
- Combien il serait plus sage de la part de nos classes dirigeantes, d’avoir le juste sentiment de ces misères et des remèdes à y apporter, que de s’abandonner à la politique stérile des ambitions égoïstes, et de se livrer à l’avide curée des spéculations financières, pour accumuler des honneurs et des richesses qui n’ont aucune utilité sociale.
- Que de vanités malsaines, que d’honneurs mensongers ! Dans combien d’erreurs et de préjugés mondains notre Société moderne s’enfonce-t-elle de plus en plus ! Quand donc adviendra le jour de la régénération du sentiment qui mettra l’idée du juste et du vrai à la place des turpitudes anti-sociales qui affligent la Société. Quel beau rôle ce serait pour les classes dirigeantes de comprendre les périls de la voie trompeuse dans laquelle elles sont engagées, et de se mettre à l’oeuvre pour faire servir la puissance des forces de la Société moderne à créer les réelles grandeurs de l’humanité, en relevant les masses populaires par le travail, l’aisance et l’instruction.
- Ah ! du jour où ce sentiment serait entré dans la pensée des hommes d’Etat, les questions qui s’agitent dans la profondeur des couches sociales leur apparaîtraient sous un jour nouveau. Le sort des classes laborieuses ne serait plus, par exemple, traité avec la sévérité que l’Angleterre est entraînée à appliquer aux malheureux expropriés et affamés de l’Irlande.
- Or, qu’on ne s’y méprenne pas, toutes les nations ont leur Irlande ; toutes elles ont leurs déshérités et leurs dépouillés de tout bien. Si les classes dirigeantes écoutaient aujourd’hui la voix de la Sagesse, elles comprendraient que celle-ci leur conseille de s’inspirer de la justice et du devoir, pour laisser aux
- classes laborieuses ce qui leur est dû : la possibilité de vivre en travaillant et de jouir de tous les droits attachés à la dignité d’homme.
- La mutualité sociale étendue aux garanties nécessaires à l’existence et l’association des travailleurs aux bénéfices de la production seront la solution de toutes ces difficultés, si l’on n’attend pas l’heure des revendications violentes pour les.établir.
- J’ai posé en principe que l’organisation de la mutualité sociale conduisait à ce que l’Etat fît la part des masses populaires, dans les accroissements que le capital reçoit par le fait du travail. Un prélèvement sur les successions de toute nature et le retour à la nation des biens et du sol, au décès des propriétaires qui ne laissent pas d’héritiers du sang, mettraient bien vite à la disposition de la société les réserves matérielles suffisantes pour fonder les institutions propres à donner aux déshérités de la société le droit à l’asile, au travail et aux choses indispensables à la vie.
- Sur le sol redevenu propriété sociale, l’habitation et le logement ne seraient plus abandonnés à la spéculation des propriétaires de maisons, des logeurs et des hôteliers ; l’Etat deviendrait soucieux du bien-être de tous les citoyens ; l’usage de la propriété serait établi de manière à faire place à toutes les conditions.
- Le retour à l’Etat d’une part des biens de toute succession et de la totalité de ceux sans successeurs directs, aurait ce mérite de socialiser la propriété sans secousse, sans expropriation, sans contrainte d’aucune sorte, et de mettre le gouvernement en mesure d’ouvrir un champ libre à l’expérience d’habitations nouvelles pour le peuple et à toutes les réformes, en en laissant la responsabilité aux citoyens.
- L’habitation bien comprise et bien ordonnée est un des premiers éléments que la science de l’économie sociale livre à l’étude des hommes, qui sincèrement, veulent l’amélioration du sort du peuple. Pour peu qu’on médite sur ce sujet, on s’aperçoit bien vite que le logement convenable est indispensable aux satisfactions de l’existence, et que pour ceux qui en sont privés la vie s’écoule dans un état de gêne perpétuelle.
- La réforme de l’habitation ouvrière est depuis longtemps un sujet d’examen. Les grandes industries concentrant la population laborieuse ont attiré l’attention sur ce sujet. Mais, si l’on s’est occupé de la question, on l’a fait beaucoup moins au point de vue du bien-être et de l’amélioration du sort de l’ouvrier, qu’au point de vue des avantages qui devaient en ressortir pour les capitaux engagés dans
- p.66 - vue 67/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- m
- ces sortes d’entreprises, ou pour les usines et fabriques, en vue desquelles s’élevaient ces logements.
- La parcimonie dans l’étude des plans a été la conséquence de ces considérations ; l’idée préconçue d’un revenu direct et immédiat à obtenir de ces maisons d’ouvriers excluait un but social. On pouvait faire parade d’un tel but et l’afficher, mais la spéculation et l’amour du lucre étaient les réels mobiles de ces entreprises. C’est pourquoi jusqu’ici les contempteurs des réformes sociales ont fait tant d’efforts pour exalter la petite maison d’ouvriers, et la présenter comme une panacée sociale. La petite maison s’accorde à leurs vues et à leurs intérêts ; les populations les plus arriérées n’ont jamais habité autre chose que de petites maisons. Ge sont les petites maisons qui sont les réceptacles de toutes les misères ; mais avec ces vieilleries rajeunies les esprits étroits sont satisfaits ; le plan est à leur portée et ils ne s’aperçoivent pas que la petite maison qu’on vante tant pour l’ouvrier, est bien plus rapprochée de la hutte du sauvage par l’absence de confort qu’elle ne l’est des habitations commodes et splendides de la classe riche et même de la classe aisée de nos villes.
- Lorsque l’Etat, par les motifs que j’ai précédemment expliqués, sera en mesure de livrer, à des associations de travailleurs, des domaines et des usines dont l’exploitation sera débarrassée des considérations d’intérêt personnel, toutes choses seront faites d’après les données les plus rationnelles de l'économie sociale, on verra alors les habitations coordonnées de la façon la plus avantageuse aux familles et à toutes les fonctions de la population. On fera en sorte que l’habitation se prête à donner toutes les facilités pour l’éducation et l’instruction générale des enfants, pour les relations des habitants entre eux et des travailleurs avec les ateliers, les fermes et les cultures.
- Les habitations seront groupées et ordonnées de façon à ce que toutes les choses d’un usage commun : salles de réunion, bibliothèque, magasins de provisions et tous services publics soient également à la portée de chaque famille.
- Sous le régime du travail en participation organisé sur les propriétés de l’Etat, l’habitation ne sera plus une propriété individuelle, mais une propriété sociale que chacun louera à l’association suivant ses besoins et sa convenance.
- \ Les habitations et les usines s’édilieront sur les terrains de la mutualité, comme cela se fait à Lon- 1 dres sur le terrain des « landlords », avec cette ! différence que les « landlords » anglais cumulent la I
- plus-value à leur profit, tandis que le bénéfice des constructions dont il s’agit restant à l’Etat, restera au peuple qui les aura édifiées. L’Etat, une fois propriétaire par voie d’héritage, loue aux individus ou aux associations ouvrières de toute nature, par voie d’adjudication publique; il impose dans les baux le respect d’une juste participation du travail dans les bénéfices de la production et jamais il ne se dessaisit de ses droits sur le fonds social.
- Lorsqu’il en sera ainsi on ne verra plus des familles entières, à la merci des propriétaires, jetées sur le pavé des rues avec leurs meubles, obligées de coucher dehors sans asile et sans feu. On ne verra plus des malheureux en guenilles, vivant d’aumônes ou de larcins pendant le jour et, la nuit, obligés de chercher un gîte insolite, compromettant pour leur existence et pour la sécurité publique. La dignité individuelle retrouvera son rang et la personne humaine le respect qui lui est du.
- (A suivre). Godin.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIEME PARTIE XI
- Quel est l’homme ayant un peu d’expérience de la vie qui contestera que les dispositions d’esprit dans lesquelles on se trouve, le milieu ambiant favorable ou contraire, et mille autres circonstances contribuent singulièrement à modifier suivant les cas 'impression qu’on ressent à la vue d’un spectacle quelconque ? Le jeune homme qui vient de passer brillamment ses examens, but de ses travaux depuis des années, ne voit pas évidemment les choses du même œil que l’infortuné fruit sec, qui, au lieu d’un triomphe, vient d’essuyer une défaite. L’homme dont on vient d’orner la boutonnière du ruban rouge, rêve de tant de médiocrités ambitieuses, ne regarde pas la fouie qui passe sous ses yeux comme celui qui sort du tribunal, où il s’est entendu condamner à une amende dans le genre de celle qu’a essuyée tout récemment Fauteur des » Amours secrètes de fie IX » surtout si il n’a pas les moyens de la payer. Mais au fait ! Une condamnation à l’amende de 60,000 francs, comme celle-là, est-elle plus sensible pour celui qui 11e peut pas la payer ou pour celui qui en a les moyens ? Voilà une question assurément intéressante sur laquelle, j’en suis certain, les avis seraient partagés.
- Les uns soutiendront que celui qui peut payer
- p.67 - vue 68/836
-
-
-
- 68
- LE DEVOIR
- doit sentir plus vivement cette peine, qui le prive brutalement et sans compensation d'une somme importante, brèche sérieuse à sa fortune. D’autres diront qu’il est au contraire plus triste de ne pouvoir s’acquitter d’une dette aussi impérieuse, et de se trouver dans une situation d’insolvabilité, qui entraîne toujours après elle une sorte de honte et de déshonneur. Y a-t-il réellement du déshonneur à se trouver dans l’impossibilité de payer une amende que l’on vous impose, sans savoir si vous êtes ou non en mesure de la payer ? Encore une question à élucider, mais nous nous abstiendrons de le faire parce qu’en définitive nous ne sommes pas venus dans cet atelier de Fébarbage et de l’ajustage pour discuter à perte de vue sur toute espèce de questions.
- Je sais bien que l’amende infligée à titre de pénalité ne nous en écarte pas autant que l’on pourrait le croire, car enfin ces travailleurs nombreux que nous appercevons, s’escrimant de leur mieux à polir les pièces venues de la raperie, en. encourent quelques fois, des amendes, cela est certain. Mais au moins ici l’administration qui les inflige a toujours la précaution, que les tribunaux négligent trop souvent, d’en proportionner le montant, non-seulement au dégré de culpabilité, mais encore aux ressources pécuniaires du délinquant. Dans ces conditions l’amende devient une sanction utile et efficace. Ajoutons qu’ici l’emploi de ces amendes leur est connu, puisqu’il est intégralement versé dans les caisses mutuelles contre la maladie ou autres, qu’ils administrent eux-mêmes, et dont ils profitent seuls.
- La journée radieuse et ensoleillée au possible répand la lumière, cette gaieté riante de l’atmosphère, dans ces vastes ateliers où chaque ouvrier à son banc travaille la pièce fondue et moulée, pour en enlever les bavures, les arêtes, les rugosités que le moule a laissées. Le silence relatif de la raperie est ici remplacé par le cri strident des meules d’émeri, dont le rapide mouvement de rotation fait jaillir de la fonte une gerbe d’étincelles brillantes multipliées à l’infini. À ce bruit se mêle celui des limes mordant de leur côté sur la fonte, des polissoirs qui unissent les plaques, des machines à forer les trous des boutons pour le montage des pièces des meubles, et que la vapeur fait mouvoir. Des centaines d’ouvriers, les uns armés de limes, les autres de cisailles pour couper la tôle des tiroirs, ceux-ci de marteaux de forge pour donner aux tiges de fer la forme voulue, ceux-là d’outils divers qui les aideut à compléter la besogne fournissent par leur mouvement incessant un tableau pittoresque de l’activité
- humaine. Partout où le regard se poste, on voit des têtes penchées sur l’étau et des bras se mouvant sans cesse dans un sens ou dans l’autre. On sent là la vie, l’action, la fièvre delà, production. C’est assurément un beau spectacle, et lorsqu’on le contemple comme nous en ce moment par une belle journée d’hiver clémente et radieuse, l’âme bien disposée l’admire sans contrainte.
- Croyez-vous, me dira-t-on, que si au lieu de visiter ces ateliers par un beau temps sec et clair, vous les aviez parcourus par un temps humide, froid et sombre, le tableau vous eût paru moins animé, moins digne d’admiration ? Eh bien, je répondrai carrément que oui, dut-on me traiter de radoteur paradoxal et inepte. Evidemment le spectacle eût été le même, mais les dispositions dans lesquelles j’en aurai pu jouir auraient été très différentes, et comme, après tout, , en fait d’impressions, le subjectif tient une place beaucoup plus considérable que l’objectif, c’est lui qui modifie, suivant les circonstances, l’appréciation du même fait ou de la même chose. Ainsi, par exemple, que l’on .place à côté l’un de l’autre à une représentation de Faust, à l’Académie Nationale de Musique, deux hommes aussi mélomanes et aussi connaisseurs l’un que l’autre, mais dont l’un aura parfaitement dîné avant d’y venir et se trouvera dans les meilleures conditions de satisfaction morale, et dont l’autre sera complètement à jeun, affamé par conséquent, ennuyé de quelque grosse contrariété éprouvée dans la journée, agacé, nerveux, mal disposé enfin. Le premier sera plein d’indulgence pour les artistes, il les applaudira volontiers, tandis que le second relèvera la moindre intonnation douteuse, la plus légère infraction aux règles, et sera beaucoup plus avare d’applaudissements que de marques d’improbation.
- Je ne sais plus quel humouriste fin observateur disait que pour obtenir une faveur d’un homme en bonne santé, il fallait choisir de préférence l’heure d’après son déjeuner, parce que l’homme repu est toujours plus débonnaire que celui qui se trouve à jeun. Un proverbe ne nous dit-il pas que ventre affamé n’a point d’oreilles. Le même auteur, Brillat-Savarin, je crois, ajoute qu’il n’en est point de même si l’on a à faire à un homme souffrant de gastrite, de gastralgie ou de toute autre affection rendant la digestion difficile et pénible, car dans ce cas, il vaut mieux l’aller trouver avant son repas. Tant il est vrai qu’en ce bas monde tout est peu ou prou affaire de tempérament.
- Eh bien, comme mon tempérament me porte invinciblement à préférer le soleil au brouillard, la chaleur au froid, ce qui est gai et brillant à ce qui
- p.68 - vue 69/836
-
-
-
- LS DEVOIR
- 69
- est triste et terne, il n’est nullement surprenant que j’aie ressenti une meilleure impression qu’en pré sence d’un atelier sombre et maussade.
- Beaucoup de travailleurs n’y ont point de spécialité bien marquée, et il peuvent passer aisément d’une besogne à l’autre, mais quelques-uns en ont à laquelle ils sont tout particulièrement attachés. Parmi ces derniers, il est à peu près impossible de ne point remarquer un bon vieillard à barbe blanche, petit et maigre, qui confectionne les petits tisonniers des cuisinières et autres appareils de chauffage ordinaires. Il s’acquitte depuis vingt ans pleins de cette besogne, dont il a naturellement une grande habitude. Le siècle avait onze ans lorsqu’il vint au monde, dirait notre grand poète, et malgré ses soixante et onze ans bien sonnés, il fait journellement une moyenne d’environ deux cents de ces outils, dont il tourne les poignées en métal. Ainsi, depuis son entrée à l’usine, le nombre de poignées de tisonnier qu’il a faites dépasse déjà un million.
- Pourquoi, à propos de cette somme de production, l’encrier d’argent donné par les étudiants à M. Laboulaye sous l’Empire me revient-il obstinément I à l’esprit ? J’ai beau creuser ma cervelle pour trou- I ver la moindre corrélation entre ces deux choses, I je n’en trouve aucune, à moins que ce ne soit une 1 idée bizarre qui m’est passé par la tête. Il me | semble que l’on devrait, lorsqu’un travailleur a j atteint ce chiffre de production, consacrer ce fait! par le don d’un des outils qu’il fabrique, éxécuté en I argent. Ce serait comme le sabre d’honneur que l’on décerne à certains militaires plus méritants que d’autres, et qui fait l’orgueil des enfants de celui à qui on l’a donné. Car vingt années d’un travail constant et assidu invariablement le même, se rend-on compte de ce que cela représente.de fatigues, de sueurs, de sensations douces ou pénibles, de luttes, d’efforts, de persévérance et de sagesse ? Que de bons et de mauvais jours, que de joies et de peines doit rappeler à cet homme cet étau auquel il est resté si longtemps attaché, qu’il en est probablement devenu comme un élément pour ainsi dire indispensable de son existence.
- car quinze jours après on portait sa dépouille mor-teille au cimetière.
- L’habitude, pour la plupart des hommes, crée un ensemble des besoins que l’on a qualifié de seconde nature, et les besoins naturels sont infiniment moins impérieux pour l’homme que ces besoins factices qui le plus souvent paraissent n’avoir aucune raison d’être. C’est ainsi que l’on voit les fumeurs, par exemple, préférer se priver de pain que de tabac, et tous les raisonnements du monde ne pourront jamais rien contre ces aberrations d’esprit, que combattent avec tant de vigueur les membres convaincus de la Société contre l’abus du tabac. Mais comme bien rares sont ceux qui n’ont point ainsi quelque besoin factice, le mieux est d’avoir de l’indulgence toujours pour ces défauts chez les autres, afin d’avoir le droit d’attendre cette même tolérance pour soi.
- Pendant que nous nous livrons à ces divagations de l’esprit, nos travailleurs exécutent vite et bien leur besogne, et les pièces sont ébarbées, polies, limées, montées, prêtes en un mot à passer dans les ateliers suivants, où elles subiront l’opération du minage ou celle de l’émaillage. Auparavant les pièces unies et plates, telles que les couvercles ou les ronds des fourneaux de cuisinières passent au moulage, où l’action de fortes meules en grès rouge polit la fonte. Les ouvriers chargés de cette besogne pénible et malsaine portent un grand tablier et des jambières imperméables pour éviter le contact de l’eau qui ne cesse d’arroser les meules. C’est là que le bruit est assourdissant et désagréable ; aussi ne nous y arrêterons-nous pas, cher lecteur, car si bien disposé que je sois par ce beau soleil à vous complaire, cela ne va point jusqu’à me faire tolérer trop longtemps ce brisement constant du tympan qui finirait par se rompre à ce charivari fantastique.
- Disons en terminant que frappé des nombreux inconvénients que présente ce procédé très-imparfait d’ailleurs de polissage, on se préoccupe de le remplacer par d’autres plus conformes aux besoins du progrès toujours croissant, et formulons le vœu que les études faites dans ce sens aboutissent et soient couronnés de succès. (A suivre)
- Qui sait en effet si enlever à cet homme brusquement cette occupation,dont il a une si longue habitude, ne serait point lui porter un coup mortel ? J’ai connu dans une imprimerie de Paris, un vieux chef d’équipe qui depuis quarante ans avait toujours été attaché à la même machine. Un jour, en raison de son âge, on le mit à la retraite, et du jour au lendemain son existence se trouva de la sorte radicalement transformée Le pauvre homme n’y résista pas,
- —1—-
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Opinion, de la presse sur la clmte du ministère Gambetta 1
- 1° JOURNAUX DE PARIS
- Le Globe :
- Que fera-t-on demain? C’est l’incertitude la plus profonde.
- p.69 - vue 70/836
-
-
-
- 70
- LE DEVOIR
- Le ministère est tombé sur un vote qui ne pouvait être accepté par aucun gouvernement clairvoyant, ami de l’ordre dans les réformes et de la prudence dans le progrès. M. Gambetta est tombé après un succès personnel sans précédent. Son discours a soulevé à plusieurs reprises d’unanimes applaudissements; il aura en France un retentissement immense.
- Maintenant nous attendons ses successeurs à l’œuvre. Nous verrons comment le nouveau ministère s’y prendra pour donner satisfaction aux demandes de réformes formulées par le suffrage universel du 21 août et du 4 septembre, par le suffrage restreint du 8 janvier.
- Le Voltaire :
- La journée de jeudi n’a pas été bonne pour la République. Nous ne saurions taire, pour notre part, l'affliction que nous cause le verdict rendu par la Chambre.
- Le pays, qui lira l’admirable discours de M. Gambetta, sera de. notre sentiment. Ceux-là mêmes, parmi les républicains, qui se sont associés à ce vote de coalition, ne seront pas les derniers à regretter leur rôle dans la journée du 26 janvier.
- Ce qui a triomphé, c’est l’esprit de rancune, c'est le particularisme étroit, le scrutin d’arrondissement ; ce qui a triomphé, c’est la politique ultra-modérée alliée à la politique intransigeante. Des rancunes coalisées l’ont emporté, grâce au renfort qui leur est venu de la droite.
- ...M. Gambetta tombe noblement, dignement; il tom.be à gauche. Ses adversaires eux-mêmes sont obligés de reconnaître et d’avouer que l’attitude du président du conseil n’offre pas la moindre prise à la critique.
- La chute du président du conseil est faite pour grandir l’homme; elle nous afflige seulement parce qu’elle est capable de compromettre les intérêts de la République progressive.
- La Justice (journal hostile) :
- Nous pouvions craindre, nous autres radicaux, de rester longtemps isolés en défendant les droits du Congrès ou en continuant, contre les tendances autoritaires de M. Gambetta, la lutte que nous avons entreprise en bien petit nombre, il y a longtemps. Nous avons vu se joindre à nous, sur notre terrain, des hommes venus de tous les côtés de la majorité. On a parlé de coalition. Y a-t-il eu coalition? Non, la résistance commune en face d’une menace commune n’est pas une coalition. Mais si ce mot pouvait s’appliquer, ce ne serait assurément pas aux radicaux; ils n’ont eu qu’à persévérer.
- M. Gambetta est descendu du pouvoir, en comptant sur la revanche du lendemain . Geque sera ce lendemain, nous l’ignorons. Ce n’est pas noire affaire. L’influence reste aux mains de la majorité modérée queM. Gambetta a poussée à bout. Elle sera demain, à peu de chose près, ce qu’elle était il y a deux mois. C’est elle qui décidera ce qui sera demain, et qui en a la responsabilité. Mais quoi qu’il arrive, nous croyons que M. Gambetta et ses amis se font de grandes illusions. La popularité suit dans leur chute tous les hommes d’Etat, quels qu’ils soient, qui tombent au pied au drapeau. Ici, où est le drapeau ?
- Le XIXe Siècle :
- La Chambre avait à choisir entre un excellent terrain le rejet du scrutin de liste, et un terrain détestable, l’adoption de la révison sans limites. Or, c’est le terrain détestable qu’elle a choisi, qu’elle a choisi en se déjugeant, tandis que le cabinet est tombé en plaidant la cause raisonnable, la cause à la fois conservatrice, pratique et logique de la révision limitée ! Ce sont, enfin de compte, les chinoiseries de la commission qui auront paru triompher sur toute 3a ligne. Le ministère a succombé sur la question de la révision limitée, quand il n’aurait dû succomber que sur la question du scrutin de liste. IL est important d’ajouter que ce triomphe de ia commission aboutit en outre à un ajournement indéfini de la révision constitutionnelle et delà réunion du Congrès, que le Sénat ne saurait accepter dans les conditions qu’on lui fait.
- 1 Donc, mauvaise séance, et très mauvaise. On voulait | la chute de M. Gambetta, nous le comprenons. Mais * quand on pouvait le renverser pour les plus justes raisons, on. l’a renversé dans des conditions absolument
- !! impolitiques.
- Le Petit Parisien :
- Yoilà donc le dernier coup porté au pouvoir personnel. Sa plus redoutable incarnation est morte. Toute résurrection est désormais impossible. La France peut respirer, car on se demandait avec effroi où aurait pu la conduire la dictature confirmée dans les mains d’un homme dont les ambitieux projets et les dangereuses incartades s’étaient déjà, à plusieurs reprises, visiblement manifestés.
- M. Gambetta par terre, c’est la République debout, prêtre à reprendre l’œuvre progressive et réformatrice I déjà commencée et qu’avait interrompue la bataille per-! sonnello engagée par lui ; son court et inutile passage
- !! au pouvoir n’aura servi qu’à rendre plus urgente et plus nécessaire la constitution d’un ministère fermement républicain et décider à marcher résolument dans la voie, du progrès et des réformes nettement définies dans tous I les programmes électoraux de 1881. N’ayant plus à se . préoccuper de servir un homme, ceux qui arriveront aux affaires demain pourront librement servir la République, Iis n’auront plus à se préoccuper de ce que voulait M Gambetta, mais de ce que veut le pays. Hier la Chambre a déblayé le sol de la démocratie de la personnalité dangereuse qui l’encombrait ; à présent, on peut
- I construire : les matériaux sont là et le peuple attend avec confiance le véritable couronnement de l’édifice, — la liberté.
- Le Petit XIXe Siècle :
- Ce n’est cependant pas sur îa question du scrutin de liste que tombe le cabinet. Il tombe sur la question de la limitation des pouvoirs du Congrès. On peut donc dire qu’il tombe à droite.
- L'Union républicaine :
- INous venons d’assister au triomphe du mensonge sur la vérité.
- ... Nous nous trouvons enfermés dans un dilemme dont nous ne pouvons sortir :
- Ou les députés n’ont compris ni leur premier vote, ni le second, et,alors leur intelligence n’est pas à la hauteur de leur mandat.
- | Ou ils ont joué une comédie infâme en poussant notre plus grand patriote au pouvoir pour l’abattre aussitôt.
- Dans un cas comme dans l’autre, nous Français, nous n’avons qu’un sentiment : la honte.
- Le Moniteur universel :
- Le grand rôle de M. Gambetta est fini. On ne se relève pas de l’échec qu’il vient de subir. Nous ne voulons pas dire que le chef de l’opportunisme disparaîtra complètement de la scène. Mais, de toute façon, la doctrine politique dont il a été le représentant est mortellement atteinte : l’opportunisme a vécu. Quant à son chef,^on le verra, sans doute, réfugié dans une opposition à la fois bruyante et impuissante, jouer sur les confins de la gauche avancée et de îa gauche extrême le rôle qu’ont joué avant lui sur le même théâtre et sous d’autres régimes les. Odillon Barrot et les Ledru-Rollin.
- Triste fin pour une telle ambition !
- Le Siècle :
- Les habiletés parlementaires ne parviendront pas à dénaturer la réalité ; les sophismes de 3a polémique n’y parviendront pas davantage. C’est sur ia question'du scrutin de liste qu’il voulait prématurément faire triompher contre toute bonne politique, malgré les avertissements de ses amis désintéressés contre les vœux des
- 1 représentants du pays et à la surprise du pays lui-même. que le cabinet de M. Gambetta est tombé ; c’est pour épargner à la nation les inquiétudes, les aDgoisses
- p.70 - vue 71/836
-
-
-
- LÉ DEVOTE
- 71
- même d’une inévitable campagne dissolutionniste, c’est pour sauvegarder sa propre dignité et celle du suffrage universel, que la Chambre a eu le courage de faire son devoir.
- Le Radical :
- Il est tombé, non sur le scrutin de liste, mais sur sa doctrine de la limitation des pouvoirs du Congrès. La Chambre a montré là un sentiment très net de ses de-voirs et de la souveraineté du peuple.
- Elle a, en un mot, et malgié toutes les séductions, condamné le pouvoir personnel.
- La République française :
- M. Gambetta n’est plus au pouvoir. La Chambre des députés lui a déclaré nettement qu’il n’a pas sa confiance. Personne n’en sera surpris. Ce qui, au contraire, étonnera peut-être le pays, c’est que la Chambre s’est séparée du cabinet non pas sur le scrutin de liste, mais sur une question bien plus générale.
- ......Elue pour la révision, la Chambre vient de rendre la révision impossible Cela est évident. Elue pour faire des réformes, elle vient de mettre en minorité le ministère réformateur. C’était son droit. Élue pour donner au pays la stabilité gouvernementale, il faut qu’elle remplace le cabinet du 14 novembre par un cabinet pins viable. C’est son devoir. Le remplira-t-elle? Son désir suprême est de durer. Durera-t-elle ?
- tout le monde. On se consolera donc dé la chute d’un cabinet dont le premier soin a été de donner des postes importants aux pires ennemis de 3a République et qui a réussi, après avoir obtenu deux blancs-seings, deux votes de confiance peut être uniques dans l’histoire parlementaire, à mécontenter l’immense majorité du parti républicain.
- Le Petit Républicain de l'Est :
- Après le Grand-Ministère, nous en demandons un tout petit. Les représentants qui ont besoin d’un pion pour les diriger ne sont que des écoliers.
- Sous une monarchie, il est difficile d’être bon ministre. Mais en République, rien de pins simple. Au lieu de s’inspirer de sa seule pensée, on écoute l’opinion publique et on fait ce qu’elle commande. Avec de l’honnêteté dans le but, de la logique dans les moyens, tout homme intelligent et instruit peut remplir ce rôle.
- Si, aujourd’hui, au lieu de délibérer pacifiquement sur des réformes, nos représentants sont obligés de lutter contre le pouvoir personnel, c’est encore à Thiers et à sa funeste influence que nous le devons. N’est-ce pas lui, en effet, qui a distillé dans le cerveau de Gambetta le venin de ses principes, qui lui a montré le chemin des volte-face et des abandons, de sorte que celui qui autrefois pour Thiers n’était qu’un « fou furieux », se fait appliquer la même épithète par toute la démocratie.
- Le Réveil :
- Tout fait supposer que, pour satisfaire son insatiable ambition, il va, désormais, se poser en réformateur à outrance.
- Ses phrases sonores n’entraîneront plus personne, et s’il lui prend fantaisie d’aller à Believille affronter le jugement de ses électeurs, il verra ce que vaut son éloquence creuse auprès des honnêtes gens doBt il a trahi la confiance.
- Le Rappel :
- La victoire de la Chambre est complète, absolue. Quant à la chute du ministère, elle ne peut être imputée qu’à ses fautes et à son obstination... Il tombe pour avoir trop laissé voir qu’il suivrait volontiers la tradition jacobine de la Révolution française, tandis que c'est la tradition libérale qui est la bonne et la vraie.
- Le Temps :
- En refusant au cabinet présenté par M. Gambetta les conditions que ce cabinet considérait comme indispensables à une action gouvernementale qui ne risquerait pas de se heurter chaque jour à d’incessants mauvais vouloirs, à des préoccupations d’intérêt local, la Chambre a contracté à l’égard du pays l’obligation de justifier son vote d’hier par l’attestation de son sens politique et de son aptitude à fournir une majorité stable et homogène de gouvernement.
- L'Indépendant de VA UUr :
- Nos prévisions se trouvent ainsi complètement réalisées : la majorité a fait un acte politique de la plus haute importance et dont les conséquences ne peuvent que fortifier la République,
- Nous félicitons la Chambre de son indépendance.
- La République de V Oise \
- Le renversement dn cabinet Gambetta ne doit pas être le signal d’un recul ou même d’un arrêt dans la vole de la République progressive. Il s’était annoncé comme réformateur, et la nation l’avait applaudi. Mais il s’est montré autoritaire, et c’est pourquoi il est tombé.
- Que le futur cabinet soit à la fois réformateur et libéral, — et il vivra.
- Le Radical, de Marseille :
- La Chambre des députés n’a pas hésité à ratifier les résolutions que lui proposait sa commission; elle a éloigné toutes les considérations personnelles que lui inspirait la valeur politique ou le talent oratoire de M» Gambetta, et, par son vote d’hier, elle a su affirmer avec autant de fermeté qu’on pouvait l’espérer, combien les visées fausses ou les ambitions malsaines de M, Gambetta lui étaient antipathiques.
- La séance du 26 janvier 1882 restera célèbre dans les fastes parlementaires, car le pouvoir personnel y a été frappé rudement dans son représentant le plus autorisé.
- 2° JOURNAUX DE PROVINCE
- Le Réveil de la Dordogne :
- C’est M. Gambetta qui, par la direction autoritaire imprimée à sa politique, par la passion déréglée de pouvoir personnel qu’il a laissée paraître, a détruit la confiance que la Chambre avait si pleinement témoignée à son grand orateur.
- Par ses derniers agissements, M. Gambetta en était arrivé à ce degré d’impopularité, où il lui eût été impossible de rendre au pays le calme qu’il lui a enlevé.
- A peine maître du pouvoir, M. Gambetta s’est vu contraint de l’abandonner à d’autres. Nous ne le regrettons pas.
- La République du Jura :
- Les espérances que l’on avait fondées sur le ministère Gambetta se sont évanouies pour toujours. Les tendances plus qu’autoritaires do son gouvernement ont révolté
- Le Phare de la Loire.
- En inscrivant dans le projet de révision constitutionnelle le scrutin de liste, M. Gambetta adressait à la Chambre et au suffrage universel même une injure gratuite, il diminuait l'autorité de *ce mandat au profit de là toute-puissance ministérielle, et mettait en tutelle les représentants de la nation. \
- La Chambre ne s’est pas méprise sur l’arrière-pensée de M. Gambetta, et elle a' ressenti vivement le dédain qu’il affichait pour elle. Ce qu’il voulait, c’était la tenir à sa merci, dès à présent, mais surtout lors de la future réélection, qui eût été sans doute assez prochaine.
- Le comité de la rue de Suresnes, qui avait déjà, en août 1881, essayé décarter en faveur d’amis fidèles de la politique gambettiste, les serviteurs les plus dévoués de la démocratie, eût fonctionné alors sans retenue et sans vergogne. Quiconque ne se fut pas déclaré l'homme lige du suzerain, eût été impitoyablement écarté.
- Voilà ce que la Chambre, aussi bien au centre gauche
- p.71 - vue 72/836
-
-
-
- 72
- LE DEVOIR
- qu’à rUnion républicaine, a compris, et c’est pour sauvegarder son indépendance menacée qu’elle a eu le courage de faire son devoir, en ne retenant pas M.Gam-betta.
- La Victoire de Bordeaux :
- D’une opinion publique confiante, sympathique, unanime à l’acclamer, à le soutenir, à le porter, dans un élan enthousiaste, peut-être plus haut qu’il n’eût fallu, il a fait, en deux mois, une opinion troublée, inquiète, défiante, généralement hostile : de cette Chambre que, jusqu’alors, il avait, on peut le dire, menée par le bout du nez il a fait une Chambre se refroidissant par degrés, s’éloignant de plus en plus de lui, et à la fin, excédée de ses brutalités, de ses procédés avilissants, de ses inconvenances, de son mépris maladroitement affiché, se retournant, furieuse, et le frappant d’un vote mortel.
- Le Petit Troyen :
- C’était la substitution du principe d’autorité au principe de liberté, c’était la doctrine césarienne mise au service de l’idée républicaine ; ie pays a senti le danger, les représentants de la nation ont eu peur de cette puissance abandonnée aux mains d’un seul, et tous les partisans de la liberté se sont ligués contre les autoritaires et contre leur chef, M. Gambetta.
- Voilà pourquoi M. Gambetta est tombé Qu’on ne cherche pas d’autre raison.
- Le Petit Ardsnnais :
- Il tombe pour avoir trop laissé voir qu’il suivrait volontiers la tradition autoritaire, jacobine, de la Révolution française, tandis que c’est la tradition libérale qui est la bonne et la vraie.
- L'Indépendant de Lot-et-Garonne :
- La République triomphe !
- Désormais, toute tentative de réaction ne sera plus à redouter.
- Le plus puissant athlète qui se fût levé, le plus dangereux des conspirateurs a été jeté à terre avec plus de facilité que ne le furent les hommes du 16 mai.
- Un souffle l’a renversé.
- Vivat pour nos représentants !
- Le nouveau ministère et son programme
- Nos lecteurs connaissent déjà, par la presse quotidienne, la composition du nouveau ministère formé des noms suivants :
- Président du conseil et affaires étrangères. .
- Intérieur des cultes Justice ....
- Instruction publique Finances. . . .
- Commerce . . .
- Guerre ....
- . M. de Freycinet, sén. . M. René Goblet, dép. . M. Humbert, séna -teur inamovible. . M. Jules Ferry, dep. . M. Léon Say, sén.
- . M. Tirard, député.
- . M. le général Billot, sénateur inamov. . M. l’amiral Jaurégui-berry,sén. main. . M. de Mahy, député.
- . M. Varroy, sénateur.
- . M. Cochery, député, programme tracé a grandes lignes dans la déclaration lue au Sénat et à la Chambre des députés, le 31 janvier, programme libéral et sage, dont l’exécution permettrait de réaliser toutes les réformes nécessaires pour donner pleine et entièie satisfaction aux vœux du pays, si les hommes chargés de l’appliquer savent et veulent se maintenir constamment à la hauteur de leur mission, mais, paroles vaines et promesses creuses, s’ils n’ont pas la ferme volonté de ne pas toujours se traîner dans l’ornière écœurante du passé.
- Marine et colonies.
- Agriculture. . .
- Travaux publics . Postes et télégraphes Ils connaissent aussi le
- I Nous y relevons une phrase qui semble indiquer chez les nouveaux ministres la pensée que les questions sociales doivent marcher de front, tout au moins, avec les questions politiques, et qu’il reste beaucoup à faire dans ce sens.
- « Dans une grande démocratie, » dit la déclaration gouvernementale, « l’amélioration incessante de la condition morale, intellectuelle et matérielle des classes laborieuses doit tenir le premier rang dans la sollicitude du législateur.
- « Pour généraliser parmi les travailleurs des villes et des campagnes les institutions de prévoyance et d’assistance, il reste aux pouvoirs publics beaucoup à faire ; nous étudierons de concert avec vous toutes les mesures qui pourront tendre à ce but éle?é et civilisateur, sans jamais oublier que la solution des problèmes sociaux réside avant tout dans le développement de l’initiative individuelle et de l’esprit d’association, et dans le progrès indéfini de l’éducation populaire. »
- Cette phrase est tout un programme. Heureux le nouveau ministère, s’il sait en bien comprendre toute la portée et l’appliquer dans toute son étendue. Cette œuvre accomplie vaudrait infiniment mieux que toutes les révisions et les réformes purement politiques,et permettrait de dire de lui qu’il a bien mérité non-seulement du pays, mais encore de l’humanité.
- ANGLETERRE
- Le bruit de la démission de MM. Parnell, Dillon et O’Kelly n’est probablement pas très fondé. Pour pouvoir donner leur démission, il faut que les députés anglais aient un motif, comme celui d’avoir obtenu un emploi de la couronne. Le ministère, se prêtant à une fiction d’après laquelle certains postes entraînent la démission des députés, consent quelquefois à octroyer, pour la forme, à un ami du gouvernement une nomination de conservateur d’un parc royal ou quelque autre sinécure. Mais il est peu probable que M. Gladstone songe à faire, même pour vingt-quatre heures, de MM. Parnell, Dillon et O'Kelly des fonctionnaires au service de Sa Majesté.
- On dit que M. Dillon, membre du Parlement, emprisonné à Kilmainham, est mourant.
- ¥ *
- Toutes les ramifications de l’ancienne ligue des home rulers existant en Angleterre se sont transformées en sections de la land league. Le dernier comité local qui fonctionnait à Londres a suivi l’exemple donné l’an dernier par le comité général des home rulers et a fusionné avec la land league.
- On sait que le gouvernement anglais a fait saisir les presses et fermer les ateliers deVUnited Ireland, le journal de la Land league déclarée illégale. La feuille proscrite va paraître à Paris dans une édition hebdomadaire qui sera importée par ballots en Irlande.
- Le premier bataillon du cinquième régiment d’infanterie a reçu par dépêche télégraphique l’ordre de se tenir prêt à partir dimanche dernier pour l’Irlande.
- Un religieux du nom ue Linname, demeurant à Mill-town, dans le comté de Glare, a été tué d’un coup de feu, mardi soir, dans sa chambre même.
- La victime était âgée de quatre-vingts ans.
- ¥ ¥
- Des hommes, et nous l’espérons des femmes de toute opinion politique et religieuse, puisque sur la liste se sont inscrits à la fois Darwin et le cardinal Manning, préparent à Londres un meeting en faveur des Juifs si lâchement et si indignement persécutés en Russie,nous applaudissons. La lutte continue en Irlande avec la même ardeur, les femmes qui forment la Ligue agraire féminine continue leur tâche malgré les arrestations qui les déciment.
- p.72 - vue 73/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 73
- RUSSIE
- Nous parlions, il y a huit jours des Ukases qui achèvent l’émancipation des paysans russes, cette semaine nous devons enregistrer les arrestations nombreuses que la police russe multiplie avec une ardeur croissante, et les exécutions qui se préparent en môme temps que la cérémonie du couronnement, que l’on n’ose faire ni à Pétersbourg ni à Moscou. Ni les pendaisons ni le couronnement ne fermeront la plaie dont le nihilisme est le terrible symptôme.
- ALLEMAGNE
- On ne dit point que le Reichstag allemand ait, lui beaucoup applaudi le commentaire que M. de Bismarck, provoqué par l’interpellation de M. Hænel, est venu lui donner sur l’esprit, le sens et la portée du Rescril royal. M. de Bismarck a cette fois bien mis les points sur les i. Le Rescrit est de tout point conforme à l’esprit et à la lettre de la constitution prussienne. En Prusse, le roi règne et gouverne. La signature des ministres engage les ministres sans dégager le roi, c’est le roi qui agit, il ne couvre point les ministres, il n’est point couvert par eux. « Les ministres sont des hommes de paille. » La monarchie prussienne est donc une monarchie absolue. Toute critique, toute approbation porte donc sur la personne royale. Point d'intermédiaire entre les Chambres et le roi, point d’intermédiaire non plus une fois les Chambres dissoutes par le roi, entre la personne royale et le peuple. M. de Bismarck voit-il clairement combien cette doctrine, qui supprime la monarchie constitutionnelle, favorise l’avènement de la république? Quand il y aura contradiction entre la volonté du roi et la volonté du peuple représenté par le Reichstag, qui devra se soumettre ou se démettre ? Le peuple ou le roi ? Et si le peuple ne voulant pas se soumettre, le roi ne veut pas se démettre, qu’arrivera t-il forcément ? Une révolution. Il s’agit de savoir maintenant si le Reichtag acceptera que cette doctrine s’étende de la Prusse à l’empire. Est-ce l’Allemagne qui se fera prussienne ou la Prusse qui se fera allemande? La question ne pouvait se poser plus clairement. Que les progressistes et les libéraux allemands se souviennent donc un peu de leurs pères de 1848.
- *r
- ¥ ¥
- Bismarck socialisant. — Le professeur d’économie sociale à l’université de Berlin, M. Wagner, partisan du socialisme d’Etat, et un des conseillers intimes de Bismarck, a exposé, dans une réunion électorale, un programme économique résumé comme suit :
- Impôt spécial sur la rente de manière à atteindre tout le capital, les contribuables ayant Vobligatîon de se taxer eux-mêmes ;
- Prohibition du jeu à la Bourse, et empêcher ainsi la spéculation à la hausse et à la baisse;
- Monopole des tramways par les communes et des chemins de fer par l’Etat.
- Gomme Wagner est un des confidents de Bismarck, il est clair que ce sont les idées de celui-ci qu’il expose et peut-être sur son ordre.
- Nous répéterons, à l’unisson de nos confrères, le socialisme d’Etat de Bismarck ne convaincra aucun socialiste.
- A une époque où. chacun se fait un devoir de penser aux questions à l’ordre du jour, il est tout de même étrange de voir une nation soumise aux jongleries d’un Bismarck se créant un socialisme et emprisonnant et expulsant les socialistes, absolument comme le bonhomme Thiers faisait de la république en fusillant et déportant les républicains.
- AUTRICHE
- L'Autriche est forcée, à la fin, d’avouer ofïïcielllement que de Grivoscie, où elle est née il y a trois mois, l’in-
- surrection a gagné la Dalmatie, puis l’Herzégovine et la Bosnie. La Serbie officielle, le Monténégro officiel gardent vis-à-vis de l’Autriche une attitude correcte, mais le peuple serbe, le peuple monténégrin font en réalité cause commune avec les insurgés, et le mouvement est si bien un mouvement d’indépendance nationale que les musulmans et les chrétiens, sans distinction, s’entendent pour l’appuyer. Aussi n’est-ce point 36,000 hommes mais 50,000 que demande déjà le (général Jovanovitch, c’est-à-dire une fort grosse armée. Ce sera, a dit sèchement et hypocritement le ministre Tisza, une grande perte d’hommes et d’argent, mais le traité de Berlin fait un devo’r à l’Autriche d’établir et de maintenir l’ordre dans ces provinces ! On l’avait bien dit il y a trois ans que ce traité de Berlin, préconisé comme une alliance de paix, serait une pépinière de guerres ! La Chambre hongroise a fort applaudi M. Tisza et ses déclarations homicides, mais avant peu l’Autriche apprendra peut-être ce qu’il en coûte d’opprimer un peuple résolu à se faire libre.
- ÉTATS-UNIS
- Le Times reçoit les détails suivants sur la condamnation de Guiteau :
- Les jurés se mirent d’accord sur leur verdict dans l’espace d’une demi-heure. Quand ils rentrèrent dans la salle d’audience, il faisait entièrement sombre, il n’y avait pas de gaz allumé, à peine quelques bougies sur la table du juge. Le clerc de la cour demanda au président si le jury avait pu se mettre d’accord. Le président répondit : Oui.
- — Quel est le verdict ? coupable ou non coupable ?
- — Coupable.
- A ce moment tout le public éclata en applaudissements.
- Dès que l’ordre fut rétabli, ie président du jury répéta :
- « Coupable du crime dont il est accusé; tel est notre avis à tous. »
- Sur la demande de l’avocat Scoville, chaque juré fut interrogé séparément et tous répondirent : coupable.
- Guiteau sembla d’abord accablé par ce verdict, puis reprenant son énergie, il cria : « Mon sang retombera sur la tête des jurés ; n’oubliez pas cela. » Et un instant après : « Dieu vengera cet outrage. »
- Le juge Cox remercia les jurés pour leur peine et les mit en liberté. Guiteau fut mis en voiture et conduit au galop en prison, poursuivi par les hurlements de la foule.
- Le président des jurés dit qu’ils étaient tous d’accord depuis longtemps, et que le témoignage du docteur Noble Young, de Washington, les avait convaincus que Guiteau était sain d’esprit.
- L’appel que doit interjeter M. Scoville ne pourra être jugé que dans le second trimestre de 1882, au commencement d’avril, et s’il est rejeté, l’exécution n’aura pas lieu avant le mois de juillet. On pense qu’en tout cas, l’appel ne fera que retarder le supplice du condamné.
- En divers endroits, la publication du verdict a été saluée par des feux de joie et d’autres démonstrations du même genre.
- -------------------------—-
- LIS REVENDICATIONS DU SOL
- L’heure est aux revendications du sol dans le Royaume-Uni.
- Nous avons vu l’Irlande et la Land Leaggue, l’Angleterre et l’Alliance des fermiers. Le programme de ces derniers nous est connu aussi bien que les manifestes de la première.
- Voici, sous le titre Land Nationalisation Society,
- p.73 - vue 74/836
-
-
-
- 74
- LE DEVOIR
- une association nouvelle qui vient de se former à j Londres et dont le premier meeting a été tenu à l’Hôtel du Palais à Westminster : Westminster Palace Hôtel.
- Le but que se propose la Société est la nationalisation du sol.
- La nationalisation du sol, dit-elle, est l’idée qu’il faut faire pénétrer chez les masses, qui doivent unir leurs efforts à ceux de l’association pour en assurer le triomphe.
- La nationalisation du sol est le seul remède capable de guérir radicalement le mal dont souffre si cruellement le travailleur de la terre. Les Lands lords sont maîtres, non-seulement du bonheur du peuple, mais encore cle son existence, et, selon leur bon plaisir, les campagnes se dépeuplent et les villes regorgent : Anémie d’un côté et pléthore de l’autre côté.
- Herbert Spencer, il y a 30 ans, (a dit le Président de la Société,) a exposé les principes vrais de la nationalisation du sol. John Stuart Mil! a adopté les mêmes vues qu’Herbert Spencer, mais sans insister sur la mise en application de la théorie, redoutant en pratique la direction de l’Etat.
- Comme, sans aucun doute, on va crier à la spoliation, il est bon de faire remarquer que, non-seulement la propriété particulière est en principe une injustice, mais encore que les résultats en sont funestes ; que, du reste, on ne se propose pas de priver les propriétaires actuels ou leurs' héritiers aujourd’hui vivants, de la moindre portion du revenu qu’ils tirent du sol, mais simplement de dénier à celui qui n’est pas né, à la génération à venir, le droit de vivre en parasites aux dépens de ia Société sur les épaules de laquelle on pèse fatalement,
- A l’appui du projet de nationaliser le sol, on peut citer la maxime bien connue et qui pour être vieille n’en est pas moins équitable : Nul ne peut spéculer sur les malheurs de son pays, et celle non moins juste : Le salut public est la suprême loi. L’intervention de l’Etat dont on ne manquera pas de se plaindre, est plus que justifiée par les souffrances des populations, souffrances prolongées et dont rien, I jusqu’à ce jour, n’a pu abréger le terme.
- En somme, l’Association se refuse à sanctionner tout paiement de deniers publics s'il ne tend point à nationaliser le sol de façon à ce que la communauté puisse en prendre ultérieurement possession. Cependant ne voulant léser personne des possesseurs actuels ou de leurs ayant droit vivants, ceux-ci et ceux-là continueront de jouir des revenus qu’ils ont tirés jusqu à cette heure du sol qui leur a été trans- j mis, transmission qui ne saurait avoir d’autre earac» 1
- tère que celui d’un fidéi-commis, sans appropriation individuelle à laquelle nul n’a droit.
- Le meeting s’est séparé après avoir voté à l’unanimité les quatre propositions suivantes :
- 1° L’Assemblée déclare que la propriété privée du sol est le monopole attribué au petit nombre, d’un élément essentiel à l’existence de tous : que ce monopole a son origine, en majeure partie, dans la fraude ou la force et qu’il est un danger pour la stabilité de la communauté. On ne saurait donc que recommander l’adoption de toute réforme, même partielle, tendant au but que se propose ia Land nationalisation Society.
- 2° La propriété particulière, source de division et cause de conflits des intérêts, entraîne avec soi une mauvaise culture du sol, la diminution de la production et met obstacle aux améliorations sérieuses. En privant le travailleur de ses droits à la terre, cet héritage commun, elle engendre en grande partie le paupérisme, la démoralisation, le crime. En l’état actuel le sol ne paie rien ou à peu près, tandis que l’industrie est surchargée. Le Land Lord devrait être imposé en proportion de ia valeur qu’il attribue lui-même à sa propriété.
- 3° La propriété privée du sol favorise le monopole et la spéculation des monopoles. Ses résultats passés et ceux présents, quant aux habitations, ont été et sont la création de logements malsains, payés fort cher et où s’entasse néanmoins la population ouvrière.
- 4° La propriété privée du sol assure à une classe privilégiée, la moins nombreuse, ce qui devrait appartenir à tous et dont la destination devrait être d’alléger les charges de l’Etat. On entend par là ce revenu inhérent au sol lui-même dont la source est triple : population, richesse, civilisation, et qui ne peut être augmenté ni diminué par l’action de qui que ce soit. Le meeting est d’avis que la liberté de vente du sol ne serait pas capable d’éloigner les maux résultants du monopole de la terre ; en facilitant l’augmentation de la propriété privée chez les classes fortunées, elle aggraverait plutôt qu’elle ne diminuerait les maux dont on souffre actuellement.
- *
- * ¥
- Etant donnée la société anglaise, ses mœurs, ses habitudes et ses préjugés, et en tout état de cause, du reste, la réforme demandée par la Land nationalisation Society nous paraît assez radicale. Depuis longtemps déjà le noyau de l’association existait; ce qui a déterminé et hâté le groupement sans le précipiter cependant, c’est, assurera, H ligue pour la
- p.74 - vue 75/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 75
- défense de la propriété que viennent de former entre eux les Landlords. A bon chat, bon rat!
- D’une autre part, voilà que de l’Irlande une autre voix s’élève. Elle est onctueuse et ses paroles revêtent la forme d’une pastorale, avec ceci en plus que la pastorale ne s’adresse pas seulement au troupeau dont on a la conduite, mais bien à la terre entière. Ecoutez :
- « Le Révérend Docteur Nul ly, du diocèse de Meafh, « au clergé et aux laïques :
- « La sol d’un pays est la propriété commune de ce “ pays, parce que son propriétaire réel, celui qui l’a « créé, le lui a transmis comme un présent : Terram « autem dédit fïliis homînum... Or, il donne la terre u aux enfants des hommes.
- « D’où tout individu, dans chaque pays, étant une « créature et un enfant de Dieu, et toutes les créa-« tares étant égales à ses yeux, tout acte d’appro-« priant du sol excluant l’homme, même le plus « humble, dans ce pays ou dans tout autre, de sa « part à l’héritage commun, est non seulement une - a injustice, non seulement un tort fait à cet homme, « mais encore une impiété que constitue la résis-« tance opposée aux intentions bienfaisantes du « Créateur. »
- Et c’est signé : Thomas Nully, évêque de Meath.
- Les vieux souvenirs de l’Irlande primitive revivent dans cette adresse qui n’a pas été sans produire un certain émoi et ne contribuera pas à calmer l’agitation du pays. Ce n’est pas le revenu seul qui est en jeu dans cette pièce, c’est le capital lui-même, le capital premier, le fonds de la nature. C’est ce capital que l’on revendique, non point au nom des intérêts humains, comme le fait la Land nationalisation Society, mais bien au nom de Dieu lui-même... Et l’on dit anathème sur ceux qui le détiennent.
- *
- * *
- L’Ecosse, elle aussi, se mêle au mouvement revendicateur ; mais sa revendication est bien moins accentuée que celle de l’Angleterre et de l’Irlande. Il est vrai que ce ne sont point les intéressés directs qui font entendre leur voix; c’est une Chambre, la Chambre d’Agriculture qui parle en leur nom. Puis le travail qui se fait dans ce sens n’est qu’une œuvra préparatoire, l’élaboration d’un Land tenancy bill. (Loisur les fermages).
- Des trois parties du Royaume-Uni, l’Ecosse est peut-être celle où les fermiers se trouvent dans les conditions les plus avantageuses, où si on le préfère les moins défavorables. Néanmoins le besoin de réformes s’y fait sentir également.
- Ainsi, dans la législation actuelle, rien encore de
- J précis n’existe sur ce qui doit être considéré comme améliorations ; la nouvelle loi remplira cette lacune. Vestige de la féodalité, la défense faite à quiconque autre que le propriétaire, de tuer le gibier existant sur une propriété est encore debout. Un article du Bill en question autorise les fermiers à prendre les mesures nécessaires contre tout violateur, bêles ou gens, du droit de propriété (ce qu’on nomme en anglais les trespassers), ce qui équivaut à l’abrogation de la loi sur le gibier, en tant que cela concerne les fermiers.
- Des dispositions spéciales prévoient les cas où des indemnités devraient et pourraient être réclamées pour améliorations, ou payées par détériorations et dilapidations, infractions aux conditions du bail, soit de la part du fermier, soit de celle du Land lord. Cette catégorie de questions serait soumise à des décisions arbitrales, ou si on le jugeait plus convenable à la discrétion d’une Cour exprès instituée.
- La comtnission nommée pour la rédaction du projet de loi, recommande l’institution de cette cour de préférence à la nomination d’arbitres. Elle est aussi d’avis, de concert avec des agriculteurs expérimentés et des membres du Parlement, d’insérer dans la loi une clause autorisant les Landlords aussi bien que les fermiers à s’adresser au Shériff pour faire une estimation nouvelle des fermes, de leur valeur comme produit et comme loyer, lorsque le prix des baux semblerait trop bas ou trop élevé. Cette clause devrait être telle qu’elle favorisât surtout le fermier, le fermier capable, s’entend, dont la ruine, quand il n’y a rien de sa faute, est toujours fatale à l'agriculture et à la nation.
- La faculté accordée aux tenanciers de vendre leur tenue est conditionnelle. L’acheteur doit être honorable à tous égards et d’une solvabilité prouvée. Les Landlords pourront toujours, lorsque des hommes de paille feront des offres extravagantes, se mettre en possession de la ferme au prix que fixera le Shériff.
- Plus d’hypothèques agricoles! En conséquence, plus de loi les déterminant ! Mais en cas de retard du paiement de la part du tenancier, si les arrérages sont dus pour six mois, le Landlord pourra disposer de sa ferme s’il le juge convenable.
- Dans les cas ordinaires, il suffira, d’une part ou de l’autre, de donner congé un an d’avance pour faire cesser le bail.
- Enfin la commission recommande vivement l’abolition du droit d’aînesse et l’abrogation des substitutions. Elle fait appel aux membres du Parlement et à leurs mandants pour arriver à l’exécution de cette double mesure.
- *
- * •
- (-
- p.75 - vue 76/836
-
-
-
- 76
- LE DEVOIR
- Nous ferons remarquer aux lecteurs du Devoir j que la question agraire peut intéresser, que s’il j existe des points de ressemblance assez nombreux et assez frappants entre l'Jrish Land Bill, le projet de loi de VAlliance des fermiers anglais, et celui de la CTianïbre cfAgriculture d'Ecosse, il y a aussi de notables différences entre ces trois lois ou projets de lois.
- Le Irish Land Bill, œuvre de l’Angleterre libérale, c’est vrai, mais de l’Angleterre spoliatrice de l’Irlande dans le passé, est présenté à cette dernière comme un acte de réconciliation entre celui qui a pris et celui à qui l’on a pris. On a conscience de la double tache,fraude et violence, qui est à l’origine de la propriété en Irlande. On sent que cette tache ne peut s’effacer et que le fait accompli de la spoliation n’est pas et ne sera jamais accepté. On essaie alors d’obtenir une sorte de sanction de la part du spolié, en plaçant entre lui et son spoliateur un tribunal, un arbitrage, chargé de vider le différent et dont la décision, si elle est acceptée librement et volontairement, sera comme le coup d’éponge passé sur la tache originelle. C’est un plébiscite déguisé, mais pas assez bien pour que la Land league n’ait pas vu ce qu’il y avait sous le masque. Donc, rien de plus naturel que l’attitude des ligueurs et leurs protestations. Le volé veut qu’on lui rende ce que la violence lui a arraché, et aux présents que lui offre son voleur, il répond par le « Timeo Danaos et dona ferentes; » a-t-il donc bien tort d’agir ainsi?
- Le projet de loi de l'Alliance des fermiers a plus d’un rapport dans sa texture avec le Irish Land Bill; mais dans sa marche, si je puis m’exprimer ainsi, dans son fonctionnement, il est tout différent. On comprend à ses allures que ce n’est pas une œuvre imposée par un autre, mais en quelque sorte une transaction entre deux intérêts dont l’un voudrait absorber l’autre mais qui cependant. pourraient se concilier. En Irlande la fusion entre le Landlord et le tenancier est impossible, en raison de l’origine de la propriété. En Angleterre où cette origine n’est pas ?• la même, cette fusion est tout ce qu’il y a de plus faisable, en dépit même des substitutions et du droit d’ainesse. En Irlande, l’association entre le propriétaire actuel et le tenancier serait presque une anomalie. En Angleterre, le jour n’est peut-être pas très éloigné où elle se présentera aux deux parties comme le terrain vrai sur lequel on pourra s’entendre, vivre et prospérer côte à côte.
- En Ecosse où, ainsi que nous l’avons fait observer, ce ne sont point les intéressés directs qui font entendre leur voix et où, en outre, les fermiers sont dans une situation moins précaire que dans les deux
- autres parties du Royaume-Uni, certaines réformes demandées sont moins radicales ; mais en revanche le sentiment '’e l’égalité étant plus vif chez l’homme de la montagne que chez celui du pays plat,certaines autres réformes telles que l’abolition des substitutions et du droit d’ainesse qui, en Angleterre, ne sont pas réclamées, arrivent en première ligne dans la Land tenancy bill.
- Ce n’est pas seulement, lorsqu’on veut légiférer, le présent d’une nation qu’il faut prendre en considération, mais encore son passé, ses origines. Il faut, après l’avoir étudié dans son berceau, la suivre dans ses diverses transformations à travers les âges , examiner les circonstances qui l’ont entourée, les nécessités qu’elle a subies et ses efforts pour vivre, grandir et prospérer.
- Son caractère, ses mœurs, ses habitudes et jusqu’aux tendances de son esprit, doivent être également étudiés ave*'' le plus grand soin. Adoucir ce qu’il peut y avoir de trop âpre et relever ce qu’il peut y avoir de trop humble dans le premier, corriger les secondes, réformer les troisièmes en ce qui doit l’être dans les unes et les autres, donner enfin aux dernières une juste direction en lui faisant voir ses travers, telle est la tâche non facile que doit s’imposer le législateur vraiment digne de ce nom.
- Si ces conditions sont scrupuleusement remplies, si, à leur accomplissement, on joint l’observation attentive de la situation dans laquelle se trouve la nation vis-à-vis des autres pays, pour en tenir compte dans les institutions qu’on lui donnera, ces institutions seront fondées sur le roc et solides comme lui. Si, au contraire, on néglige toutes ces considérations, si l’on ne tient pas compte de ses besoins, on bâtira sur le sable, et le jour qui suivra verra s’écrouler l’édifice de la veille.
- C. P. Maistre.
- LE MAGNÉTISME
- Dans un moment où les expériences publiques de M. Donato remplissait les colonnes des journaux et ont ramené l’attention du grand public sur ces phénomènes tant discutés, commentés, révoqués en doute, niés, et enfin pris en considération par quelques savants de bonne foi, lorsque l’Académie des sciences vient de nommer une commission pour examiner les expériences faites à la Pitié par les docteurs Dumontpalier et Magnien, en même temps qu’une commission de journalistes et de médecins était nommée pour étudier celles de M. Donato le
- p.76 - vue 77/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 77
- magnétiseur, il est tout à fait d’actualité de parler^ de ces phénomènes connue sous une foule de noms différents, suivant la cause à laquelle on les attribue, et nous croyons remplir un devoir en nous occupant sérieusement dès aujourd’hui de l’examen consciencieux et approfondi de cette très intéressante question.
- La science ne connaît que la toute puissance de la raison fondée sur des évidences; elle n’admet que les lois constatées par l’observation des faits et l’expérience. C’est par induction qu’elle procède pour l’établissement de ces lois, et cette induction s’appuie sur l’analyse aussi bien que sur la synthèse, en même temps que sur le raisonnement. Cette méthode est assurément correcte et sage, et en la suivant fidèlement on est certain de ne point courir le risque de s’égarer. Mais il faut la suivre sans défaillance, sans lacune, et pour cela, il est essentiel que l’on ne fasse point d’acception de personnes, que l’on ne repousse point les éléments d’information, à cause de la source de laquelle ils émanent.
- Or ce n’est point ainsi que la science a généralement procédé. Dans le monde savant de même que dans le monde parlementaire, tout ce qui n’appartient pas à la classe privilégiée qui les compose ne compte point, et tout profane aura beau apporter les découvertes les plus remarquables et les idées les plus utiles, le docte corps ne daignera même pas s’apercevoir qu’on lui en a donné connaissance.
- C’est ainsi que, lorsqu’en 1784, Mesmer, qui passe à tort pour l’inventeur du magnétisme animal, importa en France sa découverte et son système, basé entièrement sur la philosophie et les doctrines de certains docteurs du moyen-âge,il fallut un ordre exprès du roi pour que la docte académie chargeât une commission d’examiner les phénomènes produits par Mesmerfet sa théorie du fluide magnétique, développé sur les êtres humains par l’action de son baquet merveilleux. Cette commission composée de Borie, Sallin, d’Arcet et le célèbre Guillotin, fut augmenté peu après de Franklin, Leroi, Bailly, de Borget Lavoisier. Borie étant mort avant le commencement des tra- j vaux, fut remplacé par Magault. I
- Mesmer était non-seulement un profane, ne tenant j par aucun lien au monde savant officiel, mais encore j un étranger, double raison pour qu’il n’eût aucun j droit à la bienveillance des hommes illustres chargés ! d’examiner sa découverte. Aussi, malgré la science I profonde et l’incontestable mérite des membres de cette commission, les travaux d’étude furent empreints depuis la première séance jusqu’à la dernière, de ce mauvais vouloir qu’engendrent invariablement des préjugés fortement enracinés, et un parti-pris
- que l’on a malheureusement à constater le plus souvent chez les hommes de science, en présence de toute nouveauté.
- Le rapport rédigé par Bailly était destiné à porter un coup mortel à la nouvelle science. Il souleva l’indignation de plusieurs membres de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie, qui ayant été témoins des cures opérées par Mesmer, s’étaient hautement déclarés ses protecteurs et patronnaient ouvertement sa doctrine. Jussieu, académicien illustre lui-même, qui avait de son côté longuement étudié la question avec d’Eslon, l’éminent médecin de la Cour, publia, en réponse au travail de la commission, un contre rapport rédigé avec une minutieuse exactitude, dans lequel il constatait les soigneuses observations faites par la faculté de médecine, des effets thérapeutiques du fluide magnétique, et insistait sur l’obligation, pour ceux qui avaient établi,propagé ou suivi le traitement appelé magnétique, d’exposer par une prompte publication leurs découvertes et leurs observations.
- Cette publication provoqua l’apparition d'un grand nombre de mémoires, d’ouvrages de polémique et de livres dogmatiques, dans lesquels était accumulés d’innombrables faits nouveaux. Un des plus remarquables, est l’ouvrage deThouret, intitulé : « Recherches et Doutes sur le Magnétisme animal » dont l’immense érudition stimula les recherches dans les souvenirs du passé, et les phénomènes magnétiques produits chez les diverses nations, depuis les temps les plus reculés, furent ainsi exhumés de l’oubli et mis en lumière devant le public.
- L’on se convainquit alors que la doctrine de Mesmer n’était tout simplement qu’une réapparition des doctrines de Paracelse, de Van Helmont, Santa-nelli et Maxwell, qu’il copie presque textuellement dans son exposé. On constata que chez les Egyptiens, au dire de Celse et d’Arnobe, on opérait des cures par la simple apposition des mains, et que l'on guérissait les malades par le souffle; que chez les Hébreux, les prophètes n’étaient autre chose que des sujets magnétiques, somnambules lucides, et que les guérisons opérées par Elie et Elisée n’étaient point dues à d’autres causes ; que les Orées employaient le magnétisme dans le traitement des maladies, car Plutarque rapporte que Pyrrhus, roi d’Epire guérissait les personnes qui souffraient de la rate, en les touchant lentement et longtemps sur l’endroit douloureux, et, d’après Strabon, les prêtres s’endormaient dans la caverne consacrée à Pluton et à Junon, entre Népse et FraJées, pour les malades qui venaient les consulter; que chez les Romains, au dire de Celse, Asclepiade endormait, au moyen de
- p.77 - vue 78/836
-
-
-
- 78
- LE DEVOIR
- frictions, ceux qui étaient atteints de frénésie, et les plongeait parfois dans un état léthargique, et enfin que chez les G-aulois, les druidesses guérissaient les maladies réputées incurables, ainsi que l’attestent Pomponius Mêla, Pline, Tacite et autres.
- A peu près à la même époque où la doctrine de Mesmer était condamnée par le rapport de Bailly, des cas de somnambulisme artificiel, et de guérisons magnétiques étaient observées par le marquis de Puységur dans la terre de Busancy. Notons en passant que l’on ne fait point usage ici du moindre baquet, qui chez Mesmer était peut-être un effet de mise en scène tout simplement. Au mois de mars 1784, Puységur, réalisant un véritable progrès dans les procédés de Mesmer, guérissait magnétiquement la femme et la fille de son garde, de névralgie dentaire, et un paysan de 23 ans, d’une fluxion de poitrine qui le tenait alité depuis quatre jours.
- A la suite de ces expériences,d'autres esprits chercheurs s’occupèrent de letude de cette question, et nous citerons parmi les ouvrages importants parus dans la période qui s’écoula entre 1798 et 1824, « les Annales du magnétisme animal » par le baron d’Henin de Cuvillier, lieutenant-général, chevalier de Saint-Louis,et membre de l’Académie des sciences ouvrage utile à consulter.
- En 1820, le gouvernement prussien ordonna à l’Académie de Berlin d’offrir un prix, de trois cents ducats d’or pour la meilleure thèse sur le magnétisme. Quelque temps après, à son exemple, la société royale scientifique de Paris, sous la présidence du duc d’Angoulème, offrit une médaille d’or devant être attribué au meilleur mémoire sur la matière.
- C’est à cette époque que le marquis de la Place, pair de France et membre de l’Académie des sciences fit paraître son ouvrage intitulé : « Essai philosophique sur les probabilités, » qui fit grand bruit dans le monde des savants. Nous y lisons le passage suivant : « De tous les instruments dont bous pouvons faire usage pour connaître les imperceptibles agents de la nature,les plus sensibles sont les nerfs, surtout lorsque des influences exceptionnelles augmentent leur sensibilité. Les phénomènes singuliers qui résultent de cette extrême sensibilité nerveuse chez certains individus, ont donné naissance à des opinions très diverses sur l’existence d’un nouvel agent, que l’on a nommé le magnétisme animal. Nous sommes si loin de connaître tons les agents de la nature et leurs divers modes d’action, qu’il ne serait nullement conforme aux lois de la philosophie de nier les phénomènes, simplement par la raison qu’ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos
- •connaissances. Il est de notre devoir pur et simple de les examiner avec une attention, d’autant plus scrupuleuse, qu’il parait plus difficile de les admettre. »
- Enfin en 1825, le docteur Foissac proposa à l’académie de médecine l’examen des phénomènes obtenus sur une somnambule magnétique. Les membres chargés d’apprécier l’opportunité de nommer une commission pour l’étude et l’examen du magnétisme animal, déclarèrent que le jugement porté en 1784 ne devait point dispenser l’Académie d’étudier de nouveau la question, parce que, dans les sciences, un jugement quelconque n’est point chose absolue, irrévocable, et que les expériences d’après lesquelles ce jugement avait été porté paraissent avoir été faite sans ensemble, et avec des dispositions morales qui devaient les faire échouer.
- Cette proposition donna lieu à de longs débats, à la suite desquels, au mois de mai 1826, l’académie de médecine chargea de cette étude une commission composée de MM. Leroux, Bourdois de la Motte, Double, Magendie, Guersant, Basson, Thillage, Marc, Itard, Fouquié et Gueneau de Mussy.
- Cette commission se mît immédiatement à l’œuvre, et poursuivit ses travaux pendant cinq ans, et ce fut dans les séances des 21 et 28 juin 1831, qu’elle communiqua à l’Académie, par l’organe de son rapporteur, M. Husson, le résultat de ses observations. Le rapport embrasse une foule de phénomènes, décrits en trente paragraphes différents, et il constate que souvent le contact; les frictions où les passes ne f ont pas invariablement indispensables, et que dans maintes circonstances, la volonté, la fixité du regard ont suffi pour produire les effets magnétiques même à l’insu du sujet. Des phénomènes thérapeutiques parfaitement contrôlés ont été provoqués par l’action magnétique seule et n’ont pu être reproduits sans elle. Il constate également l’existence de l’état somnambulique, durant lequel se développent de nouvelles facultés désignées sous la dénomination de clairvoyance, intuition, prévision interne etc. » Le sommeil magnétique a été suscité dans des circonstances où le magnétisé ne pouvait ni voir ni connaître le moyen employé pour cela. Les sens externes du sujet paraissaient complètement paralysés,et remplacés pour ainsi dire par d’autres plus perfectionnés mis en action. Le plus ordinairement il reste insensible aux bruits extérieurs, aux coups, aux exhalaisons [délétères les plus insupportables dans l’état normal, telles que les émanations de l’acide hydro-chlorique, de l’acide sulfureux ou de l’ammoniaque, aux blessures, et même aux opérations chirurgicales i les plus douloureuses.
- p.78 - vue 79/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 79
- Enfin le rapport déclare que des somnambules ont pu les yeux bandés distinguer les objets placés devant eux, indiquer la couleur et la valeur des cartes, lire soit des manuscrits soit des imprimés ouverts au hasard, prévoir des actes plus ou moins compliqués de l’organisme, et annoncer plusieurs jours à l'avance le jour et l’heure précise d’attaques d’épilepsie, et l’époque de la guérison. îl termine en exprimant l’avis, que « Y Académie devrait encou-courager les recherches sur le magnétisme, » comme une branche très curieuse de psychologie et d hidoire naturelle.
- Ce rapport fit une profonde impression sur l’esprit des membres de l’Académie de médecine, mais il fit peu de convictions, et un certain nombre d’entre eux soupçonna les commissaires, dont ils ne pouvaient mettre en doute la bonne foi, d’avoir été dupes-Aussi n’eût-il point les résultats-indiqués par la commission, et l’Académie, fidèle aux traditionnelles allures de toutes les académies, véritables forteresses embastionnées contre toute innovation, se garda bien d’encourager les recherches sur le magnétisme.
- (A Suivre).
- JL. a. maiion et 1© tombeau cl© 'Washington
- C’est à Mount-Vernon, sur le Potomac, que s’élèvent la maison où vécut Washington et le tombeau où reposent ses restes. Des dames américaines se sont associées pour racheter la maison et une partie du domaine et pour entretenir le tombeau, leur société est connue sous le nom de : « Mount-Vernon Ladies Association ». En deux heures, les bateaux à vapeur qui desservent le Potomac conduisent les visiteurs de Washington à Mount-Vernon.
- Suivant une ancienne coutume, les steamers qui descendent ou remontent le fleuve, sonnent leurs cloches et s’arrêtent un instant en face d’un monument, situé sur un plateau élevé dominant le fleuve et la contrée environnante; le silence se fait, les passagers se découvrent et le nom de George Washington est sur toutes les lèvres et dans tous les cœurs. Ce fut le Commodore anglais Gordon qui, le 24 août 1814, inaugura à bord du vaisseau commandant, le Sea Horse, cette touchante cérémonie du tintement de la cloche et du salut militaire en l’honneur du grand patriote.
- En touchant terre, on voit encore l’ancien quai, plus ou moins endommagé par le temps, mais que des mains amies cherchent à empêcher de tomber en ruines. C’est à ce quai que venaient s’amarrer les barges qui emportaient les farines, devenues célè-
- | b res dans les colonies sous le nom de Mount- Vernon Brandy de la vaste plantation de Washington Une avenue d’environ 200 mètres de long, qui serpente sur les flancs de la colline, conduit au tombeau. Ce tombeau est d’une extrême simplicité. Dans son testament, Washington avait recommandé que le mausolée qui recouvrirait ses cendres fût fait en briques; sa volonté a été respectée, car la pyramide que l’on distingue derrière la grille en fer, de 12 pieds de haut à peiné, est construite en briques et n’est revêtue d’aucun ornement : elle est surmontée d’un arc de triomphe sur lequel on lit : Within this inclosure rest the remains of Gen. George Washington.
- On raconte que pendant la guerre civile, les soldats des deux armées se rencontraient souvent aux alentours de ce lieu sacre, mais à la requête du portier, ils laissaient leurs armes à l’entrée de la porte du garde et allaient fraterniser dans i’enceinte du tombeau, sous l’égide en quelque sorte de l’ombre vénérée de Washington également chère à tous.
- Un peu au delà du tombeau, le long du sentier, se trouve un beau chêne centenaire sous le feuillage duquel Washington avait l’habitude de venir chercher l’ombre. Cet arbre a douze pieds de circonférence. À dix minutes du quai, on trouve l’ancienne demeure de Washington, à côté de laquelle on voit encore la cuisine, séparée du bâtiment principal, les granges, les remises et toutes les constructions nécessaires à l’exploitation d’une Seigneurie virgi-nienne de l’ancien temps. La maison du maître, dont la façade est tournée vers l’est, est bâtie sur un plateau. Placé sur cette éminence, on peut suivre de l’œil, sur une longue distance, les sinuosités du Potomac, dont les eaux lentes et profondes vont se perdre dans la Chesapeake Bay. ,
- La vue sur la contrée n’est pas moins agréable. Le paysage justifie ce mot de Washington lui-même: No estate in America is so pleasantly situated.
- La maison, qui est en madriers, porte les traces du temps; cependant le bois, quand on l’examine de près, est presque aussi solide et aussi sain qu’au jour où il fut abattu. Cette construction date de 1743, Les vieux meubles qui, à la mort de Washington, avaient été distribués entre ses héritiers, ont presque tous repris leurs places dans l’asile de leur ancien propriétaire. Grâce aux dames gardiennes, dont les efforts tendent sans cesse à réunir sous le même toit tout ce qui reste de souvenirs du grand homme, la collection est assez complète. A côté de la porte qui conduit au salon de réception, on aperçoit une boîte vitrée dans laquelle pend la clef de la Bastille, présent fait à Washington par Lafayette quelque temps après la chute de cette prison d’Etat.
- p.79 - vue 80/836
-
-
-
- 80
- LÈ DEVOIR
- Ce souvenir avait été d’abord confié à Thomas Paine, mais celui-ci ayant été retenu à Londres, un ami commun se chargea de la remettre à Washington. Paine disait: « Ce sont les principes de l’Amérique qui ont ouvert les portes de la Bastille. » Dans la salle de réception se trouve un fac-similé de l’engagement pris par Lafayette de servir dans l’armée révolutionnaire. Aux termes de ce contrat,Lafayette consent à porter les armes contre l’Angleterre sans rétribution, à condition d’être libre de rentrer en France au premier appel de son roi ou de sa famille. Au dessus de la porte, on voit la lunette d’approche du général. Dans un coin de la même chambre est le clavecin de mille dollars que Washington présenta à sa bru le jour de son mariage. Là encore on peut voir le tablier que Lafayette avait coutume de porter dans les cérémonies maçonniques.
- Dans une autre chambre, ce qui frappe le plus l’attention, c’est une cheminée en marbre de Carrare, supportée par des colonnes en marbre de Sienne, le tout d’un travail exquis. C’est un présent fait à Washington par un gentilhomme anglais. Un incident assez piquant se rattache à cette précieuse relique. Il parait que pendant la traversée sur l’Océan, le navire anglais porteur du présent fut arrêté et pillé par des pirates français. Ceux-ci s’étaient déjà emparés de la cheminée ; mais apprenant le nom du destinataire, ils s’en dessaisirent et permirent au capiaine anglais de continuer sa route. Cette œuvre est sortie des mains du célèbre Canova.
- Dans la salle à manger, on voit un remarquable spécimen d’algue marine, que la main habile de John Augustine Washington a placé dans la position que cette plante occupe encore.
- La bibliothèque est une chambre fort simple, ornée sur trois côtés de rayons vitrés. Pas un livre qui ait appartenu à Washington n’y figure, et cependant le général était amateur de beaux et bons livres.
- Un escalier plutôt large qu’étroit conduit au premier étage. La première chambre à gauche est celle de Lafayette ; elle contient un grand nombre de souvenirs qui datent de l’ère révolutionnaire. Il y a six chambres à cet étage. Voici celle où mourut Washington. Le lit où il expira est là, tel qu’il était le jour de sa mort. A côté se trouve le pupitre, sur lequel il écrivait ses dépêches à son quartier général sur les bords de l’Hudson. Sur le mur se trouve un exemplaire du New-York Mercantile Advertiser du 21 décembre 1799, racontant les derniers moments du général, qui mourut le 11 décembre de la même année entre onze heures et minuit.
- Du sommet de la coupole octogone, qui couronne comme une tour le centre de la construction, on a
- une vue magnifique sur toute la propriété. Les arbres et les arbrisseaux y sont plantés à profusion, et répandent en été une ombre épaisse et rafraîchissante. La plantation dans l’origine avait une superficie de 8,000 acres, mais les dames gardiennes n’en ont plus à présent que 200 sous leur direction. A eh juger par le nombre de bâtiments qui existent encore et l’apparence d’aisance qui semble avoir régné autrefois, les serviteurs de Washington ont dùpasser des jours heureux sous sa paternelle autorité. Là on voit encore le petit atelier où Washington travailla si longtemps à l’invention d’une nouvelle charrue, invention qui, après de nombreux échecs, fut enfin couronnée de succès.
- Sur une pelouse on remarque quelques groupes d’arbres qui, à cause des souvenirs historiques qu’ils rappellent, offrent un intérêt particulier, C’est un magnolia, rapporté des bords du James et planté par Washington l’année même de sa mort; puis des frênes et des peupliers, également plantés par lui. Voici dans un coin quatre arbres présentés à Washington par Jefferson. Dans cent ans, les noms des quatre présidents qui se succéderont donneront leurs noms à ces arbres, car telle a été la volonté réciproque du donateur et du donataire. Plus loin on distingue un arbrisseau d’une belle venue, que Lafayette a rapporté de Sainte-Hélène, où il l’a pris sur le tombeaa de Napoléon I0T.
- Dans un parterre admirablement soigné, on cultive un nombre considérable de fleurs appelées roses thé, auxquelles on a donné le nom de Mary Washington. C’est Washington qui, en souvenir de sa mère, a planté cette fleur qui se propage rapidement et qu’on vend aux visiteurs comme souvenir de leur pèlerinage au tombeau du père de la patrie.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- L’ÉCOLE
- BEVUE DE L’INSTRUCTION PRIMAIRE, PARAISSANT LE DIMANCHE
- Directeur : 3. SAINT-MARTIN, député.
- Pédagogie théoriquejpratique.— Sciences naturelles. — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour les brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique. — Histoire.—Littérature.—Musées scolaires. — Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le texte.
- 6 fr. par an. Les abonnements partent du 1er de chaque mois. On s'abonne en envovant un mandat-poste à l’ordre de M. PICARD-BERNHEIM o p, 11, rue Soufflot, à Paris.
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.80 - vue 81/836
-
-
-
- due numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 12 FÉVRIER 1882.
- 6e ANNÉE, TOME 6 — N° 179
- BUREàü
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France Un an. . . . Six mois . . . Trois mois . .
- 10 fr. »» 6 »» 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- W jK
- Le j ournal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Les Questions sociales : Confirmations sur la nécessité des garanties sociales. — Un enterrement civil au Familistère. — Faits politiques et sociaux. — Ce que vaut l'érudition au dire d’un Erudit. — Une apprentie maçonne. —Etat civil du Familistère. — L’Irlande. — Variétés.
- LES QUESTIONS SOCIALES (I)
- Confirmations sur la nécessité <le® garanties sociales.
- NUI
- Avant de clore cette étude sur les garanties mutuelles que la République doit organiser dans son sein, je tiens à faire ressortir que ces garanties sont la conséquence logique du progrès qui nous entraîne, d’une manière irrésistible,à la création d’institutions
- , (t) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre; 4 11 18,25 décembre 1881; 1,15, 22,29 janvier et 5 février 1882.
- tendant a consacrer les droits de l’homme à l’existence.
- Les mesures que j’ai proposées paraîtront excessives aux esprits sans initiative, qui ont peur de toute nouveauté, parce que les nouveautés dépassent le cercle étroit de leurs habitudes et de leurs conceptions. Que faudrait-il pour qu'il en fût autrement ? Ouvrir leurs cœurs aux sentiments généreux, chercher le règne de la justice. Ils concevraient alors plus facilement les causes’qui nous entraînent à des faits sociaux devenus inéluctables parce qu’ils sont dans la loi des choses, comme il est forcé pour une boule de rouler sur un plan incliné.
- Si l’on examine, par exemple la marche de l’instruction publique, on est surpris de voir que les forces mêmes opposées au progrès des peuples travaillent au développement de cette instruction. Les efforts faits pour en circonscrire l’essor, y compris ceux des jésuites, sont dans ce cas.
- Etant donné qu’il en est ainsi, qui peut penser aujourd’hui que l’instruction publique ne soit bientôt considérée comme un devoir social, tellement impérieux pour l’état qu’il faille l’instituer sur les bases de la gratuité et de l’obligation.
- Mais lorsque la République dispensera ainsi à tous les membres du corps social le pain de l’intelligence, n’entrevoyez-vous pas qu’il y aura devoir pour elle à assurer aussi le pain du corps ; que, si nous avons réalisé la mutualité sociale pour la diffusion des biens intellectuels, il sera impérieusement nécessaire de la réaliser pour la distribution de l’indispensable à la vie physique.
- Comment, en effet, concevoir que l’enfant soit obligatoirement tenu d’aller à l’école si, après les leçons, il n’a de quoi se nourrir.
- p.81 - vue 82/836
-
-
-
- 82
- LE DEVOIR
- Ne sait-on pas combien il est de malheureuses familles dont les salaires sont insuffisants pour se procurer la nourriture journalière, et qui n’ont d’autres ressources pour parer à cette insuffisance que d’envoyer l’enfant mendier le morceau de pain qui lui est indispensable pour vivre. Comment l’élève aura-t-il ce pain s’il ne mendie plus et qu’on ne le lui donne pas. Nous voyons donc que la mutualité organisée pour l’instruction entraîne à d’autres garanties mutuelles et que, du jour où la République sera suffisamment bien inspirée pour donner l’instruction à tous sans exception, elle sera tenue d’instituer le réfectoire à côté de l’école. C’est le droit à la subsistance, que j’ai précédemment proposé d’établir au moyen d’assurances mutuelles, qui se montre ici comme condition indispensable, pour permettre à l'œuvre de l’instruction publique de suivre son cours.
- Mais il n’est pas difficile de voir que tous les obstacles ne sont pas vaincus par l’institution du réfectoire à l’école. Cette heureuse mesure qui se pratique déjà dans les pays où l’instruction est réellement obligatoire, ne donne pas satisfaction à tous les besoins légitimes. L’insuffisance du salaire n’est pas, en effet, la seule cause qui puisse obliger l’enfant à mendier, au lieu de se rendre à l’école ; il y a quelquefois l’absence du salaire ; le père de famille peut être gravement malade et la mère obligée de le soigner; il n’y a plus alors d’autre ressource que la mendicité des enfants pour faire vivre toute la famille.
- Le réfectoire à l’école ne serait donc pas suffisant dans ce cas, si l’on ne venait en aide aux parents mêmes de l’enfant.
- Ceci démontre que tout se lie dans la voie du bien comme dans la voie du mal. Si, en effet, l’instruction était obligatoire et la mendicité des enfants interdite, il y aurait nécessité, pour la commune et l’Etat, de constituer l’assistance mutuelle sur des bases suffisamment larges pour garantir l’indispensable à l’existence dans la famille du prolétaire impuissante à se soutenir par le travail.
- Quand on fait attention à la manière dont procèdent les institutions tendant à la protection sociale, on reconnaît que ces institutions, actuellement en germe dans la société, émanent de ce sentiment du respect de la vie humaine qui est placé au fond de la conscience de tous les hommes.
- Il est impossible que ce sentiment ne se réveille pas maintenant en faveur des ouvriers.
- Il serait anormal, lorsque notre société est en voie de progrès si rapides sous tant de rapports, que la 1 morale sociale restât en arrière et qu’alors que la 3
- richesse se développe sous la puissance du travail et des nouveaux moyens de production, le paupérisme fût plus longtemps un obstacle au progrès.
- Je ne fais ici aucun appel aux passions politiques ; je m’adresse au bon sens et à la raison ; ce que j’invoque c’est l’équité sociale fondée sur les droits que tout individu tient de la vie, droits que les masses populaires n’abandonneront jamais, qu’elles revendiqueront au contraire de plus en plus, à mesure que la lumière se fera dans les esprits.
- La prudence autant que l’amour de la justice, conseillent donc aux classes dirigeantes d'aborder au plus vite les réformes sociales capables de créer en faveur des masses ouvrières les garanties de la subsistance, et de chercher les moyens de faire participer le travailleur aux bénéfices de la production, dans la proportion du concours qu’il y apporte.
- Je sais bien qu’on invoquera les difficultés apparentes d’une semblable tâche; je ne veux pas nier qu’il y en ait à vaincre pour surmonter les abus existants. Mais serait-il plus sage d’attendre que ces réformes s’imposassent par la violence des besoins que d’en chercher la solution avec prudence.
- A côté du droit strict, le législateur peut appliquer des équivalents qui loin de porter atteinte à la tranquillité sociale, la consolident. Et si, en même temps, l’Etat procède à la socialisation immobilière sans secousse, par des voies régulières, analogues à celles que j’ai indiquées précédemment, les expériences complètement en accord avec les vrais principes de l’économie sociale seront alors faciles à mettre en pratique et se réaliseront pour ainsi dire d’elles-mêmes.
- La propriété socialisée organisera la solidarité des intérêts sans avoir à vaincre les obstacles que crée aujourd’hui la propriété morcelée et industrielle. Chacun interviendra dans l’association,non pas seulement en raison de ce qu’il posséderais en raison de sa valeur propre,de son travaille son activité,de son adresse, de sa force, de sa capacité, de son intelligence, enfin de tout genre d’action qu’il mettra au service de l’association.
- Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit ici que de domaines ou d’établissements pouvant donner lieu à une exploitation sociétaire ou en participation; que, tout en partant de ce principe que sur ses domaines la République devra introduire la participation et l’association des ouvriers aux bénéfices, qu'elle devra éviter l’exploitation du faible par le fort-, elle n’en laisserait pas moins à l’exploitation individuelle les propriétés tombéesensa possession, tant que ces propriétés ne comporteraient pas d’autre genre d’exploitation.
- p.82 - vue 83/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 83
- La République ne comporte pas que la liberté ni l’initiative individuelle soient mises en tutelle. La socialisation des propriétés que l’Etat recueillerait dans les successions, doit au contraire, servir à une plus libre expansion de l’initiative des masses, tout en garantissant la subsistance aux familles dénuées de ressources.La République doit, respecter et favoriser toute activité tendant à la production, en laissant les profits à ceux qui les créent et les responsa- bilités à ceux qui les assument. Une lois la République en possession de biens sociaux, le Gouvernement n’aura plus qu’une chose à faire, affermer ces biens, en laisser l’exploitation, la direction et l’usage aux citoyens, sauf les réserves sociales que j’ai indiquées.
- Godin.
- UN ENTERREMENT CIVIL AU FAMILISTÈRE
- Vendredi dernier, a ea lieu au Familistère un enterrement civil auquel ont assisté presque tous les habitants du palais social et bon nombre de personnes de la ville de Guise. Le défunt, M. Hippolyte Dallet, ancien capitaine au long cours, allié à la famille du fondateur, avait manifesté par écrit à ses derniers moments le désir d’être inhumé civilement et comme de juste l'on avait religieusement respecté sa volonté.
- La force des préjugés et la routine ont encore tant d’empire sur les esprits, malgré tous les progrès et toutes les notions psychologiques désormais acquises, que l’on voit bien des gens, et non pas seulement parmi les cléricaux encroûtés,comme le fameux préfet Ducrot de triste mémoire, mais même dans une classe de personnes relativement libérales et accessibles aux saines idées de la raison et de la logique, se récrier instinctivement en présence de ces cortèges funèbres, d’où le clergé est exclu, de ces enfouissements, comme les appellent avec un atticisme, dont iis ont seuls le secret, les adversaires acharnés du progrès et de la liberté humaine. Iis affectent de croire que tout,libre-penseur qui refuse leconeours par trop intéressé autant qu’inutile,lorsqu’il n’est point scandaleux des prêtres, est nécessairement un matérialiste, ne croyant à rien autre qu’à l’existence de la matière, et professant que lorsque la mort a saisi le corps tout est fini pour l’homme.
- Cette opinion de nos adversaires, qu’elle soit sincère ou simulée, est erronée et fausse, et nous ne saurions trop énergiquement protester contre elle.
- Non, le libre penseur n’est point un matérialiste, sauf d’assez rares exceptions; il est au contraire un croyant,mieux que cela encore an homme convaincu, qui sait que le corps matériel et périssable n’est qu’un élément accidentel et passager de l’être immortel qui l’anime un moment sur cette terre. Il sait que l’âme ou l'esprit survit à son enveloppe terrestre, et que son existence ne doit point avoir de fin,parce qu’elle est une émanation, une étincelle de ce grand foyer divin, source inépuisable de la vie que,faute de mieux,l’on est convenu d’appeler Dieu. Ii sait que la loi divine, loi de justice et d’équité à laquelle tout être humain est soumis,ne comporte aucune dérogation au principe que chacun ne peut être rémunéré que suivant ses mérites, et que ces mérites ne s’obtiennent exclusivement que par les œuvres. Celui qui fut bon, honnête et juste aura sa récompense proportionnelle dans un degré d’avancement correspondant à la valeur de ses actes, et celui qui fut méchant, malhonnête et injuste sera traité avec la même équité. Il sait enfin qu’aucune pratique, aucune formule ne peut en aucun cas suppléer à l’insuffisance des œuvres, et c’est pour cela qu’il repousse,comme indignes de l’idée qu'il se fait de Dieu, des momeries sans valeur, des patenôtres inutiles, des cérémonies accomplies comme une corvée dont on a hâte de se débarrasser le plus souvent.
- La perte d’un ami, d’un parent inspire d’ailleurs un sentiment intense de douleur et de regret qui s’accommode mieux, quoi que l'on dise, du recueillement et du silence, que de chants même religieux et tristes, fort beaux, si l’on veut, mais ayant le défaut d’être dits dans un langage que seuls quelques rares débris du passé comprennent maintenant.
- A ce point de vue, rien de plus touchant en vérité que cet enterrement, avec cette foule recueillie et silencieuse de près de deux milles personnes de tout sexe et de tout âge, suivant à sa dernière demeure un homme de bien, un honnête homme qui s’était rendu sympathique à tous par sa nature franche et son inaltérable égalité d’humeur.
- Des couronnes offertes par les enfants des écoles, par les habitants du Familistère et par le groupe spiritualiste qu’il renferme, précédaient le cortège. Elles étaient portées devant le corps, les premières par six jeunes filles et les autres par des délégations des corporations qui les offraient.Le corps était porté par des travailleurs, et les cordons du poêle tenus par trois membres du Conseil de gérance et un membre du Conseil de surveillance. Tous avaient à la boutonnière un bouquet d’immortelles, dont deux jeunes garçons portaient des corbeilles pleines pour les assistants.
- p.83 - vue 84/836
-
-
-
- 84
- LS DEVOIR
- Sur le passage du convoi funèbre, les têtes se découvraient avec respect, et nulle part ce sentiment ne s’est démenti, tant il est vrai qu’il suffit qu’un acte soit respectable et digne pour qu’il en impose aux âmes simples que l’intérêt ou de fausses notions n’ont point dénaturées.
- Dans les enterrements dits religieux, il arrive le plus communément que l’assistance, nombreuse à l’église, se trouve fort réduite à l’arrivée du corps au champ de repos. Ici, rien de pareil, et tous ceux qui étaient venus à la maison mortuaire se retrouvaient au complet au cimetière.
- Là, dès que le cercueil eût été descendu dans la fosse, M. Ed. Fortis, rédacteur du « Devoir » s’avança sur le bord de la tombe, et lut l’adieu suivant adressé à l’ami disparu, au nom des habitants du Familistère :
- « Avant de quitter cette tombe où nous venons de confier à la terre la dépouille mortelle d’un homme de bien, que tous nous élimions, et que. ceux qui le connaissaient aimaient, qu’il me soit permis, au nom des habitants du Familistère, de lui dire un dernier et sympathique adieu. Nous savons qu’avec cette enveloppe corporelle qui git maintenant inerte en ce lieu, tout l’être de notre ami n’a point disparu, que la meilleure partie de lui-même survit et nous entend, et qu’elle jouit d’une existence réelle plus noble,plus pure, plus élevée que celle qu’il vient d’abandonner pour toujours. On reproche aux inhumations civiles d’être dictées par le matérialisme. Quelle erreur, Messieurs, quelle profonde erreur! Partisans des enterrements civils, nous croyons, que dis-je : nous sommes convaincus, certains que la partie matérielle de l’homme n’est que l’accessoire, le vêtement de son âme, et nous saluons en ce moment, en même temps qu’une dépouille mortelle, une âme pure, radieuse, spirituelle et immortelle l Oui l’âme d’Hip-polite Dallet est là ; elle plane invisible sur nos têtes elle nous entend, et heureuse elle nous sourit.
- « Celui que sa famille ici présente pleure et que nous regrettons tous,appartient à cette belle race de marins de la Charente, moins bruyante et plus j modeste que celle des marins bretons, mais tout aussi vaillante,tout aussi estimée de la marine française. Sa belle carrière de marin atteste la grandeur de cette âme, dont jè viens de vous signaler la présence, et qui donnait à notre ami ce caractère ouvert loyal, et gai, que nous avons admiré, cette égalité d’humeur qui charmait tous ceux qui l’entouraient, et dont les cruelles souffrances du terrible mal héréditaire qui l’a enlevé jeune encore à l’affection des siens ne parvenaient pas à altérer l’admirable sérénité. Elle ne se démentit jamais, et à sa dernière
- | heure, ii télégraphiait lui-même de sa main à son | digne frère, une dépêche ainsi conçue : « Si tu veux \ me voir encore vivant, viens sans retard. » N’est-ce point, je vous le demande, Messieurs, la meilleure preuve que l’on puisse donner d’une fermeté d’âme sans pareille, que cette invitation pressante, faite d’une façon si calme, dans un moment ou la mort, avec ses effroyables étreintes, s’acharne impitoyable sur sa proie? Le docteur Devillers pour le reconforter, croit devoir lui adresser des paroles encourageantes... « N’ayez pas peur », lui dit-il, et à cette parole, le moribond,dont la langue est paralysée, sourit en hochant la tête, pour faire entendre que son âme ne connaît point la peur.
- « Voyez le à bord de YAmelia, au sein de la tempête ! Le ciel en feu semble incendier l’horizon. Les vagues ameutées s’élèvent] avec des grondements de tonnerre jusqu’au ciel qu’elles paraissent vouloir inonder, ou s’abaissent creusant tout-à-coup devant le navire des gouffres sans fond, où la mort impitoyable semble attirer irrésistiblement ses victimes ; le vent se rue impétueux et mugissant sur ces voiles qu’il déchire et qu’il masque, tandis que le capitaine Dallet, calme au milieu de ce désordre, commande avec sang-froid la manœuvre, et s’il ne peut sauver le bâtiment, qui coule à pic et sombre, il préserve du moins la vie de tout son équipage, qu’un navire Norvégien recueille peu après.
- « Tel fut le marin. Dirai-je ce que fat le père de famille ? Quelle affection douce et tendre il portait à cette digne et noble compagne de sa vie, dont vous connaissez tous mieux que moi, Messieurs, les vertus et le dévouement infatigable 1 Et cette jeune enfant, unique hélas, à la suite de tant de deuils cruels, combien il l’aimait! Comme il souriait satisfait à ses joies, à ses succès scolaires, à ses chants enfantins ! Comme il était heureux de la voir grandir et mériter par sa conduite les encouragements de ses maîtres ! Quel vide désormais dans cet intérieur privé de cette affection protectrice et bienveillante ! Mais non, je me trompe ; ce foyer n’est point abandonné par lui.* Il y sera toujours, plus constamment même que durant son passage sur la terre, et il y veillera invisible sur ceux qu’il aimait, et qui l’affectionnaient. Telle est notre conviction, notre espérance inébraniable.
- « Ami trop tôt enlevé à votre famille en pleurs, ami que tous nous aurions voulu posséder encore de longues armées au milieu de nous, cœur vaillant, âme d’élite, au nom du Familistère... Adieu... ou plutôt, au nom de tous vos amis, au revoir... Au revoir, dans ce monde meilleur où, plus heureux que
- p.84 - vue 85/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 85
- nous, vous êtes déjà entré... Au revoir, Iiippolyte Dallet, au revoir..»
- Après ce discours, l'orateur, détachant de sa boutonnière son bouquet d’immortelles, le jeta sur le cercueil; et tous les assistants, le fondateur et la famille en tête, dédièrent devant la tombe et rendirent au défunt le même gracieux hommage, si bien qu’au bout de quelques minutes la bière disparaissait aux regards sous un amoncellement considérable de fleurs, remplaçant avantageusement, suivant nous, l'eau lustrale des goupillons ecclésiastiques.
- FAITS POLITIQUES k SOCIAUX DE LA SEMAINE
- JL©» &sssocia.ti©iïs ouvrière». — Les journaux ont publié l’arrêté de M. Charles Floquet, préfet de la Seine, relatif à la participation des ouvriers associés à l’exécution des travaux de la Ville et du département. L’importance de cet arrêté nous fait un devoir de l’apprécier.
- Depuis longtemps les économistes disent aux ouvriers de s’associer pour produire directement. Constituer une association n’est pas chose bien difficile. La loi du 24 juillet en donne la possibilité moyennant la souscription d’une action de 50 francs par associé, et dont le dixième seulement est exigible en souscrivant. Le minimum des associés exigé est de sept, de sorte qu’avec 35 francs, sept ouvriers ont le droit de fonder une association coopérative de production pouvant entreprendre des travaux, posséder, acheter, échanger, hypothéquer, vendre, etc. La loi leur permet de porter leur capital de fondation à 200,000 fr. et de l’augmenter de 200,000 fr. tous les ans. Comme on le voit, ce n’est pas la fondation qui présente les côtés difficiles dans l’association ; les difficultés consistent dans l’obtention des commandes de travaux et dans l’écoulement des produits fabriqués.
- Si le public se rendait un compte exact des avantages qui lui seraient offerts par des associations ouvrières bien organisées, il en ferait de préférence ses fournisseurs, èt elles pourraient se créer avec la certitude de vivre. Mais, au contraire, jusqu’à présent, on n’a pas eu confiance dans les possibilités d’action des ouvriers travaillant à leur propre compte. Le public n’a pas encouragé les associations ouvrières. Cette indifférence regrettable a fait du salariat une impasse et de la grève une arme à l’usage des salariés.
- * *
- Malgré ces déboires, les ouvriers les plus convaincus n’en ont pas moins persisté dans la voie coopérative. Beaucoup ont dû reculer après s’être engagés, mais d’aucuns ont surmonté les obstacles. Ceux-là ont fourni la preuve que l’idée est bonne et qu’il est possible de la mettre en pratique.
- L’an dernier, las des grèves et poussés par les besoins de leurs familles, des ouvriers de différentes corporations décidèrent de recommencer la lutte sur le terrain coopératif et de s’adresser aux administrations publiques pour obtenir des travaux. Pourquoi pas? Pourvu que les travaux s’exécutent convenablement, les administrateurs ne doivent envisager que le meilleur marché. C’est ainsi que cela devrait être, mais la réglementation bureaucratique a fait des siennes, — comme d’habitude.
- D'abord on a objecté aux ouvriers associés qu’ils n’étaient pas patentés depuis un an ; puis, qu’ils n’a-, vaient pas assez de surface, qu’ils n’offraient pas assez de garanties. Bref, les bureaucrates firent tout ce qu’ils purent pour conserver, vis-à-vis des ouvriers, les res-
- trictions règlementaires. Si cette manière de voir avait prévalu définitivement, c’en était fait des nouvelles associations coopératives, et les grèves auraient eu encore de beaux jours devant elles.
- Mais les exclus se sont plaints au conseil municipal, qui a mis un frein aux ardeurs restrictives des employés de la Seine. Sur son invitation formelle, le directeur des travaux de la Ville a dû supprimer la clause exigeant des soumissionnaires et adjudicataires une année de patente, et, en ce qui concerne les associations ouvrières, leur participation a été admise moyennant des certificats d’aptitude émanant de personnes compétentes.
- La question semblait tranchée. Pas du tout. Les bureaucrates se sont rabattus sur les marchés passés pour plusieurs années. Il fallait attendre. C’est devant tous ces mauvais vouloirs que M. Charles Floquet s’est décidé à instituer la commission spéciale, qui va être chargée de faciliter aux ouvriers associés les adjudications de travaux de la ville. Les membres de cette commission auront le droit de feuilleter les paperasses, de faire telles objections qui leur sembleront justes, et, au besoin, d’en référer au préfet de la Seine, voire au Conseil municipal. Cette fois, nous croyons que la mesure sera efficace.
- Un bon point à M. Charles Floquet.
- *
- * *
- Ce que coût© fa guerre. — « Le Herald of Peace » a publié récemment un tableau des dettes nationales des peuples européens dont il fixe le total à 1,200,000,000 de livres sterling, soit en francs 30 milliards, mais ce chiffre est déjà aujourd’hui trop faible. Une note de M. Appleton, secrétaire de VInternational ArVUration and peace Association, fait remarquer que le tableau publié par le Herald date de 1866 et est antérieur par conséquent aux guerres qui ont eu lieu en 1866 entre i’Autricbe et la Prusse, en 1870-71 entre la France et l’Allemagne, et entre la Russie et la Turquie en 1877-78. Or, les emprunts que les déficits causés par ces guerres ont forcé la plupart des Etats à contracter, ont considérablement augmenté les dettes publiques. La Grande-Bretagne et le Danemark seuls présentent une diminution. Le total actuel est aujourd’hui de 3,815,299,896 livres sterl. c’est-à-dire, en francs, 95 milliards U! Quel argent bien employé !
- AUTRICHE
- L’insurrection de FHerzégovdne et de la Bosnie grandit tou.]ours. Ce n’est pas une émeute, c'est un soulèvement; ce n’est pas une révolte, c’est une guerre. Les gendarmes passent aux insurgés avec leurs bagages et leurs armes. Avant môme que les délégations eussent voté le crédit de huit millions de florins qu’on leur demandait, la somme a été jugée insuffisante. Que d’argent, que de sang pour étouffer la liberté.
- ¥ ¥
- Le gouvernement autrichien ne se contente plus de saisir les journaux viennois qui publient des nouvelles non officielles du théâtre de la guerre : il fait saisir également les télégrammes venant d’Allemagne et transmettant à Vienne l’appréciation des journaux allemands sur les évènements dans le Sud. Les télégrammes résumant les appréciations de la Gazette nationale de Berlin ont été saisis.
- ANGLETERRE
- Jeudi soir, un certain nombre d’Irlandais ont essayé d’^mpècher M. Bryce, membre libéral de la Chambre des communes pour la circonscription de Tower Ham-lets, de parler A ses constituants dans un meeting convoqué dans Wbitecbapelroad, à Londres. Déjà, la semaine dernière, les Irlandais avaient envahi le local dans lequel M. Bryce avait convoqué ses électeurs, et
- p.85 - vue 86/836
-
-
-
- 80
- LE DEVOIR
- par leurs clameurs ils avaient empêché l'orateur de se faire entendre.
- Pour le meeting de jeudi soir, les amis de M, Bryce s’étaient présentés de bonne heure dans la salle où la réunion devait avoir lieu, et les policemen ont empêché les Irlandais d’y pénétrer.
- Ces derniers, qui étaient très nombreux, ont essayé de forcer les porter mais ils ont été refoulés par la police dans une rue adjacente,où ils cnt tenu un meeting pour exprimer leur indignation; puis ils ont attaqué les policemen a coups de canne et de pierres ; on a été obligé de requérir des renforts et,vers la fin de la soirée, 90 constables avec 4 sergents et 2 inspecteurs se trouvaient sur les lieux.
- Plusieurs constables ont été assez grièvement blessés à coups de pierres; par contre, un assez grand nombre des assaillants ont été arrêtés*Par suite dès précautions prises dans l’intérieur de la salle, les individus qui ont essayé de causer des troubles ont été prestement ex-pulsés par des ouvriers robustes engagés à cet effet, et M. Bryce a pu parler sans encombre. Il a justifié son vote en faveur de Pacte de coercition, et a dit que le land act pour l’Irlande produira, avec le temps, les résultats favorables que ses promoteurs en attendent.
- On sait que VÙnited Ireland, organe de la Ligue agraire, s’imprime actuellement à Paris; tous les exemplaires du premier numéro qu’on a essayé de faire passer en Irlande ont été saisis par la police au moment où on débarquait les ballots qui les contenaient. Les directeurs de la feuille proscrite ont tenté alors de faire imprimer à Liverpool les exemplaires destinés à l’Irlande; mais hier après-midi, des agents de police sont entrés dans l’imprimerie où se tirait le journal et ont saisi tout le matériel et 40,000 exemplaires déjà imprimés.
- RUSSIE
- La cérémonie dti couronnement, qui doit avoir lieu â Moscou én juillet ou èn août, devient d’ores et déjà pour le Tsar et sa famille un supplice incessant. Ce n’est pas une petite affaire que de trouver un moyen de lui faire faire sans péril le voyage de Pétersbourg à Moscou. Où a songé à le déguiser et à le faire partir et arriver sans aucune suite, tout simplement en bon bourgeois. Le gouverneur de Moscou est venu lui-même à Pétersbourg pour en conférer. Il propose de faire voyager le Tsar en voiture, sans user du chemin de fer. Dans chacune des maisons devant lesquelles il faudra pourtant que le cortège défile en entrant à Moscou, il est question de mettre en surveillance un conseiller municipal, un commissaire de police, bref un fonctionnaire public qui soit personnellement responsable de la maison et des gens qu’elle contiendra. Quel châtiment que ces précautions ! Quel supplice que ces transes de chaque jour I Quelle santé résisterait à ce régime de terreurs incessantes ! Les angoisses de l’empereur et de sa famille ne sont-elles point la compensation de tant d’exils, dé tant de supplices, de tant de potences dressées tous les jours ? Lutte affreuse de bourreaux et de victimes, de victimes et de bourreaux !
- *;•
- * *
- Les femmes électeurs &> éligibles. —
- Autriche. — Un comité de la diète de Croatie a décidé que les femmes pourront êtré élues membres des conseils municipaux.
- Etats-Unis. — « Dix ans d’expérience ont prouvé l’excellence de l’extension aux femmes du droit de suffrage.
- « Les plus brillantes espérances des apôtres du suffrage de la femme se sont donc réalisées. » {leader, de de Cheyenne).
- « Les femmes de Wyoming tiennent en honneur le droit de suffrage et l’exercent comme font les hommes. » [The Netv-York Observer).
- « Dans l’Etat de Wisconsin, un bill a reconnu aux femmes mariées le droit d’électeurs et d’éligibles pour toutes les fonctions publiques; »
- Angleterre. — seils d’écoles.
- Les femmes y votent déjà pour les con-Le Prolétaire.
- *
- ¥
- 3La liberté agent de développement des peuples. — Les moralistes et les politiques qui cherchent à vérifier la vérité du principe suivant lequel le juste est la route la plus courte et la plus sûre vers l’utile, peuvent enregistrer les faits suivants. En 1870, au moment où l’esclavage fut aboli dans les quinze Etats dont voici les noms : Alabama, Arkansas, Caroline du Sud, Caroline du Nord, Delaware, Floride, Géorgie, Kentucky, Louisiane, Maryland, Mississipi, Missouri, Tennessee, Virginie et Virginie occidentale, la population noire était de 4 millions 242,000 individus, et le dernier recensement constate qu’en 1880 cette population était de 5 millions 648,891. Augmentation : 1 million 403,832 individus, soit plus de 33 0/0. L’augmentation pendant la décade précédente n’avait été que de .233,614 individus, soit environ 5 1/2 0/0. Ce n’est point tout. La progression du travail a été la même que celle de la population. Enfin, pendant ces dix années, la population blanche des mêmes Etats s’est élevée de 8 millions 812,377 d’individus à 11 millions 259,711, soit 25 0/0.
- Conclusion : la liberté civile et politique est aussi favorable au développement économique des peuples qu’elle est impérieusement commandée par la justice, et l’abolition de là servitude aussi profitable à l’ancien maître qu’à l’ancien esclave.
- ¥ ¥
- La coopération en Angleterre. *— M. E.-
- O. Greening donne dans le Co~operaHve News d’intéressants renseignements sur la productivité de la coopération anglaise* Gette productivité, calculs faits sur une longue période, se trouve être de 30 0/0 ; et cela après déduction, non seulement de tous frais, mais même de l’intérêt à 5 0/0 du capital, Voici d’ailleurs des chiffres qui établissent ce fait : En 1865, le capital de la coopération était, en Angleterre, de 20,484,175 fr. ; le revenu fut de 6,980,650 fr.., soit à peu près 30 0/0. En 1870, le capital s’élevait à 50.856,525 fr., le produit monta à 13.885,875 fr.; le revenu fut de 27 1/2 0/0. En 1875, le 1875, le capital atteignait 120,026,000 fr. et le revenu 35,606,550 fr.,soit 30 0/0.
- Ce qui augmente la signification de ces chiffres, c’est ce fait : que la productivité du capital en Angleterre est, en moyenne, de 6 0/0. Voici d’ailleurs des chiffres probants à cet égard. En 1870, le capital général de l’Angleterre s’élevait à 212 milliards 500 millions de francs, et le revenu, défalcation faite des salaires, à 11 milliards 986,850,000 fr., soit un peu moins de 6 0/0.
- Un autre rapprochement intéressant fait par M. Gree-niDg est relatif à l’accroissement du capital général ds l’Angleterre et à celui du capital de la coopération. Le capital général s’est élevé, de 130 milliards, en 1865, à 212 milliards et demi de francs en 1875. Le capital de la coopération a monté de 20,475,000 fr. en 1865, à 120 millions eh 1875. Dans le premier cas, l’accroissement a été de 65 0/0 en dix ans; et dans le second de 60 0/0, dans le même temps.
- ALLEMAGNE
- M. de Bismarck s’aperçoit,à son tour, que ce n’est pas tout de tailler et qu’il faut savoir coudre. Or, pour coudre il faut avoir appris. Il s’est déclaré socialiste, a affirmé qu’il fallait faire des lois pour changer les conditions des travailleurs salariés de l’industrie et de l’agriculture. Allant plus loin, il a fait diriger contre la « bourgeoisie capitaliste » des attaques furibondes que signeraient des deux mains les collectivistes les plus révolutionnaires.
- Avec là fatuité, des grands artistes, le chancelier pensait qu’il lui suffirait de réfléchir un iüstânt poür trouve* le moyen infaillible de résoudre la question sociale; Il
- p.86 - vue 87/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 87
- a réfléchi et découvert l’assurance obligatoire contre les infirmités des ouvriers, que ces infirmités proviennent de l’âge ou d’un accident.
- Le projet a été rejeté l’année dernière parle précédent Reichstag, et M. de Bismarck convient aujourd’hui que tout cela ôtait assez mal digéré ; qu’il ne sait pas encore bien comment il s’y prendra, et qu’il lui faut étudier la question.
- Etudier 1 voilà le grand mot et la grande nécessité. Tous les jours on rencontre des hommes qui s’imaginent que la solution des problèmes sociaux s’improvise, et qu’il suffit pour la découvrir d’un peu d’imagination. Il y faut aussi de la science ; et la science ne s’acquiert que par l’étude des faits et la déduction des lois qui les gouvernent. La sociologie n’échappe pas plus à cette règle que les autres sciences. Voilà ce M. de Bismarck n’avait pas compris, ce qu’il ignore peut-être encore.
- * *
- La session du Reichstag est close. Malgré les rotomon-tades furibondes du grand-chancelier, qui s’est montré encore plus grotesque que redoutable, le budget a été voté. Mais le caractère de cette session, c’est "un effort marqué du parti progressiste pour constituer une opposition sérieuse. C’est à la bourgeoisie allemande de prouver qu’elle ne mérite point les injures dont la couvrent M. de Bismarck et ses journaux; aura-t-elle cette vigueur ? Le Reichstag a rejeté le projet de loi qui créait à Neuf-Brisach une école de sous-officiers destinée à germaniser l’Alsace tout en confisquant au profit de l’armée allemande les rares qualités qui font des Alsaciens les meilleurs sous-officiers de l’Europe. C’est un acte de justice. Il s’est trouvé un député alsacien, un seul, M. Grad, de Colmar, pour voter cette loi.
- *
- * ¥
- | Voltaire disait, lui : « Je sais haïr par ce que je ? sais aimer. »
- C’est le contraire de la sagesse de M. Renan.
- Aussi quelle différence dans leur façon de mener la guerre contre la vieille ennemie !
- Au surplus, M. Renan fait lui-même, de très bonne grâce, l’aveu de ce qui manque à son caractère et à la trempe de son esprit.
- « Mon indécision, dit-il, est cause que je me laisse « facilement amener à des situations contradictoires « dont je ne sais pas trancher le nœud. »
- Quoi qu’étant, à certains égards, un sage de l’école de Fontenelle, M. Renan dit assez crûment son fait au monde dans lequel il se trouve jeté :
- « Dès que je commençai à connaître la planète que « nous habitons, il s’établit en moi une lutte ou « plutôt une dualité qui a été le secret de toutes « mes opinions. Je n’abandonnai nullement mon « goût pour l’idéal ; mais comme j'avais l’esprit « juste, je vis en même temps que l’idéal et la « réalité n’ont rien à voir ensemble ; que le monde « jusqu’à nouvel ordre est voué à la platitude, à la « médiocrité ; que la cause qui plaît aux âmes bien « nées est sûre d’être vaincue..»
- La librairie allemande est en émoi et ce n’est pas sans motif, suivant le TageMatt de Leipzig, la ville des librairies par excellence ; les autorités douanières de Hambourg ont décidé dernièrement qu’à l'avenir tout livre entrant sur le territoire de l’empire et dont la reliure est protégé par un fourreau en toile ou en peau, sera frappé du droit d’entrée selon le tarif douanier concernant la toile ou le cuir 1
- ---—
- CE ODE VADT L’ÉRÜDITION AD DIRE D’OK ÉRÜDIT
- Il est curieux de connaître le jugement que porte sur lui-même et sur le genre de travaux par lequel il s’est illustré un des maîtres contemporains de l’art d’écrire, maître à peuprès sans rival pour les nuances délicates et les exquises qualités du style. M. Renan, — car on a deviné déjà que c’est de lui que je veux parler, — M. Renan publie dans la Revue des deux Mondes une autobiographie — qui donne bien l’idée de cette nature d’homme, plus qu’aucun autre « ondoyant et divers. »
- « Une philosophie,perverse sans doute,m’a, dit-il, « porté à croire que le bien et le mal, le plaisir et la « douleur, le beau et le laid, la raison et la folie, se « transforment les uns dans les autres par des « nuances aussi indiscernables que celle dela’colombe. « Rien aimer, ne rien haïr absolument, devient alors « une sagesse. •>
- Déjà il avait précédemment dit « qu’une panbéotie a redoutable, une ligue de toutes les sottises, étend « sur ce monde un couvercle de plomb sous lequel « on étouffe... »
- Le portrait n’est pas flatté; mais on ne peut disconvenir qu’il soit assez fidèle.
- A ce pessimisme de M. Renan il faut bien par malheur donner raison, quand on se fonde uniquement sur l’observation de ce qui est et se fait. Les choses en général, se passent plutôt comme il l’indique, qu’elles ne suivent la marche contraire, celle en un mot, qui tendrait à donner satisfaction aux aspirations élevées, à faire triompher la justice dans la répartition des avantages sociaux. A l’opinion de M. Renan,l’on ne saurait opposer une réfutation sérieuse et valable qu’à la condition de concevoir la possibilité d’un ordre différent de celui qui existe et d’admettre, dans une certaine mesure au moins, la réali-sabilité d’un idéal de justice et de vérité. Or l’écrivain, en déclarant « que l’idéal et la réalité n’ont rien à faire ensemble », se résigne à la permanence d’un état de choses qui choque à bon droit sa raison et son cœur.
- Dans ses Dialogues philosophiques le même auteur établit pareillement « que l’homme a un intérêt ac-« tuel à n’être pas vertueux. Loin de faire réussir, « ajoute-t-il, le vrai talent, la vraie vertu, la vraie « science nuisent dans la vie et constituent celui
- p.87 - vue 88/836
-
-
-
- 88
- LE DEVOIR
- « qui en est doué dans un état d’infériorité. Parfois « ils causent son malheur. »
- Les socialistes (et je n’entends point par là les apôtres des violences révolutionnaires, mais les penseurs qui, ayant scruté les dispositions de notre édifice social, en ont aperçu les anomalies et les vices) ; les socialistes, dis-je, ont aussi été frappés du résultat inique et odieux, constaté par M. Renan. Mais au lieu de l’accepter, comme lui, avec un phlegme par trop philosophique; au lieu d’y voir, à son exemple, une sorte de fatalité inéluctable, ils l’expliquent par l’imperfection même de notre état de société, imperfection qu'ils s’efforcent d’amender et de faire disparaître. D’où, leur recherche de combinaisons sociales meilleures, offrant à la vertu, au talent, à la science des chances plus favorables. Ainsi Fourier, par exemple, cet observateur avisé et sagace, démontre avec la dernière évidence que, dans notre civilisation, le mensonge et l’astuce conduisent bien plus souvent au succès, à la fortune, que ne le fait la franchise et l’austère vérité, incompatible notamment avec notre système commercial. Mais au lieu de vouloir qu’on se résigne pour toujours à une conséquence aussi révoltante,il s’ingénie à découvrir des dispositions sociales qui amèneraient l’effet inverse, au grand avantage de la collectivité humaine. Loin d’admettre avec M. Renan « que l’idéal et la réalité n’ont rien à faire ensemble. » Fou-rier s'évertue afin de modifier le réel et de le transformer en conformité du type idéal de société, équitable à la fois et harmonique, qu’il a non point capricieusement rêvé, mais déduit logiquement, rigoureusement de l’étude approfondie de notre nature, ainsi que des conditions d’existence auxquelles elle est soumise.
- Les remarques critiques d’un observateur passif ou neutre, tel que M. Renan, en quelque beau langage qu’elles soient exprimées, ne peuvent conduire à rien ; elles sont absolument stériles : celles de Fourier, fécondées par un cœur épris du bien et qui croit à la possibilité de l’établir, vont susciter en lui le génie novateur et le porter à la recherche de combinaisons susceptibles de fonder dans les sociétés humaines le règne de la justice et de l’harmonie. C’est un utopiste, dira-t-on. Soit. Mais ce n’est qu’à cette condition qu’il peut ouvrir à nos regards des perspectives de plein accord social et de bonheur pour tous. Rien de tel, en effet, ne s’est vu dans le passé; il faut donc entrer dans le domaine de l’utopie pour esquisser le tableau d’un tel ordre. — Tout auteur d’une invention pratique commence d’ailleurs,par être aussi un utopiste,— car il doit imaginer d’abord un arrangement des choses ou un emploi des forces
- qui n’avait encore eu lieu nulle part (ou topos). (1) La mise à l’essai justifie ou infirme la conception. Mais quand il s’agit d’innovations sociales, les moyens de vérification ne sont à la portée ni d’un individu, ni même d’un groupe d’individus.
- Pour revenir à M. Renan et à son autobiographie, il y raconte que, certain jour, un de ses professeurs du séminaire d’Issy, l’abbé Gottefrey, lui dit nettement : « Vous n’ètes pas chrétien! »
- « Aujourd’hui, à 38 ans de distance, je reconnais, poursuit M. Renan, la haute pénétration dont il fit fit preuve.
- « Certes, je regrette maintenant que je n’aie point suivi son impulsion ; je serais sorti du séminaire sans avoir fait d’hébreu ni de théologie. La physiologie et les sciences naturelles m’auraient entraîné ; or, je peux bien le dire, l’ardeur extrême que ces sciences excitaient dans mon esprit me fait croire que, si je les avais cultivées d’une façon suivie, je fusse arrivé à plusieurs des résultats de Darwin, que j’entrevoyais. J’allai à Saint-Sulpice; j’appris l’allemand et l’hébreu ; cela changea tout. Je fus entraîné vers les sciences historiques, petites sciences conjecturales qui se défont sans cesse après s’être faites, et qu’on négligera dans cent ans. On voit poindre, en effet, un âge où l’homme n’attachera plus beaucoup d’intérêt à son passé. Je crains fort que nos écrits de précision de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, destinés à donner quelque exactitude à l’histoire, ne pourrissent avant d’avoir été lus. C’est par la chimie à un bout, par l’astronomie à un autre, c’est surtout par la physiologie générale, que nous tenons vraiment le secret de l’être, du monde, de Dieu, comme on voudra l’appeler. Le regret de ma vie est d’avoir choisi pour mes études un genre de recherches qui ne s’imposera jamais et restera toujours à l’état d’intéressantes considérations sur une réalité à jamais disparue. »
- Combien significatif ce regret de la part d’un homme parvenu au faîte delà renommée, membre de deux classes de l’Institut, venant ainsi confesser lui-même l’inanité des études qui lui ont valu ces hautes positions et sa gloire !
- Tout en admettant, d’une façon générale, le bien-fondé des appréciations de M. Renan sur la valeur respective des sciences qu’il met en contraste, nous n’irions peut-être pas aussi loin que lui. L’hurnanité attachera toujours un certain degré d’intérêt à son passé. Seulement elle évitera, croyons-nous, depous-
- (1) M. Pasteur, qui a qualité plus que personne pour exprimer un avis sur ce point, a dit excellemment :
- « Au début de toute recherche, il faut avoir une idée préconçue pour guide * *
- p.88 - vue 89/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 89
- ser l’engouement à cet égard jusqu’à faire de l’étude minutieuse de ce passé une de ses principales préoccupations ; surtout elle ne cherchera pas dans ce passé, enfantin et ténébreux., des règles pour son présent qt pour son avenir, pas plus que l’homme individuel ne songe à chercher dans les souvenirs confus de sa première enfance un critère de sa conduite pour l’âge de la virilité et de la raison développée.
- Or jusqu’ici les pouvoirs publics n’ont guère encouragé, en fait de recherches, que celles qui ont pour objet le passé de notre espèce, passé plus ou moins reculé ou même proche, mais toujours enfin le passé. Les travaux d’archéologie, l’étude des vieilles Chartres, celle des conditions d’existence, des faits et gestes des peuples de l’antiquité ou du moyen-âge, le dépouillement des archives diplomatiques des quatre derniers siècles, voilà des besognes qui accaparent les récompenses et les distinctions décernées par les académies, ainsi que les faveurs et les subventions des gouvernements. — Cui bonoï pourrait-on se demander? Avec quel profit soit pour la génération présente soit pour les générations à venir?
- « Le champ de 1,’érudition, c’est le champ de la vaine pâture, » comme l’appelait non sans raison l’auteur de la Philosophie de la Liberté, Ch. Lemaire (lj. L’érudition a occupé jusqu'ici, dans l’estime des hommes un rang que ne justifie nullement son utilité à peu près nulle.
- La déclaration de M. Renan est encore plus vraie
- peut être qu’il ne la croit lui-même. Lorsque par suite des découvertes incessantes de la science positive, les conditions de la vie et de l’activité humaine dans toutes les sphères se modifient, se transforment d’un jour â l’autre; lorsque la vapeur, l’électricité, la dynamite nous apportent des forces nouvelles d’une supériorité incomparable sur celles qu’employaient les générations précédentes, de quoi peut
- (1) L’ouvrage de Ch. Lemaire (2 vol. in-8°, Paris 1842, 1843. Pagnerre éditeur) est un des plus forts et des plus logiques plaidoyers eu faveur de la libre-peusée qu’ait produits notre siècle. De sa conception atomique, de l’uni vers,l’auteur a déduit avec beaucoup d’originalité des conséquences politiques et sociales qui toutes justifient pleinement le titre : Philosophie de la liberté. L’ouvrage en outre est très remarquablement écrit. Mais les livres ont leurs destinées : celui de Gh. Lemaire, n’ayant eu pour le prôner ni journaux ni coteries, n’obtint pas le succès qu’il méritait à juste titre
- La. qualité de philosophe et de penseur profond n’exclut pas, tant s’en faut, celle de patriote et de républicain dévoué : Charles Lemaire l’a prouvé par son exempie. Membre pendant nombre d’années du Conseil général de l’Aisne, maire de Saint-Quentin, puis commissaire du gouvernement rrovisoire et préfet du département à la Révolution de 1848, M. Ch. Immaire, dans ces diverses situations, rendit au pays des services dont ses concitoyens ont tenu à perpétuer le souvenir, en
- nous servir la connaissance de ce que pratiquaient nos aïeux dans leurs industries diverses, sans en excepter la guerre et la navigation ? Si l’invention des armes à feu changea complètement, il y a trois ou quatre cents ans, les procédés de l'art militaire, — l’usage des canons d’une portée de 6,000 mèt., des fusils â tir rapide portant à 1,200 mètres et au-delà, entraînent des façons de guerroyer toutes différentes de celles qui. avaient cours au commencement de ce siècle ou seulement il y a une quinzaine d’années ? De là pour le système de défense ou d’attaque des places, pour la conduite des armées en campagne, de ces armées colossales qui se composeront désormais de toute la population virile d’un grand pays, de là, disons-nous, des conditions toutes nouvelles.
- La tactique de Turenne faisant manœuvrer une trentaine de mille hommes sur un étroit échiquier, celle môme de Frédéric II ou de Napoléon Ier pourront-elles suffire à former les généraux appelés à diriger de telles masses,pourvues d’armements d’une puissance inouïe, avec des moyens d’information et de transport dont on n’avait de leur temps aucune idée ?
- Dans l’ordre industriel d’un autre côté, quel rapport ont nos fabriques actuelles avec celles d’il y a cinquante ans ? L'agriculture enfin vers laquelle ne se sont pas jusqu’à présent portés les grands capitaux, teR qu’en réunissent les puissantes compagnies, soit de chemin de fer, soit de mines et d'usines , — l’agriculture aussi devra forcément renouveler son matériel et ses procédés arriérés. Quels enseignements fructueux pourra-t-elle puiser dès lors dans 1rs œuvres, si estimables d’ailleurs et si utiles dans leur temps, des Columelle et des Olivier de Serre ?
- Dans un autre ordre d’art et de science, des milliers et milliers d’ouvrages qu’a fait naître, depuis Hippocrate jusqu’à nous, l’art do guérir, quel profit peuvent tirer les médecins et les chirurgiens
- plaçant son portrait dans la salle d’honneur de l’Hôtel de Ville de Saint-Quentin.
- Conçoit-on que l’homoae public, objet d’un tel hommage ; que l’auteur d’une œuvre de philosophie Importante et très originale, au moins dans ses déductions, n’ait pas une ligne de biographie dans le Dictionnaire de Vapereau, non plus que dans celui de Larousse. Et pourtant, dans le dernier, à l’article atomisme, l’ouvrage de Ch. Lemaire est analysé et très avantageusement apprécié par un juge d’une compétence irrécusable, M. Pilloa,le collaborateur de M. Renouvier à la Gritique philosophique.
- Je ne puis m’empêcher de relever une omission analogue au sujet du fondateur du familistère, qui a expliqué et commenté son œuvre dans deux livres ( solutions sociales \— mutualité sociale) d’une autorité incomparable, puisqu’ils s'appuient sur un grand, fait pratique : M. G-odin n’a point non plus d’article dans les Dictionnaires précités. Mais lui, il peut attendre avec confiance le jour de la justice. <. !
- i
- p.89 - vue 90/836
-
-
-
- 90
- LE DEVOIR
- d’aujourd’hui,quand les bases de la physiologie et de la pathologie ont complètement changé ; quand ils ont à leur disposition des agents précieux que ne soupçonnaient pas leurs devanciers, ceux-là même dont nous séparent seulement quelques vingtaines d’années ? Ici la marche est si rapide, que des publications entreprises dans le but exprès de donner l’état présent de la science, les Dictionnaires de médecine, par exemple, n’ont pas achevé de paraître que déjà plusieurs des articles contenus dans les premiers volumes auraient besoin d’être révisés, même refaits.
- Dans toutes les branches, au surplus, l’abondance croissante de la production littéraire est telle, que certains esprits conçoivent des inquiétudes sur la possibilité future de la caser et de la cataloguer. Un médecin de Washington, savant bibliographe, a calculé que si la progression continue du même train pendant deux ou trois siècles, nos bibliothèques seront de grandes villes... Dieu préserve nos arrière-neveux de ce déluge d’encre d’imprimerie et de ces montagnes de bouquins, dont les fouilles leur prendraient beaucoup de temps pour bien pou de profit ! . *
- Ch. Pellarin.
- CNK APPRENTIE MAÇONNE
- Un fait, à notre avis, des plus importants vient de se passer :
- Mlle Maria Deraismes a été reçue dans la grande confrérie des francs-maçons.
- Tout le monde apprécie le mérite de la récipiendaire, qui est digne sous tous les rapports de franchir la porte du temple.
- Ce qui nous réjouit surtout dans l’admission des femmes à la franc-maçonnerie, — car Mlle Deraisme sera certainement suivie de nombreuses maçonnes, — c’est de voir cette institution toute humaine rompre avec ses vieux errements, que nous proclamons anti-maçonniques, et qui laissaient en dehors de ses travaux la moitié de l’humanité ! — Quant à nous, nous attendions cet acte de justice depuis longtemps et nous félicitons la franc-maçonnerie française d’avoir la première donné le bon exemple.
- Ce n’est que lorsque l’homme et la femme marchent la main dans la main, qu’ils ne s'égarent pas sur la route du progrès.
- Allons, frères des loges étrangères, imitez-nous et mettez les truelles aux mains de vos compagnes, elles s’empresseront de vous suivre dans les ateliers.
- | A notre connaissance, Mlle Maria Deraismes est la i première femme qui soit reçue dans une véritable loge, car les loges d'adoption du xvme siècle, les-! quelles admettaient les femmes, étaient à la franc-maçonnerie à peu près ce que la magie blanche est à ! la magie noire.
- j II y eut alors deux sortes de sociétés androgynes, l que l’on a trop souvent confondues dans les attaques * dont la maçonnerie a été l’objet. Des sociétés de \ plaisir, pour parler par euphémisme, se modelèrent j sur les initiations maçonniques, elles étaient alors \ fort à la mode, et avaient tout l’attrait de la nou-\ veauto et du mystère. Dans l’ordre des Félicitaires,
- | les sœurs, pilotées parles frères, faisaient voile vers 1 île de la Félicité. L’équipage se composait de mousses, de patrons, de chefs d’escadre, de vice-amiraux et d’un amiral.
- Cela rappelait vaguement les voyages au pays de Tendre de Mlle de Scudéry. Dans le serment d’initiation, le récipiendaire jurait : « de ne jamais mouiller dans un port où se trouverait à l’ancre un des vaisseaux de l’ordre. » Si c’était une femme, elle s’engageait : « à ne pas recevoir de vaisseau étranger dans son port, tant qu’un vaisseau de l’ordre y serait à l’ancre. » A cet ordre fondé en 1743, succéda celui des Chevaliers et Chevalières de l'Ancre en 1743, puis vinrent les ordres de la Coignée, de la Centaine, de la Fidélité, qui se rapprochaient davantage des formes maçonniques. En 1778, le duc d’Orléans était le grand-maître d’un ordre des Chevaliers et des Nymphes de la Rose, qui n’avait rien de commun avec l’institution des rosières, et dont les mystères se célébraient dans les bosquets de Cythère.
- Vers la même époque, la maçonnerie égyptienne de Cagliostro exploita aussi l’attrait des réunions d’hommes et de femmes, avec les formes d’une maçonnerie à la fois mystique, thaumaturgique et fort érotique. Mais tout cela n’est pas la maçonnerie d’adoption, inaugurée en France vers 1760, et acceptée officiellement par le Grand-Orient en 1774.
- Nous n’entrerons pas dans les détails d’une réception maçonnique de femmes dans une loge d’adoption, cela nous entraînerait trop loin, disons pour terminer que les dames de la cour de Louis XVI fréquentaient les loges d'adoption dont la duchesse de Bourbon était grande-maîtresse. La duchesse de Chartres, la princesse de Lamballe, la comtesse de Brienne, la princesse de Polignae, la marquise d’Avrincourt, Mme de Genlis, la comtesse de Choiseul, etc., étaient assidues dans ces loges. Sous le premier empire ces réunions furent également en vogue et la sœur Joséphine assista à Strasbourg à la réception d’une dé ses dames d’honneur i
- p.90 - vue 91/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 91
- C’est la baronne Dietrich qui remplissait les fonctions de grande-maltresse dans cette cérémonie.
- On se rappelle qu’en 1848 quelques femmes tentèrent de restaurer les loges d’adoption, mais les choses en restèrent là.
- Si une femme a jamais désiré vivement être une vraie maçonne, c’est sans doute George Sand qui fait admettre sa comtesse Rudolstadt parmi les illuminés ; elle est morte trop tôt.
- Nous avons voulu bien faire comprendre par ces quelques souvenirs historiques que ce n’est que d’aujourd’hui que la maçonnerie entre dans une voie nouvelle et rénovatrice en admettant les femmes dans son sein.
- Jacques Courrier.
- ÉTAT-CIVIL DO FAMILISTÈRE
- DÉCÈS
- Le 2 février 1882 : Dalîet Pierre-Hippolite, âgé de 54 ans. Le 6 février 1882 : Fontaine François, âgé de 44 ans.
- L’IRLANDE
- En terminant notre dernier article sur l’Irlande, nous faisions des vœux pour l’opprimée. Ces vœux nous étaient dictés par le peu d’efficacité que nous j attendions de l’Irish Land Bill, par la continuation de l’état insurrectionnel des esprits et, conséquence et provocation tout à la fois de cet esprit d’insurrection, par le redoublement des persécutions qui s’étendent maintenant jusques aux femmes.
- Les amis du gouvernement actuel reconnaissent eux-mêmes que la nouvelle loi n’a point réalisé les espérances qu’on avait fondées sur elle. Un très grand nombre de cas ont été portés, il est vrai, devant les Cours exprès instituées et, dans l’immense majorité de ces cas, des réductions plus ou moins grandes des prix de fermage ont été accordées, mais en vain ; les fermiers semblent s’en tenir à la recommandation de M. Parnell et aux termes du dernier manifeste de la Land League : ils ne paient pas et ce que l’on nomme les outrages agraires continuent comme par le passé et, comme par le passé, les auteurs de ces outrages restent inconnus. En même temps, vrais ou faux, les bruits de complots i du Fénianisme se répandent. On découvre des armes cachées ; des envois de dynamite et autres matières explosibles sont interceptées ; des lettres anonymes iont écrites, des placards s’affichent, menaces de
- I mort ou d’incendie, donnant lieu à un surcroit de répression qui prend le nom anadin de mesures de précaution.
- On dirait que la frayeur du Landlordisme augmente eu raison de la multiplicité et de la sévérité de. ces mesures. Aux apppels à la force de la part des seigneurs du sol, vient se joindre l’appel aux livres sterling du riche, aux pences du pauvre. Des souscriptions s’ouvrent pour la défense de la propriété et le Lord Maire de Londres, lui-même, est à la tête d’un comité chargé de recueillir des fonds pour les dames dans la détresse.
- Bref, depuis le fameux discours de Guildhali et en dépit des prévisions optimistes de son auteur, le mal n’a fait qu’empirer et nul ne sait quand et comment il prendra fin.
- Donc rien de plus naturel qu’en présence de l’actualité les membres du^ Parlement qui, dans la session dernière, ayant voté contre les lois de coercition et demandé qu’on accordât à l’Irlande une certaine autonomie, se sont vus accusés de donner leur appui aux outrages agraires et de favoriser le démembrement de l’Empire, rien de plus naturel, disons-nous, qu’en présence de l’impuissance des remèdes apportés au mal existant, ils regardent comme un devoir de leur part d’élever de nouveau la voix dans les journaux en attendant qu’ils se fassent entendre au sein du Parlement.
- Que les lecteurs du Devoir, que tous ceux qui se sentent émus des douleurs d une nation qui fut toujours sympathique à la France, que tous ceux qui croient au principe de la solidarité des peuples et souffrent de la souffrance des autres jettent, avec nous un coup d’œil sur l’état des choses et sur celui des esprits dans la malheureuse Irlande, et ils ne pourront que reconnaître l’exactitude de l’exposé suivant et applaudir à ses conclusions.
- *
- * *
- Au commencement de la session dernière Iss prétentions de la Land League se bornaient aux Fair rents et mettaient en quarantaine quiconque appuyait les Landlords dans les évictions de fermiers incapables de payer les arrérages de leurs tenues. L’agitation se faisait dans ces conditions, mais ainsi qu’il arrive habituellement dans les temps d’agitation même légitime, les village Ruffians. (La canaille des villages), en profita pour commettre des délits et des crimes. M. Forster a bien pu qualifier ces crimes et leurs auteurs, mais il n’a jamais pu trouver la moindre preuve que la Land League ait encouragé ceux-ci en cachant ou en excusant ceux-là.
- p.91 - vue 92/836
-
-
-
- 92
- LE DEVOIR
- Quand revêtu de pleins pouvoirs, l’homme qui commande en Irlande a demandé l’application de mesures exceptionnelles contre les suspects, il a déclaré de la manière la plus explicite ne pas vouloir faire cette application à la Land League; il a été plus loin encore en disant que le Boycotting, ou mise en interdit, n’était pas illégal, et qu’il n’entendait atteindre que les village Ruffians.
- Maints libéraux de ceux qui votèrent les mesures de rigueur le firent avec doute et méfiance. D’autres, ceux qui votèrent contra les dites mesures, le firent non point parce qu’ils n’avaient pas les crimes qui se commettaient en horreur, mais parce qu’ils savaient que, dans le cours de ce siècle 40 acts de cette nature avaient été rendus sans aboutir à rien de bon, et qu’ils jugeaient que la passation d’une telle loi, au moment où l’on s’occupait de chercher des remèdes à la détresse agricole, aliénerait d’avance les esprits contre ces remèdes et leur adoption ultérieure. Enfin iis prévoyaient avec raison que des lois coercitives, bien qu’en apparence dirigées contre la canaille,ne tarderaient pas à se tour ner contre la Land League.
- Voilà neuf mois que l’on sévit, avec ce résultat que les outrages ont augmenté en nombre. Les prisons sont pleines, non point des perpétrateurs ou auteur ; des crimes ou délits agraires, mais des membres les plus Influents de la Land Leagùe, et, au lieu de se contenter dé l’obtention des fair rents, on ne veut plus payer de fermage. Que faut-il de plus pour prouver le fiasco complet des mesurés de rigueur, et combien heureusement ont été inspirés les libéraux qui ont voté contre ces mesures. Notez bien, que nous ne discutons pas, nous nous contentons de constater.
- On parle du respect dù à la loi et aax magistrats chargés de l’appliquer, et l’on donne soi-même l’exemple du mépris de la justice et de ceux qui ont mission de 3a rendre. Voici un fait qui parle assez haut et assez éloquemment pour qu’on se dispense de tout commentaire :
- Deux fermiers du comté de Limerick, les nommés Bryan et Michael Maguire sont arrêtés sous la prévention de s’être querellés à propos d’une ferme avec Mklnel O’Callaghan et d'avoir maltraité ce dernier. Le cas est porté devant Killiavrane petty sessions ; les preuves font complètement défaut et les prévenus sont acquittés. A peine la jugement est-il rendu que nos deux hommes ?ont de nouveau mis en prison, mais cette fois en vertu du Coercion act, sous le prétexte qu’on peut, non sans raison, les soupçonner d’avoir commis le délit pour lequel ils viennent d’être acquittés.
- Quant à l’autonomie, qui ne sait que l’union des deux pays a été faite contre la volonté de l’Irlande, avec la fraude et la corruption pour moyens ? Qui, pour peu qu’il soit au courant de l’histoire d’Angleterre, ignore que plusieurs des membres de la Chambre haute ne siègent dans son enceinte que parce que leurs devanciers ont vendu leurs votes pour la pairie Y
- Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d'hier que date l’inimitié de l’Irlande contre l’Angleterre. Parmi les griefs de la première, un des principaux est le refus qui lui est fa;t par la seconde de légiférer pour son propre compte et le dépit de se voir régie par une majorité anglaise. M. Bright a beau dire que l’Irlande a sa large part de représentation, dans le Parlement ; si deux îles dont l’une est beaucoup plus grande que l’autre, sont gouvernées par une même assemblée composée de représentants appartenant à l’une et à l’autre, il suffit que ia plus grande ait la majorité dans cette assemblée pour être maîtresse de la plus petite. Tel est le cas dans lequel se trouvent l’Angleterre et l’Irlande.
- Les lois faites par la première pour la seconde sont peut-être meilleures que si elles étaient abandonnées aux soins de celle-ci, mais il suffit qu’elles émanent de l’Angleterre pour qu’elles soient mal accueillies de l’Irlande. Et il en serait de même d© la part de celle-là si les rôles étaient intervertis. -
- Un Parlement Irlandais indépendant,séparé, autonome, semblable à celui qui siège à St-Stephein, serait sans doute une fameuse entorse à l’Unité de l’Empire. Lorsque, en Amérique, les Etats du Sud se séparèrent de ceux du Nord, le vice-président de la Confédération demanda à Lincoln dans une entrevue, de maintenir i’anitô fédérale en ayant deux parlements séparés, l’un pour le Nord, l’autre pour le Sud Linco n adopta le projet en théorie, mais ia difficulté de le mettre en pratique dut le lui faire rejeter. Bref, quoi qu’il en soit de la séparation des deux îles, on pourrait certainement trouver un moyen qui permit à l’Irlande de légiférer en ce qui la concernerait particulièremeni, tout en ayant à côté de cela un Parlement commun où chacune des îles serait représentée et qui aurait la suprématie en ce qui toucherait aux intérêts généraux de l’Empire.
- La prospérité des Etats-Unis témoigne de la possibilité d’une telle solution. Chacun des Etats y est complètement indépendant en fait d’administration locale,.mais tous restent liés entre'eux par le Congrès de Washington. Le citoyen de New-York, en matière de propriété, est réglé par la loi de New-York et s’il est quelque changement à apporter aux modes de fermage, c’est la législature d’Albany et
- p.92 - vue 93/836
-
-
-
- LS DEVOIR
- 93
- non celle de Washington qui statue. La confédération ne soufre aucunement de cet état de choses. Pourquoi les lois qui régissent ou régiraient les fermages dans G-alway ou dans tout autre comté, compromettraient-elles l’intégrité de l’Empire ?
- Peut-être alléguera-t encontre cette combinaison la possibilité de la part de l’Irlande de faire des lois injustes pour une partie du pays. Mais encore serait-il bon de s’entendre sur le juste et l’injuste. Nous ne croyons pas que l’Angleterre soit douée d’une sagesse telle qu’elle puisse trancher souverainement cette question.Les lois,en Irlande,seraient faites par la majorité représentative de la nation irlandaise, c’est-à-dire de qui est tenu d’obéir à la loi. C’est donc à cette majorité que, selon lès principes du gouvernement représentatif, il appartiendrait de décider de la justice ou de l’injustice de telles ou telles dispositions légales. Qui n’est pas tenu de se soumettre à une décision prise, n’a pas droit à concourir à cette décision.
- On ne manquera pas non plus de dire que l’Irlande pourrait se servir de cette assemblée locale dont le pouvoir serait cependant limité, à légiférer sur des intérêts locaux, comme d'une arme pour conquérir son indépendance absolue. Mais ceci n’est en somme qu’une présomption, une pure hypothèse qui a été de tout temps un prétexte pour le despotisme de refuser aux peuples les garanties légitimes de leurs libertés. En Amérique la ligue de démarcation entre les intérêts généraux de la confédération et ceux de chacun des Etats la composant est nettement tracée. S’il s’élève quelque contestation au sujet de cette ligne, c’est à une judicature tierce et indépendante qu’il appartient de prononcer.il en est de même poulet de la confédération helvétique.
- L’antagonisme existant entre l’Angleterre et l’Irlande, nous l’avons déjà dit, ne date pas d’aujourd’hui; les causes en sont connues; elles sont majeures. Il s’agit d’effacer la trace de ces causes autant que possible, de les faire oublier, pour que disparaisse l’antagonisme. Ce serait donc d’une bonne politique, pour commencer ce que nous appellerons l’œuvre de réparation, de rendre aux Irlandais leur indépendance locale. Tant que cette restitution ne leur sera pas faite au complet, l’agitation en tirera avantage pour réclamer son indépendance politique, et tant que l’agitation aura ce prétexte à mettre en avant elle sera écoutée, parce que l’Irlandais croit que c’est précisément par là qu’il doit arriver à obtenir son autonomie, nous voulons dire l’administration de ses affaires locales. Si ,1’on admettait une fois pour toutes et sans arrière-pensée que l’indépendance locale n’entraîne pas l’indépen-
- I pan ce politique, que la première est une question I dont l’importance doit être prise en considération, on enlèverait à l’agitation du home Unie un bon nombre de ses partisans. L’Angleterre doit donc, dans son intérêt même, distinguer entre ces deux questions, si elle ne fait pas cette distinction, de quel droit peut-elle exiger que l’Irlande la fasse. S’il y a confusion sur ce point, c’est l’Angleterre et non l’Irlande qui est cause de cette confusion.
- L’Union fait la force ! Rien de plus vrai que ce vieil adage ; mais dans le cas de l’Angleterre et de l'Irlande, pour que cela soit, il faut que cette union soit l’effet d’un libre et mutuel consentement. En l’état actuel, l’Irlande est plutôt un point faible qu'une addition de force pour l’Angleterre, et il en sera ainsi tant que cette sœur cadette restera le cendriilon de son aînée, tant qu'elle n’aura pas son foyer domestique où s’asseoir librement.
- Loin donc de regarder ceux qui plaident pour l’autonomie de l’Irlande comme des ennemis désireux de voir l’empire démembré, on doit les considérer comme de vrais amis, partisans sincères de l'uniou entre les deux pays et disposés à cimenter cette union, non point par des moyens factices, artificiels et sans consistance, mais bien par des moyens naturels, garantis d’une solidité à toute épreuve. Ces moyens sont, nous le répétons; le consentement mutuel et, dans toutes les limites du possible, la réparation de torts séculaires. L’union a1'nsi formée vaudra mieux que celle imposée comme aujourd’hui par la force des armes, les incarcérations et la suspension de toutes les garanties de la liberté individuelle.
- Nous sommes loin de vouloir contester à M. Gladstone le désir sincère d’arriver à d’heureux résultats, (heureux à son point de vue, en suivant la légère politique qu’il s’est tracée à l’égard de l’Irlande; mais nous voudrions voir un peu moins d’ambiguité dans son argumentation et plus de logique dans ses allures. Le cabinet semble tellement gonflé de sa propre sagesse qu’à la façon de Henri VIII, lorsqu’il s’agissait pour ce roi de matières religieuses, il dénonce ceux qui voudraient aller un peu plus loin que lui dans la voie des répressions, et emprisonne ceux qui désirent également le devancer dans la voie des réformes. Le Land Bill est sans doute un pas vers ces réformes et on doit être heureux de voir les Landlords forcés de diminuer les prix de fermage de 20 à 25 0/0.Peut-être est-ce là le chiffre équitable de réduction,mais nous ne comprenons pas pourquoi, si on doit faire honneur au cabinet de Saint-James de cet abaissement de prix, ce serait un crime chez M. Parnell de faire de l’agitation pour obtenir 75 0/0...
- p.93 - vue 94/836
-
-
-
- 94
- LE DEVOIR
- car enfin ce chiffre de 25 0/0 n’a rien de cabalistique. .. Il ne rappelle rien de saint et lui-même n’a pas été sanctifié. Ce que nous comprenons encore bien moins, c’est que l’on emprisonne M. Parnell parce qu’il détourne les. tenanciers d’aller en justice devant les Land courts, tandis que le Lord maire de Londres et maints Lords lieutenants ouvrent des souscriptions pour faire que les. Landlords puissent annuler les dispositions de la loi en évinçant les fermiers qui ne peuvent payer leurs arrérages, et en en appelant des sous-commissaires aux commissaires, dans l’espoir de faire le blocus de la haute cour ou cour supérieure de justice et de l’amener à merci . Enfin, demanderons-nous, comment se fait-il que ce que M. Parnell a dit de l’injustice des Landlords et de l’iniquité de certaines lois lui ait valu la prison, tandis que l’on n’a que des éloges à donner aux Landlords qui, dans leur dernier meeting ont paraphrasé en tous points M. Parnell, en l’appliquant à ceux qui sont chargés d’interprêter ces mêmes lois ? Nous ne dirons pas que la justice anglaise a deux poids et deux mesures, mais il devra nous être permis de le penser.
- *
- ¥ *
- A propos des Mélodies irlandaises de Thomas Moore, nous trouvons dans Àug. Thierry les lignes suivantes : Il y a des peuples qui ont la mémoire longue, que la pensée de l’indépendance n’abandonne point dans l’esclavage, et qui, s’opiniâtrant contre l’habitude, ailleurs si puissante, détestent et renient encore, après des siècles, l’existence qu’une force supérieure leur a imposée malgré eux. Et ces lignes, l’histarien les applique à la nation irlandaise.
- Cette réflexion de fauteur de Dix ans d'études historiques, elle nous est venue chaque fois que nous avons parié de l’Irlande. Le peuple conquis depuis plus de six siècles a subi, mais n’a jamais accepté les résultats de la conquête. Comme au premier jour il proteste contre la loi des vainqueurs, et, dans la pensée des fils ainsi que cela existait dans celle des pères, ce que l’on nomme rébellion n’est qu’un acte de revendication juste et légitime. Caresses, menaces, séductions, supplices, rien n’a pu faire considérer les fruits de l’invasion armée comme l’exercice d’une autorité légale. Un mot est toujours monté du cœur à la lèvre de l’Irlande quand elle a songé à l’Angleterre, ce mot : Spoliation. Elle en rêve la nuit et quand le jour se lève elle cherche les moyens de se faire justice.
- La protestation, chez l’enfant de l’îîe d’Emeraude, a revêtu diverses formes selon les temps et les circonstances ; mais la persécution dirigée contre lui a
- toujours été la même : acerbe, violente, haineuse. Elle s’est attaquée à tout ce qui était, anneau dans cette chaîne de mœurs et de traditions conservée par l’Irlande.
- La Land league, aujourd’hui dépositaire et organe des griefs de l’Irlandais, est l’objet de cette persécution acharnée, comme le furent autrefois les bardes et les ménétriers. Les chants nationaux dans lesquels était consignée l’histoire de ses souffrances, étaient à cette époque les archives de la patrie irlandaise.
- Errant de ville en ville, de village en village, les Tyrtées de la Verte Erin allaient, visitant chaque foyer, apprenant le passé à ceux qui l’ignoraient, le rappelant à ceux qui pouvaient l’avoir oublié.
- Bardes, ils avaient des chants de guerre pour les hommes.
- Ménétriers, iis avaient des romances d’amour pour les femmes.
- Us tenaient les enfants éveillés en leur racontant des légendes merveilleuses. Les vieillards s’endormaient bercés par l’espoir de voir, avant de mourir, le vieux drapeau vert flotter de nouveau au-dessus de leurs têtes.
- Parfois, c’était par la bouche d’un amant s’adressant à sa maîtresse et sous le voile de l’allusion qu’ils faisaient parler le patriotisme. Ainsi le morceau suivant :
- « A travers mille dangers, à travers mille mal- . heurs, ton sourire a égayé ma route. Plus notre destin devenait sombre, plus la flamme de nos cœurs était vive. J’étais esclave, mais dans tes bras mon âme retrouvait son indépendance ; et je bénissais jusqu’à mes misères, qui me rendaient plus cher à tes yeux.
- « J’ai vu ta rivale honorée, quand le mépris était ton partagé; j’ai vu ton front ceint d’épines, quand l’or étincelait sur le sien ; elle m’offrait une place dans ses temples, quand le creux des rochers était ton refuge. Mais que je tombe sans vie à tes pieds, si je me donne à celle que je n’aime pas si je te dérobe une seule de mes pensées. »
- A ces chants, cantiques d’amour ou de vengeance, de délivrance ou de désespoir, dernier refuge de l’opprimé dans ses regrets et dans ses vœux, l’oppresseur répondait par les sévices. Persécutés, bannis, livrés aux supplices et aux tortures, les bardes n’en continuaient pas moins leur propagande poétique. Les souvenirs qu’on voulait éteindre en leur fermant la bouche par la main du bourreau, se redoublaient de toutes les violences de la persécution, de tout ce qu’il en coûtait pour les garder.
- p.94 - vue 95/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 95
- C’est à cette vie errante que fait allusion Uagrath, dit le mangaire, dans une de ses strophes que chantent encore, dit-on, les bateliers du Shan-non :
- « Trop longtemps, j’ai gémi sous le joug dégradant de nos oppresseurs ; trop longtemps, dans mes angoisses, j’ai appelé sur eux les malédictions du ciel, et cependant nul espoir d’un temps meilleur ne m’a visité. Les cavernes des montagnes sont une demeure ; leurs apres et froids rochers me servent de lit. Ma misère a éloigné de moi tous mes amis; et le soir, lorsqu’ainsi délaissé je laisse un asile dans les ruines d’un château solitaire, je ne reçois la bienvenue que des enfants de Donn, fier de les entendre chanter avec moi l’hymne de la délivrance. »
- Et dans l’hymne de délivrance dont il est question on trouve ces mots : « Le monde subjugué,— l’armée de César, — Alexandre ont disparu comme la paille devant l’orage. — L’herbe verdit aux lieux où fut la supecbe Tarah, Troie est dans la poussière et l’heure de l’Angleterre peut venir. Souviens-t’en et espère ! »
- Souviens-t’en et espère ! Cette recommandation du Barde n’a pas été vaine. L’Irlande a conservé le souvenir et l’espoir ne l’a jamais complètement abandonnée. Ses luttes passées l’attestent et celle qu’elle soutient aujourd’hui l’afilrme. D’aucun pourront traiter de folie cette constance du souvenir et cette persistance à espérer; pour nous, nous ne pouvons que l’admirer. Aussi de tout l’élan de notre cœur, de toute la force de nos poumons, lui crions-nous,à elle comme à tout ce qui souffre de l’oppression. « Courage, courage et tu vaincras, car la justice est avec toi ! »
- C. P. Maistre.
- ILa Folie d’un Méserviste
- Pendant mes vingt-huit jours, au mois de septembre 1878, je fus témoin d’un spectacle profondément lugubre qui me fait encore aujourd’hui, quand j’y pense, frisonner d’émotion et de douleur.
- J'avais fait connaissance, à mon arrivée au régiment, d’un réserviste d’une des circonscriptions de Lyon qui venait grossir le 109e de ligne caserné à Chaumont, et durant les huit jours que nous restâmes dans cette petite ville, avant de partir pour les grandes manœuvres, nous étions presque continuellement ensemble.
- Il s’appelait Georges Beaupré. Sergent-major de mobiles en 1870, il avait conservé son grade dans la réserve de l’armée active. C’était un sous-officier superbe, d’une physionomie attachante. Les détails de sa figure auraient pu faire croire à une certaine effémination; mais l’ensemble avait un réel cachet de force et de mâle courage, et l’on sentait que, dans les moments suprêmes, elle devait s’éclairer d’une lueur d’héroïsme et de majestueuse beauté.
- En ce moment-là, elle était empreinte d’une mélancolie profonde et d’une inexprimable tristesse.
- Pourtant, au bout de quelques jours, comme il est d’usage au régiment, où une prompte familiarité s’établit, Beaupré et moi nous nous tutoyions, et il m’avait pris en si sincère amitié, qu’à chaque étape, le long des routes poudreuses et blanches, il marchait toujours à côté de moi, tantôt souriant et expansif, le plus souvent en proie à une accablante rêverie dont rien ne pouvait le distraire. La seule chose qui alors l’égayât un peu, c’étaient les paysages, et son œil plongeait avec avidité vers les lointains vaporeux et bleuâtres,comme s’il avait aperçu, dans la lumière adoucie des collines et des bois,quelque image idéale qui l’enivrait.
- » Je dois te sembler un camarade bien morose, me dit-il un jour, à une halte au-dessus de Bour-honne-les-Bains. La faute n’en est pas à mon caractère : c’est la situation où je me trouve aujourd’hui qui me donne cet air sombre que j’ai. Ma femme est dangereusement atteinte d’une maladie de cœur, et ne reviendra peut-être pas à la santé.
- » Un caractère si grand 1 une âme si noble ! O mon ami ! je sens que si je la perdais, j’en mourrais sur le champ ! »
- Sa voix s’éteignit, coupée par un sanglot.
- « Tu ne peux te figurer, reprit-il, à quel point c’est une femme accomplie, et combien j’ai raison d’avoir une aussi terrible appréhension de sa mort. De l’instant où je la vis, je l’aimai éperdûment. Jamais amour ne fut plus prompt ni plus fatal. Nous n’échangeâmes qu’un regard, et nous sentîmes que nos âmes étaient nées l’une pour l’autre. »
- Il se tut encore, comme perdu dans de délicieux souvenirs ; mais mes yeux semblant l’interroger, il continua avec plus d’entrain :
- « Notre connaissance fut due à un pur hasard. Son père, M. Mathias Rissler, alsacien d’origine, s’était établi à Lyon, depuis les cruels événements de 1870. Il était un soir avec elle au théâtre et un de mes amis, qui avait affaire à lui, à un entr’acte, m’entraîna dans leur loge.
- » Il me présenta à M. Rissler comme associé de la maison de commerce Beaupré, Germain et Compagnie, à Mlle Anna Rissler, comme un jeune homme vaillant et accompli.
- » M. Rissler et mon ami parlèrent affaires. Seul avec la jeune fille, notre conversation pouvait devenir banale ; mais M'10 Rissler la lança soudain sur le terrain de l’art, et me développa des pensées réellement grandes avec une netteté parfaite. Son appréciation sur la pièce qu’on jouait et ses idées sur les chefs-d’œuvre contemporains me semblèrent extraordinaires. J'étais absolument émerveillé de cette facilité, chez une jeune fille, à voir si juste et si haut dans des questions esthétiques de cette importance. Son beau front s’était illuminé pendant qu’elle parlait ; ses lèvres frémissaient d’inspiration, et dans ses grands yeux bleus rayonnait le magique enthousiasme des artistes et des poètes.
- » Six mois après nous étions mariés.
- » Il est inutile de te raconter notre idylle amoureuse. Je croirais la ternir rien qu’en l’effleurant. Ce que je puis te dire, c’est que cette douce et charmante femme m’a transformé et que je suis, de plus en plus sous le charme de son profond amour et de ses hautes qualités morales.
- » Mais mon cher, quand je la quittai, il y a huit jours, je partis en désespéré. Elle était assez faible pour que j’éprouvasse des craintes. Je la laissai à Eculy, aux environs de Lyon, dans une petite propriété pleine de calme et d’ombre. J’espère que la
- p.95 - vue 96/836
-
-
-
- 96
- LS DEVOT R
- campagne lai fera du. bien, mais je vois toujours ses beaux grands jeux tristes, qui me dirent adieu ; et le souvenir de son regard chargé de mélancolie m’abat jusqu'à l’anéantissement. »
- Il acheva que le clairon sonnait. Nous nous remîmes en route, marchant sans plus rien dire, troublés par nos communes impressions. Autour de nous, toutes les conversations s’étaient tues. On n’entendait plus que le cliquetis des fusils, et le bruit des bidons et des gamelles secoués par la marche.
- En arrivant à Bourbonnes, nous fûmes séparés, pour la soirée et pour la nuit.
- Le lendemain, sur la route de Jussey, je le revis, l’air dégagé, le regard joyeux.
- « J’ai reçu une lettre, me dit-il. Bonne nouvelle. Du mieux et certainement de l’espoir. »
- A Arbecey, nous commençâmes les manœuvres de brigade, et tous les jours nous ne pûmes qu’échanger une poignée de main, .matin et soir. Ce ne fut qu’en gagés complètement au milieu des plaines et des collines de la Haute-Saône que nous nous retrouvâmes côte à côte.
- « J’étais dans ces parages iî y a huit ans, me disait-il, et j'avais foi encore à la victoire. A Viller-sexel,j’ai cru réellement que nous étions les maîtres, et que l’armée de Bourbaki allait sauver la France.
- Je ne pensais guère à la misère, à la débâcle, à l’effondrement de cette armée à travers les neiges des Alpes. Mais nous aurons notre revanche un jour. Faisons des simulacres de combat, comme si c’était des combats réels. C'est en opérant ainsi que nous nous relèverons, et que notre drapeau flétri reparaîtra glorieux dans le monde ! »
- Ce jour-là on manœuvra jusqu’à deux heures de l’après-midi. IL faisait une chaleur accablante. Tout le monde était harassé.
- Notre bataillon descendit au fond d’un vallon pittoresque vers un hameau désigné sous le nom charmant do : la Maison du Veaux, endroit délicieux et plein de fraîcheur, où nous fîmes halte.
- Je reposais avec Beaupré, quand, soudain, on apporte une dépêche en son nom. Je frémis en la lui voyant ouvrir.
- Elle ne contenait que ces mots : *
- « Anna décédée, ce matin, quatre heures. »
- Le pauvre Beaupré tomba raide à la porte d’une chaumière. On s’empressa de lui donner des soins,et il revint bientôt à lui, mais l’air égaré, l’œil fixe.
- Il était fou !
- Il se croyait être en 1870, et comme général, voulait nous conduire au feu.
- Il réfléchit quelques minutes en ayant l’air de commenter attentivement la dépêche qu’il venait de recevoir.
- « Oui ! dit-il, c’est bien cela... Bourbaki l’annonce. Le combat est pour quatre heures demain matin !.. »
- Puis il s’élance au pied d’un marronnier où une partie de notre compagnie reposait. Des soldats étaient couchés à l’ombre. Quelques groupes conversaient.
- Il tira son sabre du tourreau, et, l’agitant, avec frénésie, il s’écria :
- « A moi, mes amis, du courage.., ! nous nous battrons demain au lever du jour, et nous serons victorieux! Oui ! victorieux sur toute la ligne... 1 Hur-rah...! Les Prussiens sont refoulés par Bourbaki, et l’armée des Vosges s’élance à leur poursuite... Allons sus aux ennemis ! Montrons que nous sommes dignes I
- de la France ! et préparez-vous à la venger...! A demain... ! »
- Ii ajouta encore quelques phrases véhémentes et enthousiastes, et c’était, en réalité, lugubrement triste de le voir, dans sa folie, transformer ainsi une dépêche de décès en un bulletin de victoire.
- Marius Champagne.
- La charité chez les bonnes religieuses à. I>iiio
- On lit dans le Petit Nord :
- Il s’est passé dans la nuit de mardi à mercredi un fait navrant qui donne une étrange idée de la façon dont se fait le service de la maternité à la Faculté catholique de Lille.
- Une femme enceinte, la nommée P..., demeurant rue d’Austerlitz, se sentit prise, mardi soir, des douleurs de l’enfantement. Cette malheureuse a son mari en prison et habite seule avec deux enfants en bas âge.
- Elle se leva et se traîna péniblement jusqu’à la rue du Marché, où se trouve la Maternité de la Faculté catholique.
- Il était trois heures du matin. Elle frappa et exposa la situation lamentable où elle se trouvait. Il lui fut répondu qu’il n’y avait plus de place, et la porte se referma impitoyable sur le nez de la misérable.
- Celle-ci chercha du moins à regagner son réduit de la rue d’Austerlitz. Mais ses souffrances redoublaient, accrues par un froid humide et pénétrant, et elle avait à peine fait quelques mètres qu’elle tombait épuisée et en proie à d’horribies douleurs.
- Un instant après, au milieu de cette rue déserte, sur ce pavé mouillé par un brouillard épais et malsain, un enfant venait au monde.
- Et, chose atroce, personne n’était là pour recevoir ce petit être, pour secourir la pauvre mère, personne ne venait aux cris de celle-ci ou aux vagissements de celui-là.
- Tous deux restèrent là une demi-heure étendus sur le sol, exposés à toutes les intempéries d’une nuit de janvier.
- Enfin, une femme, la nommée Destombes, vint à passer. Elle s’approcha et fut témoin de ce désolant spectacle.
- Elle courut à son tour à la Maternité, sonna et expliqua que la malheureuse à qui on avait refusé l’hospitalité une heure avant était accouchée dans la rue et gisait encore à terre avec son enfant, tous deux à demi morts de souffrance et de froid.
- Peine perdue. Explications inutiles. Rien ne put attendrir les bonnes sœurs de la Maternité, qui se renfermèrent dans leur impitoyable non possumus.
- En désespoir de cause, la femme Destombes courut chercher une voiture et fit conduire la triste accouchée à son domicile. La mère et l’enfant étaient dans un état pitoyable, et il était temps que des secours leur fussent portés.
- Un médecin, appelé, leur donna ses soins.
- Tel est le petit drame qui vient de se passer l’an de grâce 1882, dans la très grande et très civilisée ville de Lille.
- Nous appelons sur ce fait les méditations des philanthropes et l’attention des autorités municipale.,et hospitalière.
- Le Directeur-üér ant : GODIN
- Saint-Quentin — lmp. de la Société anonyme du Glaneur
- p.96 - vue 97/836
-
-
-
- 6- ANNÉE, TOME 6 — N° 100
- 'Lt numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 19 FÉVRIER 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Dire cteur- Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 mm
- Un an . . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- A W m
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Lettre de M. Gagneur, député du Jura.— Questions sociales : Les sociétés de Secours mutuels devant la Chambre des Députés — Voyage autour du Familistère, 11e Partie XII. — Faits politiques et sociaux. — Causerie anticatholique et religieuse : la Prière. — Le Magnétisme. — VEglise et l’Etat : de Charlemagne à François Ier, III. — Variété.
- LETTRE DEJA. GAGNEUR
- Nous recevons de M. Gagneur, député, une lettre qui nous prouve que si l’indifférence existe dans les régions officielles sur les essais de réformes sociales, elle n’est pas générale. L’initiative que M. Gagneur a prise en témoigne. Nous pensons faire plaisir à nos lecteurs en l’insérant dans les colonnes du « Devoir. »
- Voici cette lettre :
- Mon cher Godin et ancien collègue,
- En vous faisant [figurer dans la collection si populaire : « Les hommes d'aujourd'hui », j’ai voulu attirer ’attention publique sur votre création du Familistère,
- presque ignorée en France, —comme l’est d’abord toute invention française — mais célèbre à l’étranger, et qui est certainement l’œuvre la plus considérable réalisée jusqu’ici en faveur des classes laborieuses.
- Non-seulement vous avez réuni dans votre Familistère toutes les institutions progressives fondées partiellement par quelques industriels philanthropes, telles que : Salles maternelles pour la basse enfance, nourri-cerie et écoles enfantines, salles d’écoles primaires à divers degrés, magasins d’approvisionnements, secours mutuels organisés pour les malades, les infirmes, les orphelins et les vieillards, salles de réunion, bibliothèque, théâtre, bains, blanchisserie, fêtes populaires, etc...; mais encore glorifiant le travail comme il le mérite, vous avez transformé les misérables taudis des ouvriers eu un splendide palais social, pourvu de tous les conforts des grandes habitations, et vous avez rapproché ces deux frères ennemis: le travail et le capital, en les associant par de savantes combinaisons.
- L’idéal sans doute serait d’appliquer votre système d’association à l’agriculture, comme vous l’avez fait à l'industrie, de créer la cité paysanne comme vous avez créé la cité ouvrière et de les unir ensemble. Les fonctions se prêteraient ainsi un mutuel appui et favoriseraient mieux encore les conditions d’une organisation normale du travail.
- Mais telle qu’elle est, votre magnifique initiative ouvre la véritable voie au bout de laquelle la question so-ciale, ce casse-tête des penseurs et des philanthropes, ce thème brûlant d’aveugles théories collectivistes et révolutionnaires, cette épée de Damoclès suspendue sur la Société moderne, trouvera sa formule scientifique et définitive.
- Agréez, etc...
- W. Gagneur,
- Député du Jura.
- p.97 - vue 98/836
-
-
-
- 98
- LE DEVOIR
- LES QUESTIONS SOCIALES (1)
- IL.es ^ ^fant
- la. Olsa.in.l>E;e cîe^
- XIV
- Deux propositions de loi, déposées à Ig Chambre des députés par MM. Maze Hippolyte, Guyot (du Rhône) ; Audiffred, Buyat, Paul-Casimir Périer, Reynaud et Martin Nadaud, portent devant cette assemblée la question de la mutualité.
- Le projet définit ainsi le but de la loi :
- « Les Sociétés de secours mutuels ont pour but « d’assurer à leurs membres :
- « lu De§ recours eq cas de maladie, de blessures « ou d’infirmités ;
- « 2° Les frais funéraires.
- « Elles peuvent accorder : 1° des pensions de retraite ; 2° des secours aux veuves et aux orphelins de leurs membres. »
- La légère modification que ce texte apporte à celui de la Joi existante du 15 juillet 1850, serait certainement upe nqtable amélioration de cette loi. Elle en ferait disparaître, en partie, le caractère restrictif qui, par avance, a posé des limites à l’institution des Sociétés mutuelles de prévoyance et a, par conséquent, créé des entraves au développement de toutes les fondations fraternelles tentées par les classes ouvrières.
- Aussi la mutualité réelle est-elle encore à naître. Les Sociétés de prévoyance mutuelle existantes ne sont guère que des tâtonnements, que des essais incomplets, encore fort éloignés de la mutualité nationale dont elles ouvrent le chemin.
- La manière dont le législateur est intervenu dans le règlement des modestes Sociétés de secours mutuels ne se comprend guère, si l’on n’y conçoit une pensée de despotisme, si l’on n’y voit le désir de dominer la classe ouvrière et de la placer sous la dépendance du pouvoir. Telle fut en effet la pensée du gouvernement impérial. Il voulut faire des Sociétés de secours mutuels un moyen de gouvernement, avant fl’en faire une institution de soulagement des classes laborieuses.
- C’est ce caractère oppressif, que l’adoption du nouveau projet de loi enlèverait à la législation qui régit les Sociétés de prévoyance mutuelle. Les Chambres actuelles ne pourront refuser ce bienfait à la classe ouvrière. Ce serait trop méconnaître le
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 novembre; 4, 11, 18, 25 décembre 1881; 1,15, 22. 29 janvier; 5 et 12 février 1882. ' 'S
- besoin d’améliorations sociales sous l’empire duquel la Société se trouve.
- Il y a plutôt lieu de penser que les Chqmbres voudront étendre la portép (lu projet qui nous occupe et en faire gnp loi d’une F^ôlje efljcgcifé. Nous espérons que les Chambres seront d’avis qu’il ne suffît pas d’effacer .de la loi du 15 juillet 1850 l’état de subordination pu de dépendance imposé à ja classe laborieuse, mais qu’il faut appliquer véritablement le régime de la liberté aux associations ouvrières sous toutes formes.
- Malgré que les nouveaux projets de loi, relatifs aux caisses de secours mutuels et de retraite pour la vieillesse, soient inspirés d’une pensée libérale, ils ne renferment ni l’unité de but ni l’enspipLle çj.e moyens qui doivent constituer une bonne loi de prévoyance nationale pn faveur dp la classes ouvrière. Les auteurs de cette loi semblent avoir prévu cette lacune. Mais sans clputp en présentant à la Chambre de simples améliorations à la mauvaise loi existante, ils ont compté faire adopter plus facilement leurs vues, qu’en présentant un projet complètement en accord-avep les priqpipes démocratiques.
- Il est contraire à ces principes que la loi refuse d’accorder aux ouvriers la liberté de se concerter, d’agir, de mettre fraternellement leurs fiBRFffî]§§ SR commun, de s’occuper des moyens d’améliorer leur sort et de prendre toutes mesures propres à atteindre ce légitime but, dès que ces mesures ne portent atteinte ni à la tranquillité publique, ni aux droits des autres citoyens.
- Tout en rendant un hommage mérité à l’intention et à l’utilité des projets de loi qui nous occupent, examinons aux points de vue que je viens d’indiquer, en quoi pêchent ces projets de loi.
- Voulant seulement effacer le vice originel de la loi existante, le projet, par son article premier, restreint la liberté d’association par cette dénomination incomplète : « Sociétç de. Recours mutuels. » Cette définition, au point de vue démocratique, est étroite et fautive. Ils serait plus en rapport avec les besoips actuels de qualifier ces sociétés de « Société de prévoyance sociale » ou de « Société de garanties mutuelles ». Toutes les formes de la mutualité trouveraient leur place dans l’une ou l’autre de ces dénominations.
- N’est-il pas à prévoir, en effet, que le moyen le plus certain pour arriver à la solution des questions sociales est de laisser aux plus intéressés la liberté de chercher eux-mêmes cette solution.
- La suite de l’article premier présente les mêmes inconvénients. Les dispositions qu’il renferme peuvent être excellentes dans les statuts d’une Société ,*
- p.98 - vue 99/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 99
- niais elles ne sont pas assez larges dans une loi.
- Il nous semble qu’il vaudrait mieux rédiger l’article 1er ainsi :
- Seront considérées comme Sociétés de prévoyance sociale- '
- toutes assopiatipps dp personnes unies dqns le but de se y.enir mutuellement en aide. j
- ,Ces association^ se caractérisent particulière- J ment : |
- Ie Par les secours qu’elles accordent à leurs membres pendant la maladie ;
- 2° Par les subyentions qu'elles donnent aux familles qui n’ont point les ressources suffisantes pour vivre ;
- 3° Par la protection qu’elles assurent aux orphelins et aux vieillards privés de ressources ;
- 4° Enfin par toutes les mesures ayant pour objet l’assistancp fraternelle et le bien de l’existence humaine.
- Comme le propose l’article 2 du projet, les Sociétés .de prévoyance sociale doivent pouvoir se constituer saqs autorisation préalable et s’administrer librement.
- L’apticle 4 nous paraît mériter quelques observations.
- Il peut être bon de laisser à l’administration le droit de demander communication des statuts; il peut être nécessaire d’ep exiger le dépôt régulier pour donner à la Société une existence légale ; mais il est suffisant qu’une Société qui néglige de se soumettre à pes foripalités soit considérée compae non avenue : l’amende n’est pas utile.
- Il faut bien coippren^e que les Sociétés dans le peuple ge ppuyegt se constituer que par y oie d’expérience ; que dans l’organisation de la mutualité tout est presque à,découvrir; qu’obliger,par avance, une sppiété qui est en voip de formation à déposer des statuts, cela équivaiat, dans la plupart des cas, à une y.éyifable interdiction. Le législateur doit savoir quelle distance sépare l’idée de la pratique ; et si l’on yeqt que l,e prpgrès s’accomplisse, il faut que la liberté nogs en donpe les moyens.
- L’obligation de déclarer les administrateurs à l?autorité publique,comme le prescrit l’article 4,n’est pas démocratique. G’est une mesure d’intimidation imaginée par les anciens régimes ; c’est une mesure qui n’a pas d’utilité pratique, et qui aurait l’inconvénient d’être une gêne dans le libre usage du scrutin, pour la composition et le roulement des comités chargés de l’administration de ces sociétés.
- Envisagée au point de vue de la responsabilité, la mesure est aussi inutile, les actes délictueux restent !
- | sous la responsabilité de ceux qui les commettent.
- Il faut donc éviter cette entrave au progrès de la mutualité.
- L’article 5 paraît aussi empreint de préoccupations étrangères au bon fonctionnement de la mutualité. Après avoir repoussé la tutplîp du gouvçr-: [ vernement dans l’institution des sociétés de garage ! ties mutuelles et le régime autoritaire établi sous I l’empire contre ces sociétés, il est difficile à comprendre que les auteurs du projet aient cru nécessaire d’introduire dans cet article des amendes conr sidérabîes et le droit de dissolution par les tribunaux.
- L’exposé des motifs s’exprime ajnsi à ce sujet :
- « Si nous ne voulons plus imposer aux Sociétés « l’obligation de réclamer l’autorisation du gouver-« nement pour se constituer, nous exigeons d’elles « des déclarations très:nettes et très-complètes, sans « lesquelles l’Etat serait complètement désarmé (ar-« ticle 4).
- Désarmé! en face de quoi? J’avoue ne pas comprendre. Je ne vois pas cette chimère insaisissable contre laquelle il faut toujours établir le fantôme des mesures de la peur.
- Pourquoi ne pas laisser les associations d’assurances mutuelles sous le régime du droit commun ? Nos lois suffisent pour punir les auteurs de délits. Les sociétés mutuelles ne les rendront pas introuvables. Est-il donc nécessaire de créer des délits nouveaux lorsqu’on songe à développer les bienfaits de la mutualité.
- Quoi, de braves ouvriers ou de bons paysans se réunissent en vue de se constituer en société de prévoyance mutuelle. La mutualité est une chose nou -voile pour eux ; c’est en la pratiquant qu’ils apprendront à la connaître; c’est par les leçons de l’expérience qu’ils établiront leurs statuts; et la loi les mettrait (fans l’obligation de s’astreindre à une forme donnée; puis de déposer par avance des statuts! Et cela sous la perspective d’amendes de 100 à 1,000 francs pour des délits imaginaires !
- Il n’en faudrait pas davantage pour enterrer les sociétés de prévoyance mutuelle.
- Sachons donc une fois pour toutes proclamer la liberté d’association, sans placer derrière elle les moyens de l’étouffer.
- Le législateur peut facilement permettre au gouvernement de veiller sur les sociétés mutuelles ; il n’a qu’à lui donner le moyen de les encourager dans la voie du bien qu’elles doivent faire, au lieu de se préoccuper de mesures propres à réprimer le mal qu’elles ne feront pas.
- Le projet de loi admet que l’Etat pourra subven-
- p.99 - vue 100/836
-
-
-
- 100
- LE DEVOIR
- tionner les sociétés de prévoyance mutuelle, n'y a-t-il pas en ceci un moyen bien simple d’appeler toutes les sociétés à remplir les formalités du dépôt qui doit leur donner l'existence légale ? C’est d’édicter qu’aucune société n’aura droit aux subventions de l’Etat qu’après avoir rempli les formalités exigées par la loi. Cette mesure sera infiniment plus utile que toutes les pénalités imaginables.
- Trop facilement en France la loi crée des délits ; mieux vaudrait lui voir créer le bien que d’enfanter
- humaine, il n’en est pas de supérieur au droit à l’existence.
- 2 — Le droit à l’existence s’impose à la conscience
- et au respect des hommes.
- 3 — En donnant la vie à l’homme, la nature a créé
- pour lui des moyens de subsistance.
- 4 — Entre toutes les questions sociales la question
- de subsistance est la première et celle dont dérivent toutes les autres.
- le mal.
- La conclusion à tirer de tout ceci, c’est donc que liberté entière doit être laissée à la constitution des sociétés mutuelles de prévoyance ;
- Que la loi doit édicter les conditions de l’existence légale de ces sociétés, mais sans en faire un objet de contrainte ;
- Qu’il n’est pas besoin d’étabiir des amendes pour des actes qui ne portent préjudice à personne. Si des sociétés ayant ou non rempli les formalilés légales donnent lieu à des délits, les tribunaux en poursuivront les auteurs.
- Nous avons examiné les points fondamentaux du projet de loi sur les sociétés d’assistance mutuelle, toutes les autres dispositions sont propres aux circonstances auxquelles les auteurs du projet ont su les approprier. Je n’ai pas à les examiner en détail. J’ajoute cependant que, bien amendé, le projet de loi sur les sociétés de secours mutuels, présenté à la Chambre par MM. Guyot et autres peut devenir une loi de mutualité nationale de la plus haute importance. La Chambre aborderait ainsi véritablement les réformes sociales par le côté le plus humain et le plus pressant. Quant au projet sur les retraites pour la vieillesse, son utilité est beaucoup plus circonscrite , puisque ce projet s’adresse à ceux chez qui la prévoyance et l’économie sont possibles, et qu’il n’accorde rien à ceux qui sont privés de tout. Le véritable problème est, au contraire, de faire disparaître le paupérisme et la misère, c’est-à-dire de relever ceux qui sont tombés le plus bas, en même temps qu’on aidera les autres.
- Dans le but de faciliter l’étude de cette question, il me semble utile de résumer succinctement ici, en ! les numérotant, les diverses propositions dévelop- j pées depuis longtemps dans le « Devoir » sur la j mutualité, ses principes fondamentaux et son appli- j
- cation à la société. \
- Les voici : i
- Principes fondamentaux de la mutualité *
- NATIONALE î
- 5 — Lorsque le véritable respect de la vie humaine
- et des droits qui y sont attachés sera la base de nos institutions, le droit à la subsistance sera reconnu.
- 6 — La loi morale de l’humanité et le devoir social
- imposent à la République de chercher la solution du problème du paupérisme, de travailler à éteindre la mendicité et la misère.
- 7 — Quand l’appropriation individuelle dispose de
- toutes les ressources sociales et enlève à un certain nombre la possibilité de trouver les moyens de vivre, la société doit offrir aux déshérités des équivalents de subsistance.
- 8 — L’organisation de la mutualité nationale res-
- taure les droits à la subsistance; elle offre le moyen d’instituer pacifiquement les garanties aussi indispensables à la paix sociale qu'elles le sont pour préserver les classes ouvrières de la misère et de l’abandon.
- 9 — La mutualité nationale doit être l’institution
- du respect de la vie humaine ; elle doit remplacer, par la protection mutuelle et sociale, les efforts insuffisants de la charité privée et les ressources dégradantes de l’aumône.
- 10 — L’organisation de la mutualité exige trois
- choses :
- 1° La liberté d’association et l’appui de l’Etat ;
- 2° La participation active des individus à cette organisation et à son administration ;
- 3° Les ressources nécessaires à son fonctionnement.
- 11 — La liberté d’association dépend des lois et des
- dispositions libérales du législateur.
- 12 — Le sentiment de la mutualité se développera
- chez les citoyens, dès que les représentants du peuple y seront favorables, au lieu d’y être hostiles.
- 13 — Les associations de prévoyance mutuelles
- doivent se former librement, dans les communes, dans les établissements d’industrie,
- • etc. Elles doivent choisir et nommer en toute liberté leurs comités d’administration.
- 1 — Parmi tous les droits attachés à la personne ? 14 — Les sociétés mutuelles peuvent se diviser en
- p.100 - vue 101/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 101
- deux sections : l’une composée d’hommes, l’autre composée de femmes.
- 15 — Chaque section nomme/ par la voie du suf-
- frage, ses délégués au comité d’administration.
- 16 — Les délégués des deux sections réunis
- établissent les statuts qu’ils soumettent à l’approbation de l’assemblée générale. Chaque sectionnait son règlement particulier.
- 17 — La section des hommes est particulièrement
- chargée de l’assistance à donner aux hommes ;
- La section des femmes de l’assistance à donner aux femmes.
- 18 — Les assurances mutuelles peuvent embrasser
- toutes les situations où le nécessaire manque aux citoyens par défaut de ressources, soit pour cause de maladie, d’infirmités, d’incapacité de travail survenue par la vieillesse, ou tout autre cause que ce soit.
- 19 — Les statuts de chaque association mutuelle
- déterminent la forme et la quotité de la cotisation que doit apporter chacun des membres.
- 20 — Ces cotisations forment la première base des
- ressources. L’Etat intervient dans les sociétés légalement constituées jpour verser une part proportionnelle au montant des cotisations perçues par chaque société.
- 21 — Aux ressources normales instituées comme i
- vient d’ètre dit, la loi pourra, en vue d’une protection plus efficace des familles ouvrière et de la reconnaissance due au travail, constituer la propriété mutuelle et sociale :
- 1° En prélevant sur toutes les successions, une part d’héritage représentant les libéralités de la nature, les services rendus par le domaine public et ceux rendus par le travail, dans la création de la richesse ;
- 23 En supprimant le droit de succession en ligne collatérale, au-delà du degré entre frères, à moins de testament, et en faisant entrer ces biens au fonds de la mutualité.
- 3° En instituant également un droit d’héritage sur tout testament au profit de la mutualité.
- 22 — Les loyers et revenus de ces biens s’ajoute-
- raient aux ressources de la mutualité et en deviendraient bien vite la principale ressource.
- Je ne me dissimule pas combien ces indications sommaires peuvent soulever d’objections chez ceux qui n’en ont pas suivi les développements. C’est un cueil que je ne puis éviter dans une simple énumé'
- | ration. Mais j’espère qu’on y trouvera au moins la * justification des observations que j’ai faites sur les I projets de loi soumis à la Chambre des Députés, à propos des sociétés de secours mutuels et de retraites pour la vieillesse.
- Godin.
- ..,.-v.wa'VW\/1AVVVv<~-
- YOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE XII
- Lorsque, dans les divers ateliers que nous avons déjà parcourus, les objets fabriqués ont subi toutes les opérations préliminaires par nous décrites dans nos précédentes études, ils sont alors divisés en deux catégories distinctes dans les halles de l’ajustage ou 'montage. Les uns sont montés et ajustés définitivement pour passer à l’atelier du minage, et de là dans les magasins, prêts à être livrés au commerce, et les autres, destinés à l’émaillage, passent dans les locaux où se trouvent les fours à émailler.
- L’opération du minage des appareils consiste à les frotter de plombagine pour leur donner cette teinte grisâtre, qui est comme la couleur virginale de la fonte, et la préserve de l’oxydation atmosphérique. Cette couche peu épaisse et à demi brillante est la parure des articles prêts à expédier, le coup de fiontl que l’artiste donne à son œuvre avant de s’en séparer. Tout créateur quel qu’il soit, artiste ou industriel, obéit à cette loi qui veut que le produit en sortant de ses mains soit aussi paré que possible, et la nature elle-même nous en donne constamment l’exemple, car tout ce qu’elle fait naître nous est toujours présenté avec tous ses atours et tous ses agréments. La fleur qui s’épanouit, l’insecte qui brise son enveloppe de chrysalide, le petit mammifère qui fait son entrée dans la vie, tout est en beauté lorsqu’il s’ofïre 1 aux regards pour la première fois.
- Ainsi l’appareil de chauffage même le plus modeste reçoit par le minage sa toilette définitive, et peut ensuite être mis dans la circulation commerciale.
- Quant aux objets à émailler, pour eux le dernier mot n’est point encore dit, et ils auront à subir un traitement assez minutieux, avant de pouvoir rejoindre dans les alvéoles des magasins leurs congénères moins-aristocratiques. L’art d’émail 1er les métaux en général et la fonte tout particulièrement présente d’assez sérieuses difficultés. L’on a même pensé longtemps dans le monde industriel et scientifique que l’émaillage de la fonte était pour ainsi dire
- p.101 - vue 102/836
-
-
-
- 102
- LS DEVOIR
- une impossibilité, au point de vue pratique. C’est une des gloires de l’usine que nous visitons d’avoir, sinon créé, du moins porté cet art difficile au degre de perfection auquel il est désormais parvenu. Lorsque l’on y commença à émailler les produits, on eut presque tout à faire, car cette industrie était à peu près dans l’enfance, et ce ne fut qu’à force d’études et de, persévérants essais sans cesse renouvelés, que l’on est arrivé aux résultats merveilleux que nous avons à constater.
- La grande affinité du fer pour l’oxygène était une des premières et des plus considérables difficultés car un corps oxydé ne pouvant s’unir à un autre qui ne l’est pas, les deux matières ne sauraient adhérer l’une à l’autre par le mélange. Il était donc indispensable de provoquer cette adhérence par quelque moyen pratique. L’expérience a démontré que l’émail ne peut adhérer que sur une surface métallique bien exempte d’oxyde, de carbone, ou de corps renfermant du carbone. Des taches d’oxyde sur la plaque de métal à émailier feraient exfolier l’émail, et le carbone provoquerait la formation de bulles dans cette même matière, attendu qu’à une haute température, l’oxygène de l’air transformerait le graphite en gaz oxyde de carbone ou en acide carbonique.
- C’est pour éviter ces inconvénients graves, et pour rendre le métal parfaitement propre à recevoir l’émail, que l’on commence par le mettre pour ainsi dire entièrement à nu, en le plongeant dans un bain, dont je ne vous dirai point la composition, et cela pour deux raisons : la première, c’est que la mission que je me suis donnée en vous accompagnant consiste bien à vous faire connaître le Familistère, l’usine et ses travaux, mais non pas à vous révéler traîtreusement les secrets de son industrie; et la seconde raison, c’est que je suis plus touriste ici que savant, plus reporter que chimiste, et qu’en cette qualité, je préfère n’avoir à dire que ce que je vois, tel que je le vois, absolument comme les peintres dits impressionnistes, qui, à l’aide d’un mélange quelconque de couleurs posées un peu au hasard, font Un tableau. Ce procédé est commode au dernier point, car il dispense l’artiste de savoir le dessin pour bien arrêter les formes, et le coloris pour bien ménager les tons et les nuances. Donc, lecteur, mon ami, nous avons là un bain, mettons que c’est de l’eau, puisque le liquide que nous voyons nous en présente l’aspect.
- Le métal ainsi parfaitement décapé est mis au four, chauffé à une température de 800 à 1,000 degrés, où il ne tarde pas à atteindre la chaleur rouge. En cet état, il est retiré du four, vivement saupoudré d’é-
- mail pulvérisé, de façon à former une couche de l'é-
- paisseur voulue pour le succès de l’opération, et remis au four où la chaleur achève de vitrifier cette enveloppe. Telle est en résumé l’économie de l’émaillage des pièces de fonte, et je n’enirerai pas dans de plus amples détails à ce sujet, parce que ceux que je vous donne de la sorte suffisent, encore une fois, aux besoins de notre exploration.
- Ce que je puis encore vous indiquer sans inconvénient ; c’est que par l’immersion préparatoire, le fer est débarrassé à la surface de toutes lès matières nuisibles provenant de la fonte, en même temps qu’il acquiert une espèce d’aspérité qui rend l’adhésion des deux substances plus aisée et plus complète ; que l’émail appliquée sur le métal est extrêmement fusible, condition essentielle pour éviter tout danger d’oxydation, et qu’il n’est employé ainsi en poudre que pour les pièces auxquelles l’émaillage doit donner l’aspect et l’apparence du marbre.
- Ce procédé n’est point en effet le Sêui employé ici. Outre les appareils de chauffage de luxe que l’on revêt d’une couche marmoréenne,on donne également par l’émaillage l’apparence de la porcelaine ou faïence à ce qu’on nomme la poterie. Pour les ustensiles de cette catégorie, l’émail est appliqué, non en poudre mais liquide, sur la fonte. Cette sorte d’émaillage est plus connue et beaucoup plus répandue que l’autre, qui forme une des principales Spécialités, je dirai plus un des triomphes de t'usine.
- Les résultats obtenus par ce genre d’émaillage sont véritablement étonnants. On est parvenu à donner aux chambranles de cheminée artistiques et de luxe, aux plaques d’intérieur, aux foyers économiques tout l’aspect du plus beau marbre,et à moins d’un œil très exercé, il est difficile d’apprécier à la simple inspection de la vue la différence entre la fonte émaillée et le marbre. Il y a, dans l’appartement du fondateur au Familistère, des cheminées qui font complètement illusion, et qui ne lé cèdent en rien, pour la beauté du grain et lé fini du travail, aux spécimens les plus remarquables qu’expose aux yeux émerveillés des parisiens, dans ses magasins du boulevard des italiens, la compagnie des Onyx d’Algérie, par exemple. Plus connus dans lâ Capitale ces produits feraient certainement une concurrence sérieuse aux cheminées de marbre, qui sont én somme plus coûteuses et plus fragiles. Combinés avec les foyers économiques auxquels ils servent de Cadre,ils procurent un chauffage beaucoup plus satisfaisant et moins dispendieux que les systèmes généralement adoptés. Peut-être exigent-ils un entretien plus minutieux et plus constant, et c’est croyons-nous, la seule objection qu’on puisse faire sérieusement
- p.102 - vue 103/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 103
- à leur emploi, mais dans une maison bien tenue, ce besoin ne change rien aux habitudes, et l’objection, par conséquent, n’a point de portée dans ce cas..
- C’est un progrès réel, incontestable, réalisé dans cette utile industrie. Le moulage mécanique d’une part et l’émaillage de la fonte poussé à ce degré de perfection dé l’autre, suffirait à immortaliser le nom d’un homme,car ces deux améliorations industrielles
- constituent un service réel rendu à l’humanité. L’une permet â l'ouvrier de produire davantage et mieux avec économie de fatigues et de labeur, et l’autre offre aü consommateur tm surcroît de confortable dans la satisfaction d’un des principaux besoins de là Vie, avec une économie notable dans la dépense que ce besoin impose. Ainsi l’on peut affirmer que le fondateur du Familistère a réalisé dans l’ordre industriel un progrès qui peut marcher de pair, pour ainsi dire, avec celui qu’il a préparé dans l’ordre économique, par la solution qu’il a donné à la question sociale, en établissant sur de solides bases l’Association du capital et du travail, véritable, remède à appliquer efficacement au paupérisme.
- Jusqu’à ce jour son initiative n’a point trouvé d’imitateurs. Son œuvre si belle, si admirable, si éminemment humanitaire n’est pas encore appréciée à sa juste valeur, peut-être parce qu’elle n’est point encore assez généralement connue. Chose étonnante ! Elle a été infiniment plus louée, plus admirée dans la presse étrangère, en Angleterre, en Belgique, en Suisse, aux Etats-Unis qu’en France même, et elle est certainement plus connue dans ces pays que daüs le nôtre. Combien troüverait-on eh France d’hommes politiques, d’économistes, de journalistes même, qui sachent ce que c’est que le Familistère de Guise et son organisation sociale ? Mais un jour Viendra, et nous avons l’espoir qu’il n’est point éloigné, où les Français comprendront enfin que cette solution sociale, que tant de bons patriotes cherchent ardemment depuis de longues années, est | bon seulement trouvée, mais déjà mise en pratique chez eux, qu’elle a pour elle toute l’expérience d’une j Sùite d’années déjà longue, et qu’il ne s’agit plus que d’appliquer sur une vaste échelle à la nation toute entière ce qui a été fait, noü par un gouvernement, mais par un esprit éminent, pour une collectivité de travailleurs, pour avoir résolu le problème social si ardu, si difficile en apparence, Puisse notre espé- ( rance n’être point déçue pour le bien de notre pays, J et pour celui de l’humanité en général.
- (A Suivre).
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- La loi fsiii* le** ULsaisocia,'fcjk>ii&, — Tandis que le ministère nouveau, avec une hâte qu’il faut louer, s’empresse de déposer stir le bureau de la Chambre des projets de loi, lés membres de Fanèien cabinet continuent à présenter les pièces principales de la réforme d’ensemble qu’ils avaient préparée. Cette émulation sera féconde, nous voulons l’espérèr.
- Aujourd’hui, c’est le tour de la proposition de M, Waldéck-Roussèau, relative aux associations.
- Nous ne croyons pas la caractériser inexactement, en ' disant qu’elle constitue un commentaire, en styîe lé-' gislatjf, de la formule de M. Gambetta à Bell&ville : * La liberté pour tout le monde, excepté pour les moines. »
- Mais c’est le cas dedire qü’il n’est rien de plus trompeur que les formules. On sait si nous sommes partisans du jacobinisme ; on sait si nous avons jamais défendu une loi d'exception ; oïl sait si nouë sommes les partisans résolus de la liberté, de toute la liberté et de la liberté pour tous. Eh bien ! c’est au nom de ce libéraslime sans restriction que nous déclarons nous ranger au projet de M. Waldeck-Rousseau.
- On voit qu’un mot d’explication n’est pas inutile ici.
- Le projet de loi, en son article 3, s’exprime dans les termes suivants :
- e Toute convention ayànt poiir but ou pour résultat, soit au moyen dé Vœux, soit par un engagement quelconque, d’emporter renonciation partielle ou totale au libre exercice des droits attachés a la personne, ou de subordonne!* cet exercice à l'autorité ffiuné tierce personne, est illicite comme contraire à l’ordre public, *
- * D’autre part, l’article 1er accorde liberté absolue, sous les seules règles générales du code civil et du code de commerce, à toute association formée en vue d’un but déterminé < »
- C’est là, en deux mots, toute l’essence du projet.
- Ainsi, il accomplit une révolution double. Jusqü’à ce moment, liberté complète, de droit ou de fait, ôtait laissée aux congrégations dites religieuses ; mille entraves s’opposaient à la formation des associations laïques.
- Des religieux, des femmes, se réunissaient pour faire abdication de leurs volontés aux mains d’un homme, parfois d’un étranger ; ils mettaient en commun leurs biens ; ils constituaient une personne, reconnue ou UOn, mais existante et puissante, personne immortelle, personne qui allait acquérant toujours, ne se dessaisissant jamais, personne qui poursuivait Un büt général ou indéfini, et parfois un but qu’on n’aurait pas volontiers publié, au milieu d’une société laïque comme est la nôtre. Tout était bien, l’Etat fermait les yeux ; le pouvoir législatif se taisait, acquiesçait, accordait même des privilèges.
- Mais que des travailleurs, des citoyens voulussent s’unir, en toute liberté, eu parfaite égalité, en plein jour, pour un but avoué, précis, légal, utile même à la prospérité générale du pays; Qu’ils voulussent recommencer en France, soüS une forme nouvelle, l’entreprise des équitables pionniers de RoeMale, les obstacles légaux s’accumulaient. Quë l’entreprise eût un caractère aventureux, oti politique, ou social, les obstacles atteignaient la hauteür d’une impossibilité véritable.
- Et c’est ainsi qu’on avait réussi à faire à notre pays cette réputation d’incapacité pour i’asëoeiàtiOn, qüe vont partout colportant nos calomniateurs.
- Il était temps que chaque chose fût remise en place. Aux citoyens hardis, aux hommes d’initiative, qui ont foi dans le principe d’association, liberté entière dans les limites du droit commun. A ceux qui veulent créer des richesses nouvelles, jeter des ressources et dés forces nouvelles dans ce trésor commun et circulant dont nous vivons tous, à cénx-là la vôie ouverte et même aplanie,
- p.103 - vue 104/836
-
-
-
- 104
- LE DEVOT R
- Quant aux antres... D’abord, les autres ne présentent pas pour la société la même utilité ; iis immobilisent, ils stérilisent, au lieu de vivifier et de produire.
- Mais n’importe! ce n’est pas une raison pour leur refuser la liberté. Leur droit est sacré à l’égal de tout autre. Aux congrégations donc, aux religieux et religieuses, la liberté. Mais entendons-nous, et que ce mot ne cache pas de subterfuge.
- La liberté, c’est-à-dire le droit de s’unir, de vivre ensemble, de se soutenir dans la voie qu’ils croient sincèrement être la voie de la perfection et du bien.
- Mais la liberté de s’enchaîner; la liberté d’abdiquer sa qualité de personne ; la liberté de descendre du rang d’être libre au rang d’instrument dans la main d’un autre; la liberté de se rendre esclave, non pas ! C’est un des principes de 89 que l’homme peut avoir tous les droits, excepté celui d'abdiquer à la fois tous ses droits; toutes les libertés, excepté de détruire d’un coup sa liberté.
- Il ne faut pas qu’une loi faite pour rendre leur essor aux initiatives et aux forces individuelles devienne une loi d’asservissement volontaire. C’est ce que n’a pas voulu le ministère quijûent de tomber. C’est ce que ne voudra pas la Chambre "si elle consent, mettant à l’écart une bonne fois les questions de personne, à considérer non pas de qui vient le projet, mais ce qu’il vaut et où il va.
- •¥ *
- ÏJïîe mesure axiti-llibérale. — Nous évitons, autant que possible, de parler des expulsions d’étrangers ; mais on fait grand bruit de l’expulsion d’un Russe nommé Lavrôff; il est même possible que ce fait soit l’objet d’une question, peut-être d’une interpellation, à la Chambre. Voici doue les considérants de l’arrêté d’expulsion signé par le ministre de l’intérieur,M René Goblet, le directeur de la sûreté générale, M. CazelLes, et signifié par M. Clément, commissaire aux délégations :
- « Considérant que le sieur Lavroff a ouvert publiquement en France une souscription en faveur des nihilistes russes, ce qui constitue une participation active à une agitation politique à l’étranger;
- « Considérant que la présence de l’étranger sus-dé-signé sur le territoire français est de nature"à compromettre la sûreté publique.". » /
- La responsabilité en matière d’aecï-
- dentg. — M. Félix Faure, député de la Seine-Inférieure, vient de déposer une intéressante proposition tendant à « établir et à régulariser la responsabilité eu matière d’accidents de fabrique ou de toute exploitation industrielle ou agricole. »
- Aux termes de cette proposition, le chef de toute entreprise industrielle, commerciale ou agricole est responsable du dommage causé à tout ouvrier ou employé tué ou blessé dans son travail, soit que l'accident cause de la mort ou de la blessure provienne du bâtiment, de l’installation de l’entreprise ou de l’outil, soit qu’il provienne du travail même.
- La responsabilité est ainsi définie en ce qui concerne les ouvriers hommes :
- En cas de mort survenue au moment même de l’accident ou résultant des suites de cet accident, si l’ouvrier ou 1’employé est marié, auront droit : la veuve, à une indemnité égale à deux fois le salaire annuel de la victime, sans que le montant de cette indemnité puisse dépasser 2,300 fr.; chaque enfant légitime vivant au moment de l’accident ou à naître dans les dix mois qui suivront, à une rente annuelle de 100 fr. jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de seize ans.
- Si l’ouvrier ou l’employé est veuf, ses enfants auront droit à une rente, conformément au paragraphe précédent.
- S’il est célibataire ou veuf sans enfants, il sera attri-bué à ses ascendants sëlagénaires une indemnité égale au salaire annuel de l’ouvrier ou employé décédé*
- • Ea cas d’accident entraînant incapacité complète de | travail, il sera attribué :
- A l’ouvrier ou l’employé victime une rente annuelle viagère égale au tiers de son salaire annuel, sans que cette rente puisse être inférieure à 370 fr. ni supérieure à 7S0 fr.
- S’il est marié, à sa femme une rente annuelle de 100 fr., de même à chaque enfant légitime vivant ou à naître, dans les dix mois qui suivront l’accident, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de seize ans.
- En cas d'accidents entraînant incapacité de la profession ou pouvant diminuer ia somme de travail du blessé, l’ouvrier aura droit à une rente annuelle viagère variant do 1/10 au 1/4 de son salaire annuel.
- Dans tous les cas où l’indemnité serait basée sur le salaire annuel, ce salaire sera estimé à 300 fois le salaire d’une journée de travail de la victime au moment de l’accident, si l’ouvrier ou employé travaille à la journée, et à 12 fois son salaire mensuel s’il est payé au mois ou à la quinzaine.
- En cas d’accidents entraînant l’incapacité temporaire de travail, l’ouvrier ou employé atteint aura droit à une indemnité quotidienne égale a la moitié du prix de sa journée au moment de l’accident.
- Pour ouvrières ou employées victimes d’accidents, en cas de mort, s’il s’agit d’une veuve, il sera attribué à chacun de ses enfants, jusqu’à l’âge de 16 ans, une rente annuelle de 100 fr.
- Pour les ouvrières ou employées non mariées ou veuves sans enfants, l’indemnité, au profit des ascendants sexagénaires,sera égale au salaire d’une année de la victime, sans que cette indemnité puisse dépasser 750 fr.
- En cas d’accidents entraînant incapacité de travail ou diminuant les forces de la blessée dans des conditions telles, qu’elle ne puisse se livrer à aucun travail autre que celui de son ménage, il sera alloué une rente annuelle viagère, variant du huitième au tiers du salaire d’une année, qui ne pourra être inférieure à 200 fr. ni supérieure à 500 fr.
- En cas d’incapacité temporaire de travail, l’indemnité quotidienne sera égale à la moitié du salaire de la blessée, qui ne pourra être inférieure à 1 fr. ni supérieure à 2 fr. 50.
- Les autres articles de la proposition règlent la procédure à suivre pour constater l’accident, la composition du tribunal arbitral chargé de juger le litige et d’accorder les indemnités, et le délai pour la prescription.
- ANGLETERRE
- Il y a peu de chose à dire du discours de la reine d’Angleterre : grande prudence à parler des affaires d’Egypte ; satisfaction un peu affectée en ce qui touche l’Irlande ; réformes municipales annoncées; rien encore dés réformes agraires qui vont devenir nécessaires en Ecosse et en Angleterre ; assurance cordi le de bons sentiments envers la France ; satisfaction de s’être dégagé de l’Alghanistau et d’avoir traité avec les Boërs. C’est tout. De toutes ces questions, après la question irlandaise qui brûle, la plus urgente et la plus délicate est la question égyptienne. Le principe de cette question et que doivent également suivre la France et l’Angleterre, c’est de ne rien faire qui puisse contrarier l’émancipation du peuple égyptien. Il faut au contraire aider ce peuple qui naît à la liberté. L’intérêt de justice, qui est le véritable intérêt politique,doit au besoin prendre le pas sur l’intérêt d’argent. Point de recours à la force; ce doit être le premier souci. Il faut prendre garde de donner à M. de Bismarck, qui le guette peut-être, aucuu prétexte de rallumer la guerre. Il faut enfin sauvegarder l’existence, et qui plus est la neutralité du canal de Suez, qui n’est pas seulement d’intérêt anglais mais d’intérêt européen.
- Le meeting tenu à Mansion house a été très beau par le nombre et la qualité des assistants, plus encore par l’élévation des sentiments et des idées. Ce n’était point un acte d’opposition à Mi Gladstone, c’était un acte de
- p.104 - vue 105/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 105
- haute civilisation, et le désaveu éclatant des préjugés transmis par !e moyen âge. Le discours le plus émouvant et en môme temps le plus inattendu fut celui du cardinal Manning qui, brisant avec l’esprit, la tradition, et le laugage habituel de l’Eglise catholique, dont il est en Angleterre la personnification la plus haute, a osé dire des Juifs :
- « Pour la droiture, pour la délicatesse, pour la générosité, pour la charité, pour toutes les grâces, et pour toutes les vertus qui rehaussent rhumaoité, où trouvera-t-on un peuple qui ait des qualités meilleures que la race hébraïque? »
- Qu’il y a 'loin de ce langage aux paroles de vengeance, de mépris et de haine dont tout le clergé catholique,dont Bossuet, dont, hier encore, Lacordaire écrasaient les juifs, ces déicides !
- Le meeting qui s’est tenu le 1er février à Londres dans Mansion-house sous la présidence du Lord-maire, a voté quatre résolutions :
- il a déclaré que la persécution et les outrages subis en Russie depuis huit mois par les i-sraëlites constituent une offense déplorable à la civilisation.
- II a émis l’avis que les lois russes sur les israëlites les dégradent aux yeux des populations chrétiennes, ët les exposent par conséquent aux fureurs du fanatisme.
- Il a décidé que ces résolutions seiaieot remises à M. Gladstone et à Lord Granville par le Lord-maire.
- Une souscription sera ouverte à Mansion-house en faveur des juifs persécutés.
- Le même jour où avait lieu à Londres le meeting en faveur des juifs, un meeting ayant le môme objet et animé du môme esprit, provoqué par le général Grant, se tenait à New-York sous la présidence de M. Grâce, maire de cette ville.
- IRLANDE
- Suivant une statistique officielle, destinée à être soumise au Parlementât publiée par Les journaux anglais,le nombre des crimes ou délits signalés à la police, en Irlande s’est élevé, pendant le mois de janvier, â SU, dont 479 sont des attentats agraires, soit 365 de plus qu’en janvier 1880 et 31 de plus que pendant le môme mois de l’année dernière. Parmi ces 479 attentats, on signale 3 homicides. 8 coups de fusils tirés sur des personnes, 30 incendies volontaires, 9 mutilations de bétail 21 coups de fusil tirés sur des maisons habitées, et 290 cas de menaces par lettre ou affiches.
- Un autre relevé officiel signale 4,430 crimes ou attentats agraires de toute nature commis en 1881.
- Les journaux anglais annoncent barres-ation à Kan-turk d’un autre chef des « moonlighiers » : c’est un nommé Sullivan, accusé d’avoir conduit, en qualité de chef, une bande d’individus armés qui a fait plusieurs expéditions nocturnes dans le district. Lors de son arrestation, il portait sur lui deux revolvers et vingt cartouches.
- ITALIE
- L'événement cette semaine c’est le vote du scrutin de liste par la Chambre italienne. Ce vote achève la réforme électorale, il l’assure, il la féconde. Voilà le peuple italien maître de lui, outillé pour la liberté; d’aujourd’hui seulement on peut dire que Tunilô italienne est faite. MM. Cavalioti et Depretis ont admirablement parlé, mais une voix secrète parlait en môme temps qu’eux à leurs auditeurs, la voix des nouveaux électeurs, dont la puissance se fait sentir avant môme qu’elle s’exerce. Il sera beaucoup pardonné à M. Depretis, pour avoir mené à bien cette grande œuvre. Maintenant que pour se mettre en possession du droit électoral il suffit à tout Italien d’écrire en présence d’un notaire sa demande d’inscription sur les listes, un dernier progrès est urgent. Il faut que la ldi alloue à chaqpié député utxê indemnité qui
- permette au prolétaire le plus pauvre d’accepter et d'exercer le mandat législatif. Paisse la Chambre future comprendre mieux que ne l’ont fait celles qui l’ont précédée, l’inutilité, partant le danger des gros budgets militaires, et l’urgence d’une politique pacifique. C’est à l’intérieur que lltalie doit chercher ses conquêtes, et ces conquêtes les voici : dégrever le sel, abolir la loterie, dessécher les marais, assainir et défricher les terres incultes, augmenter non pas la marine militaire, mais la marine marchande.
- AUTRICHE
- LsiM*sra.rreotioïi BosKiaque. — Le discours du général Scolebef a découvert les sentiments avec lesquels les Russes voient l’insurrection de l’Herzégovine et de la Bosnie. Si correcte que soit diplomatiquement l’altitude du prince Milan et du prince Nikita, ni l’un ni l’autre ne peuvent, ni ne veulent, sans doute, arrêter l’élan des Serbes et des Monténégrins vers une cause juste en elle-même, et qui est celle de leurs frères et de leurs corréligionnaires. Les dons pleuvent; une fille généreuse, miss Hurtley, vient d’envoyer 200,000 francs aux insurgés; en Russie on quête partout. Nous nous demandons si l’Eurupe va, sous prétexte de rétablir l’ordre, laisser écraser des peuples qui ne veulent pour eux, que ce que les Serbes,les monténégrins, les Bulgares ont obtenu ? Pourquoi la Russie, qu'on a fait venir malgré elle au Congrès de Berlin, ne prend-elle pas à son tour l’initiative d’un autre congrès qui fasse suite au premier ? Veut-on attendre que les massacres qui se préparent aient pour la seconde fois couvert de sang et de cadavres les plus belles provinces de la presqu’île des Balkans ? Qn fait des meetings en faveur des Juifs, ne fera-t-on rien pour l’Herzégovine et pour la Bosnie ?
- ÉTATS-UNIS
- On écrit de New-York à VExpress :
- Les adversaires du canal de Panama viennent d’inventer une nouvelle manœuvre. Il est question de reconstituer le comité dit des canaux interocéaniques qui existait jadis à la Chambre ; la présidence de ce comité serait donnée à M. Kasson, ancien ministre plénipotentiaire à Vienne, qui s’est fait récemment, dans un article publié par la Norlh American Revieio, le défenseur des idées de M. Blaine. « On ne voit pas trop, dit à ce propos le Times, comment le canal isthmique, dont la construction se fait sur Je territoire d’une nation étrangère et amie, peut être regardé comme une affaire américaine et d’une importance nationale telle, qu’il faille lui attribuer un comité spécial de la Chambre,et demander au Congrès uue intervention immédiate. » Le Times, un des organes les plus indépendants de l’opinion publique, estime que c’est vers la politique de conciliation qu’il faut diriger l’esprit et les efforts du gouvernement de Washington, en vue d’assurer la neutralité du futur canal de Panama. Il est à remarquer que le Herald, le Sun- et la Post expriment à peu près les mêmes idées. Les deux journaux new-yorkais qui soutiennent des vues contraires, la Tribune et le World, sont notoirement dans la dépendance d’un groupe de financiers, qui se préoccupent de tout autre chose que des intérêts publics.
- RUSSIE
- On écrit de Saint-Pétersbourg que la police russe se donne au diable qui, à ce qufil parait, ne veut point d’elle. Voici pourquoi : Il y a quelque temps le commandant de la citadelle, le général Punelzki, fut avisé par le procureur général que l’un des accusés impliqués dans le procès des vingt-deux, madame Oloveinikova, était dispensée de comparaître. Le général finissait à peine de li:re la lettré du pfoeufeUf général* quand le
- p.105 - vue 106/836
-
-
-
- 106
- LE DEVOIR
- geôlier en chef vint lui dire que l’un des accusés faisait un tapage infernal dans son Cabanon, parce que madame Oloveinikova avait obtenu cette dispense. On se demande et l’on ne s’explique point par quelle télégraphie secrète des prisonniers gardés à vue, isolés dans leur cellule, peuvent connaître les décisions officielles aussi vite que les fonctionnaires, qui doivent exécuter Ces décisions. On est donc convaincu que les nihilistes ont Un mode de communication particulière, mais quel est ce mode t
- ALLEMAGNE
- Voici de quelle façon les députés allemands socialistes sont surveillés paf la police prussienne. Dès qu’un d’eux monte en tramway,le mouchard chargé de le filer ÿ monte après lui,en faisant voir sa carte au conducteur. Aussitôt le public pense qu il y a Un malfaiteur. Quand l’agent perd de vue le député, il porte simplement sur son rapport qu’il assiste à une réunion secrète. Les agents de police pénétrent jusque dans le palais et dans toutes les salles du Reichstag, pour s’assurer que les députés qu’ils surveillent assistent vraiment à la séance. C’est du haut de la tribune que le député socialiste Orillenberger s’est plaint énergiquement de ces avanies.
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE ET RELIGIEUSE
- La Prière
- Tant qu’il ne s’est agi, pour mener à bonne fin la tâche que j’ai Commencée, que de combattre les nombreuses erreurs du Catholicisme, de frapper à coups redoublés sur les dogmes surannés qui composent la charpente de cet édifice vermoulu, j'ai raillé et critiqué avec plaisir et facilité, éprouvant dans l’ac-complissement de cette tâche la satisfaction que procure toujours la pensée du devoir accompli.
- Il existe certaines erreurs, certains préjugés qui sont communs à toutes les religions, je dirai plus : A tous les hommes,* ils sont d’autant plus difficiles à attaquer qu'ils sont plus universellement reconnus et acceptés. De ce nombre est la prière; aussi je me sens timide et hésitant en abordant l’examen et la critique de ce sujet délicat et difficile à traiter.
- Qu’est-ce que la prière f
- La prière est un acte religieux par lequel l’homme s’adresse à la divinité, pour lui demander les grâces dont il a besoin et pour la remercier de celles qu’il à obtenues. Cette définition est acceptée de toutes les religions et de la plupart des philosophies qui ont pour base la croyancé en Dieu et en l’immortalité de l’âme.
- Le Catholique, le Protestant, l’Islamiste, implorent leur Dieu pour le prier de leur accorder une faveur ou d’éloigner d’eux un danger; lés spirites eux-mêmes croient à la possibilité d’éloigner de nous les malheurs qui nous menacent au moyen de la prière. Le matérialiste le plus endurci, l’athée le plus farouche, dans un taoment de suprême déses-
- poir, lorsqu’un danger les menace dans leurs affections, implorent le Dieu qu’ils nient pour le prier d’éloigner la mort d’une tête qui leur est chère. La prière est donc universelle, et tous les hommes sans exception ont recours à Cètte consolante pratique. L’état d’infériorité dans laquelle l’homme se trouve vis à vis de son créateur, l’ignorance où il est de son origine et de ses fins, sont à mon avisées motifs naturels, qui ont, de tous temps, porté l’homme à s’incliner devant la puissance créatrice et à l’implorer dans le danger.
- Les peuples des antiquités les plus reculées adressaient des prières à letirs divinités ; nous trouvons les hommes primitifs adorant des serpents, des bêtes féroces, et en général tout ce qui leur inspiré de la crainte; iis ont divinisé leurs ennemis pour se les rendre favorables.
- Dans la religion Boudhiste, qui est pratiquée par des peuples ayant déjà atteint un Certain degré de civilisation, la prière joue un rôle prépondérant; on trouve dans leurs temples des formulaires qui contiennent des invocations au Tout-Puissant pour toutes les circonstances de la vie. Contrairement à l’opinion généralement admise parmi nous, qui veut qu’on attache plus de prix à la prière qui vient du coeur qu’aux paroles que murmurent les lèvres, les sectateurs de Boudha attachent un prix considérable à la longueur des oraisons; l’étendue et le nombre en fait l’efficacité. Aussi ont-ils imaginé mille moyens pour prier vite et longtemps. Nous trouvons dans leurs temples des roues â prières, présentant alternativement devant l’autel de leur Dieu des invocations adaptées à la circonstance ; On ÿ prie à la mécanique, et le plus agréable à l’Eterriel, c’est oelüi qui tourne le plus longtemps la manivelle.
- Ne raillez pas, messieurs les Catholiques, et dissimulez le sourire que je vois errer sur les lèvres. Votre chapelet est, il est vrai, un progrès sur la roue à prières, mais il a avec elle beaucoup d’analogie. Vos Pater, ne sont pas, il est vrai, comme dans les temples de Boudha, présentés par une mécanique adaptée à cet effet, mais ils sont récités, ce qui est à peu près la même chose, par des femmes asservies à votre joug, que vos enseignements ont réduit à l’état de véritables machines vivantes, et qui mettent un zèle inouï à réciter le plus grand nombre possible de Pater* et â'Ave.
- Afin de bien asseoir notre critique, nous allons d’abord essayer d’établir que la feligidn catholique, en ce qui concerne la prière, ne s’est point conformée dans son rite avec les paroles du Christ, dont elle invoque l’autorité en tant de circonstances, et qu’elle a laissé s’établir dans ses églises une foule
- p.106 - vue 107/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 107
- d’abus que le maître dans sa doctrine réprouve et condamne; nous examinerons ensuite la prière à un point de vue plus élevé, et nous essayerons de prouver que la façon dont on l’a comprise jusqu’ici est en opposition complète avec la justice divine et avec la raison.
- Evangile selon Mathieu, ch. v, v. 6.
- « Quand vous voudrez prier, entrez dans votre chambre, la porte étant fermée, priez Dieu dans le secret, et votre père qui voit tout ce qui se passe dans le secret vous exaucera ».
- Si la prière, pour être efficace, doit être dite dans le secret et avec recueillement, pourquoi ces offices bruyants chantés en langue étrangère, Ces saluts solennels avec accompagnement de musique, pendant lesquels il est absolument impossible à l’âme la moins distraite de se recueillir?
- Qu’ont donc de commun avec la prière, ces cérémonies publiques, où vous faisant l’intermédiaire entre l’homme et Dieu, vous prétendez appeler les bénédictions du Très-Haut sur nos armées à la Veille d’une bataille, pendant que de leur côté, les prêtres de la puissance rivale invoquent le même Dieu pour le supplier de nous exterminer ?
- Que signifient vos Te Deum au lendemain de la Victoire ? Pourquoi mêler le nom de Dieu à nos luttes fratricides et sanguinaires ?
- Quelle peut être l’utilité des prières publiques par lesquelles vous appelez la bénédiction de Dieu sur nos législateurs; comme si le bon sens était autre chose que le produit du travail et de l’observation ; comme si à des fous Dieu pouvait donner la sagesse?
- Si toutes ces cérémonies n’ont d’autre but que de frapper les yeux des fidèles et de les éblouir par la pompe et le luxe théâtral que vous déployez dans vos temples pour ces circonstances, si toutes vos génuflexions, vos chants, sont une comédie inutile, dans la maison de Dieu, pourquoi cette profanation ?
- Evangile selon Matthieu, cb. v, V. 7.
- « Ne multipliez pas les paroles en priant comme le font les païens, car ils s’imaginent qu’ils seront exaucés à force de paroles ».
- Peut-on trouver une condamnation plus claire et plus formelle de l’œuvre du chapelet et des récitations de litanies, où prêtres et fidèles, dans leur fanatisme imbécile, s’astreignent pendant des heures entières à réciter des centaines de Pater et à'Ave ?
- Pères et mères, qui avez charge d’âmes, souvenez-vous que ces pratiques, Christ les condamne, et préservez vos enfants d’une telle contagion.
- Evangile selon Matthieu, ch. v, v. 8.
- « Ne vous rendez donc pas semblables à eux, car
- votre père sait de quoi vous avez besoin avant que vous le lui demandiez ».
- Christ fit suivre ce verset de l’Oraison dominicale, qui est sans contredit, un chef-d’œuvre de l’Evangile. Après avoir, dans cette courte prière, affirmé sa croyance en Dieu par ces paroles : Notre père, qui êtes auxcieux,il manifeste le désir de voir s’établir sur la terre le règne de Dieu,c’est-à-dlre le règne de la justice et de la vérité; il souhaite de voir tous les hommes posséder le nécessaire'et jouir du bien-être dù à toute créature humaine ; enfin il termine en nous exhortant tous à nous entrepardonner et à nous entr’aimer.
- La prière bornée à de semblables invocations est louable ; elle n’a rien qui froisse la raison et qui mette en suspicion lajustice divine.
- Loin de moi la pensée de vouloir enlever à l’homme la consolation qu’il trouve dans cette douce pratique, je désire seulement, que comme toute autre chose, la prière soit raisonnée. Si l’homme veut chaquejour se répandre en actions de grâces envers le Tout-Puissant, je ne veux point l’en blâmer ni essayer de l’en détourner ; mais, s’il espère trouver dans la prière autre chose qu’une consolation, s’il voit là un moyen de faciliter la réussite de ses projets, d’alléger ses peines, de guérir ses maladies, voire même d’éloigner la mort, permettez-moi de le dissuader et de lui parler ainsi :
- Ami, la prière la plus efficace et la plus agréable à Dieu, c’est le Travail : Travailler c’est prier.
- Le mal est produit par l’ignorance, avec le travail on détruit l’ignorance, et par conséquent la cause du mal.
- Quand l’homme saura, il ne péchera plus, le mal est l’aiguillon qui le pousse au progrès.
- Citoyen de la terre, veux-tu détruire les épidémies, éloigner à tout jamais les fièvres pernicieuses qui déciment l’humanité, ne te contente pas d’élever les mains vers Dieu dans une attitude suppliante ; creuse des sillons dans ces marais malsains, qui empoisonnent l’air de leurs exhalaisons méphitiques, et les fièvres auront bientôt disparu.
- Tous les fléaux qui t’oppriment, depuis la misère au teint pâle, jusqu’à la guerre aux mains rouges du sang de tes enfants, tu les vaincras par le travail et la volonté.
- Si tous les hommes travaillaient, si tous les hommes se hâtaient de s’instruire, si tous les hommes s’aimaient et mettaient en pratique la grande loi de solidarité, les fléaux les plus redoutables auraient vite disparu de parmi nous, pour faire place à la paix universelle et au bonheur de l’humanité.
- Le Travail est une noble prière, que l’homme peut
- p.107 - vue 108/836
-
-
-
- 108
- LE DEVOIR
- dire en tous temps en tons lieux ; son action aide l'humanité entière, que ce soit notre manière à tous de prier Dieu.
- Edmond Bourdain.
- LE MAGNÉTISME
- il
- Toutes les fois qu’une nouveauté se fait jour dans le monde, le même phénomène se reproduit infailliblement. A côté des enthousiastes qui l’adoptent trop légèrement et pour ainsi dire les yeux fermés, sans examen, sans études suffisantes, sans preuves, il y a les adversaires acharnés de parti pris que rien.ne saurait convaincre et qui niraient au besoin la lumière en plein jour. C’est généralement parmi ces derniers que se rangent presque toujours les représentants de la Science officielle, les Académies, les Instituts, les facultés. La vérité n’est pourtant dans aucun de ces deux systèmes; elle ne se trouve ni dans l’acceptation d’une théorie quelconque à première vue, ni dans une hostilité systématique affichée à son endroit. Rares, très rares sont les savants qui, comprenant bien leur mission et leur rôle dans le monde, savent rester dans ies justes limites de la raison et du bon sens, en présence d’une nouveauté qui peut faire échec aux idées reçues, aux doctrines jusqu'alors adoptées. Aussi, lorsqu’il s’en rencontre quelqu'un, on ne saurait trop mettre son exemple en lumière comme une leçon utile pour tous.
- Dans ies sciences d’observation, les faits observés doivent prendre rang dans le domaine sans cesse grandissant des connaissances humaines, lors même qu'ils restent inexpliquables dans l’état actuel de ces connaissances. C’est précisément ce qu’à propos du magnétisme, établit avec son incontestable autorité François Arago dans les réflexions suivantes:
- « Le doute », dit le savant. « est une preuve de modestie et il a rarement nui au progrès des sciences. On n’en pourrait dire autant de l’incrédulité. Celui qui, en dehors des mathématiques pures, prononce le mot impossible, manque de prudence. La réserve est surtout un devoir qurmd H s’agit de l’organisation humaine.
- « Nos sens, malgré plus de vingt-quatre siècles d’études, d’observations, de recherches, sont loin d’être un sujet épuisé Voyez, par exemple, l’oreille. Un physicien célèbre, Wollastoo, s’en occupe; aussitôt, nous apprenons qu’avec une égale sensibilité, relativement aux sons graves, tel individu entend les sons les plus aigus et tel autre ne les entend pas du
- tout : et il devient avéré que certains hommes, avec des organes parfaitement sains, n’entendirept jamais le grillon des cheminées, ne se doutèrent point que les chauve-souris poussent souvent des cris très aigus, et, l’attention une fois éveillée sur ces singuliers résultats, des observateurs ont trouvé les différences de sensibilité les plus étranges entre leur oreille droite et leur oreille gauche, etc., etc.
- « La vision offre des phénomènes non moins curieux et un champ de recherches infiniment plus vaste encore. L’expérience a prouvé, par exemple, qu’il existe des personnes absolument aveugles pour certaines couleurs, telles que le rouge, et qui jouissent d’une vision parfaite relativement au jaune, au vert et au bleu. Les hommes ne voient pas tous les mêmes rayons ; des différences tranchées peuvent exister à cet égard chez le même individu dans des états nerveux divers ; il est possible que les rayons calorifiques, les rayons obscurs de l’an, soient les rayons lumineux de l’autre et réciproquement. Les rayons calorifiques traversent librement certaines substances, dites diathermanes ; ces substances jusqu’ici avaient été appelées opaques, parce qu’elles ne transmettent aucun rayon communément lumineux ; aujourd’hui les mots opaque et diathermane n’ont rien d’absolu. Les corps diathermanes laissent passer les rayons qui constituent la lumière de celui-ci, ils arrêtent au contraire ies rayons formant la lumière de celui-là. Peut-être trouvera-t-on sur cette voie la clef de plusieurs phénomènes restés jusqu’ici sans explication plausible.
- « Rien, dans les merveilles du somnambulisme, ne soulevait plus de doutes qu’une assertion très souvent reproduite, touchant la propriété dont jouiraient certaines personnes, à l’état de crise, de déchiffrer une lettre à distance, avec le pied, avec l’estomac. Le mot impossible semblait ici complètement légitime. Je ne doute pas néanmoins que les esprits rigides ne le retirent, après avoir réfléchi aux ingénieuses expériences, dans lesquelles Moser produit aussi à distance des images très nettes de toute sorte d’objets, sur toute sorte de corps, et dans la plus complète obscurité.
- « Le somnambulisme ne doit pas être rejeté àpriori, surtout par ceux qui se sont tenus au courant des derniers progrès de la science physique. J’ai indiqué des faits, des rapprochements dont ies magnétiseurs pourraient se faire une arme contre ceux qui croiraient superflu de tenter de nouvelles expériences ou même d’y assister. Pour moi, je n’hésite pas à le dire, quoique, malgré les possibilités que j’ai signalées, je n’admette la réalité de lectures, ni à travers un mur, ni à travers tout autre corps opaque, ni par
- p.108 - vue 109/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 109
- l’entremise du coude ou de l’occiput, je croirais manquer à mon devoir si je refusais d’assister à des séances'où de tels phénomènes me seraient promis , pourvu qu'on m’accordât assez d influence dans la direction des épreuves pour que je fusse certain de ne pas devenir victime d'une jonglerie. »
- Tel est l’esprit qui doit animer tout homme consciencieux et honnête, lorsqu’il se trouve en présence d’un fait, d’une théorie, d’une doctrine nouvelle. Son premier, je dirais presque son unique devoir avant de se faire une opinion, est d'examiner, de voir, d’étudier les faits, de les observer sans idée préconçue, sans parti pris, et de ne se prononcer que lorsque la somme d’observations par lui recueillies et accumulées constitue un ensemble suffisant de preuves favorables ou contraires, pour asseoir solidement son jugement.
- C’est ce que quelques médecins aussi honorables que dévoués aux progrès de leur art ont compris. Témoins des phénomènes provoqués par les grands disciples et continuateurs de Mesmer, les Du Potet, les Regazzoni,les Donato et autres, dans des séances publiques ou privées, à l’Hôfcel-Dieu ou ailleurs, iis ont voulu de leur côté expérimenter ce nouveau moyen de traitement thérapeutique des maladies nerveuses. L’un des premiers, parmi les contemporains, le docteur Charcot, dans ses leçons cliniques sur les maladies nerveuses à la Salpétrière, s’est livré à cette étude intéressante. Il a reproduit les mêmes effets par des procédés variés en agissant sur les malades de son service, et il a été amené à conclure d’abord que toutes les personnes sujettes à l’influence magnétique sont hystériques. Un des moyens employés par lui pour amener les résultats donnés, et qu’il considère comme proche parent du magnétisme, c’est l’hypnotisme.
- « Une malade, dit Camille Flammarion, est placée devant un foyer de lumière intense, le regard fixé sur ce foyer. Au bout de quelques instants, elle devient immobile, l’œil fixe, frappée de catalepsie. Les membres sont souples et gardent l’attitude qu’on leur donne. Dans cet état, la physionomie de la malade reflète en quelque sorte les expressions des gestes, c’est ainsi que la figure se contracte, s’as» sombrit, si l’on prend vis-à-vis d’elle une attitude de menace; au contraire, la physionomie devient souriante et ouverte, si l’on joint les deux mains sur les lèvres comme pour envoyer un baiser. En dehors de ces modifications du masque facial sous l’influence de certaines attitudes, la malade reste impassible, fixe, insensible au monde extérieur, transformée en véritable statue. Cet état dure aussi longtemps que
- l’œil est fixé sur le foyer lumineux, qu’il est impressionné par cet agent.
- « Si alors, à un moment donné, en vient à interrompre brusquement l’impression des rayons lumineux, la catalepsie fait place à la léthargie. Ce changement est aussi brusque que la suppression de l’agent excitateur. Le malade tombe à la renverse, le S cou tendu, la respiration sifflante, un hoquet léger, les yeux convulsés, avec un ensemble de symptômes qui se rapprochent des débuts de l’attaque hystero-épileptique. Si l’on interpelle vivement la malade plongée dans cet état léthargique,on la voit se lever, s’avancer vers la personne qui l’a interpellée et exécuter divers mouvements combinés, tels que l’écriture, la couture, etc. Et cependant à ce moment la malade est toujours dans l’anesthésie la î plus absolue, les yeux couvulsés, les paupières fermées ou demi-closes. Bien plus, elle peut répondre aux questions qu'on lui pose ; il semble même que, dans certains cas, l’intelligence soit plus excitée.
- « Le son provoque l’apparition des mêmes crises. Un diapason monstre donne des vibrations intenses, profondes ; il suffit de placer la malade sur la caisse vibrante pour qu’au second ou au troisième coup imprimé au diapason elle tombe en catalepsie. »
- « Le docteur Charcot a obtenu aussi le somnambulisme et provoqué la catalepsie et l’état léthargique chezies malades, par la simple action du regard, ou au moyen des passes magnétiques, ce qui semblerait indiquer, suivant l’opinion du docteur Tony-Durand,que ces effets sont dûs à une cause propre et personnelle au sujet lui-même, quel que soit l’agent qui met cette cause en mouvement. D’après ce dernier, l’électricité, la lumière, le calorique, les vibrations, etc. ne dérivent que des modifications d'nn seul et même agent, dont la science n’a pas encore défini la nature. Or il semble parfaitement logique que cet agent unique quel qu’il soit, malgré ses formes diverses, produise les mêmes effets physiologiques.
- Cet agent est-il un fluide, fluide nouveau ou fluide magnétique ? C’est ce qu’il s’agit d’examiner.
- ÇA suivre).
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- H>e Charlemagne à ï’rançois 1er III
- La Société nouvelle à laquelle nous venons de faire allusion, on l’a déjà deviné, est la Société féodale. Qu’il nous soit permis ici de dire comment elle s’est formée et dans quelles conditions elle s’est établie.
- p.109 - vue 110/836
-
-
-
- m mm*
- m
- Ce ne sera pas une disgression dans notre récit ; car l’Eglise y remplit son rôle; elle y exerpe son influencq. Pour bien comprendre ce rôieetc.ette influence auxquels ne sont pas étrangères les terpes qu’elle possède, il importe d’indiquer les rapports alors existants de la propriété territoriale avec l’état des personnes.
- Dans ta période qui ya du y,® au x® siècle, pn peut distinguer trois aortes de propriétés territoriales : les alleux, les bénéfices et les terres tributaires.
- Sous le nom d’alleux on désigna d’abord exclusivement |es terres prises, occupées ou* reçues en partage par les Francs durant leurs conquêtes successives. Plus tard on donna le npnq d’alleu, quelque fût dq reste leur origine, à toutes les terres possédées en toute propriété, indépendantes, et qu’aucun lien de subordination n’attachqij; à un propriétaire supérieur. Dans le principe, cette indépendance allait jusqu’à n’être soumise à aucun impôt public •’ l’Etat n’existait pas.
- Peu à peu, cependant, la nécessité de se rapprocher ijnposa aux propriétaires d’alleux les charges suivantes, au nombre de trois :
- t° Les dons faits au ro|, soit aqx époques des tenues du Champ de Mars, soit lorsqu’il visitait que}:: que province. Ces dops furent d’abord volontaires, puis l’habitude eu fit une sorte d’obligation, si bien que môme sous le nom de dons, Louis le Débonnaire, en 817, dressa une liste de tous ies monastères qui étaient soumis ou non à cette contribution-
- 2° Les fournitures de denrées et de moyens de transport, soit aux envoyés royaux, soit aux courriers ou messagers étrangers qui venaient trouver fe roi.
- 2>° Enfin ce que l’on a appelé dans nos temps modernes l’impôt du sang, c’est-à-dire le service militaire. D’abord effet d’une adhésion libre, le service mil}taire devint par degré une sujétion légale. En 812, Charlemagne, dans son Capitulaire, s’adressant à ses dominicî, en règle l’exécution. iqon seulement, tous les hommes libres, propriétaires d’al-lepx pu de bénéfices, y sont soumis, mais encore les propriétés ecclésiastiques elles-mêmes. Les évêques ou abbés n’iront plus à la guerre en personne, mais ils devront y envoyer des hommes armés et équipés, sous les ordres des chefs nommés par l’empereur. La preuve de cette obligation dp la part du clergé se trouve dans ce fait que Louis le Débonnaire, à l’époque plus haut rappelée, en 817, exempte 18 monastères de cette contribution. Sous Charles-le Chauve, elfe est restreinte au cas d’une invasion du pays par l'étranger.
- Le nombre des alleux, quoique assez grand, ne fut pas aussi eonsidérablejqu’on pourrait se l’imaginer ;
- les donations faites à l’Egljse, pour se concilier la faveur de Dieu, }a bienveillance 4d.u saint, de l’évêque ou de l’abbé, ne contribuèrent pas peq à réduire ce nombre. Ou comprendra ain^i que dans une société oû l’indépendance, l'existence même eje la propriété, n’avait d’autre garantie que Ja force du possesseur, le petit devait devenir bientôt la proie du grand. Les usurpations de la force eurent donc beau jeu tant chez le clergé que chez les laïques, et Charlemagne dut réprimer plus d’une fois les envahissements violents du premier.
- Il est probable que la progression dans la diminution des alleux eût été beaucoup plus rapide et beaucoup plus importante encore, si les propriétaires des bénéfices, en vendant ceux-ci à beaux deniers comptants, n’eussent employé cet argent à l'achat de propriétés allodiales. Néanmoins, voici Charles-le-Chauve ! Le nom d’alleux est donné par ce roi aux bénéfices qu’on tient de lui, comme s’il n’y avait plus de différence entre ces deux sortes de propriété, et que ceux-ci fussent en possession des mêmes privilèges que ceux-là. C’est que nous touchons à l’époque où le système de la propriété allodiale va faire place à celui de la propriété bénéficiaire, « origine et précurseur de la féodalité. »
- *:
- * i*
- Nous venons de voir ce qu’étaient les alleux.
- Les bénéfices étaient des terres que les rois, les chefs de bande ou seigneurs, donnaient, soit pour tenir leurs anciens compagnons attachés à leurs personnes, soit pour e^acquérir de nouveaux. Ces dons n’étaient pas gratuité mais bien conditionnels.
- Les bénéfices datent à peu près de l’établissement des Francs sur un territoire fixe. Ils affectent de bonne heure quatre caractères et sont ou révocables; ou temporaires; ou viagers; ou héréditaires.
- Les bénéfices étant des dons conditionnels, il allait de soi que si le bénéficiaire ne remplissait pas les conditions que lui imposait sa situation, le donateur avait le droit de lui retirer ses bénéfices; .et, à une époque où la force décidait de tout, lorsqu’il plaisait au donateur de reprendre le présent, il le faisait en dépit des protestations du donataire. Mais jamais l’amovibilité absolue ne fut stipulée entre les contractants.
- L’amovibilité arbitraire n?ayant jamais été de droit, bien que, dans le fait, elle ne cessât pas d’être mise en pratique durant 400 ans, il est difficile de croire qu’il existât spécialement et positivement des bénéfices temporaires. Il n’eq est pas moins vrai, cependant, que l’usage s?en introduisit. Le Preoarium romain fut le contrat qui favorisa cette introduction, et FBglise fuf la première à en faire usage. Après ia
- p.110 - vue 111/836
-
-
-
- ni
- Lg DEVOIR
- conquête, en effet, on voit souvent le clergé affermer ses biens pour un cens et un terme déterminés. Parfois aussi il concède cettejouissance temporaire pour s’assurer la protection du concessionnaire, son aide, ou tout autre avantage analogue .Le concessionnaire n’est pas toujours très exact à rendre le bénéfice concédé qu terme fixé, et il arrive fréquemment que les réclamations du propriétaire se font entendre vainement. Cela se présente surtout lorsque les Rois n’ayant plus rien à donner à leurs fidèles veulent cependant les récompense^. Ils ne trouvent rien de mieux alors que .de favoriser à leur profit ces sortes d'usurpations. Disons pour être vrais que, tout.Rois qu’ils sont, ils ne peuvent pas toujours obtenir, malgré leur bon vouloir, que les conditions des concessions soient scrupuleusement observées* les efforts de Pépin et de Charlemagne pour obliger les détenteurs-bénéficiaires à remplir leurs obligations le prouvent assez. Ce dernier donne à l’Eglise la faculté de renouveler les concessions ou de reprendre les biens. Charles-le-Chauve fixe | cinq ans la durée des inprecario. En thèse générale, ces lois rendues par les rois ne Je sont qu’à la demande des évêques dont ils redoutent l’influence; cela ne les empêche pas de continuer à autoriser les usurpatjqns et même d’accorder de nouveaux in precario aux personnes qu’ils désirent s'attacher ou dp»t ils pensent pouvoir utiliser les s6rvices.Charles le Chauve, puisque nous venons de le citer, se prêta plus d’une fois aux usurpations, contre le vpeu même de son édit, soit, ainsi que l’écriyaient les évêques à Louis le Germanique,
- « que ce fut par faiblesse, soit qu’il fut séduit par « les perfides avis de mauvais conseillers, soit qu’il « y fut contraint par les menaces des détenteurs,
- « qui lui disaient que, s’il ne leur concédait pas ces « propriétés sacrées,ils l’gbandonneraipnt aussitôt. » Cette lettre des prélats attesterait que peu de ces biens donnés in precario furent rendus aux églises. Iis devaient du reste, devenir comme les autres, la propriété héréditaire des détenteurs.
- Les bénéfices à vie qui ont existé sous les Mérovingiens, à l’exception de ceux concédés par la reine Chlotilde, ne sont pas clairement définis dans les contrats ou rapports liant les hommes entre eux à cette époque, nqau spgs les Carlpyingiens ils apparaissent nombreux, et les conditions qui les déterminent sont claires et nettes. Les diplômes où sont contenues ces concessions attestent même qu’ij pp fut s’étendant jusqu’au fils du concessionnaire et pour sa vie. C’est là en quelque sorte un commencement de la substitution; nous disons un commencement, car l’hérédité illimitée n’est pas encore ad-
- mise et c’est sous Charles-le-Chauve que les bénéficiers doivent la conquérir.
- * *
- Nous avons dit que des obligations étaient attachées à la possession des bénéfices. Ces obligations peuvent se ranger sous deux chefs principaux : 1° L’obligation au service militaire à la requête du donateur; 2® l’obligation à certains services perdait nels dans sa maison.
- Tout bénéficiaire qui refusait de servir, perdait son bénéfice lequel était donné à celui qui s’était montré fidèle.
- Quiconque ayant été convoqué pour marcher contre l’ennemi et ne s’était pas trouvé au rendez-vous indiqué, était tenu de s’abstenir de vin et de viande pendant autant de jours qu’il avait tardé à se rendre à la convocation,
- Quant aux services personnels, ils ne sont énumérés ni réglés par les lois comme le service militaire. Selon toutes probabilités ils ne devaient pas être les mêmes partout et devaient, au contraire, se ressentir du caractère, des habitudes et des exigences du donateur.
- On peut voir dans ces obligations imposées aux bénéfices les germes des droits féodaux. Les mêmes liens qui existaient entre le Roi et ses leudes, existaient entre ceux-ci et leurs concessionnaires, ces derniers et leurs vassaux, jusqu’à l’infini ; car tout chef d’une bande, tout propriétaire employa les mêmes moyens pou1" s’attacher des compagnons, pour se créer des redevanciers. C’est par cette subdivision des bénéfices, les changements de main qu’ils subissaient, la série ce vassaux et d’arrière-vassaux liés les uns aux autres par des engagements semblables, que se formait peu à peu cette hiérarchie des propriétés et des personnes qui étaient appelés à constituer la société féodale. Sous Charlemagne, les relations de l’individu au Roi prédominaient sur celles du vassal ou redevancier au seigneur ou propriétaire-donateur ; l’Empereur tenait la main à ce que cela fût. Il voulait que la Royauté fut toujours ! présente partout et que le sceptre fut l’emblème souverain aussi bien pour l’Eglise que pour l’Etat. Mais après lui les choses changèrent de face et « c’est aux seigneurs que s’adresse Charles-le-Chauve pour réprimer les désordres commis dans leurs terres; c’est par leur autorité qu’il fait passer la sienne ; Faction directe manque. »
- En effet, cette action fait tellement défaut, que l’usurpation des seigneurs s’étend jusqu’aux domaines royaux eux-mêmes. Le Clergé n’est pas le dernier à s’en plaindre ; c’est que lui aussi en est la victime : à larron larron et demi.
- p.111 - vue 112/836
-
-
-
- 112
- LE DEVOIR
- Il est une coûta me qui. ne contribua pas peu à faire triompher ie système bénéficiaire sur le système alloodial qui est connu sous le nom de recommandation. Elle consistait en l’hommage que le propriétaire libre faisait de sa terre à un seigneur paissant dont il espérait obtenir la protection. Une touffe de gazon ou rameau à la main, il se présentait devant le seigneur, lui offrait sa propriété et la recevait ensuite à titre de bénéfice transmissible, sous les conditions générales de bénéficiers héréditaires. Cette pratique avait pris naissance en Germanie et n’avait alors pour objet que le choix d’un chef. Mais après l’établissement territorial, elle se répandit comme nous venons de le dire, et les liens qui en résultaient devinrent de plus en plus étroits, par son entrée, comme mesure nécessaire, dans ce qui formait alors la législation du pays.
- IL ne faut pas confondre les terres bénéficiaires avec les terres tributaires soit que les premières le fussent devenus par l’effet de la Recommandation, soit qu’elles ie fassent en vertu d’une donation.
- Les terres tributaires ainsi que leur nom l'indique étaient grevées d’un tribut particulier et non point comme on pourrait le supposer, d’un impôt public. Ce tribut était la part que chaque barbare puissant s’arrogeait dans les. propriétés voisines de son éta~ blissement principal, part qui se résolvait en redevances en corvées, ou autres charges de diverse nature. C’était le droit de la conquête qui s’imposait ainsi, quand ce n’était pas le prix de la protection accordée par le plus fort au plus faible.
- Il y eut aussi des terres dites tributaires qui provenaient de la distribution qui en était faite par de grands propriétaires, à de simples colons qui les cultivaient et y vivaient moyennant le paiement d’un cens ou d’autres servitudes. Ces colons étaient tantôt des hommes libres, tantôt des métayers, tantôt de véritables serfs; l’exploitation qu’ils faisaient de ces terres prenaient le nom de la condition qui devenait la leur. C’est en grande partie du moins,dans le nombre et la diversité des redevances, charges, et servitudes imposées aux terres tributaires et à ceux qui les cultivaient, qu’on trouve l’origine des droits féodaux.
- *
- Peut-on, de l’état des terres tel que nous venons de l’exposer, déduire l’état des personnes, les conditions sociales et leur hiérarchie ? Oui si l’on franchit les premiers temps de la conquête, voire même de rétablissement territorial, pour arriver à la société du 10e au 13e siècle ; non, si l’on reste en deçà de cette période.
- Du 5e au 10° siècle tout est encore confusiou;
- ! malgré les efforts de Charlemagne pour faire de l’ordre autoritaire. Toutes les situations sont précaires, tous les droits sont arbitraires, toutes les forces sont mobiles Le hasard, la force et la fortune président à tour de rôle aux destinées des individus qui ne sont, à ce moment, classés réellement qu’en vertu de deux principe, la propriété et le wehrgéld ou estimation légale de la valeur des hommes. Seul, au milieu de tout cela, le clergé forme une classe bien déterminée. Seul, avec son nom, sa manière d’être et de vivre, l’influence qu’il exerce et les moyens moraux et matériels dont il dispose, il assure à la condition de ses membres la régularité et la fixité. Seul, au sein de l’anarchie sauvage qui domine, il se présente au nom d’une force morale. |La loi qu’il proclame est obligatoire pour tous, protectrice pour tous. Seal, il parle des faibles aux forts,des pauvres aux riches ; mais des uns comme des autres il réclame l’obéissance.
- C’est au nom d’un devoir sacré, qu’il réclame cette obéissance et le pouvoir dont il prend l’investiture quand on ne la lui donne pas, c’est au nom d’un être supérieur à tout ce qui existe,qu’il prétend l’exercer. Si l’exercice en est parfois salutaire dans le présent, il n’en sera pas de même dans l’avenir. Plus d’un usage coupable en a déjà été fait au moment où nous parlons, mais combien plus funeste il va devenir. Déjà poussé par la cupidité, par des intérêts égoïstes il a partagé, à diverses reprises, avec les barbares, les dépouilles des vaincus ; encore quelques siècles et il exigera des vainqueurs qu’ils lui cèdent la suprématie qu’ils tiennent de leur force matérielle.Les vicissitudes qu’il éprouvera par la suite des temps ne le décourageront pas... il pourra s’élever dans son sein quelques petites divisions, il n'en restera pas moins uni dans la poursuite de son but. Nous allons du reste le voir à l’œuvre dans le cours de notre récit.
- (A suivre). C. P. Maistre.
- 2L© lt)o*i Dieu ù. «domicile
- Dans plusieurs églises d’Angleterre on a déjà essayé de transmettre prières et sermons par le téléphone.
- Dimanche, dit la Lumière électrique, une nouvelle tentative de ce genre a eu lieu avec succès à Brigh-ton.
- Et des gens malavisés nient encore le progrès'
- Il était réservé aux propriétaires du dix-neuvième siècle — moyennant une modique augmentation de loyer — de faire monter à domicile l’eau, le gaz et le bon Dieu 1
- Le Directeur-Gérant : GODIN SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.112 - vue 113/836
-
-
-
- 6> ANNÉE» TOME 6 — N“ 181 -Le numéro itUomadcdre 20 c. DIMANCHE 26 FÉVRIER 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l'envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, " de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 m»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’kBONNE A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Cliamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- J9L. w ne
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal nest pas renvoyé après le 4° numéro, Vadministration fait présente une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Questions politiques et besoins sociaux. — Voyage autour dti Familistère. — Faits politiques et sociaux. — U Eglise et V Etat de Charlemagne à François IeT IV. -r- Le mouvement social à VE-tranger. — La lettre chargée. — Le Journal « l’Ecole ». — Etat-civil du Familistère• — Variétés.
- QUESTIONS POLITIQUES ET BESOINS SOCIAUX
- Les gouvernements, quelle que soit leur forme, ont toujours donné jusqu’à présent la préférence dans leurs travaux aux questions politiques sur les questions sociales, et ils ont toujours agi comme si ces dernières n’existaient pas. La politique a été presque de tous temps l’unique préoccupation des hommes chargés de la direction des affaires du pays, et aucun d’eux ne s’est jamais sérieusement con-
- sacré à l’étude des questions sociales, qui pour beaucoup d’entre eux ne présentent aucun sens bien précis. L’on dirait, à voir cet état de choses se perpétuer, que pour les sociétés aussi bien que pour les individus, la première condition n’est pas de vivre, mais bien de pouvoir revendiquer la première place dans un cortège ou une cérémonie publique quelconque.
- La politique, en effet, qu’a-t-elle en vue ? Si l’on en juge par ses oeuvres, on peut dire, suivant une expression bien caractéristique de M. Emile de Girardin, que son but est de mouler l’humanité sur la Société, au Heu de mouler la Société sur l’humanité.
- La politique séculaire dont nous tournons sans cesse et sans fin le manège s’agite toujours sans avancer ; elle vit d’aventures et de complications, quand ce n’est point de meurtres et d’empiétements violents autant qu’injustes ; elle cherche les détours et les finesses où les plus habiles se perdent. Sa voie n’est jamais droite et franche, parceque son but est rarement avouable et bien défini. Dominer est l’objet de tous les jhommes politiques, et pour arriver à bien établir cette domination tous les moyens sont bons. L’intérêt du pays est le prétexte invoqué toujours, mais jamais le mobile réel. C’est au nom de l’intérêt national que l’an a fait faire à la France les choses les plus inouïes, les, plus contradictoires, les plus , inutiles, sinon les plus nuisibles pour elle, la
- p.113 - vue 114/836
-
-
-
- 114
- LE DEVOIR
- guerre d’Italie, par exemple et l’expédition de Rome, la guerre de Crimée, et le Congrès de Berlin; la campagne du Mexique et la guerre Franco-Allemande ; et le véritable but poursuivi dans ses aventures,c’était l’affermissement d’une dynastie, l’arrivée au pouvoir de ^elle ou telle personnalité politique, la prépondérance de tel système sur tel autre valant aussi peu, mais dans aucun cas le bien du pays ni son intérêt bien entendu.
- De quels bienfaits durables le peuple français est-il redevable au premier et au second empire, à la restauration, au gouvernement de Louis Philippe, à tous ceux qui se sont succédés depuis près d’un siècle au pouvoir ? Quel héritage lui ont-ils laissé, en échange et comme compensation des libertés qu’ils lui ont progressivement dérobées ?
- Le plus grand politique de notre temps, c’est assurément le fameux chancelier de fer allemand, le prince de Bismarck. Pour faire l’unité de l’Allemagne et reconstituer le grand Empire Germanique, il a mutilé le Danemark, dégradé la Saxe, absorbé le Hanovre, incorporé bon gré mal gré la Bavière et le Wurtemberg, humilié et rançonné cruellement la France, et à tout cela qu’est-ce que son pays a gagné ? La Prusse et les autres pays allemands ainsi unifiés sont-ils plus heureux, plus riches, plus libres ? De son œuvre tant vantée, que restera-t-il après lui, que dis-je, que reste-t-il aujourd’hui ? Une misère plus intense et plus générale dans le peuple, un accroissement incessant dans le mouvement d’émigration, un malaise toujours grandissant,une ruine de plus en plus imminente.
- Sans en être arrivée à ce point, la France, est-elle parvenue à l’état de prospérité dans lequel la forme républicaine de son gouvernement devrait la placer et la maintenir ? Voici onze ans passés qu’elle a chassé sans retour les empereurs et les rois, ces pieuvres funestes qui ne peuvent vivre qu’au détriment des nations aux destinées desquelles- elles président, qu’a-t-elle gagné depuis cette époque en institutions durables et propres à assurer à tout jamais le progrès de sa prospérité et de son bien-être? Au despotisme Césarien et monarchique, a succédé chez elle le parlementarisme, qui produit
- des lois, comme un journaliste produit des articles, et qui entretient; constamment dans le pays une agitation stérile et vide à propos de la moindre question, de la réforme la plus insignifiante. Grâce à ce système exclusivement politique de gouvernement, on piétine incessamment sur place, on défait le lendemain ce que l’on avait péniblement fait la veille, et dans ce travail de Pénélope le temps est inutilement gaspillé pour le pays.
- Les hommes d’Etat qui ne savent point gouverner autrement ressemble nt à notre avis, à un homme qui, pour faire du bien à un malheureux qui n’a pas de quoi dîner, s’escrimerait de tout son pouvoir à lui fabriquer un joli et élégant curedents, et qui le lui offrirait sur un plat d’argent avec tous les égards possibles. Eh Messieurs, ce qu’il faut avant tout à cet homme, ce que vous devez lui donner, c’est du pain, et mieux que vous, Henri IV comprenait les besoins du peuple, lorsqu’il désirait pour tous la poule pu pot.
- Au lieu de verser et de s’embourber dans l’ornière des siècles passés* le gouvernement sera de son siècle, c’est-à-dire du siècle des chemins de fer, des navires à vapeur, des fils électriques et de l’union postale,qui ont préparé l’avènement de la fraternité des peuples, lorsqu’il aura, par de bonnes et solides institutions, fait disparaître toutes les inégalités autres que celles des supériorités attestées par des œuvres, comblé l’immense gouffre qui existe entre le luxe et la misère au moyen du bien-être universel, réformé fl’impôt Kde manière à en décharger les classes laborieuses, assuré le repos dignement conquis par le travail au jour de la vieillesse, rendu impossible la guerre entre nations, par l’influence de la civilisation, l’extension de l’industrie et du commerce et la puissance du crédit, et enfin résolu le problème démocratique par le perfectionnement des rouages administratifs dans la nation et la commune.
- « Si loin que le regard s’étende en arrière et en avant, et si profondément qu’il plonge au fond de toutes les questions qui touchent à l’existence de l’homme et des sociétés sur la terre, l’oeil reconnaîtra qu’il n’y a de politique vraie, simple et grande que celle qui a constamment pour fin la paix entre les peuples à
- p.114 - vue 115/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 115
- la place de la guerre entre les gouvernements, l’instruction à la place de l’ignorance, la liberté à la place de l’intolérance, l’épargne à la place de la privation, et le bien-être qui élève, à la place de la misère qui dégrade. »
- Cette politique est la seule qui réponde aux besoins sociaux des peuples, et^c’est pour cela qu’elle est la seule féconde, la seule digne d’une nation civilisée, la seule possible dans une république véritablement fondée sur les bases solides du principe démocratique. Sans réformes sociales sérieuses, point de bonne politique possible,et le mot fameux: « faites moi de bonnes finances je vous ferai de la bonne politique » n’est juste que dans ce sens là. Ce n’est en effet qu’avec de bonnes institutions sociales que l’on pourra obtenir de bonnes finances nationales, et par conséquent une politique de prospérité et de progrès.
- Paix à l'extérieur, bien-être à l’intérieur, telle doit être la devise d’un gouvernement jaloux de se maintenir toujours à la hauteur de sa mission, et sa constante mise en pratique est la condition essentielle de sa stabilité et de sa durée. C’est en conformant tous ces actes à cette règle sage,qu’il entraînera sûrement à sa suite le pays, qui s’intéresse peu à toutes les questions d’ordre purement politique, théorique ou doctrinal, mais qui en revanche se passionne aisément pour celles qui intéressent sa prospérité financière, industrielle, agricole et commerciale.
- Certes l’oeuvre à accomplir par un gouvernement aujourd’hui est grande et glorieuse. Eteindre à jamais le paupérisme, en répandant le bien-être partout où jusqu’à présent a sévi la misère, assurer le sort du travailleur, en chassant de son esprit les sombres préoccupations d’un avenir douteux, et en les remplaçant par le calme que donne la sécurité, transformer les charges inévitables de l’impôt en ressources d’avenir et en garanties d’aisance, mettre l’invalide et l’infirme à l’abri de la gène et du besoin, assurer à tous l’égalité des droits en compensation de l’égalité des devoirs et des charges, détruire les privilèges et les monopoles au profit de l’équitable répartition des produits du travail, en un mot inaugurer le règne de la loi suprême de la vie, qui ne reconnaît
- aucune supériorité, aucune inégalité en dehors de celle du mérite réel et démontré par des oeuvres, quelle mission plus noble et plus grandiose ? Toutes les chinoiseries de la politique séculaire des gouvernements du passé ne peuvent être comparées à une seule de ces utiles réformes accomplies, et l’homme obscur qui réussirait à la réaliser aurait plus mérité de l’humanité, que tous les Richelieu et les Bismarck passés, présents et futurs réunis.
- Le premier devoir d’un gouvernement doit-être de faire en sorte que toutes les inégalités non justifiées disparaissent, et que les différences de situation qu’occasionne nécessairement celle du mérite et des services rendus n’entrai-nent ni luttes, ni froissements. Que chacun ait la sécurité de la vie au sein de la société, qu’il y tienne la place à laquelle il a droit, qu’il y remplisse les fonctions que lui assignent ses aptitudes, et qu’il y trouve, dans l’équitable rémunération de ses services, la pleine satisfaction de tous les besoins de la vie.
- « Dans notre Société démocratique,» dit,dans un discours prononcé à l’assemblée des employés de commerce Parisiens, un de nos grands orateurs politiques, « dans notre société démocratique, le travail doit, à tous les degrés de l’échelle sociale, jouir des mêmes privilèges, des mêmes libertés et surtout des mêmes garanties ; il ne doit pas y avoir de duel entre le travail et le capital : ces deux forces doivent être unies et se combiner dans une harmonieuse union pour augmenter la puissance de la France. »
- Or, ce n’est point par des institutions purement politiques que l’on atteindra ces résultats nécessaires. C’est moins aussi la puissance de la France que sa prospérité qu’il faut chercher à augmenter, et cela en procurant à tous le bien-être dans le présent et la sécurité dans l’avenir. C’est pour rendre son pays, ou plutôt l’Etat puissant que Bismarck en réduit progressivement les habitants à la misère, aussi si la Prusse est forte aujourd’hui, c’est au dépens de sa prospérité, et tels sont et seront toujours les fruits inévitables de la politique pure chez les gouvernants. Lorsqu’un pays a conquis, comme le nôtre, l’indépendance politique, la Souveraineté par le self government, lorsqu’il possède
- p.115 - vue 116/836
-
-
-
- 116
- LE DEVOIR
- la liberté et l’égalité civile, l’heure est venue de travailler aux réformes sociales, qui seules peuvent inaugurer le règne de la fraternité et de la solidarité humaines, gage précieux de la paix entre les peuples, et de la prospérité chez les nations. j
- De même que la véritable fraternité, solidari- ! sant les peuples entre eux, fera régner à jamais ' et sûrement la paix dans le monde, en provo- j quant inévitablement l’institution de l’arbitrage î international à la place des guerres, de même j la mutualité, en garantissant tous les citoyens ( contre toutes les fâcheuses éventualités de j l’existence, fera régner à jamais le bien-être et j la sécurité dans les foyers, en opérant infailliblement l’extinction radicale du paupérisme.
- Amener cet état de choses est la mission primordiale et souveraine du gouvernement, et tous ses efforts, tous ses actes, toutes ses institutions doivent tendre vers ce but. Heureux les hommes d’Etat qui comprendront cette vérité, et qui, pénétrés de l’esprit de leur sublime rôle, sauront le remplir sans hésitation ni défaillance ! Heureux les gouvernants qui, fidèles a leur glorieuse mission,sauront établir dans le monde la paix, la solidarité, la fraternité et la mutualité, et détruire à tout jamais au sein de l’humanité, lagêne,les souffrances delà misère et la pauvreté. Heureux aussi mille fois heureux le siècle privilégié qui verra réaliser ce programme humanitaire, et pour qui le paupérisme ne sera plus qu’un souvenir hideux et lugubre. Puisse ce siècle être le nôtre, car il sera le grand siècle entre tous les siècles.
- " "»wwWVWWWv>~—
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE XIII
- II est des gens qui n’aiment point à fréquenter les ouvriers et qui les évitent soigneusement. Pourquoi ? Evidemment, parce qu’ils ne les connaissent pas, et parce qu’ils ne veulent point se donner la peine de les connaître. Je suis certain de n’être point démenti par quiconque a été à même de frayer peu ou prou avec eux, lorsque je dirai que leur commerce est infiniment plus sûr, et par conséquent
- ment supérieurs à eux, et qui en réalité leur sont bien inférieurs. Il n’y a pour l’homme, quoi qu’on dise, qu'une supériorité au monde : celle que donnent les qualités morales, et la bonne conduite qui en est invariablement la conséquence. Or, le travailleur ne fait point du jour la nuit et de la nuit le jour, comme beaucoup de viveurs qui les regardent avec dédain; il ne demande point au jeu, bourse ou baccarat, les ressources que le travail-lui donne. Ils sont reconnaissants et dévoués ; ils aiment qui leur fait du bien, et forts, ils ont la bonhomie indulgente de la force. Le travailleur connaît le prix du temps qui constitue le plus souvent le plus clair de sa fortune. Aussi rien ne lui est plus antipathique que l’oisiveté, et rarement trouvera-t-on un ouvrier oisif. Ce n’est point parmi eux que se rencontrent les victimes de ces grandes duperies financières, qui de temps en temps éclatent, comme des obus meurtriers sur la société, et y sèment la ruine et le suicide.
- L’ouvrier est généralement intelligent, et, à défaut de culture, il possède à un haut degré cet instinct que l’on remarque chez les enfants, qui leur fait reconnaître ceux qui les aiment de ceux qui ne leur veulent aucun bien. N’est-il pas un grand enfant, avec les qualités et les défauts de l’enfance ? Car ses défauts, dont la classe dirigeante a souvent fait tant de bruit, quels sont-ils ? Ils se résument à peu près tous dans ce mot, que ses adversaires ne prononcent jamais^ qu’avec une emphase prudhommesque, le cabaret.
- Eh bien, soit, le cabaret ; mais d’abord si Ton prend la masse toute entière des travailleurs en France, et que de son chiffre total on déduise celui des hommes qui fréquentent assidûment, journellement, le cabaret, au détriment de leur santé et du bien-être de leur famille, on trouvera que leur nombre n’est point aussi considérable qu’on affecte de le croire et qu’on exagère de beaucoup ce mal social.
- Et puis d’ailleurs , est-il bien surprenant que l’homme qui, fatigué d’un labeur, le plus souvent pénible et dur, éprouve le besoin de la distraction et du repos, aille pour les trouver l’un et l’autre, là où il sait rencontrer des amis, des camarades ? Est-il bien surprenant, dans ces conditions, qu’entraîné par l’exemple, par la société agréable à son cœur, par la chaleur, par toutes sortes d’excitations, il ne soit point toujours assez maître de lui, pour s’arrêter juste à temps, et ne pas dépasser la limite incertaine où la raison court le risque de se perdre ? Quel est l’homme d’éducation et de grand ton qui dans le cours de sa vie n’ait jamais failli sous ce rapport ?
- plus agréable,que celui des gens qui se croient bête- | Quel est celui qui, mieux, infiniment mieux
- arme
- p.116 - vue 117/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 117
- pour cette lutte morale, a toujours invariablement résisté à certains entraînements de la vie ? Si l’on interrogeait les échos des salons de Peters , de Vachette, de Breban etc, ces cabarets des gens dits comme il faut, comme ils nous en apprendraient de belles !
- Oui, lecteur, l’ouvrier est généralement plus honnête, plus loyal, plus moral, et plus accessible aux bons mouvements que ceux qui, nés dans un monde soi-disant supérieur, le regardent, comme on dit vulgairement, du haut de leur grandeur.
- Cet hommage que je rends ici de grand cœur à ces excellentes natures m’est dicté par l’accueil toujours simple, cordial et même empressé que nous rencontrons toujours, de leur part, dans les ateliers de l’usine que nous visitons.
- Dans les grands ateliers très nombreux, où le mouvement est constant, le va et vient incessant, le visiteur passe assez inaperçu ; mais dans les ateliers moindres, où le personnel est peu nombreux, il n’en est pas tout à fait de même ; à son entrée, tous les regards se tournent vers lui, avec une expression quelque peu étonnée, et chacun semble se demander quel est cet intrus, et ce qu’il y vient faire. Mais s’il j va droit à l’un de ces travailleurs, et qu’il lui demande franchement le renseignement dont il a besoin, vite il est écouté, informé, satisfait.
- C’est ce qui nous arrive précisément aujourd’hui dans la fonderie de cuivre où nous venons d’entrer. On nous montre avec la plus parfaite complaisance les fourneaux à fleur de terre, les creusets où le métal est fondu, et les moules dans lesquels il est coulé. Ici ce sont de petites pièces que l’on fabrique, robinets, boutons de portes ou de meubles, tous les innombrables accessoires des appareils de grande fabrication de l’usine.
- Les moules en sable pour le cuivre sont préparés à peu de chose près, sinon exactement, de la même manière que ceux destinés à la fonte de fer. Les châssis dans lesquels est enfermé le moule sont en fer, et à embouchures serrées, pour la coulée. On dispose les objets sur la couche, en les rangeant les uns contre les autres, et l’on a soin de donner aux canaux qui conduisent le métal en fusionna grosseur strictement nécessaire pour alimenter la garniture du moule. Pour le moulage, on tranche les jets à la remonte, c’est-à-dire, on fait entrer le métal en source au moyen d’attaques qui prennent les pièces en-dessous. Cette précaution a pour but d’empêcher j que les premières gouttes qui s’échappent du creuset, I àu début de la coulée, ne tombent dans les pièces et 1 se refroidissent, ce qui les empêcherait de se lier I avec le reste du métal. I
- De même qu’il demande une température moins élevée que le fer pour entrer en fusion, de même le cuivre se refroidit beaucoup plus promptement, et il surmonte plus difficilement la résistance des parois du moule. En somme les procédés de moulage de cuivre diffèrent peu de ceux employés pour celui des objets en fonte, et comme cette fabrication n’a qu’une faible importance dans l’industrie du Familistère,nous ne nous y arrêterons que le temps de remercier le brave contre-maître qui nous a fait les honneurs de son atelier, où l’on fabrique également la fonte malléable.
- La place que cette branche occupe dans la production de l’Usine est plus considérable, sans doute, _ que celle de la fonderie de cuivre. Elle est destinée à pourvoir principalement aux besoins de l’outillage des autres ateliers et de leurs machines, et par conséquent elle joue dans l’usine un rôle relativement important. Mais, comme au moment ou nous la visitons, elle est au repos, nous ne nous y arrêterons pas. Nous serrons donc la main à ce digne travailleur, et nous nous dirigeons sans retard vers l’atelier de la menuiserie.
- Ici, il y a plus de mouvement, plus d’animation, plus détruit. Nous y entendons surtout à côté du chant cadencé du rabot, le grondement sourd de la machine voisine, qui fait mouvoir les scies circulaires ou à ruban, dont la voix criarde domine ce chœur de la nature au travail, comme la haute-coutre des anciens dominait les morceaux de plain chant des cathédrales gothiques. Nous reconnaissons en passant là, parmi les travailleurs, le sous-chef de la musique du Familistère,que nous saluons et qui nous renseigne, et par une corrélation d’idées naturelle, nous reconnaissons que si l’harmonie de cet atelier a quelque chose de grand et de majestueux, celle que parfois il dirige dans les bals et les concerts donnés au palais social est plus agréable à l’oreille, et plus sympathique au cœur de l’homme.
- Innombrables et variés à l’infini sont les objets que l’on confectionne dans cette grande halle carrée claire et haute, où les établis sur plusieurs rangs remplissent l’espace, et où l’on fabrique depuis les lourds et massifs châssis des moules jusqu’aux fines nervures des moulures et aux délicates dentelures des modèles de tout genre. Si au point de vue pittoresque et poétique, le travail de l’homme a plus de cachet,au point de vue du progrès du génie humain, de la rapidité d’exécution et de la précision, le travail des machines a son incontestable mérite. C’est plaisir de voir l’homme, auprès de la scie mécanique, pousser tranquillement la pièce de bois à scier dans le sens voulu, dirigeant l’action aveugle de la ma-
- p.117 - vue 118/836
-
-
-
- 118
- LE DEVOIR
- chine, et le travail s’exécuter ainsi vite, bien et pour ainsi dire tout seul.
- Dans cette enceinte l’atmosphère est moins chargée que dans les fonderies, où la poussière impalpable du charbon mêlé au sable des moules répand comme un nuage gris foncé qui contribue à rendre le jour terne et l’air épais. Il semble qu’on y respire mieux,et que la poitrine s’y trouve plus à l’aise.
- Il nous reste, lecteur, à visiter encore en passant l’atelier de la décoration,pour compléter aujourd’hui notre exploration. Celui-ci contraste avec ceux que nous avons vu précédemment, parce qu’au lieu du bruit incessant, de ce grondement monotone des machines, c’est le silence et le calme le plus complet qui y régnent. D’un côté, des femmes assises à leur table tracent avec des fins pinceaux les veines du marbre sur les objets émaillés en première cuisson, qui, après cette opération, repasseront au four encore une fois. Là les couleurs appliquées à la main se vitrifient et s’allient parfaitement au fond émaillé pour ne former avec lui qu’un tout homogène et uni.
- D’un autre côté de l’atelier, des femmes debout empaquêtent tous les menus ohjets terminés, appartenant à la catégorie nombreuse d’articles, désignée sous la dénomination de quincaillerie. On y trouve des quantités innombrables de choses, pendules, flambeaux, coupes, bougeoirs, porte-montres, vide-poches, porte-allumettes, réchauds, encriers, consoles, suspensions, croissants, crachoirs, porte-parapluies, boutons, etc., etc., à l’infini.
- A cet atelier sont joints les magasins de la quincaillerie, qui prennent deux étages tout remplis de grands casiers encombrés de marchandises soigneusement empaquetées. Le développement constant de la fabrication est tel, que ces magasins deviennent trop petits, ce qu’attestent les nombreux paquets qui couvrent les comptoirs et même le sol.
- Plus nous avançons dans notre voyage, et plus nous sommes porté à admirer l’étendue de cette industrie créée par un homme d’une volonté énergique, poursuivant un but bien déterminé, dont rien n’a pu le détourner, et qu’à force de patiente persévérance, de sagesse, de travail constant et d’intelligence il est parvenu à atteindre. Ce que nous trouvons dans ce magasin, le besoin urgent d’agrandissement, nous le voyons se manifester partout ailleurs dans cette usine déjà si vaste, si développée, si étendue. Chaque jour on agrandit les ateliers, et à peine cet agrandissement a-t-il eu lieu,que le besoin d’un accroissement nouveau se fait sentir. Précieux résultat d’une œuvre féconde bien conduite, et favorisée surtout par la réalisation pratique de cette
- admirable idée : l’Association du Travail et du Capital.
- [A suivre).
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANGE
- L’expulsion d’un homme éminent, M. Lavroff, qui ne se mêlait en rien de la politique française, qui n’avait d’autre tort que d’avoir ouvert à Paris*une souscription en faveur des victimes poliliques de la Russie, fait honte à la Republique française moins hospitalière que la monarchie anglaise et que la petite République helvétique. M, de Freycinet a promis de modifier la loi de 1849 qui permet les expulsions arbitraires, c’est bien, mais modifier n’est point assez, il faut abroger.
- A ce propos, il s’est passé un fait que la presse n’a point suffisamment relevé, ce nous semble, car il implique une question de dignité politique et d’honnêteté qui ne doit point rester dans l’ombre.
- À la question qui lui était posée au sujet de cette expulsion, le Président du Conseil aurait répondu que cette mesure avait été décidée, en vertu de la loi de 1849, par son prédécesseur, le chef du cabinet éphémère de M. Gambetta.
- D autre part, les journaux amis de ce dernier ont très catégoriquement démenti celte affirmation, et le démenti n’a point été relevé. C’est le cas de s’exclamer plus que jamais : Qui trompe-t-on ici? ou plutôt : Qui donc nous trompe ici ? Il est nécessaire qu’une question à la tribune de la Chambre éclaire le pays, et fasse justice de ce système de mensonge et de faux libéralisme, qui est incompatible avec un gouvernement véritablement républicain.
- Dans une lettre adressée à M. Clémenceau par M. Lavroff, nous trouvons les dures vérités suivantes, dites sur un ton, à la courtoisie duquel il est impossible de ne point rendre hommage :
- «Ne m’occupant guère, depuis plusieurs années, des affaires de la France, je ne me savais pas si dangereux pour la « sûreté publique » du pays républicain où je suis établi depuis cinq ans. Mais je ne me plains pas. Socialiste-révolutionnaire, c’est pour moi un axiome que la société actuelle ne saurait être une société de justice et de liberté ; s’il plait au gouvernement de la République française de.fournir de nouvelles preuves à l’appui de ma thèse, j’aurais mauvaise grâce à m’en étonner. Il agit selon la logique de sa situation, en sa qualité de gouvernement. Ce n’est pas, d’ailleurs, la première fois qu’il est poussé à se mettre en contradiction flagrante avec les principes qu’il inscrit sur les murs de Paris, et ce ne sera certes pas la dernière.
- « Il veut,en m’expulsant aujourd’hui,donner une marque' d’amitié au gouvernement de l’empire russe; mais vu la faiblesse et la médiocre intelligence de ce dernier, il se pourrait bien que cet acte de complaisance se trouve plus désintéressé qu’on ne l’aurait en somme désiré. Qui sait si demain on ne devra pas faire de bien autres concessions aux combinaisons politiques ? C’est fatal. — Tout en souffrant de ces accidents, lorsqu’ils nous atteignent, nous les enregistrons au profit de la marche ascendante et tout aussi, fatale du socialisme révolutionnaire. En elle-même, rien de moins important que la mesure qui me frappe ; mais rapprochée de bien d’autres faits du même genre, elle peut signaler un certain danger à tous ceux qui, aimant leur patrie, veulent la préserver des concessions humiliantes. — à tous ceux qui croient à la possibilité d’une transformation graduelle et pacifique de leur pays...........
- ......« Je me soumets donc à l’arrêté du ministère,
- et j’aurai probablement quitté la France lorsque vous lirez cette lettre. Mais c’est à vous et a vos amis, repré-
- p.118 - vue 119/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 119
- sentants du peuple français, directeurs des organes de la presse ; à vous qui, de par le talent et l’influence politiques, êtes les gardiens naturels des intérêts et de l’honneur de votre pays, c’est à vous de voir si le gouvernement de la République française ne se laisse pas glisser trop vite sur une pente funeste aux principes de la liberté et de la démocratie ; si le danger, au point de vue moral et politique, ne devient pas chaque heure plus imminent. »
- *
- * *
- L’armée et la fî&te nationale. — Un conseiller municipal de Paris, qui est en même temps un de nos premiers ôthpographes, M. Aboi Hovelacque, émet le vœu delà suppression de la grande revue par laquelle on célèbre chaque année la fête du 14 juillet. La proposition est excellente et se recommande par toute espèce de considérations. Pourquoi faire de l’armée une vraie parade? Pourquoi employer des citoyens à se donner purement et simplement en spectacle au reste du peu-pie? Pourquoi toujours mêler l’image de la guerre aux léjouissances publiques? Pourquoi imposer aux soldats la fatigue toujours excessive et quelquefois mortelle, à cause des insolations, des manœuvres qui se font sans utilité au plus chaud de la saison et du jour? Pourquoi cultiver le chauvinisme? Laissez à la fête du 14 juillet son grand caractère républicain, qu’elle soit la fête de la paix, de la liberté, de la justice.
- IPro'bité clérical©. — Le Petit Troyen raconte le fait suivant qui s’est passé dans une commune de l’arrondissement d’Arcy :
- Une vieille dame fort riche meurt en odeur de sainteté. Gomme elle a été préparée de longue main, elle n’oublia pas de laisser, avant de partir pour un monde meilleur, et en prenant les précautions nécessaires, une part considérable de sa fortune à une association religieuse, frustrant ainsi ses héritiers naturels,
- * ¥
- Ceux-ci ne sont pas contents; et s’ils s’avisaient de plaider, il se pourrait que nos bons magistrats qui,pendant l’ordre moral, auraient sûrement donné tort aux héritiers, leur donnassent aujourd’hui gain de cause.
- Que faire?
- C’est ici qu’éclate le génie du cléricalisme, fils adultérin du christianisme. Pour désintéresser la famille, la cour de Rome bombarde (Vlan,ça y est !) la propre sœur de la défunte, savez-vous quoi? — Baroane, comtesse ou marquise,nousne savons au juste, mais enfin on lui donne un titre.
- Et voilà une famille qui joint aujourd’hui au désagrément d’avoir été dépouillée le ridicule d’une noblesse que personne ne prend au sérieux, pas même ceux qui en trafiquent.
- ¥ ¥
- JLe rétablissement (la divorce, — M. Clovis Hugues vient d’annoncer à M. Alfred Naquet, son intention d’introduire un amendement à sa proposition de loi sur le divorce; le jeune député de Marseille a l’intention de faire revivre une disposition de la loi sur le divorce, du 20 septembre 1792, qui stipule que le consentement mutuel des deux conjoints dispense de toutes les autres formalités, cette loi a du reste été appliquée jusqu’en 1803. M. Alfred Naquet ne parait pas éloigné d’accepter cette modification.
- D’autre part, M. Louis Gfuillot a déposé un amendement tendant à prononcer le divorce en faveur de la femme pour cause d’adultère du mari,
- ANGLETERRE
- M. Gladstone a fait voir ces jours-ci, très simplement mais d’éclatante façon, que la justice est la meilleure politique, et que r honnêteté est la suprême, ou plutôt la véritable habileté. Pendant la discussion ae l’adresse
- en réponse au discours de la reine, un député irlandais, M. Smith, avait soutenu sous forme d’amendement cette proposition qu’il n’y avait de solution efficace de la question irlandaise, que la révision de l’acte u’Union et l’autonomie de l’Irlande. A la surprise extrême de ses propres amis, et peut-être au scandale de plusieurs, M. Gladstone a déclaré qu’en principe ü n'était nullement hostile à une telle révision, mais que la vraie difficulté serait de bien marquer la différence entre les questions purement irlandaises, et les questions générales qui,intéressant tout l’empire,seraient réservées par le parlement de la Grande-Bretagne. L’amendement de M. Smylh a été rejeté, bien entendu, mais le langage tout-à-fait imprévu de M. Gladstone a fait réfléchir bien des gens; très peu ont compris immédiatement la grandeur, la force, l’habileté loyaie d’une politique qui prenant toujours sa base sur la justice atteint d’un seul trait des résultats, que les ruses des diplomates manquent le plus souvent par excès de finesses.
- Une pétition en faveur du suffrage politique des femmes ayant été présentée aux trois députés de la ville de Bradford, M. Gladstone, l’un d’eux, a répondu que si une proposition est présentée au parlement, elle sera examinée avec tout l intérèt qui s’attache à cette question dont la solution ne peut encore être prévue; M. For s ter a dit plus franchement qu’il regrette de ne pouvoir appuyer le projet; M. Iilingworth seul a répondu qu’il voterait la proposition.
- *
- * *
- ÏLesî Juifs russes et le car cl In al Mlan-
- ni«g — Nous avons loué comme il convenait l’attitude prise par le cardinal Manning au meeting qui s’est tenu il y a trois, semaines en Angleterre, en faveur des juifs russes. La conduite de M. Manning est d’autant 'plus digne d’éloge qu’elle s’écarte pleinement des traditions de l’église catholique dont l’intolérance haineuse, hier encore, poursuivait partout les Israélites. Sous Grégoire XVI les juifs ne pouvaient ni cultiver, ni fabriquer, ni posséder.
- Sous Pie IX même,ils n’avaient pas d’état civil.Un fait entre raille donnera une idée de ce qu’était leur situation dans les Etats de ce dernier pontife. Un catholique séduisit la femme d’un Juif aisé nommé Padora, qui habitait à Gento dans la province de Ferrare, Ce catholique enleva la femme et les enfants du Juif. Celui-ci réclama ses enfants; la justice lui répondit que leur mère et eux s’étaient convertis, et que dès lors il n’avait plus sur ceux-ci aucune autorité. De plus, les Juifs n’ayant pas d’état civil, rien n’empêchait le ravisseur et sa maîtresse de se marier ; c’est ce qu’ils firent, et le mariage fut célébré par le cardinal archevêque de Bologne en personne.
- *
- * *
- Urne fortune d’O ut r e-Ma nclie. — Voici à quel chiffre s’élève la fortune du duc de Westminster :
- Capital : 16,000,000 livres sterlings (400 millions de francs.) Ge capital donne au duc de Westminster le revenu suivant :
- Par année, 800,000 livres sterling (20 millions de francs.)
- Par mois, 60,000 livres sterling (1.500,000 francs.)
- Par jour, 2,000 livres sterling (60.000 francs.)
- Par heure, 90 livres sterling (2,260 fr.)
- Par minute, 1 livre 10 d. (26 francs.)
- Que de bien cet homme peut faire !
- AUTRICHE-HONGRIE
- Voici l’Herzégovine insurgée contre l’Autriche comme elle l’était il y a cinq ans contre la Turquie. La Bosnie profondément émue va se soulever à son tour, si la chose n’est déjà faite. L’Autriche dépêche contre ces malheureuses provinces ses soldats et ses canons, tout comme la Turquie envoyait contre elles, il y a cinq ans, ses canons et ses troupes. A quel titre? de quel droit? à quelle fin?
- p.119 - vue 120/836
-
-
-
- 120
- LE DEVOIR
- Si l’Herzégovine et la Bosnie avaient, il y a cinq ans, le droit de se soulever contre la Turquie, pourquoi ne l’auraient-elles point aujourd’hui contre l’Autriche? L’administration autrichienne a été pire que l’administration turque ; plus régulièrement oppressive, plus habile, plus savante dans l’art d’exploiter l'homme. Les impôts ont doublé. En tout la condition de ces peuples est devenue plus mauvaise. Sur ce point la vérité s’est fait jour dans le sein des Délégations. M. Klaic, un dal-mate, a déclaré que les insurgés n’étaient pas des « brigands », mais des opprimés qui se soulèvent contre un écrasement intolérable. Il a dit le mot : il fallait consulter le peuple. Un autre, M. Sturm, a montré que la justice, là comme ailleurs, est sœur de l’économie, il a fait remarquer que les sommes dépensées en Bosnie et en Herzégovine égalent précisément le déficit du budget hongrois. Un troisième, le comte Apponyi, hongrois, a dit hardiment que l’Autriche-Hongrie n’avait pas le droit de rester plus longtemps dans" les provinces. « Il est de notoriété, a-t-il ajouté, que la population bosniaque n’a pour nous que de la haine. C’est une conquête qui coûtera d’énormes sacrifices d’hommes et d’argent. Nous n’avons qu’une chose à faire, c’est de retirer nos troupes et de donner la liberté. »
- Quelques précautions que prenne le gouvernement autrichien pour étouffer ou pour dénaturer les nouvelles de l’Herzégovine, la vérité se fait jour par l’entremise des correspondants des journaux italiens et anglais. Elle éclate jusque dans les Délégations,où trois députés, comme on l’a dit plus haut, ont hautement protesté contre l’occupation. La flotte autrichienne couvre la Crivoscie de bombes et d’obus. Les bandes d’insurgés se multiplient et ne tarderont pas à s’unir; elles ont pour chefs indifféremment des musulmans et des chrétiens ; l'insurrection est nationale et non religieuse. L’Europe se doit de mettre le plus tôt possible fin à ces horreurs ; qu’elle se hâte.
- TURQUIE
- Constantinople, 7 février.
- La révolte est générale dans l’Arabie. Les Assirs ont fait prisoniers les fonctionnaires turcs, proclamé un Khalife, et marchent sur la Mecque en recrutant sur leur route toutes les tribus de la région. Sur l’ordre du palais, le commandant du 7e corps, en résidence à Bagdad, Izzet-Pacha, est parti en toute hâte pour Hodeida, où il prendra le commandement des troupes que lui expédie le ministre de la guerre; cinq bataillons et deux batteries ont été embarqués cette semaine.
- A peine Izzet-Pacha avait-il quitté Bagdad, que l’importante tribu des Montefiicks, sous les ordres de Man-sour-Pacha, a attaqué les forces ottomanes ; celles-ci, sans chef, se trouvent dans une situation critiqjo. He-dayet-Pacha, nommé au commandement du 7e corps, a quitté notre ville hier, se rendant en Mésopotamie, mais, il ne lui faudra pas moins de trois semaines pour rejoindre son quartier général.
- L’autorité du sultan est très sérieusement menacée de Bagdad au golfe Persique et jusqu’à l’extrême sud de la mer Rouge, Osman-Pacha demande 800,000 livres pour réprimer cette insurrection, préparée de longue main par les Arabes. Ordre a été donné aux gouverneurs généraux d’envoyer sans délai au séraskiérat les fonds existants dans les caisses publiques.
- Et il n’y a pas quinze jours que la presse officieuse de Stamboul nous menaçait de lancer les nomades du Hed-jaz et de l’Yémen sur les premiers soldats français qui mettraient le pied en Egypte !
- ALLEMAGNE
- Mardi dernier, un groupe d’enfants de 10 à 13 ans s’amusaient, entre 5 et 6 heures du soir, à jouer sur la pelouse qui entoure la colonne des Invalides à Berlin ; le factionnaire de garde leur fit défense à plu-
- ! sieurs reprises de continuer leur jeu à cette place, et ils avaient finalement obéi a ses injonctions.
- Vers cinq heures, ce factionnaire avait été relevé par un autre appelé Werner et appartenant à la 9e compagnie des chasseurs de la garde. Les enfants s’en étant aperçus reprirent de nouveau leurs ébats, il paraît, ce qui est encore à démontrer, que les enfants narguèrent le factionnaire, et qu’à ses injonctions ils répondirent cette fois par des injures et même par des pierres.
- Le factionnaire aurait fait alors mine de se fâcher et d’armer sou fusil ; les enfants s’enfuirent à toutes jambes; ils avaient déjà parcouru une grande distance et étaient arrivés jusqu’au pont voisin de la place^quand tout à coup deux coups de feu se suivant à peu d’ia-tervalles retentirent.
- Au même moment on vit trois pauvres petits culbuter, eu poussant des cris déchirants, et rouler par terre baignant dans leur sang. L’un des enfants passait tranquillement dans cette rue par hasard ; il tomba raide mort. Les deux autres restèrent étendus à terre grièvement blessés.
- La balle avait d’abord frappé l’un des enfants, qui avaient joué sur la pelouse, au-dessous de l’épaule gauche dans la poitrine, elle était sortie par le dos, avait, par un ricochet, traversé le bras du second fayard, et avait pénétré finalement dans le côté gauche du malheureux enfant qui traversait la rue.
- Uu médecin appelé en toute hâte ue pût que constater la mort de ce dernier, l’unique soutien d’une pauvre veuve, et un garçon très studieux. L’un des enfants blessés a été transporté d’urgence à l’hôpital Au-gusta dans un état désespéré. Le troisième a pu être reconduit chez ses parents.
- On dit que le misérable factionnaire sera acquitté. Drôles les juges de Berlin, même ceux à grand sabre.
- La Gazette de Cologne annonce que l’un des deux enfants blessés à Berlin par le coup de fusil du factionnaire Werner, (on sait que le troisième enfant est mort sur le champ), a succombé aux suites de sa blessure.
- L’enterrement de l’enfant Pœtzold, qui était tombé mort sur le coup, a donné lieu à une manifestation imposante. Une foule énorme a suivi le char mortuaire.
- S’il y a quelque chose de plus triste que l'événement en lui-même, c’est l’attitude avec laquelle une certaine presse, passant légèrement sur l’horreur que doit inspirer un pareil acte, justifie la sentinelle et la consigne.
- Un journal officieux, le Berliner Fremdenblatt eu racontant le fait, ; joute que le fonctionnaire a fait son devoir, qu’il n’a point dépassé la limité du règlement militaire, et que juridiquement aucun reproche ne saurait lui être adressé.
- Mais voici qui dépasse toute mesure : que des feuilles allemandes tiennent ce langage, cela se comprend encore, le militarisme est leur idole; mais que des feuilles suisses cherchent à pallier le fait, à excuser le soldat en racontant les choses autrement qu’elles se sont passées, voilà qui est vraiment scandaleux C’est cependant ce que font les Basler Nachrichten, qui racontent que le factionnaire avait chassé plusieurs fois les gamins ; qu’ils étaient revenus le narguer ; qu’ils lui avaient dit , que le fusil n'était chargé que de sable, etc., etc. Naturellement la sentinelle dira toutes ces choses et bien d’autres pour sa justification, mais nous sommes stupéfaits à Berlin de voir un journal suisse se faire ainsi l’avocat de ce furieux, tandis que chez nous, dans l’inti-mité, on s’indigne contre cet acte ae froide cruauté.
- *
- * ¥
- On lit dans 1 eTaçèlatt de Berlin, du 13 février :
- « Ce matin, vers onze heures , l’ouvrier Kremer, qui passait devant le terrain clos où s’exerce habituellement le régiment Alexandre, ^ s’arrêta un instant et se mit à regarder la manœuvre à travers un trou de la cloison.
- « Tout à coup il reçut à travers ce trou, en plein visage, un coup de baïonnette qui lui perça la joue et d’où le sang se mit à couler abondamment. Les pas-
- p.120 - vue 121/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 121
- sants s’attroupèrent autour du blessé. L’indignation | était générale. »
- La Post de Berlin donüe les détails suivants sur la si tuation budgétaire de la Prusse:
- « Bien que l’exercice budgétaire courant se présente dans des conditions plus favorables qu’autrefois, il y a lieu de tenir compte d’une série de mesuras dont l'exécution plus ou moins prochaine imposera au budget des
- charges notables, lesquelles ne s’élèveront pas à moins
- de 40 millions de marks par an. Or, comme le budget des recettes n’offre qu’une plus-value de 6 millions, une partie des dépenses ordinaires ne pourra plus être couverte par les recettes courantes. Eu outre, la possibilité du dégrèvement proposé se trouve remise en question. Alors même que les recettes de 1882-83 dépasseraient les dépenses, dans la proportion des chiffres de l’exercice précédent, le budget ne pourra pas se solder en équilibre. Ajoutons que les chances de voir les recettes donner une plus-value commencent à diminuer, et qu’il n’y a pas lieu de prévoir d’ici longtemps une amélioration de la situation. Dans ces conditions, sans même vouloir faire entrer en ligne de compte les embarras financiers des communes, il est manifeste que le monopole du tabac s’impose.
- royauté. Se plaignant de ceux qui l’avaient abandonné et surtout de l’archevêque de Sens, Wenillon, il dit : « D’après sa propre élection, d’après celle des autres évêques et fidèles du.royaume, j’ai été consacré roi selon la tradition ecclésiastique. Après cela, je ne pouvais être renversé du trône par personne, du moins sans avoir été entendu par les évêques qui m’ont consacré roi, et qui sont les trônes de la divinité. Dans tous les temps j’ai été prompt à me soumettre à leurs corrections paternelles, et je le suis encore à présent. » C’est à la suite de cette déclaration que l’épiscopat jura de rester uni pour corriger les rois, les seigneurs et le peuple.
- L’épiscopat pariait haut, on le voit... C’est que ses richesses étaient au diapason de son ton. Ce qui suit peut en donner une idée.
- Le Cartulaire de la basilique de Notre-Dame de Paris, où sont inscrits tous les biens de l’évêché, accusait en terres possédées par le prélat :
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- De Cliai-lemag-ne à François 1er
- IV
- Quand nous reprenons notre récit, les fils de Louis le Débonnaire se sont partagés l’empire. Charles-le-Chauve est le premier roi de la seule France ; Louis-le-Germanique, le premier roi de la seule Allemagne; et Lothaire est le premier empereur franc privé de l’Allemagne et de la France.
- Cette division de l’empire en trois lots donne une nouvelle impulsion au déchirement commencé sous le Débonnaire.
- Le déchirement se complique de l’invasion des Normands et des Sarrazins, que le pouvoir royal essaie à peine de repousser, tandis que les grands, au milieu de ce cahos, ne songent qu’à accroître leurs richesses et leur puissance aux dépens même des rois auxquels ils vendent leurs moindres services. A bout de ressources, Charles ne pouvant plus payer ceux dont il veut se faire des partisans, essaie de reprendre quelques-uns des domaines qu’il a donnés. Il est rappelé au respect des capitulaires par ies grands et les évêques, qui prennent la résolution de le déposer. Vainement il tente, en leur laissant leurs fiefs, leurs alleux et leurs offices, de les faire revenir sur leur décision; vainement il leur promet de nouvelles concessions, Louis-le-Germanique s’avance avec une armée, Charles s’enfuit et supplie le pape de prendre sa défense.
- Cependant la fortune change. Charles est rétabli dans son royaume, mais cette restauration ne met que mieux en lumière l’état d’abaissement de la
- Au Nord de Paris, et villages,
- Au Midi, 37,
- A l’Est, 25,
- A l’Ouest, 20.
- 9 terres \
- 91 terres et villages
- A quoi il faut ajouter une terre dans le pays de Fréjus et une dans le Poitou.
- Ces 93 propriétés;comprenant une^étendue de 200 mille arpents de terre et une population de 20 mille serfs de l’Eglise, rapportaient plus d’un million de sous d’argent.
- Sur cette somme, l’Evêque prélevait pour
- lui.................................. 400.000 sous
- Pour son clergé............ 200,000 »
- Pour ies frais du culte .... 200,000 »
- Pour les pauvres et autres dépenses 200,000 »
- On était loin de la pauvreté des âges apostoliques, mais on était bien plus loin encore du temps où le Maître se faisait humble devant les plus petits. On peut en juger, en effet, car à l’époque que nous retraçons, « l’usage voulait que lors de l’intronisation du nouvel Evêque de Paris, selon l’obligation que leur imposait l’Eglise, le roi assisté de trois seigneurs, enlevât sur ses épaules la litière d’or où se prélassait comme dans une chasse, l’humble prêtre du Christ. »
- Il n’y a pas lieu de s’étonner, en présence de tout cela, que l’épiscopat cherchât à établir des églises nationales indépendants de la Papauté, à l’instar des seigneurs se créant des souverainetés locales en face de la Royauté. Ces velléités d’indépendance pouvaient sans doute temporellement et au sein de la nouvelle société en formation, avoir leur raison d’être et aboutir, mais spirituellement elles ne pou"
- p.121 - vue 122/836
-
-
-
- 122
- LE DEVOIR
- valent prévaloir, contraires comme elles l’étaient à l’esprit unitaire du Christianisme.
- L’Evêque, en tant que seigneur terrien, pouvait bien chercher à s’isoler, et, tout en jurant fidélité au Roi sur les livres saints,ne pas vouloir mettre les mains dans les siennes, selon la formule de la vassalité ; mais en tant que prince de l’Eglise, vainement prétendit-il rester maître chez lui, cherchant des titres à cette prétention dans la discipline de l’Eglise primitive ; à ces titres fort contestables, c'est encore vrai, mais qui n’en faisaient pas moins loi : Que le souverain pontife voulut énergiquement, et la mitre s’inclinait devant la tiare, A preuve le fait suivant.
- Lothaire II, roi de Lorraine et le neveu de Charles-le-Chauve, avait épousé en 856 Teutberghe, fille d’un puissant comte Bourguignon. Le mariage, tout politique, s’était fait en dépit de l’amour que Lothaire avait pour Waldrade, jeune fille appartenant à la plus illustre famille d’Austrasie; il ne tarda pas à devenir insupportable au roi qui résolut de divorcer. Mais !e temps n’était plus où les liens du mariage chez les Princes francs se nouaient ou se dénouaient selon leur caprice : l’Eglise n’admettait que des cas légitimes de divorce : l’adultère et l’attentat à la vie du mari. Encore y avait-il contestation et certains prélats tenaient pour l’indissolubilité absolue. Il fallait un prétexte à Lothaire. Teutberghe fut acusée d’inceste avec son frère. Le système des épreuves existait encore. Le Reine choisit un Champion chargé de soutenir l’épreuve de l’eau chaude pour elle ; car ceci pouvait se faire par procuration. A l’heure dite et en présence des juges ad hoc, le mandataire de Teutberghe retira sa main instacte du vase d’eau bouillante. Point n’est besoin de dire que l’éprouvé s’était servi d’un préservatif dont on usait en pareil cas. Lothaire fut obligé de reprendre sa femme.
- Quelque temps après le Roi instruit de la fraude, maltraita la reine si durement, qu’elle confessa son prétendu crime, et s’enferma dans un couvent. Les évêques Lorrains sous la direction des métropolitains de Cologne et de Trêves, se réunirent à Aix, condamnèrent la malheureuse reine à la pénitence publique,et Lothaire épousa Waldrade,
- Teutberge quittason couvent furtivement, se mit sous la protection de Charles-le-Chauve et en appela du jugement des évêques au Pape. Celui-ci envoya deux légats pour, selon la discipline ecclésiastique, approuver ou'annuler la sentence rendue. Gagnés par les présents de Lothaire, ils confirmèrent le jugement des évêques dans un second concile à Metz, en 833.
- Cependant les prélats Neustriens qui étaient pour Teutberge que la clameur publique proclamait innocente, avertirent le Pape, Nicolas Ier. Ce dernier que l’histoire peint du reste comme un homme de mœurs sévères, d’un caractère ardent et d’un esprit inflexible, ne s’arrêta pas à une demi-mesure : sans convoquer de concile général comme le voulaient les règlements ecclésiastiques, sans même consulter les évêques gallicans, il cassa ce qui avait été fait au concile de Metz, et fit déposer les archevêques de Trêves et de Cologne par des prélats italiens par lui réunis au palais de Lothaire. C’était inouï,et les protestations ne firent pas défaut ; mais ce fut en vain, le Pape triompha sur toute la ligne, « Les rois » avait-il dit, « quand ils ne régnent pas selon lajus-tice, doivent être regardés comme des tyrans ; il faut leur résister et se dresser contre eux. «
- Nous ne parlerons pas des lettres que le successeur de Nicolas Ier,le pape Adrien II écrivit à Charles-le-Chauve lorsque ce dernier, après la mort de Lothaire,voulut s’emparer de ses Etats, Après avoir été insolent, le mal avisé Pontife se vit obligé de faire une reculade. La réponse que fit à ces lettres, l’archevêque Hincmar, la grande intelligence de cette époque, le défenseur constitué de l’autorité royale et surtout de l’autorité épiscopale, mérite néanmoins d’être rapportée : « Que les papes, » dit le prélat, * se souviennent de la condition de leurs prédécesseurs au temps de Pépin et de Charlemagne. Le vicaire du Christ ne peut être en même temps roi et évêque. Vos prédécesseurs se sont appliqués à gouverner l’Eglise sans se mêler de l’Etat ; ne vous ingérez donc pas de nous soumettre à votre domination. r,
- Malgré ces protestations, la suprématie papale tendait toujours à s’établir fortement. Louis II, empereur et roi d’Italie avec lequel Charles avait été obligé de partager le royaume de Lothaire, étant venu à mourir en 875, une diète composée d’évêques et de comtes se réunit à Pavie, et offre la couronne impériale à Louis-de-Germanie. Charles-le-Chauve informé de tout cela part, fait diligence, arrive à Rome le 17 décembre, gagne le Pape Léon VIII,et se fait couronner empereur dans l’église de St-Pierre, le jour de Noël. En le couronnant, le Pape le proclama « protecteur, » seigneur et roi d'Italie. » Le successeur de Saint-Pierre semblait, dans ce double titre qu’il donnait à celui qu’il venait d’oindre, se placer sous sa protection et se faire pour ainsi dire son vassal, mais dans le lait « le couronnement de Charles lui donnait lieu de mettre les Papes en possession d'élire et de créer les empereurs qui dépen-» datent d'eux, au lieu que les Papes dépendaient au-
- p.122 - vue 123/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 123
- 'parafant des empereurs. Le Concile de Pontion (en juin 876), où Charles fait confirmer son élection par les évêques et seigneurs des Gaules, prête une nouvelle force aux prétentions papales. Le Chauve, en effet, s’y fait le champion de ces prétentions contre ce mêmeHinckmar qui l’avait aidé naguère dans sa lutte contre l’arrogance d’Adrien II.
- Enfin le capitulaire de Kiersi, selon l'expression vraie de notre grand historien moderne, couronne le triste règne de Charles,et peut être considéré comme l’acte d’abdication de la Royauté franque. Dans un seul des articles de ce capitulaire, « la royauté vaincue sanctionnait sa défaite,et l’hérédité des offices et des bénéfices presque partout triomphante en fait, était solennellement érigée en droit : 1 ère féodale était ouverte, un nouveau droit politique allait sortir du chaos où l’Occident se débattait depuis la charte de la société Romaine. » Voici le texte de l’article en question :
- « Si un comte de notre Royaume vient à mourir, « et que son fils soit avec nous (en Italie), que notre « fils et les fidèles choisissent quelques-uns de ceux « qui ont été les plus proches et les plus intimes du « dit comte, lesquels, do concert avec les officiers « (minîsterialibus, les vicaires, les centeniers, etc.) « du comté et de l'Evêque diocésain, prendront soin « du comté jusqu’àce que cous soyons prévenus,et que « nous puissions conférer la dignité du père au fils « qui sera près de nous. Si le comté n’a qu’un fils en « bas âge, les officiers du comté et l’Evêque, aideront # l’enfant à prendre soin du comté, jusqu’à ce que « nous sachions la mort du comte, et que le fils « enfant, par notre concession, soit honoré des hon-« neurs paternels. Si le comte défunt n’a point de « fils... nous pourvoirons à son remplacement selon « notre volonté... Il en sera de même pour nos vas-« saux que pour les comtes. Et nous entendons que « les évêques, abbés et comtes, et nos autres fidèles, « en usent semblablement envers leurs hommes. »
- D’un trait de plume, on le voit, le roi efface la distinction qui existait entre l’envoyé royal et le seigneur propriétaire. Les titres de duc et de comte n’expriment plus seulement un office, un honneur, une dignité, mais une souveraineté. En un mot la féodalité est écrite dans la loi.
- Cette loi fut le testament de Charles après la mort duquel Louis II, dit le Bègue, s’inst'tuant « roi des français par la Miséricorde de Dieu et l’élection du peuple, » dont la variante a été de nos jours : « Par la grâce de Dieu et la volonté national , Empereur « des français », Louis II, disons-nous, t rie le Pape Jean VIII chassé de Rome par les seigneurs d'Italie, « de confirmer, en vertu de son privilège, l’ordon-
- nance par laquelle son père lui transmettait la couronne. » Toujours la Papauté s’élevant sur les débris de la Royauté !
- A Louis II mort en 879, succèdent Louis III et Car-loman. Ce dernier ne survit au premier que de deux ans (de 883 à 881) ; mais c’est assez assez de temps pour qu’il abandonne la France à elle-même, et la laisse démembrer par les grands laïques ou ecclésiastiques dont elle subit la donation.
- Vient ensuite Charles le Gros sur la tête duquel, comme par une sorte d’ironie du sort, viennent s’accumuler toutes les couronnes. Point de cœur, mais beaucoup de ventre, âme lâche, intelligence obtuse, mannequin entre les mains du clergé, incessamment appliqué à l’oraison et aux chants des psaumes,, bedeau et sacristain plutôt que roi, sous son règne tout se disloque de plus en plus et, à sa mort,l’union des royaumes placés sous son sceptre se dissout complètement, Alors un homme qui n’est pas de la race Charlemagne, Eudes comte de Paris et duc de France, s’empara de l’autorité royale; Eudes, fils de Robert le Fort, souche des capétiens, se fait oindre par Walter ou Gautier archevêque de,Sens.
- De Eudes à Hugues Capet, un siècle s’écoule durant lequel, sans nous occuper des 5 ou 6 rois qui se partagent les provinces de l’Empire, des seigneurs qui se créent des Etats indépendants, on voit s’asseoir sur le trône : Charles III, dit le simple, Robert Ier, Raoul, Louis IV d’outre-mer, Lothaire et Louis V dit le fainéant.
- Les invasions des barbares continuent pendant une grande partie de ce siècle, et à ces invasions viennent se joindre les déchirements intérieurs, les fureurs de la guerre civile.
- Dans l’anarchie engendrée par ces guerres civiles, au milieu des calamités et des crimes qui marquent cette époque, l’Eglise que l’on a vue, à de certains moments, opposant à la force brutale une force morale salutaire, l’Eglise perd toute cette force morale. Elle se fait, à l’image de la société civile au milieu de laquelle elle vit : matérielle, violente sanguinaire. Le clergé ne songe plus qu’à accroître ses domaines , c’est dans les richesses qu’il cherche son influence; c’est par les armes qu’il prétend conquérir son autorité. Possesseur de fiefs, il les distribue pour se faire des créatures. C’est dans l’aristocratie qu'il se recrute. Les évêques et les abbés endossent l’habit militaire, et l’épée au côté, ne se contentent pas de défendre les cathédrales et les monastères transformés en forteresses, mais encore pillent les grandes routes, détroussent les passants.
- Les Eglises, dans certaines contrées, deviennent des auberges,où viennent s’attabler des femmes per-
- p.123 - vue 124/836
-
-
-
- 124
- LE DEVOIR
- dues. Les Evêchés et les Abbayes ont à leur tête des barons dont la plapart mariés transmettent héréditairement avec leurs domaines, leurs dignités sacerdotales. « La papauté elle-même, dégouttante de sang et de débauches ne songe plus à la suprématie spirituelle du monde; elle ne veut que se faire une seigneurie féodale dans Rome. »
- Les femmes mêlées à tous les événements yjouent un rôle considérable par leur intelligence, leurs crimes ou leurs passions. On les voit même (Marozia et Théodora) élire et disposer des papes. '
- Bref, l’état des choses était tel au sein de l’Eglise, que Mayeul, abbé de Cluny, refusait de s’asseoir sur le trône pontifical, craignant d’y souiller sa robe d’abbé, et qu’un Prélat après avoir, dans un écrit, exposé la corruption du Clergé, disait : « Supposé qu’un homme bigame avant la cléricature, ayant après le sacerdoce plusieurs femmes, guerrier, parjure, ivrogne, chasseur, soit mis comme Dieu le permet, sur le siège apostolique de Rome, si je vais me plaindre à lui de quelque injustice, et qu’il écrive pour ma défense à celui qui fait du tort, celui-ci ne lui dira-t-il pas qu’il voie la paille qui est dans l’œil de s'on frère, et ne voit pas une poutre dans le sien. Mais un tel pape ne pourra condamner celui dont les sentiments sont semblables aux siens. » Cet aveu de la moralité de l’Eglise est assez concluant pour que nous soyons dispensé de rien ajouter.
- (A suivre). C. P. Maistre,
- LE- MOUVEMENT SOCIAL A L'ÉTRANGER
- Les Sociétés de secours mutuels de l'Angleterre, — Leur puissance. — La nécessité de les contrôler. — Les indigents qui ont appartenu à une société et fait preuve de prévoyance. — L’enseignement professionnel réclamé en Belgique. — Les vices de l’apprentissage — Echec de la colonie coopérative de Rugby (Tenesseei. — Causes de cet échec.
- Les sociétés de secours mutuels ont acquis un immense développement en Angleterre, oii elles sont d’ailleurs fort anciennes. D’après le dernier rapport de M. Ludlaw, General Registrar, qui ne mentionne que celles de ces institutions qui se sont fait enregistrer, le nombre des membres desdites sociétés était, à la fin de 1880, de 4,692,000, et l’ensemble de leurs fonds s’élevait à 303,700,000 fr. Si l’on ajoute à cette somme 712 millions et demi appartenant aux sociétés de construction de maisons, lesquelles donnent aussi satisfaction à l’esprit de prévoyance, et les 150 millions de la coopération, on arrive à un total de 1 milliard 166 millions 200,000 fr. d’épar-
- gnes appartenant à des ouvriers, en dehors de ce qui se trouve déposé dans les caisses d’épargne.
- Les Sociétés de secours mutuels (friendly societies) sont considérées-comme rentrant dans les institutions d’épargne parce que, en général, elles sont des institutions d’assurances sur la vie, garantissant à leurs membres une pension dans leur vieillesse et une pension ou un secours temporaire aux veuves, veufs et orphelins.
- Des abus, provenant particulièrement d’une absence de contrôle et d’un faux calcul des probabilités, s’étant produits, on fit en 1875 une loi accordant certains privilèges aux Sociétés qui se feraient enregistrer, et qui, par conséquence, soumettraient leurs statuts à une vérification. Le Registrar, en efïet, refuse l’enregistrement aux Sociétés dont le contrôle n’est pas suffisamment organisé, et à celles dont les promesses ne sont pas conformes aux tableaux des calculateurs ou actuaires.
- Un certain nombre de Sociétés ont jusqu’à présent refusé de se soumettre à l’enregistrement. Il en résulte qu’assez souvent on en voit crouler subitement, pour le plus grand dommage des personnes qui ont eu confiance en elles.
- Un membre de la Chambre haute, lord Lymington, a entrepris une campagne pour obtenir que l’enregistrement et les conditions qu’il implique soient, non plus facultatifs, mais obligatoires. A l’appui de sa demande, le noble lord invoque une statistique curieuse : celle des pauvres recueillis dans les « workhouses » ou hospices de la vieillesse, qui ont appartenu à une Friendly Society, et qui sont dénués de ressources par suite de l’écroulement de celle-ci. Le nombre en est de 3,913.
- Voilà donc près de quatre mille personnes auxquelles on ne saurait reprocher leur imprévoyance, qui, au contraire, ont fait preuve de cette vertu, et qui se trouvent réduites à la condition humiliante de pensionnaires de la charité publique.
- On leur reprochera peut-être de ne pas avoir bien su choisir la Société à laquelle ils confiaient leur budget de la prévoyance. Mais à la capacité et à la prudence que l’on exige ainsi des ouvriers ignorants, combien de capitalistes, — qui, eux aussi, fort souvent ne savent pas bien placer leur argent, — seraient capables d être membres d’une Friendly Society ?
- Au chiffre que nous venons de donner il faut ajouter environ 11,000 autres habitants des workhouses qui ont cessé de payer leur contribution à une Société, et ont ainsi perdu tout le bénéfice des versements faits. Lord Lymington fait observer que beaucoup de ces malheureux se sont trouvés dans l’obli-
- p.124 - vue 125/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 125
- gation de changer de résidence pour des raisons de travail, et qu’ainsi, ils ont perdu le bénéfice de leur adhésion à une Société locale.
- La conséquence de cette observation semble être qu'on devrait solidariser les diverses Sociétés locales, pour leur permettre de donner à leurs membres les mêmes avantages que les grandes associations qui s’étendent sur tout le Royaume-Uni, et dont les membres se chiffrent par cinq ou six cent mille, tels que les Odd Fellows et les Foresters.
- » »
- La question de renseignement professionnel se pose de la même manière dans tous les pays industriels. Nous avons trouvé dans le Franklin, de Liège, une lettre de Bruxelles, qu’on croirait écrite de Paris. L’auteur de cette lettre insiste sur l’intérêt considérable qu’il y a à former des ouvriers capables et en même temps, sur la décadence du savoir professionnel. Il fait remarquer que les apprentis rencontrent souvent, dans les ateliers, l’hostilité des ouvriers, qui trouvent généralement que la corporation est trop nombreuse, et qui, voyant dans le nouveau venu un futur concurrent, font tout ce qu’ils peuvent pour ne rien lui apprendre, et même pour le décourager.
- Nous avons entendu cette plainte formulée, avec un très grand courage, au Congrès ouvrier tenu à Paris il y a quelques mois, et nous avons constaté avec plaisir que les membres du Congrès partageaient, sur ce point, l’opinion de l’orateur.
- Le seul remède qu’on puisse opposer à ce mal, c’est la réorganisation de l’enseignement professionnel, et la substitution d’écoles à l’atelier ordinaire
- pour la préparation des futurs ouvriers.
- *
- * *
- Le Co-operative News nous apporte une triste nouvelle, mais qu’il donne avec un courage que nous devons savoir imiter. Il ne sert, en effet, à rien de dissimuler les échecs que rencontre la coopération. Il importe au contraire de les signaler, et d’en tirer des enseignements en recherchant les causes qui les ont produits, afin de pouvoir les éviter à l’avenir.
- L’échec auquel nous faisons allusion est celui d’une colonie coopérative agricole,que M. Thomas Hughes, un des partisans anglais les plus dévoués de la coopération, avait voulu fonder à Rugby, dans le Te-nessee (Etats-Unis).
- La cause que l’on attribue à cet échec est l’incompétence de M. Hughes dans les questions d’agriculture et de colonisation. L’éminent avocat aurait été la proie des « faiseurs d’affaires » éhontés, dont, dans sa candeur, il ne se serait pas défié !
- La conclusion de ceci est qu’il ne suffit pas d’avoir I
- d’excellents sentiments et des connaissances générales ; quand on s’attelle à une entreprise, il faut connaître l’industrie que l’on entreprend, et la connaître sous toutes ses faces. Quand on veut faire de la coopération, les principes ne sont pas tout, il faut connaître les affaires pratiquement.
- LiA LETTRE CHARGEE
- Le Jour de l’an 1869 !... On en parlera longtemps dans cette tranquille petite maison de la rueürussol où tout n’était que sourires ii y a huit jours, où tout est aujourd’hui d solation et épouvante.
- A ce deuxième étage, où de si gais oiseaux gazouillaient au milieu de si verdoyantes cor beilles, que les fenêtres avaient l’air de bosquets embaumés, les gens de loi sont venus, et les gens de deuil, et les gens de justice; et tandis qu’un cercueil s’en allait au Père-Lachaise, tandis qu’une voiture roulait vers la Maison-Blanche, on a mis les scellés partout, sur ies cages et sur les corbeilles, et de petites affiches à timbres noirs annoncent pour jeudi prochain la vente après décès !...
- Il y a un an, deux jeunes gens habitaient là, vivant de cette vie familière et com mune dont l’intimité commencée sur les bancs du lycée, cimentée par une similitude de goûts et de caractères, crée parfois de si solides et de si franches affections.
- Paul était élève ingénieur ; Emile était clerc de notaire. Après avoir été copains d’études, ils s’étaient retrouvés au début des combats de la vie, et avaient résolu de traverser ensemble cette période d’épreuves où le choix d ïs liaisons est si difficile, entre les bancs de l’école et la vie pratique.
- Jamais un mot, jamais un mouvement d'humeur n’avaient altéré la sérénité de leur amitié. Fallait-il qu’elle fût sincère et robuste, loyale et dévouée !
- Paul avait une maîtresse, une bonne et franche fille, qui partageait presque absolument leur existence commune, et jamais Paul, qui en était éperdû-ment épris, n’avait eu la pensée de s’étonner qu’Emile tutoyât sa maîtresse ; et jamais Emile, qui se serait jeté au feu pour aller ramasser l’éventail de la jeune fille, n’avait eu la pensée que sa familiarité pùt étonner Paul.
- Leur amitié était basée sur l’estime et la confiance, — une confiance si grande qu’aux premiers jours d’avril dernier, Paul, qui depuis quelque temps était en pourparlers avec une Compagnie américaine pour la construction d’un chemin de fer, dit à son ami :
- — Une occasion se présente pour moi de faire mes preuves et de m’affirmer dans ma carrière. On m’ofîre la direction des travaux d un chemin de fer dans la Louisiane. Je vais être obligé de rester au moins un an absent. Je ne puis emmener Hortense,et la pensée de l’abandonner me brise le cœur. En amour, la défiance est un mérite. Je ne confierais pas Hortense à mon frère... Je te la confie, à toi. Tu veilleras sur elle comme sur une sœur, et dans un an, quand je reviendrai, je la retrouverai pure et digne de moi... elle sera ma femme.
- — Tu peux compter sur moi, avait répondu simplement Emile en serrant la main de son ami.
- Et Paul était parti tranquille et confiant.
- p.125 - vue 126/836
-
-
-
- 126
- LE DEVOIR
- Et ils étaient restés seuls. — Elle avec toutes les séductions de la beauté et de la jeunesse, lui avec toutes les ardeurs d’un cœur vierge à vingt ans et ouvert à tous les appétits des aspirations amoureuses. Ce feu grisou avait accepté tout naïvement de vivre en tête-à-tête avec cette poudrière, sans songer qu’il put y avoir au monde des étincelles, et dans ces étincelles, le germe immédiat de formidables explosions !
- A vingt ans, ils avaient fait abnégatien, lui de ses désirs, elle de ses instincts, pour concentrer toutes leurs pensées, tous leurs propos, toutes leurs volontés dans la satisfaction suprême du devoir accepté et accompli.
- fît tout le temps, quand Horténse revenait de l’atelier, quand Emile allait l’attendre au sortir de l’étude, ils parlaient d’amour et de passion partagée, lui, plaidant la cause de l’amant absent, elle, se laissant doucement bercer le cœurà ces murmures pleins de délectations muettes*
- Et le dimanche, quand l’étude chômait, quand l’atelier était fermé et qu’ils s’en allaient tous les deux à Meudon, à Saint-Mandé, aux fêtes, aux réunions de plaisir, les passants s'arrêtaient pour regarder ce couple si jeune, si beau, à qui tous les rayonnements du bonheur semblaient sourire et on disait en les voyant :
- — Que c’est gentil, l’amour!
- Et les voisins d’Emile, en lorgnant la fenêtre où s’accoudait le soir ce duo si harmonieux, disaient :
- — Voilà le paradis !
- *
- 4 4
- Ce paradis était un enfer !
- A force de parler d amour à la jeune fille, Emile avait senti en lui s’éveiller, écho magnétique, un monde de sensations étranges, innommées, dont il cherchait en vain à méconnaître l’action et la nature, et qui répondait à ses paroles par d’impérieux appels et de véhémentes sommations.
- A force de l’entendre, la jeune fille avait fini par se dire que nulle voix au monde ne parlait mieux le langage de la passion vraie, et que la femme qui serait aimée comme saurait aimer Emile, serait bien heureuse.
- La flamme qu’ils avaient voulu attiser pour un autre les brûlait jusqu’à la moelle ; et le scrupule, et le devoir, et le serment donné à l’absent, avaient 5 beau faire, la flamme montait, et les dévorait.
- Sans s’être rien dit ; sans avoir mis la moindre confidence dans un geste, dans un regard, ils en étaient venus à s’effrayer du tête-a-têîe, ils en étaient venus à ne plus oser parler de Paul, de ses amours et de ses espérances. Son nom n’était plus prononcé ; il aurait sonné à leurs oreilles comme un reproche.
- Emile n’eut plus bientôt pour Hortense ni attentions, ni prévenances, tant il craignait de se trahir.
- Il affecta de lui parler de connaissances qu’il n’avait pas faites, et d’intrigues amoureuses qui n’existaient pas.
- Il achetait chez les papetiers des photographies de femmes galantes et les montrait à Hortense, en lui disant :
- — Voilà ma maîtresse... Comment la trouvez-vous ?
- Ils ne se tutoyaient plus.
- Et Hortense répondait avec une indifférence absolue :
- — Elle est très jolie.
- Et tous deux se retiraient et s’allaient cacher dans leur chambre pour pleurer.
- Depuis trois mois, Paul n’écrivait plus, ne répondait plus aux lettres d’Emile.
- Hortense lui avait écrit deux fois sans recevoir de réponse.
- Les choses en étaient là le premier janvier au matin.
- Emile attendait le réveil d’Hortense pour lui faire ses souhaits et son présent d’étrennes.
- Il avait réussi â se procurer chtz les parents dé Paul une photographie réduite de son portrait, et l’avait enchâssée dans un joli médaillon en or portant en poussière de brillants l’initiale d’Iior-tense.
- Quand la jeune fille reçut le présent et ouvrit la cassolette, quand elle vit le portrait de Paul, elle rougit, pâlit, et se prit à pieurer.
- Pourquoi ces larmes ? dit Emile tout prêt lui-même à suffoquer. Il reviendra bientôt.
- — Vous ne me comprenez pas,répondit Hortense. .. je pleure, mais c’est de plaisir...
- Et elle éclata en sanglots.
- Emile sortit, et ne rentra qu’assez avant dans la soirée. Hortense l’attendait, assise au coin du feu, pleurant toujours.
- Le médaillon était sur la cheminée, entr’ouvert. Emile assez embarrassé de sa contenance, y jeta machinalement les yeux, et poussa un cri... son portrait avait remplacé celui de Paul dans la cassolette !
- — Que signifie cela? s’écria-t-iL Hortense qu’avez-vous fait !...
- — Laissez-moi, dit-elle, s’emparant du médaillon, et ie glissant rapidement dans son corsage Laissez-moi. .. ne me parlez pas... je deviens folie!...
- — Folle, répéta Emile réellement effrayé.
- — Mais tu ne vois donc rienl tu ne comprends donc rien!... s’écria la jeune fille en proie à une violente exaltation. Tu ne vois donc p«s que cette existence est impossible?... Tu ne comprends donc pas que je t'adore et que cette vie de mensonge et de contrainte me tue !...
- En l’entourant de ses deux bras, elle cacha en san* glotant sa tête dans la poitrine du jeune homme qui tremblait comme un malade agité par la fièvre.
- Il laissa au premier moment de cette émotion intense le temps de se calmer; puis faisant un effort sur lui-même il se dégagea de l’étreinte de la jeune fille, et l’obligeant à s’asseoir, il lui dit d’une voix brisée :
- — Moi aussi, Hortense, je vous adore !...
- — Ah ! mon Dieu !... interrompit Hortense affolée de joie.
- — Laisse-moi parler... Je t’adore! Ce n’est pas d’hier... il y a longtemps. J’ai vainement lutté contre ce sentiment qui me débordait... Fou que j’étais ! Comment ne pas t’aimer ?
- — Oh! merci... mon ami...
- -Laisse-moi parler... Quand je sentais cet amour envahir mon cœur, le souvenir de Paul se dressait devant moi comme un reproche. A l’heura actuelle, je le vois devant moi comme un remords.
- — Je t’aime !... balbutia la jeune fille.
- — Tais-toi... Ces paroles sont une infamie... Pauvre garçon ! il est tranquille là-bas, se fiant à notre honneur, comptant sur ta loyauté, sur ma parole, et nous...
- Il s’arrêta étranglé par les larmes.
- p.126 - vue 127/836
-
-
-
- LË DEVOIR
- 127
- — Pourquoi n’est-il pas là !... fit brusquement Hortense.
- — Parce qu’il a confiance en nous. A. aucun prix, je ne la trahirai... plutôt mourir !...
- J’en mourrai à coup sûr, moi !
- Ils s’arrêtèrent... et un regard étrange s’échangea entre eux comme un courant magnétique. Toutes leurs pensées accumulées, toutes leurs émotions semblaient se fixer sur cette pensée de mort brusquement évoquée comme une menace, un refuge ou une expiation.
- — Oh ! oui ! reprit la jeune fille, résumant toutes les impressions amoncelées dans cette seconde, j’aime mieux mourir que de penser...
- Elle n’acheva pas. Elle allait prononcer le nom de Paul.
- Emile lui prit les deux mains, se plaça en face d’elle, et fouillant d’un regard effrayant la pensée désespérée qui se lisait dans le regard de la jeune fille :
- — Veux-tu ?... lui dit-il lentement, avec une énergie sombre.
- Hortense se leva, câline, solennelle.
- — Tout de suite ! dit-elle.
- Et se jetant dans les bras l’un de l’autre, ils se tinrent longtemps embrassés.
- Ils venaient de prononcer leur arrêt de mort.
- *
- * *
- Le lendemain matin, d’assez bonne heure, le facteur de la poste se présenta au domicile d’Emile, porteur d’une lettre chargée au timbre de la Nouvelle-Orléans.
- On frappa, sonna inutilement à la porte. Personne ne répondit. Le facteur allait se retirer lorsqu’une voisine le retint, affirmant qu’Emile était chez lui.
- On sonna de nouveau, on frappa... Quand tout à coup la voisine pâlit.
- •— Vous ne sentez rien';?... dit-elle effrayée.
- — Non.
- — Cette odeur... de charbon... Mon Dieu! Seigneur! est-Ge qu’il y aurait un malheur dans la maison ?
- Le concierge, interpellé, fit savoir que la veille au soir, très tard, Emile était sorti pour aller acheter un boisseau de charbon.
- La voisine se rappela que la vaille, à diverses reprises, elle avait vu Hortense à la fenêtre les yeux tout gros et tout rouges de larmes.
- — Plus de doute, s’écria-t-elle, ils se sont péris... faut chercher l’autorité.
- L’autorité appelée fit ouvrir la porte,
- Les prévisions de la voisine n’étaient que trop justes. Les jeunes gens étaient étendus, Hortense sur le lit, Emile sur la chaise longue inanimés et glacés.
- On s’empressa de leur prodiguer des soins.
- Hélas ! tous les efforts furent inutiles pour ranimer Emile. Le gaz carbonique avait fait son œuvre : il était mort 1
- Hortense respirait encore... on réussit à la sauver.
- Quand elle eut reprit ses sens, le magistrat procéda devant elle à l’ouverture de la lettre chargée adressée à Emile.
- Elle ne contenait que ces mots :
- « Mon cher ami, je vous la souhaite bonne et heureuse, à toi et à ta petite femme, car tu penses bien que je ne suis pas assez bête pour croire que tu as attendu ma permission pour faire d’Hortense ta maîtresse 1
- « N’aie pas de regrets de ce petit manque de j parole; je suis marié depuis un mois.
- “ Paul. »
- Hortense, à cette lecture, se leva, courut â la chaise longue où était couché le cadavre d’Emile, et lui montrant la lettre avec des mouvements fébriles ;
- — N’est-ce pas, s’écrie-t-elle, quelle est bien drôle, la farce ?...
- Et elle partit d’un grand éclat de rire. Elle était folle.
- Flor O’squarr.
- ------------------------
- LE JOORWAL lÉCOLE
- Pendant de longues années, les instituteurs,sevrés de livres spéciaux, en étaient réduits à forger tant bien que mal — plus souvent mal que bien — les devoirs qu’ils avaient à donner à leurs élèves t modèles d’écriture, dictées hiéroglyphiques ou insignifiantes, des verbes — surtout, — et des analyses grammaticales, logiques, interminables,de véritables rébus indéchiffrables, même pour le maître..., et c’était tout !
- Grâce à Dieu, ces jours sont déjà loin de nous, et aujourd’hui livres et revues pullulent dans toutes les écoles publiques ou libres des départements même les moins favorises.
- L’instituteur routinier — à l’état bientôt de légende, il est vrai n’a actuellement nulle excuse de son apathie à alléguer ; il n’a qu’à ouvrir les yeux et avancer la main : grammaire des mieux conçues, géographies, histoires, traités divers de sciences et arts, tous les ouvrages possibles et imaginables adaptés à l’enseignement primaire de tous les degrés lui sont offerts presque gratuitement, où il peut puiser largement et avec beaucoup de fruit mille sujets différents, pratiques, utiles, intéressants, et bien propres à développer le cœur, l’esprit et toutes les facultés de l’enfant.
- Mais, à part ces ouvrages, qu’un bon instituteur à toujours sous sa main, comme un grenier d’aborn* dance et de réserve, il y a des publications hebdomadaires qui, sous divers noms vont rendre visite à la plupart de nos écoles ; sentinelles avancées de l’instruction, ces revues, outre les |nombreux sujets de devoirs scolaires qu’elles portent tout mâchés à chaque professeurs, devoirs d’actualifé pour le plus grand nombre, par les questions d’examens qu’elles renferment les cours de pédagogie qu’elles développent, les programmes qu’elles élucident, les programmes qu’elles élucident, les savants conseils d’ami qu’elles donnent, ces revues, dis-je, rendent des services inappréciables, supériebrs même â ceux des livres spéciaux, à tous les membres de l’enseignement primaire.
- p.127 - vue 128/836
-
-
-
- 128
- LE DEVOIR
- En effet, la plupart du temps, un livre est relégué, quand'on l’a lu, au fond d’un bureau ou de la bibliothèque, dont on ne l’extrait que rarement et quand on est aux abois. Le journal hebdomadaire, qui arrive comme ua ami, périodiquement, apportant l’inconnu, est visité lu d’un bout à l’autre, parfois relu : et il est impossible qu’en voyant des sujets bien traités, des problèmes nouveaux ou une ques-oubliée ou pas sue l’instituteur né s’avoue qu’il peut mieux faire qu’il ne fait qu’il doit travailler encore lui-même pour se tenir au niveau du jour,et pousser ses élèves,afin que leurs connaissances ne soient pas inférieures à celles des autres classes bien tenues.
- Or, parmi les nombreuxjournaux d’éducation, il en est un qui renferme, à un degré éminent, les qualités que la plupart de ses confrères n’ont qu’à l’état d’ébauche plus ou moins parfaite : je l’ai nommé, c’est l’Ecole.
- Cette Revue, qui parait tous les dimanches, a pour directeur le savant et sympathique député de Vaucluse, M. Martin.
- Elle en est à sa quatrième année d’existence, et le succès et la faveur qu’elle a obtenues auprès du public enseignant sont la juste récompense des services qu’elle ne cesse de lui rendre.
- Son premier article traite de l’éducation civique dans les classes.
- Un cours de pédagogie spécial aux candidats au certificat d’aptitude fait suite au traité d’éducation civique. Aujourd’hui que la Société réclame des hommes sérieusement instruits, il est de première nécessité que les instituteurs donnent, avant d’obtenir un poste important, des preuves complètes de leur savoir-faire en éducation : le certificat d’aptitude pédagogique doit être le but de tous les membres de l’enseignement primaire ;
- L’Ecole, dans ses articles spéciaux, donne des conseils et des leçons tels qu’un maître intelligent et actif peut aspirer à réussir dans cette nouvelle et honorable épreuve.
- A part la chronique scolaire, qui relate tous les faits utiles à savoir au sujet des classer, l’Ecole, dans son supplément, met sous les yeux du lecteur une foule d’articles tendant à étendre, à développer l’éducation et l’instruction parmi le sexe faible aussi bien que chez les garçons, et à rectifier une fonle de croyange surannées ou fausses, qui ont malheureusement encore trop cours dans beaucoup d’écoles publiques.
- Je ne parle que pour mémoire des dictées des trois cours, de grammaire, de compositions française, et d’exercices de calcul et de dessins, nombreuses et
- Ibien graduées, ainsi que de l’enseignement commercial traité de main de maître par Neifredy.
- Une leçon de lecture expressive, respirant i’amonr de ia patrie, du beau et du bon, s’y étale à tous les •numéros.
- Enfin, les développements des sujets divers donnés aux examens et concours de la France entière, complètent cet ensemble de devoirs de la façon ia plus utile pour les instituteurs, leurs sous-maîtres et les élèves du cours supérieur.
- Ajouter que le texte est imprimé sur bon et beau papier, que le caractère en est net et agréable à ,la vue, que le prixde cette excellente Revue n’est que de six francs par an, c’est engager fortement tous les maîtres qui ne la reçoivent pas encore à adresser immédiatement une demande d’abonnement à la librairie Picard-Bernheim, 11, rue Souffiot, Paris.
- J. F. Gasc.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCES: .
- Le 12 Février. — Nicolas Charles-Emile, fils de Nicolas Emile et de Lesage Virginie.
- Le 18 » — Massé Paul-Octave, fils de Massé
- Octave et de Taminot Adolomine.
- TJn pliénomèsie
- « Ursus ethomo! » Ces deux caractères de « l’homme qui rit » de Victor Hugo n’en font qu’un dans la personne d’un jeune homme du Vermont nommé Maris-sal. Son père est Français, sa mère est Irlandaise. Pendant que cette pauvre femme était enceinte, le mari devint jaloux, sans raison, de son voisin. Le voisin avait un ourson. Marissal, dans un accès de colère, fit une scène à sa femme, tua l’ours d’un coup de hache et le jeta tout ensanglanté sur les genoux de son épouse. L’enfant que la pauvre mère mit au monde a ia forme d'un ours. Pendant vingt ans, le père le souffrit tant bien que mal. Au mois de février dernier, dans un moment de fureur, il parla de tuer son enfant. Celui-ci entendit cette menace, et il se réfugia dans la forêt. Pendant quatre mois, il vécut comme le Nabuchodonosor antique.
- En juin dernier, un parti de chasseurs le rencontra; il avait les cheveux longs de 15 pouces, la figure émaciée, pas de vêtements, et trois hommes ne pouvaient réduire ses forces. On le persuada de rentrer dans la vie civilisée et de se montrer comme une curiosité. Cet homme ours s’est montré à la foule la semaine dernière. La figure est bien humaine, il porte moustache et barbiche, ses sourcils sont fort épais. Ses mains ont la forme des pattes de l’ours, pas d’os dans le pouce, et le dedans est calleux. Au bas de i’épine dorsale, il y a un rudiment de queue. Il marche à « quatre pattes », et quand il marche sur ses pieds, il se balance comme i’ours et se lasse très rapidement. Il parle anglais, il chante, il raconte sa vie. Il dit aussi quelques mots de français. Le garçon Marissal est une véritable curiosité'et mérite de figurer avec les autres merveilles de Barnum.
- | —--------------------------------------------
- * Le Directeur-Gérant : GODIN
- Saint-Quentin — lmp. de la Société anonyme du Glaneur
- p.128 - vue 129/836
-
-
-
- dje numéro hebdomadaire 20 c.
- DIMANCHE a MARS 1882.
- 6* ANNÉE, TOME 6 — N° 182
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . lOfr.n» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m w me mm
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Les Réformes politiques et la question sociale. — Voyage autour du Familistère, 2e partie XIV. — Chronique locale. - Faits politiques et sociaux. V— Etudes anticatholiques : les Ecritures. — Le Magnétisme. — L’Eglise et l’Etat : de Charlemagne à François ier (suite). — Le Foutah-Djallon. — Etat-civil du Familistère.
- LES RÉFORMES POLITIQUES & LA QUESTION SOCIALE-
- Depuis les dernières élections, la grande question à l’ordre du jour c’est la question des réformes politiques. Dans le monde officiel, dans les réunions publiques, dans la presse, on ne parle que de réformes ; tout le monde s’en ocoupe, on les discute dans les salons aussi bien que dans la ferme, et il faut que le besoin en soit urgent pour provoquer une pareille unanimité d’appréciations dans le pays. C’est sur cette plate-forme que les élections, tant de 19- Chambre que du Sénat ont été faites, et il est impossible de méconnaître que c’est là un des deside-
- rata qu 3 les électeurs ont eu le plus à cœur. Ils ont très clairement exprimé leur volonté dans ces deux circonstances solennelles, et ils n’ont laissé subsister aucune équivoque à cet égard dans les esprits. Gela est si évident, que nous voyons aujourd’hui les membres du cabinet éphémère de M. Gambetta et ceux du ministère actuel animés d’une émulation qui serait louable, si elle est réellement dictée par le désir exclusif du bien du pays, lutter de vitesse pour proposer des lois destinées à opérer quelques-unes des réformes réclamées.
- C’est ainsi que dans l’espace de quelques jours à peine, il a été déposé sur le bureau de la Chambre une série de propositions de lois sur la magistrature, sur l’enseignement secondaire libre, sur la nomination des maires par les conseils municipaux, sur le service militaire et la réorganisation de l'armée, sur le Concordat, sur la responsabilité en matière d’accidents, sur les associations, etc., etc., dont les auteurs font preuve de bonne volonté pour donner satisfaction, dans une certaine mesure, aux aspirations et aux besoins du pays.
- Certes un pareil bon vouloir est à tous les points de vue digne d’éloges. La France éprouve le besoin de réformes sérieuses et radicales dans sa législation, les candidats aux élections lui en ont promises et, députés, ils ont le désir de prouver la bonne foi de leurs promesses, en tenant au plutôt leur parole. Qui pourrait leur en faire un crime ? Personne assurément, et nous moins que tout autre. Cette honnête politique est chose malheureusement trop rare, pour que l’on ne lui rende pas l’hommage mérité partout où l’on a la bonne fortune de la rencontrer.
- Nous irons même plus loin, encore. Nous recon-
- p.129 - vue 130/836
-
-
-
- 130
- LE DEVOIR
- naîtrons que tous ces projets de loi si divers, si peu reliés entre eux, sont empreints de bonnes intentions et répondent, chacun en ce qui le concerne, à un besoin réel, à une lacune à combler. Leur vote pourra réaliser probablement une amélioration dans la branche de la législation à laquelle elles se rapportent, et ce sera un pas nouveau vers le progrès.
- Cette justice ainsi rendue aux bonnes dispositions des représentants du pays, nous nous demanderons si parmi les réformes réclamées d’une commune voix par les électeurs, il n’y en a point de plus urgentes, de plus impérieuses, de plus indispensables les unes que les autres, et si, par conséquent, il n’y aurait pas lieu de donner le pas à certaines améliorations sur toutes les autres ? A cette question, ce sont les faits eux-mêmes qui répondront.
- Qui donc, dans le pays, n’a point été frappé de la chûte rapide de ce cabinet, dont l’avènement avait été accueilli avec tant de faveur par la Chambre,qui fondait sur son chef de si brillantes espérances ? Qui ne s’est demandé comment deux mois à peine avaient suffi, non-seulement à affaiblir cette popularité rare, mais encore à la transformer en antipathie absolue, complète ? M. Gambetta est-il tombé si vite du Capitole à la Roche Tarpéienne pour quelque méfait notoire, pour quelqu’un de ces attentats aux libertés du pays que le pays ne pardonne point ? En aucune façon : il paraît être tombé parce que, ne faisant pas un sage discernement entre les réformes à réaliser immédiatement et celles qui pouvaient se retarder, il a imprudemment mêlé à la question de révision de la Constitution celle du scrutin de liste, qui n’avait rien d’urgent ni même d’utile pour le moment.
- Dans les cercles politiques en général, et dans ceux du monde officiel tout particulièrement, on a le tort de croire que la majorité du pays attache de l’importance à certaines questions de politique pure, pour lesquelles on se passionne dans leur milieu un peu factice, et qui le plus souvent sont la cause unique de la chûte des cabinets. Or la vérité est que l’électeur de la campagne et même de la ville, le travailleur qui fournit le plus fort contingent à la masse élestorale, puisque l’on compte en France dix millions passés de travailleurs et qu’il n’y a guère que dix millions d’électeurs, est peu passionné pour toutes les questions qui ne touchent pas à ses intérêts les plus sacrés, la prospérité du pays, si intimement unie à celle du travail, sa seule fortune, son unique moyen d’existence. Les réformes auxquelles il tient avant tout, celles pour lesquelles il se passionnera d’une ardeur exclusive, sont celles cjui doivent avoir pour résultat immédiat d’aug-
- menter son bien-être, s’il en a,ou de le lui procurer, s’il lui fait encore défaut, de lui garantir la sécurité de l’avenir en le mettant à l’abri de la gène sur ses vieux jours, alors que ses forces épuisées ne lui permettront plus de demander, comme aujourd’hui, au travail la satisfaction quotidienne de ses besoins et de ceux de sa famille. Plein de cette préoccupation, il accueillera avec satisfaction tout ce qui, de près ou de loin, lui paraîtra devoir lui faciliter les moyens d’atteindre ce but, et il restera complète -ment indifférent et froid pour toutes les autres dispositions.
- Qui donnait, sous l’empire, ces fortes majorités aux candidats officiels, et ces millions de oui aux plébiscites ? C’étaient les électeurs des campagnes. Pourquoi ? Etait-ce par ignorance, par stupidité, par peur, comme on l’a tant répété ? L’ignorance et la peur y étaient sans doute pour beaucoup ; mais la raison principale, c’était la prospérité apparente, provoquée dans le pays par l’extension donnée aux travaux des chemins de fer, et autres, prospérité qui permettait au paysan de bien vendre ses récoltes, et de faire fructifier son champ en apportant l’aisance dans son foyer. C’est à cette situation éminemment favorable que l’Empire a dû sa popularité rurale, et il n’a fallu rien moins que l’immense catastrophe de l’invasion,lui montrant ses champs dévastés, ses maisons incendiées, ses récoltes perdues, ses impôts accrus hors de toute proportion avec ses ressources, ses fils arrachés de la maison paternelle pour aller se faire tuer sur les champs de bataille, pour dessiller les yeux du paysan et lui faire apprécier sainement ce funeste régime.
- Que l’on ne s’y trompe pas : pour l’homme des classes laborieuses, travailleur des champs, ou ouvrier des villes, la question capitale, c’est le pain de chaque jour. Vivre est la loi primordiale, le besoin essentiel de l’homme; auprès de cette loi, de ce besoin vital, tout le reste est secondaire, et, par conséquent, les constitutions politiques les plus parfaites, si elles ne lui donnent pas satisfaction sur ce point n’auront pas plus de valeur à ses yeux, que la perle aux yeux du coq de la fable.
- Il en résulte logiquement qu’en fait de réformes, c’est à celles qui intéressent le plus directement cette loi suprême de l’existence, à celles qui seules peuvent contribuer à donner satisfaction à ce premier de tous les besoins de l’humanité, qu’il faut donner la priorité, elles qu’il faut poursuivre tout d’abord avec une activité sans trêve et sans relâche.
- Or nous voyons bien que le besoin de ces sortes de réformes est réel et vivement senti par les travailleurs. De nombreuses grèves viennent périodi -
- p.130 - vue 131/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 131
- quement le démontrer. La dernière de ces grèves, celle des mines de la Grand’Cornbe est caractéristique et de nature à nous renseigner, à défaut d’autres. Nous y voyons des ouvriers exploités à satiété par une compagnie puissante et sans entrailles qui non contente de leur donner des salaires minimes, leur impose encore arbitrairement des réductions injustifiables, s’arroge le droit d’administrer la caisse de retraites alimentée par les dures épargnes de ces travailleurs mal payés, et refuse de tenir compte de leurs versements à ceux d’entre eux qu’il lui plait de renvoyer. Certes si jamais iniquité fut flagrante, c’est assurément celle-là. Et contre elle quelle arme avaient ces malheureux ? Hélas, ils n’avaient que la grève, et ils Font employée. Si respectant la loi, on eut laissé les choses s’arranger entre les intéressés, le mal eut pu être grand, sans doute, mais il n’eut point été sans remède peut-être.
- En pareille occurrence le gouvernement impérial ne manquait point d’envoyer des troupes contre les grévistes, et contre eux seuls, eussent-ils mille fois raison. A la Grand’Cornbe, les grévistes avaient raison . Qu’a fait le gouvernement de la République ? Il a envoyé des bataillons, non point pour protéger, comme on pourrait le croire, les victimes contre leurs oppresseurs, mais pour prêter main-forte à ces derniers par contraindre les opprimés à reprendre le joug.
- Témoins de tels faits en l’an de grâce dans lequel nous vivons, douze ans après que la France a secoué de sur son manteau la poussière impériale qui le souillait, il nous est impossible de ne pas affirmer hautement qu’il y a là une réforme impérieuse, urgente à opérer sans retard. La révision de la Constitution peut attendre ; la question du scrutin de liste peut être différée ; ce qui ne peut l’être, ce qui n’attend pas, c’est l’homme qui a faim, le père dont les enfants demandent du pain et qui n’en a pas à leur donner. Or, que les gouvernements, que les hommes des classes dirigeantes le sachent bien : le travailleur qui renonce à son travail et au salaire qui devrait le faire vivre pour se mettre en grève, cet homme ne se décide à cette extrémité, que parce qu’il n’a plus de pain à donner aux siens, malgré le salaire de son travail, ou plutôt parce que le salaire de sonltravail ne le lui donne pas. Et pourtant il a droit à un salaire qui lui permette de faire vivre sa famille ; il a à cela un droit formel, strict, inéluctable. Le frustrer de l’exercice de ce droit, c’est se rendre coupable d’un crime à son égard. Ce droit est conféréjsolennellement par la loi suprême de vie, qui prime toutes les lois, organiques ou non, toutes les Constitutions des sociétés.
- C’est pourtant en vain que nous cherchons, parmi les diverses propositions de loi déposées à la Chambre, un projet qui vienne porter remède à ce mal, en organisant sur des bases plus équitables les rapports du travail et ;du capital, de façon à donner satisfaction, dans de justes limites et d’une manière stable, aux besoins des travailleurs de tout ordre et de toute catégorie, et à rendre inutiles les grèves en leur enlevant.toute-raison d’être.
- Pour nous, nous ne saurions trop le répéter, tant que dans notre pays, tout homme n’est point assuré de vivre en travaillant, tant qu’il peut y avoir des gens dépourvus du nécessaire, exposés à mourir de misère, nous dirons que l’essentiel est encore à faire, et nous réclamerons une législation mieux adaptée aux besoins sociaux de la nation.
- Quand donc les gouvernants finiront-ils par comprendre cette nécessité de faire passer avant tout autre les réformes sociales ? Quand donc, remettant les choses dans leur ordre véritable et naturel, cesserai on de se passionner pour des questions de politique pure, et de se tenir dans l’ignorance des questions bien autrement importantes qui touchent â l’existence sociale des peuples ? Quand donc enfin comprendra-t-on que seul le gouvernement qui assurera à tous le nécessaire à la vie aura rempli sa mission, et aura mérité le titre de bon, tandis que, sans cela, il n’existe et ne peut exister que de mauvais gouvernements ? Un père de famille qui administrerait sa fortune en la consacrant toute entière à des travaux d’embellissement et de luxe à sa demeure, tout en laissant les siens manquer du nécessaire, serait interdit par les tribunaux à la première réquisition. Tout gouvernement qui fait exclusivement de la politique, en méconnaissant les besoins sociaux, ressemble à ce père de famille digne des petites maisons.
- «"wvNAAAAAn/V'v.'Vv'-v^—
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE XIV
- Si les divers ateliers que nous avons déjà parcourus en détail sont vastes, que dirons-nous des magasins où vont s'empiler les produits fabriqués sortant de l’ajustage, du minage ou de l’émaillage? C’est dans cette immensité que viennent aboutir tous les meubles et tous les appareils qui se fabriquent à l’usine, pouryêtre classés, emballés, étiquetés en attendant l’heure de l’expédition. Tout y est rangé par catégories, par numéros, dans son quartier spécial, arrimé
- p.131 - vue 132/836
-
-
-
- 132
- LE DEVOIR
- comme à bord des navires, de façon à ce que chaque objet occupe juste la place qui lui est indispensable dans la disposition la plus favorable pour économiser l’espace.
- A ce propos, lecteur, avez-vous remarqué combien l’ordre et la bonne entente des emplacements à utiliser sont précieux pour tirer parti d’un local limité? Voyez la cale d’un navire : grâce à l’intelligence et au savoir de Tarrimeur, on arrive à y loger deux et même trois mille tonneaux de marchandises, qui, à terre, occupent un emplacement deux ou trois fois plus considérable, car un navire de trois mille tonneaux ne peut offrir dans sa cale qu’une superficie totale de deux mille mètres environ. En voyant le chargement étalé sur le quai d’embarquement, on se dit instinctivement : Jamais on ne logera toutes ces marchandises dans un espace aussi restreint ; et lorsque Ton y revient, le chargement terminé, on est tout étonné de voir que rien n’est résté, que tout s’est engouffré dans les flancs du bâtiment, qui enfonce de quelques mètres de plus dans l’eau.
- Ces prodiges d’arrimage qui toujours font rêver celui qui en est témoin pour la première fois, se reproduisent dans une mesure moindre sans doute, dans les magasins des grandes manufactures comme celle du Familistère. Ici, ces magasins ont une surface d’environ un hectare, et malgré leur étendue, ils sont à peine suffisants pour les besoins de la fabrication, car un agrandissement en est devenu indispensable et il est en préparation. Le nombre de fourneaux, cuisinières et autres appareils de chauffage qui s’y trouvent à peu près constamment est au maximum de 50,000, et en moyenne de 30,000. C’est un spectacle étrange et qui ne manque point de grandeur que celui de ces murailles sombres, formées de meubles en fonte dont le ventre est bourré de paille, entassés régulièrement les uns sur les autres, et laissant entre elles des allées étroites et nombreuses comme celles d’un labyrinthe, où. circulent les magasiniers poussant les wagonets sur lesquels sont chargés les marchandises au fur et à mesure des entrées ou des sorties. Des grues très ingénieusement installées, et d’une manœuvre extrêmement aisée, facilitent l’empilement des appareils et leur classement.
- La fabrication hebdomadaire à l’usine étant en moyenne de deux mille meubles, il en entre donc journellement en magasin à peu près trois cent cinquante qui sont immédiatement classés et arrimés de façon à ce qu’il n’y ait jamais d’encombrement ni désordre. Par contre, l’on charge tous les jours huit voitures, qui portent chacune un poids d’environ 3,600 kilog. en moyenne, ce qui, en calculant grosso
- modo le poids des appareils à raison de cinquante kilog. en moyenne, donne un total de soixante-douze meubles par voiture, et, par conséquent, environ trois cent cinquante par jour, chiffre à peu près équivalent à celui de la fabrication.
- Mais les progrès de cette industrie vont chaque jour s’accentuant de plus en plus, si bien que les renseignements qui précèdent, exacts aujourd’hui, auront peut-être cessé de l’être demain, puisque tout réclame de l’extension, ateliers, magasins, dépôts, et qu’un agrandissement n’est pas plutôt opéré, que le plus souvent il est déjà devenu insuffisant. Et malgré ce développement de production incessant, chose incroyable, il arrive encore parfois que l’on ne parvient pas à satisfaire aux besoins du commerce, et que les expéditions sont retardées faute de produits, dans certains moments.
- Nous n’entrerons point dans le détail de la composition des chargements qui ont généralement lieu par wagons complets d’environ quatre mille kilog., et qui demandent à être faits avec un certain ordre et dans certaines conditions, pour une bonne exécution dans le transport et la livraison des marchandises à destination. C’est affaire au chef des bureaux et du service des magasins et, soit dit en passant, ce n’est point la partie la plus aisée de la besogne.
- Quelle belle occasion pour plaider la cause de ces modestes employés de bureau, dont le travail est si utile, que sans lui rien ne serait possible, et que l’on laisse si communément dans l’ombre, lorsqu’on plaide la cause des travailleurs... Toutes les fois que l’on parle des classes laborieuses, Ton pense à l’ouvrier, à celui qui travaille à l’étau, au fourneau à l’atelier, mais qui songe à celui qui, dans le bureau, la plume en main, travaille et sue aussi, d’un labeur de tête non moins pénible, non moins fatigant et assurément plus difficile que celui des bras? Au lieu d'une blouse, ce travailleur qui a de l’instruction et de la tenue, porte un paletot ; il est obligé d’avoir du linge plus blanc, un maintien plus soigné, l’apparence de l’homme aisé... Et pourtant, quoiqu’il ait dépensé plus d’argent et plus d’études pour acquérir ses connaissances, quoique sa besogne soit plus difficile et non moins utile, il gagne à peine davantage tout en ayant beaucoup plus de frais d’entretien... Son salaire à lui est souvent plus insuffisant encore que celui de l’ouvrier, et tandis que de nombreux écrivains font de magnifiques plaidoyers en faveur de ce dernier, il ne s’en est point trouvé qui ait cru devoir parler en faveur de ces infortunés voués fatalement à ce qu’un auteur a si justement nommé la misère en habit noir 1 Pourquoi cette injustice? Est-ce que le malheureux est moins intéressant parce qu’il a de
- p.132 - vue 133/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 133
- l’instruction et de l’éducation que parce qu’il n’en a pas ? Est-ce que dans une industrie, dans un commerce, dans une administration quelle qu’elle soit, on n’a pas autant de travailleurs de tête, que de travailleurs des bras ? Et le travail de tête qui permet de donner la direction utile au travail manuel ne lui est-il pas évidemment supérieur?
- Soyons donc justes, et reconnaissons que tous les travailleurs, qu’ils manient l’outil ou la plume, sont également dignes d’intérêt; qu’ils ont les mêmes droits à la sympathie, à la considération et à la bienveillance des vrais amis de l’humanité. Certes, nous aimons l’ouvrier, nous nous intéressons à son sort, nous travaillons de toutes njps forces à défendre ses droits, à revendiquer sans réserve toutes les améliorations possibles à sa condition, et nous y travaillerons tant que notre main pourra tenir une plume, et notre tête concevoir une pensée. Mais nous aimons aussi l’employé, parce qu’il est un ouvrier, un travailleur aussi. Partis de points différents, tous les deux finissent par confondre leurs existences dans un labeur tendant au même but, comme deux cours d’eau dont les sources sont éloignées finissent par mêler leurs eaux, pour se jeter ensemble dans la mer.
- Ne séparons donc plus ce que le sort unit si intimement, et n’oublions jamais que si daus une industrie quelconque, le commis sans l’ouvrier ne pourrait rien faire, l’ouvrier sans le commis ne pourrait point davantage. Ils se complètent l’un par l’autre, ils ont besoin l’un de l’autre, et, travailleurs tous deux, Us ont les mémos intérêts, les mêmes besoins, les mêmes aspirations.
- Dans l’usine du Familistère, il n’existe pour ainsi dire point de ligne de démarcation entre eux, et l’égalité la plus complète règne efficacement pour tous. Point de distinction de catégories d’aucun genre, et dans les conseils des caisses d’assurances, par exemple, qui leur sont communes, on voit toujours des employés figurer à côté des ouvriers. C’est là de la bonne fraternité, de la solidarité bien entendue.
- A côté du grand magasin principal, réceptacle imposant' de tous les produits manufacturés de l’usine, ou les meubles émaillés, entièrement recouverts d’une épaisse enveloppe de paille destinée à protéger l’émail, s’étalent en face des appareils en fonte ordinaire simplement noirci à la mine de plomb, emballés d’une façon plus sommaire, nous en trouvons un autre servant d’entrepôt pour toutes les pièces de rechange des meubles et appareils, et dont le nombre est incalculable. En faire le dénombre-
- ment serait un travail long et sans intérêt que nous ne nous imposerons point, vu son inutilité. Mais nous dirons que cette annexe du magasin est vaste et bondée de marchandises de toutes parts. Là aussi l’espace est devenu insuffisant, malgré que, comme partout, on y ait doublé les étagés, au moyen de solides planchers formant galeries, où viennent s’entasser les produits.
- Certes, tout ce que nous voyons ne laisse point subsister la moindre possibilité de doute sur l’état de prospérité de l’établissement. L’année dernière il a livré au commerce l’énorme quantité de plus de cent mille cuisinières, calorifères, cheminées ou poêles, et l’on peut dire que c’est au moment où l’usine était la plus florissante que le fondateur du Familistère est venu l’apporter dans l’association qu’il a formée avec ses travailleurs. C’est à un moment ou les bénéfices de l’année allaient dépasser le maximum obtenu jusqu’alors que cet apportprécieux a été fait. Comment, en présence de pareils faits, ne pas s’incliner et rendre hommage au sentiment qui a dicté une aussi prodigieuse libéralité, consécration efficace et magnifique d’une œuvre lentement mais noblement élaborée, d’une doctrine libérale qui inaugure, mieux que toutes celles professées jusqu’alors, la véritable fraternité humaine,en donnant à tous non seulement le nécessaire, mais aussi les équivalents si recherchés de la richesse, et cela en conciliant tous les intérêts légitimes et sans faire tort au moindre d’entre eux.
- O gouvernants, chefs d’établissements, directeurs d’administrations, hommes placés à la tête d’agglomérations de travailleurs, classes qui vous dites dirigeantes, venez, venez au Familistère apprendre la véritable loi de la vie et la manière d’y conformer votre conduite. Venez apprendre comment on fait prospérer une industrie, comment on la fait grandir et se développer au profit de tous ceux qui, grands et petits,contribuent par leur travail à ce développement et à cette prospérité incomparable. Venez voir comment les produits du travail sont équitablement répartis entre tous les producteurs sans exception ni réserve, et comment l’on peut mettre un terme à cet antagonisme funeste qui jusqu’à présent a toujours existé entre le capital et le travail. Venez vous rendre compte comment il est possible de transformer ces frères ennemis en alliés qui, la main dans la main, marchent d’un pas égal et rapide vers un but commun, l’abolition du paupérisme. Venez enfin contempler le consolant spectacle de cette population de travailleurs vivant heureuse, sans privations, sans soucis, sans préoccupations, dans la certitude de l’avenir que les institutions garantissent devoir
- p.133 - vue 134/836
-
-
-
- 134
- LE DEVOIR
- être meilleur encore que ce présent si beau, si digne d’envie.
- Mais pour profiter des enseignements que vous pourrez puiser dans ce spectacle unique au monde, sachez faire pénétrer dans votre âme la vertu qui a opéré ces merveilles,la vertu par excellence,l'amour de l’humanité.
- (.A suivre).
- CHRONIQUE LOCALE
- VILLE DE GUISE
- r
- Instruction publique
- La ville de Guise a pour écoles primaires de garçons des salles des classes en trop petit nombre. Une d’entre elles contient jusqu’à 110 enfants sous la direction d’un seul maître-adjoint.'
- Cet état de chose réclame de promptes mesures pour que les enfants de la ville reçoivent un enseignement plus sérieux.
- Les salles de classes primaires des filles sont non-seulement à peu près dans le même cas, mais ce qui est plus grave, ces classes, placées sous une direction congréganiste, sont tombées au plus bas degré de la négligence. Elles n’ont qu’une seule institutrice à qui l’âge ne permet plus une direction active de l’enseignement. Les classes sont faites par des auxiliaires sans capacité, n’ayant aucun titre pour enseigner.
- En présence de cette situation, le Conseil municipal s’est ému et vient de demander,à l’unanimité des membres présents, le changement de l’école congréganiste en école laïque. lia voté les fonds nécessaires à l’accomplissement de cette transformation, et s’est refusé à tout changement provisoire du service congréganiste, afin que les mesures soient prises le plus tôt possible pour transformer,comme il le désire,les écoles congréganistes de filles en écoles laïques.
- Nous espérons que le dévouement de M. le Maire à la chose publique lui fera presser les mesures nécessaires à la réalisation de cette demande.
- Au cours de la même séance, M. Godin a fait au Conseil une proposition importante, en vue du développement de l’instruction publique dans la ville de Guise. Il a exposé qu’en vertu du décret du 15 janvier 1881, les principales villes des cantons, et les chefs-lieux eu particulier, sont invités à établir des écoles primaires supérieures et professionnelles de deux, trois et quatre années, de manière à servir à la culture des jeunes intelligences qui, pourvues du certificat d’études, manquent des ressources propres à développer leurs facultés.
- Il a fait ressortir combien il importe pour la ville de Guise, chef-lieu d’un canton populeux, agricole et industriel, de seconder les vues du gouvernement, afin de
- permettre à ses jeunes élèves de réaliser les espérances d’avenir qu’ils font concevoir.
- Rien n’ayant encore été fait à Guise pour répondre aux vœux du décret, M. Godin propose au Conseil municipal de se charger de l’édification complète de cette école, de pourvoir à toutes les dépenses ; dépenses sur lesquelles il offre dès maintenant à la ville l’abandon à titre gracieux d’une somme de 30 à 40 mille francs, sauf à s’entendre sur les conditions à arrêter pour le reste avec la commission que le Conseil pourra nommer à ce sujet.
- Le Conseil, à l’unanimité, prenant la proposition en considération, M. le Maire demande si le Conseil ne jugerait pas utile que la proposition fût examinée dans ses détails entre M. Godin et lui, pour être rapportée devant le Conseil toute préparée, de manière à faciliter les travaux de la Commission que l’assemblée pourrait alors utilement nommer ?
- Le Conseil a adopté cet avis.
- Tout présage donc que la ville de Guise sera promptement dotée d’une bonne école primaire supérieure et professionnelle, répondant le plus largement possible à l’extension de l’instruction publique dans notre canton.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- M. de Freycinet a pris une heureuse initiative en faisant savoir aux puissances que si quelque mouvement changeait en Egypte l’état de choses actuel, 3a France verrait sans peine que la question devint européenne, tous les droits de la France réservés. S’il parvient avec le même bonheur à se dégager de la question tunisienne, M. de Freycinet se fera une grande et légitime popularité.
- Un grand travail intérieur commence en France. Les propositions de réforme abondent, les projets de loi rivaux s’entassent sur le bureau de la Chambre. Achever la gratuité et surtout la laïcité de l’instruction publique à tous les degrés; réformer la magistrature ; réorganiser l’administration de l’armée ; réduire la durée du service militaire, établir partout l’égalité entre le capital et le travail ; faire justice aux employés et aux employeurs; sauvegarder les bonnes mœurs par l’instruction des femmes et par le divorce; prévenir les délits et les crimes par l’éducation, par le travail, par la liberté d’association et non par l’accroissemont des pénalités ; poursuivre l’outillage national par le développement des chemins de fer, des canaux et des ports; accomplir le plus tôt possible la séparation des Eglises et de l’Etat ; ne pas oublier la révision de la constitution dont l’ajournement consenti n’est point l’abandon ; telle est la tâche de la Chambre et du Gouvernement. Cette tâche exige deux choses : a l’extérieur la paix, à l’intérieur la liberté; mais elle exige aussi, que M. de Freycinet le comprenne et fasse voir qu’il ne l’oublie point, la surveillance assidue, la répression infatigable et ferme de l’esprit clérical. Prenez garde aux évêques et a leur maître le pape.
- *
- * *
- La Compagnie de la Grand-Combe. —
- La compagnie de la Grand-Combe est une création de M. Talabot. Jusqu’en 1834 ou 1835, c’est à peine si l’ex-
- p.134 - vue 135/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 135
- ploitation pouvait passer pour sérieuse. Elle fournissait I du combustible à deux ou trois hauts-fourneaux d’Alais et à quelques rares usines du département. f
- M. Talabot fit construire, uniquement en vue de la ^ mine, le chemin de fer de la Grand Combe à Beaucaire, j qui fut le second chemin de fer construit en France ; — le premier fut celui de Saint-Etienne. [
- L’inauguration de cette ligne eut lieu en 1838. Les j wagons à voyageurs (lra classe) étaient des caisses car- j rées, simplement couvertes et garnies de bancs de bois, j On s’y tenait debout et il y avait autant de places qu’il i y pouvait tenir de monde en se tassant bien. j
- Dans ce pays sauvage et presque désert, la Compagnie j a dû créer toutes choses. Elle a construit les maisons, jj tracé les rues, les places, les chemins. Comme elle était j propriétaire de tout et qu’elle avait toute influence auprès des autorités, elle a pu agir comme un souverain absolu, I
- Elle s’est fait une principauté despotiquement gouver- ) née. Elle a bâti l’école et l’église catholiques, l’école et j le templq protestants, la mairie., etc., etc... et, surtout, j les magasins. * I
- » * p
- J_jG socialisme d’Etat. — M. Talabot — qui fut un saint-simonien — avait établi à la Grand-Combe un socialisme d’Etat. Rarement la propriété collective, avec prohibition de toute propriété particulière, fut mieux organisée. La Compagnie, propriétaire de tout, se chargeait de tout. Elle logeait l’ouvrier dans ses casernes, se faisait son fournisseur par ses magasins généraux ; elle entendait que l’ouvrier se laissât faire et ne se mêlât de rien. Elle lui donnait son curé, son pasteur, son médecin, son maître d’école; elle se chargeait de lui constituer une retraite. Mais, dans la direction de tout cela, l’ouvrier n’avait rien à voir : la Compagnie faisait à sa guise, et, dans le village, c’était le directeur qui était — ou. qui nommait — le "maire ; c’était des agents de la Compagnie qui composaient le conseil municipal. Quand la Grand-Combe est devenue un canton, c’est le directeur qui en a été le conseiller général.
- Pour maintenir cette domination absolue, il fallait de la poignè. M. Talabot n’en manquait pas. Mais il avait de plus l’intelligence et, sous sa gestion directe, les ouvriers, s’ils étaient privés de toute liberté, furent du moins traités assez paternellement.
- IL© despotisme industriel. — Le successeur de M. Talabot, M, Beau, n’hérita que de la poigne. Dur et hautain, il se fit craindre. L’introduction du suffrage universel dont la politique épouvanta M. Beau qui craignit encore plus que ne fait aujourd’hui M. Graffin, les velléités libérales des ouvriers. M. Beau fit conduire les ouvriers au scrutin par brigades. Quiconque vota mal fut chassé sans miséricorde. Ce règne de fer a préparé les grèves à la Grand-Combe, et quand M. Graffin a hérité de la direction à la mort de M. Beau les grèves étaient mûres.
- M. Graffin, personnellement, n’est point un méchant homme ; il n’a point l’autorité de M. Talabot ni la poigne féroce de M. Beau. Sous la main de son farouche prédécesseur, il s’est façonné à la soumission, et ce n’est pas lui qui gouverne, en réalité, c’est le conseil d’administration de la Compagnie.
- On comprend, dès lors, que toute l’administration est dirigée en vue du bénéfice et du dividende. Le « socialisme » de M. Talabot est remplacé par une exploitation à outrance : la caisse des retraites rapporte plus qu’elle ne coûte à la Compagnie, et les magasins généraux lui rendent près de 60,000 fr. par an.
- Cette raison explique aussi le système du « barjac », qui enlève à l’ouvrier un quart de son travail, sous prétexte d’un déchet qui n’est pas du dixième, en réalité.
- Voilà pourquoi les grèves sont et seront toujours graves à la Grand-Combe — où elles ne font que commencer — à moins d’un changement complet dans l’administration et l’organisation de la Compagnie.
- *
- Bességes. — A Bességes, le danger n’est pas le même. La principale Compagnie houillère, quoique fort riche, n’est pas aussi puissante, et il s’en faut, que la Compagnie de la Grand-Combe. Elle n’a pas eu des commencements aussi accentuées, et elle a passé sous les fourches caudines de M. Talabot, qui lui a fait un chemin de fer à des conditions légèrement usuraires. Pour faire les vingt-six kilomètres de Bességes à Alais, les charbons de la Compagnie payaient deux fois ce que payait le charbon de la Grand-Combe pour aller de la Levade à Marseille. Moins forte , la Compagnie s’est montrée moins dominatrice et moins dure.
- BELGIQUE
- En Belgique, où la lutte entre les libéraux et le catholicisme est d’une vivacité qui ne s’amortit point, la Commission scolaire instituée pour faire une enquête sur les manœuvres du clergé contre la nouvelle loi d’instruction primaire, commence sous la présidence de M. Couvreur à porter ses investigations sur la pédagogie. Ella fait comparaître devant elle les principaux fonctionnaires de i’instruction publique, dont les dépositions seront sténographiées.
- ITALIE
- Le pape ne s’endort point ; son audience et son activité vont croissant; il manie avec un art infini le pou-' voir, redoutable encore, que laisse entre ses mains la crédulité humaine. Sa dernière encyclique aux évêques d’Italie cacha sous une légère couche de précautions oratoires une véritable déclaration de guerre, et la façon dont il ose revendiquer le pouvoir temporel est en réalité une insurrection. La papauté est un ver dans le cœur de l’Italie. La vigilance inquiète que Léon XIII met à surveiller la naissance et les conséquences du suffrage universel que l’Italie vient de conquérir ne l’empêche point de s’en prendre à l’Angleterre elle-même, à laquelle il fait par la plume d’un « prélat domestique », M. Capel, proposer de recevoir un nonce et d’installer un envoyé au Vatican; la soumission des irlandais par l’action du clergé serait le prix du marché. Mais M. Gladstone n’est point M. de Bismarck, et la réponse sera sans doute la vieille maxime : No popery.
- La grande besogne du moment pour les cercles politiques est celle de pousser les « popolani », les gens du peuple à qui la nouvelle loi électorale accorde le droit de vote, moyennant le payement d’un impôt de 19 fr. 50 et le certificat de savoir lire et écrire, à se faire inscrire sur les listes électorales. Tout parti, depuis les socialistes intransigeants jusqu’aux ultramontains papistes Infaillibles, invitent leurs adepts à se mettre sur les rangs pour livrer bataille à coups de bulletins. C’est aujourd’hui qu’expire le terme voulu pour les inscriptions.
- ESPAGNE
- Un fait peut-être saus précédent, c’est la grève de l’impôt que les commerçants et les industriels espagnols ont organisée et maintiennent dans tout le pays sans violence, mais avec une énergie qui ne se dément point. Des syndicats se sont formés dans toutes les villes et correspondent avec le syndicat central de Madrid. Ce ne sont p. int tous les impôts qui sont refusés, mais seule** ment ceux que M. Gamancho, ministre des finances a établis en abusant d’un nouveau règlement dans lequel il a arbitrairement dépassé les pouvoirs que lui avait délégués les Gortes. M. Malantrana président du syndicat général, a obtenu du roi une audience,dans laquelle assisté de la commission syndicale, il a très énergiquement exposé les griefs des négociants, et déclaré leur ferme résolution de refuser un impôt illégal. Le roi a constitutionnellement répondu qu’il en parlerait à ses ministres.
- p.135 - vue 136/836
-
-
-
- 136
- LE DEVOIR
- AUTRICHE
- L’anti-sémitisme gagne l’Autriche : on annonce la formation à Vienne d’une société autrichienne de réforme pui n’a point d’autre but que de combattre et de persécuter les juifs.
- ANGLETERRE
- En refusant dans la Chambre des lords de prendre part à la nomination d’une commission chargée d’examiner les effets du Land-act, et en déclarant à la Chambre des communes qu’il serait dédaigneux pour l’Etat que le parlement essayât de faire une telle enquête, M. Gladstone a fait en réalité acte de dictature. La majorité de la Ch ambre,en sanctionnant cette dictature se met en opposit ion avec la Chambre des Lords, et, pour que tout soit étrange dans cette étrange situation, voici qu’un député irlandais, M. Mac-Garthy, acceptant l’espèce de défi lancé par le ministre aux Borne, rulers, prépare un projet de loi qui réglerait en détail la situation de l’Irlande devenue autonome,sans rompre avec l’empire britannique. Pourquoi ne serait-ce point la vraie solution ?
- Le revenu journalier de quelques chefs de gouverne-nement, varie de 125 mille francs pour l'empereur de Russie à 32,000 pour le roi d’Italie. Le président de la République française a 2,500 francs, et celui des Etats-Unis 3,500 francs ; le présid ent de la Confédération suisse touche 38 fr. 62 par jour !
- RUSSIE
- Malgré toutes les traverses et les persévécutions, la presse socialiste révolutionnaire continue son œuvre. Tous les journaux, depuis la Volonté du peuple jusqu’à Zerno, tous s’impriment clandestinement, et ce dernier surtout est répandu à grand formât et lû par les ouvriers des villes.
- Le général Skobeleff, le vainqueur des Turcs à Plewna, vient, pour la deuxième fois, de jeter un blâme sur l’alliance des trois empereurs, en mortifiant vertement deux d’entr’eux. Serions-nous encore à la veille d’une guerre ? et que peut gagner la société ? Certes, le triomphe de l’autocrate des pendeurs n’est pas plus a souhaiter que celui des empoisonneurs socialistes, de ces empires bigarrés qui ont nom Allemagne et Autriche.
- ETATS-UNIS
- On écrit de Washington que M. Hunt, sous-secrétaire d’Etat au département de la marine, est entré en conférence avec les commissions chargées par le Sénat et par la Chambre de rechercher dans quelles proportions les Etats-Unis doivent augmenter leur marine militaire, l’ouverture du canal de Panama ne pouvant manquer, dit-on, de faire naître entre les Etats-Unis et plusieurs Etats d’Europe des difficultés sérieuses. Il serait déplorable que la création d’un canal, qui doit être pour tous les peuples un instrument de commerce et de paix, pût devenir par la sottise et par la méchanceté des hommes, une cause de conflits et de luttes, et nous voulons espérer que les craintes du gouvernement des Etats-Unis pour l’avenir sont exagérées.
- ALLEMAGNE
- Cette fois encore le Landtag prussien, qui avait d’abord montré quelque hésitation, s’est laissé aller à voter les fonds secrets destinés à tenir sous la main de M. de Bismarck la meute des journaux allemands ou étrangers qui reçoivent son mot d’ordre. Les « reptiles » ont donc leur pâture assurée. M. Bebel a déposé sur le bureau de j
- la Chambre saxonne une grosse chaîne en fer longue d’un mètre, avec laquelle la police a lié le socialiste Paschkly, non point condamné par aucun tribunal, mais expulsé par l’arbitraire administratif. — Comme on devait s’y attendre, le factionnaire qui a tué il y a quinze jours à coups de fusil deux enfants sur trois qui s’étaient mocfüés de lui, a été purement et simplement acquitté.
- ÉTUDES ANTICATHOLIQUES
- VI
- Les Ecritures
- 1° La Création
- Nous avons vu le peu de valeur des preuves tirées des miracles en faveur de la religion catholique, la fausseté de ses principaux dogmes, la beauté de sa morale mal appliquée et complètement dénaturée, l’organisation de son église,et l’origine étrangère et antérieure de ses sacrements. Examinons maintenant d’une façon rapide cette autre base sur laquelle l’Eglise appuie sa doctrine, les Ecritures, pour nous convaincre que c’est encore l’erreur qui domine là comme partout dans cette religion.
- Disons d’abord qu’en matière d’enseignement religieux antique, il y a deux façons de comprendre et d’interpréter les textes. On peut en voir ie sens allégorique, et sous la lettre en discerner l’esprit ; c’était la manière des anciens, la bonne, croyons-nous, celle qui seule permet de uéméler sous l’apparence erronée d’une figure, une vérité positive et certaine. L’on peut, au contraire, s’en tenir au sens littéral, et ne rien admettre d’allégorique dans les textes sacrés. C’est ce dernier système que le catholicisme a invariablement suivi pendant des siècles, et c’est donc à ce point de vue que nous devons examiner la bible, ancien et nouveau testament.
- Nous comprenons que l’on puisse choisir entre les deux méthodes, et qu'une fois ce choix fait, on l’applique fidèlement; aussi nous garderons-nous de chercher pouille aux théologiens des premiers siècles du moyen-âge et de la renaissance,de n’avoir jamais voulu faire la moindre concession à cet égard. Mais ce qui nous paraît inadmissible, c’est que l’on fasse, comme dans ces derniers temps quelques catholiques ont essayé de le faire, de l’ecclectisme entre les deux, appliquant l’une à certains textes, et l’autre à des textes dont l’absurdité est auj ourd’hui démontrée par les découvertes certaines de la science. Si la biblô est un livre révélé, comme cela est de foi chez les chrétiens, aussi bien que chez les juifs, l’interprétation de son texte ne doit point être arbitraire, littérale ici, allégorique là, exotérique dans un chapitre et ésotérique dans l’autre. Dieu a dû parler le
- p.136 - vue 137/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 137
- même langage partout,et ne point procéder par boutades et caprices.
- Cela posé, entrons dans le vif de notre sujet. Les livres fondamentaux de l’ancien testament sont les cinq livres du Pentateuque savoir : La Genèse, l’Exode, le Levitique, les Nombres et le Deutéronome Recueillons-y en courant quelques indications caractéristiques.
- La Genèse nous apprend le fait de la création, et elle nous dit au début : « Au commencement Dieu créais ciel et la terre. » Ce texte, les docteurs catholiques l’entendent dans le sens que Dieu tira l’être du néant, ce qui est absurde, car il n’est pas possible de tirer quoi que ce soit de rien, eæ nihilo nihil fit. Mais cette interprétation ne résulte pas d’une manière évidente et incontestable du texte original : Le mot hébreu du 1er verset de la Genèse veut dire dans sa signification première : couper, tailler, frapper, et dans ses significations secondaires former, produire, engendrer. Or aucune de ces acceptions ne comporte l’idée de tirer du néant. Le sens da ce mot qui revient trois fois dans le verset 27, à propos de la création de l’homme, serait au besoin expliqué par le verset 7 du chap. n, où il est dit : « Le Seigneur Dieu forma donc l’homme du limon da la terre; il répandit sur son visage un souffle de vie, et l’homme devint vivant et animé. » Or cela ne signifie nullement une création de rien, mais une action du pouvoir suprême pour organiser une matière préexistante. Le livre de la sagesse dit au chap. xi,v. 18, que la main de Dieu a tiré le monde d’une matière informe, ce qui veut dire évidemment que la puissance souveraine a communiqué à la matière l’organisation et la vie. C’est donc à tort que les théologiens attribuent à ce texte le sens qu’ils lui ont donné.
- Mais même en admettant cette formule bizarre de la création, ce verset n’en est plus satisfaisant. Ii dit en effet qu’au commencement Dieu créa le ciel d’abord et la terre ensuite. Sans nous arrêter à savoir da quel commencement il veut parler,essayons de comprendre ce qu’il entend par la création du ciel. Qu’est-ce que le ciel ? Est-ce la voûte céleste, tout-4-fait imaginaire,des théologiens qui condamnèrent Galilée, et qui étaient dans l’erreur? Evidemment non; le ciel, c’est l’espace infini, sans limites, l’espace que 1 esprit ne peut concevoir non existant, et qu’il comprend comme ayant été toujours, éternellement. Dieu n’a certainement pas créé l’espace, car l’espace fait partie de lui-même, et comme il n’y point d’autre ciel que l’espace, il s’ensuit rigoureusement qu’il n’a point créé le ciel, Cette immensité dans laquelle se meuvent majestueusement les milliards de soleils.
- de planètes, de nébuleuses dont nous n’apercevons, même à l’aide des télescopes, qu’une partie infinitésimale, cette étendue infinie est coéternelle à Dieu, et elle a existé de toute éternité.
- Dieu dit ensuite : « Que la lumière soit », et la lumière fut ». L’apparition du soleil, de la lune, et des étoiles dans le ciel, postérieure à ceile de la lumière, ce qui parait étrange, est également le résultat instantané de la parole de Dieu. Au point de vue poétique, c’est beau, grandiose, sublime. Mais au point de vue de la vérité historique et scientifique cela laisse énormément à désirer. Tandis que la bible nous représente Dieu faisant jaillir les astres à sa voix qui les fait se suspendre à la voûte céleste comme autant de lustres lumineux, les sciences physiques et mécaniques nous apprennent que ces grands corps qui peuplent l’univers n’ont pas commencé d’exister en même temps, et sous leur forme actuelle, mais qu’ils sont nés successivement, dans l’immensité du temps et de l’espace et que leur cours est réglé par les lois d’attraction universelle auxquelles sont soumis tous les éléments de la matière.
- Le premier jour Dieu fait donc la lumière, la nuit et le jour, le soir et le matin, avant d’avoir fait des corps lumineux, car le soleil, la lune et les étoiles n’arrivent dans la création que le quatrième jour. Or, au point de vue de la physique moderne, qui, rejetant le système de l’émission de la substance du soleil et des autres astres, admet celui des ondulations d’un fluide subtii mis en mouvement par eux, l’existence des grands corps lumineux est une condition préalable de la production des phénomènes de lumière.
- Ge n’est pas tout encore. Les phénomènes de matin et de soir, et de succession de jours sont le résultat du mouvement de rotation de la terre sur elle-même et autour de son centre d’attraction, qui est le soleil.
- O a ne saurait donc s’expliquer l’existence du matin et du soir, du jour et de la nuit se succédant régulièrement avant la création du soleil, et l’on ne s’expli-pas mieux que la terre, élément très secondaire d’un système planétaire complétait été créé ia première, plusieurs jours avant l’élément principal, le centre de ce système, le soleil.
- Tout cela est si choquant, qu’Origène, ce martyr volontaire de l’ardeur de sa foi chrétienne, ne craignait pas de dire qu’il fallait avoir perdu la raison pour le croire.
- Mais, objeciera-t-on, par les six jours assignés par ia Genèse à ia création, il faut entendre six périodes, dont l’étendue peut comprendre non-seulement des années, mais des siècles, et peut-être des milliers
- p.137 - vue 138/836
-
-
-
- 138
- LE DEVOIR
- d’années. C’est ainsi que quelques catholiques ont cherché à concilier le texte sacré avec les faits scientifiques acquis, et surtout avec les données irréfutables de la géologie. Si à l’appui de cette objection l’on fournissait quelque preuve de nature à faire admettre cette interprétation, elle pourrait avoir une valeur sérieuse ; mais on n’en avance aucune, et dans ces conditions, elle se réduit à l’état de simple hypothèse. Mais supposons, la démontrée, comment expliquera-t-on alors que l’historien sacré, au lieu de se servir de l’expression de périodes, d’époques, de siècles, ait choisi de préférence celle de jours, formés du matin et du soir, qui se retrouve textuellement répétée à plusieurs reprises dans le chapitre Ier de la Genèse ? Comment conciliera-t-on, d’autre part, cette extension donnée au sens des mots bibliques, avec la méthode d’interprétation littérale adoptée de tous temps par l’Eglise, qui tient Origène pour Hétérodoxe, précisément parce qu’il ne voulait voir dans le récit de la création que des figures et des allégories ? Comment enfin justifiera-t-on par ce moyen le fait de la création de la terre, antérieure de quatre jours ou de quatre années ou de quatre siècles à celle du soleil, centre du système dont la terre fait partie.
- D’un autre côté, les catholiques qui veulent interpréter de la sorte le texte de la Genèse, et qui, sans s’en douter, sont bien près d'être hérétiques comme Origène, se sont-ils bien rendu compte que sans le soleil le temps n’existe pas ? Qa’est-ce en effet que le temps ? Une abstraction, qui n’a d’autre réalité que la durée des mouvements de la terre sur son axe et dans son orbite, le premier formant le jour et la nuit, et le second constituant l’année. Or tant que le soleil n’existe pas, le mouvement de rotation de la terre ne donnera lieu ni au jour ni à la nuit, et son mouvement autour du centre planétaire n’aura point de raison d’être.
- Ce système conciliateur entre la Bible et la réalité se soutient si peu, que nous voyons Saint Augustin s’y perdre entièrement et ne savoir comment s’en dépêtrer. Il commence par dire que par les trois premiers jours qui précèdent la création du soleil, on peut entendre le temps qu’auraient duré trois jours si le soleil eût été créé. Puis , s’apercevant que cette explication n'est point admissible puisque le texte parle expressément de matin et de soir pour les premiers jours comme pour les suivants, il nous dit qu’il faut entendre par l’expression de soir la consommation d’un ouvrage et par celle de matin son commencement. Mais cela n’est pas plus acceptable, car l’historien sacré fait toujours commencer la journée par le soir et il dit invariablement : Du soir
- et du matin se fit le premier jour, du soir et du matin se fit le second jour et ainsi de suite.
- Ce sont donc bien des jours et non des périodes géologiques que l’auteur de la Genèse a voulu indiquer, et, suivant lui, six jours out suffi pour fa création de l’Univers, et cela a toujours été la croyance juive et chrétienne. Le sabat chez les Hébreux et le dimanche chez les Chrétiens n’ont point d’autre origine que cette croyance. L’historien qui fait arrêter le soleil par Josué était évidemment assez ignorant en fait d’astronomie et de cosmogonie,pour qu’on ne lui prête pas ainsi gratuitement une science qu’il ne possédait certainement pas. Ce qui le prouve, c’est que même en admettant l’interprétation hypothétique de périodes séculaires donnée à ses journées, l’on n’arriverait pas encore à trouver son récit conforme aux données positives de la science. En effet, tout le monde sait aujourd’hui que, dans le système
- I géologique d’origine ignée, qui réunit tous les caractères d’une entière certitude, et d’après lequel la 1 matière de la terre, après avoir été primitivement à 1 l’état gazeux, et s’être condensé ensuite en une | masse liquide, serait arrivée, par un refroidissement graduel, à l’état actuel de sa croûte superficielle, en continuant d’être encore incandescent dans ses en-; trailles, ce serait par d’immenses périodes de temps qu’il faudrait compter son âge avant qu’elle ait pu produire non-seulement le moindre animal mais encore la végétation la plus rudimentaire.
- D’après les calculs de Fourier, la température de la surface de la terre n’aurait pas diminué de la 300e partie d’un degré depuis l’école d’Alexandrie jusqu’à nous.
- Il a établi que la terre échauffée à une température quelconque et plongée dans un milieu plus froid qu’elle, ne se refroidit pas plus dans l’espace de 1,280,000 années, qu’un globe d’un pied de diamètre, formé de matières pareilles,et placé dans les mêmes circonstances ne le ferait en une seconde. Rebon indique pour le premier refroidissement capable du permettre la germination un minimum de 100,000,000 d’années. Elie de Beaumont, partant de l’hypothèse d’une température initiale de 3,000 degrés, arrive à ce même chiffre de cent millions d’années. Le docteur Zimmermann, après avoir rappelé l’exemple de Jorullo surgi en 1759 et dont la lave n'était pas encore refroidie en 1846, cite l’expérience du docteur Bischof de Bonn sur des boules de basalte en fusion, et dont les calculs démontrent qu’il a fallu à la terre pour arriver à sa température actuelle 353,000,000 (trois cent cinquante-trois millions) d’années. Les travaux de Cuvier, de Humboldt surla paléontologie ] et les formations géologiques démontrent également
- p.138 - vue 139/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 139
- que les plus anciennes de ces formations sont séparées de nous par des intervalles de temps, pour lesquels l’expression d’un million d’années serait infiniment trop modérée.
- Ce n’est pas tout encore : Si des profondeurs de notre petite planète nous remontons dans l’abîme insondable des espaces célestes, nous arrivons à des nombres dont le calcul écrase l’imagination. D’après les calculs d’Herschell, la lumière de telle nébuleuse met près de deux millions d’années pour franchir la distance qui sépare cette nébuleuse de la terre. « L’espace, dit Flammarion, est parsemé de nébuleuses tellement éloignées de la nôtre, malgré l’étendue incommensurable qu’elles occupent chacune, que la lumière des soleils qui les composent ne peut arriver jusqu’à nous qu’après des millions d’années de marche incessante de 75,000 lieues par seconde, et que les instruments les plus perfectionnés ne nous les montrent que sous la forme de lueurs blanchâtres perdues au fond de cet espace insondable. »
- Il résulte de ces faits positifs, certains, incontestables, que le seul fait d’apereevoir aujourd’hui la lumière de ces nébuleuses, démontre leur existence il y a deux millions d’années, et qu’il est possible que nous trouvions aujourd’hui dans le champ de nos télescopes les rayons d’un élément de ces groupes stellaires, qui aurait cessé d’exister il y a deux millions d’années, ce qui, par conséquent prouverait une date d’existence plus ancienne encore.
- Nous sommes loin, bien loin, on le voit, des six jours qui auraient suffi à la terre pour produire les plantes, les animaux et l’homme, quelle que soit d’ailleurs la durée hypothétique de ces jours, fussent-ils séculaires, et surtout de l’âge de 5,800 ans attribué au monde par les théologiens d’après les données de la Genèse. N’insistons pas davantage sur cette erreur, et glissons sur ces végétaux qui ont germé et donné leurs frondes et leurs fruits dès le troisième jour, c’est-à-dire avant l’existence du soleil.
- Il nous paraît inutile de relever encore l’ignorance j des lois physiques et astronomiques que dénote le i système géocentrique enseigné par ce livre soi di- | sant inspiré, qui fait de la terre le centre du système S planétaire, dont elle n’est en réalité qu’un élément j très secondaire, gravitant comme tous les autres I autour du véritable centre, le soleil !
- (A suivre).
- LE MAGNÉTISME
- 1 111
- I Qu’est-ce qu’un fluide dans le sens que l’on donne à ce mot dans la question qui nous occupe? En thèse générale, un fluide est une substance dont les molé-! cules ont si peu d’adhérence entre elles, qu’elles cèdent à toute pression, ne résistent point à la division, et se répandent avec une extrême facilité. On reconnaît quatre états à cette substance, savoir : l'état liquide, l’état de vapeur, l’état gazeux, et l’état hypothétique qui ne manifeste son existence que par ses eflets exclusivement. G’est ce dernier état, imaginé par les physiciens pour se rendre compte de I certains phénomènes, que revêtent le fluide électrique, le fluide nerveux et autres, que nous avons à envisager ici.
- Comme rien ne prouve en réalité l'existence de cette sorte de fluides, caries effets dont il s’agit peuvent être produits tout aussi bien par une force également indéfinissable, et difficile, sinon impossible, à démontrer, les savants sont divisés sur la convenance du terme à employer, et les uns appellent fluide ce que d’autres préfèrent nommer force. C’est ainsi que nous voyons des docteurs employer l’expression de fluide nerveux pour désigner exactement ce que d’autres docteurs désignent par celle de force neurique.
- Tous ou à peu près tous aujourd’hui s’accordent à reconnaître l’existence d'une action particulière, due à un agent encore inconnu et mal défini, qui pour ceux-ci est le magnétisme animal, et pour ceux-là une force dont le nom est encore à faire accepter. Quel est cet agent particulier, cette force innommée ?
- Les forces connues qui agissent dans le corps humain vivant, tant à l’intérieur qu a l’extérieur pour favoriser son développement et assurer sa conservation et sa propagation, se manifestent sous différentes formes qui sont la chaleur, la contractibilité musculaire, l’électricité et enfin la force nerveuse.
- C’est cette dernière qui serait, d’après certains docteurs tels que le célèbre docteur Burq, le docteur Charcot, et les docteurs Dumontpallier, Magnin, Baréty et autres, la source des phénomènes communément désignés sous la dénomination de magnétiques. Mais comme cette désignation n’a rien de scientifique, ils ne l’acceptent pas, et la remplacent parcelle de force neurique, agent neurique, neuricité.
- Dans son essence et son action, cette force présente certaines analogies très frappantes avec celles qui produisent la chaleur, la lumière, l’électricité et
- p.139 - vue 140/836
-
-
-
- 140
- LE DEVOIR
- le magnétisme. Ce serait donc dans le système nerveux que la force neurique aurait son siège, quoiqu’elle n’y soit pas confinée toute entière, ni utilisée complètement pour les diverses fonctions auxquelles ce système préside. Une partie s’en échappe en quelque sorte pour rayonner au dehors, dans l’espace, ce qui lui a fait donner la qualification de rayonnante, pour la distinguer d’une autre portion qui circule dans le corps humain, le long des fibres nerveuses, et d’une dernière partie qui y réside à l’état de repos relatif.
- Ainsi la force neurique existerait dans le corps de l’homme sous deux états : 1° Y état statique ou neu-ricité constituant l’activité propre des fibres nerveuses, suivant Lewes et Vulpian, et 2° Yétat dynamique comprenant tout à la fois la circulation intérieure, et le rayonnement ou expansion au dehors.
- Nous n’avons point à nous occuper de la force neurique à l’état statique ni même dans son acte de circulation le long des fibres nerveuses, et c’est seulement sa forme rayonnante que nous avons besoin d’étudier.
- Mais avant d’entreprendre cette étude, pour laquelle les renseignements fournis par le docteur Baréty principalement, dans son travail intitulé « Des propriétés physiques d’une force particulière du corps humain (force neurique rayonnante), connue vulgairement sous le nom de magnétisme animal », nous sont d’une grande utilité, qu’il nous soit permis de faire en passant deux observations qui nous paraissent ici à leur place.
- La science a toujours eu des pudeurs que l’on a de la peine à comprendre, et qu’elle manifeste à propos des phénomènes du magnétisme, comme elle l’a fait toutes les fois qu’on la mettait en présence de faits nouveaux inexpliqués. Après avoir nié cette nouveauté qu’on appela d’abord le mesmérisme, du nom de son importateur, et plus tard magnétisme, poussée dans ses derniers retranchements, elle cessa de la nier absolument et à 'priori, mais elle le débaptise et lui impose un nom nouveau quelque peu barbare, la neuricité, comme si cette espèce de démarquage changeait quelque chose au fait lui même. Franchement, il nous semble que le besoin de cette modification ne se faisait point impérieusement sentir, et il y a là une question d’amour-propre un peu puéril pour un corps aussi grave qu’une Académie. De ce que l’on change le nom d’une invention que l'on n’a point faite, il ne s’ensuit nullement qu’elle n’ait point existé auparavant.
- En second lieu, nous ne comprenons pas mieux l’ostracisme dont certains des doctes membres de la Faculté frappent le fluide magnétique ou nerveux,
- pour s’en tenir exclusivement à la force nerveuse ou neurique. Il semble en effet que cette force, pour se transmettre et circuler, a besoin d’un véhicule qui lui permette d’exercer son action partout où elle est nécessaire, et ce véhicule, cet agent invisible ne peut être qu’un fluide spécialement affecté à cette fonction. Comment une machine à vapeur, par exemple, transmettrait-elle sa force motrice sur un point quelconque, sans le concours des courroies de transmission qui la propagent et la font pour ainsi dire circuler partout où il en est besoin? Est-ce qu’il n’est pas plus logique d’admettre l’existence simultanée des deux agents, l’un comme source du rayonnement neurique, et l’autre comme conducteur? N’a-t-on point admis l’existence de la force électrique développée dans la machine par le frottement, et celle du fluide qui en est le véhicule pour la transmettre au moyen des fils conducteurs ? Les effets ayant une très grande analogie, pourquoi refuser ce caractère d’analogie à l’ensemble des deux opérations ?
- Revenons à notre sujet. D’après le docteur Baréty, la force neurique rayonnante émanerait du corps humain par trois points principaux différents : 1° les yeux, ou soit les nerfs optiques ; 2° l’extrémité libre des doigts, ou soit les nerfs collatéraux dorsaux et palmaires ; la bouche, par le souffle, ou soit les nerfs pneumo-gastriques. U faut y ajouter le sommet des angles que forment les articulations des doigts et du coude fléchis, « ce qui », ajoute notre auteur, « indique déjà que la force neurique, comme l’électricité, s’échappe par les pointes. »
- La force neurique rayonnante est douée de propriétés physiques et de propriétés physiologiques, les premières s’exerçant sur les objets extérieurs inanimés, et les dernières agissant sur les êtres animés.
- Les propriétés physiques peuvent être divisées en deux catégories : les propriétés intrinsèques ayant beaucoup de ressemblance avec celles de la chaleur, delà lumière et de l’électricité, et les propriétés extrinsèques se déduisant des modifications que cette force produit sur les objets inanimés, et ayant une grande analogie avec celles que provoque l’emploi de Yaimant, d’où le nom de magnétisme, adopté par Mesmer.
- Quant aux propriétés physiologiques, elles ont pour principaux effets sur les êtres impressionnables, prédisposés, d’anesthésier en partie ou en totalité la peau et les muqueuses ; de cataleptiser, tétaniser, faire contracter les muscles et en déterminer la résolution en totalité ou en partie; d’endormir ou réveiller, soit partiellement, soit totalement, et de produire, en un mot, des actions étendues ou limitées
- p.140 - vue 141/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 141
- susceptibles de se neutraliser ou de se détruire mutuellement.
- « Les doigts, les yeux maintenus fixes et dirigés à une distance variable vers un point quelconque du corps d’un sujet susceptible d’être influencé par les rayons neuriques qui en émanent produisent l’anesthésie de la région visée et dans toute l’étendue visée; par contre, le souffle dirigé, sans que la tête se déplace, vers un point quelconque du corps du sujet récepteur, provoque l'hyperesthésie de la région visée et dans toute l’étendue visée. D’où il résulte que le souffle peut neutraliser l’action des yeux et des doigts en ramenant la sensibilité à i’état normal et vice versa.
- L’hypéresthésie produite par la force transmise par le souffle est d’une nature telle, qu’après la cessation de l’action du souffle, elle reste en quelque sorte à l’état latent, et peut être réveillée durant un temps plus ou moins long par la force émanant des extrémités digitales et des yeux, et à plus forte raison par le souffle lui-même et le toucher.
- Ainsi, par exemple, si le dos de la main d’un sujet est hypéresthésiée à l’état latent par le souffle, et si à une distance variant de dix centimètres à trois ou quatre mètres, l’opérateur dirige sur cette région un seul doigt de sa main,le sujet accuse presqu’aussitôt une sensation de piqûre au point visé, et compare cette piqûre à celle que produirait une aiguille. L’emploi de deux doigts provoque deux sensations de piqûre et ainsi de suite en raison du nombre de doigts exerçant leur action; il en sera de même si l’on emploie les yeux ou le souffle.
- L’effet se produit, bien entendu, sans que le sujet puisse compter le nombre de doigts employés, soit que l’opérateur lui ait bandé les yeux,fsoit qu’il lui fit simplement tourner le dos.
- « Ces expériences », dit le docteur Baréty, « prouvent qu’il émane de chaque doigt, de chaque œil et des poumons par le souffle, une sorte de rayon neu-rique, analogue à un rayon de chaleur et de lumière. »
- Elles prouvent encore que ces rayons digitaux, oculaires ou pneumoniques se propagent dans l’air en ligne droite puisqu’ils atteignent directement le point visé. A cet égard, ils se comportent donc exactement comme les rayons de chaleur et de lumière, de même que, comme l’électricité, la force neurique s accumule vers les pointes. Si l’on tient compte que la chaleur, qui est aussi une des forces du corps humain, s’échappe plus particulièrement et plus vite Par les extrémités, on ne pourra contester l’analogie fine nous signalons.
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- De Cli£ix*lema,g-ïie à François 1er
- V
- L'Etat de choses que nous venons de signaler dure encore lorsque sonne l’an 1000.
- C’est l’année fatale prédite par l’apocalypse.
- Le monde chrétien est dans l’attente de la fin du monde.
- Les populations transies d’angoisse croient déjà entendre les sept trompettes des sept anges du jugement retentir du haut du ciel.
- C’est l’heure de racheter ses fautes. Les donations arrivent de toutes mains. Une année suffit pour indemniser l’Eglise de tout ce qui lui a été enlevé antérieurement.
- Cependant les jours, les mois, les ans se succèdent et le monde est toujours debout. Mais la fureur générale ne se ralentit pas ; semble-t-elle du reste vouloir s’évanouir au milieu des luttes des seigneurs de la terre, la terreur vient lui suppléer. Les miracles, les excommunications aidant, les offrandes pieuses ne se font pas attendre.
- Quelques années de plus, et au fléau des guerres féodales vient se joindre celui plus cruel encore de la famine. Ce sont d’horribles souffrances physiques, des tortures morales atroces. La trêve de Dieu y apporte quelques adoucissements. Mais lorsque les récoltes abondantes reviennent, les fruits de la paix de Dieu se corrompent. Les seigneurs (ecclésiastique et laïque) retournent à leurs rapines, à leurs excès de tout genre, et l’exemple d’en haut est suivi parce qui est en bas. La réaction est complète : « Un brigandage spirituel s’est emparé de l’Eqlise qui trafique des charges cléricales comme de marchandises sur un marché. »
- Tout appelle une réforme. Les Odilon de Cluny, les Guillaume de Dijon, les Richard de Verdun (etc.) y travaillent de concert. Un moine, Hildebrand, arrivé pape sous le nom de Grégoire VII, va personnifier en lui toutes ces aspirations réformistes. Il vise plus haut et son plan est tracé.
- Ce n’est pas seulement à mettre fin à la simonie dos prélats, à l’incontinence des prêtres, que tend cet homme.
- Ce n’est pas seulement la question des investitures qu’il prétend résoudre.
- Tous ces conciles qui se réunissent à sa voix, tous ces synodes, toutes ces assemblées où des mesures rigoureuses sont arrêtées contre les hontes de l’Eglise ne sont qu’un prélude à l’acte décisif qu’il pré-j pare.
- CA suivre).
- p.141 - vue 142/836
-
-
-
- 142
- LE DEVOIR
- Ce qu’il veut, c’est la monarchie universelle de l’Eglise. Sa prétention se pose carrément ; il dit : l’épiscopat ne saurait avoir d’àutre seigneur que le Vicaire du Christ auquel poliquement, les rois eux-mêmes doivent être soumis. » C’est la lice ouverte à une lutte interminable.
- Cette lutte commence à Pavio, en 1706, où les évêques du rojraume d’Italie déclarent Hildebrand déchu de la papauté. Elle se continue à Rome, dans un Concile où, répondant à cette déclaration, Grégoire VII proclame la déchéance du roi Henri et délie tous ses sujets du serment de fidélité.
- C’est dans ce Concile, dit-on, que furent promulguées les fameuses sentences connuus sous le nom de Dictatus Papae, qui devinrent les principes fondamentaux de la doctrine ultramontaine.
- Il y était dit :
- « Vous, faites maintenant connaître à tout le « monde que si vous pouvez lier et délier dans le « ciel, vous pouvez aussi sur la terre ôter ou donner « les Empires, les royaumes, les principautés, les « duchés, les marquisats, les comtés et les biens de « tous les hommes selon leurs mérites... Que, si « vous jugez les choses spirituelles, à plus forte « raison les temporelles. »
- (Décret du 7 mars 1080, en Concile à Rome).
- Le Syllàbus est tout entier dans ces quelques li-gnes.
- Peu d’années après la promulgation des 27 die-tatus Papæ de Grégoire VII, eut lieu la première croisade sous le pontificat d’Urbain II. Ces grandes émigrations ont été bien diversement appréciées. Nous n’en dirons qu’une chose en passant, c’est qu’elles ont dévoré 2 millions d’hommes et qu’il serait bien malheureux, quoique entreprises au nom de la Foi et au cri de Dieu le veut, qu’elles n’eussent eu pour but que la conquête de quelques pieds de terrain où a reposé, dit-on, pendant trois jours un réformateur... sublime, il est vrai, mais qui, à coup sûr, de son vivant, n’eut pas exigé de tels holocaustes.
- C’est également dans ce 12e siècle que dans le midi de la France, sans la participation du clergé, s’établit le régime consulaire « par voie de lutte et de transaction avec les seigneurs. »
- Mais dans le Nord, dans les pays compris entre la Loire et la Somme, là où il n’y a qu’une masse opprimée, là où les domaines ecclésiastiques sont le plus exposés aux ravages des seigneurs, le clergé se met à l’œuvre et organise les communautés paroissiales à la tête desquelles il se range du côté du roi pontre les barons. C’est la première initiation du
- peuple aux armes. Des serfs de l’église, le mouvement se communique à ceux des seigneurs laïques dans les campagnes.
- De son côté le peuple des villes perd aussi patience. Des associations de défense mutuelle temporaires d’abord, deviennent permanentes.Toutes les colères, tous les ressentiments, toutes les douleurs, toutes les souffrances adoptent un mot d’ordre : commune et le cri « faisons commune » devient le signal d’une lutte immense dans laquelle vont se briser la féodalité et l’aristocratie.
- Quant à la papauté et à la royauté, lorsqu’elles ne sont pas d’accord pour opprimer, elles continuent à se disputer la suprématie. La confusion des deux pouvoirs, spirituel et temporel est à son comble, les excès et les abus en résultant ont atteint leur summum de degré, lorsque Louis IX monte sur le trône.
- Opposé à la puissance temporelle des papes, quoique pieux jusqu’à la cruauté, ce prince qui introduisit l’inquisition en France, voulut réprimer les abus dont nous venons de parler. C’est dans ce but que, poussés par les légistes, se sentant appuyé des églises de chaque pays hostiles à la cour de Rome qui les accablait d'impôts, il rendit en 1268 la Pragmatique sanction.
- Cet acte qu’à force de tortures et de commentaires on est parvenu à faire considérer par certains esprits comme le fondement des libertés de l’église gallicane, nous paraît être plutôt que tout autre chose, une réforme de l’église gallicane elle-même dont le roi voulait limiter les empiètements vis-à-vis de l’Etat. Entre les libertés et les franchises que réclamait l’ordonnance royale et des libertés et franchises des gallicans de nos jours il n’y a de commun que les mots... et encore??? Quant aux rapports de l’Etat avec le Saint-Siège, ce fut plutôt une question de fisc que Louis IX voulut résoudre,qu’une séparation nette du spirituel et du temporel qu’il prétendit accomplir.
- Dans tous les cas, si cette séparation était réellement dans ses intentions, on doit avouer qu'il n’obtint pas ce qu’il désirait, car à peu d’années de distance nous entendons le pape Boniface VIII dire « qu’il est établi par Dieu sur les rois et les royaumes pour les juger avec majestédu haut de son trône et dissiper les maux par ses regards », et Philippe IV lui répondre que « le pouvoir temporel appartient aux rois et qu’ils sont au dessus de tous les pouvoirs vivants. »
- Quoi qu’il en soit, le rêve de Grégoire VII ne s’est pas réalisé et l’on peut dire que lorsque finit la race des capétiens et le premier âge de la féodalité avec
- p.142 - vue 143/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 143
- Charles IV, la papauté est en décadence, moralement et matériellement.
- De 1308 à 1515 deux siècles environ s’écoulent. Nous allons les résumer rapidement dans quatre faits: le grand Schisme d’Occident; le Concile de Constance, le Concile de Bâle et la Pragmatique de Bourges, enfin le Concile de Milan. Notre prochain article terminera donc la période de Charlemagne à François Ier.
- (A suivre). C. P. Maistre.
- LE FOUTAH-DJALLON
- On parle beaucoup depuis quelque temps de Fou-tah-Djallon. Dans l’espace de ces trois dernières années, trois expéditions françaises ont pénétré au cœur de ce pays. La première est de 1879; à sa tête, se trouvait un homme d’une grande énergie, M. Aimé Olivier, riche négociant marseillais, qui se fraya un passage jusqu’à Timbo, où il obtint du roi un traité favorable au commerce français.
- Dès son retour en Europe, M. Olivier expédia dans les mêmes régions deux de ses agents de Boulam, MM. Ansaldi et Gaboriaud, qui obtinrent du nouveau roi de Timbo la ratification du traité signé précé demment par M. Olivier.
- Enfin, une troisième expédition s’est mise en marche en 1881 ; celle-là avait un caractère officiel : les chambres avaient voté les fonds nécessaires, et le docteur Bayol était chargé par le gouvernement français de se mettre en rapport avec le roi de Timbo et et de lui proposer le protectorat de la France.
- On sait que cette mission a complètement réussi. Non-seulement le Foutah-Djallon et les riches pays aurifères du Bambouck ont accepté notre tutelle, mais le roi de ces pays s’est empressé d’envoyer à Paris une ambassade pour protester de ses sentiments d’amitié à l’égard de la France.
- Nous sommes entrés dans ces détails afin de dissiper la confusion qui s'est établie, dans la presse parisienne, entre les voyages de MM. Olivier et la mission politique du docteur Bayol.
- Une note qui a fait le tour do la presse et qui sort de l’officine de l’agence Havas déclare que « le mérite de l’œuvre patriotique qui vient de s’accomplir » revient exclusivement au docteur Bayol. Cette note nous paraît un peu dure pour M. Olivier, qui nous semble avoir écarté bien des obstacles, et singulièrement facilité la demande du docteur Bayol.
- Nous avons en ce moment sous les yeux le volume I que M. Olivier vient de publier chez l’éditeur |
- P. Ducrocq (1). Il suffira de le parcourir pour se convaincre qu’il avait bien préparé le terrain, et qu’à son départ de Timbo le pays avait de fait accepté le protectorat de la France.
- La route suivie par M. Olivier pour se rendre de la côte au Niger est la plus directe et par conséquent la plus courte. Il est descendu au sud de nos possessions sénégalaises, s’est engagé dans le Foutah-Djallon et a gagné Timbo, capitale de ce royaume, qui fait lui-même partie de la vaste réunion d’Etats peu connus, ou pour mieux dire, presque inconnus sous la dénomination générale de Soudan ou Nigritie.
- On sait que la ligne du Sénégal jusqu’à Bamakou a 1,300 kilomètres ; celle du Timbo, destinée à relier un port de l’Atlantique au même point à peu près du Niger, n’en a que 600. Elle traverse des pays très sains, arrosés par de belles eaux courantes, et où la température est celle de la France, moins les froids de l’hiver : aux jours les plus froids, 7° au-dessus de zéro ; aux jours les plus chauds, 33° ; le plus ordinairement, 2‘1° à 28°. La fièvre jaune n’y a pas laissé de souvenirs ; les quatre dernières épidémies qui ont sévi à Dakar n’ont pas paru dans le Foutah-Djallon.
- Ce pays, plus particulièrement à la latitude de Timbo, forme un isthme salubre praticable entre le Sénégal, trop chaud et malsain, et le bas de la côte, où les fièvres pernicieuses sont en permanence. Ses hauts plateaux offrent aux Européens un climat admirable.
- Il faut lire, dans l’ouvrage de M. Olivier, la description de ce beau pays et le récit de ses aventures. La moitié du volume est consacrée à ses quatre ou cinq mois de résidence forcée à la cour du roi de Timbo ; chaque page est pleine de détails piquants. Nous regrettons que l’espace mis à notre disposition ne nous permette pas de faire des citations nombreuses. Nous voudrions donner en son entier le récit de l’entrevue du voyageur avec le roi du pays, entouré de toute sa cour.
- Après cette entrevue, la sœur du roi vient voir Olivier. «Elle est laide, bavarde et intelligente. Sa suivante agite avec conviction sa mamelle pelue, en disant : « Almamy, » almamy », pour m'indiquer que la princesse a sucé le même lait que le roi, qu’elle est sœur du roi. Ce geste m’est connu ; je l’ai déjà vu employer souvent pour exprimer l’idée de sœur ou de frère, ou pour demander du tabac, le vieux sein dégonflé,réduit à ses longues peaux,ayant parfaitement l’air d’une blague à tabac vide... »
- (1) De l'Atlantique au Niger, par le Foutah-Djallon, carnet de voyage de Aimé Olivier, vicomte de Sanderval, dessins de MM. Benett, Dufaux, Lépine, etc., d’après les croquis de l’auteur, avec une carte imprimée en cou* leurs.
- p.143 - vue 144/836
-
-
-
- 144
- LE DEVOIR
- «... Vendredi 9. — Le fils du roi vient me voir ; il s’amuse comme un enfant de mon miroir, qu’il s’empresse d’aller montrer au roi. Celui-ci, en se voyant si laid repousse le miroir d’un geste d’impatience.
- Je fais dresser mon lit pour m’étendre un peu, et j'y suis à peine allongé que se précipite sur moi un vigoureux masseur, qui paraît me considérer comme sa propriété. Je l’éloigne, à son grand étonnement. Aussitôt sept jeunes filles de quatorze à seize ans — c’est ici l’âge qui plaît aux yeux — remplacent le masseur mâle et commencent à me pétrir de ia belle façon en m’affirmant que je m’en trouverai bien. Je repousse d’un geste que je m’efforce de rendre froidement indifférent, ces jolis médecins, qui insistent, reculent et avancent avec la gracieuse précision d’un corps de ballet, torses nus, jupons courts. Mais je résiste, il n’y aurait véritabiement pas place sur ma personne pour toutes ces petites mains agiles, que le frétillement multiplie. Le vaillant et folâtre essaim abandonne enfin la partie et, comme dans les contes moraux de M. Marmonteî, la vertu triomphe sur toute la ligne. »
- Voici venir la belle Fatoumata,* fille à traits européens, de beaux yeux intelligents aux regards un peu sauvages, un corps superbe couleur de bronze, une belle stature... »
- « La belle Fatoumata, avec de petites mines réservées, revient accompagnée de sa mère. Elle me donne un Kolah; c’est un tendre aveu. La mère dit que sa fille m’aime (le cœur parle vite en Afrique !) et qu’elle voudrait bien être ma femme afin de ne plus me quitter. Je suppose, à l’air timide et embarrassé de la belle statue, qu’elle rougit sous sa peau noire. Je lui dis que j’ai un trop long voyage à faire à pied pour l’emmener. Je lui fais donner quelques grains de verre encore plus inédits que les premiers. La mère de Fatoumata, qui, sans avoir l’air d’y penser, a fait valoir les charmes, tous les charmes de sa fille, est sortie furieuse sans répondre à mon sadi (adieu). Sa fille a pris un petit air résigné et m’a tendu une main glacée... »
- « Samedi 10. — Longue visite du fils du roi. A trente-cinq ans, ce prince est déjà l’heureux père de trente enfants. Je lui donne 50 c., mon savon et un verre grossissant... »
- « Deux filles du roi veulent absolument que je les épouse et que je les emmène. »
- Nous devons nous arrêter ici. Ces extraits, pris un peu au hasard, ne peuvent donner qu’une idée bien imparfaite du voyage de M. Olivier. Nous y renvoyons nos lecteurs. Nous ajouterons qu’à la suite de cette expédition, le gouvernement portugais a ac-
- cordé à notre compatriote le titre de vicomte de San-derval.
- La question du Foutah-Djallon est d’une très grande importance pour la France. Les vues de l’Angleterre sur le Soudan sont connues; ne le seraient-elles pas, il suffit pour s’en convaincre d’apprendre qu’après le voyage de M. Olivier de Sandervaî, le gouvernement anglais a bien vite envoyé au Foutah-Djallon le gouverneur de la Gambie pour détourner, au profit de l’Angleterre,l’influence que nous venions d’acquérir. Le roi deTimbo est resté fidèle à ses engagements et l’ambassade qui est en ce moment à Paris est une nouvelle preuve de ses sentiments d’amitié à noL e égard.
- Un nouveau débouché au commerce, une nouvelle source de richesses,une nouvelle conquête, pacifique cette fois et par conséquent plus glorieuse, en résulteront, et, ce résultat, il en faudra reporter l’honneur non seulement à l’initiative du docteur Bayol, mais surtout à celle de M. Olivier de Sandervaî.
- -----
- ÉTAT-CIVIL DD FAMILISTÈRE
- DÉCÈS. — Le 27 février, de Madame Froment-Delsart.
- NAISSANCE. — Le 28 février, de Défontaine Jules-Gustave, fils de Défontaine Gustave et de Alliot Jeanne.
- L’ÉCOLE
- REVUE DS L'INSTRUCTION PRIMAIRE, PARAISSANT LE DIMANCHE
- Directeur : J. SAINT-MARTIN, député.
- Pédagogie théorique pratique.— Sciences naturelles. — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour les brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique. — Histoire. — Littérature. — Musées scolaires.— Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le texte.
- 6 fr. par an. Les abonnements partent du 1er de chaque mois. On s'abonne en envoyant un mandat-poste à l’ordre de M.PICARD-BERNHEIM O 11, rue Soufïlot, à Paris.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.144 - vue 145/836
-
-
-
- 6e ANNÉE, TOME 6 — N# 183
- "Le numéro htliomadaire 20 c.
- DIMANCHE 12 MARS 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit.au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- Franco
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- ETnion postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- J&l. 'W* JC
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Les Grèves. — Voyage autour du Familistère IIe partie, XV. —- Faits politiques et sociaux. — Travailleurs et Capitalistes. — Causerie anticatholique et religieuse : Le Culte des Morts. — VEglise et VEtat : De François Ier à Louis XIV. — L'inquisition. — Etat-civil du Familistère. —Lapremière bataille.— Va/riètês.
- LES GRÈVES
- L’oppression a de tous temps inévitablement engendré la révolte. Si l’on consulte l’histoire de toutes les grandes insurrections populaires, depuis les Jacques jusqu’à nos jours, on n’en trouvera point d’autre cause que l’excès de misère occasionné chez les faibles et les petits par la tyrannie des puissants et des grands. C’est cette exploitation outrée des travailleurs par ceux qui détiennent la richesse qui provoque encore à tout instant les grèves, car il ne se passe point d’année, de semestre ni même de trimestre où les organes de la presse n’aient la doulou-
- reuse tâche d’en enregistrer quelqu’une. Il est certain qu’avec l’organisation sociale si éminemment défectueuse, si imparfaite encore de notre société moderne, il serait bien difficile qu’il ne se produisit point de ces revendications violentes, dont on est beaucoup trop disposé à voir la forme, sans se préoccuper du fond. Si le concert est redoutable à certains points de vue, l’injustice avec laquelle on méconnaît la légitimité de la revendication ne l’est certainement pas moins. Aussi l’on peut dire en général que dans une grève les plus grands torts ne sont pas du côté des grévistes qui n’ont point en définitive d’autre moyen de résister à une oppression devenue insupportable.
- Jusqu’à présent, malgré que quelques bons esprits, trop rares encore, aient, par de sérieuses et profondes études, démontré l’égalité des droits du capital et du travail à la richesse que tous deux ont concouru à produire, les classes dirigeantes et les pouvoirs publics n’ont point encore compris cette vérité, lumineuse pourtant et incontestable, et, suivant les errements déplorables du passé, ils contribuent à maintenir la suprématie du capital, perpétuant ainsi une sorte d’aristocratie dans un pays d’égalité, et favorisant une exploitation contraire à toutes les lois delà nature et de l’humanité.
- C’est ainsi que toutes les fois qu’une grève se produit, les gouvernements sont ^toujours portés à mettre l’armée à la disposition des patrons contre les grévistes, ce qui est une injustice et une illégalité. La liberté des revendications est consacrée par la loi ; mais elle ne peut s’exercer que tout autant que l’on maintient l’égalité entre les parties, pour qu’elles puissent discuter sans entrave leurs intérêts
- p.145 - vue 146/836
-
-
-
- 146
- LE DEVOIR
- réciproques, et la présence de la force armée à côté \ de l’une d’elles n’est point* une garantie de liberté, mais bien au contraire une atteinte flagrante à l’égalité. Cet état de choses ne peut en aucune façon remédier au mal, et il nous semble grand temps pour le gouvernement d’aviser à quelque moyen plus efficace et meilleur.
- Entre le capital et le travail il existe un lien de solidarité très étendue absolument incontestable. Sans le travail, on ne saurait trop le répéter, le capital est impuissant à produire quoi que ce soit ; et sans le capital, le travail est également arrêté net au début de la production. Egaux dans l’impuissance que produit leur isolement, pourquoi cesseraient-ils de l’être dans leur union qui fait leur force réciproque? Cela se comprend d’autant moins, qu’en réalité, ils se trouvent avoir tous les deux également besoin du troisième élément de production qui est fourni, celui-là, exclusivement par la nature. Supposons en effet une exploitation industrielle quelconque largement pourvue des capitaux nécessaires et du nombre voulu des travailleurs. Si le troisième élément naturel que l’on appelle la matière première, les forces motrices, etc, fait défaut, que pourront ils produire ? Rien. Là encore il y a donc égalité d’im puissance, qui implique, par conséquent, une égalité de droits en présence de la production.
- Si donc au lieu de respecter cette égalité positive et évidente, la législation favorise l’un des éléments au détriment de l’autre, l’équilibre étant rompu, c’est l’injustice et l’arbitraire qui se substituent au droit naturel et à la justice. Celui que la loi favorise ne tarde point à opprimer l’autre, et comme tout le monde a le droit de repousser l’oppression, rien d’étonnant à ce que celui qui en est victime se révolte.
- Pour empêcher que cette lutte absurde qui a trop duré entre deux catégories de producteurs dont les intérêts sont similaires et étroitement liés l'un à l’autre, se perpétue, il est juste de-reconnaître : 1° qu’à l’égard des travailleurs le capital a des devoirs beaucoup plus étendus que ceux qu’il a reconnus et qu’il a remplis jusqu’à ce jour ; et 2° que ces devoirs sont rigoureux et imposés par la nature du concours qu’il obtient des travailleurs, et par la ' corrélation des droits que son propre concours lui donne sur les bénéfices de la production.
- L’utilité de ces deux éléments de la richesse industrielle étant égale, n’est-il pas de toute justice, de la plus vulgaire équité que leur rémunération soit équivalente ? Leur intervention dans la production est également nécessaire, si leur rôle est différent ; j et par conséquent ils ont un droit égal aux résultats !
- des produits créés par eux. Dans la production, c’est le travail qui remplit le rôle actif, tandis que le capital n’a qu’un rôle passif. Le capital n’est qu’un travail déjà fait et mis en réserve, tandis que le travail , c’est l’activité, la force, l’intelligence de l’homme agissant, créant, et enfantant le capital lui-même. Le capital, lui, ne saurait enfanter le travail ; il n’est que son auxiliaire.
- Dans ces conditions, la part du travail dans les bénéfices de la production doit être basée sur les mêmes proportions que celle du capital; égale aussi doit être la protection que la loi doit lui accorder, sous peine d’injustice. Il ne peut pas équitablement être permis à l’un des deux collaborateurs d’imposer sa loi à l’autre, de régler lui-même les conditions de la collaboration, arbitrairement et suivant son bon plaisir. Dans toute association, et la collaboration du capital et du travail en est une véritable, la par^ des associés est égale si la valeur de leurs concours est égale. En bonne justice, le travailleur a donc droit à une part proportionnelle dans les produits de l’industrie, et égale dans les protections de la loi.
- Telle est la véritable règle démocratique et sociale d’une bonne organisation de gouvernement, et il appartient à celui de la République d’appliquer loyalement ce principe de stricte équité une bonne fois. Les gouvernements aristocratiques émanés du principe monarchique ont pu logiquement réserver toutes leurs faveurs, toute leur protection au Capital qui s’était posé en aristocratie ; mais de la part d’un gouvernement franchement et sérieusement républicain, une pareille conduite serait éminemment illogique.
- Le travail a le même droit aux garanties légales que la richesse ; il faut donc les lui donner. Elles lui sont dues au nom de la morale qui veut que l’on accorde aux autres ce que l’on désire pour soi-même; elles lui sont dues au nom du respect de la vie humaine, qui est le premier devoir de l’homme et des gouvernements ; elles lui sont dues enfin dans l’intérêt de la Société, qui ne peut compter sur la paix et la tranquillité indispensables à son existence, que lorsque l’équilibre existe entre les droits et les devoirs de tous ses membres.
- Pour cela, il est urgent de mettre un terme à cette inégalité criante qui réserve toutes les sécurités, toutes les garanties, tous les privilèges légaux aux propriétaires et qui ne sauvegarde aucun des intérêts du travailleur. Il est urgent de faire cesser le scandale qui résulte du droit donné au propriétaire d’expulser impitoyablement, et de jeter dans la rue, une malheureuse famille d’ouvrier, dont le salaire aura été insuffisant pour lui permettre de payer un
- p.146 - vue 147/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 147
- terme de loyer. Pour sauvegarder la partie d’intérêt de son capital, représentée par cette dette, la loi autorise ce capitaliste à exposer à mourir toute une famille de froid, de misère ou de faim, comme si le droit à l’existence n’était pas d’un ordre infiniment plus élevé que celui du capital à l’intérêt. Que sont donc tous les capitaux du monde auprès de la vie d’un homme? Périsse la Société, disait un jour un infâme sophiste, périsse la Société plutôt qu’un principe ! Nous disons, nous, périssent plutôt les trésors de l’univers qu’un homme !
- L’avènement de la République doit être l’inauguration du règne de la Justice. Or la Justice exige que chacun jouisse du fruit de son travail. Les bénéfices de la production étant l’œuvre commune du travail et du capital, il est donc juste que le travail entre en participation dans les bénéfices de l’industrie, dans la proportion de la valeur du concours apporté par lui à la production.
- Au lieu donc d’envoyer des bataillons pour arrêter les grèves occasionnés par un excès d’exploitation du travailleur par le capitaliste, le gouvernement doit consacrer d’une manière efficace ce principe d’équité, et mettre un terme, par ce moyen, à tous les conflits entre patrons et ouvriers. Mais ce n’est point par la force qu’il inaugurera ce salutaire régime ; la force n’a jamais rien fondé de juste ni de durable. C’est par de sages dispositions législatives imposant à l'industrie l’équitable répartition des bénéfices entre tous les producteurs, par d’équitables institutions de prévoyance garantissant le travailleur contre toutes les éventualités de l’existence, par d’intelligentes mesures ayant pour but, en un mot, l’extinction radicale du paupérisme, qu’il fondera ce régime. Il arrivera de la sorte à enlever aux grèves toute-raison d’être, et à les prévenir, par conséquent, à tout jamais.
- Est-ce que là ou le système de l’équitable répartition des bénéfices entre le capital et le travail est appliqué, on a jamais vu des grèves se produire? Est •ce qu’il est même possible qu’elles s’y produisent ? Dans une lettre récemment publiée par les journaux, le directeur de l’une des mines où les dernières grèves ont eu lieu attribue l’explosion de la grève à l’influence de meneurs étrangers, venus e^près pour fomenter l’agitation, et chauffer les esprits mécontents des travailleurs. Que l’on envoie tous les agents provocateurs les plus habiles et les Plus influents au Familistère ou dans toute autre exploitation où la participation du travail aux bénéfices est en vigueur, et nous défions mille fois d’y Provoquer l’ombre d’une grève ! Qu’ils y déploient toutes les ressources de leur déplorable industrie.
- j qu’ils multiplient leurs effort, qu’ils aient recours j à leurs moyens les plus infaillibles, et ils en seront pour leurs frais, et ils se retireront honteux et confus comme un renard pris au piège.
- Si nos classes dirigeantes, si nos pouvoirs publics nétaient point aussi misérablement ignorants qu’ils le sont des questions sociales, dont c’est à peine s’ils commencent à soupçonner l’existence, s’ils savaient nn peu de ces choses qu’ils devraient posséder complètement, n’auraient-il pas compris depuis longtemps que ce sont là les réformes les plus urgentes, les plus indispensables à opérer, et n’y auraient-ils ! pas consacré tous leurs efforts ? N’auraient-ils point vu combien leur tâche serait ainsi rendu facile, en leur permettant d’asseoir leur édifice sur les seuls fondements inébranlables sur lesquels puisse être établie une Société? Un architecte entendu n’aura jamais l’idée de commencer une construction par le ! toit ; le législateur qui néglige de bien régler tout I d’abord la question sociale ressemble à un maçon, I qui pour bâtir une maison ne songe pas à bien poser d’abord les fondations. Les travailleurs sont la partie essentielle de la population d’un pays ; ils sont comme le fondement de l’édifice social ; ne pas assurer solidement leur existence, c’est donc compromettre gravement la durée et la solidité de la Société. Dans ces conditions on aura beau faire, tout sera sans cesse menacé de ruine, et rien ne saurait la prévenir.
- Que l'on se mette donc une bonne fois à l’œuvre pour donner au travailleur toutes les garanties qui jusqu’à présent lui ont fait défaut, que l’on cesse de maintenir entre le capitaliste et lui une inégalité contraire à toutes les saines notions de l’équité et de la justice, que cette égalité qu’on voit inscrite au front de tous les monuments soit un fait bien établi, et non plus seulement une formule vaine, et l’on verra bientôt disparaître non-seulement les grèves, mais toutes les revendications violentes du prolétariat sous quelque forme que ce soit.
- I VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE XV
- Maintenant, cher lecteur, que vous voilà parfaitement renseigné sur tout ce qui se passe au Familistère et dans son usine, que nous avons parcourus f en long et en large, en ligne droite, en diagonale,
- ; dans tous les sens, il me sembla que vous vous ima-| ginez que nous n’avons plus rien à faire qu’à clore
- p.147 - vue 148/836
-
-
-
- 148
- LE DEVOIR
- notre voyage, en y inscrivant triomphalement le mot : fin! J’ai dit triomphalement, car ce mot fin, quelle satisfaction ne donne-t-il pas à l’auteur qui, après avoir consacré de longues, et parfois pénibles veilles à écrire un chef d’œuvre, tous les auteurs ont l’intention de faire des chefs d’œuvre, se voit parvenu au terme de ses travaux, et, contemplant son œuvre, peut-être satisfait de lui-même comme le créateur le fut, au dire de la Bible, après sa création ? Vous vous imaginez celaj parceque comme bien des gens, vous n’allez pas au fond des choses et qu’une étude superficielle vous suffit comme à la plupart des hommes. Mais vous êtes dans l’erreur, car si nous avons arpenté l’usine et parcouru ses ateliers dans toutes les directions, si nous en connaissons les détails, nous n’en avons pas pu saisir le coup d’œil d’ensemble, et pourtant la chose en veut la peine, je vous assure, et je croirais manquer au plus élémentaire de mes devoirs si je ne cherchais pas à vous donner cette satisfaction complémentaire.
- Si devenu sorcier pour un moment, ayant à mes ordres une fée bienveillante, je lui demande de mettre immédiatement à ma disposition un aérostat, et si nous élevant dans sa nacelle à quelques centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer, nous regardons le panorama au-dessous de nous, nous aurons assurément là un spectacle digne d’être contemplé. Nouveaux Icares planons donc un instant au-dessus de cette charmante vallée où se trouvent assis dans leur placide majesté le palais social et son usine. Le cadre est digne du tableau, formé qu’il est de ces collines boisées qui semblent protéger la coquette ville de Guise, dont les eaux argentées de l’Oise caressent dans leurs détours nombreux les maisons rouges aux toits d’ardoise. A l’extrémité Nord, à peu près au centre de la vallée, le Familistère nous offre ses vastes quadrilatères aux toits rouges comme ses murs de briques encadrant les toits vitrés de leurs cours, et sur l’autre bord de la rivière les bâtiments de l’usine enchevêtrés entre eux comme les alvéoles d’une immense ruche,grands bâtiments longs couverts de tuiles, accolés les uns aux autres dans tous les sens, sur une superficie de plusieurs hectares. Les hautes cheminées des fourneaux découpent dans l’azur leurs silhouettes maigres, que des panaches de fumée tantôt noire, tantôt grise, tantôt d’un blanc mat couronnent et complètent.
- Le bruit des machines ou des outils n’arrive plus à nos oreilles à cette hauteur ; mais l’activité de l’usine se trahit à nos yeux de toutes parts par ces allées et venues incessantes dont nous sommes témoins dans
- toutes les cours, dans tous les passages découverts où les hommes, les voitures, les wagonets circulent et se croisent dans un va et vient perpétuel d’un atelier à l’autre. Moins active qu’à l’intérieur cette ani-mation rappelle à notre souvenir celle qui y règne, et elle en est le corollaire naturel. Ainsi placés, nous pouvons embrasser d’un coup d’œil l’ensemble de cet amas de constructions dont nous n’apercevons que les toits, mais dont nous connaissons la disposition et la destination. Ces six bâtiments immenses qui à notre droite occupent tant de place, ce sont les magasins, à la suite desquels se trouvent les divers ateliers de l’emballage et du minage, de l’ajustage, les dépôts de terre réfractaire et deux des fonderies ; en face, nous avons les magasins aux foyers, et ceux de bois, la scierie mécanique, le dépôt de sable, le magasin aux châssis, la râperie, et plus directement au-dessous de nous les deux grandes fonderies dans l’une desquelles se trouve le moulage mécanique. A notre gauche les deux ateliers de l’émaillage, les fours à verre, la fonderie malléable et de cuivre, les forges et l’outillage; et enfin derrière nous l’atelier des modèles, les bureaux, les écuries et la porte d’entrée de l’usine.
- Si. curieux de renseignements du. passé, nous prions notre fée tutélaire de nous montrer pour un instant cet emplacement tel qu’il était il y a quelques siècles, au temps des ducs de Guise, elle nous ferait voir sans doute un terrain inculte et en friche, où ces aimables princes Lorrains, à qui l’histoire de France doit en grande partie sa hideuse page de la Saint-Barthélemy, pouvaient, dans les moments perdus, venir mener leur chasse et forcer quelque sanglier ou quelqu’autre fauve, pour le plus grand esbahissement de leur très haute, très puissante, et très noble compagnie. N’est-ce pas à quelques pas plus loin que s’élevaient alors les fourches patibulaires de ces nobles ducs, qui y faisaient pendre haut et court le vilain assez malavisé pour tendre un collet à quelque lapin sur leurs chasses, ou pour venir faire un misérable fagot de branches mortes dans leurs bois? Comme ces ducs, ces marquis, ces seigneurs, qui avaient ainsi droit de haute et bassse justice sur les pauvres diables qui vivaient sur leurs terres ont raison de regretter ces heureux temps 1 Aujourd’hui l’on ne peut plus faire pendre un malheureux qui a pris quelques branches de bois mort dans une forêt ; mais il existe encore de grands personnages à qui la France meurtrie, dépouillée, saignée aux quatre veines a dù faire l’aumône d’une quarantaine de millions, et qui poursuivent devant les tribunaux une infortunée mère de famille
- p.148 - vue 149/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 149
- qui a cueilli un fagot dans leurs bois, pouvant valoir quelques centimes ! Honte éternelle sur eux !
- Mais aujourd’hui aussi, dans l’ondroit même où s’élevaient les gibets des ducs de Guise, l’on a foré le puits artésien qui alimente d’eau le Familistère. Là où les princes Lorrains menaient parfois leurs chasses s’élève l’usiae sur laquelle nous planons en ce moment, et des souvenirs de barbarie y sont remplacés par des institutions d’avenir, qui tôt ou tard,bon gré mal gré,trouveront enfin des imitateurs et des admirateurs nombreux. C’est là que l’association réalisée du capital et du travail prospère et obtient les résultats féconds que nous avons déjà constatés. Là, au lieu des cris de souffrances des des malheureux que l’on conduisait au gibet seigneurial, retentissent les bruits si divers de l’activité humaine créant, créant sans cesse des appareils de comfort et de progrès. Les aboiements des meutes ducales ont fait place au sourd grondement des machines à vapeur mettant en mouvement les meules, les tours, tous les outils de l’industrie moderne. Ces terres abandonnées et incultes jadis ont été transformées en une source inépuisable de produits utiles, qui vont aux quatre coins de la terre donner satisfaction à l’un des besoins les plus impérieux de la vie.
- Cedant arma togæ, disait un ancien, qui voulait ainsi indiquer que de tous les arts, l’art-de la guerre était certainement le dernier. Il avait raison, si par toge il entendait la science, l’instruction mère de tous les progrès. Mais il eut été encore plus dans le vrai, à mon sens, si, tenant compte des services immenses rendus par l’industrie à tous les peuples de l’humanité, il eut dit : Cedant arma làbori. Oui, la guerre doit céder le pas au travail, car la guerre, c'est la destruction, la ruine, la désolation du genre humain, tandis que le travail c’est la richesse, la fécondité, le bonheur. L’art militaire sème la mort partout sur son passage; le travail répand la vie de toutes parts , la guerre c’est l’anéantissement, le ravage à l’état d’institution; le travail c’est la création, la fécondation de la nature sous toutes les formes. Les armes ne peuvent donner que le mal, l’outil toujours produit un bien; le guerrier tue, l’ouvrier fait vivre; le soldat détruit, le travailleur construit. Un peuple voué au militarisme est un peuple en décadence marchant à grands pas vers la ruine ; une nation qui développe son industrie au sein de la paix va de progrès en progrès vers la richesse et le bon-tmur. La guerre est stérile, le travail est fécond, et doter son pays d’une branche d’industrie nouvelle °est lui rendre un service mille fois plus grand que 1 augmenter par la conquête de provinces et même ;
- de royaumes. Qui a plus conquis de territoires à la France que le premier Napoléon ? Et qui l’a plus appauvrie que lui ?
- Celui qui l’affranchit du tribut payé aux colonies, en créant chez elle l’industrie sucrière ne lui fit-il pas un don bien plus précieux que les conquêtes aussi éphémères qu’inutiles du conquérant corse? Celui qui lui construisit son premier chemin de fer. celui qui îa dota du télégraphe électrique, tous ceux enfin qui lui fournirent un nouvel élément de travail et de prospérité ne lui ont-ils pas été infiniment plus utiles que tous ses rois conquérants, tous ses capitaines si renommés ?
- Guerre donc à jamais à la guerre, ce fléau de l’humanité qui résume en lui seul tous les fléaux, tous les malheurs et tous les maux I Guerre à la guerre qui est le crime légitimé, le meurtre, le vol, le pillage, le viol, l’incendie organisés tout à la fois, le plus grand des crimes, puisqu’elle les sanctionne tous ! Guerre à la guerre, et gloire au travail! Le travail c’est le relèvement de l’homme, son honneur, sa fortune, son indépendance, sa liberté. Le travail c’est la fécondité du sol rendue au pays, c’est la prospérité pour la nation,, le progrès pour l’humanité ! Il élargit les limites de la puissance de l’homme, le rend maître des éléments qu’il lui permet d’asservir et de dominer à son gré 1 Avec le travail l’homme parvient à surmonter tous les obstacles qu’il rencontre dans la nature, et il en fait sa tributaire, sa vassale, son instrument.
- C’est par lui que l’on est arrivé à supprimer les distances, à se rendre maitre de l’espace, à multiplier à l’infini les forces dont l’humanité dispose, à donner véritablement à l’homme sa dignité de roi de la création. Grâce au travail, pour lui les mers se sont transformées en roules commodes et faciles, les isthmes en canaux, les déserts en vastes et fécondes cultures.
- C’est grâce au travail, pour revenir des hauteurs où nous planons à l’usine d’où nous sommes partis qu’un modeste travailleur a mis l’activité et la vie là où les anciens ducs de Guise n’avaient laissé que l’immobilité et la mort. C’est par le travail qu’il a transformé ce sol jadis inutile en un modeste atelier d’abord, en une magnifique manufacture ensuite sans rivale en France, et chose pins admirable encore, qu’il a résolu le problème de l’alliance intime, indestructible des deux éléments de production en lutte acharnée jusqu’à présent, le capital et le travail! C’est par le travail sous toutes les formes, travail manuel et travail de la pensée, qu’humble ouvrier • au début, il est devenu grand industriel, et, ce qui
- p.149 - vue 150/836
-
-
-
- 150
- LE DEVOIR
- vaut mieux encore, grand fondateur de la plus belle œuvre sociale du siècle.
- Honneur donc au travail qui féconde tout, le sol, les intelligences et les âmes, en les rendant meilleurs Honneur au travailleur qui contribue pour sa part à la prospérité de son pays, et qui remplit ainsi dignement sa mission sur la terre. C’est l’usine qui est le véritable temple de la divinité, car c’est là que l’on lui rend l’hommage le plus élevé, le plus agréable et le plus digne d’elle, le travail. Rien n’égaie l’influence du travail sur l’âme humaine au point de vue de ses perfectionnements, de ses progrès moraux qui sont comme la conséquence naturelle et logique des progrès matériels réalisés par lui. Puissent donc les pacifiques et inappréciables conquêtes du travail prendre chez tous les peuples la place des conquêtes désastreuses et fatales de la guerre, pour le bonheur à jamais assuré de l’humanité !
- (A suivre).
- —*>'«'wViAAA/'lAIWawv—»
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANGE
- Un journal du Mans publie le « faits divers » suivant, qui est atroce dans son laconisme :
- « Un vieillard, né à Saint-Denis-d’Orques, se disant âgé de cent quatre ans, a été mis hier en état d’arrestation, sous l’inculpation de vagabondage et de mendicité. »
- D’autre part, il y a peu de temps, les journaux de Lyon donnaient la note que voici :
- « Le nommé Brossan Pierre, journalier, né en 1774, a été trouvé avant-hier soir couché sur un banc, près du boulevard des Hirondelles, et écroué pour vagabondage. »
- A Lyon, le vagabond avait cent sept ans ; au Mans, il a cent quatre ans.
- Donc, voici deux hommes sur la tête desquels plus d’un siècle a passé et qui n’ont même pas un taudis,où reposer leurs pauvres membres débiles et endoloris par le froid et la faim.
- Nous ne connaissons rien de plus affreux et de plus poignant.
- Gomment! après qu’un malheureux a travaillé toute sa vie, s’il n’a pu que gagner de quoi se suffire au jour le jour, s’il n’a pu s’assurer le pain de ses vieux jours,il sera donc, à l’heure où ses bras n’auront plus la force de supporter un labeur quelconque, jeté en prison comme un malfaiteur !
- C’est une houte !
- — Mais ces vieillards vagabondaient.
- Eh ! c’est justement parce qu’ils vagabondaient que ce ne sont pas eux les coupables : s’il y a délit ici, ce délit a été commis par la société.
- En effet, l’homme qui est arrivé à l’extrême vieillesse et qui ne peut, ayant accompli sa tâche, la continuer plus longtemps, devrait, dans une vraie démocratie,être seutenu! être arraché à une misère lamentable !
- Mais non ! Aujourd'hui,les centenaires en sont réduits à errer au dehors, sans gite, — et, alors, ii arrive, que des agents de police leur mettent la main au collet et qu’on les traîne devant les tribunaux correctionnels, en les accusant d’avoir « vagabondé. »
- Pauvres malheureux !
- Combien de fois on a dû s’apitoyer sur le sort de l’enfance abandonnée, et qu’on laisse vivre dans des milieux mauvais et qui. se vicie en grandissant; — aujourd’hui, il faut constater que si l’on ne fait pas grand’chose pour préserver les entants, on ne fait pas davantage pour sauver les vieillards.
- Ce serait, pourtant un devoir que d’accorder aux enfants et aux vieillards la protection à laquelle ils out droit, ceux-là comme étant l’avenir, ceux-ci comme étant le passe, et les uns et les autres au nom de leur faiblesse.
- On a souvent demandé des asiles pour les enfants ; — nous demanderons des refuges pour les vieillards !
- Qu’il n’y ait plus enfin de vagabonds centenaires.
- Les vieux ont le droit de mourir eu paix.
- 3La situation en Europe. — L’incident est clos, tout est clos, tout est fini, puisque le général Skobeleff est rappelé, disent les myopes. Tout commence au contraire, et le général Skobeleff est rappelé tout simplement pour rendre compte de sa mission. Oui, une lettre du tsar, sincère ou non sincère, nous le voulons bien,a désavoué le général,endormi les craintes et apaisé la colère du vieux Guillaume, qu’importe ? Ce ne sont point les empereurs qui mènent ic jeu. Les vrais adversaires sont Ignatieff et Bismarck. Ceux-là ne sont ni satisfaits, ni désarmés. Ignatieff n’a pas oublié l'humiliation de la Russie, ramenée des faubourgs de Constantinople, et forcée de laisser déchirer le traité de San Stefano. Le traité de Berlin ne'fut qu’une transaction, mais dans laquelle la grosse part fut faite à Bis-maick par Bismarck. Le traité de Berlin fut un coup de refouloir donné par le pangermanisme au panslavisme, l’Autriche prise entre les deux. La Bosnie et l’IIerzé-govineeonfiéesà la tutelle de T Autriche.c’est l’apparence; la réalité, c’est l’abandon de ces provinces à la voracité de l’Aigle à deux têtes. Le sultan, au fond, n’est point l’allié, mais l’instrument de Bismarck; Beaconsfïeld leurré, Waddington joué, la France affaiblie pour longtemps par l’insurrection algérienne et par le protectorat de Tunis, l’Italie alléchée, trustée, irritée, la Turquie poussée peu à peu en Asie, l’Autriche se glissant à pas de loup vers Salonique,pressée par le flot allemand, telles sont jusqu’ici les conséquences du traité de Berlin. Mais il se trouve que Bismarck a fait son compte sans mettre en ligne l’héroïsme de cette petite république inconnue, la Crivoscie, le patriotisme sauvage de l’Her-zôgovine, la haine du Bosniaque contre tout ce qui est allemand ou maggyare. Ce grain de sable qui glisse et s'échappe peut renverser l’édifice. Le traité de Berlin était ensemencé de guerre, cette mauvaise graine lève. Les peuples dont on a cru cimenter l’asservissement n’acceptent point leur servitude. L’Herzégovine, qui fit il y a sept ans tant de généreux efforts, se souvient d’elle-même; le sang à phne revenu dans ses veines, la voici de nouveau sur la brèche. Liubibratich va reparaître. Par une de ces fatalités étranges qui déconcertent la logique et semblent violer la loi morale qu’elles accomplissent, il arrive que le mouvement de ces peuples qui se lèvent pour se faire libres trouve appui sur le despotisme russe, et que le Tsar, traqué chez lui par les nihilistes, dehors prête la main aux revendications de i’affrauehissement.
- Ainsi naissent les peuples.
- Nous autres qui suivons la bannière de la paix par la liberté ptur la justice, ce spectacle n’a rien qui nous trouble. Dans cet écheveau, qu’embrouillent à dessein les diplomaties menteuses, nous démêlons le fil conducteur qui part du martyre des peuples pour aboutir à leur liberté; Nous voulons faire de la paix, non de la guerre, l’instrument de la délivrance.
- Ch. Lemonnier.
- (* Biais Unis d'Europe »).
- ANGLETERRE
- Il y a crise en Angleterre, et crise fort grave» On sait que malgré M. Gladstone la Chambre des lords a, sur la
- p.150 - vue 151/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 151
- proposition de Lord Dunoughmore, institué une commission chargée de faire une enquête sur l’application et les effets du Land act. M. Gladstone, comme il l’avait annoncé, a saisi la Chambre des Communes d’une proposition tendant à déclarer que toute enquête sur le Land bill était inopportune et dangereuse, il a demandé en même temps l’urgence et l’ouverture immédiate de la discussion. Sur l’opposition de sir Staffort Northcote, qui voulait l’ajournement, la Chambre a mis la question à l’ordre du jour par 360 voix contre 167 Le débat a donc commencé. Ce vote et probablement celui qui le suivra auront pour résultat de mettre en conflit les deux Chambres. Les Communes censurent la Chambre des Lords. C’est une crise non-seulement politique, mais constitutionnelle et quasi révolutionnaire. Rude coup donné à la vieille Constitution.
- Le 31 janvier dernier, il y a eu, dans la petite ville de Coventry. une intéressante cérémonie. L’association coopérative des ouvriers fabricants de montres offrait un bijou à M. Vansittart Neale, secrétaire général du Central Co-operative Board. L’idée de cette manifestation de gratilude pour services rendus à-la coopération est venue à ces ouvriers, à la suite d’un accident arrivé à M. Neale. Pendant un voyage qu’il fit pour venir assister à une réunion de coopérateurs de Coventry, on lui vola sa montra. — M. Neale est un homme fort distrait. — Il voulut en acheter une nouvelle à la Société de Coventry ; mais celle-ci refusa de lui vendre et décida la fabrication d’un bijou spécial,
- La présentation de ce témoignage a eu lieu, suivant l’usage anglais, dans un grand meeting. Dans l’un des discours qu’il a prononcés, M. Neale a pris texte du mécanisme de sa montre, pour développer les principes de la coopération productive. Il a vu dans l’action combinée des rouages et des ressorts une analogie avec l’action combinée des coopérateurs. Dans un passage éloquent et fort applaudi, il a présenté la coopération comme l’organisation rationnelle et harmonique de la production et de la destruction des richesses ; comme un état de choses dans lequel chacun travaille pour tous et tous pour chacun, et où le bien de l’un n’engendre pas le mal de l’autre.
- IRLANDE
- Nous détachons d’une lettre adressée à la France par son correspondant particulier, les renseignements suivants :
- Les crimes agraires sont plus nombreux que jamais et ce sont les fermiers qui payent leurs redevances qui en sont les victimes les plus fréquentes. Dans ma dernière lettre je vous disais que nous avions en moyenne un assassinat par semaine ; maintenant c’est deux, c’est trois assassinats par semaine qu’il faudrait dire : et quels assassinats, grands Dieux! Quelle indifférence pour la vie humaine, quelle cruauté froide et dénuée de pitié ils exposent à nos yeux ! Le 23, la petite ferme de David Freely est enveloppée par une bande de 50 brigands armés. Une voix s’élève du milieu de celte troupe : « David Freely, vous êtes accusé d’avoir payé votre redevance. Sortez pour vous disculper! » David ne bouge pas, mais son fils Patrick sort pour donner les explica-Gations demandées. Il n’est pas plus tôt dehors qu’on lui tire deux coups de feu dans la poitrine et il tombe raide mort aux pieds de sa vieille mère. Deux jours plus tard, un homme est tué, en plein Dublin, de deux coups de revolver, mais il paraît qu'il avait fait des révélations à la police et son cas excite peu de sympathie.
- Enfin, dimanche dernier, seize hommes déguisés et la figure noircie pénètrent chez un fermier du comté de GÏare, commencent leurs opérations par chercher une chandelle et, n’en trouvant pas, envoient en chercher fine chez un fermier voisin, et maintenant qu’ils y voient clair, voici m qu’ils font : 1° ils font mettre le vieux fermier à genoux au milieu de la chambre et lui cassent les
- jambes d’un coup de carabine ; 2° ils tirent de dessous le lit un des fils qui s’y était caché et lui donnent trois coups de couteau dans la tête ; 3° l’autre fils, ayant essayé de se sauver, est tué par ceux qui gardaient la porte d’entrée i t qui n’hésitent pas un moment à lui envoyer le contenu de leurs carabines dans le dos.
- Tous ces crimes épouvantables en quatre jours! A qui la faute ? A ceux qui ont supprimé les meetings et l’agitation à ciel ouvert, cette soupape par où s’échappaient l’enthousiasme et l’exaltation du peuple.
- Gomment, vous voulez supprimer la vapeur? Alors attendez-vous à des catastrophes. Il y a toujoxirs eu des crimes agraires en Irlaude : tant qu’il y aura des évictions, il y aura des vengeances ; mais jamais il n’y avait eu si peu d’assassinats que pendant l'agitation, et jamais il n’y en a eu tant que depuis la suppression de la ligue et l'emprisonnement arbitraire de ses chefs et de six cents autres citoyens,auxquels on ne peut reprocher que d’avoir voulu obtenir pacifiquement la réforme d’abus odieux.
- AUTRICHE
- Les insurgés de l’Herzégovine et de la Bosnie vont avoir un chef ; Liubibvatich, le héros patriote de 1875 reparaît. Il adresse aux libéraux hongrois un appel éloquent ; il les conjure de faire pour la Crivoscie. pour l’Herzégovine, pour la Bosnie ce que la Hongrie eût voulu qu’on fît pour elle en 1848 et en 1850. L’Autriche qui aussi longtemps qu’elle l’a pu ne donnait point de nouvelles de l'insurrection, en donne maintenant de fausses. Chaque fois qu’après un engagement les insurgés remontent dans leurs montagnes emportant leurs blessés et leurs morts, elle les dit battus et dispersés, mais ces retraites, cette dispersion subite c’est leur tactique. Pour les réduire il faudrait une expédition pareille à celle que les Français ont faite contre les Krou-mirs, et les Crivosciens ne sont pas des Kroumirs, ils ont des armes et une grande habileté à s’en servir. Trois vaisseaux de guerre et cinq mille soldats n’ont pas réussi à dompter les Crivosciens qui tiennent encore après la destruction et l’incendie de leurs six bourgades principales.
- ESPAGNE
- La grèye de l’impôt continue en Espagne, M. Cama-cho tient bon, mais les contribuables aussi tiennent bon. On les poursuit, mais ils ne paient point. Le roi est à la chasse.
- ITALIE
- On évalue à quinze cent mille le nombre des nouveaux électeurs.ifaliens qui ont requis leur inscription sur les listes. Les catholiques ont mis un grand empressement à se faire inscrire ; il y avait ordre forme) du Pape. Léon XIII veut avoir ses forces prêtes ; il les essaiera d’abord dans les élections administratives. Plus tard, s’il juge la victoire possible, il les lancera dans les élections politiques.
- * *
- Voici la liste des questions qui seront soumises au Congrès de la Libre Pensée qui se prépare à Rome ;
- 1. — Des bases scientifiques de la morale.
- 2. — De l’influence des diverses théories scientifiques (darwinisme, positivisme, etc.) sur l’avenir et l’organisation des Sociétés.
- 3. — De la méthode scientifique en matière d’éducation.
- 4. — Des rapports de l’Etat avec les Eglises dans les Sociétés contemporaines, et en particulier de la loi des garanties.
- 5. — De l’influence de la Libre Pensée sur l'abrogation des lois qui consacrent les inégalités sociales, notamment entre la femme et l’homme,'entre les enfants légitimes et les enfants naturels.
- 6. — De l’influence de la Libre Pensée sur les rapports internationaux.
- p.151 - vue 152/836
-
-
-
- 152
- LE DEVOIR
- ALLEMAGNE
- La question de l’émigration continue à préoccuper les hommes politiques allemands. Il y a quelques jours uu délégué du conseil fédéral, M. Bœtticher a donné au Reichstag des renseignements statistiques sur ce point. En 1880, le nombre des Allemands qui ont quitté leur pays s’est élevé à 30,000; en 1879, il avait été de 28,000; en 1878, de 23,000. et en 1877 de 20,000. C’est donc une augmentation de 50 0/0 en quatre ans.
- Les libéraux accusent de cet exode la politique oppressive de M. de Bismarck et ses iautes économiques, qui aggravent la misère du peuple. Le gouvernement prétend, au contraire, qu’il n’y a là qu’un résultat de l’augmentation extraordinaire de la population.
- Il y a du vrai dans les deux assertions. Il est certain que si l’émigration s’arrêtait, le sol de l’Allemagne.ne pourrait bientôt plus nourrir ses habitants; à moins cependant que ceux-ci ne devinssent malthusiens. Mais, d’autre part, le malthusisme pratique est l’apanage des nations riches et non celui des peuples pauvres. Ceux-ci n’ont que la ressource de se répandre au dehors, soit pacifiquement par l’émigration, soit violemment par la guerre, laquelle a, en outre, cette conséquence de provoquer un déchet.
- Mais, d’autre part, au fur et à mesure que la richesse augmente, que les sentiments de dignité nationale ou politique se développent, le régime despotique et le service militaire deviennent moins supportables. Ainsi s’explique l’émigration de nombreux jeunes gens instruits et aisés, qui vont porter leurs capacités et leurs capitaux dans les nouveaux pays.
- *
- + *
- Empereurs et socialistes. — L'empire allemand et l’empire russe font des procès : l’allemand aux socialistes, le russe aux nihilistes. A Posen, après six jours de débats, on condamne à dix-huit mois, à deux ans, à trois ans de prison des gens coupables de ces crimes horribles : paroles offensantes contre l’empereur ; création de groupes socialistes; participation â des assemblées tenues en plein air; usage de faux passeports; faux noms donnés impertinemment à la police pour la dépister. Parmi ces condamnés on remarque une femme noble fort riche et fort distinguée, madame Jan-kowska, coupable d’aimer la liberté et de vouloir la justice.
- En Russie c’est à huis-clos que l’on instruit le procès, que l’on interroge les accusés, qu’on les juge, qu'on les condamne. Non-seulement le public n’est pas admis, mais ce qu’on n’avait encore^ point vu nulle part, les avocats ne peuvent assister à l’interrogatoire de leurs clients ! La Sibérie naturellement est au bout du corridor. le tribunal n’est que l’antichambre de l’exil ou de l’échafaud, le condamné passe de plein pied de l’audience dans la télègue qui l’emmène au galop loin de sa famille et de sa patrie.
- BELGIQUE
- On lit dans la Meuse, de Liège :
- On vient de faire à Angleur, aux portes de notre ville, une découverte archéologique du plus haut intérêt :
- Il y a quelques jours, un ouvrier hriquetier, en creusant le sol, a mis au jour, à une profondeur de cinquante à soixante centimètres, une vingtaine de pièces de brouze antique, extrêmement remarquables. Parmi ces objets se trouvent deux statuettes de femmes, la statuette de jeune homme nu, qui lève les bras vers le ciel, deux faunes, trois têtes de Mercure barbu, deux têtes de tigre, un lion avec patte levée, un morceau ce tuyau rectangulaire, un robinet romain, etc., etc. i
- La plupart de ces objets, recouverts d’une superbe £ patine verte, sont admirablement conservés. f
- Les statuettes sont du plus beau travail antique, et ! peuvent rivaliser, comme élégance, et perfection de I
- détails, avec les plus belles pièces de ce genre découvertes à Pompéi. D’autres objets sont d’un travail beaucoup moins parfait, presque grossier même. Tandis que les premiers ont été évidemment apportés d’Italie, les seconds paraissent avoir été confectionnés dans notre pays, ou les arts étaient loin d’être aussi développés. Tous ces objets, que l’on a retrouvés entassés les uns sur les autres, paraissent, comme l’indiquent les différentes espèces de tuyaux qui s’y trouvaient mêlés,avoir fait partie d’une fontaine monumentale qui ornait la salle ou le jardin d’une riche villa romaine.
- Les archéologues les plus compétents les font remonter au siècle des Autonins ou au commencement du troisième siècle de l’ère chrétienne. Cette découverte est d’aufant plus extraordinaire que jusqu’à présent on n’avait jamais soupçonné l’existence de constructions romaines dans cette localité. Les fouilles opérées dans ces dernières années, à Jupille et à Juslenville, près de Theux, avaient déjà fait découvrir une foule d’objets fort intéressants qui se trouvent déposés à notre musée archéologique; mais ces trouvailles sont loin d’avoir l’importance de celle qui vient d’être faite à Angleur.
- I! n’est pas douteux que si Ton fait pratiquer des fouilles en cet endroit, on mettra au jour d’anciennes substructions et qu’on fera encore d’autres découvertes.
- ÏJïï© éruption volcanique. — Un courrier d’Honolulu donne ces détails sur la curieuse éruption du volcan de Man-Loa, éruption la plus considérable du siècle :
- Le jet de la lave a commencé le 5 novembre 1880, il a duré sans interruption jusqu’au milieu d’août 1881. Il a été pris de très nombreuses photographies de ce torrent de lave et un peintre a représenté ses diverses phases dans trente-huit peintures à l’huile. Une lettre de M. Green, d’Honolulu, dit que quand la lave s’accumule sur une grande surface, une nuée perman mte de vapeur refroidie descend à travers l’air chaud et léger au-dessous d’elle, et quand elle arrive en eau à la lave incandescente, elle est de nouveau convertie en vapeur.
- Des photographies de la lave, prises près de Hilo, montrent qu’après avoir coulé sur une distance de 30 à 40 milles, elle est encore à l’état liquide. Plus haut, sa croûte refroidie a formé un tunnel. En regardant à travers les quelques interstices de cette croûte, on voit la lave apparemment liquide et chauffée à blanc. On. a huit photographies d’un lac aux parois verticales, situé à 2 milles de Hilo, et que la lave a comblé eu une heure quarante minutes. Le joli petit village de Hilo semblait voué à la destruction ; la lave formait un demi-cercle de feu autour de lui, et l’on craignait qu’il n’y eût pas possibilité de détourner le courant, quand le jet a heureusement cessé.
- TRAVAILLEURS ET CAPITALISTES
- Bien imprudents sont les journaux conservateurs de s'aventurer sur le terrain de la question sociale : ce qui d’ailleurs ne leur arrive guère que pour faire pièce à leurs adversaires politiques.
- A propos des récentes grèves du Gard, le Petit Moniteur universel oppose aux revendications des ouvriers une fin de non-recevoir souvent alléguée, mais qui n’en vaut pas mieux.
- « Pour qui, demande ce journal, pour qui dans l’industrie sont les chances de perte, si ce n’est pour le capital, puisque le travail est toujours assuré de
- p.152 - vue 153/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 153
- son salaire, puisqu’en économisant sur ce qu'il gagne, l’ouvrier peut, lui aussi, devenir un capitaliste? »
- La bonne plaisanterie ! Comment, sur an salaire qui suffit à grand’peine aux premiers besoins de l’existence, économiser de quoi se créer un capital ? Et puis advînt-il, par une suite d’heureux hasards, à trois ou quatre ouvriers sur des centaines de mille, d’atteindre un certain niveau de fortune, quelle influence cela peut-il avoir sur le sort de la grande masse laborieuse, asservie fatalement, de par la loi de l’offre et de la demande, à un salaire limité au strict nécessaire du vivre journalier?
- Les chances de perte sont toutes, dit-on, pour le capital. Il est vrai que l’ouvrier ne risque, lui, dans ces travaux insalubres et périlleux des mines, que sa santé et sa vie : peu de chose, en vérité. Une explosion de grisou, un éboulement tuent, estropient une centaine d’ouvriers qui laissent des veuves et des enfants sans ressource. Mais qu’est cela auprès de la perte possible pour les capitalistes actionnaires de quelques billets de mille francs? perte qui sera d’ailleurs bientôt couverte par une bonne année d’extraction et de vente.
- Qu’on juge donc lequel, du mineur ou du bailleur de fonds, met le plus précieux enjeu dans cette partie, toujours plus ou moins aléatoire, qui se joue au sein des houillères ?
- Mais pourquoi, au surplus, ces deux agents, travail et capital, dont le concours à la pr oduction est réciproquement indispensable, au lieu de rester comme aujourd’hui à l’état d’hostilité permanente avec des intérêts divergents, opposés, ne feraient-ils pas un pacte d’alliance ? La condition de ce pacte, c’est la participation des salariés aux bénéfices et leur élévation par suite au rang d’associés, ayant le même intérêt que les actionnaires à la prospérité des exploitations où ils sont employés. C’est de la volonté des capitalistes et des directeurs d'établissements industriels que dépend l’accomplissement d’une telle réforme, offrant sans doute des difficultés d’exécution et de mise en pratique, difficultés nullement insurmontables d’ailleurs : des faits et des expériences décisives l’ont déjà prouvé. Tant qu’elles ne feront rien pour entrer dans cette voie de l’accord et du salut, les compagnies actionnaires auront la principale responsabilité des grèves.
- C. P.
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE & RELIGIEUSE
- Le Oulte des morts
- Les morts sont des invisibles et no7i pas des absents.
- \
- L’immortalité de l’âme est une vérité tellement évidente par elle-même,qu’il nous semble oiseux de nous mettre en quête de raisonnements pour prouver la dualité de l’être et la survivance de l’âme après la mort.
- Dieu existe, car il n’y a pas d’effet sans cause ; l’homme possède une âme immortelle; car, s’il en était autrement, Dieu ne serait pas juste. Comment, en effet, sa justice saurait-elle s’accommoder de ces conditions de bonheur pour les uns et de souffrance pour les autreSj dans lesquelles sans cause sont jetées toutes les créatures humaines ?
- Si toutes ces anomalies, ces injustices apparentes sont l’effet du hasard, c’est que Dieu n’existe pas ; au contraire, nous croyons en lui, nous ne saurions séparer son existence de la croyance en l’âme immortelle et en la pluralité des existences; vérités capitales sans lesquelles il est impossible de concilier les inégalités de la vie avec la justice divine.
- Les plus puissants génies de l’humanité ont cru à l’immortalité de l’âme. Fourier, cette sublime figure qui a rêvé l’harmonie sociale, c’est-à-dire le bonheur pour tous et la paix universelle, a découvert cette grande vérité par la seule force de ses déductions rigoureuses. Vingt ans plus tard, Allan Kardec, nouveau génie que tourmentait aussi la passion du vrai et l’amour de nos semblables, vint établir par des faits sérieusement observés, que non-seulement l’âme survivait à la matière, mais encore qu’elle pouvait se manifester aux vivants.
- Tous ceux qui ont effleuré cette nouvelle science, malgré les difficultés qu’elle présente dans l’étude de ses phénomènes, où l’on redoute à chaque instant ou d’être dupe de trop zélés adeptes, ou quelquefois d’habiles exploiteurs, sont arrivés à cette conclusion : L’âmè est immortelle, et les morts que nous pleurons continuent de vivre à nos côtés, n’ayant de moins que nous que le fardeau delà matière, et possédant en plus,une clairvoyance inconnue aux humains.
- Quelle doit être la nature du culte que nous devons rendre à nos chers disparus ; comment devons-nous témoigner notre respect et notre affection aux morts que nous pleurons? Telle est la question que nous allons examiner aujourd’hui.
- Christ a dit : A chacun selon ses œuvres ; ce n’est donc point en priant pour les morts,encore moins en
- p.153 - vue 154/836
-
-
-
- 154
- LE DEVOIR
- chargeant de ce soin des prêtres mercenaires,qui ont l’impudence de trafiquer des choses sacrées, que nous devons espérer être utiles à ceux qui nous ont quittés. Ces paroles du Christ sont une condamnation formelle du commerce scandaleux auquel on se livre sans vergogne dans l'Eglise catholique, en vendant des prières pour les morts; et une preuve incontestable que, suivant lui, nos bonnes œuvres sont les seules prières sur lesquelles nous puissions compter.
- Si nous ne pouvons être utiles aux morts par la prière sans forcer Dieu à transgresser ses lois, nous pouvons en revanche leur être infiniment agréable en nous mettant en communication avec eux par la pensée; les consoler, les aider, voire même leur demander des conseils, entretenir avec eux des relations constantes, même en ce qui touche les choses de la terre; tout cela est en notre pouvoir, et je vous le déclare, en pensant à nos chers absents, nous les rendons bienheureux. Nos pensées tracent dans l’éther des rayons qui se croisent sans jamais se confondre; les invisibles les connaissent et avertis par ces signaux amis accourent à nos premiers appels et entrent en communication avec nous.
- De même que lorsque nous jetons sur le papier quelques lignes affectueuses à l’adresse d’un ami isolé sur une terre étrangère, nous produisons dans son âme, à la réception de ce message, une émotion douce et bienfaisante, ainsi, lorsque penché sur la tombe d’un ami disparu, nous lui disons : Ami, sois heureux dans ton nouveau séjour, pense à nous qui pensons tant à toi, inspire nous de bonnes pensées et conseille nous dans les moments difficiles, nous' produisons chez cet ami regretté un sentiment d’indicible bonheur.Qu’est il besoin d’autres prières pour les morts ? Cet échange de pensées affectueuses n’est-il pas plus conforme à la raison que l’usage de ces longues prières où vous suppliez à chaque ligne l’Eternel pour votre protégé ?
- Est-ce que le Tout-Puissant que vous invoquez soir et matin pour votre parent ou ami a attendu vos supplications pour leur accorder les témoignages de sa justice?
- Toutes ces prières prescrites par les différentes religions qui couvrent la terre sont outrageantes pour le Créateur; elles sont complètement inutiles, et décèlent une complète ignorance des lois de justice et d’immutabilité qui sont les attributs essentiels de la divinité.
- Pensons donc à nos morts avec le plus profond recueillement, essayons par tous les moyens qui sont en notye pouvoir de rendre plus directes nos
- communications avec eux, initions-nous à la recherche des secrets qui nous voilent la vie d’outretombe; c’est le culte le plus vrai que nous puissions rendre à nos chers disparus, c’est le plus sûr moyen de leur être agréable et de les rendre heureux.
- Edmond Bourdain.
- L’ÉGLISE & L’ETAT
- die Çharlemügne à François 1er VI
- Le monde livré au droit du plus fort, du plus audacieux et du plus immoral, tel est le spectacle qui s’offre aux yeux de l'observateur impartial lorsque, l’Europe partagée en deux factions, l’une pour la papauté italienne et l’autre pourla papauté française, éclate le grand schisme d Occident.
- Deux papes, Urbain VI et Clément VII, s’excommuniant mutuellement, se renvoyant anathème pour anathème, et, non content de se servir des foudres apostoliques, prenant à leur solde des soldats d’aventure commandés par des prêtres et les lançant les uns contre les autres, comme on ferait de molosses, tels sont les guides spirituels qui s’offrent au peuple. Ses guides temporels sont à l’avenant.
- Un cri d’indignation contre la prostituée de Baby-lone s’élève du sein des masses. Le mot de réforme déjà prononcé tant de fois revient sur les lèvres. A ce mot Wicliffe accourt. Il nie l’Eucharistie, l’excommunication, le purgatoire, la hiérarchie ecclésiastique, le culte des saints, la suprématie du pape le droit divin des rois. L’anarchie est dans les es" prits, la souffrance est à son comble : la protestation de Wicliffe trouve de l’écho chez ceux qui souffrent, elle devient doctrine et Jean Huss et Jérôme de Prague se font ses docteurs.
- Le schisme qui se perpétue avec Benoît XIII à Avignon, Grégoire XII à Rome et Jean XXIII en Allemagne, donne une autorité immense aux prédications réformistes. Le monde chrétien s’émeut. Un Concile est résolu et il s’assemble à Constance en 1414.
- Son premier acte, sur la proposition de Jean Ger-son, est de déclarer qu’il est supérieur au pape ; qne tout chrétien est obligé de lui obéir, et qu’il ne se séparera pas avant d’avoir rendu la paix à l’Eglise.
- Jean XXIII accusé et convaincu des crimes les plus monstrueux est déposé et s’incline devant cet arrêt. Grégoire XII abdique et Benoît XIII qui résistait est déposé. La Concile ajoute à ses déclarations précédente» qu’à lui seul appartient le droit d’élir©
- p.154 - vue 155/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 155
- un nouveau pape qui devra convoquer un Concile général tous les cinq ans. Le nouveau pape est Martin V. En dépit de ses promesses, il se contente de faire un concordat pour le redressement de quelques abus, avec l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Angleterre et l’Espagne, puis il dissout le Concile dont un des pires actes est la condamnation de Jean Huss et de Jérôme de Prague. Ils sont brûlés tous deux, le premier en 1417 le second en 1418.
- En 1423, conformément à ce qui lui avait été près crit, Martin V convoque un Concile à Sienne ; mais rien ne s’étant fait dans cette assemblée, elle est transférée à Bâle en 1431.
- Eugène IV qui venait de succéder à Martin V, furieux de ce que le Concile s’était assemblé de lui-même, cherche à entraver sa marche et essaie de le dissoudre. Les pères résistent, renouvellent les déclarations du Concile de Constance et commencent les réformes réclamées en abolissant les annates, mandats et réserves, par lesquels les successeurs de Saint-Pierre prélevaient d’énormes impôts sur la chrétienté.
- Eugène entre en lutte avec le Concile qui finit par le déposer. Nouveau schisme par l’entêtement d’Eugène à vouloir occuper le siège pontifical et l’élévation à ce siège d’Amédée VIII, duc de Savoie, sous le nom de Félix V.
- Cependant la chrétienté en majorité adopte les décrets de Bâle et Charles fait voter à Bourges, en 1438, par le clergé français, la fameuse ordonnance connue sous le nom de Pragmatique de Bourges. Dans cet acte, la suprématie des conciles proclamée par le Concile de Constance est enregistrée de la manière la plus formelle. Le caractère de perpétuité qui lui est attribué est également tracé de la façon la plus explicite et l’on y règle le mode de célébration des conciles généraux comme suit :
- « Le premier suivra immédiatement à l’expiration « de la cinquième année après la fin du présent Con-« cile ;
- « Le deuxième, sept ans après la fin du premier ;
- « Et les autres de dix en dix ans à perpétuité. »
- Hélas, le roi Charles et son clergé oubliaient que la perpétuité ne s’édicte pas. Les princes qui avaient d’abord accepté avec empressement les décrets de Bâle se réconcilièrent avec le Saint-Siège. Nicolas V qui avait succédé à Eugène IV négocia avec Félix V qui se démit de lui-même, et le Concile qui se sépara rnotu proprio, en 1449. Les réformes restèrent à faire.
- Mais ce qui se perpétua, ce furent les abus. Jérôme Savonarole, un homme de Dieu, cependant, est brûlé pour avoir osé prêcher la réformation des princes et
- l
- de la cour romaine, réformation jugée, pourtant, si nécessaire que la Faculté de théologie de Paris assemblée par ordre de Charles VIII, roi de France, se prononce le 11 janvier 1497 en faveur des décisions des Conciles de Constance et de Bâle et déclare que « si le pape ne s’y conforme la chrétienté doit passer outre et pourvoir elle-même aux besoins de l'Eglise.» Cette déclaration, bien que rendue publique et annoncée à tout le monde chrétien, est un coup d’épée dans l’eau. Le Jubilé séculaire ouvert en 1500, la veille du jour de Noël par Alexandre VI, fut encore une occasion, une source de désordres, de licence et de dérèglements inouïs, auxquels l’avènement de Jules II fut loin de mettre fin. L’humeur batailleuse, l’ambition et les intrigues du nouveau pontife, ne firent qu’ajouter aux dissensions des Etats, à la confusion des pouvoirs.
- Un nouveau Concile est résolu qui se réunira à Pise. Le pape est sommé d’y comparaitre. Loin d’obtempérer à cette sommation, il oppose concile à concile, fixe l’église de Saint-Jean de Latran pour le lieu, et le 19 avril 1512 pour la date de sa réunion.
- Dans la bulle relative à ce concile, le pontife se prévaut de ce que la bulle du Concile de Constance n’a pas été observée depuis plus de 80 ans et justifie ainsi son initiative qu'il proclame du reste comme un droit imprescriptible. Il fait mieux, il annule l’indic-tion du Concile de Pise et excommunie quiconque s’y soumettra.
- De Pise le Concile, qui ne se croit pas en sûreté, se transporte à Milan. La lutte s’engage plus vive de jour en jour. L’empereur et le roi Louis XII sont avec les Pères de Milan, Ferdinand, les Vénitiens et tout ce qui forme la sainte ligue sont avec le pape. Ce dernier est suspendu temporellement et spirituellement par le Concile de Milan qui, de nouveau menacé, se transfère à Lyon.
- De son côté, Léon X, successeur de Jules II, excommunie Louis XII, met son royaume en interdit, délie ses sujets de toute obéissance et, pour punir Lyon, ordonne que les foires qui se tenaient dans cette ville aient lieu désormais à Genève. Puis il ajourne le roi, les prélats, les chapitres et les parlements à comparaître devant lui dans 60joursetà dire les raisons qui font qu’ils ne veulent pas que la Pragmatique soit abrogée.
- Le roi de France, sollicité par sa femme, après des concessions insignifiantes de la part du pape, fait sa soumission au Concile de Latran. Cette assemblée décide dans sa 9* session que tous les prélats de France doivent renoncer au Concile opposé.
- Elle ordonne le renouvellement des lois touchant
- l’exemption des personnes et des biens ecclésiasti-
- p.155 - vue 156/836
-
-
-
- 156
- LF! DEVOIR
- ques de îa juridiction laïque; défend aux rois, aux princes, et généralement à tous les seigneurs et laïques de séquestrer ou de saisir, sous quelque prétexte que ce soit, les biens ecclésiastiques sans la permission du pape, comme de mettre des impositions sur les clercs. Enfin elle ordonne qu’il sera procédé par les inquisitions contre les hérétiques, les juifs, les relaps, refusant tout pardon à ces derniers.
- Lorsque s’ouvre la 10e session, dont les décisions font époque, François Ier est sur le trône.
- C. P. Maistre.
- "-—"es............
- L’INQUISITION
- L’écrivain qui signe Atticus, dans la République française, a publié, d’après un livre de M. Molinier, une intéressante étude sur Y Inquisition en France au treizième siècle. Nous en détachons les passages suivants :
- A Carcassonne comme à Toulouse, c’est dans une église que l'Inquisition prononce ses jugements, excepté peut-être quand il s’agit d’hérétiques parfaits et coutumaces : ils sont mis hors la loi et condamnés sur la place du marché du bourg. Tous les autres sont jugés devant les autels, en présence du clergé, des notables et d’une foule de peuple aussi grande que possible.
- La sentence n’était d’ailleurs pas définitive, en ce sens que l’Inquisition pouvait toujours l’adoucir ou l’aggraver, même sans nouveau motif. Ses victimes demeuraient ainsi éternellement dans sa main, et soumises jusqu’à leur dernière heure à la surveillance d’une haute police occulte, que formaient les clercs, les curés des paroisses et tous les bons fidèles.
- « Désignés à la suspicion comme à la risée universelle par les grossiers insignes dont l’Inquisition les forçait à charger leurs vêtements, ils n’avaient devant eux d’autre perspective qu’une existence faite de craintes et de hontes quotidiennes. »
- Le saint tribunal les avait ruinés, il les refoulait à jamais dans une détresse et une terreur infinies.
- A Carcassonne, les peines inquisitoriales se répar-tissaient en quatre groupes distincts : peines canoniques, peines mineures, peines majeures et peines infamantes.
- Les croix étaient la peine infamante par excellence. Ce châtiment est peut être antérieur à l’établissement même de l’Inquisition. « Nous vous imposons et nous vous enjoignons, dit l’inquisiteur de Béziers aux condamnées, de porter sans cesse sur tous vos vêtements, excepté la chemise, deux croix
- de feutre de couleur jaune (la couleur infâme dont Rome marquait les juifs) ; l’une au-devant de la poitrine, l’autre par derrière, entre les épaules, et d’avoir soin qu’elles soient toujours bien apparentes’ soit que vous demeuriez dans l’intérieur de votre maison, soit que vous en sortiez; ces croix doivent avoir la dimension suivante : deux palmes et demi pour un bras et deux palmes pour l’autre, avec trois doigts de large pour chacun.
- Vous les réparerez ou vous les remplacerez sans retard, si elles viennent à se déchirer ou à disparaître par l’usure. Il était permis de déposer la croix pour un laps de temps rigoureusement déterminé. « 3 mars 1253. Ordre a été donné à Gaillard Vassal, (celui-ci avait déposé spontanément ses croix et adoré de nouveaux des héritiques) de reprendre sur le champ les croix. De plus, en qualité de relaps, il devra porter deux croix, chacune d’une palme, sur son chaperon, et il ne pourra, ni dans sa maison ni au dehors, se dispenser de porter ce chaperon avec les croix qui s’y trouveront attachées. Enfin, chaque dimanche de carême, il aura à visiter toutes les églises du bourg, en chemise et en braie, nu-pieds avec des verges dans la main et coiffé du chaperon qui lui a été ordonné de porter. »
- D’autres fois, les condamnés se présentaient au prêtre pendant la messe, des verges à îa main; le prêtre les en fustigeait vigoureusement; ils suivaient les processions, et l’officiant, les fouettait à la dernière station.
- L’inquisition avait d’ailleurs tout un arsenal d’insignes et de cérémonies d’infamie. Le faux témoin subissait l’exposition publique à la porte des églises. Les mains liées, la tête nue, en simple tunique et sans ceinture, il demeurait attaché au sommet d’une échelle, depuis le matin jusqu’au milieu de l’après-midi. A ses vêtements étaient fixés quatre langues de drap rouge, deux par devant, deux par derrière ; ces ornements symboliques lui restaient définitivement.
- Pour les sorciers qui employaient l’Eucharistie à leurs maléfices, le s gne était deux morceaux de feutre jaune taillée eu forme d’hostie.
- Ceux que l’inquisition lâchait pour quelque temps hors de.ses cachots portaient l’image d'un manteau en étoffe rouge. Les faussaires de lettres inquisitoriales recevaient sur la poitrine une lettre rouge. Et tout ce pauvre monde, cheminait, courbé, effaré, au grand soleil du midi, insulté par les enfants, par les lâches, par les femmes, frisonnant sous l’emblème ignominieux, coup de griffe sacrée dont la trace devrait être éternelle.
- Les peines canoniques se réduisent àl’excommuni-
- p.156 - vue 157/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 157
- cation, mesure préventive prise contre l’accusé insoumis ou coutumace. On l’excommuniait pour lui faire peur, l’isoler du troupeau chrétien. Le malheureux, abandonné de tous, de ses enfants même, traqué, vendu, ne tardait pas à se jeter aux pieds de ses juges.
- L’excommunication sous forme, par exemple, la défense d’entrer désormais dans l’église paroissiale, s’ajoute aussi comme peine complémentaire, à un châtiment plus grave.
- Les amendes et les oeuvres pies représentent la classe des peines mineures. « 27 avril 1256. G-. Roque a promis de donner cinquante sous en échange des pèlerinages qu’il ne peut accomplir à cause de son grand âge. » — « 9 avril 1255. Bernard de Martres a engagé par serment et par acte notarié sa personne et ses biens, en garantie d’une somme de dix livres tournois dont il payera la moitié à la Saint-Jean prochaine, et l’autre moitié à la Toussaint, en compensation du voyage d’outre-mer, (à Jérusalem) qui lui a été imposé à lui-même, et des pèlerinages qui ont été ordonnés à sa femme, et que celle-ci ne peut accomplir à cause de la maladie dont elle souffre. » (
- Celui-ci paiera six livres « pour l’achèvement de la chasse du bienheureux saint Antonin, de Pamiers martyr; » celui-là cent cinquante sous à la requête de l’abbesse de Rieunette, pour un bâtiment dans le monastère, deux autres engagent tout ce qu’ils possèdent pour garantir la promesse qu’a faite un maçon de servir pendant deux ans les bonnes religienses du même couvent « dans les travaux qu’elles pourraient avoir à faire exécuter et qui concerneraient son métier de maçon. » N’y a-t il pas ici comme le début d’un conte pour Boccace et La Fontaine ?
- Les peines publiques et infamantes étaient les pèlerinages, la flagellation et les croix. La confiscation et la prison perpétuelle étaient pareillement marquées d’infamie. Les pèlerins s’en allaient péniblement, à leurs frais, poursuivis par la suspicion et la risée populaires, aux lieux que les juges leur avaient assignés. Sur les routes des sanctuaires les plus fameux, ils trouvaient des hospices bâtis à leur intention, véritables léproseries spirituelles, où ils s’abritaient pour la nuit.
- ----------------------
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCES :
- 1er Mars. — Eugénie Malderey, fille de Eugène Mal-derey et de Legrand Alice.
- 3 Mars. — Léonie-Henriette Froment, fille de César Froment et de Clémentine Drocourt.
- LA PREMIÈRE BATAILLE
- PAR
- r^ZilîlC3rX^OïJ,, traduit par Mikhaïl. Achkinasi
- I
- Les étoiles s’éteignaient, l’aurore empourprait l’horizon, l’air était tiède et parfumé; dans l’herbe les oiseaux gazouillaient.
- Une brise fraîche effleurait les paupières alourdies d’Aliochiae qui pendant tout ce temps était agité intérieurement et plongé dans un demi-sommeil.
- Il s’eveilla, se remit bien en s< lie et, ouvrant largement les yeux, contempla le nouveau matin.
- A droite un rideau brumeux cachait le spectacle sanglant de la tuerie qui venait de commencer.
- Directement en face de l’armée qui s’avançait se dessinait le relief menaçant des forteresses turques et dans le lointain, à l’horizon, du côté de l’Orient, les sommets neigeux de l’Alaguez et de l’Ararat étincelaient sous les feux du soleil levant comme deux émeraudes merveilleuses.
- — Comme c’est beau, laissa échapper Aliochine ; et son visage s’éclaira d’un joyeux sourire, maison ce moment même son regard tomba involontairement sur les ambulanciers qui suivaient la batterie et qui portaient les civières en parlant bas.
- — Le ravissant spectacle du beau matin disparut subitement pour Aliochine; ses lèvres tremblèrent légèrement, et son cœur se serra de douleur.
- — Je mourrai bientôt, lui vint-il de nouveau à la pensée : sur ces mêmes civières que ces jeunes soldats portent maintenant avec indifférence, on me portera moi, pâle, immobile, mort ! Et il eut grand pitié de lui-même, de sa jeunesse, et du peu de bonheur qui lui avait été donné jusque-là sur la terre.
- —- Tout sera fini aujourd’hui, tout, pensa-t-il; mais aussitôt il se rasséréna et s’étonna qu’une pensée lâche lui fût venue.
- — N etait-ce pas lui-même qui, de son propre gré, était allé à la guerre, se hâtant même afin d’arriver
- à temps pour la prise de Kars, et maintenant.......
- ô pusillanimité, pusillanimité l
- Aliochine détourna son visage des civières et se mit à regarder à gauche du côté de la masse noire de l’armée qui s’avançait.
- Devant sa batterie marchait le brave régiment *— ski. Il avançait lentement, presque sans bruit; le visage bâlé des soldats respirait la fatigue, mais il était tranquille; deux jeunes officiers, placés à la tête du régiment causaient joyeusement et l’un d’eux, de petite taille semblait même riie. 1
- Aliochine cligna des yeux et regarda attentivement les officiers.
- p.157 - vue 158/836
-
-
-
- 15S
- LE DEVOIR
- — Ils rient, ils rient 1 se dit-il avec joie, en sentant lui monter au cœur un flot de courage. La guerre, la bataille, qu’j a-t-il là d'effroyable !
- Vois comme le ciel est bleu, comme le soleil brille, comme ces officiers sont gais et comme cet admirable et intrépide corps d’armée marche tranquillement, tantôt noircissant et tantôt reluisant au soleil.
- En ce moment un petit et gros adjudant, tout noir de la fumée de la poudre, arrive à la batterie galopant sur un cheval couvert d’écume.
- Il haletait, la sueur l'inondait, et ses petits yeux se mouvaient pleins d’effroi. En une seconde l’adjudant devint l’objet de la curiosité générale. Aliochine, suivant l’exemple de Zaitzef, s’avança, se dressa sur sa selle et devint tout ouïe.
- — Eh bien, comment vont les affaires, demanda Litvinof, s’efforçant de saisir la main de l’adjudant qui avait du vif-argent dans les veines.
- — Mal, capitaine, mal, bégaya l’adjudant, Kisil-Tapa est prise; le bataillon du régiment... Ski est rasé, le général K. tué, le colonel G. tué, le général T. blessé, le général V. b.blessé, le prince D. b.b. blessé. Et après avoir donné ces* informations encourageantes, l’adjudant, sans répondre aux nouvelles questions de Litvinof, battit l’air de ses mains avec désespoir et partit d’un autre côté.
- Lorsqu’il passa près du second régiment, on l’arrêta aussi, et, en voyant de loin remuer ses bras, l’on devinait qu’il racontait les mêmes nouvelles avec les mêmes détails.
- Un sentiment de honte et de désespoir vola comme une étincelle électrique à travers toute la batterie.
- — En avant, marche ! commanda Litvinof à la batterie qui s’était involontairement arrêtée, et son commandement habituellement mesuré et tranquille était cette fois amer et irrité.
- — En avant, marche ! répéta après lui Zaitzef avec autant d’irritation.
- Aliochine ne commanda rien ; son cœur vibra douloureusement et les battements s’en étreignirent dans un émoi accablant.
- — Mon Dieu, que va-t-il arriver, pensa-t-il, ainsi que tous les autres.
- Et comme, en réponse à cette pensée, se déroula tout à coup devant ses yeux un horrible spectacle.
- En face de la batterie, pas à pas, stimulant avec indifférence son cheval noir, passait un dragon grisonnant, tenant par la bride un autre cheval sur la selle duquel était jeté le corps encore chaud de son camarade.
- La nuque ensanglantée de ce dernier,son uniforme taché de sang et de poudre et ses mains pendantes produisaient une impression pénible.
- — Cela commence ! pensa Aliochine, et ceci qu’est-ce encore; ô pauvre animal!
- Vers la batterie, un cheval alezan blessé avançait péniblement, traînant avec peine sa jambe mutilée et laissant dans l’herbe humide de rosée des traces de sang. Les yeux de cet intelligent animal avaient un regard piteux et appelaient à l’aide avec tant d’éloquence qu’Aliochine eut honte que personne, excepté lui, ne fît attention à cet être bon, silencieux et abandonné.
- — Au trot, commanda le chef de la batterie et celle-ci s’ébranlant marcha en avant à travers champs et près, en avant laissant derrière elle le spectacle terrifiant de l’ambulance provisoire surmontée de la croix de Genève et autour de laquelle gémissait convulsionné l’amas informe des corps humains : en avant, laissant derrière elle ce malheureux fantassin endormi solitaire au milieu des champs du sommeil de la mort, avec une marque ensanglantée sur la tempe gauche; en avant, dans le ravin pierreux et profond, à côté d’un bataillon de tirailleurs dissimulé, devant un général au cou gros et court, qui gourmandait un petit adjudant; , en avant, toujours en avant de l’autre côté du ravin où un épais nuage de fumée cachait l’image horrible de la guerre, où la terre résonnait du gémissement sourd de la bataille engagée, et où l’ange de la mort volait menaçant au sein de la souffrante humanité.
- [A suivre) Mikhaïl Achkinasi.
- ^Petite lii@toiï*e d© Curé
- Le respect sien va, la foi se perd. Même dans les petits villages où, il y a peu de temps encore, les ministres du Seigneur étaient de petits potentats plus autocrates encore que le Czar de toutes les Russies, même dans ces petits villages, on commence à raisonner et à dépouiller l’idole de son prestige.
- A preuve l’aventure désagréable dont vient d’être le héros ou plutôt la victime le curé de X.,., une commune située pas très loin de Melun.
- Ce curé avait un joli pied, il en avait même deux, mais l’usage veut qu’on dise un joli pied; à peine âgé de trente-cinq ans, assez bien de sa personne, notre ensoutané est coquet et ne dédaigne pas de voir les regards de ses paroissiennes s’arrêter complaisamment sur sa figure ou admirer sa prestance.
- Il avait le plus grand soin de son joli pied; jamais il ne portait de ces horribles souliers lacés, bons pour des paysans; il était toujours chaussé d’élégants souliers, décolletés à friser 1 escarpin et revêtus d’une boucle d’argent polie à s’y mirer; la soutane légèrement relevée, il permettait volontiers à ses ouailles préférées d’admirer une cheville élégante et un coude-pied bien dessiné, le tout recouvert d’un bas bien tiré.
- | Le curé de X... avait été favorisé du Ciel ; il avait s trouvé dans sa commune un cordonnier qui possédait 1 pour le chausser un talent à nul autre pareil; impos-| sible de rien voir de plus réussi que les souliers qu’il
- p.158 - vue 159/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 159
- confectionnait pour son pasteur, c’était moulé. Aussi avait-il la pratique exclusive du presbytère.
- Ce cordonnier, resté veuf avec un petit garçon, résolut, il y a un an environ, de prendre une nouvelle compagne; il fit choix d’une fort belle fille, se disant sans doute que, pour tant faire que de commettre uùe bêtise, il n’y avait pas de mal à ce qu’elle eût son bon côté.
- L'union contractée, la nouvelle épousée vint habiter la commune de X... et devint une des, pénitentes les plus assidues de notre curé. Celui-ci ne la voyait pas d'un mauvais œil, bien au contraire.
- Mais la belle était honnête, et toutes les insinuations, toutes les allusions du curé se heurtaient à une surdité auprès de laquelle celle que possèdent les pots n’est que de la Saint-Jean.
- Les obstacles, la résistance irritèrent notre ensou-tané qui ne cessait de ruminer les moyens d’en venir à ses fins.
- Il crut un jour avoir trouvé.
- Le fils du cordonnier allait à l’école sans Dieu; dans le confessionnal, le prêtre souffle à l’oreille de la jeune belle-mère qu’il lui appartenait de ramener son mécréant de mari dans le droit chemin, et le forcer à retirer son fils de l’école communale pour l’envoyer à côté chez les congréganistes. — « Pour y arriver,lut dit-il, vous n’avez qu’une chose à faire : refusez à votre mari le devoir conjugal tant qu'il n’aura pas obéi.
- La femme promi. Une fois qu'elle fut sortie de la boîte à confession, le curé se frotta les mains; tout allait pour le mieux, la brouille allait survenir dans le ménage et il espérait pêcher en eau trouble.
- Malheureusement pour lui, la, femme n’était pas si naïve qu’elle en avait l’air; elle avait parfaitement compris où le curé voulait en venir et n’était nullement disposée à seconder ses desseins.
- Aussitôt rentrée, elle raconta à son mari ce qui se passait et lui fit part des intentions du pasteur.
- Le cordonnier résolut de se venger. Le lendemain matin, c’était un dimanche à l’aube, il se rendit chez le curé qui dormait poings fermés et affirma à la servante qu'il avait reçu l’ordre de visiter toutes les chaussures de son maître. La servante n’y entendant pas malice, lui appoata tout ce qu’il y avait de souliers dans la mrison. Notre homme en fit un paquet et emporta le tout chez lui, ne laissant même pas à l’oint du Seigneur une mauvaise pair de savates.
- L’heure de la messe arrive, le curé s’éveille, s’habille et veut se chausser pour aller célébrer le Saint-Sacrifice. Plus de souliers !
- La servante lui raconte ce qui vient de se passer. Sur son ordre, elle court chez le cordonnier.
- Celui-ci refuse obstinément de rien rendre. a — Va-t-en dire à M. le curé qu’il en voulait à ma tête, moi j’en veux à ses pieds. Il voulait me coiffer, iuoi je ne le chausserai plus.
- Et ce dimanche-là, la commune de X... dut se passer de messe, le curé ne pouvant sortir nu-pieds. Pendant ce temps, le mari allait de cabaret en cabarets, racontant l’aventure. Le village en a tant ri que sou pasteur devra demander à changer de résidence.
- {Avenir de Seine et'Marne).
- La "vu.© et l’éclairage électrique
- Depuis plusieurs années déjà, les médecins et, en particulier, les oculistes, étudient la question de I éclairage électrique au point de vue de l’hygiène
- [ oculaire On craignait que les rayons chimiques si | éblouissants de cette lumière, que les fréquentes os-! dilations et que las modifications de couleur ne constituassent un danger pour un organe aussi im-i pressionnabie, aussi sensible que celui de la vue. Il '[ n’en est heureusement pas ainsi. D’une part, le | Dr Cohn, ne Breslau, et, d’autre part les membres de î la Société des sciences naturelles de Brunswick sont i d’avis que l’éclairage par la lumière électrique ne ! donne lieu à aucun produit nuisible ou gaz délétère,
- . et en outre qu’il provoque une unité visuelle plus grande qu’avec la lumière du jour ou la lumière au I gaz.
- I Dans une des dernières séances de la Société de | médecine publique, M. le docteur Javal a fait, de son côté, une communication tendant à établir que la lumière électrique est absolument sans danger pour la vue, grâce au degré de division où l’on est parvenu à l’obtenir. Chez les électriciens qui, cependant, regard nt la lumière de près et souvent sans l’emploi de lunettes préservatrices, on n’a pas encore cité un seul accident sérieux. Il est donc permis d’affirmer qu’on peut en faire usage partout sans inconvénient.
- Au point de vue de l’hygiène, on doit donc chercher si l’électricité permet, à prix égal, d’obtenir plus de lunrère que par les procédés actuellement usités. Sous ce rapport, il est incontestable que de très grands progrès ont été accomplis depuis deux ans. Les régulateurs ont été simplifiés ; le prix des gailiettesde charbon s’est abaissédans des conditions inespérées ; enfin, grâce aux inventions de Rnynier et d’Edison, la division delà lumière électrique s’obtient à de bas prix. Toutefois, avant que ce mode d’éclairage puisse être introduit dans les habitations, il importera de déterminer quelle est la couleur des verres qui permet de mieux supporter l'intensité des rayons lumineux. Les verres d’une teinte jaune paraissent être les meilleurs. G’est ce qui paraît résulter d’expériences faites par M. le docteur Fieuzal, et c’est ce que d’ailleurs la théorie faisait pressentir, puisque le verre jaune arrête les rayons violets et ultras-violets.
- Je terminerai par une seule observation : bien des maladies oculaires qui s’observent chez des travailleurs sont le résultat d’un éclairage insuffisant; la lumière électrique rendra donc, sous ce rapport, le plus signalé service si on parvient à l’obtenir dans des conditions telles que chacun pourra en user largement.
- (Siècle). Dr M. D.
- L’Association
- du
- Offre les emplois suivants:
- de Guise (Aisne)
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de ta Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise lAisne).
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Piace, 36.
- p.159 - vue 160/836
-
-
-
- EN VENTE
- MUTUALITÉ SOCIALE
- ET
- ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- ou
- EXTINCTION DU PAUPÉRISME
- Par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production contenant les statuts de la Société du Familistère de Guise
- Par GODÏN
- Broché avec la vue générale des établissements de l’Association. . . 5 fr. ; sans la vue 4 fr.
- du même; auteur
- SOLUTIONS SOCIALES, 1 volume de 655 pages, avec la vue générale du Familistère, les vues intérieures, plans et gravures, édition in-8, 10e édition grand in-18. . . 5 fr.
- Les ouvrages ci-dessus sont en vente à la librairie du Devoir ainsi que chez Guillaumin et Ge libraires, 11, rue Richelieu et à la librairie Ghio, 1, 3, 5,7 galerie d’Orléans, Palais-Royal, à Paris.
- DU MÊME AUTEUR à la Librairie du DEVOIR:
- La Politique du travail et la Politique des privilèges, volume de 192 pages. . 0.40 c.
- La Souveraineté et les Droits du Peuple, volume de 192 pages...................0.40 c.
- La Richesse au service du Peuple, volume de 192 pages..........................0.40 c.
- Les Socialistes et les Droits du travail, volume de 192 pages..................0.40 c.
- Histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, de G. J. HOLYOAKE, résumé extrait et traduit de l’Anglais, par Marie MORET......................... 0.75 c.
- COLLECTION DU DE VOIR r
- volume broché, 432 pages. . . . ' . . 3 francs.
- 2e » » 464 . . . 3 »
- 3e » » 624 » . . . . 4 50
- 4e » » 832 y> . . . . 6 »»
- 5e 3D » 864 :»> . . ,
- EN PRIME AUX ABONNÉS DU « DEVOIR »
- LS FILLE DE SON PÈRE, par Mme Marie Howiand, volume de 650 pages au prix
- réduit de 1 fr. 50. 1
- Ge dernier volume se vend également au prix de 3 fr. 50, chez Ghio, éditeur, 1, 3, 5, 7, Galerie d’Orléans, Palais-Royal, Paris.
- Ces ouvrages sont envoyés franco contre mandats ou timbres-poste adressés au gérant du Devoir, à Guise (Aisne).
- p.160 - vue 161/836
-
-
-
- 6' ANNÉE» TOME 6 — N" 184 -Lt numéro hUcmaiaire 2o c. DIMANCHE 19 MARS 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- «A'ï'A-
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GOniN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm* w ac
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l'administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Expérience sociale de Ralahine, comté de Clare (Irlande). — U Egalité et le Progrès dans l’Humanité. — Voyage autour du Familistère, 11° XVI.— Faits politiques et sociaux. — le travail manuel en France. — L’Eglise et VEtat : de François 1er à Louis XIV. — Etat-Civil du Familistère. — Bibliographie. — La première bataille.
- EXPÉRIENCE SOCIALE DE RALAHINE
- Comté de Clare (Irlande)
- La question sociale se pose et se posera déplus en plus inquiétante et redoutable, si les classes dirigeantes n'avisent à l’application des remèdes propres à en fermer les plaies. La guerre civile en Irlande et les grèves dans tous les pays nous montrent l’urgence qu’il y a de s’occuper des réformes réclamées par notre état social.
- L’expérience réussie de faits pratiques est en cette matière la chose la plus propre à attirer l’attention des personnes restées indifférentes à l’étude de ces
- questions; elle est aussi la plus propre à servir d’exemple pour entrer dans la voie des applications et des réformes.
- C’est dans cette pensée que Mc Marie Moret a traduit de l’anglais et résumé, afin de les publier dans le « Devoir », les faits palpitants d’intérêt de l his-toire de l’Association agricole fondée en 1830, à Ralahine, comté de Clare (Irlande).
- Cette histoire a paru dans le « Coopérative News » de Manchester, organe principal des coopérateurs anglais, et moniteur officiel pour ainsi dire, de la grande fédération des sociétés coopératives du nord de l’Angleterre.
- Le récit est d’autant plus remarquable qu’il est fait par un des principaux acteurs de ce drame social, M. E.-T, Craig, secrétaire et administrateur de l’Association.
- La Société de Ralahine a été fondée au milieu d’une surexcitation publique, plus grande encore que celle dont l’Irlande offre de nos jours le triste spectacle.
- Le récit de cette entreprise montre comment à travers les difficultés insurmontables en apparence de la guerre civile : assassinats, attentats incessants à la propriété, l’association des travailleurs aux produits de la terre a eu la puissance de ramener le calme, la paix et d’établir la joie et le bien être, là où il n’y avait que douleurs et misères.
- Cette expérience réalisée au milieu des plus grands périls, donne quand même les résultats les plus utiles à connaître. Elle sombre, il est vrai, au bout de deux ans, non que son principe soit atteint en quoi que soit; mais par une catastrophe étrangère à l’Association et qui entraîne la dissolution de la
- p.161 - vue 162/836
-
-
-
- 162
- LE DEVOIR
- Société. La loi anglaise, si favorable aujourd’hui aux entreprises coopératives, n’avait alors rien qui garantît l’existence des associations ouvrières.
- La tentative racontée par M. Craig s’accorde d’une façon tellement intime avec les principes exposés dans le « Devoir » matique et si intéressante que nous la publions non-seulement pour faire plaisir à nos lecteurs, mais aussi comme élément de réforme sociale utile à faire connaître. Cette histoire démontre,dans quelle coupable incurie sont plongés les propriétaires irlandais en ne tenant aucun compte d’une telle expérience faite au milieu d’eux.
- La question sociale est la première des questions du jour, on est forcé de le reconnaître; et le mal qui la met en évidence s’attachera de plus en plus aux flancs de la Société, jusqu'à ce que le remède soit appliqué.
- Or, mettre en lumière les moyens pratiques et pacifiques d’opérer les réformes nécessaires pour assurer aux travailleurs la subsistance, l’instruction et le bien-être, c’est faire oeuvre de pacification sociale, c’est concourir à l’accomplissement de la tâche réservée à la civilisation moderne.
- C’est à la propagande de ces idées que notre Revue est consacrée, aussi l’histoire de l’Association agricole de Ralahine devait-elle trouver place dans nos colonnes, puisqu'elle démontre par des faits comment l’Association entre travailleurs et capitalistes fait disparaître les embarras que l’exploitation abusive du capital entretient de nos jours.
- Nous commencerons cette publication dans un des prochains numéros du « Devoir. »
- L ÉGALITÉ ET LE PROGRÈS DASS L’MJMASITÉ
- L’humanité sur la terre obéit comme toutes les -créatures dans ce monde, à des lois fixes, certaines, j immuables, lois naturelles auxquelles elle ne peut se j soustraire en aucune façon, parce qu’elles se tradui- I sent chez elle par'des besoins qu’elle est rigoureusement tenue de satisfaire. La première de ces lois, celle qui les résume toutes, c’est la loi de vie. Vivre, voilà la loi suprême de l’humanité, comme de toutes les créatures, et la vie humaine est un appoint fourni par l’Etre à la vie universelle. Tout suit cette règle suprême et immuable, l’astre qui se meut dans le concert harmonieux des mondes dans l’espace,comme l’oiseau qui salue de ses chants joyeux le lever du jour, comme le cèdre orgueilleux dont le front se j perd dans les nuages, ou l’humble vermisseau qu’un ? brin de mousse dérobe aux regards. j
- Tout vit, et tout agit, car sans activité point de vie, et l’activité c’est le travail, la production, la consommation, la répartition, l’aliment de la vie.
- Iqui s’enchaînent et se lient si étroitement,qu’ils n’en font réellement qu’un seul multiple et complexe. Ces devoirs sont l’entretien constant de sa propre vie, le respect absolu de la vie des autres, et enfin le concours actif fourni au développement de la vie de tous.
- Toutes les lois humaines doivent donc avant tout être conformes à ces principes naturels, dont l’autorité prime toutes les autres, et que rien au monde ne peut infirmer et encore moins détruire.Toute société dont la législation viole en quoi que ce soit cette règle immuable de la vie est une société mai organisée, dont l’existence constitue une dérogation choquante dans l’ordre moral de l’univers. Tout ce qui ne suit pas rigoureusement la loi de vieest anormal, et doit cesser d’être comme toute chose nuisible et mauvaise. C’est un critérium infaillible qui permet d’apprécier sainement et d’une façon absolue le bien et le mal moral, aussi bien que le bien et le mal social.
- Or un des caractères les plus essentiels de cette loi universelle et souveraine, c’est qu’elle est la même pour tous sans distinction ni réserve; elle s’applique à l’homme ainsi qu’au ver de terre, au gigantesque éléphant aussi bien qu’aux microscopes infusoires. Tous les êtres du haut en bas de l’échelle sont soumis à cette règle, de la façon la plus absolue. Elle se retrouve partout dans la nature, et particulièrement dans l'espèce humaine. Tous les hommes sont doués des mêmes facultés, des mêmes instincts ; ils ont tous les mêmes besoins, les mêmes appétences, les mêmes désirs; ils sont sujets aux mêmes inconvénients, aux mêmes souffrances, aux mêmes maladies, et rien absolument rien, ne les distingue les uns des autres : aux yeux du Créateur.
- L’homme aura beau vouloir modifier cet état de choses, tous ses efforts dans ce sens seront vains, et quelque soin qu’il prenne, il ne fera jamais que le sang du plébéien ne soit pas aussi rouge que celui du descendant des Césars, et que la blessure qui donne la mort à l’un ne tranche la vie de l’autre. Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse, tous les hommes sont égaux dans la nature,ils l’ont toujours été, et rien ne pourra faire qu’ils ne le soient toujours. Ayant tous les mêmes besoins, ils ont aussi les mêmes droits et
- Ainsi, tout être dans la nature a la vie pour but, et sa mission consiste à travailler au développement de • elle est en même temps si dra- | la vie universelle. Le travail est donc inséparable de
- la vie, il en est une des conditions essentielles, et la loi de vie impose à l’homme trois devoirs essentiels
- p.162 - vue 163/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 163
- les mêmes devoirs : besoin de vivre, droit de vivr<>, j devoir de vivre.
- La société, collectivité d’êtres humains, n’a point d’autres droits ni d’autres devoirs que ceux qui appartiennent à l’homme, et c’est pour cela qu’elle doit avant toutes choses prendre pour modèle de ses règles sociales les lois naturelles, et en premier lieu la grande loi primordiale de l’univers, la loi de vie. Développer la vie, la protéger, la défendre et à plus forte raison la respecter, telle est son premier devoir. Pour cela, elle doit imiter aussi la nature dans les moyens qu’elle emploie pour appliquer ses lois, et par conséquent, ainsi que nous venons de le voir, elle doit prendre pour base de sa législation, l’égalité. Tout ce qui est une inégalité froisse la loi naturelle, fondée sur la plus stricte justice, et viole le droit naturel basé sur l’équité. L’inégalité est une atteinte grave portée à loi de la vie, et elle est, par conséquent, un crime de lèse humanité.
- Tout cela est élémentaire en fait de politique so- ] ciaîe, et l’on est surpris de voir que la plupart des législateurs de peuples ne paraissent point en avoir la moindre notion. Si l’on consulte la plupart des diverses Constitutions qui régissent les sociétés qu’on nomme des nations, on trouve à chaque page, nous allions dire à chaque ligne, des dispositions légales qui sont en opposition formelle avec ces lois souveraines de l'humanité, et qui produisent naturellement les anomalies et les désordres dont tous les peuples souffrent. Presque toutes ces Constitutions consacrent plus ou moins l’inégalité des castes, les privilèges en faveur d’une partie delà nation, et c’est de là que résultent le plus grand nombre de plaies sociales, et la plus hideuse de toutes, le paupérisme, ulcère rongeur qui mine lentement la vie des sociétés.
- Les fausses notions de justice qui ont dicté cette clause anormale qui détruit l’égalité sont tellement vivaces dans les esprits que, même dans les pays où, comme dans le nôtre, la Constitution proclame lega-üté des citoyens, les faits viennent tous les jours démentir le principe posé en loi, et si l’égalité existe de nom en droit, elle n’existe nullement en réalité. 0r sans l’égalité de fait, point d’exercice possible, pour quelques uns, du droit de vie,et par conséquent omission de la part de la société de remplir à l’égard
- ces spoliés son devoir naturel du respect de la vie.
- Or, nous l’avons vu, la vie implique l’activité, le fravai], et c’est par le travail seul que le progrès se Valise. Le progrès, c’est la seconde loi souveraine de la nature, conséquence et corollaire, pour ainsi dire, de la loi de vie. Tout progresse dans l’univers,
- car si la vie est le but des êtres, le progrès est le but de la vie. Tout cela s’enchaîne admirablement parce que c’est l’œuvre de l’intelligence suprême, source de vie, puissance créatrice de l’être. Vie, travail, progrès, voilà les pôles du grand mouvement universel dans lequel les sociétés humaines ont leur place féconde soigneusement marquée.
- Il en résulte que tout ce qui dans les institutions sociales nuit à la vie, porte atteinte au travail, et par conséquent au progrès, dont le travail est un des principaux agents. L’inégalité des conditions,en privant une partie de l’humanité des moyens de vivre, en lui refusant la satisfaction des besoins les plus urgents de la .vie, est donc nuisible au progrès de la Société, et elle viole ouvertement une des lois primordiales de la nature.
- Pour rentrer dans la vérité de l’existence sociale, il est donc indispensable que l’égalité règne réellement de fait aussi bien que de droit dans la nation. Il est urgent que tous les citoyens aient une part égale à la protection que la loi doit à la vie humaine, et que la satisfaction de leurs besoins ne soit pas entravée par des restrictions injustes et contraires à l’équité. Il faut que tous les hommes aient les mêmes droits reconnus et qu’ils puissent les exercer librement, de même qu’ils ont les mêmes devoirs à remplir envers eul-mêmes et envers l’humanité.
- Ce n’est que dans ces conditions que l’activité humaine pourra se déployer pleinement, et, par le développement complet du travail, réaliser la plus grande somme de progrès possible. Or tout est là pour les individus aussi bien que pour les Sociétés. Vivre et progresser, tout tend à ce double but, tout gravite forcément dans ce cercle. Là où l’existence est favorisée dans son épanouissement, le progrès se produit ; mais là où la vie est à la gêne, la décadence ne tarde pas à se manifester.
- Dans le dernier recensement fait en France, l’on a constaté une diminution de-population dans les départements ruinés par le phylloxéra ou autres fléaux mortels pour l’industrie humaine ; à ce propos, le Petit Journal engage le gouvernement à chercher un remède efficace à ce mal social, et il s’écrie avec raison : « La haute politique c’est bien: le paie, c’est mieux. »
- Le pain, voilà le mot de la vie ! c’est l’égalité du pain à tous qu’il faut donner avant tout. Le pain, c’est la vie, et tous ont le droit d'en avoir. Tant qu’il y aura dans le monde des hommes qui en sont privés, l’essentiel, nous ne saurions trop le redire, l'essen-! tiel restera à faire, et il y aura toujours urgence à jj ce que cela soit fait. Donc, plus de privilèges, qui en \ favorisant l’action de quelques-uns, paralysent celle
- p.163 - vue 164/836
-
-
-
- 164
- LE DEVOIR
- plus utile et plus féconde d’un plus grand nombre ; plus d’inégalité qui fournit en excès aux uns ce dont d’autres sont forcément dépouillés. Place pour tous, et place égale, au banquet de la vie, auquel tous les hommes ont le droit incontestable de s’asseoir. Que chacun, en concourant pour sa part d’activité à l’œuvre commune de progrès, ait aussi sa part légitime dans le nécessaire de la vie,
- Législateurs, pénétrez-vous bien de l’idée que votre mission consiste à chercher et employez tous les moyens possibles pour atteindre ce but. N’oubliez jamais cette parole profonde du journal que nous avons cité : « La haute politique, c’est bien, le pain, c’est mieux. Modifiez même cette parole et dites-vous : « La haute politique, c'est chose vaine : le pain, c’est tout. » Votre devoir, soyez-en bien convaincus une fois pour toutes, votre devoir consiste à travailler sans cesse à créer, par de bonnes institutions, les ressources indispensables pour assurer à tous sans exception le nécessaire, et tout le nécessaire à la vie humaine. Hors de là, tout ce que vous ferez sera œuvre morte, travail inutile. Lorsqu’on vous propose une loi à voter, demandez-vous si elle concourt au développement de la vie humaine, si elle est conforme aux exigences de la loi primordiale, et aidés de cette pierre de touche infaillible,votre ligne de conduite sera aisée à tracer. Les lois purement politiques n’ont rien d’urgent; celles qui touchent à l’existence sociale des peuples, au contraire, sont extrêmement pressées; donnez donc le pas à ces dernières sur toutes les autres, et vous aurez dignement rempli votre devoir. Il vaudra infiniment mieux pour votre gloire d’avoir voté dans le cours d’une session une loi, une seule bonne loi donnant pleinement satisfaction à un besoin social, que d’en avoir voté cent d’ordre purement politique. * La politique n’est rien ; le pain c’est tout. »
- VOYAGE AUTOUR DO FAMILISTÈRE
- DEUXIÈME PARTIE XVI
- L’usine que nous voyons dans un coup d’œil d’ensemble en ce moment constitue, ainsi que vous pouvez vous en rendre facilement compte, cher lecteur, une valeur considérable à tous égards. Le terrain, les constructions si nombreuses, les machines de toutes sortes si multipliées, l’ensemble si important de l'outillage, l’énorme quantité de matières premières et de produits manufacturés, tout cela peut être évalué sans crainte d’erreur plusieurs millions.
- D’autre part, nous apercevons aussi du haut de notre nacelle, les bâtiments du Familistère avec ses jardins que l’Oise enlace amoureusement dans son cours, comme une naiade embrassant un Faune, et nous admirons ce splendide palais social, où ne sont point logés des princes, mais ce qui vaut infiniment mieux que des princes, des travailleurs. Ce magnifique immeuble unique au monde vaut plus d’un mil-lion.
- Tout cela a été acquis petit à petit avec le produit économisé d’un travail constant et sans relâche de quarante années, et c’est le fruit de veilles ajoutées aux veilles, d’un labeur incessant et infatigable poursuivi à travers les obstacles, les fatigues, les empêchements de toute nature, par un homme éminent par son intelligence, et ce qui vaut encore ’ mieux par son cœur. En travaillant de la sorte à ’ acquérir la richesse, ce n’était pas pour lui seul qu’il travaillait ; son but était plus noble, plus désintéressé, plus haut ; il travaillait pour ses collaborateurs, les ouvriers de l’usine, qu’il devait associer à l’exploita.tion4 industrielle crée par lui, et il travaillait aussi et surtout pour l’humanité, dans l’espérance bien fondée que son exemple contribuerait pour une très large part à mettre un terme aux : souffrances des classes laborieuses.
- Voilà pourquoi tous ces immeubles qui, le 12 août 1880 encore,appartenaient exclusivement à M. Godin, le fondateur du Familistère, cessaient le lendemain de lui appartenir, pour passer en la possession de l’association formée par lui avec les ouvriers, en vertu d’un acte régulier, fait sous seings privés à la ? date du 13, et déposé en double au greffe de la Jus-tice de Paix de Guise et au greffe du tribunal de Commerce de Vervins, avec toutes les annexes de ï] pièces propres à rendre définitive et sans contestation possible la constitution de cette société.
- ’ Ce jour-là, le nombre des associés n’était que de six, tous signataires de l’acte constitutif de la société, mais à l’assemblée générale extraordinaire qui eût * lieu le dimanche 12 septembre suivant, vingt-six I membres associés furent admis, ce qui portait le I nombre total des membres à trente-trois, en y com- I prenant le fondateur, et ces trente-trois associés, le mercredi suivant, en assemblée extraordinaire, votaient l’admission dans leurs rangs de treize autres travailleurs, avec la qualité d’associés.
- Ce fut un beau jour certainement,pour le fondateur de cette belle institution,que celui où il réalisa cette I î conception de sa grande âme, l'association du Capital ) et du Travail. D’autres sont heureux et marquent l d’une pierre blanche le jour, où, par quelque succès | brillant, ils gagnent soit une fortune, soit une répu- K
- p.164 - vue 165/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 165
- tation, ou toute autre satisfaction égoïste et personnelle. En mettant la dernière main à l’entreprise si persévéramment élaborée par lui, au moyen de cette espèce de dépouillement personnel, de renoncement, d’abandon, le créateur du Familistère dût éprouver une de ces joies pures, élevées et dignes, que seules les natures d’élite peuvent ressentir ou comprendre.
- Lersqu’il donna pour la première fois connaissance des statuts de la future association à ses collaborateurs, à la fête du Travail de l’année précédente. M. G-odin faisait les réflexions suivantes :
- « Il y a bientôt 39 ans que je commençais sans fortune, presque sans ressources, dans un village voisin, les essais d’uns industrie entièrement nouvelle , il y en a 33 que j’installais à Guise les ateliers embryonnaires de l’usine qui aujourd’hui vous fait vivre tous.
- ** C’est par le travail et par le travail seul que les ressources industrielles se sont accumulées parmi nous, que les inventions et les modèles se sont succédés; que les ateliers se sont élevés ; et c’est il y a vingt ans, en mai 1859, que j’ai posé les fondements du Familistère qui, aujourd’hui achevé, va contenir environ douze cents personnes.
- « Dans ce palais social où je demeure avec vous, les choses d’utilité commune sont accessibles à tous ; chacun peut en profiter dans une égaie mesure; elles sont en outre d’une facile surveillance, à commencer par l’éducation et l’entretien de l’enfance.
- « Le contact journalier de la communauté des besoins a développé parmi nous le sentiment de la mutualité; la facilité des réunions nous a permis d'organiser cette mutualité dans les principaux faits de la vie. Aussi le Familistère a-t-il sa caisse de retraites assurant des pensions aux invalides du travail, des secours aux veuves et aux orphelins, [sa caisse de prévoyance donnant des subventions aux malades, sa caisse de pharmacie procurant, pendant la maladie, les médicaments nécessaires.
- « Grâce à nos institutions, la misère a disparu de nos rangs ; chacun jouit de l’aisance du foyer et des avantages que comporte une habitation, réunissant les conditions nécessaires au bien-être et aux agréments de la vie.
- « Ces avantages dont vous jouissez au jour le jour. v°us en prenez l’habitude et ne les remarquez peut-etl*e plus; mais ils n’en constituent pas moins un bienfait précieux, qui contribue au charme de l’existence et à l’amélioration des individus.
- .........« Ah ! je sais bien que ces moyens d’amélioration et d’avancement ne correspondent ni aux vues, ni aux tendances des hommes qui rêvent un {
- idéal impossible. Ils ne satisfont pas davantage les gens trop pressés de jouir.
- « L’œuvre du Familistère ne peut être comprise par ceux dont les préoccupations se concentrent uniquement sur leurs satisfactions personnelles.
- ........«Ces personnes, chez qui existent ces
- différentes manières de comprendre les devoirs de l’homme en société, se demandent quels avantages personnels j'ai voulu réaliser en fondant le Familistère, et quels sont ceux que je [poursuis encore en organisant l’association avec mes ouvriers. Circonscrites dans l’amour du bien pour elles-mêmes ou pour les familles, ces personnes ne peuvent comprendre la pensée qui m’anime, ni accorder leur sympathie à une œuvre qui a pour but le bonheur de tous et la protection de chacun.’
- « C’est là ce qui explique les résistances que le Familistère a rencontrées dans son développement et les préventions qu'il soulève encore. Mais ces difficultés disparaîtront devant les résultats de l’Association industrielle qui est le couronnement de l’œuvre du Familistère.
- « L’association entre le travail et le capital est la grande tache qui s’impose à nos sociétés modernes. Partout les classes onvrières aspirent à recevoir les garanties d’avenir dont elles ont besoin. Les paroles ne suffisent plus, il faut des actes. Or, ces actes, se montrent ici dans toute leur réalité. »
- Ces paroles indiquent mieux que ne le pourraient faire de longues phrases le mobile qui poussait le fondateur du Familistère à remplir la tâche qu’il s’était imposée, et il nous le déclare lui-même, c’est un devoir qu’il remplissait ni plus ni moins. Heureux mille fois heureux ceux qui savent comprendre ainsi le devoir, et qui ont la, force et la persévérance nécessaires pour s’en acquitter. Mais combien ils sont rares dans le monde, ces hommes d’élite !
- Industriels avides, dont les agissements envers vos collaborateurs ouvriers provoquent sans cesse les grèves, ce suprême cri de souffrance des travailleurs opprimés, quel exemple vous a été donné le 13 août 1880 dans cette modeste ville ne Guise, qui n’est point encore assez fière de son Palais du travail, et de l’éminent citoyen qui le lui a construit l En rédigeant les statuts de son association, il vous a donné une magnifique leçon, dont il est malheureusement encore très douteux que vous sachiez profiter. Il est probable, en effet, que vous préférerez continuer à presser à outrance la grappe jusqu’à ce qu’elle cesse de rendre le précieux liquide à votre usage exclusif, et que vous aimerez mieux tuer la poule anx œufs d’or, pour emplir plus vite votre coffre-fort. Ce n’est donc pas à vous que l’on pour-
- p.165 - vue 166/836
-
-
-
- 166
- LE DEVOIR
- rait adresser la célèbre parole du Christ : elle a choisi la meilleure part qui ne lui sera pas enlevée.
- En formant cette association régulière entre le travail et le capital qui complétait l’œuvre du Familistère, son fondateur, a rendu un immense service à l’humanité, et ce qui le relève encore davantage, c’est le mobile qui l’a inspiré et qui se trouve si noblement exprimé dans la déclaration de principes par laquelle débutent les statuts :
- « Pour rendre hommage à Dieu, Etre suprême source et principe universel de la vie.. Pour glo-
- rifier la rie elle-même.
- « Et pour servir à Vavènement de la justice
- parmi les hommes.........« En vue du tien universel
- de la vie,
- « Par amour du progrès humain,
- « Et pour faciliter au travail son rôle régénérateur des sociétés, » etc.
- Lorsqu’un homme affirme ses convictions d’une manière aussi loyale et aussi nette, en les appuyant de sacrifices réels incontestables, il n’y a que la malignité, l’envie, cette hideuse infirmité de certaines âmes,qui puisse formuler des doutes, et méconnaître la pureté d’intentions qui lui a inspiré son œuvre.
- Cette œuvre, quoiqu’on puissent penser ses détracteurs, est équitable et juste. Elle institue la participation des travailleurs aux bénéfices de la production, sur la base de la proportionnalité du concours fourni par chacun à l’œuvre commune. Cette proportion est calculée d’après le chiffre du salaire, soit du travail soit du capital (dont le salaire s’appelle l’intérêt), et elle justifie ainsi pleinement la part attribuée à chacun dans les bénéfices.
- Les statuts de l’association sont rédigés dans un esprit de justice remarquable. Dire qu’ils sont parfaits serait une exagération, car toute œuvre humaine est perfectible, et il est impossible qu’il en soit autrement. Mais ils sont certainement ce qui a été fait de mieux jusqu’à présent dans cette voie.
- Le seul reproche qu’un esprit impartial et désintéressé pourrait peut-être leur adresser, c’est qu’en créant diverses catégories d’intéressés, associés, sociétaires, participants et intéressés, ils ne donnent pas à tous les travailleurs qui concourent à la production des bénéfices une part équivalente à la valeur de ce concours. On s’explique difficilement que de deux ouvriers travaillant dans le même atelier, l’un puisse être associé et avoir par conséquent deux parts dans les bénéfices, et l’autre simple auxiliaire et n’en avoir aucune, toutes choses égales d’ailleurs.
- Cette légère part faite à la seule critique possible, nous ne saurions trop rendre hommage à l’œuvre admirable dont nons faisons l’étude. En terminant
- cette partie de notre voyage, nous ne pouvons mieux faire que de nous écrier avec le poète roi des psaumes : « Quam bonum et quam jucandum habitare fratres in unum ! » Oh que c’est une chose bonne et que c’est une chose agréable que des frères habitent unis ensemble ! Quel spectacle plus sympathique et plus consolant que celui de cette union de travailleurs, heureux, garantis contre toutes les éventualités du sort, et aussi sûrs du lendemain que tranquilles pour le présent ! Et tout cela est l’œuvre d’an sage, d'un philanthrope, d’un travailleur î Quand donc verrons-nous imiter son exemple ? C’est notre désir le plus ardent.
- (A suivre).
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX UE LA SEMAINE
- FRANCE
- 3L© legs Rampai, — Il y a deux ans, M. Benjamin Rampai faisait, en mourant, à la ville de Paris, un legs de quinze cent mille francs, pour être employé en prêts aux associations ouvrières parisiennes de consommation, de production et de crédit. Les héritiers du défunt étaient compris, sur le testament, poerun dixième de toute sa fortune. C’était donc à la ville de Paris, instituée légataire universelle, de s’arranger avec les héritiers, pour la part qui leur était afférente, et de rendre disponibles les neuf autres dixièmes.
- Après deux ans de pourparlers, l’arrangement vient d’être conclu, et M. Delabrousse, rapporteur de cette affaire auprès du Conseil municipal, a annoncé que le conseil d’Etat avait autorisé ia Ville à entrer en possession du legs Rampai.
- Les prêts à faire aux associations coopératives ouvrières doivent rapporter intérêts,et être remboursables dans un délai maximum de neuf années.
- L y a actuellement à Paris une soixantaine de Sociétés coopératives ouvrières établies dans les conditions voulues pour bénéficier du legs Rampai. Plusieurs n’en ont pas besoin. Mais il y en a d’autres qui végètent faute de capitaux. Or, si l’on divise quatorze cent mille francs, formant la part liquide de la ville, par soixante sociétés coopératives ouvrières, nous trouvons que le Conseil municipal peut prêter à chacune d’elles plus de vingt mille francs. Pas une seule de ces Sociétés n’a commencé ses opérations avec un capital si élevé. C’est doue là une facilité considérable à laquelle elles ont droit. G’est le Conseil municipal qui jugera s’il y a lieu de faire les prêts aux Sociétés qui les demanderont, et qui devra en fixer le montant, mais il fera, sur ce terrain, tout ce qu’il pourra, sans compromettre le capital prêté, bien entendu.
- J Le legs Rampai est de nature à donner une puissante ; impulsion aux associations coopératives ouvrières. Il | aidera au développement du principe coopératif, qui n’a
- Ipas encore été appliqué jusqu’ici comme il aurait dû l’être, parce que les ouvriers se sont trouvés trop pauvres pour tenter la lu tte sur le terrain de la production directe.
- ; Maintenant, les ouvriers qui ont le désir de s’associer | ont un soutien. Dans le cas où leurs efforts combinés ne i seraient pas suffisants pour les maintenir dans l’arène productive, ils pourraient recourir au Conseil municipal en vertu du legs Rampai.
- Nous sommes persuadé que ce bienfait d’un homme modeste, qui n’a pas fait de bruit autour de son non* pendant qu’il vivait, empêchera bien des grèves de sô
- p.166 - vue 167/836
-
-
-
- LE DEVOIE
- 167
- produire. Lorsque des ouvriers intelligents verront que leur métier est bon, qu’il rapporte des bénéfices aux patrons, et qu’ils ne se croiront pas assez rétribués, ils voudront, aii lieu de cesser le travail pour faire augmenter leur salaire, l’exploiter, au contraire, à leur propre compte, en travaillant directement pour les consommateurs.
- Nous serions heureux, pour notre part, de voir se multiplier les associations coopératives ouvrières, parce qu’elles affranchiraient les associés du salariat,et réduiraient d’autant l'antagonisme qui règne si déplorable-ment entre les patrons et les ouvriers de l’industrie. Si, comme nous l’espérons, ce fait se produisait, M. Rampai serait considéré comme un des bienfaiteurs les plus discernés de l’humanité.
- *
- * ¥
- Loyauté cléricale. — Un certain nombre de jouruaux cléricaux osent dire que M. Jules Ferry a donné l’ordre d’enlever des enfants l’excellent ouvrage : l'Instruction civique à l'école, que l’honorable M. Paul Bert vient de faire paraître chez les éditeurs Picard-Bernheim et Ce, 11, rue Soufïlut, à Paris (prix : 1 fr. 20). Ces feuilles pieuses, qui prennent leur désir pour la réalité, semblent ignorer que le ministre n’a pas le droit u’interdire un ouvrage sans l’avis du conseil supérieur de l’Instruction publique. En publiant une absurdité semblable,elles font d’ailleurs une gratuite injure aux intentions de M. Jules Ferry, l'auteur des décrets contre les jésuites.
- Un comité s’est formé, comptant parmi ses membres, MM. Beauquier, député du Doubs, Laisant, député de la Loire-Ioférieure, Jules Roche, député du Var, A.-S. Murin et Mme Maria Deraismes,' pour organiser à Paris un Congrès dans le but d’étudier la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
- Les organisateurs de ce Congrès ont adressé une circulaire à"MM. les sénateurs et députés, pour leur demander leur concours pour la préparation d’un projet de loi donnant satisfaction aux désirs des électeurs à cet égard.
- < Il ne s’agit, dit cette circulaire, ni de violence ni de persécution. Nous ne demandons que la liberté égale pour tous, en faisant rentrer dans le droit commun une corporation à laquelle on a concédé des privilèges abusifs et contraires au principe de la liberté de conscience. »
- Les adhésions doivent être adressées à M. Cinqualbre, administrateur général de Y Union démocratique de propagande anticléricale, 48, rue Monsieur-le-Prince, à Paris.
- RUSSIE
- Vingt accusés, vingt condamnés I Dix à la mort lente qu’on trouve en Sibérie dans les mines; dix à la pendaison! parmi ceux-ci une femme ! Dix échafauds, dix potences ! Voilà, non pas la fin ni la conclusion, mais le premier résultat du procès des nihilistes ! Malgré le buis-clos on a tout vu, to ;t entendu, tout su. A travers les triples portes les voix ont passé; à travers les murailles épaisses on a vu. Ces meurtriers sont des martyrs; leurs avocats ont été admirables de courage et d’éloquence, mais la meilleure défense fut l’attitude,les réponses, les paroles des condamnés. Une émotion profonde secouait les juges, et le président avait peine à retenir ses larmes. Du fond de sa forteresse de Gatchina l’empereur attendait.guettait palpitant; de cinq minutes en cinq minutes le télégraphe lui apportait l’audience. Que va-t-il faire maintenant? Ces hommes et cette femme, coupables mais héroïques, la condamnation les met à sa merci. Ces dix vies dépendent d’un mot de sa bouche, d’un trait de sa plume. La corde qui doit se nouer autour de leur cou, lui l’empereur la tient par un bout, et le bourreau par l'autre 1 Encore une fois que fera-t-il? Un journal français, le Petit Parisien, a invoqué Victor Hugo ; c’était une heureuse et grande idée. Victor Hugo a répondu par la page admirable qu’on lira plus loih, gl Victor Hugo rachète ces dix vie», ce ne sera
- point la première fois qu’il aura fait triompher la clémence et terrassé le bourreau. l’humanité applaudira; si le Tsar reste sourd, le Tsar aura lui-même historiquement signé sa condamnation.
- *
- ¥ *
- Voici la réponse de Victor Hugo à l’appel du Petit Parisien :
- Il se passe des faits d’une nouveauté étrange.
- Le despotisme et le nihilisme continuent leur guerre. Guerre edrontée du mal contre le mal : duel de ténèbres. Par moment une explosion déchire cette obscurité; un instant de clarté apparaît, et il se fait un jour de nuit. L’est horrible. La civilisation doit intervenir.
- A cette heure voici ce que l’on voit : une obscurité illimitée ; au milieu de cette ombre dix créatures humaines, dont deux femmes (deux femmes !) sont marquées pour la mort. Et dix autres sont données à la cave russe, la Sibérie.
- Pourquoi?
- Pourquoi ce gibet? Pourquoi ce cachot?
- Un groupe d’hommes s’est assemblé. Il s’est déclaré haut tribunal. Qui assistait à ses séances ? Personne. Pas de public? Pas de public. Qui en rendait compte? Personne, Pas de journaux. Mais les accusés? Us n’y étaient pas. Mais qui parlait ? On l’ignore. Mais les avocats ? Il n’y avait pas d’avocats. Mais quel code citait-on? Aucun. Sur quelle loi s’appuyait-on ? Sur toutes et sur aucune. Et qu’est-il sorti de là?
- Dix condamné à mort. Et les autres.
- Que le gouvernement russe y prenne garde.
- Il est gouvernement régulier. — Il n’a rien à craindre d’un gouvernement régulier; il n’a rien à craindre d’une nation libre, rien à craindre d’une armée, rien à craindre d’un état légal, rien à craindre d’une puissance correcte, rien à craindre d’une force politique.
- Il a tout à craindre du premier venu, d’un passant, d'une voix quelconque.
- Grâce ! '
- Une voix quelconque, c’est personne, c’est tout le monde, c’est l’immense anonyme. On entendra cette voix ; ellè dira : Grâce ! Je crie grâce dans l’ombre. La grâce en bas, c’est la grâce en haut. Je demande grâce pour le peuple à l’empereur ; sinon je demande à Dieu grâce pour l’empereur.
- Victor Hugo.
- *
- * ¥
- Dans une soirée chez le général Paniuty, où il y avait plus d’une centaine d’invités, Skobeieff, surexcité par le champagne, s’est écrié :
- « Nous anéantirons ces Allemands et ces Autrichiens. Le soldat russe est le premier de l’Europe : j’ai pu l’observer. Il ne mange rien pendant toute une semaine et il ne se bat pas moins bien ; par contre, si les Allemands ont faim, ils pleurent. »
- Quelqu’un de la Société ayant demandé au général où la Russie trouverait l’argent nécessaire pour faire la guerre, Skobeieff répondit, toujours au dire du Czas, auquel nous laissons toute la responsabilité de cette curieuse conversation. « On le trouverai il suffira de pendre h, 10 ou 20 juifs ! »
- ANGLETERRE
- Qui l’emportera finalement du bigotisme anglican ou du droit populaire? Pour la troisième fois les électeurs de Northampton ont réélu Bradlaugh ; pour la troisième fois Brandlaugh s’est représenté à la Chambre. Vainement M. Majoribanks a proposé de consacrer la liberté de conscience, par une disposition qui admettrait l’option entre le serment et le simple engagement d’honneur, vainement M. Gladstone, qui certes n’est point suspect d’athéisme, a soutenu la cause de la justice et du bon sens, beaucoup de ses plus dévoués, ceux-là même qui ont condamné avec le plus d’ardeur l'enquête sur le Laod-act ordonné par les Lords, l’ont abandonné sur cette question du serment, et 257 voix contre 2*2
- p.167 - vue 168/836
-
-
-
- 168
- LE DEVOIR.
- ont voté avec sir Slaffort Northcote l’indignité de M. Bradlaugh. Ce n’est que partie remise, le droit finira bien par triompher. En attendant, un Lord a saisi la Chambre d’une proposition qui exige que tout pair ou député déclare sa croyance en Dieu.
- ETATS-UNIS
- Le droit de soffrage des femmes. — A
- l’occasion des nombieuses pétitions qui lui ont été remises, le Sénat des Etats-Unis a consacré une séance à la discussion du droit de suffrage des femmes. Un certain nombre de sénateurs s’étant déclarés partisans du droit électoral des femmes, le débat a pris de très grandes proportions. Si le Sénat fédéral se prononçait en faveur de la réforme, la solution serait proche. On sait que déjà plusieurs Etats ou Territoires de l’Union ont, dans leur indépendance, reconnu aux femmes le droit de vote; mais ces lois particulières n’engagent que les Territoires qui les ont adoptées. Quoi qu’il eu soit, on peut dès maintenant entrevoir le jour où le Congrès des Etats-Unis tranchera la question, pour l’Union entière, dans le sens de la justice et du droit.
- {Droit des femmes.)
- ¥ ♦
- Les juifs chassés de Russie par la persécution ont trouvé à Philadelphie l’hospitalité, l’humanité,'la bienfaisance. On les attendait ; on les a hébergés, secourus, défrayés, et à tous ceux qui ont accepté on a offert à de bonnes conditions 40 acres d’excellente terre par tête dans la partie montagneuse de la Caroline du Sud. Nous applaudissons, les descendants de Guillaume Penn n’ont point dégénéré.
- ¥ ¥
- JL’Italie et le Vatican. — Depuis quelque temps, dans un but facile à deviner, je me suis appliqué à surprendre, pour ainsi dire, la pensée intime du Vatican cachée sous les encycliques larmoyantes et les allocations du pape aux pèlerins espagnols, français, allemands, bohèmes, etc. Je m’efforce de la vulgariser, cette pensée liberticide et antinationale, pour les hommes d’Etat qui seraient tentés de suivre en Italie et ailleurs une politique de conciliation avec l’Eglise romaine: politique suivie avec une opiniâtreté digne d’une meilleure cause, par les Rhéteurs de la droite et vivement recommandée à la gauche gouvernementale par les gros bonnets du « parti de la reine. »
- D’abord la récente nomination de M. Mermillod, le fameux évêque de Genève et d’Hébron in, partibus in fi-delium comme « conseiller » de la Congrégation des affaires étrangères extraordinaires, indique que le parti intransigeant a pris le dessus, et que le Vatican, abandonnant le système de modération apparente et de ménagements suivi par Lésn XIII au début de son pontificat, s’est lancé dans la politique militante de l’opposition comme aux plus beaux jours de Pie IX. Les Italiens n’ont pas ,oublié et n’oublieront jamais jque M. Mermilkd fut l’organisateur, le chef^ ecclésiastique ; l’enrôleur des zouaves pontificaux ; qu’à Castelfidardo il faisait le service d’espion et d’estafette; qu’à Mentana il encourageait les suppôts du pape au massacre des Garibaldiens qui tombaient sous leurs mains; enfin que M. Mermillod est l’ennemi acharné, irréconciliable de lTtalie, qu’il est le plus intrigant et le plus ambitieux des prélats étrangers qui convoitent la pourpre. Ils se souviendront de tout cela le jour où le remuant prélat voudrait occuper la place que M. Jacobini laissera tôt ou tard vacante, ou si plus encore il aspirait à s’asseoir sur la chaire de saint Pierre.
- Or, voici la pensée intime du parti jésuite, qui au Vatican fait la pluie et le beau temps.
- 1° Remuer ciel et terre pour faire revivre la question papale à laquelle sont liés les intérêts temporels de l’Eglise romaine.
- 2° Faire de cette question purement italienne une
- question internalionale, en donnant à entendre que l’existeoce même de l’Eglise est menacée,que le chef des catholiques est exposé à toutes les insultes de la populace et à tous les dangers de la révolution, par conséquent faire entendre que « tous les Etats possédant des sujets catholiques sont intéressés à résoudre la question de manière à ce que le pape soit libre dans l’exercice de son haut ministère »;
- 3° Représenter aux gouvernements « hostiles a llta-talie », catholiques ou non, qu’une solution quelconque de la question papale sera toujours sans base juridique et sans stabilité, tant qu’elle sera l’œuvre du gouvernement italien contre la volonté du pontife, aux dépens de l’Eglise et de son chef, et contre les droits {sic) des autres Etats co-intéressé s à son indépendance ;
- 4°, Que le pape, en présence de la politique hostile du gouvernement « usurpateur », est rigoureusement tenu, et par tous les moyens possibles, de défendre _sa liberté spirituelle, et que les peuples et les Etats co-intéressés à cette liberté sont an plein droit d’employer des moyens, même extrêmes, pour la lui maintenir, c’est-à-dire par l’intervention et la guerre. Les mots soulignés et guil-lemettés, ainsi que le texte dans son ensemble, sont authentiques. C’est la guerre déclarée, c’est la conspiration ouverte, c’est la révolte !
- *
- 4 4
- JL a Ttwqixic* et le Panslavisme. — On
- écrit de Constantinople à la Correspondance politique de Vienne : .
- « C’est avec une attention soutenue qu’on suit ici les mystérieuses agitations du panslavisme. A plusieurs reprises déjà, le Sultan a exprimé, dans ses conversations avec des Allemands, la crainte que des tendances fort dangereuses ne prissent le dessus en Russie. Le Sultan est personnellement convaincu qu’une guerre éclatera dans un temps peu éloigné, et il a donné Tordre de s’occuper en conséquence de l’éventualité d’une mobilisation de l’armée. Plusieurs grands fournisseurs ont été sondés pour savoir à quelles conditions on pourrait compter sur eux. »
- 4 4
- Boyaume <1© St*ï*l>io. — Une dépêche annonce que la Skoupohtina (assemblée nationale) serbe, a érigé la principauté en royaume de Serbie. On sait que la Serbie, naguère vassale de la Turquie, a été reconnue Etat indépendant parle traité de Berlin, le 13 juillet 1878. La Constitution de 1869 avàit affirmé de nouveau l’hérédité du pouvoir princier dans la famille Obrenoviteh. Milan Obrenoviteh IV, qui va porter le titre de roi, avait été proclamé prince de Serbie le 2 juillet 1868.
- L’agence Stéfani a reçu de Belgrade la dépêche suivante : * _ J , .
- « Par suite delà proclamation par la Skouptchma du Serbie, le ministre des affaires étrangères a adressé une circulaire au corps diplomatique.
- » Cet événement sera prochainement notifié aux cours étrangères dans les formes usitées. »
- LE TRAVAIL MANUEL EN FRANCE
- Par H. Leneveux, ancien membre du Conseil municipal de Paris, membre de la Commission d’enseignement professionnel du département de la Seine (I).
- Cest ici le 74e volume de l’excellente collection qui se publie sous le titre de Bibliothèque utile, et l’un de ceux, à coup sûr, qui justifient le mieux ce qualificatif.
- On a peine à se figurer, de prime abord, tout ce
- (1) Librairie Germer-Buillière, 108, boulevard Saint-Germain. Prix : 60 c.
- p.168 - vue 169/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 169
- que renferme et embrasse un titre aussi simple I et aussi court : Le travail manuel.
- L’auteur, dès les premières lignes de son Introduction, fait-justement remarquer « qu’il n’est pas une branche de travail intellectuel où l’on puisse se passer du concours d’une fonction manuelle. Savants, artistes, médecins, ont besoin de chifFrer, d’écrire, de dessiner, de faire des manipulations chimiques, des opérations chirurgicales, etc. » Et d’autre part, les labeurs de l’ordre réputé le plus infime, si grossiers qu’on les prenne, exigent, exigeront de plus en plus quelque rudiment de connaissance, fruit de la culture intellectuelle. Ces deux genres de travaux se mêlent, s’enchevêtrent constamment, réalisant dans une mesure quelconque l’alliance forcée de la théorie et de la pratique.
- M. Leneveux voudrait en conséquence voir abaisser, s’effacer même cette barrière, longtemps réputée infranchissable, qui s’élève entre les travaux de l’esprit et ceux du corps, Suivant lui, c’est à leur grand dommage que les hommes se sont confinés dans un seul de ces deux ordres de travaux. Chacun de nous possède un cerceau et des muscles ; il importe donc pour la plénitude de notre vie et pour notre intégral développement que nous exercions ces deux virtualités qui sont en nous.
- « Dans le système des classes, qui, fait observer M. Leneveux, dure encore (il dure de fait sinon de par la loi) l’emploi trop prolongé des forces musculaires engendre une sorte d’atrophie intellectuelle chez les travailleurs de la terre et de l’industrie, tandis que chez les ouvriers de la pensée il amène le dépérissement physique. »
- Chez les derniers, l’effet nuisible est moins marqué peut-être, grâce à une alimentation généralement plus substantielle et à certains exercices d’agrément telles que la chasse, les armes, la danse. Il n’est pas moins vrai que i’usage à peu près exclusif, soit des facultés intellectuelles, soit des forces physiques, entraîne pour les individus et par suite pour la race elle-même des conséquences préjudiciables.
- Un autre fâcheux résultat, au point de vue de la sociabilité, c’est de partager la population en deux moitiés incompatibles, n’ayant et ne pouvant avoir entre elles presque aucun rapport, tant les idées, le ton, les manières contrastent de Tune à l’autre. Toutefois l’auteur signale un trait d’union, que fournirait, suivant lui, la classe des artistes.
- Je me borne à mentionner cette vue qui n’est pas sans quelque originalité.
- J’ai hâte d’arriver à la multitude presque infinie des professions fondées sur le travail manuel. L'auteur les énumère toutes, à commencer par l’agricul-
- ture, qui fournit les matières premières de l’alimentation, du vêtement et du logement, ainsi que la plupart des objets sur lesquels s’exercent les autres métiers. C’est donc bien là l’industrie pivotale et mère.
- Pourquoi, se demande Leneveux, cette agriculture, honorée, glorifiée tn théorie, chantée par les poètes, se trcuve-t elle abandonnée cependant à la partie la moins éclairée de la nation? C’est que, durs et pénibles, les travaux de la terre donnent peu de ces profits aléatoires tant recherchés des gens qui aspirent à une fortune rapide.
- Quoiqu’on dise et répète à tout propos que, chez nous, depuis la Révolution de 1789, la propriété du sol tend à passer aux mains qui le cultivent, —en réalité, les gains ou les salaires des travailleurs agricoles sont si minces qu’il n’y a qu'un très petit nombre d’entre eux qui, à force d’économie et de privations, parviennent à l’acquisition de leur instrument de travail. Cela pour le simple journalier ou domestique est presque sans exemple; et n’advient qu’assez rarement au fermier lui-même. Si celui-ci peut acheter deux ou trois pièces de terre, il n’ira presque jamais jusqu’à l’acquisition d’un domaine susceptible d’occuper son train de culture et toute sa famille, pour peu qu’elle soit nombreuse, ce qui est la règle. Quant au prolétariat des champs, pas plus que celui des villes, dans les conditions actuelles du travail, il n’a chance de soulever le rocher de Sisyphe qui pèse sur lui.
- Passant en revue les opérations multiples que comporte une exploitation rurale, même des plus réduites, M. Leneveux n’héstfe pas à déclarer qu'une telle variété de travaux exige un savoir professionnel plus étendu que celui de bon nombre d’ouvriers de l’industrie. Ce savoir, de routinier qu’il est présentement, va devenir scientifique, grâce aux jeunes instituteurs formés dans nos écoles normales où l’enseignement agricole occupera une place importante.
- « Mais, fait observer judicieusement l’auteur, si le village reste aussi triste, aussi dénué d’intelligentes dislractions qu’il l’est maintenant, l’émigration vers les villes aura trouvé dans cette initiation scientifique même, un nouvel aliment. »
- L’écrivain fait un portrait contraste du paysan et de l’ouvrier : l’un économe jusqu’à l’avarice quelquefois; l’autre généreux jusqu’à la prodigalité, sans souci du lendemain — Ne serait-il pas possible, se demande Leneveux, de donner à l’ouvrier les qualités du campagnard et réciproquement ?
- Par l’instruction seule on n’y parviendrait pas. Les mœurs ne se modifient que par l’introduction
- p.169 - vue 170/836
-
-
-
- 170
- LE DEVOIR
- d’un élément étranger. Il s’agirait d'une communication plus intime à établir entre les habitants des villes et ceux des campagnes : à mesure que la grande industrie se substitue à la petite, que les : vastes usines remplacent les modestes atel ers, les établissements nouveaux, afin d’échapper aux impôts de consommation perçus dans les villes, tendent à se fonder à la campagne, à proximité des gares de chemins de fer. À ces usines pourraient s’annexer un jour de grands domaines agricoles, possédés comme les usines elles-mêmes, par la propriété actionnaire, dont les profits se partageraient en raison de l’apport de chaque intéressé en travail, en talent et en capital : ces trois éléments indispensables de toute association productive. Du rapprochement de ces centres d’exploitation industrielle et de ces centres d’exploitation agricole, il résulterait que dans les moments de presse, pour les travaux urgents de la moisson, par exemple, les ouvriers de l’usine pourraient donner un coup de main à ceux de l’agriculture, et que réciproquement ces derniers, dans la saison d’hiver pourraient, après un court apprentissage, s’utiliser dans la manufacture, ajoutant ainsi un supplément de salaire à celui de leur profession.
- Voilà donc une vue d’avenir, encore utopique, (l’auteur en convient) l’indication d’un moyen qui pourra contribuer quelque jour au rapprochement et à la fusion des travailleurs champêtres et usiniers.
- Rentrant dans la réalité actuelle, M. Leneveux parcourt toutes les catégories de métiers, et il signale les inconvénients et les avantages, les bons et les mauvais côtés de chacun d’eux. Ici les conseils utiles abondent. On voit que l’auteur s’est initié, par des informations précises, tout au moins, à la pratique de chacune des professions qu’il passe en revue. Il les envisage, non-seulement en économiste mais aussi en hygiéniste. Sa compétence, sous ce dernier rapport, se montre dans ce qu’il dit notamment de la boulangerie, du travail !7e certains métaux, plomb, mercure, etc. Meurtrière à courte échéance dans les professions insalubres, la continuité d’un même travail n’est pas inoffensive non plus dans les autres professions quelles qu’elles soient. Aussi pour ce motif et pour d’autres encore, notre auteur ne manque-t-il pas de s’élever contre le préjugé et la routine du métier unique, qui laisse l’homme désarmé contre les chômages.
- Les considérations générales qui terminent le volume ne sont pas moins remarquables par l’élévation et la rectitude des idées que par la générosité des sentiments.
- Il y a cependant un point sur lequel je crains bien l’auteur ne m fasse complètement illusion, O’est
- le passage où, à propos de la rétribution du travail, il s’exprime ainsi qu’il suit :
- « Pour que le travail puisse s’élever à un taux con-« venable, il faut que ce soit l’employeur qui coure « après ses auxiliaires et que ceux-ci soient par cela « même en puissance de fixer nettement ce qu’ils « veulent gagner. Nous ne sommes peut-être pas « très loin de voir se produire pacifiquement et sans « secousse une semblable révolution. Cela dépend de « l’intelligence avec laquelle l’Etat saura développer « l’instruction primaire et organiser l’enseignement « professionnel et de la confiance que cette éduca-« tion intégrale donnera à chacun dans sa valeur « productrice. Le rôle actuel des riches et des pau-« vres pourra être alors interverti, et le capital « obligé de solliciter chapeau bas le concours des « forces ouvrières, décuplées par le savoir, la voce lonté et le sentiment de dignité du travailleur. » P. 145.
- Mais si ces forces ouvrières qui, de l’aveu des économistes, dépassent presque toujours le besoin qu’on a de leur emploi, qui dépassent, en d’autres termes, la part des capitaux disposée à se distribuer en salaires ; si ces forces, dis-je, se trouvent décuplées, l’équilibre entre l’offre et la demande sera d’autant plus profondément rompu à leur détriment : d’où la dépréciation forcée, au lieu de l’élévation des salaires. Non, sous le régime actuel des rapports entre le capital et le travail, on ne verra jamais le premier solliciter chapeau bas le concours du second. Ce n’est que par l’introduction du principe de la participation s’ajoutant au salaire brut ou même s’y substituant (combinaison avantageuse au capital lui-même, ainsi que le prouvent l’exemple de Leclaire, l’entrepreneur de peinture en bâtiment, celui de M. Godin, le fondateur du Familistère de Guise, et les tentatives de quelques autres patrons) ; ce n’est, dis-je, que par le système de la participation, préludant à l’association intégrale, qu’on assurera au travail les garanties et la juste part qui lui revient dans les produits.
- Comparant les divers modes de rétribution du tra. vail, Leneveux se prononce pour la rétribution à la tâche (aux pièces), partout où elle est possible. Il combat le système de Légalité des salaires, non moins contraire à la justice que mortel pour l’émulation et par suite pour le progrès ; il montre l’inanité de la célèbre formule : A chacun suivant ses besoins, de chacun suivant ses forces. Quelles limites assignera-t-on aux besoins, et comment, sans l’emploi de moyens tyranniques qui même y échoue-
- ! raient, comment obliger chacun à travailler selon ms feroes ?
- p.170 - vue 171/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 171
- « Il y a néanmoins, fait observer l’auteur, dans ce sentiment communiste auquel obéissent beaucoup de nos travailleurs, un sérieux avertissement pour nos hommes politiques et pour les employeurs qui suivent les traditions du passé. Ce n’est pas la force qui pourra nous mettre à l’abri des mouvements tumultueux et des guerres serviles : c’est la justice. Il faut trouver moyen d’assurer le travail et de rendre pratique la rétribution selon les œuvres. »
- Leneveux signale avec une impartialité réelle ce qu’il nomme d’une part les préjugés bourgeois, et de l’autre les préjugés ouvriers. Au compte de ces derniers il porte la tendance à l’exclusion, à la division entre salariés.
- « Les contremaîtres et les chefs d’atelier sont, dit-il, à peu près excommuniés. On les considère comme les hommes du maître, et la répulsion instinctive qu’on éprouve pour ce dernier rejaillit sur eux. C’est presque toujours une grande injustice et en même temps une lourde faute. Dans beaucoup d’ateliers, les meilleurs ouvriers se refusent par crainte d’impopularité, à passer contremaîtres ; c’est là cependant et là seulement qu’ils apprendraient à conduire les travaux, qu’ils s’initieraient aux conditions et aux exigences de la fabrication. On se prive donc ainsi, par pur préjugé, d’une ressource précieuse pour l’avenir des associâtions ouvrières. »
- On peut, par ces indications, juger de l’esprit sagement socialiste dans lequel est conçu l’ouvrage.
- Après avoir donné une idée du livre, qu’il me soit permis d’ajouter quelques mots sur l’auteur.
- Parmi les serviteurs de la démocratie, il y en a qui ont des états de services plus éclatants, mais pas un qui ait servi la cause du peuple avec plus de constance et de désintéressement que Leneveux. Il fut, sous la monarchie de 1830, l’un des fondateurs et rédacteurs du journal l'Atelier, le premier organe attitré de la classe ouvrière. Depuis cette époque lointaine, il ne cessa jamais, soit dans la presse, soit au Conseil municipal de Paris où il siégea pendant huit années, de soutenir la cause des travailleurs. Républicain de la veille et même de l’avant-veille, dans le triomphe de son opinion, Leneveux n’a cherché ni recueilli aucun avantage personnel. Pendant la durée de son mandat, il fut un des membres les plus assidus aux séances du Conseil et des commissions, tout en fournissant (car c’était, c’est encore le gagne-pain de sa famille) des journées de huit heures d’écriture dans une maison de commerce dont la comptabilité lui était confiée. L’homme privé chez lui ne le cède pas au citoyen. Aussi dans le quartier du Petit-Montrouge que Leneveux habite depuis plus de trente années, jouit-il àu plus haut degré de i’eg-
- Jtime et de la sympathie générales. Au dernier renouvellement du Conseil municipal, sa réélection était assurée, s’il ne s’était pas refusé absolument à poser de nouveau sa candidature.
- Ch. Pellarin.
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- JDe François 1er à Louis XiY 1
- Les décisions du Concile de Latran dans sa 10e session, font époque, nous l’avons dit.
- Elles font époque dans ce sens que la soumission de Louis XII à la papauté, donne une sorte de ratification à une partie de ces décisions, dans ce qu’elles touchent au passé, les légitime dans le présent, et en assure les effets dans l’avenir.
- Elles font encore époque parce que c’est pour la première fois que le vicaire de J.-C. s’attaque ouvertement à un pouvoir dont il a déjà pu apprécier la force, un pouvoir redouté, même dé nos jours, par tout ce qui est ennemi de la liberté; ce pouvoir chacun l’a nommé, d’avance, c’est la presse.
- La première partie des décisions à laquelle nous faisons allusion, est la proclamation réitérée des droits juridiques du clergé, et une citation nouvelle à comparaître devant le Concile, donnée à tout clerc français pour y dire les raisons qui le font s’opposer à l’abolition de la Pragmatique.
- La deuxième partie est la « défense expresse d’im-« primer à l’avenir aucun livre, ni dans Rome, ni dans « les autres diocèses, qu’auparavant. il n’ait été exa-« miné à Rome par le vicaire de sa Sainteté et par le « maire du Sacré Palais, et dans les autres villes par « l’évêque diocésain ou par quelque docteur que « l’évêque aura nommé, ou par l’inquisiteur du lieu « où se fera l’impression, et qui aura mis sonapprc-<t bation signée, le tout sous peine d’excommunica-« tion immédiate. »
- C’est la seconde fois,remarqnons-le,que la papauté appelle d’une manière formelle l'inquisition à sa res» cousse.
- Enfin, dans la IIe session, la Pragmatique appelée par le St-Père la dépravation du Royaume de France, est abrogée, et dans le 12e, l’impôt du décime sur les bénéfices devient un article-canon. (16 mars 1517).
- Déjà le 18 août de l’année précédente, François Ier qui devait se vanter d’avoir mis les rois hors de pages, avait signé le concordat négocié par le chancelier Duprat. Par ce contrat dont on disait que le pape et le roi ify donnaient ce qui ne leur apparte-
- p.171 - vue 172/836
-
-
-
- 172
- LS DEVOIR
- naît pas, François Ier obtint la nomination des évêchés et des abbayes. Le pape eut, par un article secret, le revenu de la première année de ces bénéfices, renonça aux mandats, aux réserves et aux expecta-tivis, mais il se réserva les annates. Le roi renonça aussi, de son côté à la convocation périodique des conciles.
- Ce concordat livrait l’église gallicane à la merci du roi. Le Clergé, le Parlement, les Universités protestèrent. Ce ne fut que contraint par les menaces, les persécutions et la force, en un mot, après 12 séances, que le Parlement enregistra cet acte. Un peu plus tard, François Iflr, en enlevant à ce corps la connaissance de ce qui concerne les évêques et les abbayes et en l’attribuant au grand conseil par lui nommé, se rendit le maître absolu de l’église.
- Cependant la réforme avait porté de rudes coups à l’église romaine, et l’on peut dire que celle-ci fut un moment sur le penchant de sa ruine. La papauté elle-même, avait vu un nombre considérable de ses sujets s’éloigner d’elle, et nous ne savons tropfsi elles se fussent relevées l’une et l’autre, malgré la souplesse, l’habileté et l’intelligence de Paul III, sans deux auxiliaires puissants dont un, l’inquisition a déjà été nommé, et dont l’autre, la Société de Jésus, se déclara, en vertu d’une bulle d’institution donnée par le St-Père, la milice du St-Siège, et fit son arme principale de l’obéissance passive la plus absolue : perinde ac cadaver.
- Quand il sera question des droits auxquels peuvent prétendre les fidèles, c’est un soldat de cette milice, en effet, le Jésuite Laynez, l’organe avoué du pape, qui dira au Concile de Trente : « Ils (les fidèles) n’en peuvent avoir aucun. »
- Souverain absolu au temporel comme au spirituel, voilà, selon les doctrines de la Compagnie, ce que doit être le vicaire de celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Et pour que cela soit, Ja violence et la ruse, les promesses et les menaces, les compromis de toute espèce, l’étouffement de toutes les libertés, l’écrasement des consciences, rien ne sera épargné, car rien ne sera de trop. Ce que les armes spirituelles ne suffiront pas à faire, les armes temporelles l’accompliront. A défaut même de la lutte ouverte, à armes courtoises, l’attaque ténébreuse, le poignard de l’assassin seront employés.
- On fera parler les Conciles quand ils seront disposés à se prononcer dans le sens des prérogatives pontificales, des idées de catholicisme inflexible; on leur fermera la bouche quand on craindra qu’iis ne fassent entendre une voix revendicatrice, ou des paroles de tolérance. Tel fut le spectacle offert par le Concile que nous venons de nommer. Hostile d’a-
- \
- bord à la papauté, ou du moins paraissant tel, celle-ci fit tout ce qu’elle put pour le faire avorter; dès que, au contraire, il se montra favorable aux désirs du Saint-Siège, on dut faire silence partout pour entendre ses décisions. j
- Les luttes de Henri de Navarre contre la Ligue, son excommunication par Sixte V alors que le Béarnais n’était encore que le prince de Bourbon; plus tard le regret du Pontife d’avoir excommunié le seul homme capable de faire face à Philippe II, sans la permission duquel il ne pouvait faire un pas, cette indécision dans laquelle il resta toute sa vie entre ce qu’il nommait lui-même le salut de la foi et l'indépendance de la papauté, tout ceci démontre une fois de plus l’esprit qui animait l’homme, quel qu’il tut, lorsqu’il prenait possession du Saint-Siège.
- Cet esprit reste le même au milieu des guerres de religion et des disputes théologiques ; c’est que dans disputes dogmatiques ce sont réellement des institutions politiques et des formes de gouvernement qui se débattent. Il est un moment où sous le nom de Catholicisme, la monarchie, l’unité, la centralisation se trouvent souvent aux prises avec la République, le fédéralisme, l’autonomie locale s’abritant derrière le Protestantisme. La forme de la lutte ne sera pas la même dans chaque pays, mais le fond sera identiques. Les Jésuites, quoique expulsés de France et d’autres Etats Européens, n’agiront pas moins. Ils auront la main partout. Partout il y aura chance de succès, c’est-à-dire partout où une semence de trouble pourrait amener cette chance, on les rencontrera. Toutes les missions seront organisées par la Compagnie. La société de la propagande chrétienne sera imposée au Pape Grégoire XV qui l’installera. Elle sera, à l’époque dont nous parlons, ce qu’est dans la nôtre la société de la propagation de la foi.
- Bref, le mouvement qu’elle provoque sera immense, malgré la halte qui sera la suite de l’Edit de Nantes et de la mort de Philippe IL
- Les Etats-Généraux seront eux-mêmes entraînés par ce mouvement. Cependant en 1614, alors qu’ils s’assemblent pour la d .rnière fois durant cette période, le tiers-état embrasse la cause du trône contre les prétentions de la cour de Rome. Vainement celle-ci demande qu’on reçoive en France le Concile de Trente; mais tout aussi vains sont les efforts du tiers état pour faire passer une loi édictant « qu’aucune puissance temporelle ni spirituelle n’ait le droit de disposer du royaume et de dispenser les sujets de leur serment de fidélité », et ordonnant « que l’opinion qu’il est loisible de tuer les rois, soit proclamée impie et détestable. » A ces dispositions îe cardinal Duperron répond : « qu’il serait obligé d’excommu-
- p.172 - vue 173/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 173
- nier ceux qui soutiendraient que l’église n’a pas le pouvoir de déposséder les rois », ajoutant « que la puissance du pape est pleine, plénissime, directe au spirituel, indirecte au temporel. » La (jour finit par céder, toutefois la Chambre ecclésiastique déclara « qu’à la vérité il n’était jamais permis de tuer son roi ; » mais elle maintint tout le reste.
- Le Parlement qui avait été exclu des Etats-Généraux, rendit de son côté un arrêt qui proclamait « l’indépendance absolue du trône, loi fondamentale du royaume. » Cet arrêt ne fut pas une lettre morte et ce fut, chose assez bizarre, un homme de l’église, le cardinal de Richelieu lui-même, qui assura à la royauté cette indépendance attaquée plus tard par la Fronde, mais vaincue par Louis XIV, dans lequel se personnifie l’Etat.
- Quelques réflexions avant de parcourir cette cinquième période : de Louis XIV au Concordat de 1801, qui terminera brièvement notre travail sur l’Eglise et l’Etat.
- Certains auteurs ont regardé le Concordat de 1516 comme un premier pas fait vers la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et on a donné comme raison de cette appréciation, le partage que ce concordat faisait du droit d’investiture entre le trône et l’autel. « Des droits féodaux et temporels étant attachés aux Evêchés, en même temps que des droits spirituels, » a-t-on dit, « cette double investiture était nécessaire. Elle ne pouvait être attribuée à un seul pouvoir, c’eût été une usurpation, il fallait donner à l’autorité temporelle l’investiture des droits temporels , et à l'autorité spirituelle l’investiture des droits spirituels. »
- Les auteurs dont nous parlons n’ont oublié qu’une chose lorsqu’ils ont tenté de justifier ce contrat entre le Pape et le Roi, c’est que ces prétendus droits aussi bien au temporeL qu’au spirituel et au spirituel qu’au temporel, n’appartenaient à nul des deux contractants qui en disposaient. Leur œuvre, comme toutes les œuvres de cette nature, n’était qu’un acte de spoliation, ou si mieux on aime, la reconnaissance réciproque, de la part des deux spoliateurs, de la légitimité de la spoliation faite par chacun d’eux. Loin donc de faire un pas vers la séparation de l’Eglise et de l’Etat, loin de rentrer dans la voie du droit, on se garantissait mutuellement la violation du droit, et cette garantie établissait un lien aux dépens d’un tiers, lien que du reste on était disposé à briser, aussi bien d’un côté que de l'autre, lorsque l’on pensait y trouver son intérêt particulier. Si, à ce marché, chacun des brocanteurs y gagnait matériellement, à coup sûr tous les deux y perdaient en dignité et en moralité. (A suivre). C. P. Maistre.
- ÉTAT-CIVIL DU .FAMILISTÈRE
- NAISSANCES :
- Le 9 Mars 1882. — André-Maurice Lavabre, fils de Lavabre Armand et de Compaiu Clémentine.
- Le 12 Mars. — Emilie Macaïgne, fille de Macaigne Emile fils et de Talbeaux Léonie.
- DÉCÈS :
- Le 13 Mars. — Alfréda-Gamille Dupont, fille de Dupont Alfred et de Huile Marie ; âgée de 5 mois.
- BIBLIOGRAPHIE
- Kevue mensuelle cl’Astronomie populaire
- S’il est une science qui inspire à l’homme une idée juste et vraie de la grandeur infinie de Dieu, source inépuisable de vie, et de l’immensité indescriptible de ses œuvres, c’est bien l’Astronomie. Nulle autre science en eflet ne peut nous offrir un aussi grandiose spectacle que celui de ces milliards de globes splendides, de radieux soleils, d'astres étincelants, dont l’infinité des espaces est semée, poussière lumineuse dont chaque grain est une étoile, un monde. Quelle majesté dans cet ensemble de systèmes innombrables que la main prodigue du Tout-puissant a répandus dans l'immensité, et dont l’esprit de l’homme est presqu’impuissant à concevoir l’idée. Des mondes succèdent aux mondes, à mesure que l’on s’élève dans l’espace, et dans cette course sans fin, dût-elle durer des millions et des milliards d’années, l’œil ébloui, confondu, ne pourrait jamais apercevoir le terme. L'imagination elle-même,malgré ses hardiesses parfois sublimes, succombe sous le poids delà Création, et les cieux racontent la gloire du Créateur dont l’étendue fait connaître les grandioses ouvrages.
- « Que Dieu est grand ! » s’écrie Young. « Qu’il est puissant, l’Etre qui lance la lumière à travers les masses opaques de ces globes, qui a tissu l’ensemble brillant de la nature, et suspendu l’Univers comme un riche diamant à la base de son trône ? Laissez tomber un poids de la hauteur d’une étoile fixe, combien de siècles s’écouleront avant qu’il arrive à la Terre? « Où commence donc, où finit ce vaste édifice? » Et Charles Bonnet, émerveillé de tant de grandeur, s’exclame de son côté : « Parvis resplendissants de la gloire céleste, demeures éternelles des esprits bienheureux, saint des saints de la création, trône auguste de celui qui est, un vermisseau pourrait-il vous décrire 1 »
- C'est à la propagation de cette science si éminem-! ment utile, qui fut une des gloires de l’antique civilisation de la Chaldée et de l’Egypte, que M, Camille Flammarion, le brillant auteur de Lumen, de l’Histoire du Ciel, de la pluralité des mondes et du cours d’Astronomie populaire a voué sa laborieuse existence. Continuant son œuvre magnifique, il vient de créer une Revue mensuelle d'Astronomie populaire, dont nous avons le premier numéro sous les yeux,et dont le but est de tenir tous les amis de la science au courant des découvertes et des progrès réalisas dans l’étude de ce champ sans limites de connaissances, l’Univers.
- Nous ne saurions passer sous silence cette publication, qui réunit toutes les qualités nécessaires pour rendre cette exploration intéressante à tous les points de vue, mêlant très heureusement, suivant la
- p.173 - vue 174/836
-
-
-
- 174
- LE DEVOIR
- recommandation du poète, l’utile à l’agréable. Texte irréprochable, nombreuses illustrations d’une exactitude photographique, descriptions colorées et saisissante», observations aussi élevées que justes, tout semble y concourir pour faire de cette Revue une publication hors ligne.
- L’Astronomie est aujourd hui la base même de la philosophie spiritualiste moderne, et sa connaissance est indispensable à tous ceux qui tiennent à se former des idées exactes sur l’homme et ses destinées. Nous ne saurions donc mieux faire que de signaler et de recommander cette importante revue scientique à l’attention de nos lecteurs.
- L’utopisto
- « L’homme n’a de vraie valeur morale que quand « il pense et agit peu pour lui-même et beaucoup « pour les autres. »
- Un homme de talent M. V. Marchand, ancien élève de l’école Polytechnique et commandeur delà Légion d’honneur, vient de publier un excellent roman dans la préface duquel se trouvent les lignes que nous venons de citer.
- Elles indiquent la pensée intime de l’auteur. L’w-topiste est un jeune savant, de grand cœur, de haute intelligence, et dont la vie est dominée par le besoin de se rendre utile à l’humanité.
- L’histoire se passe vers 1846-48 à l’époque où les questions sociales étaient vivement discutées, où l’école phalanstérienne surtout préoccupait l’attention publique.
- A travers des scènes dramatiques, passionnées, l’auteur nous montre son jeune utopiste gagnant, malgré les critiques des sots ou des égoïstes, l’estime, la confiance, l’affection de tous ceux qui l’entourent. Sa grande supériorité morale est vivement mise en relief. Une jeune fille charmante s’éprend d’amour pour lui, et c’est au moment même où le mariage va l'unir à celle qu’il aime que le jeune homme,appelé par le devoir au sein de nos luttes civiles de 1848, meurt frappé d’une balle.
- Ce roman écrit avec une chaleur de conviction qui entraîne le lecteur, met e^n jeu les sentiments les plus élevés de l’âme humaine. Nous en recommandons la lecture à tous ceux qui aiment à trouver dans les fictions une cause de repos d’esprit et d’élévation delà conscience.
- Ce volume broché (275 pages) est en vente à la libraire Plon et Cie, 10, rue Garancière, à Paris.
- LA PREMIÈRE BATAILLE
- _ PAR
- TZEGrLOF
- Traduit par MIKHAÏL ACHKINASI
- II
- Le lieutenant Aliochine était arrivé au camp depuis quelques jours. Ayant pèrdu ses parents dès sa plus tendre jeunesse, il avait été élevé à Saint-Pétersbourg, dans un gymnase militaire et tous les samedis il prenait des vacances pour aller chez sa grand’mère qui demeurait sur l’île de Vassili. A l’ecole il marchait bien, il aurait même pu sortir dans la garde impériale, ce qui était le rêve de sa grand’mère, mais il avait voulu faire la guerre, et
- conformément à sa demande on l'avait attaché à l’artillerie du Caucase.
- Batterie, halte, crie le commandant Litvinof, et la batterie s’arrête avec un bruit sourd et une lourde trépidation.
- — Qu’est-il arrivé demanda Aliochine à un courrier, avec le pressentiment vague de quelque chose de terrible.
- — On amène les blessés, Monsieur le lieutenant, répondit tranquillement l’homme.
- Aliochine se souleva sur ses étriers, regarda dans le lointain où il aperçut des taches noires mobiles, lesquelles, à mesure qu’il s’approchait grandissaient davantage.
- Enfin la procession lugubre parvint devant la batterie.
- Le cortège s’ouvrait par un vieux soldat gravement blessé au cou. Le col de sa chemise sale était déboutonné, et autour de sa gorge ridée flamboyait le cercle rouge de son horrible blessure.
- Il avait les yeux égarés; un sourd gémissement soulevait sa poitrine halée.
- Ensuite se traînait lentement un grand et beau conscrit ; une plaie noire et béante tachait sa blanche et jeune poitrine dont sortait un flot écarlate; son visage bon et naïf était d’une pâleur mortelle ; tout-à-coup il vacilla et poussant un cri déchirant tomba sur une pierre. Le sang jaillit comme d’une fontaine et couvrit la terre. Il fut caché par une civière.
- Sur ce brancard était un jeune sous-officier blond ; dans sa main droite il serrait nerveusement une cigarette, mais à la place de sa main gauche il n’y avait que des lambeaux de chair et de drap.
- Il s’efforce de sourire à Aliochine,mais une douleur convulsive contracte son visage, et malgré son énergique volonté son regard dit toute l’horreur de son angoisse.
- Dieu ! quelques minutes encore et je serai peut-être ainsi, pensa Aliochine.
- Mais de nouveaux tableaux se déroulaient devant ses yeux.
- En ce moment on apporta quelque chose dans une capote ensanglantée.
- Le major 1 répéta-t-on dans les rangs avec respect.
- — De quel bataillon, demanda avec anxiété à l’un des porteurs, Aliochine se rappelant que le major qui l’avait si amicalement accueilli le jour de son arrivée au camp, commandait le 3e bataillon.
- — Du troisième, répondit un peu brusquement et avec colère l’ambulancier, continuant sa marche.
- Aliochine tremblait de tout son corps; il se tourna sur sa selle pour voir lui-même le blessé. Il demeura glacé d’effroi. De dessous le col de la capote grise sortait le visage du major Boubnof, bleui et couvert de tâches de sang coagulé.
- Oui, c’était bien lui, son bon major. Seulement ses petites moustaches fines s'étaient hérissées et ses petits yeux toujours bienveillants étaient devenus grands, immobiles et semblaient lui dire avec reproche :
- Ah ! tu as voulu connaître la guerre, eh bien, admire-là !
- Le major fut emporté, de nouveaux cadavres et de nouveaux blessés le suivaient ; des visages pâles, des regards mourants, des corps mutilés passaient de nouveau devant Aliochine, mais il ne voyait que ces deux yeux si bien connus qui hier encore lui
- p.174 - vue 175/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 175
- souriaient, et qui maintenant froids et sans vie le regardaient d’un air de reproche.
- La seconde batterie ! où est la seconde batterie, cria à son oreille une voix, desespérée.
- Aliochine sortant de son immobilité vit un jeune planton que la poussière et la chaleur avaient bronzé accourir vers le commandant et lui dire quelque chose a la hâte.
- Il s’eSorçait d’entendre, mais il ne saisit que les derniers mots :
- On a donné l’ordre de tenir jusqu’à la mort.
- Et le soldat, mettant la main à son képi, tourna promptement la bride de son cheval blanc, gravit la colline sur laquelle éclata subitement un obus et disparut dans un nuage de fumée.
- En même temps à une petite distance de lui deux balles égarées passèrent avec un sifflement plaintif.
- A peine était-il revenu de son premier saisissement que, tout près de la batterie, comme un tonnerre infernal un obus éclata, et ce qui est étrange, c’est qu’il lui sembla tout de suite que cette même grenade avait tué son bon major, et un sentiment de vengeance remplit de cruauiéson cœurdevenu muet, et dans sa jeune poitrine se réveilla instantanément l’instinct bestial de la destruction.
- — En avant ! cria la voix du commandant !
- — En avant, répétèrent les officiers.
- En avant, commanda cette fois d’une voix haute et claire Aliochine, montant vite avec toute sa batterie la colline fatale, à la rencontre des mille risques de la mort,
- III
- Au commencement il ne pouvait rien distinguer. Etourdi par les clameurs désespérées de la bataille, enivré par l’ordeur excitante du sang et de la poudre qui remplissaient l’air incandescent, mais peu à peu ses nerfs se fortifièrent, la fumée qui couvrait la plaine s'éparpilla et, devant lui, émergea la noire colline Kisil-Tapa, crachant des flammes.
- Les Turcs, maintenaient leur avantage avec une opiniâtreté héroïque ; les Russes s’efforcaient de reconquérir avec un courage persistant le fort imprudemment cédé.
- Mais celui-ci entouré du cercle de cuivre de l’artillerie russe, se tenait debout immuable, formidable, semblant regarder d’une mine de mauvaise augure les fous audacieux qui osaient escalader ses rocs inaccessibles, et. ie chœur continuel des cris et des gémissements humains et la musique infernale des canons et des-fusils s’unissaient pour former l’hymne de la dévastation sans merci.
- Un peu à gauche de la colline, rampent patiemment et courageusement de petites lignes noires ; ce sont des compagnies d’attaque.
- Une d’elles qui était en avant s’ébranla, grimpa plus vite, et l’écho répéta un hurrah lointain ; en même temps un petit nuage blanc s’éleva du roc ; une légère décharge retentit, et la ligne noire se rompit tout-à-coup en petites parcelles, qui glissant rapidement sur le flanc de la colline disparurent rapidement dans la fumée.
- Bientôt la fumée s’évanouit, et une autre ligne remplaça la première : nouvelle décharge, nouvelles pertes. Mais au même moment, avec une constance singulière, de nouvelles vies humaines rampent à l’encontre de la même mort.
- Sur les autres côtés de la colline, sur la plaine enfumée, rampent aussi de nouvelles lignes plus grandes ; évidemment c’est la cavalerie qui attaque, et là,
- plus loin, à droite du sommet, s’élève une crête de nuages de fumée et au-dessus de tout cela Ja coupole renversée d’un ciel bleu clair embrasé.
- — Voilà ce que c’est qu’une bataille, se dit Aliochine, regardant avec une douleur poignante le tableau qui se déroulait devant lui.
- Un souvenir tout récent frappa sa mémoire avec la rapidité de l’éclair.
- A l’école militaire, il avait pour professeur de tactique un allemand petit et gros, toujours très exact et très soigné ; en détaillant « une célèbre bataille intéressante, » il dessinait minutieusement sur le tableau noir avec de la craie d’élégants carrés, très-réguliers et dont chacun était accompagné d’une explication correspondante.
- — Voyez, messieurs, le carré n° 1 ; il représente l’infanterie ouvrant un feu mortel sur l’ennemi ; et ce carré n° 2 à gauche, c’est la cavalerie s’élançant à l’attaque en bon ordre.
- A ce carré il en ajoutait un troisième très mince en disant :
- — Et voilà, messieurs, l’artillerie qui prend position avec élégance.
- Le colonel oubliait seulement d’ajouter que ces carrés représentaient des vies humaines et qu’à « ces batailles célèbres et intéressantes » se versaient toujours des fleuves de sang humain.
- Ne voyait-il pas maintenant ces mêmes carrés que l’allemand lui avait désignés sur le tableau de la classe. Mais comme ils sont ici irréguliers, comme ils se meuvent sans symétrie sur cette plaine ensanglantée !
- Et lui-même avec sa batterie n’est-il pas un petit carré, et sa jeune vie peut-être va s’éteindre aussi vite, aussi obscurément que s’éteignent là-bas dans la fumée des centaines de ces assaillants, martyrs admirables et muets de la gloire nationale.
- (.A Suivre.)
- -—------------------------
- L'Association p^miLISTÊBE Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- Le Directeur-Gérant : G-ODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’PIace, 36»
- p.175 - vue 176/836
-
-
-
- EN VENTE
- MUTUALITÉ SOCIALE
- ET
- ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- ou
- EXTINCTION OU PAUPÉRISME
- Far la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production contenant les statuts de la Société du Familistère de Guise
- Par GODIN
- Broché avec la vue générale des établissements de l’Association. . . 5 fr. ; sans la vue 4 fr.
- DU MÊME AUTEUR
- SOLUTIONS. SOCIALES, 1 volume de 655 pages, avec la vue générale du Familistère, les vues intérieures, plans et gravures, édition in-8, 10e édition grand in-î8. . . 5 fr.
- Les ouvrages ci-dessus sont en vente à la librairie du Devoir ainsi que chez Guillaumin et G8 libraires, 11, rue Richelieu et à la librairie Ghio, P, 3, 5,7 galerie d’Orléans, Palais-Koval, à Paris.
- DU MDMdE AUTEUR à, la, Librairie dix DEVOIR':
- La Politique du travail et la Politique des privilèges, volume de 192 pages. . 0.40 c.
- La Souveraineté et les Droits du Peuple, volume de 192 pages. ..... 0.40 c.
- La Richesse au service du Peuple, volume de 192 pages.....................0.40 c.
- Les Socialistes et les Droits du travail, volume de 192 pages.............0.40 c.
- Histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, de G. J. HOLYOAKE, résumé extrait et traduit de l’Anglais, par Marie MORET......................... . . 0.75 c.
- COLLECTION DU DEVOIR :
- 1er volume broché, 432 pages 2e » » 464 »
- 3e » » 624 »
- 4e » » 832 »
- 5e » 864 d
- 3 francs.
- 3 »
- 4 50 6 »»
- 6 »)>
- 3EHV PRIME AUX ABONNÉS DU «DEVOIR»
- LU FILLE DE SON PÈRE, par Mme Marie Howland, volume de 650 pages au prix
- réduit de 1 fr. 50.
- Ce dernier volume se vend également au prix de 3 fr. 50, chez Ghio, éditeur, 1, 3, 5, 7, Galerie d’Orléans, Palais-Royal, Paris.
- Ces ouvrages sont envoyés franco contre mandats ou timbres-poste adressés au gérant du Devoir, à Guise (Aisne).
- p.176 - vue 177/836
-
-
-
- :Le numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 26 MARS 1882.
- d» ANNÉE, TOME 6 — N° 185
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées " à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. ,. . . 10 fr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.6Q
- ON S’ABONNE
- A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps. Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm. ’w m g»
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Expérience sociale de Ralahine. — Les droits du Capital et ceux du Travail. — Faits politiques et sociaux.—> Etudes anticatholiques: Les Ecritures; 2° le Déluge et VExode. — Le Magnétisme.
- — U Eglise et l’Etat : de Louis XIV au Concordat de 1801. — La première bataille. — Nécrologie.
- — Deux mots sur le Reichstag allemand.
- EXPÉRIENCE SOCIALE DE RALAHINE Comté* fl© Clare (Irlande)
- La question sociale se pose et se posera de plus en plus inquiétante et redoutable, si les classes dirigeantes n'avisent à l’application des remèdes propres à en fermer les plaies. La guerre civile en Irlande et les grèves dans tous les pays nous montrent l’urgence qu’il y a de s’occuper des réformes réclamées par notre état social.
- L’expérience réussie de faits pratiques est, en cette matière, la chose la plus propre à attirer l’attention des personnes restées indifférentes à l’étude de ces
- questions; elle est aussi la plus propre à servir d’exemple pour entrer dans la voie des applications et des réformes.
- C’est dans cette pensée que Me Marie Moret a traduit de l’anglais et résumé, afin de les publier dans le « Devoir », les faits palpitants d’intérêt de l’histoire de l’Association agricole fondée en 1830, à Ralahine, comté de Clare (Irlande).
- Cette histoire a paru dans le « Coopérative News » de Manchester, organe principal des coopérateurs anglais, et moniteur officiel pour ainsi dire, de la grande fédération des sociétés coopératives du nord de l’Angleterre.
- Le récit est d’autant plus remarquable qu’il est fait par un des principaux acteurs de ce drame social, M. E.-T. Craig, secrétaire et administrateur de l’Association.
- La Société de Ralahine a* été fondée au milieu d’une surexcitation publique, plus grande encore que celle dont l’Irlande offre de nos jours le triste spectacle.
- Le récit de cette entreprise montre comment à travers les difficultés insurmontables en apparence de la guerre eivile : assassinats, attentats incessants à la propriété, l’association des travailleurs aux produits de la terre a eu la puissance de ramener le calme, la paix et d’établir la joie et le bien être, là où il n’y avait que douleurs et misères.
- Cette expérience réalisée au milieu des plus grands périls, donne quand même les résultats les plus utiles à connaître. Elle sombre, il est vrai, au bout de deux ans, non que son principe soit atteint en quoi que soit ; mais par une catastrophe étrangère à l’Association et qui entraîne la dissolution de la
- i
- p.177 - vue 178/836
-
-
-
- 178
- LE DEVOIR
- Société. La loi anglaise, si favorable aujourd’hui aux entreprises coopératives, n’avait alors rien qui garantît l’existence dés associations ouvrières.
- La tentative racontée par M. Craig s’accorde d’une façon tellement intime avec les principes exposés dans le « Devoir » ; elle est en même temps si dramatique et si intéressante que nous la publions non-seulement pour faire plaisir à nos lecteurs, mais aussi comme élément de réforme sociale utile à faire connaître. Cette histoire démontre dans quelle coupable incurie sont plongés les propriétaires irlandais en ne tenant aucun compte d’une telle expérience faite au milieu d’eux.
- La question sociale est la première des questions du jour, on est forcé de le reconnaître; et le mal qui la met en évidence s’attachera de plus en plus aux flancs de la Société, jusqu'à ce que le remède soit appliqué.
- Or, mettre en lumière les moyens pratiques et pacifiques d’opérer les réformes nécessaires pour assurer aux travailleurs la subsistance, l’instruction et le bien-être, c’est faire œuvre de pacification sociale, c’est concourir à l’accomplissement de la tâche réservée à la civilisation moderne.
- C’est à la propagande de ces idées que notre Revue est consacrée, aussi l’histoire de l’Association agricole de Ralahine devait-elle trouver place dans nos colonnes, puisqu’elle démontre par des faits comment l’Association entre travailleurs et capitalistes fait disparaître les embarras que l’exploitation abusive du capital entretient de nos jours.
- Nous commencerons cette publication dans le prochain numéro du « Devoir. »
- LES DROITS DU CAPITAL & CEUX DU TRAVAIL
- Dans un précédent numéro, nous avons tâché de démontrer l’égalité des droits du capital et du travail à la richesse que tous deux concourent à créer et à produire, et nous avons fait voir que c’est la prépondérance souverainement injuste attribuée au Capital qui est la principale, sinon l’unique cause du malaise social et des grèves périodiques qui contribuent à la perpétuer.
- Comme c’est dans cette inégalité que réside la cause du mal dont il est urgent de trouver le remède, on ne saurait trop insister sur ce point, afin de faire pénétrer dans l’esprit des classes dites dirigeantes cette vérité inéluctable que c’est avec la liberté et l’égalité appliquées dans toute leur étendue aux institutions, que l’on parviendra à remédier aux !
- maux dont souffre depuis si longtemps la Société. Le rocher est dur, mais l’eau qui tombe goutte à goutte finit par l’entamer et le percer ; il en est de même de la vérité : à force de la faire entendre, elle finira par se faire jour dans les âmes les plus endurcies, les plus réfractaires à ses enseignements. Ne nous lassons donc pas d’y revenir et de le répéter sans cesse.
- Qu’est-ce que le Capital et qu’est-ce que le Tra-| vail ? La simple réponse à cette double question j nous fournira la preuve la plus convaincante de l’é-| galité des droits de l’un et de l’autre aux bénéfices de la production à laquelle ils concourent ensemble! Le capital argent n’est autre chose que le produit économisé et accumulé du travail. D’où il suit logiquement que sans le Travail, le Capital n’existerait pas. C’est en .effet le travail qui l’a créé, à une époque antérieure, quelle qu’elle soit, c’est par lui qu’il existe, qu’il a pu être rais en réserve, et fait ce qu’il est. Issu du travail, mais existant enfin de sa propre vie, quelle est sa puissance dans son isolement ? Il peut consommer, mais pour produire lui-même il a encore besoin du concours du travail, et il lui est absolument impossible de s’en passer. Sous ce rapport, l’on peut donc dire que le capital est tributaire du travail duquel il tire son origine. C’est un fait certain, indéniable. Il est un autre genre de capital que nous nommerons naturel et qui, lui, fourni par la nature, n’a besoin d’aucun des deux autres éléments, mais dont tous deux ont besoin, et qui appartient à tous.
- Le travail, lui, c’est l’activité humaine mise en œuvre pour transformer la matière brute en produits utiles, pour cultiver le sol et en tirer les choses nécessaires à la vie, c’est en un mot l’élément indispensable pour l’entretien et le développement de l’existence, en utilisant les ressources fournies par la nature. Le travail agit par lui-même à l’opposé du capital dont le rôle est purement passif, et l’on peut dire, qu'à la rigueur, si le dernier ne peut pas se passer du concours de l’autre, celui-ci, dans bien des cas, peut parfaitement se passer du concours de son compétiteur. En effet, pourquoi le travail a-t-il besoin du capital ? Pour se procurer les matières premières et l’outillage nécessaire pour leur transformation. Comme c’est le travail qui a créé le capital, il a donc bien fallu à un moment donné que le travail agit seul, avec les éléments fournis par la nature, puisqu’avant cette création le capital argent n’existait pas. Il en résulte qu’à un moment donné il pourrait le faire encore, et que par conséquent si l’un doit exercer une suprématie, c’est plutôt au travail qu’elle de-
- p.178 - vue 179/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 179
- vrait appartenir, contrairement à ce qui existe actuellement.
- Mais dans l'état de choses présentement existant, le pouvoir du travail isolé est devenu restreint, et pour être dans le vrai il est nécessaire de convenir qu’il ne peut pour ainsi dire plus se passer du capital- Cela admis, il est clair que toute infériorité entre eux doit disparaître, et que nécessaires, indispensables tous les deux à un même titre, puisque leur concours dans la production est équivalent, leur droit aux résultats de cette production obtenue en commun est égal aussi. Donc en bonne justice, la rémunération des deux agents doit être calculée sur la même base, et elle doit comprendre deux éléments qui sont pour la rémunération absolue l'estimation équitable de la valeur du concours fourni, et pour la rémunération relative complémentaire, la participation dans les bénéfices proportionnellement à la dite valeur. La première consiste pour le capital dans l’intérêt, et pour le travail dans le salaire, et la seconde est fondée sur cette double évaluation.
- « Le prix du travail » dit l’auteur de « Solutions sociales », se réglé par des conventions, lorsqu’il se rapporte à une œuvre exceptionnelle ou inconnue.
- Il se règle par des tarifs et des usages, lorsqu’il s’agit d’un travail souvent renouvelé dont l’objet et la valeur sont bien déterminés, ou encore suivant la durée du temps qui y est employée.
- « Le capital qui se livre ou se prête rend à la production un service qui se reconnaît par l’intérêt. Cet intérêt varie suivant l’importance du service, il est sujet à des fluctuations dont les banques marquent létaux ; il se règle par des conventions, et même, à défaut de convention par la loi.
- « L’invention, le génie, la capacité ont droit à une prime proportionnée à l’importance des nouveaux produits qu’ils ont découverts ou rendus plus faciles à exécuter.
- “ La production naturelle légitime le droit social ue chacun ; elle constitue la part nécessaire pour assurer la protection due aux faibles, et le respect
- la liberté et du progrès de la vie en chacun de nous.
- ‘ Le travail, le capital et l’invention étant les juoyens de production propres à l’homme, c’est sur
- proportionnalité de leur concours que la réparti-1Qn peut s’établir; le droit social de tous, étant la représentation du droit à la production et au fonds .^nilln nature, il a pour mesure le Minimum ispetisable aux besoins de ceux qui ne peuvent j vivre de leurs ressources personnelles.
- « Ces principes généraux une fois posés, on peut concevoir leur application dans la répartition.
- « Les salaires, l’intérêt et les primes sont prélevés, avant tout, sur la partie disponible des produits; les bénéfices généraux sont ensuite répartis à la réserve sociale, au travail, au capital, et à l’invention, proportionnellement à leur droit légitime représenté par :
- « Les salaires du travail,
- « L’intérêt ou loyer du capital,
- « Les primes de l’invention,
- « La part des besoins sociaux.
- « De sorte que sur les bénéfices restant des opérations, après tous frais payés, la répartition équitable donnera dans l’avenir :
- « A la prévoyance sociale, le minimum indispensable pour assurer chacun contre le malheur ;
- « Aux travailleurs, un dividende proportionnel aux salaires, appointements ou émoluments qu’ils auront reçus pour le prix du travail exécuté ;
- « Au capital un dividende proportionnel à l’intérêt, ou loyer convenu, soit pour le champ, la ferme, l’usine, l’outil ou la matière première qu’il aura fournie;
- « Aux inventeurs un dividende proportionnel aux primes accordées à leurs découvertes. »
- Voilà la véritable manière d’introduire enfin l’équité et la justice dans les rapports nécessaires entre le capital et le travail. Tout ce que l’un d’eux prélèverait en plus de cette part légitime est une spoliation formelle au détriment des droits incontestables de l’autre . Les droits de tous les deux à leur part proportionnelle de bénéfices est rigoureusement égal et doit être également respecté et librement exercé.
- C’est en vain que l’on conteste ce droit au travail, sous le prétexte que dans toute entreprise le capital court des chances, qu’elle marche à ses risques et périls, et que s’il perd, rien ne viendra compenser la perte et l’en indemniser. En présence de ce danger qui n’existe pas, dit-on, pour le travail, il est juste que des avantages plus considérables compensent le risque couru.
- Cette objection que l’on renouvelle sans cesse a déjà été réfutée bien des fois. Les risques que court le travail, pour être différents quant à la forme ne sont ni moins sérieux ni moins sensibles, et il en court même en réalité d’infiniment plus graves. Le chômage n’est-il pas une perte qui amène la détresse, les privations, la maladie, une perte par conséquent autrement cruelle que celle du capital ? Le capita-| liste, en somme, ne souffre 'que de l’absence de bénéfices ou de l’amoindrissement ou de l’extinction
- p.179 - vue 180/836
-
-
-
- ISO
- LE DEVOIR
- du capital. Le travailleur souffre du sacrifice de ses économies, s’il en a, dans le chômage, et c'est alors la misère, et peut-être la mort. C’est dans sa personne même, dans sa vie que le travailleur souffre, et rien ne peut le sauver, si le travail ne revient pas assez tôt lui fournir de nouvelles ressources. Le capitaliste, lui, ne souffre point dans sa personne, c’est dans sa bourse seulement que se fait sentir le mal. La perte du capital n’atteint point sa vie, tandis que la perte du travail compromet le plus souvent l’existence du travailleur et de sa famille. Pesés dans la balance de l’équité, ces deux risques sont donc, nous ne dirons pas égaux, ce serait insulter à la vie humaine, mais de nature à créer des droits au moins équivalents à ces deux facteurs de la production.
- Donc les droits du capital et ceux du travail à la participation dans les bénéfices sont égaux, et c’est par conséquent un devoir pour la société d’en protéger l’exercice loyal par tous les moyens en son pouvoir. Tant que cette iustitution n'aura pas été admise par elle dans la pratique, elle ne sera pas encore entrée dans la vérité de son rôle, elle n’aura point rempli sa mission.
- Tous les préjugés, toutes les idées reçues contraires à ce principe strictement équitable et juste doivent disparaître, si l’on veut réellement opérer les réformes sociales urgentes pour faire cesser à jamais les causes de malaise et de trouble, les ferments de discorde et d’antagonisme, les germes de la pauvreté et de la misère. La vie pour tous, le pain pour tous sont à ce prix, et la société les doit rigoureusement à tous ses membres. Tant que les classes soi-disant dirigeantes n’auront point compris cela, elles continueront à être indignes du rôle qu’elles se sont arrogé, de la mission qu’elles usurpent depuis des siècles.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- Orvngfrè® nationa.1 pour la séparation des Eglise® et de l’Etat. — La date d’ouverture du Congrès national pour la séparation des Eglises et de l’Etat a été fixée au 30 mars prochain. Les séances continueront les 31 mars, 1er et 2 avril.
- Un grand nombre de sénateurs et de députés ont donné leur adhésion au Congrès et doivent prendre part aux discussions.
- Les adhésions et demandes de renseignements doivent être adressées à M. Cinqualbre, administrateur général de l’Union démocratique de propagande anticléricale, 48, rue Monsieur-le-Prince, Paris.
- *
- * *
- Le serment devant le® tribunaux. —
- Tout a été si faussé et perverti dans notre éducation pre-
- mière, dans les idées qui nous ont été inculquées surle< hommes et les choses, que les solutions les plus contraires à la logique et à la droiture nous sont quelque" fois indiquées comme celles qu'il convient de suivre.
- Que dites-vous, par exemple, de ce président du tri. bunal correctionuel de la Seine répondant à un témoin qui ne voulait pas prêter serment sans faire de vive voij clés réserves, eu égard à son caractère religieux :
- — Prêtez serment purement et simplement : quant J vos réserves, faites-les... mentalement si vous voulez.
- Est-ce par de tels conseils que nous arriverons à une véritable régénération morale ? J’admets qu’eu égard à a législation actuelle, un président de tribunal ne puisse pas, pour la commodité d’un témoin, faire enlever le crucifix qui décore les salles d’audience; j’admets aussi qu’un témoin se refuse à rendre à une image dont i] conteste la divinité, et sous prétexte de serment, un hommage qu'il ne lui doit pas : mais venir recommander à un témoin le système jésuitique des restrictions mentales, lui dire : — Dites une chose et pensez-en une autre si bon vous semble, voilà ce qui me paraît, et vous paraîtra sans doute aussi, dépasser le droit et surtout le devoir d’un magistrat vraiment digne de ce nom,
- Combien j’approuve davantage le président de la cou-d’assises de l’Uise, M. Piiehon, relisant à un juré librer penseur la formule du serment judiciaire, en en supprimant ces mots litigieux : devant Dieu et devant les hommes, et lui permettant ainsi de concilier ses obligations de juré avec ses scrupules de conscience! Ce n’est peut-être pas très conforme aux prescriptions du Code d’instruction criminelle, mais la morale et le drtit s’en trouvent à merveille. L. B.
- La géographie dans les caserne®. —
- Un ancien officier, M. Gilles, écrit à la Société de géographie de Paris pour demander que les murs des casernes soient désormais utilisés pour l’instruction des soldats et qu'on y trace spécialement la carte de France d’abord, puis celle des autres pays où la France envoie des troupes. L’idée est très heureuse ; elle a ôté très applaudie.
- *
- * * '
- L’Union postale est la plus vaste organisation internationale que l’histoire ait encore vue. Elle embrasse 89,929,814 kilomètres carrés. La population des Etats qu’elle dessert est de 800,228,000 individus.
- AUTRICHE
- L’Autriche, ce puissant empire, a conquis enfin, mais non pas soumis, ce pays de Crivoscie dont l’Europe ignorait quasiment le nom il y a trois mois. Pour le vaincre if a fallu le couvrir d’obus et de bombes, incendier ses villages, escalader ses montagnes, massacrer les vieillards, les femmes, les enfants, faire de rocher en rocher la chasse aux hommes, fieux qu’on n’a pu tuer ou prendre se sont réfugiés chez les Monténégrins. Voilà ce qu’on appelle) exécuter le traité de Berlin! G’est un commencement, non pas une fin, car l’insurrection a gagné LHerzégovine, elle a pénétré en Bosnie et divise les Albanais chez lesquels les musulmans et les orthodoxes tiennent pour les insurgés, tandis que les catholiques travaillés par les jésuiles, se déclarent pour l’Autriche. Gomment les gauches du parlement hongrois, où tant de voix courageuses prennent hautement la défense des insurgés, ne proposent-elles pasun Congrès ? Les Délégations sont convoquées pour le D avril; on va leur demander encore trois millions de florins « pour rétablir l’ordre, » c’est à-dire pour faire couler le sang et pour comprimer la liberté.
- BELGIQUE
- En Belgique se fait aussi la réforme laïque du serment. M. Thonissen, au nom d’une commission chargée d’examiner une nouvelle loi sur la procédure cri-
- p.180 - vue 181/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 181
- • elle, propose de laisser aux témoins appelés par le P1* d’instruction la faculté de prêter le serment reli-JPjLx ou de le remplacer par une simple affirmation sur phonneur et la conscience.
- *
- * ¥
- Le correspondant d’un journal confit, en catholicisme, i journal de Bruxelles, annonce que le pape autorise IL comités du denier de Saint-Pierre à subventionner chaque pays la bonne presse. Léon XIII veut avoir g6S « reptiles » tout comme Bismarck.
- ESPAGNE
- Les Cortès espagnoles s’assemblent le 20 mars, elles prononceront suiffie cas des industriels qui font la grève (ie l’impôt,et dont les syndics sont bel et bien enfermés dans le Saiadero, en attendant qu’on ait déposé pour eux l’énorme cautionnement de 282,000 fr.
- RUSSIE
- Appel So tavfcioîï. — Voici un appel qui
- a déjà été publié dans La Justice, L'Intransigeant, Le Petit Provençal, Le Petit Marseillais, Le Réveil Lyonnais et d’autre journaux, a titre de protestation à laquelle nous nous unissons :
- « Les socialistes polonais à, la presse française.
- » Le despotisme demande encore la vie de dix victimes, dix martyrs de la liberté ! Les valets de l’autocrate russe ont condamné dix de nos frères à la peine de mort.
- » Oui, nos frères ! Nous socialistes polonais, quoique successeurs des lutteurs de 1794, 1831 et 1863, nous ne haïssons que les oppresseurs russes, mais les Russes qui luttent pour la liberté et pour un meilleur ordre social et qui souffrent comme nous du despotisme, ne sont pas nos ennemis, mais nos frères !
- » Nous, socialistes polonais, nous adressons donc aux peuples plus libres,-en leur demandant de protester au nom de ' ia conscience et de la fraternité humaines contre cette hideuse sentence du despotisme russe. Et nous nous adressons surtout au généreux peuple français qui a toujours protesté contre l’oppression étrangère et despotique de notre patrie, et qui a protesté dernièrement contre l’extradition de Hartmann et l’exécution de Jessa Helfmann, et nous ne doutons pas que la grande voix du peuple français, si elle n’effraye pas le tyran, contribuera à ébranler le despotisme russe dans ses fondements.
- » 6 mars 1882.
- Au nom de groupes socialistes polonais :
- Joseph Biesiadowski,
- Michel Kotürnicki,
- Bolesîas Limanowski,
- A. Skalecki,
- Casimir Sosnowski,
- Félix Szydlowski. »
- ¥ ¥
- Question internationale. — Une question qui commence à poindre,et qui ne tardera guère à tenir dans la polémique internationale une place considérable, cest la neutralisation du canal de Suez et du canal de panama. Suivant que cette question, que l’Angleterre et tes Etats-Unis d’Amérique n’ont envisagée jusqu’ici que sous 1 influence fâcheuse de l’égoïsme national, sera ou ?,e ®era point résolue comme elle doit 1 être, dans l’in— cret général des peuples, elle peut devenir ou la cause oeRUerres effroyables, ou le fondement assuré de cette politique internationale de justice, de paix et de liberté Jers laquelle toutes les nations gravitent sans être en-co[e parvenues à en jeter les premières assises, un homme qui, après avoir été président des Etats-Qls ue Colombie, n’a point cru déroger en briguant
- cette année la présidence de l’Etat de Panama, M- Raphaël Nunez, paraît avoir compris la grandeur de cette question. Le Message qu’il vient d’adresser au Congrès indique qu’il sent la nécessité de placer tout ensemble la souveraineté des Etats-Unis de Colombie et la neutralité du canal sous la garantie solidaire de tous les peuples civilisés, et non sous la protection exclusive et jalouse d’une seule nation. Les deux traités, l’un de 1846, l’autre de 1850, qui lieDt déjà la Colombie aux Etats-Unis d’Amérique et à la Grande-Bretagne, ne sont point contraires à ces vues généreuses, mais nous croyons que l’exécution du canal et l’existence du chemin de fer qui traverse déjà l’isthme de Panama rendent indispensable un nouveau traité, qui devrait recevoir la signature et consacrer les engagements réciproques de tous les peuples civilisés. Si M. Raphaël Nunez a le bonheur de conclure cette convention, et la gloire d’y apposer sa signature au nom des Etats-Unis de Colombie, sa patrie ne sera point seule à bénir son nom, et les peuples des deux mondes honoreront à jamais sa mémoire.
- *
- ¥ ¥
- La presse dans 1© monde. — Sait-on combien il existe de publications périodiques aux Etats-Unis?
- 5,881, avec un tirage annpel de 1 milliard 588,548,000, ce qui fait 15 journaux par 100,000 habitants.
- Les Etats qui publient.le plus grand nombre de journaux sont ceux de. New-York, 534; Pensylvauie, 406; Illinois, 378; Ohio, 320; Indiana, 234, ete.
- La France n’a q ie 1,668 publications périodiques; l’Angleterre, 1,456; l’Allemagne, 1,270; l’Autriche, 1,016; l’Italie, 723; la Suisse, 394 ; "la Russie, 337; l’Espagne, 306; la Turquie, 33; le Portugal, 26.
- *
- ¥ ¥
- ILess droits des femmes. — THE history of woman suffrage (Histoire du vote des femmes). — En ce moment où de tout côté les esprits d’élite s’appliquent à relâcher ou même à détruire les entraves civiles et politiques qui lient encore les iemmes, c’est une recherche intéressante que de remonter le courant de l’histoire pour se rendre compte de ce mouvement qui prit naissance en Amérique, il y a déjà trente-quatre ans,en 1848, et qui, conduit par ses promotrices avec un talent et une persévérance qu’on ne saurait trop admirer, a chaque année recruté de nouveaux partisans, et a fini par s’étendre sur le territoire tout entier des Etats-Unis d’Amérique.
- C’est le récit de cette lutte, qui en certains moments fut héroïque, que nous offre le beau livre que nous annonçons. Le premier volume est entièrement consacré au mouvement américain ; il est déjà en vente. Un second volume qui est en préparation donnera le tableau du mouvement européen.
- Dans le premier volume le lecteur peut suivre année par année, jour par jour pour ainsi dire, la vie dévouée semée de déceptions et d’encouragements, de succès et de revers des trois ou quatre femmes courageuses qui les premières se sont mises à l’œuvre avec la ferme résolution de tout souffrir plutôt que d’abandonner une entreprise, que dans leur conscience elles regardaient comme la lutte de la justice contre une tyrannie séculaire.
- Parmi tant de noms sympathiques et vénérés, nous aimons à citer ceux de-Lucretia Mott, d’Elisabeth Cady Stanton, de Suzanne Anthony, de Pauline Davis, et de tant d’autres femmes éminentes dont les portraits ajoutent encore à la valeur et à l'intérêt des documents contenus dans cette belle publication.
- Marie Gœgg.
- TT*i cadenu d© dévot©. — Le docteur G.** professeur distingué de médecine dans une ville dont nous tairons le nom, était l’époux d’une femme charmante et pleine de qualités, mais entichée d’une dévotion exaltée et entretenue par le zèle d’un aimable directeur de conscience.
- p.181 - vue 182/836
-
-
-
- 182
- LE DEVOIR
- On sait quelle tendresse existe entre ces âmes pieuses, tendresse plus ou moins platonique se traduisant par des échanges constants de douceurs, petits cadeaux variés, confitures et ostensoirs, prie-dieu et broderies etc., choses qui ne laissent pas que d’être parfois onéreuses pour la bourse conjugale.
- Le docteur homme d’esprit et excellent pour sa femme, ne la gênait en rien et ne s’occupait que de ses cours et de ses malades; il ignorait tout, aussi la dame ne prenait-elle pas trop de précautions pour cacher son assiduité près de son directeur.
- Un jour, en sortant de chez lui, le mari voit sur la porte la servante portant sous le bras un panier soigneusement couvert, et tenant une lettre à la main. Qu’est-ce que cela ? dit-il — Je ne sais pas ; Madame m’a chargé de le porter à M. le Curé.
- Le docteur soulève le couvercle du panier, et voit un vase d’église en vermeil d’un grand prix,
- « Rentrez un instant dans mon cabinet, dit-il à la bonne, Madame a oublié quelque chose dans ce panier. »
- Une fois dans son cabinet, le docteur retire du panier le vase sacré qu’il remplace par un vieux clysopompe qui traînait dans un coin. 11 décachète la lettre, en mouillant le papier, et y lit ce qui suit :
- « Mon cher directeur, veuillez accepter ceci en souvenir de moi ; en vous en servant, pensez 4 moi et priez en même temps pour votre chère et fidèle. »
- Le docteur renseigné recachète la lettre, referme le panier, et dit à la domestique : Maintenant, allez porter cela à Monsieur le Curé, tout y est.
- La bonne fit la commission, et nous ne saurions dire la suite de l’histoire, mais le lecteur peut se l’imaginer sans peine.
- Quant au précieux vase, le docteur le transforma en sucrier pour les grands dîners de cérémonie, au grand scandale des dévotes. Dr G.
- ÉTUDES ANTICATHOLIQUES
- Les Ecritures
- 2° Le Déluge et l’Exode
- L’homme est créé, et tous les animaux vivant sur la terre et dans les airs sont amenés devant lui qui donne un nom à chacun d’eux. C’est là la version biblique; ainsi l’homme aurait été le contemporain de tous les animaux existant dès les premiers temps de la création, Mais avec l’incandescence primitive du globe, il est certain, au contraire, qu’à l’époque relativement récente où l’homme apparut sur la terre, un grand nombre d’espèces animales avaient déjà disparu depuis longtemps, laissant profondément enfouies leurs dépouilles que la science moderne devait retrouver après tant de siècles.
- Passons sans nous trop appesantir sur cette erreur manifeste de l’auteur soi-disant inspiré de la Genèse. Ne nous arrêtons pas non plus à cette faute énigmatique difficile à comprendre qui motive ensuite l’expulsion d’Adam et Eve du paradis terrestre et arrivons au récit du premier meurtre qui ait ensanglanté la terre, le meurtre d’Abel, Il faut reconnaître que le narrateur s’est peu inquiété du soin de rendre vraisemblable cet horrible drame, Abel a adopté la vie
- [ de pasteur, vie oisive et instable, peu propre à mo„ jj raliser, ainsi que cela se voit chez les peuples pas. : teurs qui restent plongés dans la barbarie. Caïn se | livre à la culture de la terre, vie active et remplie de ; travaux qui ont permis aux races humaines de sortir ! de l’ignorance. Dans le choix des deux frères, le piUs | conforme à la mission de l’homme sur la terre, i6 ! plus méritoire est certainement celui de Caïn. Cepen-
- - dant lorsque les deux frères viennent faire une obla. tion au Seigneur, l’un des fruits de la terre et l’autre des premiers-nés de ses troupeaux, Jéhovah accepte le sacrifice d’Abel et repousse celui de Caïn. Pourquoi cette étrange préférence? Est-ce que Dieu serait, comme l’auteur du Syllabus,ennemi juré de tout progrès dont il a pourtant imposé la loi à toutes les créatures? C’est ce que l’auteur du livre sacré ne nous dit pas, et ce caprice de la divinité reste un mystère bien étrange en vérité. Enfin froissé de cette injustice, Caïn se venge en tuant son frère, et il en est puni par une condamnation à errer maudit sur la terre,
- t
- Dans cette punition il y a encore une contradiction bizarre à relever. D’après la Genèse, il ne devait y avoir encore sur la terre à ce moment qu’Adam et Eve et leurs deux fils Caïn et Abel. Ce dernier disparu, Caïn devait donc rester seul avec ses père et mère. Pourtant l’historien sacré nous dit que Caïn,se plaignant de l’énormité de sa peine, dit à Dieu : Il arrivera que quiconque me rencontrera, me tuera. A quoi l’Eternel remédie en imprimant une marque au front de Caïn,afin que quiconque le rencontrerait ne le tuât point. La terre avait-elle donc d’autres habitants dont la Genèse ne fait point mention, et Adam ne serait-il pas le premier homme créé? Etrange, étrange ! Mais ne nous attardons pas trop sur ces bizarreries, et arrivons au grand cataclysme biblique, le déluge.
- Les fils de Dieu séduits par la beauté des filles des hommes s’unissent à elles, et de ces unions résulte une race de géants renommés, qui ne font qu’accroître la méchanceté humaine, Qu’étaient ces fils de Dieu, et ces filles des hommes, et ces géants, leurs fils? Mystère; la Genèse nous laisse à cet égard sans renseignements. Quoiqu’il en soit, Dieu, lassé de la perversité de la race humaine, la condamne à périr. Il prévient Noé, en lui ordonnant de construire une arche, pour y recueillir un couple d’animaux de chaque espèce, suivant le chapitre 6, et sept couples d’après le chapitre 7. Ns relevons pointcette contradiction nouvelle. Ces préparatifs terminés, Dieu envoie une pluie de quarante jours et quarante nuits pour submerger les plus hautes montagnes, afin que 1© genre humain soit noyé. C’est dons cette pluie es*
- p.182 - vue 183/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 183
- traordinaire qui devra fournir l’eau nécessaire pour former une. couche enveloppant la terre et' s’élevant au-dessus des montagnes les plus élevées. Toute cette eau venant de l'atmosphère qui entoure notre planète, il faut donc qu’elle y existe, qu’elle y puisse exister. Or, cela est matériellement impossible.
- Des géographes portent à plus de 8,000 mètres au-dessus du niveau de la mer la hauteur du pic le plus élevé de la chaîne de i’Himalaya (Alex, de Humboldt donne 8,556 mètres). Prenons 8 000 mètres, ou deux lieues métriques. Il faut donc que l’atmosphère nous fournisse une couche de liquide de deux lieues d’épaisseur, à partir du niveau de l’Océan. L’y trouverons nous? Il ne faut pas oublier que si elle s’y trouve, elle n’y sera pas à l’état de liquide, mais dissoute à l’état de vapeur.
- Les physiciens estiment que l’enveloppe atmosphérique peut s’élever au maximum à une quinzaine de lieues ; mais ils démontrent que les diverses couches de cette enveloppe n’ont pas une densité uniforme et vont se raréfiant à mesure que l’on gagne les hautes régions, de telle sorte que, si l’on ramenait toutes ces couches à la densité de celles qui s’appuient sur les mers, elles ne formeraient plus qu’une enveloppe d’environs deux lieues d’épaisseur. Maintenant, l’air sous la pression de 76 centimètres du baromètre, celle du niveau des mers, et à la température de zéro du thermomètre centigrade, pèse 770 fois moins que l’eau ; l’atmosphère entière, si elle était réduite à l’état liquide et à la même densité que l’eau, ne formerait donc plus autour de la terre qu’une enveloppe d’un peu moins de 10 mètres et demi d’épaisseur, et encore pour cela il faudrait une atmosphère toute de vapeur d’eau substituée à l’atmosphère aérienne.
- Le déluge universel de la Bible est donc une fable puérile qui ne soutient pas l’examen.
- Rien de plus immoral et de plus indécent même que l’histoire du fameux patriarche Abraham et son neveu Lot, des ôis de Jacob et autres qui remplissent ce livre de la Genèse que l’on veut nous faire accepter comme une révélation divine. Le cadre de cette étude ne nous permet pas de nous y arrêter et d’ailleurs il suffit de les mentionner, connues comme elles le sont, pour se rendre facilement compte de leur invraisemblance,
- L’exode n’est pas plus véridique,dans son récit de la lutte engagée entre le Pharaon et Moïse, et de la sortie des hébreux d’Egypte. Moïse débutant dans sa vie publique par ur» crime, le meurtre d’un égyptien, se réfugie chez un prêtre Madianite, dont il épouse la fille, et c’est en menant les troupeaux de son beau-père que lui arrive l’aventure racontée comme suit dans le livre saint «*
- “ L’ange de l’éternel lui apparut dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson; et il regarda, et voici que le buisson était tout en feu, et il ne se consumait point.
- « Et l’éternel vit que Moïse s’était détourné pour regarder; et Dieu l’appela du milieu du buisson etc.
- Dans ce passage, au verset 2, c’est l’ange qui apparaît à Moïse et au verset 4, c’est l’éternel lui-même qui l’appelle et lui donne mission de délivrer ses frères. Moïse part, mais voilà que par un caprice qu'on a de la peine à s’expliquer. Jéhovah, qu’il rencontre dans une hôtellerie en route, veut le faire mourir. Heureusement que pour le délivrer, sa femme Sephora prit un couteau tranchant, en coupa le prépuce de son fils, et le jeta à ses pieds,en disant : certainement tu m’es un époux de sang. Alors, dit la Bible, l’éternel le laissa tranquille. Quel singulier Dieu et comme ses idées sont versatiles et bizarres !
- Enfin Moïse arrive et demande au roi la liberté de ses frères. Peut-être la Pharaon l’eùt-il accordée sans trop se faire prier, si ce même Jéhovah n’était venu lui endurcir le cœur, ce qui fait qu’il refusa obstinément de laisser partir les Hébreux. Alors Moïse déchaîne sur le pays les dix fléaux connus sous le nom de plaies d’Egypte.
- Conçoit-on quelque chose à cette conduite de l’Eternel qui d’un côté ordonne à l’un de faire partir les Israélites, et de l’autre endurcit le cœur du roi pour les en empêcher ? Et cela pour fournir à son envoyé l’occasion de susciter sur le pays des fléaux meurtriers.
- Il est vrai que ce récit n’a pas le sens commun, car on voit Aaron changer toutes les eaux de l’Egypte en sang d’un coup de baguette, et aussitôt les magiciens du Pharaon en font autant. Mais où donc les magiciens ont-ils trouvé de l’eau pour cette expérience, puisque toutes celles fle l’Egypte avaient été converties en sang par Aaron? Ensuite, au çhap. 9, voilà tous les animaux qui périssent de la peste. Cela n’empêche pas Moïse, quatre versets plus loin, de frapper d’ulcères les hommes et les bêtes, et plus loin encore de faire périr les bêtes par la grêle. La grêle a en même temps détruit toutes les herbes et tous les arbres des champs. Cela n’empêche point ensuite les sauterelles de le détruire de nouveau, '
- Enfin, Moïse part avec les siens, mais les Egyptiens les poursuivent, et alors a lieu ce magnifique passage de la mer Rouge à pied sec, qui est un conte à dormir debout et rien de plus. Du reste rien n’arrêtait Moïse, Ainsi, lorsqu’il voit les Juifs adprer un veau coulé et fondu en or, il le prend, le pulvérise, le fait dissoudre dans l'eau et le fait boire à ces impiesi
- p.183 - vue 184/836
-
-
-
- 184
- LE DEVOIR
- Faire dissoudre de l’or dans l’eau, c’est quelque peu difficile pour des chimistes de premier ordre, mais bast, l’historien sacré n’y regarde pas de si près.
- Ce qu’il y a de plus fort, c’est que Moïse, dans le livre du Deuteronome, raconte lui-même sa mort, son enterrement, le deuil qui le suivit pendant trente jours, et l’installation de son successeur Josué ; et il ajoute que personne jusqu’à ce jour n’a connu le lieu de sépulture de Moïse, ce qui donne à penser que lui-même ne le connaissait pas-, chose au moins difficile à admettre.
- Nous ne parlerons pas des autres livres de l’ancien Testament,qui cependant fourniraient ample matière à ce travail de critique, mais il nous reste encore à parler du nouveau Testament, fécond aussi en erreurs et en contradictions.
- (A suivre).
- LE MAGNÉTISME
- Après avoir constaté la propagation en ligne droite des rayons neuriques et leur tendance à s’échapper par les pointes, comme l’électricité, le docteur Baréty établit par l’expérience que dans leur propagation hors du corps humain, ils obéissent encore aux autres lois qui régissent l’émission de la lumière et de la chaleur.
- En effet, au moyen de l’hyperesthésie latente, provoquée par le souffle et faisant l’effet de réactif, on s’assure que les rayons neuriques, digitaux, oculaires ou pneumiques, tombant sur une surface polie, plane ou concave, se réfléchissent en formant un angle de réflexion égal à l’angle d’incidence, de telle sorte que ces deux angles se trouvent dans un même plan normal à la surface.
- Avec un miroir ou une glace, l’expérience peut être rendue éminemment démonstrative. Il suffit pour cela de diriger vers l’image de la région hypé-resthésiée réfléchie dans la glace, les rayons oculaires, digitaux ou pneumiques, et aussitôt ou pres-qu’aussitôt le sujet accuse une douleur plus ou moins vive à la région visée. Les mêmes phénomènes peuvent être obtenus sur une surface convexe.
- Cette expérience ne tendrait-elle pas à démontrer l’erreur dans laquelle sont tombés le docteur Charcot et autres partisans de l’hypnotisme, en prenant pour cause du phénomène, ce qui n’était en réalité que l’instrument dont faisait usage le véritable agent I Le rôle de la glace ou de l'objet brillant qui provoque le sommeil léthargique chez le sujet, ne serait point en effet autre que celui d’un réflecteur
- de l’action, et la cause de cette action serait tout à fait en dehors d’eux.
- Ce qui le prouve c’est que les rayons neuriques peuvent traverser même une lentille bi-convexe et qu’ils acquièrent dans ce trajet une intensité plus grande, exactement comme les rayons lumineux à l’instar desquels ils paraissent se comporter entièrement. Voici comment le docteur Baréty raconte ces expériences dans la « Gazette médicale » :
- « En poussant plus loin mes recherches, j’ai pu rendre cette expérience absolument démonstrative de la manière suivante. J’avais remarqué qu’une aiguille à tricoter épaisse d’environ un millimètre et demi, tenue entre mes doigts, était parcourue dans toute sa longueur par la force neurique, qui s’échappait ensuite par son extrémité libre, dirigée vers une surface préalablement anesthésiée ou hypéresthésiée. Cette aiguille provoquait ou réveillait la douleur. Je pris trois aiguilles pareilles, les disposais à égale distance l’une de l’autre, autour d’un petit cylindre en bois, tel qu’un crayon ou le manche d’un porte-plume, et de manière à ce que les extrémités libres vinssent à dépasser l’extrémité même de ce petit cylindre. Ces extrémités libres des trois aiguilles vues de face occupaient les trois angles d’un triangle équilatéral. Je pris, d’autre part, une petite lentille bi convexe, celle de l’ophthalmoscope de Nachet.
- « Cette lentille mesure un diamètre de 3 centimètres environ, une épaisseur au centre de 5 millimètres, et son rayon est de 55 millimètres, ou, en d’autres termes, le centre de courbure de ces faces est à une distance de 55 millimètres. Je soufflai préalablement sur le dos de la main du sujet récepteur, puis je plaçai la lentille transversalement un peu au-dessus, puis au-dessous de la main, et saisis entre mes doigts les trois aiguilles, que je dirigeai vers le dos de la main à travers la lentille. J’avais expressément placé les aiguilles, la lentille et la main du sujet à des distances respectives assez grandes.
- « Le sujet accusa trois piqûres très distinctes, puis rapprochant de la main visée tantôt les aiguilles, tantôt la lentille, le sujet fit observer spontanément que les trois piqûres ressenties se rapprochaient, et que finalement elles s’étaient confondues en une seule, disant qu’elle ne ressentait plus qu’une piqûre au lieu de trois.
- « Notant aussi exactement que possible la distance respective des extrémités des aiguilles de la lentille et du dos de la main visée, je remarquai que le point qui était le siège delà piqûre unique était distant de la face inférieure de la lentille de 1 centimètre à I centimètre et demi, et que le sommet des trois aiguilles était distant de la face correspondante ou su-
- p.184 - vue 185/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 185
- périeure de la lentille d’environ 3 centimètres. »
- Ce n’est pas tout encore. D’après cet auteur, les rayons neuriques traversent aussi les prismes, et se reflètent jusqu’à un certain point, comme les rayons lumineux et caloriques. Au delà du prisme il se produit une déviation telle de ces rayons, qu’il en résulte une sorte de cône spectral dont l’existénce et l’étendue, relativement très considérables, peuvent être appréciées par le sujet préalablement hypéres-thésié. Les rayons qui ont traversé le prisme, quoi-qu’éparpillés en cône, acquièrent une intensité d’action supérieure à celle obtenue sans autre intermédiaire que l’air ambiant.
- Avant de poursuivre l’exposé de la théorie du docteur Baréty sur la force neurique et la neuricité, théorie dont le lecteur peut se faire une idée assez complète, par ce qui précède nous croyons devoir mentionner les expériences des docteurs Dumont-pallier et Magnin qui, ayant suivi à la Pitié M. Baréty sur son terrain expérimental, et ayant vérifié par eux-mêmes la vérité de ses affirmations, en opérant sur les malades de leur clinique, commencèrent par adopter son explication ; mais reconnaissant ensuite qu’ils pouvaient produire, par le seul emploi d’agents physiques déterminés, des effets analogues ou identiques à quelques-uns de ceux que M. Baréty attribue à la force neurique, ils cessèrent d’invoquer celle-ci.
- Ainsi, voyant que la lumière diffuse réfléchie par un miroir sur un des membres de l’hystérique hyp-noptisée déterminait des effets de contraction ou de relâchement musculaire pareils à ceux que donne le regard, ils pensèrent qu’il n’y avait plus de motif d’admettre que l’œil les produise autrement qu’en qualité de corps réfléchissant, et qu’ils ne pouvaient plus le faire intervenir à aucun titre.
- Cette conclusion n’est peut-être pas d’une logique très rigoureuse, car, outre que rien, dans le fait d’obtenir les résultats en question par le seul emploi d’agents physiques, ne porte une atteinte sérieuse à la théorie du dr Baréty, l’étude des forces physiques ne présente rien d’aussi commun que l’unité d’effets dans la diversité des causes, si ce n’est la diversité d’effets dans l’unité de cause. De ee qu’un miroir détermine par réflexion des phénomènes physiologiques identiques à ceux attribués au rayonnement rétinien d’une personne, il ne résulte nullement que cette attribution soit fausse. D’ailleurs qu’est-ce que la force neurique, même dans la pensée de M. Baréty, sinon un agent physique? Dans une lettre à ce sujet il s’exprime comme suit :
- « J’ai dit en propres termes dans mon travail ma-
- nuscrit, que la neuricité n’est comme la chaleur, la lumière, l’électricité, le magnétisme, qu’un mode particulier du mouvement, une des formes de la force qui régit l’univers ; n’est-ce pas dire que la neuricité n’est pour moi qu’un agent physique ?
- Enfin c’est à la Salpétrière même, sur le terrain d’exploration du docteur Charcot, que l’on a fait récemment l’expérience suivante :
- Un médecin dit à une jeune fille suffisamment impressionnable, et qu’il a déjà endormie à plusieurs reprises : « Je vous endormirai de chez moi, demain à telle heure. » L’imagination de la jeune fille est frappée ; elle est persuadée qu’à l’heure dite le médecin aura la volonté qu’elle donne; à mesure que cette heure approche,elle se tourmente, est inquiète, s'agite, éprouve de l’angoisse, et au premier coup de l’horloge elle tombe endormie.
- Nous avons cité ce fait,parce qu’il semble indiquer que même sans l'emploi d’aucun agent physique, l’on peut obtenir les résultats que MM. Dumontpaliier et Magnin attribuent à cette cause, et que par conséquent au fond de ces phénomènes il y a très probablement autre chose que les agents physiques quels qu’ils soient, voire la neuricité.
- Nous pensons que si les doctes expérimentateurs n’arrivent point à trouver la définition exacte des causes des phénomènes constatés, c’est qu’ils ne prennent ces questions complexes que par un seul de ses côtés. Ils marchent exclusivement dans une des deux voies qu’il faut suivre parallèlement si Ton veut arriver au but. L’homme à côté de sa nature physique a sa nature morale; vouloir tout rapporter chez lui à la question physiologique et négliger absolument la partie psychologique, c’est faire œuvre incomplète, surtout lorsqu’il s’agit des phénomènes comme celui de l’expérience citée plus haut, où l’imagination du sujet, dit-on, a joué le principal rôle . Si donc l’on reconnaît une influence quelconque à l’imagination qui n’est pas, que nous sachions, un agent physique, pourquoi s’obstiner à ne pas tenir compte dans ces faits des agents psychologiques qui peuvent concourir à les produire ?
- Voyons maintenant l’opinion que le docteur Charcot a émise dans sa note à l’Académie au sujet de ses expériences à la Salpétrière.
- {A suivre).
- p.185 - vue 186/836
-
-
-
- 186
- LE DEVOIR
- L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
- De Louis XIY au Concordat de 1801
- « L’Etat, c’est moi I »
- Quand Louis XIV prononça ce mot, comment l’en-tendait-il ?
- Les principes suivants professés par le roi lui-même vont nous l’apprendre.
- « Le Roi représente la nation tout entière. Toute « puissance réside dans les mains du roi, et il ne « peut y en avoir d’autre dans le royaume que celle « qu’il établit. La nation ne fait pas corps en France ; « elle réside tout entière dans la personne du roi. »
- « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturelle-« ment la disposition pleine et entière de tous les « biens qui sont possédés aussi bien par les gens « d’église que par les séculiers. »
- « Celui qui a donné les rois au monde a voulu « qu’on les respectât comme ses lieutenants, se ré-« servant à lui seul le droit d’examiner leur cou-« duite. Sa volonté est que quiconque est né sujet « obéisse sans discernement. »
- « Un roi doit se décider lui-même, parce que sa « décision a besoin d’un esprit de maître, et que « dans le cas où la raison ne donne plus de conseils, « il doit s’en, fier aux instincts que Dieu a mis dans « tous les hommes et surtout dans les rois. »
- Telle est la théorie !
- C’est cette théorie visant à l’unité en tout et partout, l’unité par l’absorption, que Louis XIV essaya de mettre en pratique dans le pouvoir, dans l’administration, dans le territoire, dans la religion.
- Nous n’avons pas à raconter les actes de ce long règne tendant tous à réaliser cettp unité, mais nous ne saurions taire certains faits dans lesquels on a cru trouver l’origine, la cause ou le prétexte si on le veut, de la déclaration de 1682.
- Les jésuites s’étalent fort relâchés de leur morale primitive, et semblaient avoir oublié les bases mêmes de leur institution (i’obéissance passive), pour se faire les auxiliaires du pouvoir royal aux dépens de la papauté. Ce relâchement, quoique réel, était néanmoins calculé : ils voulaient, se pliant aux exigences de la société existante pour mieux la dominer, accommoder les devoirs de la religion avec les passions de la vie, et, en se montrant indulgents pour les désordres du roi et les licences de la Cour, ils ne faisaient que se montrer une fois de plus fidèles à leur maxime, « Qui veut la fin, veut les moyens, »
- i Cette conduite des jésuites amena une réaction éclatante. Elle eut pour agents deux hommes distingués par leurs qualités : Jansénius, évêque d’Ypres et Duvergier, abbé de St-Cyran. La conviction sincère, le spiritualisme inflexible de ces deux hommes et de leurs disciples, offraient un contraste frappant
- I avec la conscience élastique et le matérialisme des jésuites. Déjà une vive controverse avait été engagée sur la question de la grâce entre les premiers et les derniers qui avaient adopté l’opinion de Noiina, l’un de leurs docteurs. Les vives attaques dont l’autorité pontificale et les doctrines ultramontaines soutenus par les jésuites, furent l’objet de la part des Jansénistes, déterminèrent la division de l’église de France en deux camps bien distincts.
- Louis XIV n’hésita pas entre ces deux partis. Le jésuitisme lui apparaissait comme une machine de guerre puissante mise à son service, tandis que le Jansénisme lui faisait l’effet d’une sape dirigée contre l’unité qu’il rêvait; il favorisa les jésuites et persécuta les jansénistes que, dans sa pensée, il assimilait aux calvinistes.
- Cependant, en persécutant les adversaires de l’autorité pontificale et en se faisant le champion de l’unité religieuse, ce n’était pas tant l’intérêt du St-Père qu’il entendait servir que le sien propre. La papauté, comme tous les autres pouvoirs, devait s’incliner devant lui, le lieutenant de Dieu, et il ne lui ménageait pas l’humiliation quand il croyait avoir à se plaindre d’elle. C’est ainsi qu’à la suite d’un affront fait à son ambassadeur par la garde corse du pontife, à Rome, il avait exigé et obtenu que cette garde fut cassée,que le nonce du pape vint en France lui demander pardon,et qu’une pyramide élevée dans la ville éternelle rappelât et l’insulte et la réparation. Le Jupiter tonnant, on le voit, n’était plus au Vatican.
- Enfin se présenta la circonstance qui fut l’occasion de la déclaration de 1682.
- Depuis Charles V, mais surtout depuis François 1er, les rois de France jouissaient à l’exclusion de tous les autres souverains, du droit de régale Ce droit consistait dans la perception, pendant la vacance des sièges épiscopaux et jusqu’à l’enregistrement du serment des nouveaux évêques,des revenus qui y étaient attachés, et dans le pouvoir de conférer divers bénéfices dépendants de ces sièges à des sujets qui n’étaient point tenus de solliciter l'institution canonique des grands vicaires.
- Jusqu’à Louis XIV, ce droit n’avait été exercé que dans les provinces de l’anci urne France, le roi voulut, par un édit de 1763, y soumettre toutes les églises royaume. Deux évêques seulement, celui
- p.186 - vue 187/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 187
- de Pamiers et d’Aîais, résistèrent à cet édit, et en appelèrent au pape Innocent XI qui se prononça en faveur des prélats. C’était la lutte. Elle se prolongea jusqu’en 1682. A ce moment, le roi convoqua une assemblée générale du clergé qui, sous l’influence de Bossuet, accorda la régale. Le pape cassa cette décision; mais reprenant l’offensive, l’assemblée toujours inspirée par l’évêque de Meaux, dé-clari solennellement ce dont voici le sommaire :
- 1° Que les souverains ne sont soumis à aucune puissance ecclésiastique dans les choses temporelles et qu’ils ne peuvent être déposés ni leurs sujets déliés du serment de fidélité ;
- 2° Que le Concile général est supérieur au pape ainsique l'a décidé le Concile de Constance;
- 3° Que l’autorité du pape est réglée par les canons des conciles et ne peut rien prononcer contre les règles et constitutions reçues dans l’église gallicane ;
- 4" Que les jugements du pape ne deviennent irréformables que par le consentement universel de l’église.
- Dans cette même assemblée, Bossuet proposa de condamner la morale relâchée des jésuites. C’eut été donner gain de cause aux jansénistes; le roi sollicité par son confesseur, le père Lachaise, un jésuite, rompit brusquement les délibérations,
- Les trois actes importants qui suivirent à des dates différentes, savoir ; la Révocation de l’Edit de Nantes, la destruction de Port-Royal et la bulle Unigenitus condamnant le livre de Quesnel, furent également l’œuvre des jésuites, En se faisant violents, ils crurent faire table rase de tout ce qui pouvait leur faire obstacle ; ils ne firent que soulever l’opinion publique contre eux, contre les soldats dévoués. Ils facilitèrent les voies à la philosophie duxvm® siècle, préparèrent leur propre chute, celle de la royauté et de la religion elle-même; la première manifestation des sentiments de la nation eut lieu à l’occasion de la mort du roi. « Le 9 septembre 1715, (dit l’auteur f des Fastes de Versailles), « le corps de Louis XIV fut j « porté â Saint-Denis. La pompe de ses funérailles j « fut troublée par les clameurs du peuple; des tentes j « avaient été dressées sur la route de Saint-Denis ; 1 « on y buvait, on y chantait, on y riait. C’est par j « une joie sans regrets que la foule salua le char qui j « portait les restes du grand roi, et on entendit crier j « dans la multitude qu’il fallait mettre le feu aux | « maisons des jésuites avec les torches du cortège. ! « Massiilon, qui avait depuis quelque temps remplacé « Bourdaloue à la cour, prononça l’éloge de Louis le « Grand, Le peuple voulut aussi faire une oraison « fanèbffi à m ftfoa sur la tombé du roi, »
- N’oublions pas que le roi, de la mort duquel le peuple se réjouissait, avait eu la prétention de résumer en lui tout ce qui est force, autorité, influence dans ce monde.
- Durant la dernière période du règne de Louis XIV, c’est-à-dire lorsque le diable devenu vieux se fut fait ermite, les courtisans avaient mis un masque de dévotion qu’ils s’empressèrent de jeter au loin dès que le duc d’Orléans fut proclamé régent du royaume. Ce prince inaugura son gouvernement en exilant le père Le Tellier et quelques autres jésuites. D’iniques arrêts rendus à la requête du feu roi furent révoqués, et de nombreuses victimes des persécutions religieuses furent rendues à la liberté ou rappelés d’exil. L’esprit de discussion sembla remplacer l’obéissance passive et l’intolérance fit trêve. On crut à de meilleurs jours.
- Bientôt les petits soupers des roués, les orgies du régent et le cynisme de Dubois, cet homme « en qui tous les vices combattaient à qui en demeurerait le maître », amenèrent une violente réaction dans l’opinion. Les désastres financiers, la peste de Provence, les revers politiques que ne pouvaient contrebalancer quelques succès sans résultats appréciables, tous Iss malheurs, tous les scandales se succédant les uns aux autres, détruisirent les espérances qu’on avait conçues tout d’abord.
- A tout ceci venant se joindre encore le renouvellement des querelles théologiques à propos de la bulle Unigenitus, la lutte entre le Parlement et le clergé, les violences sectaires des deux prélats de Paris, MM. de Vintimille et de Beaumont, les haines s’accentuant de plus en plus entre jansénistes et moli-nistes, le roi prenant d’abord parti contre les premiers et finissant par chasser les derniers, les débauches crapuleuses du monarque, et l’on se fera une idée de la décomposition de cette société du xviii0 siècle. A peine un acte louable tel que l’édit de main morte interdisant au clergé la facilité d’accumuler de nouveaux biens, tel encore que l’inutile effort tait pour obliger la gent ecclésiastique à contribuer aux charges publiques comme les autres citoyens.
- Et en présence de cet état de choses, lorsque le clergé achève sa décadence dans ces misérables disputes où disparaissent les deux partis qui se divisent la société, lorsque la noblesse et la royauté perdent leurs derniers titres à l’estime nationale dans une guerre honteuse, si l’on met une bourgeoisie active, riche, éclairée autant que les sommités sociales dont elle voit l’opprobre dans toute sa honteuse nudité, puis à côté d’elle le bas peuple des campagnes et des villes, ignorant, brutal,misérable; l'industrie gênée
- p.187 - vue 188/836
-
-
-
- 188
- LE DEVOIR
- par la législation de Colbert devenue un arsenal de tyrannies; l’agriculture embarrassée par une foule de privilèges absurdes, d’un côté, écrasée par les redevances féodales de toute nature, d’un autre côté ; si, disons-nous, on tient compte de tout ceci et de tout cela, nul besoin de se demander quel accueil sera fait à la philosophie, à l’esprit d’examen, d’analyse et, pourquoi ne pas le dire, de révolte que les Voltaire, les Montesquieu, les J. J. Rousseau, les d’A-lembert, les Diderot, les Helvétius, les Condillac et les Mably vont apporter en toutes choses. Nul besoin également de se demander à qui va profiter la révolution politique et sociale s’annonçant par des présages plus infaillibles que toutes les décisions de la papauté.
- « Depuis plusieurs siècles, » ditM. de Bonnechose, « la France n’avait pas vu de règne aussi inepte, « aussi faneste à tous les intérêts, aussi honteux « que celui de Louis XV, et jamais plus de lumières « ne parurent à la fois pour éclairer les vices d’un
- « gouvernement.......Lorsque le temps est venu de
- « régénérer une société vieillie en l’établissant sur « des bases nouvelles, une main mystérieuse aveugle « d’avance les représentants et les défenseurs de « l’ordrede choses qui doit périr,et fait passer legénie « et la force dans les rangs de leurs adversaires. »
- Louis XV avait dit : Après moi le déluge ; le déluge allait venir.
- *
- ¥ ¥
- Afin qu’on ne nous accuse pas de partialité, empruntons de nouveau quelques lignes à un autre historien, partisan de la royauté :
- « Si Louis XV eût vécu quelque temps de plus, la « révolution éclatait. Son successeur la retarda de « quinze années en essayant de restaurer la monar-« chie par les Parlements qu’il rétablit, les ministres « populaires qu’il choisit, les réformes qu’il tenta, « les sacrifices qu’il demanda aux privilégiés, l’hon-« neur du pays qu’il releva dans une guerre glorieuse. « Tout cela fut insuffisant, intempestif, entaché de « répugnance, d’oscillation, d’égoïsme, contrarié par « les résistances invincibles de la noblesse et du « clergé, dédaigné par la nation, tout cela démontra « que les pouvoirs sociaux étaient trop fondamenta-« lement viciés pour que la réforme pût sortir de « leurs mains... même » (ajoute l’historien), « sous « un roi véritablement honnête homme? ? ? »
- Nous ne commentons pas ; nous ne discutons pas ; nous citons.
- Le déluge était venu pour la monarchie, pour l’aristocratie, pour la noblesse, pour le clergé, pour tout ce qui était privilège.
- Le 2 novembre 1789, un Prélat, Talleyrand de Périgord, Evêque d’Autun propose au nom du Comité des finances de déclarer que les biens ecclésiastiques estimés 4 milliards, fassent retour à la nation pour, par elle, être vendus afin d’acquitter les charges de l’Etat, parmi lesquelles devront compter l’entretien des autels et le traitement des ministres.
- Cette proposition qui fait du Clergé autrefois indépendant, un corps de magistrats salariés et assujettis au pouvoir temporel, rencontre de la plupart de ses membres une opposition très vive. Néanmoins il est voté à la majorité de 578 voix contre 446. Le lendemain 3, le roi accepta le décret qui fut promulgué le 4. Enfin le 5, l’assemblée porta le dernier coup aux ordres privilégiés en décrétant tout bonnement : Il n'y a plus de distinction d'ordres.
- Le Clergé froissé dans ses intérêts et dans son orgueil voua dès lors une haine implacable à la révolution. Mandements, excommunications, anathèmes, prédications fanatiques, il mit tout en œuvre pour soulever les consciences et fomenter des troubles. Des émeutes éclatèrent dans plusieurs provinces.
- L’Assemblée comprit qu’il fallait mettre cette fraction de la nation en harmonie avec le nouvel ordre de choses. Le 27 novembre 1789, elle vota que le Clergé prêterait serment à la nation, au Roi et à la loi, et édicta plusieurs propositions dont l’ensemble prit le nom de Constitution civile du Clergé. Un schisme se fit dans l’Eglise : Il y eut d’un côté les prêtres assermentés et de l’autre les réfractaires. Cependant nulle violence ne fut employée pour obtenir le serment, mais conformément aux nouvelles dispositions de la loi, tout membre du Clergé non assermenté se vit privé de ses fonctions et du traitement y attaché.
- On a blâmé l’Assemblée de l’adoption de cette mesure; cependant, dit M. Thiers lui-même, il est évident à tout esprit juste que l’Assemblée n'excédait pas ses droits en s’occupant du temporel de l’Eglise. Du reste, ajoute l'historien, « quand on détruisait I tous les abus, l’Assemblée pouvait-elle souffrir ceux de l’ancienne organisation ecclésiastique ? Pouvait-elle souffrir que des oisifs vécussent dans l’abondance, tandis que les pasteurs, seuls utiles, avaient à peine le nécessaire ? »
- Le Roi en référa au Pape avant de donner sa sanction. Le Pape, comme bien on pense, refusa son adhésion. Louis XVI se fit forcer la main et sanctionna le décret. Le Clergé poursuivit sa campagne contre la révolution qui, pour se sauver, se vit obliger d’entrer dans des voies violentes. Le 27 mai, il fut décrété que les directoires des départements
- p.188 - vue 189/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 189
- étaient autorisés à prononcer la déportation contre j œuvre sortit de ce rapprochement : le Concordat de
- les prêtres réfractaires,sur la simple dénonciation de vingt citoyens.
- Ce décret fut un nouveau coup de fouet à la haine cléricale. Elle ne connut plus de bornes, et, au furet à mesure que les événements se précipitent, s’impose aux yeux des hommes du mouvement révolutionnaire, la réussite de mesures de plus en plus énergiques.
- Enfin, le 7 novembre 1793, à l’instigation des Hébertistes, Gobel, Evêque de Paris se présente à la Convention avec onze de ses vicaires et déclare qu’il renonce à ses fonctions de ministre du culte catholique « parce qu’il ne doit plus y avoir d’autre culte public et national pue celui de la Liberté et de l’Egalité, » La Convention, parla bouche de son Président, déclare que « l’Être suprême ne veut de culte que celui de la Raison et qu8 ce sera désormais la religion nationale. »
- Cette résolution suivie d’actes de mise à exécution fut-elle comme le prétendent plusieurs historiens,
- « un embarras qui dure encore? » Nous laissons à chacun le soin de l’apprécier ; mais ce qu’il y a de certain c’est que, aux yeux de Robespierre et de ses partisans, la Société avait besoin d’une religion, mais d’une religion « dont les dogmes fussent des sentiments de sociabilité. » Ce fut « cette religion universelle de la nature » que la Convention, proclamant de nouveau la liberté des cultes, entendit décréter lorsqu’elle vota, le 7 mai 1794, les 15 articles dont le premier était la reconnaissance formelle de l’existence de l’Être suprême et de l’immortalité de l'àme.
- Le 28 juillet suivant Robespierre, son frère, ses deux collègues, Henriot, Fleuriot, Payan, Dumas et 16 membres de la Commune étaient envoyés au supplice. Les hommes de tribune tombaient ; les hommes d’action allaient leur succéder. La parole devait céder la place à l’épée, Bonaparte allait paraître.
- « La Révolution après avoir pris tous les caractères, monarchique, républicain, démocratique, finissait ! par revêtir le caractère militaire ; » mais elle devait débuter, comme toutes les révolutions militaires, par un coup d’Etat, « attentat du mensonge delà violence contre la loi, » l’attentat de Brumaire.
- Nous n’avons pas à retracer l’histoire de celui qui fut Napoléon Ier. Notre tache se borne à dire que ce fut trois jours après la bataille de Marengo que se révéla chez le premier consul la pensée d’un rapprochement entre la France et Rome. C’est le cardinal Mortiniano qui reçut le premier les ouvertures de Bonaparte,et qui se hâta de les transmettre à Pie VII. On sait comment elles furent accueillies et quelle
- I 1801.
- Nous avons dit ce que nous pensions de cette œuvre, Le projet de loi Boy-set nous apprendra ce que les représentants de la France républicaine en pensent eux-mêmes et ce dont ils sont capables en pareille matière. Opus artifîcem probat.
- C. P. Maistre.
- LA PREMIÈRE BATAILLE
- PAR
- TZEGLOF
- , Traduit par MIKHAÏL ACHKINASI
- [Suite
- IV
- — Stop !
- Ce commandement se propage dans toute la batterie.
- Aliochine arrêta brusquement son cheval, en regardant autour de lui avec anxiété.
- La batterie avait fait halte tout d’un coup.
- En avant Litvinof expliquait quelque chose aux artilleurs en leur montrant l’horizon.
- Les autres officiers s’étaient aussi avancés devant leur division, se jetant les uns aux autres des exclamations de colère.
- Lui-même était aussi devant son peloton, à la distance réglementaire. Il n’avait pas remarqué comment la batterie s’était formée.
- Il se retourne et voit les visages pâles des soldats qui attendent son commandement. C’étaient tous des jeunes gens, des recrues pour la plupart. Il regrettait que tout cela fût arrivé subitement, et qu’il ne connût pas même par son nom un seul homme de son peloton.
- Tout près de lui se tenait uû beau et jeune soldat, blond comme les épis ; Aliochine s’inclina vers lui et lui demanda à voix basse quel était son nom.
- — Sur l’affût, commanda héroïquement Litvi-nof.
- Et bien que sa voix résonnât avec autant de calme qu’au moment où ils étaient partis du camp, toute la batterie comprit qu’il se préparait quelque chose de décisif, et le moment où les hommes grimpaient sur les affûts fut rempli par une prière ardente insaisissable et muette.
- En avant sur la position, en avant, marche ! commanda de nouveau Litvinof, levant très haut au-dessus de sa tête son sabre étincelant comme un drapeau.
- p.189 - vue 190/836
-
-
-
- 190
- LE DEVOIR
- Marche, répétèrent les jeunes voix.
- Un moment après il était loin, en avant galopant sur son cheval bai ; et la batterie ondoyant, se hâtant, le suivait, obéissante, courageuse et héroïque.
- Ce nouveau commandement résonna dans les oreilles d’Aliochine, et il se vit sur un petit plateau. Le fort de Kisii-Tapa avait disparu et devant lui fumait le roc meurtrier d’Alagi.
- —- Première pièce ! lança d’une voix de tonnerre l'officier Avalof.
- Aliochine saute de son cheval, jette les rênes au premier soldat venu, et s’élance vers son peloton.
- Avant même qu'il eût donné son commandement, une grenade ennemie siffla devant lui une menace de mort.
- — Dieu merci, elle ne m’a pas atteint, lui vint-il involontairement à l’esprit quand l’engin fit explosion au loin derrière la batterie.
- Mais la grenade fut suivie d’une autre qui éclata tout près. Puis vinrent la troisième, la quatrième, et encore et encore. Enfin toute une grêle de balles abasourdit les artilleurs, sur lesquels tomba une véritable pluie de feu, et beaucoup plus tôt que ne l’avait pensé Aliochine toute la batterie fut écrasée, anéantie, pulvérisée 1...
- Pâle, tremblant, mais conservant son empire sur lui même, Aliochine donnait des ordres, toujours près du canon, autour duquel les balles turques murmuraient comme des bourdons, lorsqu’à sa droite retentit un sifflement tellement aigu et de mauvais augure, provenant d’un projectile qui s’approchait, qu’Aliochine recula jusqu’à la dernière pièce.
- A ce même instant, Litvinof s’approcha de lui. Aliochine reprit courage, et se mit à commander de nouveau avec plus de vigueur.
- — Eh bien, comment êtes-vous ? Vous êtes maintenant....commença Litvinof de sa voix égale et ca-
- ressante.
- Mais il ne finit pas la phrase, et, pâlissant sou-lissant soudain, il s’inclina sur le cou de son cheval.
- — Capitaine, qu’avez-vous ? voulut lui demander Aliochine.
- Mais avant qu’il l'eût pu faire, le capitaine était déjà la face contre terre, les mains étendues, pendant que son cheval effrayé se jetait de côté. Le capitaine est assurément blessé pensa Aliochine, et il s’inclina sur lui avec sollicitude. Mais au lieu de Litrinof il ne voyait plus devant lui qu’un buste mutilé, des lambeaux de chair, des haillons de drap et du sang !
- Aliochine tressaillit, recula involontairement de
- quelques pas et, reprenant courage, demanda une civière.
- Avalof, qui avait vu cette tragédie foudroyante s’approcha de Zaitzef et lui dit d’une voix pleine d’émotion :
- — M. le capitaine en second, vu la mort du capitaine Litvinof, ayez la bonté de prendre le commandement de la batterie.
- En prononçant ces paroles il s’efforcait de rentrer les larmes qui le suffoquaient, et il avait peine à tenir devant la visière de son képi sa main tremblante.
- — Quoi ! lui riposta avec colère Zaïtzef qui, en ce’ moment gourmandait un soldat, et qui évidemment n’avait pas compris la gravité de l’événement. Quoi I répéta-t-il encore plus irrité.
- Mais en ce moment ses yeux tombèrent sur le brancard où l’on portait les restes de Litvinof. Il se retourna, et pleura en cachette :
- — Bien, je prends le commandement, murmura-t-il d’une voix à peine distincte.
- Et il se mit à gourmander plus violemment les soldats de la seconde batterie, affolés du malheur qui venait de survenir.
- En ce moment, trébuchant dans son sabre, rouge, haletant apparut l’adjudant de Zommer, s’élançant tout droit vers Avalof.
- — Mon caisson a fait explosion, Avalof, que dois-je faire, implora-t-il d’une voix plaintive.
- — Allez-vous en au diable, dit Avalof surexcité, mais à la même minute il porta la main à sa tempe gauche où se voyait une petite tache rouge, et d’une voix tranquille et forte il ajouta :
- — Restez ici je suis blessé, je vais aller à l’ambulance. De Zommer regarda stupéfait Avalof qui se retirait, et tout découragé demeura devant le canon.
- Pourtant l’ennemi continuait le carnage. Trois pièces furent démontées, perdues, réduites à l’impuissance. Les hommes, les chevaux tombaient comme des mouches et la batterie qui avait perdu la moitié de ses artilleurs, ayant absorbé toutes ses munitions, et fatiguée de répondre aux coups incessants de l’ennemi victorieux s’éteignait comme un cierge. Il ne restait plus que trois personnes près du huitième canon. Aliochine voulait déjà donner ordre à cette pièce de faire feu, lorsque le pointeur, le seul soldat dont il eût pu apprendre le nom, se jeta de côté comme mordu par un serpent.
- — Serait-il lâche, pensa Aliochine, et il voulait répéter avec plus d’énergie le commandement, lorsqu’à sa honte il s’aperçut que le pauvre pointeur n’avait plus sa main droite.
- Quel regard triste et suppliant il lui jeta, lorsque
- p.190 - vue 191/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 191
- deux soldats à cheval accoururent pour l’enlever de la batterie.
- Aliochine fit quelques pas de côté, et se heurta contre le pointeur de la 7« pièce, qui, accroupi en rond gisait devant le canon renversé et semblait dormir, tant l’expression de son visage mort était calme et sereine.
- IL regarde en arrière. Un spectacle plus effroyable se présente à ses yeux. L’artilieur roux qu’il avait questionné sur la bataille, blessé d’une bail ; à la poitrine, les yeux hagards, l écume aux lèvres et poussant des râles, se tordait sur la terre dans les convulsions de l’agonie.
- Aliochine considéra Zommer en dessous. Il était près de son canon, où il restait encore quatre hommes; il a\zait les yeux troubles, le visage verdâtre; sa lèvre inférieure tremblait, et il regardait avec indifférence dans le vague.
- Ce sentiment de prostration se communiqua involontairement à Aliochine. Ses nerfs commençaient à se tendre et il tomba dans un état d’abattement. Il sentait qu’il se passait quelque chose qu’il ne comprenait pas bien, et il continuait à commander machinalement à ses soldats qui, eux aussi, étaient en proie à la même prostration.
- — La huitième, commanda-t-il à voix haute, sans même comprendre pourquoi il le faisait.
- Sa prostration ne céda même pas quand le planton envoyé par le chef d’artillerie cria d’une voix désespérée .
- —- En retraite, en retraite, ni quand la batterie, sous les coups innombrables de l’ennemi vainqueur, commença à reculer, perdant en chemin des hommes et des chevaux et laissant derrière elle un sillon de sang fumant. (A suivre). Mika.il Achkinasi.
- NÉCROLOGIE
- Nous avons eu la douleur de perdre, au commencement du mois, un des plus zélés amis de la paix que nous ayons connus. M. J. Griess-Traut est mort dans sa soixante-huitième année.
- Dès 1866, nous trouvons son nom sur une liste d’adhérents à la Ligue du bien public dans le n° du Cosmopolite organe de cette ligue, du 7 décembre de la dite année. Cette association, qui écrivit dès le début sur son drapeau St vis pacem paru justifiam, s était donné la mission de faire la guerre à la guerre; M. J. Griess-Traut peut donc être considéré â juste titre comme un des précurseurs de la Ligue de la paix créée par M. F. Passy (1) et de la Lig ’<? de
- (1) Cette Ligue est devenue plus tard la société des amis de la paix.
- la Paix et de la Liberté qui toutes deux prirent naissance en 1867. Il resta jusqu’à sa mort fidèle partisan de ces diverses sociétés. — En 1878, il fut un des 4 ou 5 français et françaises qui signèrent sans restriction, la motion de la Peace-union de Philadelphie.
- Ame ardente, jamais il n’a laissé passer une œuvre de progrès sans y participer, et l’on peut dire de lui qu’à l’encontre des ambitieux qui se font un marchepied d’une bonne cause, il n’a jamais apporté qu’un concours désintéressé aux nombreuses sociétés qui ont fait appel à son dévouement. Il a accompli le bien pour le bien.
- Membre du Conseil Général de la Fédération pour la prostitution; membre de l’association pour l’Amélioration du Sort des Femmes, de la société protectrice des animaux, des sociétés Industrielles de Mulhouse, d’Histoire naturelle de Colmar, de la société Industrielle de Rouen, de la société d’agriculture d’Alger, du Comice agricole et de la société d’t ntomologie de cette même ville, et de beaucoup d’autres sociétés encore, il adorait l’Algérie et espérait toujours y retourner, son sol natal étant devenu la proie du Chancelier de fer, c’est sous le beau ciel d’Afrique qu'il espérait finir sa longue et utile carrière.
- Que d’efforts tentés par lui au-delà de la Méditerranée ! En Algérie, où il se livrait au négoce, apôtre plutôt que commerçant, il a été le promoteur d’une quantité d’œuvres humanitaires, et s’est appliqué à propager la culture du coton dans ce pays.
- Il n’a pas eu le temps de s’enrichir, mais a laissé à ses amis des trésors d’abnégation qu’ils peuvent puiser dans l’exemple qu’il a toujours donné. C’était un phalanstérien convaincu, et toute sa vie il a fait la propagande des doctrines de Fourier.
- Il a été le plus aimant des maris, et le meilleur des pères adoptifs pour les jeunes membres des deux familles Griess et Traut, qui ont trouvé à son foyer l’affection et l’aide matérielle et morale nécessaire au choix de leur carrière.
- En perdant notre ami, nous ne perdons pas tout. Son esprit, son désintéressement que nous devons imiter nous restent. Nous avons, pour nous consoler, à aimer et à chérir sa bonne et excellente et si intelligente veuve, qui modeste et supérieure a pris une si large part aux travaux de son mari, et qui, si elle ne peut oublier ce qui serait impossible, peut au moins adoucir sa douleur en continuant, nous ne dirons pas l’œuvre de cet homme de bien, mais leur œuvre commune.
- Jacques Courier.
- p.191 - vue 192/836
-
-
-
- 192
- LE DEVOIR
- DEUX MOTS SUR LE REICHSTAG ALLEMAND
- Examinons un instant comment ceux que nous croyons les amis de ia République française se sont comportés pendant la dernière session du Reichstag allemand ? — Un fait entre tous nous attriste, et nous ne le passerons pas sous silence,car nous avons le respect du vrai, après le sage, nous disons aux peuples : La vérité nous rendra libres.
- Hélas, en France, le journalisme est considéré par les ambitieux, moins comme un phare destiné à éclairer les masses, que comme un marche-pied à l’usage du ministre de demain, du député de l’avenir, (chaque candidat veut avoir son journal), voire même du conseiller municipal en expectative, ce poste étant la première étape de nos sauveurs futurs ! — De là ces polémiques personnelles qui encombrent nos feuilles au détriment des questions de principes, et de là surtout, ce fait attristant : La presse française se tenant au-dessous de la presse étrangère au point de vue des renseignements extérieurs. — Excepté le Temps, les Débats et un ou deux autres journaux, qui songe à nous tenir au courant ?
- Quoi donc d’étonnant si nous nous trompons souvent dans nos appréciations, lorsqu’il est question des faits et gestes de personnes qui s’agitent en dehors de nos frontières ! Or, voici des événements dont aucun journal français n’a songé à se préoccuper : A l’occasion de la discussion à Berlin de la proposition Windhorst quia clos le fameux Kulturhamf, concluant à l’abrogation des lois d'exception contre les prêtres catholiques, les membres social-démo-crates du Reichstag ont déclaré voter pour cette proposition. A cette occasion ils demandèrent l’abrogation de toutes les autres lois d’exception, et particulièrement delà loi contre les socialistes et l’abolition du droit dictatorial du gouvernement en Alsace-Lorraine. Le croirait-on ! Un fait inoui s’est passé : Lorsqu’il s’est agi, à l’appui de cette motion, de demander les signatures nécessaires, la démocratie bourgeoise, à l’exception d’un de ses représentants, et absolument tous les députés de l'Alsace-Lorraine ont refusé leur concours 1 Ainsi la dictature anti-constitutionnelle du gouverneur (statthal-ter) d’Alsace continuera à exister avec l’assentiment tacite des représentants alsaciens-iorrains.
- Voici un autre fait sur lequel il est bon de jeter la lumière.
- On tient généralement en France le député démocrate L Sonnemann (1) pour un républicain ami de l’Alsace-Lorraine et de la France. C’est là une profonde erreur ! Dernièrement on lui attribua une lettre écrite au Voltaire, lettre dans laquelle il est dit : « Le retour de l’Alsace-Lorraine à la France sera le don de joyeux avènement de la République allemande. » En réponse à cette supposition, Sonnemann a déclaré au Reichstag que la lettre n’était pas de lui, et, d’un seul coup, il a renié la République, l’Alsace et la France en ajoutant « qu’il se plaçait tout à fait sur le terrain de la constitution de l’Empire. Or,cette constitution contient le principe monarchique, le militarisme et l’annexion de l’Alsace-Lorraine.
- (1) En 1863, L. Sonnemann était le correspondant du journal VAssociation, journal rédigé par Eiie Reclus, Gh. L. Chassan, Horn, Chaudey, A. Tallendier, Edmond Potonié etc. — C’est lui aussi qui est le rédacteur en chef du Frankfurterzeitung, un des journaux allemands les plus lus en France.
- On voit d’après ce qui précède que les seuls dépu-| tés qui dans le Reichstag allemand soient républi-\ eains, les seuls qui ne se soient pas montrés les ennemis de ia France en se déclarant contre 1 annexion, ce sont les social-démocrates.
- Jacques Courrier.
- Les Etats-Unis d’Europe commenceront leur quatorzième année le samedi 1er avril 1882. Organe de la Ligue internationale de la paix et de la liberté, indépendant de tout parti politique, ce journal est le seul qui juge tout homme et toute chose au point de vue européen. Il applique invariablement la maxime fondamentale de ia Ligue : Faire passer le juste avant l’utile ; subordonner la politique à la morale hebdomadaire,il convient particulièrement aux personnes qui, ayant peu de temps à donner à la lecture des journaux, veulent cependant suivre le mouvement général des idées et des faits dans tous les pays civilisés; il tient ses lecteurs au courant des travaux des Sociétés de la paix. On s’abonne à Genève, 1, quai des Bergues ; à Paris, chez M. Fischbacher 33, rue de Seine. Prix 8 fr. par an en Suisse, 10,60 dans tous les pays de l’Union postale ; hors de l’Union, le prix de la Suisse augmenté des frais de poste.
- Nous lisons dans le Petit Journal :
- « Une nouvelle revue mensuelle vient de paraître : La Lumière. Elle se consacre en grande partie, et c’est son originalité, à toutes les manifestations spiritualistes, sans négliger toutefois la littérature, les sciences et les arts qui y sont exposés avec soin. La Lumière est dirigée par Mme Lucie Grange, écrivain de grand talent et de haute philosophie. Prix de l’abonnement : 5 francs par an; bureaux : 75, boulevard Montmorency. »
- Sommaire du 1er numéro :
- Considérations générales. — La question du magnétisme animal. — Séance annuelle de l’Académie des Sciences. — Fra Popoii, histoire extraordinaire. — Les Martyrs de la Science. — Superstitions, erreurs et préjugés. — Hygiène et médecine.
- L’Association riiiH if'TË'ûr DE Guise
- du rAmlLlQICnt (Aisne)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller* général, à Guise (Aisne).
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.192 - vue 193/836
-
-
-
- dLe numéro hebdomadaire 20 c.
- DIMANCHE 2 AVRIL 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l'envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . Six mois . . . Trois mois . .
- loir.»» 6 »» 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . llfr. »» Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm. w m mm
- Le. journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre cl'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de VAssociation agricole de Ralahine. — La Législation et le Travail. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère IIIe partie, 1. ~ Le Magnétisme (Suite). —* Frédéric Trèmel au Familistère. —La première Bataille (Suite et fin). — Libre-Pensée, congrès de Rome, 1882.
- IIM M-M,
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- (1) Résumé traduit des documents de M. E.-T. Oraigg
- Secrétaire et administrateur de l’Association par Marie MORET
- TABLE DES MATIÈRES
- Chapitres
- I — Les maux séculaires de l’Irlande.
- II — Misère des paysans en 1830.
- III — Projet d’Association. Accord entre M. Vânde-leur et M. Craig.
- (1) Reproduction réservée.
- IV — Etat des gens et des choses, à Ralahine, à l’arrivée de M. Craig.
- Y — Etude de la langue irlandaise.
- YI — Le caractère du peuple irlandais.
- YII — Premières mesures pour organiser l’Association.
- VIII — Statuts de l’Association.
- IX — Contrat entre PAssociation etM. Vandeleur.
- X — Détails pratiques sur la direction. Comité élu.
- XI — Les bons de consommation.
- XII — Le département du bétail.
- XIII — Les engins mécaniques et l’Associatiou.
- XIV — Arrangements domestiques et sociaux. Modi-
- fications morales.
- XV — Voyage à Manchester. Les coopérateurs.
- XVI — Prohibition du tabac et des liqueurs.
- XVII — Conférences instructives par M. Craig.
- XVIII — Education de l’Enfance et de la Jeunesse.
- XIX — Liberté de conscience.
- XX — Admission de membres non-agriculteurs.
- XXI — Les visiteurs et leurs opinions.
- XXII — Les équivalents de la richesse pour tous.
- XXIII — La première et dernière fête.
- XXIV — Dissolution en pleine prospérité.
- CHAPITRE Ier
- Les maux séculaires de l’Irlande
- Il est presque impossible de s’expliquer la misère et les revendications du peuple irlandais, si l’on ne jette un coup d’œil sur le passé de cet infortuné pays, depuis sa conquête par l’Angleterre (1171) jusqu’à nos jours.
- Un des coups les plus rudes qui aient atteint le peuple irlandais fut la perte de son droit à la propriété du sol.
- p.193 - vue 194/836
-
-
-
- 194
- LE DEVOIR
- L’Irlande avait à cet égard des lois toutes différentes de celles que lui imposèrent ses vainqueurs, à mesure que leur domination s’étendait sur le pays.
- La loi irlandaise considérait la terre comme propriété commune, au service des familles. Nulle part ne s’y trouvait l’idée de la propriété individuelle absolue du sol.
- Voici comment les choses se passaient. Le peuple élisait un chef nommé pour la vie et qui n’était en réalité que le directeur d’une, association. Généralement ce chef était choisi en raison de sa force physique et de son courage. Il allouait les terres aux membres, mais la terre ne pouvait être aliénée.
- Spencer dit à ce sujet : « Les Irlandais trouvaient « dans leur mode d’attribution du sol une garantie « de la permanente possession du fonds par leur « postérité, de l’impossibilité d’introduire aucune « innovation dans ce fonds ou de lui faire subir la « moindre aliénation en faveur des étrangers et « spécialement en faveur des Anglais. »
- Les indigènes détenaient la terre en commun. Le chef attribuait ou retirait les différentes portions du sol selon que les membres se rendaient plus ou moins utiles.
- Naturellement, sous un tel régime, la terre était d’autant plus divisée que la population était plus nombreuse.
- En prenant possession de l’Irlande, les Anglais introduisirent le mode de propriété en accord avec les lois féodales de primogénilure. Mais la notion féodale par laquelle tous les droits émanent d’un seigneur, notion apportée par les conquérants et rappelant sans cesse l’idée odiense d’un pouvoir spoliateur et étranger, n’est jamais entrée dans le sens moral de l’Irlandais. Pour ce dernier le droit de détenir le sol est inséparable du droit de le cultiver, comme cela avait lieu autrefois au bénéfice de toute la famille.
- L’implantation du mode nouveau de propriété fut lente à s’opérer.
- Jusqu’au temps de la reine Elisabeth (1600), les natifs irlandais furent en grande partie gouvernés par leurs lois propres.
- A ce moment une révolte se produisit à la fois dans le nord et dans le sud de l’Irlande. Elle se termina par la confiscation de vastes districts dans les provinces d’Ulster et Munster. Les terres d’Ulster furent données à des émigrants écossais, et celles de Clare et Galway à des Anglais ; le tout sous le régime des lois féodales.
- Bien des tentatives de bannissement en masse !
- 5 furent faites ; mais les conquérants s’avisèrent que les Irlandais pouvaient être utilisés comme hommes de peine, serfs et esclaves du travail. On toléra donc leur présence sur le sol ; mais on les traita comme des êtres inférieurs et l’on ne parla d’eux qu’avec mépris.
- Sous le règne d’Elisabeth, il était interdit aux paysans de se réunir entre eux, et de quitter leurs propres districts sous peine de mort, sans aucune forme de procès.
- Les Irlandais étaient catholiques ; leurs prêtres n’étaient pas mieux traités que le reste de la nation. Quand l’un d’eux s’échappait, des limiers étaient lancés après lui et sa tête était mise à prix au taux de cinq livres (125 francs), c’était la prime payée pour un loup.
- La force, la fraude, la conquête, tels sont les plus solides titres de propriété de la plupart des propriétaires terriens en Irlande.
- A ces époque de confiscation, il n’était pas difficile d’obtenir de grandes portions du territoire. Longtemps a existé une loi par laquelle un frère cadet pouvait déposséder son aîné, ou un fils déposséder son père, par une simple déclaration de conversion au protestantisme. La loi devenait en ce cas un instrument d’injustice et ajoutait, à toutes les iniquités sociales qu’elle consacrait, l’amertume des haines religieuses.
- Ces institutions barbares familiarisaient le peuple avec les idées de fraude et de représailles. Elles transformèrent, sous certains rapports, un caractère national naturellement ouvert et confiant, en un caractère méfiant et trompeur. Elles restreignirent et sur certains points anéantirent complètement les charmes de toute sociabilité.
- Un autre exemple criant d’injustice politique se trouve dans l’institution du « palis » On appelait ainsi la limite entre les possessions des Anglais et celles qui étaient restées aux natifs Irlandais. Les expressions en deçà du palis ou au-delà du palis distinguaient les deux nations. Cette institution conduisit à plus d’un combat sanglant pour des sujets insignifiants.
- Les Irlandais étaient gouvernés par des lois spéciales, et il y avait une telle démarcation entre eux et les Anglo-Saxons, qu’il était aussi légal de tuer un Irlandais qu’un blaireau ou un renard. Il arrivait bien souvent qu’un individu poursuivi pour meurtre se défendait simplement en disant que le défunt étant un Irlandais il avait en conséquence 1© droit de le tuer. Preuve faite l’accusé était acquitté.
- Avec une barbare énergie, Cromwell que rendait impitoyable son fanatisme religieux, de 1652 à 1658,
- p.194 - vue 195/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- assaillit le peuple Irlandais et fit autant de boucheries de chacune des maisons de Drogheda et autres cités. Pas de grâce pour les Irlandais pris les armes à la main. Tous les chefs étaient bannis et les deux tiers de leurs biens confisqués.
- Puis vint l’acte qui constituait des propriétés au profit des gens qui avaient avancé des fonds pour soutenir la guerre contre l’Irlande. Deux millions et demie d’acres de terrains (plus d’un million d’hectares) furent ainsi adjugés.
- Ces confiscations agraires constituent de douloureux souvenirs et sont rappelées dans les chants mélancoliques et patriotiques où Moore compare les Irlandais aux Juifs :
- « Comme la nation juive, notre nation est conquise u et brisée ;
- « Le sceptre royal est tombé de ses mains.
- « Dans ses rues, dans ses maisons, la désolation « parle seule,
- « Et son jour a disparu avant Vheure.
- Les propriétés confisquées étaient louées à des intermédiaires, à taux modéré ; puis sous-louées par ceux-ci jusqu’à la limite où le paysan n’obtenait plus que la portion de pommes de terre juste indispensable pour l’empêcher de mourir de faim lui et sa famille. Ainsi pendant que la misère envahissait l’Irlande, la population de ce malheureux pays s’accroissait.
- Du xne au xvne siècle l’histoire d’Irlande est écrite dans le sang. Ce sont les annales de la violence et de l’injustice.
- 700 ans se sont écoulés depuis la conquête. Durant cette période les Anglais n’ont poiqt cessé de chercher à imposer leurs propres mœurs aux Irlandais. La guerre, la mort, le bannissement, la violence, la persuasion, l’éducation, le prosélytisme, ont été tour à tour employés contre les habitudes nationales, le costume, le langage, les croyances religieuses et les droits de propriété du malheureux peuple irlandais. Mais jamais ce peuple infortuné n’a cessé de réclamer son indépendance. Jamais il n’a cessé de considérer les propriétaires terriens comme des fardeaux. Le fermage prélevé, sans aucun travail de la part du propriétaire, lui apparaît comme un vol. C’est une exaction qui ne sert qu’à entretenir dans ’an luxe souvent téméraire des gens dont la seule occupation est de consommer le fruit du travail d’autrui ; et la plupart d’entre eux jouissent à l’étranger des richesses produites en Irlande.
- Dans le sentiment populaire irlandais, le droit de culture ne va pas sans le droit de propriété. La justice demande que la culture et la propriété ne fassent qu’un avec l’occupation du sol.
- 197
- La terre étant l’héritage du peuple doit appartenir à la nation. Le loyer payé pour son usage doit revenir à la nation même et non servir à des jouissances individuelles.
- Bien qu’il y ait maintenant plus de 200 ans que l’antique loi de la propriété collective du sol a définitivement été abolie en Irlande, on en trouvait trace encore dans quelques parties du pays, pendant la première partie du xixe siècle.
- Les Anglais qui n’ont pas résidé parmi les paysans d’Irlande ne peuvent se former une idée exacte de l’amer ressentiment et de la conscience des violations du droit, que les générations s’y transmettent les unes aux autres, avec la tradition des injustices et des cruautés séculaires dont elles ont été victimes.
- La haine de l’Irlande contre l’Angleterre ne pourra s’effacer que par un système de justice, de libéralité et de bienveillance.
- L’histoire a trop négligé jusqu’ici ces sortes d’enquêtes. Elle raconte les splendeurs des cours, le faste des princes et le carnage des conquérants) mais elle prend peu de soucis des lois fondamentales du progrès humain et de l’avancement social.
- ÇA suivre).
- —^^^AAAAA/\AAWuvv~.“»«<
- LA LÉGISLATION ET LE TRAVAIL
- Dans un article para dans un journal américain, The National View, nous lisons les réflexions suivantes :
- « Lorsque nous constatons l’importante vérité que les classes laborieuses d’un pays constituent les neuf dixièmes de sa population adulte, que chaque membre de la société dépend entièrement d’elles pour tout ce qui touche à la vie, à chaque heure de son existence, et que ce sont elles qui lui fourni-sent chaque livre de nourriture qu’il consomme, chaque article de vêtement qui le couvre, lui, sa femme et son enfant, et que sans elles les millionnaires même, les riches sybarites adorateurs de Mammon, seraient vite réduits à mourir de faim ; lorsque nous pesons ces vérités importantes, nous comprenons combien il est essentiel de se préoccuper avant tout du bonheur, du bien-être et de la prospérité de cette classe de la population, qui devrait passer avant toutes les autres, puisqu’elle est la plus utile, celle qui rend le plus de services au pays. »
- L’auteur de cet article, en constatant un fait incontestable, évident, confirme les réflexions que nous avons faites nous-mème sur les droits du travailleur, mais en les accentuant davantage encore, puisqu’au
- p.195 - vue 196/836
-
-
-
- 196
- LE DEVOIR
- lieu de l’égalité de protection que nous réclamions pour lui, il semble vouloir la préférence, ia suprématie des droits, basée sur 1a supériorité indiscutable des services rendus.
- Il est certain que si l’on compare sans parti-pris, avec impartialité, l’utilité du travail et celle du capital dans un pays, et les services qu’ils peuvent rendre à là chose publique, on est forcé de reconnaître que le journaliste américain est dans le vrai, lorsqu'il affirme que le capitaliste mourrait de faim sans le travailleur, et qu’à ce point de vue, le travail est assurément d’une utilité plus réellement indispensable que le capital. En effet, la réciproque n’est pas vraie, et l’on ne peut pas affirmer, avec autant de certitude, que le travailleur ne pourrait pas vivre sans le capital. Il est bien entendu que lorsque nous disons capital, nous voulons parler du capital-argent, et non point de ces richesses que la nature elle-même fournit à tous, matières premières, forces motrices, etc., qui sont aussi indispensables à la vie que le travail, et dont celui-ci ne pourrait pas plus se passer, que le capital ne peut le faire du travailleur. Mais ce capital naturel appartient à tous les hommes, et, par conséquent, le travailleur l’a ou doit l’avoir à sa disposition, sans autre condition que d’en faire jouir les autres comme il en jouit lui-même, sous forme de tribut à l’infortune, par la mutualité.
- Cela posé, examinons comment les législateurs égarés par les théories des économistes politiques, ont compris le rôle du travail dans la nation, et la protection que l’Etat doit avant tout au travailleur.
- Les économistes prétendent que les conflits écono miques ont pour causes moins la rapacité des intérêts que des erreurs, ou plutôt des vérités incomplètes. Nous voyons difficilement, disent-ils, les diverses faces d’une question et ses relations complexes. Nous n’en apercevons que le côté qui nous frappe vivement, et nous croyons qu’il est le seul. Les défauts de cette méthode de raisonnement apparaissent tout particulièrement dans la question du travail.
- On a créé, suivant eux, deux entités : le travail et le capital; et tout naturellement on a supposé qu’elles devaient être forcément en état d'antagonisme. Mais ce n’est là qu’une simple hypothèse, et la vérité, à leurs yeux, est que le propriétaire du travail et le propriétaire du capital se trouvent dans la position d’un acheteur et d’un vendeur, qui tous les deux ont un besoin réciproque l’un de l’autre. L’un cherche à acheter au meilleur marché possible, l’autre à vendre le plus cher possible. Ils finissent cependant par se mettre d’accord, et cet accord constitue la règle des échanges. Le travail et le capital obéissent à
- la loi de l’offre et de la demande, mais ce sont là des vérités que peu de gens comprennent encore.
- Ce raisonnement des économistes serait fort juste assurément si le point de départ sur lequel il s’appuie était vrai, et malheureusement il ne l’est pas. L’existence des deux entités qu’ils prétendent hypothétiques est réellp et bien réelle, et pour nier l’antagonisme du capital et du travail, il faut tout simplement ne pas vouloir voir la lumière du jour. Cet antagonisme existe, même à l’état aigu, réalité palpable, tangible, féconde en maux de toutes sortes, grosse d’orages et de tempêtes.|En outre, il n’est pas exact que le proprietaire du travail et celui du capital se trouvent dans la position d’un acheteur et d’un vendsur, parce que cette position suppose une égalité de droits qui n’a jamais existé jusqu’à présent pour les deux antagonistes.
- La loi est toujours intervenue en faveur du capital contre le travail. Faite par des propriétaires de capital, elle ne donnait pas aux ouvriers le droit au travail, et se contentait de leur en imposer le devoir. C’est ainsi que les articles 414, 415 et 416 du Code pénal interdisent aux travailleurs de s’entendre pour retirer leur travail du marché, et aux patrons de se concerter pour ne plus acheter de travail, le tout au nom de la liberté. C’est l’échange forcé pour les détenteurs du capital et du travail. Il est vrai que ces articles ont été s! rarement appliqués aux premiers que l’on a dit, avec juste raison, qu’ils constituaient le délit ouvrier.
- La loi de 1864 qui autorise les grèves, c’est-à-dire le retrait par les ouvriers du travail de sur le marché, n’ayant point abrogé ces articles du code pénal, c’est toujours au nom de ces articles que les travailleurs en grève étaient infailliblement condamnés.
- Dans ces conditions, est-il exact de dire que le travail et le capital se trouvent vis-à-vis l’un de l’autre dans la situation d’un vendeur et d’un acheteur débattant les conditions de leur marché, et obéissant à la loi de l’offre et de ia demande ! Dans les transactions commerciales, l’acheteur et le vendeur sont parfaitement libres l’un de vendre, l’autre d’acheter, et tous les deux de débattre tant qu’ils le veulent les prix de la marchandise, et nul article du code ne vient entraver pour eux cette liberté.
- Depuis que ces articles du code pénal ont été édictés, c’est-à-dire, depuis le 22 germinal an XI, (11 avril 1803), ce n’est qu’au mois de juin dernier que les législateurs ont compris que cette mesure était injuste, et qu’elle ne pouvait être maintenue sous un régime qui doit avoir pour premier fondement la liberté. La Chambre des députés a voté à
- p.196 - vue 197/836
-
-
-
- LIS DEVOIE
- 197
- cette époque une loi qui les abroge, mais comme le ; Sénat n’a point encore ratifié ce vote,ce sont encore ces fameux articles qui viennent d’être appliqués à la Grand’Combe et à Bessèges, et en somme, à l’heure ! où nous écrivons ces lignes, le travailleur n’est point libre de retirer son travail du marché, parce qu’en le faisant il tomberait sous le coup de dispositions pénales à demi-abrogées, mais néanmoins rigoureusement appliquées encore.
- Nous sommes encore loin, on le voit de la préférence réclamée pour les travailleurs par le journaliste américain cité plus haut.
- Jusqu’à présent les gouvernants, tirés presque tous des classes soi-disant dirigeantes, n’ont pas encore compris que s’il fut un temps, pour 3a honte j de l’humanité, où, le travail étant servile, il avait pour sanction les coups de fouet, les fers, et même la mort, aujourd’hui il n’en peut plus être ainsi, et que le travail doit être libre et avoir pour mobiles un gain plus élevé, la satisfaction des besoins de la vie, et les garanties de l’existence dans l’avenir.
- Pour obtenir ce résultat, il faut accorder la liberté au travail en consacrant législativement ses imprescriptibles droits, et favoriser par tous les moyens possibles l’association ouvrière, la participation proportionnelle aux bénéfices, la plus haute expression du travail libre, dans lequel chaque homme peut donner le maximum de production dont il est capable.
- C'est par ce moyen seulement que l’on arrivera à réconcilier à tout jamais le capital et le travail, ces deux antagonistes, qui ont tant besoin l’un de l’autre et tant d’intérêt par conséquent à vivre toujours en bonne intelligence. La guerre entre eux, résultant d'un malentendu facile à dissiper, n’aboutit fatalement qu’à une perte de production, et partant de bénéfices pour tous les deux, et, en se prolongeant outre mesure, à un cataclysme social peut-être.
- Pour dissiper le malentendu cause du mal, il est nécessaire que les détenteurs du capital mieux renseignés sur leurs véritables intérêts et sur leurs droits renoncent à cette prétention injuste de soumettre le travail à leur domination, et de lui faire despotiquement la loi ; il faut qu’ils comprennent enfin une j bonne fois, que leur concours dans la production n’a une valeur que par son alliance avec celui fourni par le travail, et que dans ces conditions la rémunération des services rendus doit être équitablement basée des deux côtés sur la proportionnalité de ces concours et des résultats fournis par eux.
- L’Etat facilitera cette solution si désirable, en rétablissant l’équilibre dans la protection, qu’il doit égale aux deux éléments de la production nationale, et en tenant la balance impartialement de niveau 5
- entre eux. Lorsque la justice sera bien exactement la même pour tous, travailleurs ou capitalistes, lorsque la loi ne sanctionnera pas plus l’oppression des uns que la pression des autres, et que les baïonnettes ne seront plus mises à la disposition des exploiteurs contre les exploités, quels qu’ils soient, les détenteurs du capital, qui sont en réalité les pius faibles, ne se sentant plus soutenus, contre toute justice, par le gouvernement, finiront par rabattre de leurs prétentions, et au lieu de toujours vouloir pour eux la part du lion, ils consentiront à partager en frères, comme ils l’auraient toujours dû faire, si la législation n’avait point jusqu’à ce jour sanctionné injustement leurs usurpations.
- C’est d’en haut que la réforme doit venir, pour qu’elle ne vienne point d’en bas ; et une bonne législation, restituant à chacun ses droits et sanctionnant avec impartialité leur exercice, est le moyen le pins sûr de prévenir des revendications légitimes, mais qui pourraient n’être pas absolument pacifiques.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- 3La s-mairie de TParif». — Le projet relatif à la mairie de Paris est. à l’élude au ministère et sera déposé aussitôt après les vacances de Pâques.
- Toutes les auestions qui se posent relativement à l’organisation municipale de Paris ne seront point sans doute, résolues par ce projet. Ce sera un projet provisoire en quelque sorte, une première étape qui servira à préparer les suivantes.
- Le maire de Paris aura les mêmes attributions que les maires des grandes villes de province ; le préfet continuerait cependant d'avoir entrée au conseil municipal. Dans la situation actuelle, il n’y a pas là d’inconvénient.
- On maintient naturellement la préfecture de police; mais il est très probable que la division sera rattachée à la. mairie de Paris. On ne Pavait du reste, donnée à la préfecture de police, que pour essayer de lui faire revêtir un caractère municipal.
- Il est évident que le projet sera loin de celui de l’autonomie communale ; mais nous pouvons croire que ce sera un projet sérieux et non en escamotage.
- Déco aver te d’une caverne, — On écrit de Saint Jean-de-Valériscle (Gard) :
- On vient de découvrir dans les rochers d’une montagne située tout près de Saint Jean-ie-Valériscle, une caverne d’une largeur et d’une profondeur prodigieuse.
- Les staîactites les pius curieuses abondent dans cette cavité; des groupes de toutes sortes, des pyramides d’inégales grandeurs se dressent sur les rochers du fond de l’immense caverne, dont la hauteur dans certains endroits est effrayante.
- Beaucoup de personnes, munies de flambeaux, y sont déjà descendues.
- Il faut actuellement des jours entiers pour visiter ce vaste réduit, et l’énorme souterrain se prolonge toujours
- p.197 - vue 198/836
-
-
-
- 1Ô8
- LE DEVOIR
- Seulement pour pousser plus avant on est arrêté par des chutes.
- On ne pourra y descendre qu’au moyen de cordes. On a trouvé dans ce dédale certains débris an tiques, tels que: vieilles armes, ustensiles, ossements divers, etc., etc.
- ANGLETERRE
- L'Angleterre a réduit de 1.500.000 livres son budget de la guerre. C’est un bon exemple que le ministère italien ne suit pas. lui qui trouve qu'un budget de 280 millions n’est pas suffisant. La Chambre des Communes a voté en première lecture un bill présenté par M. Staneield pour l’abolition des règlements qui autorisent la prostitution. Nous applaudissons. Quand donc la France et la Belgique, où la « traite des blanches * s’est faite et se fait encore d’une façon si horrible, ne feront-elles autant ?
- *
- ♦ *
- JEïatPe soldat» anglais. — Des rixes fréquentes ont lieu depuis un certain temps entre les soldats du 84e régiment d’infanterie et ceux du 88e, en garnison dans notre ville.
- Hier au soir, cent hommes du 88* ont attaqué un piquet de soldats du 84e, aux cris de : vive l’Irlande !
- Plusieurs hommes ont été grièvement blessés. La gar nison est consignée.
- AUTRICHE
- Les rapports officiels constatent que, dans les reconnaissances exécutées ie 23 à Backopolic, Zivang, Tre-moviea, on ifa rencontré aucun insurgé.
- La colonne, manœuvrant sur les côtés du corps principal, a subi ie feu des insurgés dans la nuit du 19 au 20, en descendant de Selani vers Zinani. Elle a eu un mort et trois blessés.
- Des bandes d’iusurgés ont reparu dans les environs de Bilek; elles tirent sur les troupes à grande distance,puis se sauvent vers la frontière.
- Un fait divers américain. — Les fidèles d’une église catholique de New-York étaient réunis dans le saint lieu attendant un jeune prêtre qui devait dire la messe et prononcer un sermon. On attendit longtemps ; enfin un sacristain annonça que le prêtre se mariait avec Mlle Brigitte Welsh et que le lendemain il ouvrait un grand restaurant.
- ITALIE
- Dans les fouilles de Pompei, au faubourg vers la mer, dans diverses chambres, on a trouvé 38 cadavres, l’un d’eux pressait contre le sein une bour-e qui, comme on 3e pense bien, ne laissait que l’empreinte, mais contenait une pièce en or à l’effigie de Vespasien. six pièces en argent et dix de bronze, avec des pendants d’oreilles, des perles et pierres précieuses. Auprès des autres cadavres gisaient des monnaies en or et en argent de Galba, Tibère, Néron et Dominitien, une certaine quantité de bracelets et pendants en or, ainsi que des perles et pierres précieuses.
- ¥ *
- On télégraphie de Berne :
- Voici le programme de la grande fèie internationale qui doit avoir lieu pour l'inauguration du tunnel du St-Gothard : le premier train partira de Milan, emportant avec lui le roi Humbert, le ministère et une députation de la Chambre et du Sénat. A Bellinzona, les membres du gouvernement tessinois et une députation du grand conseil se joindront à eux; ils trouveront à Altorf le ouvernement et une députation du landratb du canton ’üri, et à Lucérnê les autorités fédérales suisses, lès f
- | autorités des cantons qui ont accordé une subvention à | la ligue, et les leprésentanis du gouvernement allemand. 1 Tous retourneront de Lucerne à Milan, où de grandes I fêtes, comme on sait les donner à Milan, ont ôté préparées pour ces hôtes de distinction. Tout est organisé de manière à célébrer d’une façon brillante le grand événement.
- * 4-
- Des troubles très graves ont éclaté à Piamira, près de Naples. La municipalité avait cru devoir congédier le médecin de la localité, mesure qui a exaspéré la population. Le 19 et le 20, des rassemblements tumultueux eurent lieu à Pianura. Le soir, quelques centaines d’individus, armés de bâtons, se réunissaient devant l’église; pendant ce temps, plusieurs d'entre eux montaient dans le clocher et sonnaient le tocsin. Les carabiniers accoururent; la fouie criait : <* Vive le roi ! à bas le ministre Baccariniet ses complices ! » Plusieurs personnes furent blessées, des maisons ont été à moitié démolies. Le calme est rétabli, mais les arrestations continuent. Cent vingt personnes ont été arrêtées.
- L’ère des manifestations populaires est ouverte, paraît-il, en Italie, car, outre les désordres de Messine, à propos de chemin de fer, il y a eu une émeute à Naples, causée par des étudiants de PUniversité, puis des désordres dans les Romagnes, notamment à Ravenne, où on a célébré l’anniversaire de la Commune.
- En Italie les cléricaux de toute robe, de tout ordre, de toute espèce se remuent dans l’ombre pour tourner à leur profit la réforme électorale. Nous espérons que les démocrates ne montreront pas moins d’activité. L'Associations dei Dirilti dell uomo de Rome vient d’engager MM. Saffi, Bertani, Campanella et Mario à convoquer les principaux chefs de la démocratie pour arrêter un plan de conduite.
- A la suite de pourparlers entre M. Berti, ministre de l’agriculture et du commerce d’Italie, et le Comité exécutif d® l'Association Littéraire Internationale, le cinquième Congrès Littéraire International se réunira à Rome le 20 mai 1882.
- Le programme et les conditions du Congrès sont remis, sur demande, dans les bureaux de l’Association, 81, rue Vivienue.
- De grandes facilités seront accordées pour le transport et le séjour.
- ALLEMAGNE
- Plaignons M. de Bismarck ! il vient de recevoir un échec qui lui sera plus douloureux que toutes les offenses pour lesquelles il tait poursuivre les journalistes. Le conseil économique de Prusse, sa dernière invention, créé, institué, composé tout exprès pour faire la leçon aux chambres de commerce et surtout au Reichstag, tout au moins pour appuyer et justifier les élucubrations économiques du grand chancelier, vient après une série de tergiversations de rejeter le projet de hd sur le monopole du tabac. Oui, ce monopole qui est la pierre angulaire du système! L’ingrat! il a bien voté une augmentation de l’impôt sur le tabac, mais ce n’était point cela qu’on lui demandait, ce qu’on voulait, ce qu’il devait voter, c'était le monopole ! Que devenir sans le monopole? Oui, plaignons M. de Bismarck!
- DANEMARK
- La paix. — Les Etats-Unis d'Europe disent :
- « Les nations les plus pacifiques se croient obligées d’augmenter leurs moyens de défense. Il n’est point jusqu’au Danemark qui, se souvenant de 1807, ne travaille à se mettre à l’abri. Faut-il ou son fortifier Cô-*
- p.198 - vue 199/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 109
- peflli;igu{3 ? O11** certes, disent ceux-ci ; non pas, disent les auires,'faire de Copenhague un point fortifié c’est y attirer l’ennemi. On évalue à 34 millions de couronnes le coût des fortifications projetées. On veut aussi augmenter la flotte : huit cuirassé?, deux corvettes non cuirassées avec batteries, deux avisos, dix corvettes, quatre canonnières cuirassées, huit non cuirassées, vingt bateaux a torpilles. Quand cessera cette folie? »
- Nous ajouterons :
- Cette folie cessera quand les hâtions auront de civilisé autre chose que le nom.
- XJ si phüan thrope. — On lit dans un journal de Nantes :
- Nous avons entendu bien des conférences, sur des sujets historiques ou littéraires, mais jamais nous Savons eu autant de plaisir, autant de satisfaction que vendredi soir, à la Bibliothèque populaire.
- M Borgnes, pasteur de l’Egîisè réformée, conférencier, avait choisi pour sujet : Une histoire émouvante d’un philanthrope contemporain.
- Qn’étaii-ce que ce philanthrope ? Pourquoi ne pas dire son nom en indiquant le titre de la conférence ? Telles étaient les observations que beaucoup de personnes se faisaient.
- C’est vrai, pourquoi pas de nom ? Mon Dieu, le nom n’avait point d’importance. L’homme remarquable qui le portait, hélas ! comme toutes Ses intelligences supérieures, véritable héros de la charité, était trop obscur pour qu’il alléchât les auditeurs. Histoire émouvante d’un philanthrope contemporain, devait plus frapper les personnes qut aiment entendre une conférence que le nom de John Bort.
- John Bort est le nom du philanthroqe en question. Belle nature, âme ardente, esprit aux vues vastes, aux conceptions larges ; cœur digne de Vincent-de-Paul, voilà le héros de l’histoire que M. Fargues a narrée avec tout le feu d’une parole qui est sûre, qui exprime la vérité.
- Dans un village de la Force (Dordogne), M. John Bort a fondé une série d’établissements, uniques dans le monde.
- Que d’orphelins sont abandonnés sur la voie publique! Et là, livrés à eux-mêmes, sans aucune direction morale, le vice s’en empare. La misère, cette lèpre sociale, est la cause la plus constante des vices qui dévorent la classe la plus nombreuse, Johu Bort, raisonnant ces lacunes sociales, avec sa grande et belle âme, fonda en 1848, son premier établissement pour les orphelins, et il l’appela : La Famille.
- Ce grand cœur fut frappé de l’idée de maladies affreuses qui vouent au mépris public des milliers d’infortunés. Ce sont les incurables, infirmes, idiotes, aveugles, scrofuleux, etc. Ces abjections humaines formèrent un établissement nouveau nommé : Bé-lhesda; véritable maison de la miséricorde en effet (1855), L’annexe où sont réunis les garçons fut appelée : Siloë.
- tin autre genre de maladies terribles, qui désolant tant de familles, fit bientôt songer à créer deux nouveaux asiles pour les deux sexes : Eben-Eezes et Bétel (1875).
- L’activité de John Bort était sans fin. Il fonda successivement : Le Repos , maison pour les vieilles filles : La Retraite, pour les bonnes ne pouvant plus travailler et n'ayant que quelques ressources, insuffisantes pour les faire vivre à l’abri de la misère (1878).
- Enfin en 1881, il fonda les deux derniers établissements : La Miséricorde et la Compassion, les deux raai-^ sons ont été spécialement fondées pour réunir ensemble les « Gâteux. » Ce genre de malades, troublait par leurs crls sauvâgés les autres membres des asiles, c’est pourquoi M. John Bort les fit construire*
- Malheureusement l’espace me manque pour raconter lés péripéties de toutes sortes,parmi lesquelles le philanthrope passa Lorsqu’il lui vint l’idée d’entreprendre une œuvre humanitaire aussi gigantesque, ii n’avait pas un àoUdl était pauvre l Mais 11 avait,eé qui est plus qùe l’or et
- l’argent lx volonté du bien a accomplir, la.foi en une puissance supérieure qui l’inspirait. Avec de telles richesses, on transporte üfae montagne !
- En effet, John Bort a fondé en vingt et quelques années des établissem nts qui ont la valeur d’un million. Il a fait plus. Des femmes et des hommes dé cœur, épris d’une œuvre aussi grande et véritablement sociale ont aidé M. Bort de leurs coopérations par des dons princiers. Il faut aux asiles de la Force, 250,000 fr. par année pour l’entretien des établissements et la nourriture des habitants !
- Tel est le rêsümé succinct de la conférence de M. Fargues.
- Quelles conclusions tirer des faits cités dans ce compterendu ? Ne parlent-ils pas eux-mêmes en faveur de l’homme, d’ün véritable génie, de la justice sociale !
- John Bort n’est plus de ce monde. Il y a quelques mois à peine qu’il est parti pour les demeures de l'espace. Sa belle nature, son âme généreuse, son esprit inventif ne peuvent être anéantis. Souvënt, peut-être — qui le sait ? — son ombre plane dans les asiles qu’il a fondés. Elle veille sur les orphelins et les malheureux qu’elle aima et qu elle aime toujours. Oui, sur les hauts coteaux de la Dordogne, sous les arbres touffus de lâ Force, dans les dortoirs où reposent les malades, John Bort est vivant !
- Les John Bort, les Vincent de Paul sont rares èh ce siècle 1 Puissent les exemples do ces humanitaires , véritables socialistes ceux-là, servir d’Evangile aux auditeurs nombreux qui écoutaient la parole chaleureuse du conférencier de la Bibliothèque Populaire !
- P. Vend ad.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PâRTIË I
- Eû commençant cette dernière partie de notre Voyage, bon et très patient lecteur, j’ai besoin de rappelée à votre Souvenir quelques aphorismes pleins de sagesse et de sens, que j’ai gardés profondément gravés dans ma mémoire, et dont nous aurons à faire peut être l’application. Il n’y a pas encore bien longtemps* il était d’usage, chen les bons auteurs, de mettre en tête de chaque chapitre de leur livre, une épigraphe qui, dans une phrase* uft distique, une sentence, donnait comme un avant-goût résumé des pensées que l’écrivain allait développer, soit par le raisonnement^ soit par le récit dé faits, dans ce Chapitre» Walter Scott, Victor Hugo et d’autres à cette époque ne procédaient pas autrement. Mes aphorismes en tête de ces pages ne seront donc, si vous le voulez, qu'urie espèce d’épigraphe* suivant la mode de l’école romantique. Les voici î
- L'homme ne vit point seulement de pain, dit l’an d'eux. C'est un excellent meuble qu’un fauteuil, et de la dernière utilité pour'un hommè méditatif, dit un autre; le plaisir fait trouver courtes les heures,’ que le chagrin rend si interminables ; La comédie saris fiel sut instruire et reprendre.
- p.199 - vue 200/836
-
-
-
- 200
- LE DEVOIR
- Ne perdons point de vue ces incontestables vérités dans notre nouvelle exploration.
- En face du Palais social, de l’autre côté de la route qui conduit de la gare à l’Usine, s’élèvent des constructions formées d’un grand établissement central élevé sur cinq marches, d’une architecture sobre, quoique légèrement plus ornée que le reste, et flanqué de chaque côté d’un bâtiment de plein pied, un peu en retraite. Ces deux constructions sont reliées au bâtiment central par deux cours couvertes de vitrages. Ce sont le théâtre et les écoles du Familistère, ses éléments d’éducation. Au moment où nous écrivons ces lignes, d’autres constructions annexes s’élèvent des deux côtés, pour donner aux écoles l’agrandissement dont elles ont le plus urgent besoin. Nous aurons occasion de parler plus longuement de cela, car aujourd’hui c’est le théâtre que nous avons à visiter.
- Le théâtre a toujours joué un rôle très marqué dans l’histoire des peuples, comme moyen puissant d’instruction et d’éducation. « Dans les capitales modernes, dit Gibbon, les représentations théâtrales peuvent être considérées comme l’école du bon goût et quelquefois de la vertu. « Cartigat ridendo mores, le théâtre corrige les mœurs en riant, » a dit Horace, ce que Boileau a traduit par le vers cité plus haut :
- « La comédie apprend à rire sans aigreur. »
- « Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre »
- Rappelons en passant qu’à Rome, par exemple, les théâtres avaient à leurs gages trois mille danseuses et autant de chanteuses avec les maîtres des différents chœurs. Telle était la faveur dont elles jouissaient, que, dans un temps de disette, le mérite d’amuser le peuple les fit excepter d'une loi qui bannissait tous les étrangers de la capitale, et qui fut si strictement exécutée, que les professeurs des arts libéraux ne purent pas obtenir d’en être dispensés.
- A ce propos, lecteur, laissez-moi m’extasier un instant sur la sagesse de ces Romains qui flanquaient impitoyablement à la porte de chez eux les avocats, tout en gardant soigneusement les artistes dramatiques ! En voilà des gaillards bien inspirés ! Si dans certains pays que nous connaissons, on n’avait point fait, depuis la Révolution, tant de place aux avocats, qui, à l’heure qu’il est, ont fini par tout envahir, présidence, ministères, ambassades, préfectures, tout, qui oserait dire que les choses n’auraient pas mieux marché? Les avocats, voyez-vous, lecteur, c’est comme les truffes, il en faut, mais pas trop, sous peine d’indigestion.
- On plaint, avec raison, de ce que la lettre d’o- f
- | bédience donne à la première maritone venue, [ pourvu qu’elle ait endossé la robe monacale, toutes [ les aptitudes nécessaires pour enseigner aux en-| fants ce qu’elle n’a jamais su. Mais est-ce qu’on n’en
- i fait nas exactement autant pour la robe d’avocat?
- 1
- ; Ne voyons-nous pas tous les jours ce spectacle | étrange d'un avocat qui, un jour, par extraordinaire,
- > dans une cause politique à sensation a eu un succès i oratoire, nommé peu après député, et une fois dé-| puté, improvisé soit préfet de police, soit ministre,
- ; soit ambassadeur? Il semble que depuis 89, la robe d’avocat confère à celui qui la porte tous les talents, toutes les aptitudes, toutes les connaissances ! C’est insensé, et les Romains étaient décidément plus raisonnables que nous. N’est-ce pas un empereur Romain, Héliogabale, si je ne me trompe, qui eût la mirobolante idée de juger du nombre des habitants de Rome par la quantité de toiles d’araignée ? Cette idée là est-elle en somme' plus baroque que celle de faire d’un avocat un préfet ou un ambassadeur? Aussi, Héliogabale passait-il à bon droit pour un aliéné. Cela ne l’empêcha pas de favoriser les théâtres et les spectacles dont le peuple Romain était si amateur. Et n’allez pas croire que chez eux on se contentât trop facilement. On exigeait des acteurs, même des simples pantomimes, qu’ils eussent une teinture suffisante de tous les arts et de toutes les sciences.
- Si les grands théâtres de Rome pouvaient, au dire des historiens, contenir des centaines de mille de spectateurs, celui du Familistère beaucoup plus modeste en contient à peu près douze cents, ce qui est fort suffisant pour la ville de Guise et ses habitants . La salle est gaie, quoique d’une sobriété d’ornements tout à fait Spartiate. Les banquettes, même des premières, sont de simples bancs avec une velléité de dossier, ce qui est loin d’être aussi commode pour i’homme méditatif ou non, que le fauteuil dont X. de Maistre nous dit que c’est un excellent meuble. Très préoccupé, on le voit, de l’excellentissime idée de l’égalité, l’architecte a traité tous les spectateurs riches ou pauvres de la même façon, au point de vue des sièges : mais il paraît n’avoir tenu aucun compte de cette condition indispensable du bien-être physique, pour pouvoir goûter et savourer comme il faut les jouissances morales. Quoi qu’on en puisse dire, un homme moelleusement assis dans un bon fauteuil sera infiniment mieux disposé à l’indulgence, à la bonté, à la douceur et à la bienveillance, que celui dont le siège est dur et la posture incommode , exactement comme un homme après son déjeuner est infiniment plus traitable qu’à jeun. C’est là une vérité dont je vous conseille de faire votre
- p.200 - vue 201/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 201
- profit toutes les fois que vous aurez quelque chose à solliciter. Ne sollicitez pas avant que l’homme à qui vous avez à faire ait déjeuné ; c’est une règle positive et qui ne souffre presque point d’exception.
- C’est pourtant à une exception à cette règle que celui qui écrit ces lignes a dû. son entrée dans le journalisme. C’était en 1875. Sa vie déjà longue s’était passée toute entière dans le commerce, où son père l’avait fait entrer à dix-huit ans, à la fin de ses études, bien malgré lui. Il avait été successivement chef de la comptabilité, et chef de la correspondance commerciale dans deux importantes maisons de commerce et dans une maison de banque, ce qui ne l’avait point empêché de travailler à ses moments perdus à rédiger des requêtes pour des avoués, des notes de plaidoieries pour des avocats, des textes de prières pour des éditeurs d’images, des traductions de romans anglais pour Ch. Bernard Derome, qui les signait sans scrupule de son nom, et mille autres travaux tout aussi peu commerciaux en eux-mêmes. Tout cela ne le satisfaisait pas, i! avait soif d’écrire. Un jour, il fait un article qui lui paraît intéressant et propre à faire le bonheur d’un des journaux les plus courus de Paris. Il part, son article en poche, un beau matin, pour aller l’offrir au directeur, un des grands pontifes de la presse. Son homme habitait une splendide villa dans une des plus pittoresques localités des environs de Paris. Le train l’y dépose à onze heures passées, et il arrive chez le personnage vers onze heures et demie. 11 sonne, très préoccupé de savoir si celui qu'il va voir a ou non déjeuné à cette heure là, question capitale ? On lui ouvre. Le maître est dans le parc... on conduit le visiteur qui, en passant, voit ie couvert mis dans la salle à manger; c’est l’heure du déjeuner, et il arrive avant... Si jamais moment fut mal choisi, se dit-il, c’est bien celui-ci 1 et pour un peu il eût rétrogradé. Mais, il était trop tard pour fuir, il n’y avait plus qu’à marcher bravement à l’assaut.
- Le maître écoute le solliciteur et répond négativement à sa proposition. Le visiteur insiste, en véritable commerçant, en exhibant l’échantillon de sa marchandise littéraire. « Eh bien, puisque vous avez là votre article, lui dit-on, lisez.» Lire sa prose à un homme à jeun, quelle corvée, grand dieu ! Le pauvre diable veut s’excuser; c’est l'heure du déjeu-ner> etc, etc. « Point, lisez, lisez », est l’impitoyable réponse. L’auteur lit deux pages de son manuscrit, et s’arrête.... ô surprise, on lui arrache presque le papier des mains, et on lui dit : « Je prends cet article; toutes les fois que vous en aurez dans ce genre, apportez-les, on les publiera, et vous n’aurez qu’à Passer à la caisse, etc, etc. » C’était merveilleux, et
- l
- î pourtant cet excellent directeur n’avait point encore | déjeuné : Qu’eût-ce été, si le futur journaliste était venu deux heures plus tard ? Il passait rédacteur d’emblée.
- Malgré cet exemple, lecteur, je persiste à vous conseiller de ne solliciter autant que possible les | gens qu’après déjeuner, et si voulez obtenir plus facilement au théâtre les applaudissements des spectateurs, de les y installer le plus confortablement possible.
- Si l’architecte qui a construit la salle de spectacle
- du Familistère a eu peu de souci pour les...... aises
- des spectateurs, il faut reconnaître qu’il a bien compris les dégagements et les besoins de la circulation. On peut très facilement, aller et venir, et les issues sont assez nombreuses pour suffire à tous les besoins des entrées et des sorties. La scène est surtout fort bien agencée. Les portants, les praticables sont bien disposés, les espaces sont bien ménagés, et les «machinistes peuvent manœuvrer commodément les décors, et opérer promptement les changements même à vue. Cette petite scène est mieux machinée que beaucoup de théâtres de province bien plus importants.
- Dans les dessous, au nombre de deux, la lumière et l’air circulent mieux encore que dans la salle parfaitement aérée pourtant. Dans le premier, donnant sur les jardins qui se trouvent derrière le bâtiment, les loges des acteurs assez grandes et fort claires. Mais chose bizarre, les fenêtres ne s’ouvrent pas, et cela fait rêver, car pourquoi celte clôture insolite ? A-t-on craint qu’au meilleur moment, ces messieurs ou ces clames, pris tout-à-coup de fantaisies vagabondes, prissent la .poudre d’escampette ? ou bien a-t-on prévu qu’échauffés par Faction du jeu de scène, ils voudraient, en rentrant dans leur loge se donner peut-être trop d’air, et ou’ils courraient ainsi le risque de pleurésies, de pneumonies, de bronchites, de fluxions de poitrine trop souvent mortelles ? CM lo sa?
- Cette salle de spectacle, qui dans la pensée du fondateur devrait multiplier pour les habitants du Familistère les facilités de réunion, les occasions de se voir, de se fréquenter, de s’instruire, et par ce moyen contribuer puissamment à développer en eux les sentiments de cor;fraternité, n’est pas souvent utilisée, il faut bien le reconnaître. Quelle est la cause de cela? Ma foi, je dois confesser que n’ayant pas étudié beaucoup cette question, je l’ignore complètement. Si l’on s’en rapportait aux dires des uns et des autres qui ne sont probablement pas mieux renseignés, les causes en seraient multiples et variées,
- p.201 - vue 202/836
-
-
-
- 202
- LE DEVOIR
- mais peu nous importe d’ailleurs. Contentons-nous donc de constater le fait.
- Dans les commencements, des habitants du palais social avaientorganisé des représentations qui étaient assez suivies et bien goûtées. Mais les chefs de service à l’usine ne tardèrent pas à constater que l'étude des rôles empiétait par trop sur les heures de travail et ces distractions durent être en conséquence supprimées. Dans cette situation, l’usage qu’on en fait se réduit aux grandes réunions des fêtes du Familistère, à des représentations peu nombreuses des troupes dramatiques parcourant h département, à des conférences de plus en plus rares, et aux répétitions du corps de musique le samedi.
- (.4 suivre).
- LE MAGNÉTISME
- (Suite)
- D’après le docteur Charcot, l’hypnotisme (ou ce qui est la même chose, malgré que ces messieurs en aient, le magnétisme), est tout un monde encore inconnu, dans lequel on rencontre, à côté-des faits matériels, grossiers, côtoyant toujours la physiologie, des faits absolument extraordinaires, inexplicables jusqu’ici, ne répondant à aucune loi physiologique, et tout à fait étranges et surprenants. « C’est toute une nosographie »,dit-il, ce qui revient à déclarer que l’hypnotisme ne consiste pas en tm certain état névropathique, et qu’il comprend une série d’états, dans laquelle il est urgent de porter la lumière de l’analyse. Le commencement de la sagesse, en effet, est de distinguer, de classer les faits, pour les étudier avec fruit et en déduire les lois et les causes, et c'est ce que l’on appelle la méthode scientifique.
- C’est en procédant de la sorte que le docteur Charcot arrive à constater qu'il y a dans l’hypnotisme l’état cataleptique qui est tout différent de l’état .éthargique et l’état somnambulique qui ne ressemble point aux deux autres. Ce qui se produit pendant le somnambulisme n’a plus lieu ni dans la cataleyp-sie, ni dans la léthargie, ei il en conclut qu’il y a là trois états pathologiques parfaitement distincts. Il ne suffît donc pas de dire que l’on a obtenu tel ou tel phénomène sur un sujet hypnotisé si l’on n’a préalablement déterminé d’une façon exacte l’état pathologique du sujet.
- Dans la note présentée par lui le 7 janvier dernier à là Société de Biologie, le docteur Charcot déclare les sujets sur lesquels il à observé eô dont iîvâ
- être question dans son travail sont des hystériques à l’état hypnotique et dans la phase léthargique de cet état « Les malades sur lesquels j’opère », dit-il, « ou plutôt que j’observe sont endormies, inertes, exactement dans l’état d’un animal de laboratoire ». Une excessive excitabilité des nerfs et des muscles est un des caractères de cette phase; un corps solide quelconque mis en contact avec eux la met en jeu. L’objet de la note est de montrer que cette hyperexcitabilité neuro-musculaire s’étend bien au-delà des muscles et des nerfs. Ainsi, touche-t-on le nerf cubiculaire? Les muscles animés par ce nerf entrent tous en contraction et l’on a la griffe cubitale. Est-ce le nerf radial que l’on touche, le même phénomène se produit sur les muscles qui en dépendent et c’est la griffe radiale que l’on a. De même pour le nerf facial et les autres. Les effets sont si nets, que trois anatomistes prenant chacun un département quelconque du sujet, pourraient résoudre simultanément autant de questions des plus compliquées. « Or, demande M. Charcot, est-il possible qu’une hystérique, si intelligente et rusée qu’on la suppose, puisse à l’état hypnotique commander infailliblement aux muscles animés par le nerf excité? Je mets les plus sceptiques au défi de ne pas se rendre à l’évidence d’une pareille preuve anatomo-physiologique. »
- Le docteur déclare avoir constaté cette hyperexcitabilité jusque dans i’encephale, et reconnu que les régions motrices du cerveau y participent.
- D’après ses observations, l’état cataleptique peut se manifester primitivement, chez les femmes atteintes d’hystéro-épilepsie à crises mixtes, sous l’influence d’un bruit intense, d’une lumière vive placée sous le regard, en conséquence de la fixation prolongée des yeux sur un objet quelconque. Il se développe consécutivement à l’état léthargique, lorsque les yeux clos jusque là sont mis à découvert par l’élévation des paupières.
- Le sujet cataleptisé a les yeux ouverts, le regard fixe; il reste immobile, comme pétrifié. Les membres gardent pendant un temps relativement fort long les altitudes variées que l’on imprime. Lorsqu’on les déplace, iis donnent la sensation d’une grande légèreté et les articulations ne font éprouver aucune résistance; la flexibilitas ôerea n’appartient pas à l’état cataleptique. Les reflexes tendineux sont abolis ou très affaiblis, et le phénomène de Yhyper-eœcilabilité neuro musculaire fait complètement dé-| faut.
- | La persistance fréquente de l’activité serisoHélle | permet Souvent d’iMprêâsidfiûer le sujet ûâtaleptîdüé
- p.202 - vue 203/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 203
- par suggestion et de susciter chez lui des impulsions automatiques variées.
- L’état léthargique se développe chez un sujet ca-taleptisé, lorsqu’on détermine chez lui l’occlusion des yeux ou lorsqu’on le placé dans l’obscurité. Il peut se manifester sous l’influence de la fixation du regard.
- Dans cet état, les yeux sont clos, les globes oculaires convulsés. Le corps est affaissé, les membres sont flasques et pendants. Les mouvements respiratoires, étudiés à l’aide du pneumographe se montrent profonds et précipités, mais assez réguliers d’ailleurs. Les reflexes musculaires sont toujours exaltés d’une façon remarquable; ainsi, si au moyen d’une baguette, d’un petit marteau, d’un bouchon monté au bout d’une baleine, on porte un coup soit sur le muscle lui-même, soit sur le tendon par lequel ce muscle s’attache à l’os, soit sur le nerf qui anime ce muscle, il se contracte aussitôt et reste .contracté. Pour le faire se relâcher, on peut agir de même sur les muscles dont l’action est opposée.
- Dans l’état léthargique, le sujet, en général n’entend rien, ne voit rien ; on reste sans action sur lui.
- Le troisième état, l’état somnambulique n’est pas le moins extraordinaire. M. Charcot pense que l’on peut faire passer un sujet de l’état léthargique ou cataleptique à l’état somnambulique en exerçant sur le sommet de la tête une friction légère, ou par toute autre sensation faible, répétée et monotone. De ce nombre seraient les passes des magnétiseurs, qui agiraient, non par une prétendue effluve s’échappant de leurs doigts, (oh non, cela jamais ; pour messieurs les savants, tout et bien d’autres choses encore avant cela!,) mais par le mouvement de la main lentement renouvelé un grand nombre de fois devant les yeux.
- Le sujet en somnambulisme a les yeux fermés ou demi-clos. Abandonné à lui-même, il paraît engourdi plutôt qu’endormi. Les reflexes musculaires sont ce qu’on les voit chez l’individu sain, ni diminués, comme dans la catalepsie, ni exagérés, comme dans sa léthargie. V hyper excitabilité musculaire décrite plus haut n’existe à aucun degré. Il y a habituellement dans cet état exaltation de certaines sensations spéciales, Il est en général facile de provoquer chez le sujet, par voie d’injonction, les actes automatiques les plus compliqués et les plus variés.
- Mais ce qui est plus surprenant encore que tout ce qui précède, c’est que si l’on exerce sur le sujet à l’état somnambulique, une légère compression des globes oculaires, l’état léthargique remplace l’état sûhmambttUquê ; si, âu oontraire, relevant les pau-
- pières, on maintient, dans un lieu éclairé, l’œil ouvert, l’état cataleptique ne se produit pas. Cela prouve que la relation est plus directe entre'l’état | léthargique et l’état somnambulique, qu’elle ne l’est entre celui-ci et l’état cataleptique.
- À propos de ces constatations faites par le docteur Charcot, le docteur Àd. Nicolas fait observer que généralement ces états divers ne se présentent pas aussi nettement isolés ; une forme empiète sur l’autre. Un autre critique scientifique, M. G-eorget Pouchet, à propos de l’assertion de M. Charcot que l’état léthargique ou somnambulique peut être déterminé par la fixation du regard, établit une distinction. Par la fixation du regard du sujet, oui, mais non par un autre. « Les gens qui magnétisent, dit-il, peuvent faire de grands yeux avec un air fatai ; ce n’est pas leur regard qui endort ; c’est le sujet qui s’endort parce qu’il le regarde ; ce n’est pas tout à fait la même chose. Il y a, ajoute-t-il, à ce sommeil une cause toute matérielle, sans compter l’effet moral dû à îa contemplation d’un être que le sujet suppose, à tort ou à raison lui être supérieur, ou le dominant. Cette cause naturelle est la convergence des yeux... qui fait éprouver une gêne et une fatigue fort sensibles.
- Cet effet de fatigue, de sommeil, de léthargie, de somnambulisme est sans doute de même ordre que le phénomène bien connu dans les campagnes qu’offrent les poules, quand on les place la tête sur le parquet, avec le bec an bout d’une ligne tracée à la craie, dans le sens de l’axe du corps de l’animal. On peut supposer que l’état d’immobité, où celui-ci reste fort souvent, est dû à la eonvergence de ses regards vers cette ligne, vers cet objet extraordinaire en présence duquel on l’a mis.
- M. Pouchet qui avoue hasarder timidement cette explication, pousse son idée jusqu’à croire probable que sur un sujet qui serait de naissance tout à fait privé d’un œil, on ne pourrait pas provoquer l’état somnambulique par la fixation du regard.
- Quoiqu’il en soit de cette hypothèse, car cette opinion n’est point autre chose, à propos de l’hypnotisme des poules, M. Harting professeur à l’Université d’Utrecht a adressé tout récemment à M. Mi-line Edwards une lettre communiquée par ce dernier à l’Académie. Dans cette lettre, M. Harting raconte qu’il a fait un grand nombre d’expériences sur des animaux hypnotisés, et il crut remarquer que ceux sur lesquels l’hypnotisation était plusieurs fois répété éprouvaient un ébranlement sensible du système nerveux. Six poules furent par lui soumises à Phybnotisationj à des intervalles de deux ou trois
- p.203 - vue 204/836
-
-
-
- 204
- LE DEVOIR
- jours. Après environ trois semaines, l’une d’elles commençait à boiter, et bientôt paralysée du train de derrière, elle finit par mourir. Il en fut de même des cinq autres; toutes furent atteintes de paralysie, les unes après les autres, bien qu’à des espaces de temps différents. En trois mois toutes les poules étaient mortes. Cette expérience, ajoute M. Karting, doit nous rendre très circonspects, lorsqu’il s’agit d’appliquer l'hypnotisme à l’espèce humaine.
- a suivre.)
- FRÉDÉRIC TRÉMEL AU FAMILISTÈRE
- Tout dernièrement les journaux du Nord et quelques uns de notre département se sent occupés de Frédéric Trémel, un bohème charmant que Victor Hugo a appelé « le poète de la guitare » et auquel le public donne le nom de « dernier troubadour. »
- Nous donnerons raison au public et à Victor Hugo, car Trémel est à la fois les deux ; mais la vie qu’il mène ne saurait être comparée à celle de Gérard de Nerval ou d’Henry Murger, aussi le séduisant imprésario, avec son agréable physionomie, encadrée dans de longs cheveux noirs bouclés, sait-il attirer un public de choix, et se faire applaudir.
- F. Trémel n'interprète que ses chansons et celles dont il fait la musique. Son répertoire se compose en partie d’idylles gracieuses recueillies dans les albums des poètes de la province, mais, pris que l’on est par sa belle diction et les notes qui s’échappent de sa guitare, on ne se lasserait pas de les entendre.
- Un jour de la semaine dernière, le charmant poète se trouvant à Guise, eut l’excellente idée de se rendre au Familistère, pour y donner une soirée. Il ne pouvait mieux faire. Aussi le Casino, lui ayant été offert gracieusement, l’empressement que les amateurs y ont mis a largement contribué au succès de cette soirée tout intime.
- M. Trémel ne possède pas, à proprement dire, une voix pure dans toute l’acception du mot, mais elle est pleine, magistrale, et il sait admirablement s’en servir. Et que d’âme, que de sentiment il met pour donner à son chant les qualités qui doivent le distinguer !
- La Source, Souvenirs des Vosges, Petits poissons, les Gros Morceaux, etc., ont ôté interprétés avec une grâce exquise. Nous avons aussi entendu la Grâce de Dieu et Premiers regrets, deux chants sans paroles qui sont rendus par la guitare d’une façon émouvante et prodigieuse.
- Quant à la gracieuse Mme Trémel, elle touche le
- piano-quatuor avec la sévérité d’une fillette de pension ; seulement l’hésitation a fait place à la certitude. Ses doigts habiles ont raison des hautes difficultés de l’art musical.
- Que dire de plus à l’honneur de l’agréable Trémel?
- Il est parti cet « oiseau chanteur », mais il a emporté de si bons souvenirs du Familistère que nous avons tout lieu de croire qu’il reviendra y chercher de nouveaux lauriers.
- Le lien géographique du purgatoire
- Nous détachons de la revue scientifique du Siècle, les passages suivants :
- La science a ses gaîtés et généralement c’est le cléricalisme qui se charge de les lui procurer. Nous ne savons pas résister au plaisir de citer la suivante: Il existe un journal, arrivé, paraît-il, à sa vingtième année d'existence (nouvelle série) et qui s’intitule : le Libérateur des âmes du Purgatoire. Si la pieuse feuille ne traitait qu’affaires de foi, nous n’aurions certes pas à nous en occuper, mais un ami veut bien nous adresser le premier numéro de la présente année où est; traitée une question théologico-géologique des plus divertissantes. Il s'agit, ni plus ni moins, de l’emplacement vrai, de la coordonnée géographique, pourrait-on dire, du purgatoire et de l’enfer. Sur ce grave sujet un père capucin a écrit une lettre fort savante au Libérateur, dont la rédaction répond à coups de textes et de. citations tirées des pères de l’Eglise. On déplore d’ailleurs qu’en une telle affaire Dieu ne se soit point quelque part, ou par la bouche de quelque saint, exprimé d’une manière catégorique, ce qui permet et explique les divergences d’opinions les plus considérables.
- Le père capucin tient bon pour ceci : que les volcans sont tout bonnement les soupiraux de l’enfer,et que les feux souterrains vomis par les cratères sont bien ceux où rôtisseur les damnés. Preuves à l’appui : Il parait que le jour où mourut Théodorsc, qui était, comme chacun sait, un affreux arien, c’est-à-dire damné d’avance, saint Grégoire, docteur et pontife, vit son âme jetée dans le cratère de l’Etna. Le savant et très pieux D. Laurenfius Surius,chartreux de Cologne, auteur de vies des’saints les plus pittoresques, raconte que vers 1527, près de l’Hécla, en Islande, il vit au milieu des flammes et d’horribles bruits de tonnerre, apparaître des âmes qui disaient avoir cette destina tion. Enfin, le Stromboli et le Vul-cano seraient aussi des soupiraux d’enfer, au dire de Vincent du Bellay; mais là, du moins, les âmes avaient l’avantage de pouvoir être délivrées pari’in-tercession de Saint Odiion elles prières de ses moines de Clunv.
- La rédaction du Libérateur ne se déclare pas entièrement satisfaite de. ces témoignages, parce que nous devons souffrir corporellement, parait-il, dans le purgatoire et que le feu des laves volcaniques en aurait bientôt fini de notre corps matériel. Les feux du purgatoire et de l’enfer sont donc differents de ceux des volcans, ils sont ailleurs. Les volcans ne sont que des accidents de la croûte terrestre, des incendies localisés dans les couches les plus superficielles où se trouve une zone sphérique consacrée à ? l’établissement du purgatoire et au-dessous, un es-
- p.204 - vue 205/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 205
- pace sphérique concentrique à la terre, et qui est l’abîme des damnés.
- Voilà qui est bien. Mais en vérité quelle singulière manie ont les théologiens modernes'de rapetisser les grandes conceptions des hommes de foi, en les ramenant aux dimensions des choses de la terre. Il y a dans toute religion une poésie qui peut saisir l’esprit; et vous la ramenez à des chiffres de kilomètres. Quand un visionnaire quelconque nous parle du « Fils de l’homme venant fermer les portes de l’a~ byme, » cela est grand. Est-ce que nous nous demandons où cela se passe ; est-ce que nous nous en inquiétons? L’image nous saisit, et si notre instinct ou notre éducation scientifiques ne sont pas solides, nous pouvons être émus et, qui sait? convertis.Mais que penser de ces théologiens-pygmées qui viennent vous dire : l’enfer occupe au centre du globe terrestre un espace sphérique : ajoutez de suite qu’il mesure la moitié ou les deux tiers du rayon terrestre et nous voilà Axés : l’enfer a 15 ou 18,000 lieues de large. Quelle petitesse et quelle misère!
- U PREMIÈRE BATAILLE
- PAR
- TZEG-LOP
- Traduit par MIKHAÏL ACHKINASI
- (Suite et fin)
- V
- Aliochine se trouva de nouveau dans îe ravin, mais non dans ce large ravin où la batterie, encore pleine de force et d’espérance, avait été arrêtée par le convoi des blessés, non! c’était une autre gorge petite, inconnue, étroite.
- Il prêta l’oreille : les coups retentissaient sourdement et dans le lointain.
- Il était donc hors de danger. II aurait donc accompli son devoir et il vivrait toujours !
- — Je vis, je vis, se répétait-il intérieurement, en caressant le cou de son cheval, et le sentiment ineffable de l’homme chez qui subitement la vie éteinte se ranime envahit tout son être.
- La batterie s’arrête; les hommes se disposent au repos et Aliochine remarque Zaïtzef qui donne des ordres à un autre officier.
- — Mais pourquoi est-ce lui qui commande et non Litvinof? pensa-t-il.
- Et le cœur anxieux, il se souvint de tout.
- — Je vis, et ce pauvre Litvinof et ces courageux soldats, qui gravissaient ces rocs meurtriers, au sein de ce feu d'enfer, ne sont plus !
- Il eut honte de ce que lui, jeune,# sans famille, fût sorti du combat sain et sauf, tandis que tant de vies utiles et déjà mûres avaient été anéanties. Non, c’était un rêve, en si peu de temps on ne pouvait avoir commis tant d’homicides.
- li jette encore un regard sur la batterie. Zaïtzeff restait immobile, le visage sombre, les yeux irrités, tout interdit.
- Ici et là dans le ravin de petits groupes de soldats se traînent le visage triste et pâle. A côté son cheval broute tristement l’herbe brûlée par le soleil, et il a l’air aussi désolé que les hommes !
- — Pauvre bête, tu as aussi faim que moi !
- Mais que dis-je i oserai-je songer à la faim en un moment pareil...
- Comme je suis fatigué! quelle chaleur étouffante, que j’ai soif! Une goutte d’eau, une petite goutte d’eau !
- Il ferme les yeux et pressant sa tête alourdie, il tombe à bout de forces sur la terre brûlante.
- — M. 1 officier, M. l’officier, entend-il murmurer d’une voix indécise.
- Il lève la tête et voit devant lui un jeune soldat qui ressemblait beaucoup au pauvre Fomine, mais qu’il ne connaît pas.
- Il avait à la main deux grands biscuits et un bidon rempli d’eau.
- Le soldat le regardait si timidement; et d’un air si suppliant qu’Aliochine se sentit les yeux mouillés, et buvant des larmes de reconnaissance, il prit les biscuits qu’il commença à ronger avidement en aspirant l’eau trouble.
- II voulut remercier le soldat, mais celui-ci avait disparu. Voulant le découvrir, il se releva et en même temps se rencontra avec la longue figure de l’officier Fond qui lui fit l’effet d’une apparition.
- Fond, l’adjudant du général de la brigade, était en uniforme tâché, mais toujours en gants blancs, dont les trois boutons étaient soigneusement agrafés. Ses lunettes d’or sur le nez, l’air sûr de lui, il errait au milieu des canons, cherchant évidemment quelqu’un.
- Ayant aperçu Aliochine, il lui adressa négligemment un petit hochement de tête, et s’approcha vite de Ziaitzef, qui lui tendit la main silencieusement et de mauvaise grâce.
- — Quel malheur 1 quel horrible malheur, commença Fondl
- Zaitzef releva la tête et son visage devint plus grave.
- — Vous le savez, notre général est blessé, continua Fond, et grièvement blessé à la jambe plus bas que le genou.
- — Vous ne savez donc pas ce qui, grâce à votre général, est arrivé à notre batterie, répondit Zaitzef.
- Mais il n’acheva pas, car Fond l’interrompit, com-
- p.205 - vue 206/836
-
-
-
- 206
- LE DEVOIR
- prenant bien que 1a. fin de la phrase allait gâter l’effet (le la nouvelle qu’il apportait de l’accident terrible arrivé au général.
- — Oh oui! je le sais et j’admire, dit-il. Des héros, des héros! Pauvre Litvinof, et Avanof. Quel courage! vous le savez, il a la tête horriblement contusionnée et les médecins disent qu’il viendra fou. Oh oui, il le deviendra certainement!
- Il prononça ces dernières paroles comme s’il eut trouvé plaisir à se venger des plaisanteries qu’Avaloff se permettait au camp contre lui.
- — Vous savez, continua-1 il en un pathos, ce que le chef d’artillerie a dit de votre batterie. « C’est mon orgueil ! » M. Zaïizef, votre main ! »
- Et il tendit à Zaïtzef sa main d’un geste aussi majestueux que s’il n’eût pas été l’adjudant, mais le commandant en chef de l’artillerie.
- Ensuite l’éloquent adjudant raconta comment le général, ayant gourmandé pour une bêtise le commandant de la 6® batterie, était parti avec lui, Fond, pour se rendre chez le commandant en chef, comment il l’avait supplié de ne pas s’approcher trop près du fort de Kusilzapa, le général ne l’écoutant pas, il était arrivé ce qu’il avait prédit. ^
- A peine s’était-il approché du flanc gauche, ajouta Fond, que nous entendîmes un sifflement horrible 1 Je m’écriai : Général reculez ! et il me regarda (Fond imita la façon dont l’avait regardé le général) et tout à coup se tâta la jambe gauche.
- En disant ces paroles Fond aussi saisit sa jambe gauche.
- Zaïtzef en avait assez, et dit brusquement à l’adjudant de laisser en paix le général, et de lui dire s’il avait des ordres pour la seconde batterie où en étaient les affaires.
- Fond avala le brutal : laissez en paix, et, baissant la voix, suivant la tactique, dit que Kusilzapa tenait ferme et qu’on serait obligé de faire retraite.
- Au mot retraite il leva les yeux vers le ciel, étendit les bras d’un air désespéré et soupira : Puis :
- — Encore une fois votre main de héros, s’écria-t-il! Mais en lui tendant sa main de héros Zaïtzef ne put s’empêcher de sourire. Il se souvint de quelle manière saisissante son malheureux ami Avaloff imitait l’adjudant.
- Mais à ce souvenir, son visage s’assombrit, et lorsque Fond, passant devant Aliochine, tendit à celui-ci deux doigts, Zaïtzef jeta à l’adjudant un regard empreint d’un mépris profond.
- Enfin Fond disparut. Zaïtzef demeura de nouveau immobile et triste.
- Autour de lui, absorbés, les soldats affamés sont j étendus. Quelques heureux seulement dorment. !
- Aliochine s’efforça aussi de s’endormir. Il s’étendit sur le dos passa ses mains derrière sa tête et ferma les yeux.
- Mais le sommeil le fuyait et son cerveau agité était hanté incessamment par d’horribles visions : tantôt lui apparaissait une nuque ensanglantée, tantôt un buste mutilé, tantôt deux yeux mourants et hagards. Bientôt toutes ces visions se mêlèrent dans un chaos, d’où naquit cette simple pensée que « tuer des hommes est un acte mauvais et malhonnête, et que la guerre est indigne de l’humanité ! »
- Boum 1 boum ! boum ! et la canonnade,, qui avait cessé un instant, recommença de nouveau !
- Aliochine se réveille de son assoupissement, et regarde avec anxiété Zaïtzef et les pauvres soldats, qui, tous, dans leur cœur meurtri, ne répétaient qu'une prière.
- — Mon Dieu quand tout cela finira-t-il ?
- Cependant les coups devinrent de plus en plus forts, la chaleur de plus en plus insupportable et le soleil qui était arrivé au Zénith s’arrêta comme une tache incandescente au milieu de l’éblouissant firmament !
- , FIN
- CONGRES DE_ ROME 1882
- La commission d’organisatioa du Congprèss nniir©r®©l des Librea-penseuris «socialiste» & Rome
- A tous les groupes de la Libre-Pensée, sociétés anticléricales, groupes rationalistes, athées, loges maçonniques, et aux libres-penseurs ne faisant encore partie d'aucun groupe ou d'aucune association :
- Citoyennes, Citoyens,
- Conformément à la décision prise par le Congrès universel des Libres-Penseurs réuni à Paris, au mois de septembre 1881, la commission d’organisation du Congrès de Rome vous informe que le Congrès devant avoir lieu vers la fin de septembre 1882, elle a arrêté l’ordre du jour suivant :
- 1 — Des bases scientifiques de la morale.
- 2 — De l’influence des diverses théories scientifiques (darwinisme, positivisme, etc.) sur l’avenir et l’organisation des sociétés.
- 3 — De la méthode scientifique en matière d’éducation.
- 4 — Des rapports de l’Etat avec les Eglises dans les sociétés contemporaines, et en particulier de la loi des garanties.
- 5 — De l’influence de la Libre-Pensée sur l’abrogation nés lois qui consacrent les inégalités sociales, notamment entre la femme et l’homme, entre les enfants légitimes et les enfants naturels.
- p.206 - vue 207/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 207
- £___ De l'influence de la Libre-Pensée sur les rap-
- ports internationaux.
- Nous vous invitons à étudier ces questions, à les «oumettre à l’étude des groupes, afin que les délégués au Congrès de Rome soient munis des cahiers de
- leurs groupes.
- Dans le cas où vous verriez quelques questions a ajouter, veuillez nous les faire parvenir avant le 1er juin. Ces questions, après examen, seront transmises au. Congrès.
- La Commission croit devoir vous rappeler qu il est indispensable de coopérer» d’une façon efficace, aux frais du Congrès.
- On souscrit dès à présent ch^z la citoyenne Siey-den, 18, rue du Val-de Grâce, à Paris.
- Les souscriptions des groupes et les souscriptions individuelles seront publiées dans les journaux.
- Nous ne saurions trop vous engager à organiser des réunions et des conférences pour donner au Congrès de Rome le plus d'extension possible.
- La Commission du Congrès se tient à votre disposition pour tous les renseignements qui vous seront nécessaires et pour l'organisation des conférences.
- Nous vous adressons une première liste d’adhésions.
- LA COMMISSION D'ORGANISATION, Pour la Commission,
- Les secrétaires:
- Bergerol. — Charrier. — Pempel. — Sleyden.
- La Commission d’organisation est ainsi composée ;
- Amouroux. — Bergerol. — Th. Brisson. — Citojenne Bonnevial. — Raoul Canivet, — Citoyenne La Cécilia. — Charlier. — Deluc. —E. Digeon. — Edmond Lepeltier. — Pempel.—Pbrrinelle.—Emile Richard. — Citoyenne Sleyden. — Van Cauberg.
- Adresser provisoirement les lettres et adhésions au citoyen Pempel, 153, rue Lafayette, à Paris.
- Trésorier : la citoyenne Sleyden, 18, rue du Val-de-Grâce, à Paris.
- L’Italie compte en ce moment six artistes femmes, dans la sculpture Mme Adélaïde Mairini, lombarde mais résidant à Rome; peintres, Mesdames Alippi d’Urbino, Magliani, de Païenne, Carelli, de Naples, la toute jeune Ada Mangüli, de Florence et Mme Brundeis, bohème de naissance, vénitienne d’affection.
- M. Gladstone
- Il y a quelques semaines, M. Gladstone, le chef vénéré des libéraux anglais, atteignait sa 73me année. Gladstone est né à Liverpooi le 29 décembre 1809. Il fit ses études à l’Université d’Oxford où il se distingua bientôt par son travail assidu, par sa rare intelligence et surtout par un talent oratoire tout à fait exceptionnel. Dans les sociétés d’étudiants, qui de tout temps en Angleterre se -sont occupées de politiques et d’autres questions sérieuses, son argumentation serrée confondait ses adversaires; sa belle VOix, ses paroles pleines de chaleur et de sentiment gagnaient tous ies cœurs. Ses brillantes études et sa réputation naissante de grand orateur lui valurent à i âge de 23 ans ies suffrages dos citoyens Newark fini, le 12 décembre 1832, l’envoyèrent à la Chambre I
- \ des Communes. Voilà donc bientôt cinquante ans I que Gladstone est sur la brèche, vouant sa vie et ses I forces à la cause populaire, au bonheur et à l’avan-I cernent de son pays, au progrès des idées libérales. I Des 658 membres du parlement qui prit session le
- 15 février 1833, Gladstone est le seul qui, aujourd’hui encore, occupe un siégé dans cette assemblée. Comment dire, comment même résumer ce que ces | cinquante ans représentent de travail et d’œuvres
- I méritoires ? Le temps et lu place nous manquent pour retracer, même brièvement, la carrière politique de ce grand homme d’Etat. Raconter la vie de Gladstone, ce serait quasiment écrire l'histoire de l’Angleterre depuis un demi-siècle, car il n’y a guère dans toute cette période d’événement politique important auquel Gladstone n’ait été mêlé comme écrivain, comme orateur, comme député, comme ministre ou comme chef du cabinet.
- Cependant, ce n’est pas seulement comme homme d’Etat que Gladstone s’est élevé si haut et qu’il s’est acquis l'aff ction du peuple anglais. Toute sa vie a 1 été consacrée à faire du bien, à venir en aide aux indigents, à répandre parmi les populations des idées saines et généreuses. Il pourrait dire avec Térence :
- Ilomo sum, nil humant a me alienum puto
- Brochures, livres, revues, conférences, il a tout mis en œuvre pour enseigner aux masses l’amour du vrai, le goût,du beau, rattachement à la famille, la tendresse et les soins envers les enfants et les faibles. Tous les sujets lui sont familiers. En telle occasion il parle longuement sur la culture des fleurs ; une autre fois il conseille l’emploi d’une cuisine plus * économique et plus variée. Il n’est pas de matière qu’il ne juge digne de son attention, s’il peut y avoir a la traiter quelque utilité pour ses compatriotes.
- Aussi ne peut-on s’étonner que Gladstone soit aimé et admiré de tous et l’idole de la classe ou-vière. Le dernier anniversaire de sa naissance a été fêté dans presque toutes les villes par des banquets publics. A Chester, en particulier, les ouvriers avaient organisé un grand banquet à l’hôtel de ville. Gladstone, dont la maison de campagne est à Hawar-den, dans le nord du pays de Galles, à deux iieues d’ici, fut invité à ce banquet, mais il préféra passer ce jour-là au milieu de sa famille. Gladstone, en effet, s’ii aime passionnément son pays, adore sa femme et ses enfants, et il profite de toutes les occasions pour se reposer au milieu d’eux de ses travaux d’homme d’Etat.
- On appelle sa demeure le Château (The Castie) et certes elle mérite bien ce nom. C’est une immense villa dont l’architecture rappelle les habitations seigneuriales d’il y a deux ou trois siècles ; elle est entourée d’une vaste terrasse et de ces belles pelouses verdoyantes que l’on ne voit guère qu’en Angleterre. C’est sur cette terrasse que J’on aperçoit parfois se promener, à pas lents, les bras croisés, ce vieillard qui dirige les destinées d’un grand peuple. Il a le front large, ie nez grand, les traits fins quoique fortement prononcés, la physionomie énergique et sévère ; il est complètement rasé à l’exception de petits favoris ; il n’est pas encore chauve, mais ses cheveux deviennent rares et recouvrent à peine ce crâne qui recèle tant de grands desseins et de hautes pensées.
- La dernière fois que je fus à Hawarden, Gladstone était à Londres, aussi me fut-il permis de visiter toute la propriété, en compagnie d’un paysan de l’endroit. J’arrivai aussi, au moyen d’un escalier
- p.207 - vue 208/836
-
-
-
- 20S
- LE DEVOIR
- tournant, tout en haut d’une vieille tour crénelée, j dernier reste du château fort auquel a succédé i’ha- j bitation moderne Du haut de ce dernier vestige du I moyen âge, on a une vue magnifique du parc et des ! environs. Ce qui m’intéressait néanmoins le plus, I c'était d’entendre mon cicerone parler du maître du domaine. « Oh oui, Monsieur, disait-il, le Vieux (TheOldone— c’est ainsi que ies paysans du village appellent Gladstone) est bien aimé par ici ; il n’est pas fier et souvent il nous serre la main, cordialement, comme si nous étions de vielles connaissances Tous les dimanches, quand il est au château et non pas à la ville (c’est-à-dire à Londres), il vient à notre église et il lit — avant le sermon — de sa voix claire et forte des passages de la Bible. »
- Le parc est très ondulé, entrecoupé de sentiers et couvert de magnifiques arbres séculaires, les plus beaux que j’aie jamais vus. Ces arbres ne jouent pas g un rôle peu important dans la vie de notre premier 1 ministre. Gladstone, vieillard maigre et nerveux, a I conservé les habitudes de l’aristocratie anglaise ; il 1 sait par une longue expérience que ce q ue n’est par des f exercices corporels journaliers que l’on conserve la sauté du corps et la vigueur de 1 esprit. Non-seulement il est grand marcheur et fait souvent à p;ed la route de Chester à sa campagne, seul, et même de nuit, mais une de ses occupations favorites est d’abattre de ses mains, malgré son grand âge, les arbres de son domaine. Les députés du Sénat romain trouvèrent Cincirmatus à la charrue ; les ambassadeurs d’une nation étrangère qui se rendraient à Hawarden risqueraient de trouver Gladstone faisant le bûcheron. On raconte à ce sujet qu’un jour un voiturier, charriant des tonneaux, passait sur la grande route qui longe la propriété de Gladstone. Un des tonneaux ayant roulé à terre et le charretier voyant de l’autre côté de ia haie un homme en manches de chemise, âgé, mais vigoureux, qui était en train d’attaquer à coups de hache un arbre énorme, lui cria tout bonnement : « Hé, mon vieux, veux-tu venir m’aider à replacer cette barrique sur ma charrette ? » L’homme en manches de chemises eut bientôt franchi la haie et d’un coup d’épaule remis la barrique sur la charrette. « Merci, mon brave, dit le voiturier, viens maintenant boire une demi-cruche de bière au cabaret là-bas ! Le vieillard refusa en souriant. Ce « bonhomme » auquel on offrait un verre de bière n’était autre que le premier ministre de la Grande-Bretagne, celui qui depuis qu’il est revenu à la tète des affaires a d’un trait de plume rendu justice aux Boërs, contribué à faire restituer à ia Grèce une portion de son territoire, et, à force de ténacité, d’éloquence et d’habileté, fait voter en vue de pacifier l’Irlande des lois d’une telle hardiesse que l’on a pu justement les qualifier de révolutionnaires.
- Chester, janvier 1882.
- [Etats-Unis d'Europe) Edmond Gcegg.
- — -----— -—*
- Quelque temps après la publication des Contemporains, vers 1856, Victor Hugo se décida à faire empiète d’une maison à Bruxelles. Le choix de l’immeuble étant arrêté, tous les pourparlers achevés, un projet de vente fut dressé par le vendeur et soumis au poete.
- Le contrat débutait ainsi, selon la formule ordinaire : « Entre les soussignés vicomte Victor Hugo, etc., etc. »
- Victor Hugo interrompant tout à coup :
- — Effacez vicomte.
- — Comment, n’êtes-vous pas vicomte.
- — Je le fus, osais la révolution de 148 ayant aboli les titres de noblesse, je ne le suis plus.
- — 48 a aboli, c’est vrai, mais l'empire a rétabli.
- — Je ne reconnais rien de ce qu’a décrété l’empire.
- Effacez vicomte, ou il n’y a rien de fait.
- Le propriétaire perplexe ne savait trop comment sortir de ià ; il lui semblait que Victor Hugo tout seul ne suffisait pas à établir l’identité du contractant. .. Soudain, il pousse un cri de joie !... il avait trouvé le biais !
- — Si nous mettions, dit-il, si nous mettions « Victor Hugo, fils du comte Hugo. »
- — A la bonne heure ! fit le poète en riant, mon père a porté ce titre toute sa vie, je n’ai pas le droit de Ben déposséder.
- Et le contrat de vente porte en effet cette mention dernière.
- * *
- L’anecdote rappelle celle de Villette, fils adoptif de Voltaire :
- En novembre 89, bien avant le décret de l’Assemblée qui abolissait les titres de noblesse, le marquis de Villette avait protesté personnellement et par acte contre son titre.
- « Je ne suis ni haut, ni paissant, ni seigneur, dit-il à un tabellion qui, suivant l’usage, le saluait dans un acte de haut et puissant seigneur Je suis petit, faible, soldat de la garde nationale et je m’appelle Charles. »
- Et le tabellion dut rectifier.
- Exemples qu’on aime à remettre en lumière, mais qui de nos jours manquent encore peut-être un peu d’imitateurs.
- Gabriel Guillemot.
- L’Association r a mii IC'TÉ’QÜ1 de Guise
- du rlilfLId I tKb (Aisne) Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- Le Directeur-Qérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.208 - vue 209/836
-
-
-
- 6» ANNÉE, TOME 6 — NM 8 7
- "Le numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 9 AVRIL 1882.
- LEDEVOnT
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 îr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 41 fr.»»
- Autres pays Un an . . . .13 fr. 60
- ON S’ ABONNE A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S'adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- W* m
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de l’Association agricole deRalahine chap. IL — La Guerre et la civilisation. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère 3e partie 11. — Etudes anticatholiques : le Nouveau Testament. — Le Magnétisme. — La paix entre le travail et le capital. — Etat civil du Familistère. — Bibliographie.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- (1) Résumé traduit des documents
- de M. E.-T. Craig
- Secrétaire et administrateur de VAssociation par Marie MORET
- CHAPITRE II
- Misère des paysans en 1830
- En 1830, époque où se passent les faits que nous avons à relater, l’Irlande comptait environ sept millions et demie d’habitants.
- (1) Reproduction réservée.
- La culture du sol était l’unique base des moyens d’existence du peuple. Les compétitions ardentes et les sous-locations avaient porté le loyer du sol à un tel niveau que si le paysan parvenait à se procurer assez de pommes de terre pour éviter de ipourir de faim lui et sa famille, c’était tout ce qu’il pouvait espérer. Dans beaucoup de cas, la récolte apportée au marché passait tout entière aux mains des mandataires du maître, en paiement des redevances ; et l’esclave du sol retournait au foyer les mains vides.
- L’absence de la plupart des propriétaires était une cause d’aggravation de la misère. Généralement ces derniers passaient le temps et dépensaient leurs revenus à Londres ou sur le continent ; ce qui avait pour conséquence de priver l’Irlande de ses hommes de science, de notabilité, de capacité et de la dépouiller en même temps de toutes ses richesses. Aussi la population laborieuse abandonnée à elle-même était-elle en proie à un esprit de violence sauvage et irraisonnée. Ces pauvres gens étaient indignés de voir que le bétail et le grain produits par eux étaient consacrés à soutenir le luxe de ces gens qui résidaient à l’étranger et qui suçaient comme des vampires le sang et la chair du peuple.
- 1.500 propriétaires possédaient alors près de deux millions d’hectares et avaient leur principal domicile à Londres, à Paris ou dans quelque autre rendez-vous de la mode.
- 4.500 autres propriétaires détenaient environ deux millions cinq cents mille hectares et ne résidaient pas communément sur leurs terres, mais à Dublin.
- Certainement si quelque chose pouvait étonner en de telles circonstances, c’est moins l’indignation et le mécontentement du peuple que sa soumission.
- p.209 - vue 210/836
-
-
-
- 210
- LE DEVOIR
- Les Irlandais se plaignaient, non de ce que le sol fut improductif, mais de ce que le sol n’était point a eux.
- La tradition pariait toujours du temps passé où la terre était répartie, par les chefs, entre les diverses familles, où le sol était commun, où chacun vivait sur le champ qu’il cultivait.
- Les années n’avaient pas oblitéré la tendance à partager le sol entre les enfants d’une même famille ; mais les conditions de la propriété étaient changées et c’était maintenant au bénéfice des étrangers que le paysan s’épuisait de travail.
- Au sud et à l’ouest la récolte avait manqué. Pour comble de malheur de grands propriétaires commençaient à congédier leurs tenanciers et à ne plus faire cultiver qu’une partie de leurs biens.
- En outre, par suite du manque de confiance et de capitaux, les terres labourables étaient converties en pâturages, de sorte qu’un simple pâtre et un enfant remplaçaient vingt travailleurs et laboureurs.
- Les salaires avaient baissé partout. Le travailleur et sa famille en de telles conditions étaient condamnés au besoin et à l’inanition. La paix et l’ordre étaient impossibles.
- Le dénuement, le besoin, la misère se montraient de tous côtés ; pas le moindre espoir de secours efficace.
- Plus de 200,000 personnes dans l’ouest, plongées dans le dénuement,se trouvaient dans l’impossibilité absolue de se procurer l’indispensable.
- Une supplique fut adressée au Parlement et le chancelier de l’Echiquier proposa un vote de 50,000 1. (1,250,000 francs) pour occuper aux travaux des routes les malheureux affamés,
- En attendant, la famine avait livré à toutes les suggestions du désespoir la plupart de ces infortunés. Des milliers de gens ignorant à la fois les causes du mal et les remèdes à y appliquer, se coalisaient dans le vain espoir de trouver une atténuation à leurs maux, en jetant la terreur chez les grands propriétaires, chez leurs agents et au sein même du gouvernement.
- Ils ne voyaient la possibilité de soutenir leur existence que dans le crime, dans les voies sanglantes de la force, de la violence et du meurtre.
- L’hostilité entre le propriétaire, le fermier et le paysan devint bientôt manifeste ; elle prit un caractère alarmant et si dangereux que vers la fin de 1830 en décembre, le lord-lieutenant (marquis d’Angleterre) fut instamment sollicité par les magistrats de visiter le comté de Clare, pour aider à la répression des bandes armées qui perpétraient les illégalités et les violences les plus redoutables. C’étaitfrécon-
- naître en fait que les autorités locales bien qu’elles eussent à leur disposition la force armée, étaient hors d’état de maintenir la paix et de protéger l’existence ni les biens des riches détenteurs du sol.
- Les paysans affamés réclamaient hautement la propriété de la terre, le travail, la nourriture et l’on proposait de leur répondre par la force militaire, et de les réduire au silence par la poudre et le fusil.
- Les lois de coercition et d’armement, une force de 30,000 hommes de police armée et la plus grande partie de l’armée britannique pouvaient faire de l’Irlande une solitude, mais tout cela ne donnait ni la paix, ni l’ordre, ni le contentement.
- Tandis que dans un district le calme apparaissait en même temps que les soldats et la police, le mécontentement et la coalition des paysans affamés se faisaient jour sur d’autres points, et nombre de crimes atroces s’accomplissaient.
- La sécurité n’existait pas une seule nuit pour le magistrat actif, le propriétaire odieux, l’agent ou le régisseur. Les paysans marchaient en bandes à travers les districts du sud-ouest, demandant la réduction des fermages et une augmentation de salaires, lesquels n’étaient alors que de six pences (soixante centimes) par jour pour les travaux agricoles.
- Dans quelques districts, ils insistèrent pour que l’agriculture à la bêche fût le mode de labour adopté. Ailleurs, ils forcèrent les ouvriers à quitter leurs travaux et retirèrent les chevaux des charrues.
- Les outrages, les meurtres, les vols, les perquisitions pour s’emparer des armes étaient accomplis par des groupes de gens que la police n’était point en état de réprimer. Vainement avait-elle ses armes à feu et sa discipline militaire, elle ne pouvait tenir tête au mécontentement, à la violence, qui éclatait sur tant de points.
- La plupart des propriétaires, selon leur habitude en pareille occurence, étaient restés au loin ou avaient fui, épouvantés, laissant leurs maisons à la i garde de la police.
- A Carrieshaugh, en voulant s’opposer à l'effrae-tion d’un logis par une troupe de paysans cherchant des armes, la police avait eu cinq de ses agents tués. Les agresseurs eurent un certain nombre de morts et de blessés.
- Quelque temps après, ce fut contre la mise en pâture du sol que le peuple dirigea ses efforts, parce que cette mesure privait de travail les laboureurs.
- Les hommes et les femmes elles-mêmes, tous armés de leurs propres instruments de labour, en | plein jour, poussés par un désespoir sauvage, bou-1 leversèrent le sol des prairies, renversèrent les bar-•? rières des champs et chassèrent le bétail. Dans
- p.210 - vue 211/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 211
- beaucoup de cas, les animaux eurent les jarrets coupés ; on dut les abattre et les vendre.
- Dans une de ces expéditions un© bande de paysans était assemblée sur des pâturages ; un détachement de soldats accompagné d’un ou deux magistrats fît son apparition. Les paysans ne reculèrent pas. Lecture fut faite de la loi contre les émeutes. Les paysans répondirent qu’ils aimaient mieux être pendus que de mourir de faim par suite du manque de travail.
- C’était une scène cruelle. L’homme dépouillé du sol en face de celui qui en avait usurpé la possession. Un drame terrible semblait imminent quand on eût l’idée d’entrer en pourparlers. L’un des magistrats fît appel aux paysans, leur demandant de renoncer à ce genre de conduite et de chercher dans d’autres voies le remède à leurs maux.
- Vers ce temps, les prêtres catholiques formèrent d’eux-mêmes un comité dans le but de rétablir la paix, l’ordre et la tranquillité. Mais ils se reconnurent bientôt impuissants à empêcher les revendications populaires et à mettre un terme aux violences qui avaient été érigées en système.
- A la requête des magistrats le lord Lieutenant vint lui-même en mai se montrer dans le Comté de Clare, il était escorté de la force militaire et de l’artillerie, et accompagné de la magistrature. Une proclamation fut affichée sur le pont de Clare, informant le peuple qu’on était prêt à exterminer les paysans insurgés. Sa Seigneurie fut reçue avec une passive indifférence !
- Ces manifestations militaires ont un horrible aspect quand on les considère comme des remèdes sociaux.
- Les mauvais jours ne cessaient pas. La misère éclaircissait les rangs des pauvres.
- La proclamation de l’acte contre l’insurrection avait été régulièrement faite et quoique chacun fut enjoint de demeurer au logis une fois le soleil couché, les réunions nocturnes ne discontinuaient pas. Une commission spéciale jugea et condamna plusieurs de ces pauvres misérables accusés de meurtre, de vol d’armes, de bouleversement des prairies ou d’autres faits de violence. Mais à l’heure même où la commission siégeait, des visites de nuit étaient faites à domicile par les insurgés. Enfin les paysans commencèrent à prélever sur les petits fermiers des tributs en nature et s’attribuèrent bientôt un complet contrôle sur presque tout le Comté de Clare.
- Cet état de choses fut constaté peu après au Parlement, au cours de la discussion sur la loi de répression présentée par le Comte Grey.
- Ce dernier s’exprimait ainsi : « La situation de
- « l’Irlande est pire qu’elle n’a jamais été. Par des « signaux, au son des cloches d’Eglise, au bruit des « cors, au signal des feux, des troupes de gens se « rassemblent et leurs opérations, leur mouvement « sont dirigés de façon telle que jusqu’ici le peuple « défie tous les pouvoirs du Gouvernement et brave « les lois de répression.
- « Les perturbateurs fixent les conditions aux-« quelles les terres seront affermées, et quiconque « enfreint leurs ordres s’expose à voir ses propriétés « détruites et lui-même mis à mort.
- « Les mêmes insurgés décident quelles personnes « seront occupées et par qui ; ils empêchent les tra-« vailleurs de se mettre au service de certains pro-« priétaires odieux et obligent les propriétaires à ne « point donner d’ouvrage aux ouvriers qui ne « reconnaissent pas l’autorité des insurgés.
- « Ils sanctionnent leurs ordres par des actes de « cruauté et d’outrage, par la spoliation, le meurtre, « les attaques de maisons la nuit ; ils arrachent les « personnes du lit, les battent parfois jusqu’à ce « que mort s’en suive, ou leur infligent des traite-« ments presque aussi terribles que la mort.
- « De janvier à décembre 1832 on trouve en Irlande « l’effrayante statistique de crimes qui suit : homi-» cides 172 ; vols 465 ; délits 2,095 ; réunions illégales « 425 ; attentats contre les bestiaux 455 ; dépréda-« tions de propriétés 769 ; attaques dans les maisons « 763 ; incendies de maisons 280 ; coups et blessures « graves 3,156. »
- (A suivre.)
- LA GUERRE ET LA CIVILISATION
- Au moment où les législateurs s'occupent de préparer une nouvelle organisation du service militaire en France pour en réduire la durée à trois ans, il n’est point sans intérêt d’examiner la question au point de vue de son influence sur le travail, sur l’industrie et par conséquent sur le progrès social.
- La véritable politique du progrès, la seule conforme aux aspirations de la nature humaine est identique à la morale, et elle doit n’être par conséquent qu’une application des lois de la morale à la vie publique des peuples. C’est ce qui faisait dire à Kant à propos de la forme de gouvernement instituée par la Révolution française ;
- « Quand j’examine la nature de la Constitution républicaine, je trouve qu’outre la pureté de son S origine qui se confond avec l’idée même du droit, | elle est la seule qui puisse nous faire espérer une * pacification permanente. »
- p.211 - vue 212/836
-
-
-
- 212
- LE DEVOIR
- La loi morale du progrès, de même que sa loi physique, s’impose fatalement à tout et à tous, et, bon gré malgré tout lui obéit dans l’univers. Son action peut être plus ou moins ralentie ou accélérée suivant le milieu auquel elle s’applique, mais elle s’exerce nécessairement et à coup sûr. C’est pour cela que nous avons vu la réforme surgir au moment où les abus de la théocratie étaient à leur comble, la Révolution française détruire les absurdes errements des monarchies absolues, et le droit des nations s’affirmer hautement chez presque tous les peuples. C’est ainsi qu’aujourd’hui en Europe, à part une ou deux exceptions,l’astorité royale est devenue purement constitutionnelle et subordonnée aux lois votées par le pays, au lieu d’autocratique et sans contrôle qu’elle était autrefois. Bien mieux encore, chez les peuples les plus civilisé;, cette forme de gouvernement elle-même a disparu, pour céder complètement la place à la souveraineté réelle, légitime, la seule d’origine divine, la souveraineté du peuple s’exerçant par le suffrage universel.
- Cette forme de gouvernement est la seule conforme à la loi morale de l’humanité, et, en ne laissant aucun accès aux ambitions malsaines des grands, qui ne rêvent que conquêtes et accroissement de territoire et d’autorité, elle est la plus favorable à l’ordre et au progrès, et la plus compatible avec le maintien constant de la paix. Cela est si vrai, que si la République française n’avait point des voisins encore courbés sous le joug monarchique, entretenant à grands frais des armées permanentes nombreuses au service des convoitises des princes,contre lesquels ellecroit devoir se tenir en garde,elle n'aurait pas besoin d’autre force militaire que celle nécessaire au maintien de l’ordre et au respect de la loi tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La République des Etats-Unis d’Amérique qui compte 50 millions de citoyens n’a besoin que d’une armée de 30.000 hommes pour défendre ses immenses frontières contre les attaques des indiens.
- Cet incontestable progrès réalisé dans les institutions politiques de l’Europeenappelie nécessairement un autre dont il est à coup sùr la préparation. Ce progrès qui doit fatalement s’accomplir dans un temps donné plus ou moins rapproché, c’est la réforme des institutions sociales qui s'impose elle aussi impérieusement aux nations. Cette réforme, qui n'est plus aujourd’hui à l’état du problème, s’accomplira à son tour, malgré les résistances que lui pourront opposer l’ignorance des uns et >le mauvais vouloir égoïste des autres, mais pour cela, il faut que la paix soit définitivement et irrévocablement assurée.
- Les peuples commencent à en avoir conscience, et c’est pour cela que depuis quelques années nous assistons à ce curieux et consolant spectacle d’un revirement absolu dans les idées de la nation peut-être la plus chauvine du monde, la nation française. Autant il y a cinquante ans l’idée d’une guerre était aceueillie comme une nécessité par un grand nombre, nous pourrions presque dire par la majorité des français, autant aujourd’hui cette idée leur répugne et les émeut en sens contraire. Béranger, Thiers, tous ces apologistes conscients ou inconscients du régime impérial qui a tant fait de mal au pays, n’éveilleraient plus aujourd’hui dans les cœurs l’écho sympathique que leurs œuvres provoquèrent à cette époque. Aux fausses gloires de la guerre, au clinquant sans valeur des triomphes ensanglantés des conquérants, le peuple sait maintenant préférer l’or pur de la prospérité, fille du travail et de la paix, et ce ne sont plus les lauriers des Césars qu’il admire, mais plutôt les glorieuses palmes de la science appliquée à l’industrie. Les conquêtes éphémères de Napoléon ne sont plus rien pour lui, comparées aux conquêtes impérissable de Jacquart, d’Edison, et autres inventeurs utiles à l’humanité.
- Cet amour de la paix grandira encore et se propagera, gagnant peu à peu d’un peuple à l’autre, et un jour viendra où toutes les nations en seront animées comme la France, si ce jour heureux n’est point déjà venu. Or, plus nous allons, et plus les gouvernements se voient contraints de suivre l’opinion publique, car ils n’ont plus la force nécessaire pour pouvoir lutter contre elle. C’est un torrent dont il est impossible d’arrêter le cours, et qui brise tous les obstacles qu’on veut lui opposer. La paix s’imposera donc comme une nécessité de gouvernement, exactement comme le respect de la légalité et la bonne administration des finances.
- En effet, le plus grand ennemi de la civilisation et du progrès c’est la guerre, car non-seulement elle arrête violemment tout travail, mais encore elle en détruit les produits sans compensation d’aucune sorte. En honneur sous le principe d’autorité dont elle est un des éléments indispensables, elle est sans raison d’être sous le principe de liberté seul favorable au progrès. Si le moyen-âge est considéré à bon droit comme une période ténébreuse et presque barbare, c’est parce que le principe d’autorité prédominant partout étouffait dans leur germe toutes les aspirations de l’humanité vers la civilisation, et plaçait en tous lieux la force au-dessus du droit.
- Sous ce régime d’autorité, la guerre, instrument de barbarie, est en honneur, et la carrière militaire est considérée comme la plus noble de toutes. C’est
- p.212 - vue 213/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 213
- ja guer-re qui fait d’un soldat heureux un seigneur, Uû puissant, un roi. C’est le plus fort qui commande, c’est la force qui fait partout la loi, exactement comme chez les peuplades sauvages. La guerre est le dernier mot des princes dont le pouvoir n’a point d’autre fondement qu’elle. Leur grandeur, leur gloire, c’est la conquête, c’est-à-dire le meurtre, le pillage, le vol, l’immoralité la plus éhontée marchant de pair avec l’impitoyable cruauté C’est la dévastation suivant partout les armées, la destruction, le néant à la place de l’être, la stérilité au lieu de la fécondité, la misère substituée à l’abondance (1).
- Avec un pareil système point de progrès, point de civilisation possible. Aussi, depuis le vaste écroulement du régime despotique en 1789, le principe d’autorité n'a-t-il plus qu’une existence languissante et chétive, comme celle du malade condamné par la faculté dont les heures sont désormais comptées. II a déjà cédé la place chez une foule de peuples, au principe de liberté, et peu à peu il disparaîtra de partout comme le reptile qui s’enfuit en entendant le pas de l’homme. L’Eglise, un des appuis les plus fermes de ce fatal principe, se meurt comme la royauté, et bientôt l'une et l’autre passées à l’état de sombre souvenir n’existeront plus pour le bonheur des peuples que dans les pages de l’histoire.
- Si la monarchie, personnification pour ainsi dire du principe d’autorité, vit par la guerre et de la guerre, la République, représentation lumineuse du principe de liberté, se développe et grandit dans la paix. Si l’une ne produit que des ruines, l’autre édifie solidement au contraire, et comme Dieu elle crée sans cesse. La première aime le statu quo dont elle profite seule, la seconde, impersonnelle, n’aspire qu’au progrès avantageux pour tous. Pour l’une le soldat est l’aide le plus choyé, pour l’autre c’est le travailleur. L’une sème la barbarie, l’autre répand la civilisation.
- Donc, tant que la guerre sera possible quelque part, l’œuvre de la civilisation sera toujours exposée à des temps d’arrêt plus ou moins désastreux, et le travail du progrès exige absolument la sécurité. Il est donc indispensable, pour que l’humanité puisse accomplir sa loi morale du progrès, que la guerre disparaisse entièrement, et que le règne de la paix seit enfin inauguré efficacement dans le monde. Déjà la guerre purement de conquête est devenue à peu
- (1) Voici la façon concise dont un journal turc expose les résultats de l’expédition française à Tunis :
- Gloire et civilisation
- Pour la France.
- Gloire. . . ci. Typhus, Dyssenterie.
- Pour les Arabes.
- Civilisation . ci. Famines, Massacres.
- Total général. . Mort et misère.
- près impossible aujourd’hui; c’est un premier pas, bien petit assurément, mais c’en est un, pourquoi n’a-t-il point été suivi des autres? Parce que le principe d’autorité, tout expirant qu’il est, subsiste encore dans deux grandes contrées de l’Europe, et que ces deux pays n’ont point encore su s’en affranchir et proclamer chez eux la liberté. Et c’est ainsi que vingt peuples en marche peuvent être arrêtés par deux peuples-bornes. S’il existe dans la création des aigles qui peuvent fixer crânement le soleil sans sourciller, n’y a-t-il point aussi des chauve-souris et des hiboux qui redoutent la lumière et ne peuvent vivre que dans les ténèbres?
- Cet état de choses ne se prolongera pas éternellement. La liberté est comme le soleil, loin duquel tout s’étiole et se fane, et dont la présence est indispensable à la vie des êtres sur la terre. On peut, loin de lui, vivre encore quelque temps, ou plutôt végéter tristement; mais lorsqu’on sent les premières atteintes de la mort,on se secoue,on fait un effort suprême et on marche vers l’astre vivifiant dont la chaleur ranime le corps et lui rend la vigueur et la force. Il en est de même de la liberté pour les peuples. Ceux sur lesquels elle rayonne vivent à l’aise et respirent à pleins poumons un air pur et sain qui circule à pleins flots dans une atmosphère radieuse, tandis que les infortunés qui en sont privés languissent et traînent péniblement des jours décolorés dans une atmosphère viciée. Vienne la souffrance qui en doit être la conséquence,et le sentiment de la douleur réveillera chez ces derniers le besoin de vivre, et ils s’élanceront à leur tour vers la liberté qui réchauffera leurs âmes et leur rendra l’énergie.
- Ce jour là l’humanité sera bien près de voir se réaliser une de ses plus ardentes aspirations : l’abolition de la guerre, obstacle à toute civilisation, et l’avènement définitif de la paix, source féconde de tous les progrès. Avec elle, l’agriculture à qui les armées permanentes, ce vestige barbare dos siècles ténébreux, enlève tous les ans ses meilleurs bras, l’agriculture refleurira, couvrant le pays de riches cultures et d’abondantes moissons, l’industrie se développera, aidant de toutes ses forces à l’accomplissement de la la loi de vie, les sciences et les arts prendront un nouvel essor vers cet idéal pressenti qui n’est autre que la perfection morale, but suprême de l’existence humaine. Sous toutes ces formes, le travail régnera partout sur la terre et substituera ses inappréciables et fertiles conquêtes aux conquêtes désastreuses de la guerre.
- ----«<3W>)BS>»'—.
- p.213 - vue 214/836
-
-
-
- 214
- LE DEVOIR
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Rfotestatlon contre la loi d’enseig'ne-ment, — Une résistance énergique s’organise parmi les cléricaux contre la loi sur l’enseignement oblgatoire et laïque. Il fallait s’y attendre. Ce n’est jamais impunément qu’on touche à cette chose sacrée et si délicate qui se nomme la conscience en matière de foi. Comment se manifestera cette opposition? C’est ce qu’il est difficile de déterminer. La loi est votée et promulguée. Tout annonce que le gouvernement est résolu à la faire exécuter par tous les moyens dont il dispose. Il ne reste guère, dans l’ordre légal, à ceux qui la repoussent comme une violation de la liberté religieuse, qu’à organiser des écoles confessionnelles pour y attirer les enfants qu’ils veillent soustraire à l’enseignement exclusivement laïque. Quoi qu’il en soit, nous devons signaler aujourd’hui comme un symptôme sérieux de l’agitation qui se prépare, la protestation suivante qui émane d’un grand nombre de députés de la droite :
- Les membres soussignés de la Chambre des députés, regrettant de n’avoir pas eu l’occasion de renouveler les protestations déjà faites dans la précédente législature. et s’associant aux sentiments qui viennent d’être si noblement exprimés au Sénat, regardent comme un devoir de faire devant le pays au nom des populations dont ils ont reçu mandat de défendre les intérêts, la déclaration suivante :
- 1° Ils déclarent que la loi du 28 mars* sur renseignement primaire obligatoire et laïque, est contraire à la liberté religieuse et aux droits des pères de familles, blessante pour la dignité des citoyens français et de nature à amener des conséquences funestes pour l’avenir du pays.
- 2° Ils pensent que tous les bons citoyens devront unir leurs efforts pour conjurer les résultats déplorables d’une loi qui, dans un pays chrétien, sépare complète-ment l’instruction de l’éducation religieuse.
- 3° En conséquence, ils estiment qu’en déclarant s’il entend faire donner à son enfant l’instruction dans une école publique, tout père de famille devra demander en même temps que l’enfant reçoive à Fécole l’instruction et l’éducation religieuse.
- 4° Ils rappellent que si îe crucifix et les autres emblèmes religieux venaient à être enlevés de l’école, ce serait le devoir des habitants de la commune de réclamer énergiquement pour qu’ils y fussent replacés afin à’assurer le respect dû à la foi des populations.
- 5° Ils ont trop de confiance dans les sentiments d’honneur et de légitime fierté qui animent leurs concitoyens pour ne pas penser qu’aucune intimidation, ni aucune vexation, ne les ferait reculer devant l’accomplissement du devoir, dans le cas où il serait donné à l’école un enseignement qui pourrait blesser la ffoi des enfants, et ils s’engagent à prêter leur appüi à toute défense légitime contre l’arbitraire et l’oppression.
- 6° Ils se réservent, d’ailleurs, de demander en temps utile l’abrogation d’une loi qu’ils considèrent comme nn malheur pour la France.
- 4 4
- Ocmg'-rôs anticlérical. — L’Union démocratique de propagande anticléricale a ouvert salle du Grand-Orient, rue Cadet, un eongrès dont le but est de rechercher les moyens d’arriver à la dénonciation du Concordat et la suppression du budget des cultes.
- Cette Union a été fondée, il y a quelgues années ; son titre dit suffisamment dans quelle intention. M. Victor Schœlcher, sénateur, est le président du ; comité qui la dirige et, dans ce même comité, figurent une quinzaine de députés, parmi lesquels MM. Paul Bert, Allain-Targé Lockroy, Naquet, Révillon, Barodet, Jules Roche. Il y a de plus un comité d’honneur, dont les trois présidents sont MM. Victor Hugo, Garibaldi et Louis Blanc.
- Deux cents délégués y assistaient à l’ouverture M. Beauquier du Doubs, présidait, assisté de Mlle Maria Deraismes, de MM. Cattiaux et Morin.
- On a décidé que le congrès se partagerait en deux commissions : l’une consacrée à l’exameü dés moyens propres à amener l’abrogation du Concordat et la suppression du budget des cultes ; l’autre à l’examen de la question des Congrégations religieuses et de la liberté d’association. Le congrès est partagé sur ce point en deux camps : les uns tiennent pour la liberté d’association absolue, les autres veulent la restreindre aux associations civiles.
- Une discussion s’est engagée sur les questions soumises au congrès. M. Morin, ancien conseiller municipal de Paris et vice-président de l’Union anticléricale, a exposé ce qu’il appelle un projet de transaction.
- Il faut abroger le Concordat et supprimer le budget des cultes, mais à son avis, il ne faut pas agir trop brusquement, il faut ménager le sentiment des populations.
- M. Morin propose donc la transaction suivante : lé budget des cultes continuerait à être voté. La somme nécessaire aux frais du culte, évaluée d’une façon approximative, serait mise à la disposition des communes et celles-ci l’emploieraient à leur gré : à la religion, si la majorité de la population l’exige, et à d’autres dépenses dans le cas contraire.
- Divers orateurs se sont fait applaudir en combattant le projet de M. Morin et en réclamant la séparation de l’Eglise et de l’Etat pure et simple. Un pasteur protestant, M. Hirsch, a déclaré que, s’il est partisan de cette séparation, il condamne toute violence qui serait faite pour attenter à la conscience religieuse des citoyens.
- MM. Renot et Fournier ont combattu avec énergie les observations présentées par ce pasteur. « Nous ne voulons pas plus de protestantisme que de catholicisme, ni que de toute autre religion car elles ont toutes le même but : l’asservissement de la conscience humaine. »
- Relevant une argumentation présentée par le pasteur protestant, M. Fournier a dit que si les protestants, se font humbles, c’est pour tromper plus facilement l’opinion publique et arriver à la puissance. Qr, si jamais ils y arrivaient, ils seraient plus à redouter que les catholiques, car ils ont le fanatisme de leurs croyances.
- Hier, la clôture de la discussion a été prononcée.
- ILa situation, en Europe. — La surface de l’Europe est calme, mais les profondeurs sont incessamment agitées par des courants contraires et violents ; la paix ne se maintient que par .l’heureuse impossibilité de faire la guerre.
- Pendant que dans son ehâteau-fort de Gatcbina Alexandre III, célèbre par nn toast retentissant le 85® anniversaire de la naissance dé l’empéreür Guillaume, « son fidèle allié, son meilleur ami ». et boit à la paix inaltérable, Skobeleff, qui est loin d’être en disgrâce, i répète un peu plus secrètement à Gracovin, dans un ban-] quet que lui offrent les officiers russes, son serment de l haine à l’Allemagne et aux Allemands, Comédie ou ! anarchie?
- j A Berlin, Guillaume se livre aux effusions pacifiques i d’un mysticisme sénile, mais Bismarck hâte à sa ma-! nière, c’est-à-dire par la violence, la germanisation des ; polonais que la Prusse tient sous sa main, il achève, il | complète la ceinture des places-fortes qui défendent la | frontière de l’est pendant que M. de Moltke lève par jj ses espions le plan des forteresses françaises, et prépare i lui-même contre la Russie le plan d’une formidable | invasion.
- | L’Autriche, la Serbie, la Bulgarie, la Turquie, nouvelle alliée de Bismarck,étudient en commun le raccordement et l’exDloitation de leurs chemins de fer, chacune dissimulant une pensée stratégique mal enveloppée de prétextes commerciaux.
- Les Allemands qui habitent la Hongrie refusent le joug que tâche de leur faire accepter l’Association allemande scolaire de Berlin ; ceux-là se dégermanisent.
- p.214 - vue 215/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 215
- ANGLETERRE
- jVi. Gladstone pose la question de cabinet sur le vote ou lé rejet du bill par lequel il demande au parlement d’introduire dans son règlement l’usage delà clôture inconnu jusqu’ici en Angleterre, Il aura, nous l’espê*-rons, la majorité. Les tribunaux spéciaux institués en Irlande pour appliquer la loi agraire ne peuvent suffire à leur besogne, on augmente le nombre des juges. — Un Anglais s’est fait céder, il y a plusieurs années, pour 200,000 francs, par deux petits sultans, une portion considérable de Bornéo. Celte île, la plus vaste du globe, avec le territoire, les habitants, possède encore les droits les plus absolus, notamment lô droit de l’esclavage. Ce potentat, ou si l’on aime mieux, ce gentleman a très prudemment sollicité du gouverneur anglais une charte qui reconnaît son établissement et lui assuré la protection britannique sous la condition formelle de l’abolition de l’esclavage. Ce préliminaire mène tout droit à une annexion, personne n'en doute, et M. Gladstone, interpellé sur ce point, ne s’en défend pas* Mais l'Espagne d’une part, la Hollande de l’autre, prétendent aussi avoir des droits sur Bornéo, et font mine de protester. Protestez, braves gens, protestez, mais ne tuez point Yersez l’encre, .épargnez le sang. Faites valoir vos droits devant des arbitres, et non par la guerre. A la Chambre des pairs, lord Shaftesbury et l’évêque de Londres qui, certes, ne sont pas athées, se sont élevés avec tant de force Contre la proposition de lord Resdale qui prétendait imposer à tout membre du parlement une déclaration de déisme, que l’auteur de la motion l'a retirée honteusement,
- *
- JL’émigrx’a.tion allexn.æmd.e, — Le Journal des
- Débats publiait il y a quelque temps une lettre d’Amsterdam où il est question des émigrants allemands et des causes qui les entraînent de l’autre côté de l’Atlantique :
- « J’ai tenu à me renseigner auprès des émigrants eux-mêmes ; j’ai questionné bon nombre d’entre eux ; tous ont allégué la guerre, selon eux certaine et à bref délai, entre l’Allemagne et la France, la lourdeur des charges militaires. Quelques-uns ont mis en avant la difficulté de trouver du travail et la modicité des salaires dans uù pays livré à l’empirisme économique. Ceux-ci, et les plus intelligents, se sont plaints de l’incertitude causée par la politique tant intérieure qu’extérieure du grand chancelier qui, ayant concentré entre ses mains tous les pouvoirs, s’imagine avoir toutes les aptitudes, et dont la volonté est sans contrôle. » ***
- H*e canal tie jPaïa&'mss.. — Les Etats-Unis de Colombie vienneht d’inviter le gouvernement de Bogota à dénoncer lô traité passé en 184G avec les Etats-Unis d’Amérique et à proposer à toutes les républiques américaines un nouveau traité qui garantisse la liberté et l’inviolabilité du canal de Panama. C’est très bien, mais ce n’est pas assez, les républiques américaines ne doivent pas être seules à signer cette Convention. Ce traité doit avoir pour adhérents et pour signataires, grandes et petites, toutes les nations civilisées l’Angleterre, la France, l’Àllêmagnê et l’Italie en tète.
- «ITALIE
- L'Âwnti annonce qu’à Pianura, près de Naples, le peuple malheureux; â envahi le loéâl municipal et brûlé les archives.
- A Messine,, le peuple a mis bas l’enseigne municipale êt brisé les réverbères. Ou la iignô droite ou là révolution, dit YUnionë Deniooratica pour le peuple de Messine qui, comme on le voit, se charge de tenir parole.
- À PatniàndVa le peuple s’est soulevé aux cris de « Nous voulons du pain 1 Nous voulons de l’outrage ! »
- Les agences officielles télégraphient bien que « l’ordre est rétabli », ce sont pourtant des symptômes graves.
- A Filetto, deux gendarmes imprudents ont été tués dans une réunion républicaine composée rie plus de 600 personnes; Fun des gendarmes aurait été le provocateur, invité à quitter là réunion, mais pris de vin, il aurait alors crié à son camarade pendant qu'il armait son fusil de la baïonnette : feu, feu ! Il est procédé à de nombreuses arrestations.
- La faute nous semble, ici, femoüter au gduvêfnèment responsable d’instructions qui permettent à dés militaires armés d'intervenir en de semblables réunions.
- Garibaldi fait du Pausilippe à Palermé uu voyage triomphal; il revoit les villes qu'il affranchit, les provinces qu’il délivra, il repasse par cette merveilleuse épopée des Mille dont le prix fut l'unité italienne. Les gares se pavoisent et s’illuminent, les populations accourent, se précipitent, s'attachent à son wagon. Cinquante mille hommes et femmes l’attendaient à. Messine, partout l'ivresse de l’enthousiasme. Sa présence, soa autorité, sa parole enlèveront à cette périlleuse commémoration des Vêpres tout caractère haineux. Lui qui a doühé son sang pour l’Italie et pour la Franco, lui qu'ont frappé tour à tour les balles des Italiens royaux et les balles des impériaux français, il va, au milieu des bénédictions populaires, rayonnant de gloire et d'humanité, glorifier, au nota de toutes les démocraties, l’union des peuples contre toutes les tyrannies.
- *
- Tronbïest en Esspagfas©» — Dô graves événements se passent en Espagne. A Barcelone, malgré trois proclamations du gouvernement civil, les industriels ont fermé leurs ateliers pour protester contre le traité français, et cent mille ouvriers sans travail sont descendus dans la rue; les baraques de l’octroi ont été brûlées. Il y a eu enfin des conflits avec la police.
- Cinquante- arrestations ont été opérées le 29.
- La soirée et la nuit du 30 ont été calmes ; le matin, l’aspect de Barcelone était lugubre avec ses fabriques et ses magasins fermés, ses rues envahies par une foule nombreuse, ses faubourgs agités, les ouvriers poussant des cris, attaquant les magasins et se ruant sur les Octrois. Des employés de l’octroi ayant été blessés, la garde civile a répondu pàr une décharge et a dispersé les mutins. Les patrouilles de police et de gendarmerie ont refoulé les ouvriers. Les gares de chemins de fer ont été menâcées et ont dû être occupées par les troupes, qui ont repoussé les ouvriers, Ceux-ci sont excités par les agitateurs et par l’Internationale, qui possède des juntes à Barcelone, à Madrid et à Xérès.
- Des cris de Vive la République fédérale ! ont été poussés.
- Par ordre télégraphique du ministre de la guerre, le général Blanco & disposé 6,000 hommes dans les postes et les casernes de Barcelone.
- La CorrespondetiGia raconte que les représentants catalans, dans une longue conférence avec les ministres, ont proposé de conjurer la crise en prorogeant le traité actuel avec la France et en stipulant la possibilité de lé dénoncer de nouveau au bout d’un an au lieu de dix ahs. La gravité du conflit résulte de l’attitude des industriels et de la bourgeoisie. Non seulement à Barce-> lone, mais dans plusieurs grandes villes de Catalogne* on a fermé les fabriques et les magasins, et une résistance passive se révèle dans les autres provinces.
- La Catalogne est mise en état de siège.
- La tranquillité reparaît,
- On anhdhèë que diversés manufacturés Ont été rouvertes.
- RUSSIE
- Le Golos du 28 mars publie une lettre d’Odessa qui annonce nue la première colonne de volontaires allant au secours dé leurs frères slaves eh Boshié, et principale meut composée à’Herzôgovinlensj doit partir d’Odessa
- p.215 - vue 216/836
-
-
-
- 216
- LE DEVOIR
- le 1er avril, sous la conduite du colonel Ivanovic et du commandant Aldieff. Ces volontaires ont reçu les fonds nécessaires aux dépenses de leur voyage. Les membres du comité slavophile d’Odessa font des efforts inouïs pour recueillir des souscriptions en faveur des Bosniaques et de» Herzégoviniens qui ont quité leurs foyers.
- «
- * «
- Canot bttaqué par* un espadon. — Un
- fait des plus extraordinaires a eu lieu le 18 du mois dernier, vers les deux heures de l’après-midi, à environ 1,500 mètres au large delà baie de Tamanard, lieu d’embarquement des minerais d’Aïn-Sedma, dans la province de Constantine.
- Le chef de port avait commandé à un de ses matelots d’armer un petit canot pour aller se rendre compte des marques de mouillages des grands bateaux.
- Un citoyen avait témoigné le désir de l’accompagner, et ils partirent ainsi tous les trois.
- Après l’inspection des marques de mouillage, ils allaient retourner à terre, lorsque le chef du port vit un énorme remous, sur l’eau qu’il fit remarquer à ses camarades.
- Tout à coup un énorme espadon d’environ 5 mètres de long, enleva le canot à plusieurs mètres au-dessus de l’eau, le bateau chavira : les trois hommes furent précipités à la mer : le chef du port seul savait nager.
- Us restèrent plus de trois quarts d’heure dans cette situation et cramponnée au canot.
- Le chef du port voyait diminuer les forces de ses deux compagnons d’infortune, et s’efforçait de ranimer leur courage 4 II fit un effort pour aller à terre et appela, à grands cris, un indigène qui se trouvait sur le rivage.
- Cet indigène alla chercher du secours ; pendant ce temps, le chef du port, déchirant ses vêtements, abandonna le canot pour aller à terre, bien que la distance fût très grande et que ses forces fussent épuisées.
- Enfin, ces malheureux aperçurent le mât de la tafa-relle qui les cherchait ; ils furent recueillis à bord dans un état complet d’épuisement et de faiblesse.
- Le canot portait les traces de l’attaque furieuse de l’énorme animal : il avait un bordage crevé. Ces braves gens l’ont échappé belle et ont dû leur salut à l’énergie du chef de port.
- AMÉRIQUE
- Il vient de mourir dans une petite ville de l’Ouest américain, une doctoresse et chirurgienne, mistress Austin, dont l’exemple prouve que l’exercice d’une profession libérale n’est point un obstacle à l’accomplissement des devoirs de la famille.
- Mistress Austin n’a pas donné moins de 44 enfants à son époux, pendant 33 années d’une union sans nuage. Six fois cette féconde mère de famille a mis au monde des jumeaux et trois fois elle a eu des grossesses de trois enfants.
- Pendant la guerre de sécession, Mme Austin a suivi son mari comme chirurgienne du régiment qu’il commandait. Elle ne craignait pas de soigner les blessés fédéraux sous le feu de l’ennemi, à tel point qu’elle perdit un œil et reçut deux blessures au bras. Le gouvernement de l’Union conféra à cette courageuse femme le grade et la solde de capitaine. Elle a exercé sa carrière médicale jusqu’à sa mort.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE II
- Nous avons dit que dans la pensée du fondateur du Familistère la création de la salle de spectacle
- devait multiplier pour les habitants du palais social les occasions de se réunir, de se voir et de resserrer de plus en plus les liens de bonne confraternité et de solidarité, qui doivent toujours unir les membres d’une même famille, pour ainsi dire. Dans une création comme celle du Familistère, en effet, où tous 'es habitants ont des intérêts communs, des habitudes, des exigences communes, une existence commune, en un mot,n’est-il pas indispensable que la fraternité, la cordialité régnent parmi eux et dirigent constamment leurs rapports.
- Cette salle de spectacle pouvait donc être un élément important d’union et de concorde ; elle permettait à chacun de provoquer des réunions dans un but utile à tous, ou même dans une simple pensée de distraction. 11 y avait là un champ ouvert aux bonnes volontés, pour l’instruction, la récréation, ou de simples relations avec leurs collègues, et c’était par conséquent une excellente institution. A-t-elle porté tous ses fruits; il faut bien confesser que non; et à cela nous croyons voir une cause. C’est le défaut d initiative que nous remarquons en général parmi les travailleurs, et plus particulièrement parmi ceux du Familistère. Soit que cet état de liberté dans lequel ils vivent, ils n’aient pas encore eu le temps de s’y habituer, soit que le tempérament quelque peu froid de ces hommes n’ait point les ardeurs qui produisent l’initiative, soit enfin qu’ils n’aient point encore compris leur rôle, cette qualité souvent précieuse paraît leur faire défaut, à moins que pour eux ce milieu en apparence, si propice, ne leur semble point favorable. Il faut souvent si peu de chose pour refroidir un élan, pour étouffer une inspiration, qu’il serait bien imprudent de se prononcer d’une manière absolue.
- Mon dieu, lecteur, ne vous est-il point arrivé d’assister aux débuts d’un acteur, d’un prédicateur, d’un orateur quelconque ? Nous nous souvenons d’avoir connu un élève d’un séminaire, dans le midi, garçon capable, appartenant à une famille de bonne bourgeoisie et ayant l’habitude du monde, de l’aplomb, en un mot se présentant bien. Une fois ordonné prêtre, sentant en lui des dispositions pour la chaire, il se fit prédicateur, et il avait toutes les qualités nécessaires pour bien remplir ce rôle. Appelé à prêcher pour la première fois dans une Eglise de sa ville natale, il monte en chaire; il récite le texte des livres saints qui servait d’épigraphe à son sermon, et puis......il reste court sans pouvoir pro-
- noncer une parole... Vainement il cherche à rappeler ses esprits, un travail terrible s’opère dans son cerveau et la sueur coule abondante de son front mais tous ses efforts sont inutiles, et il est obligé de
- p.216 - vue 217/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 217
- descendre de chaire sans avoir proféré un mot. C’était pourtant un orateur, et il l’a largement prouvé depuis. Mais sans doute le milieu ne lui était pas favorable ou quelque influence inexplicable avait paralysé ses
- facultés.
- Il arrive souvent par contre, que l’orateur improvisant est singulièrement aidé par son auditoire, et pas un homme ayant eu à parler en public n’a manqué de constater ce phénomène. Il y a comme une sorte de magnétisme qui s’établit entre eux, et qui fait que l’orateur lit, pour ainsi dire, dans la pensée de ses auditeurs le texte même de son discours.
- Eh bien cette influence du milieu dans lequel on se meut peut contribuer de même à développer ou à atrophier une faculté, suivant les cas, chez les individus. Est-ce à une cause de ce genre qu’il faut attribuer ce défaut d’initiative que nous signalons? Peut-être; mais nous pensons que le milieu est excellent pour développer la faculté lorsqu’elle existe, quoiqu’impuissant à la créer si elle n’existe pas. Or, nous craignons fort que ce ne soit le cas ici.
- Quoiqu’il en soit, il y avait un moyen naturel indiqué pour utiliser dans un but d’enseignement le théâtre du Familistère, en y faisant jouer de temps en temps par les élèves de ses écoles des œuvres dramatiques à leur portée, ce qui aurait eu pour résultat de leur apprendre à avoir de la tenue, de l’aplomb, du sentiment, et une diction plus pure et plus correcte. Cela eût été naturel, sans doute, et utile, mais ici-bas l’on n’est point toujours libre de faire ce qui est naturel et utile. Ainsi que le rappelait avec tant de verve dans une conférence récente le sympathique Henri de Lapommeraye, l’Eglise, qui dans les temps troublés et farouches du moyen-âge trouvait bon d’exercer une action consolatrice sur les faibles et les petits à l’aide des mystères pleins de poésie naïve qu’elle faisait représenter dans le sanctuaire même de nos vieilles basiliques, l’Eglise, dont les progrès de la scène firent plus tard abandonner les offices, les drames religieux ne se jouant plus dans les édifices consacrés au culte, trouva mauvais chez les autres ces distractions dont elle avait jusque-là tiré profit, et elle lança l’anathème contre la concurrence redoutable de la maison qui
- n’était plus...au coin de l’autel.
- Tel fut le point de départ de la campagne entreprise depuis plusieurs siècles contre le théâtre, par un clergé qui l’avait jadis exploité lui-même avec succès. Et pourtant le théâtre est un moyen puissant d’éducation populaire et il n’est point d’école de devoir, de nobles sentiments et de patriotisme plus saisissante et plus propre à impressionner les cœurs et à inculquer par conséquent dans les esprits l’a-
- I raour du bien, du beau et du vrai. Mais pour le clergé qui a de tous temps spéculé sur l’ignorance et la grossièreté d’instmcts des masses, dont il vit et qu’il exploite dans la mesure la plus étendue possible, l’instruction populaire est un danger terrible qu’il redoute par dessus tout.
- Aussi, tout puissant sous certains rois bigots où cherchant à se ménager son concours, réussit-il à faire introduire dans la loi encore en vigueur sur les écoles, une interdiction formelle d’y jouer des pièces de théâtre, disposition tellement absurde et ridicule, qu’il n’est peut-être pas deux institutions d’éducation, à Paris ou dans les villes, où l’on ne donne quelque représentation de ce genre à la cérémonie de la distribution des prix. Mais si cette étrange défense, que nous avons vu, non sans surprise, maintenue par omission dans le nouveau projet de loi présenté dernièrement à la Chambre par M. Paul Bert, est tombée en désuétude partout où il ne serait * peut-être pas toujours prudent de vouloir la faire respecter, elle est restée dans ce sombre arsenal des lois, où la magistrature cléricale saurait bien au besoin l’aller chercher pour en appliquer la sanction pénale. Il serait donc à notre avis du devoir du gouvernement qui vient de chasser définitivement le prêtre de l’école, d’abroger cette disposition gothique, dans laquelle la griffe du clergé a si profondément laissé son empreinte.
- En attendant, la rareté des spectacles dramatiques donnés à la salle de spectacle du Familistère leur donne un attrait de plus, et souvent les troupes de province qui viennent y donner des représentations y trouvent un accueil flatteur et engageant. Le théâtre se prête admirablement à l’interprétation de tous les genres, et l’on a pu y assister à l’exhibition d’opéras aussi bien qu’à celle des vaudevilles les plus échevelés du Palais-Royal ou des Variétés. Je ne suis même pas bien sûr que l’on n’y ait pas vu des féeries.
- A ce propos, lecteur, dussiez-vous m’accuser de rabâcher un lieu commun déjà bien ressassé,bien re-batu, je ne puis m’empêcher de joindre ici ma note indignée au conGert de malédictions de tous les amis du théâtre qui ont du goût, contre ces indignes spéculateurs qui déshonorent la scène par des exhibitions sottes,bêtes ou sensuelles, où la grossièreté des pensées et des images le disputent à la bassesse du langage et au défaut absolu d’esprit. Ce genre,si en faveur aux jours honteux du second empire et souverainement anti-théâtral, et il est en révolte ouverte contre les lois de l’art dramatique dont le but est de corriger les mœurs du peuple en l’amusant. Castigat ridendo mores. Je sais bien que cette
- p.217 - vue 218/836
-
-
-
- 218
- LE DEVOIR
- parole d’Horace qui remonte au siècle d’Auguste, jj répétée par Boileau au siècle de Louis XIV est bien | Vieillie,bien rococo pour certains auteurs qui dans le ;j théâtre ont trouvé une inépuisable mine d’or, leur j fournissant des millions nombreux en échange de jj leurs infectes élucubrations. Mais, ne leur en dé- ] plaise, la vérité n’a point d’âge, elle ne vieillit pas, } et eux, les jeunes peut-être d’aujourd’hui, seront j cacochymes et décrépits depuis longtemps que la j vérité sera encore aussi jeune, aussi belle, aussi atj I trayante que jamais. j
- C’est pour cela que le public, qui, en général sait j apprécier assez bien les choses qui parient à son j âme, devrait avoir le bon esprit de faire le vide au- j tour des tréteaux de ces bateleurs pornographiques, | qui par leurs exhibitions indécentes et immorales j travaillent à pervertir les goûts et, ce qui est plus criminel encore, les mœurs du peuple»
- La raison d’être du théâtre, c’est son action moralisatrice. A ce point de vue, il devait trouver sa place au Familistère de Cuise et son fondateur l’a fort bien compris. Or, il ne faut point s’y tromper, sous ce rapport, si notre siècle a vu éclore ce genre de féeries et d’opérettes souverainement immoral,le théâtre moderne, le vrai n’a rien à envier aux auteurs pourtant si remarquables du dix^septième siècle.Les drames de Victor Hugo, si beaux, si merveilleux de forme renferment de précieux enseignements et d’admirables pensées. Les pièces de George S and sont pleines de situations morales j celles d’Alexan* dre Dumas fils, si discuté ont souvent une portée sociale considérable; et Gabrielle, d’Emile Âugier, a valu à son auteur un prix de vertu décerné par l’Académie Française peu suspecte assurément de favoriser les écrivains immoraux.
- Quel sermon, quelle page de moraliste, par exemple, vaudra jamais le magnifique tableau des bonheurs purs et des devoirs sereins de la famille, que l’auteur fait tracer par un homme de cœur à un jeune écervelé, qui s’imagine qu’il va trouver le bonheur en s’enfuyant bien loin avec une femme mariée dont il est éperdument épris :
- Voilà carte une belle et vive poésie.
- J’en sais une pourtant plus saine et mieux choisie Dofit plus Sdlideîhëht Un COSuf d’hOWinë est renipli ! C'est le contentement dndetôif accompli j C’est le travail aride et la nuit studieuse,
- Tandis qüe la maison s’éüdôft silencieuse,
- Et que pour rafraîchir son labour échauffant On a tout près de soi le sommeil d’un enfant. Laissons aux OëfveàuX cfeuX ou bien âÜX égoïstes Des désordres au fond si vides et si tristes,
- Ces amours sans lien et dont l’impiété A l’égal d’un malheur craint la fécondité.
- Mais, nous autres, soyons d@S pères, c’est-à-dire Mettons dans nos maisons,comme un chaste sourire, Une compagne püfé èü tbüt et t^un tél prix Qu’il soit hou d’en tirer les âmes de dos fils,
- Certains que d’une femme angélique et fidèle,
- Il ne peut rien sortir que de noble comme elle ! Voilà là dignité de la vie et son but!
- Tout le reste n’est rien que prélude et début;
- Nous n’existons vraiment que par ces petits êtres Qui dans tout notre cœur s’établissent en maîtres, Qui prennent notre vie et ne s’en doutent pas Et n’ont qu’à vivre heureux pour n’ôtre pas ingrats!
- Voilà comment nous comprenons le rôle du théâtre dans la Société. Epurer de plus en plus les goûts et les mœurs, faire vibrer dans les cœurs la corde intime des sentiments nobles et élevés, faire aimer la famille, la patrie, l’humanité, inspirer les grandes idées de dévouement de fraternité et d’héroïsme solidaire envers ses concitoyens telle est à notre avis sa mission touchante et sublime*
- (A suivre).
- ÉTUDES ÂNTIGÀTHOLÏQUES
- Le l^€ottv©ai/ix.
- Tout le inonde sait que le Nouveau Testament se compose des quatre Evangiles,des Actes des Apôtres, des Epîtres de Paul, de Pierre, de Jacques, de Jean et de Jude et de l’Apocalypse* Dans les premiers temps du Christianisme, Les évangiles étaient extrêmement nombreux, car chaque apôtre avait fait le sien ou à peu près, et de nombreux disciples du Christ qui n’avâient point reçu le titre d’apôtres avaient eux aussi Consigné par écrit les faits de la vie du maître dont ils avaient été les témoins. Longtemps tous ceâ évangiles eurent cours parmi les chrétiens de la primitive église, et les écrivains des premiers siècles en font mention et en citent des passages, tandis qu’on ne trouve pas chez eux la moindre allusion aux quatre évangiles qui figurent aujourd’hui dans le livre sacré.
- Ce h’êst qu’à la fin du 2® siècle, soifs l’impulsion alors toute puissante du bouillant Irériée, que l’église déclara^seals authentiques les évangiles de Mathieu, de Marc, de Luo et de Jean. Les faisons que donnait Ifénée sont dignes d’être notées. Dans sori livre « Contra Jlœreses » (liv. 3, ohap. n, art. 8), il dit qu’il no doit y avoir que quatre évangiles, paf la rai* son que la terre est paftagée en quatre régions, et qu’il y a quatre vents généraux. À oétte raison péremptoire, il eh ajoute une autre tirée du fait que le Verbe est assis sur lès Chérubins, et que les ohéru* bins ont quatre formes, celles d’un lion, d’un taureau, d’un aigle et d’un homme, d’où il suit logiquement que les évangiles doivent être en harmonie aveo les quatre siègeSiO’est ee qui explique pourquoi les peintres chrétiens représentaient souvent les
- p.218 - vue 219/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 219
- quatre évangélistes sous la figure de ces animaux, attribuant à Mathieu celle de l’homme, à Marc celle du lion, à Luc celle du taureau et à Jean, surnommé l’Aigln de Pathmos, celle de l’Aigle, Pour ceux, à qui cette explication ne paraîtrait pas suffisante, les théologiens en Ont une autre encore, Mathieu prend la forme de l’homme parce que son évangile commence par une généalogie humaine; Marc celle du lion parce qu’il débute par la figure de Jean le Baptiste, errant dans le désert comme un lion, Luc celle du taureau, parce que c’est par un sacrifice que son livre entre en matière, et Jean celle de l’Aigle, parce qu’il prend son vol en commençant, pour nous parler du Verbe.
- Les trois premiers évangiles sont, sur une infinité de points, de pures copies d’un môme fond, ce qui leur a fait donner le nom de synoptiques. Le quatrième, celui de Jean est celui qui s'éloigne le plus des trois autres. Il a été évidemment écrit dans un esprit de réaction contre les tendances des synoptiques, non point par l’apôtre mort à Pathmos, mais par un auteur du deuxième siècle imbu de gnosticisme et appartenant à ces églises d’Asie qui passaient pour se rattacher plus particulièrement à Jean, comme à leur fondateur.
- Parmi ces évangélistes, deux avaient été apôtres, et ce sont précisément eux dont les récits s’éloignent le plus l'un de l’autre, tandis que Marc et Luc qui n’étaient point apôtres se rapprochent tellement de celui de Mathieu, qu’on dirait qu’ils l’ont copié, Jean n’étant certainement pas l’auteur de l’évangile qui porte son nom, cette divergence s’explique, tandis qu’on ne la comprend point sans cela. Ce qui le prouve d’ailleurs, c’est que cet évangile fourmille d’expressions propres au gnosticisme, à commencer par le Verbe fait chair, la véritable lumière qui brille dans les ténèbres et que les ténèbres n’ont point compris, etc. Le fait est démontré victorieusement par l’auteur anonyme de la « Religion surnaturelle » dont nous ne pouvons, vu l’exiguité de notre cadre, reproduire les arguments,
- L’évangile de Mathieu passe pour le plus ancien des trois synoptiques* et dans ce cas, ce serait Marc et Lug qui l’auraient copié. M. Bruno Bauer prétend, contre l’opinion commune, que c’est au contraire celui de Marc qui aurait été écrit le premier et celui de Mathieu le dernier, Sans prendre parti dans cette question de priorité, sans intérêt pour nous, nous ferons remarquer que les compilateurs de légendes ont généralement plus de tendances à amplifier et à ajouter, qu’à simplifier et à retrancher. Or l’évangile de Marc est remarquable par sa concision, sa sobriété de détails et sa simplicité, et celui de Mathieu
- 1 semble plutôt un8 amplification de cet écrit. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point peu important d’ailleurs.
- Vers la fin du 4e siècle les évangiles présentaient de telles différences, qu’il y avait, au dire de St-Jé-rôme, presqu’autant de versions que d’exemplaires. Rien n’est plus curieux que les détails consignés par cet écrivain, dans sa préface des évangiles adressée au pape Damase, sur l’état de ces livres à l’époque où il fit sa traduction sur le texte grec. Nous savons d’autre part, par le témoignage de St-Epiphane, que les deux premiers chapitres de Mathieu ne se lisaient pas dans le texte hébreu de la copie des Ebionites, et que par conséquent ils ont été ajoutés après Goup dans le texte grec traduit par Jérôme.
- Du reste, les interpolations sont nombreuses dans les évangiles, et M. Gustave d’Eichtal, dans son livre « les Evangiles « en indique une certaine quantité. Dès la fin du quatrième siècle, l’évêque Fauste déclarait ne rien savoir sur les véritables auteurs des évangiles, et reconnaissait franchement que ces livres étaient pleins d’erreurs et de contradictions, et le docteur Strauss a achevé d’enlever aux évangiles toute valeur historique.
- Ces constatations faites, parce qu’elles nous ont paru utiles pour montrer le peu de solidité des bases sur lesquelles s’appuie le catholicisme actuel, nous entrerons dans le vif de notre sujet, en signalant quelques-unes des anomalies et des contradictions que présentent les évangiles.
- Nous avons deux généalogies soi-disant du Christ, l’une dans l’évangéliste Mathieu et l’autre dans Luc. Ces deux généalogies qui partent d’Abraham concor* dent jusqu’à David, mais à partir de ce roi, elles n’ont plus pour ainsi dire le moindre rapport. Elles ne s’accordent pas davantage avec les filiations indiquées dans les livres des Rois, dans les Paralipo-mènes et autres, puisque Mathieu retranche quatre générations entre Jechonias et Salathiel, et que Luc fait naître ce dernier de Néri, tandis que les Parali-pomènes lui donnent pour père Jechonias ou Joachim
- St Augustin qui s’était aperçu de ces contradictions qui le troublaient, de son propre aveu, les explique de la façon suivante : Jechonias qui est appelé Joachin dans le 4e livre des Rois et le 2e des Paralipomènes, emmené captif à Babylone est la figure du Christ. Or le Christ est la pierre angulaire. Mais une pierre placée à l’angle qui réunit deux murailles appartient à la fois à chacune de ces deux murailles, On doit donc la compter deux fois, si l’on compte les pierres dont se composent les deux plans qui viennent s’y couper, (Sermo Ôh De eoneordiâ Matthæ et Lucæ clh 9»)
- p.219 - vue 220/836
-
-
-
- 220
- LE DEVOIR
- Quant à la contradiction résultant du désaccord j qui existe entre les deux à partir de David, puisque Mathieu prend la ligne royale de Salomon, tandis que Luc prend celle de Nathan, St Augustin n’en est pas beaucoup plus embarrassé. Il dit que Joseph a pu avoir deux pères, l’un réel et l’autre d’adoption. Mathieu, ajoute-t-il, a pris l'un des deux et Luc l’autre, et tout se trouve ainsi expliqué. N’est-ce pas réussi ? Cela l’est si pleinement, que M. Wallon, dans son livre : « De la croyance due à l'Evangile », en use à son tour par deux fois, en donnant deux pères à Salathiel, et deux pères aussi à Joseph. Ainsi, d'après lui Salathiel serait fils de Jechonias et de Neri, et Joseph aurait pour père Jacob et Héls, et cela en vertu de la loi du levirat.
- Mais s’il est impossible de ne pas remarquer ces contradictions en lisant les deux évangiles, ce n’est point là l’anomalie la plus choquante que l’on y relève. Ce qui paraît plus bizarre encore, c’est’que, tous les évangélistes étant d’accord sur le fait que le Christ est né de la Vierge Marie, fécondée miraculeusement par l’opération du St Esprit avant qu’elle ne fut l’épouse de Joseph, il est évident à leurs yeux que Joseph est pour lui absolument étranger, et qu’il est le fils de Dieu seul et de Marie. Dans ces conditions, il était naturel et logique qu’en voulant tirer la généalogie de Jésus on prit la seule à laquelle il se rattachât réellement, celle de sa mère.
- Or, c’est celle de Joseph qu’ils nous donnent, et ils ne font pas la moindre allusion à celle de Marie. N’est-ce point étrange ?
- Nous savons bien la raison qui les a fait agir de la sorte, nous l’avons plus d’une fois entendue, mais, à notre avis, elle n’a aucune valeur. Pour faire de Jésus le Messie il fallait se conformer aux prophéties qui faisaient descendre de David ce régénérateur tant attendu : Or Marie ne descendait pas de David, puisqu’elle n'était même pas de la tribu de Juda, et qu’elle appartenait à celle de Levi. Elle descendait d’Aaron comme sa cousine Elisabeth, et par conséquent donner sa généalogie pour celle de son fils, c’était manquer son but, enlever au Christ sa qualité de Messie, et compromettre tout l’édifice. Joseph descendant plus ou moins authentiquement de David, mais appartenant en tous cas à la tribu de Juda, en vertu du système d’Augustin et de M. Wallon, rien n’empêchait de le donner pour père-adjoint au Sauveur, et dès lors d’appliquer à ce dernier la descendance de David.
- Tout cela peut être fort ingénieux, mais cela n’a rien de sérieux, et franchement il est difficile de ne pas reconnaître que dans ces conditions l’autorité des évangiles est sinon absolument nulle, tout au
- moins extrêmement fragile. L’emploi de pareils procédés est une maladresse d’autant plus déplorable, que l’œuvre du Christ inaugurant dans le monde païen le principe de la fraternité et de la solidarité humaines n’en avait aucun besoin, et se recommandait suffisamment à l’admiration et à la vénération sans cela. Ces moyens bons tout au plus pour des gens qui vivent de l’exploitation et de la crédulité publique, font plus de mal à une cause que toutes les attaques de ses ennemis. Pour des gens qui se prétendent infaillibles, et qui se disent inspirés de Dieu, cela donne à penser, et l’on est naturellement porté à se dire qu’il vaudrait mieux être faillible et seulement sensé, et ne prendre ses inspirations que dans la raison et le sens commun, au lieu d’aller les chercher si haut, que l’on a le temps de les avoir oubliées au retour. Mais Dieu aveugle toujours ceux qu’il veut perdre, et le catholicisme est depuis longtemps condamné par lui.
- (A Suivre).
- LE MAGNÉTISME
- (Suite)
- Avant de pousser plus avant l’étude de la théorie des forces neuriques du dr Baréty, achevons le compte rendu des expériences médicales faites dans cette voie, et maintenant que nous connaissons les résultats fournis par celles du docteur Charcot,complétons notre revue par le récit des travaux du docteur Dumontpallier à la Pitié.
- M. Dumontpallier apporte au diagnostic différentiel des sujets qu’il observe la même précision que M. Charcot. Mais les sujets du médecin de la Salpétrière étaient dans la phase léthargique, tandis que le premier sur lequel opère le médecin de la Pitié est dans la période cataleptique. Mais nous avons vu que les deux états avaient des causes identiques ; pour nous par conséquent cette différence ne change rien à l’intérêt de l'expérimentation. Il s’agit encore ici d’une hystérique hypnotisée par le regard ; elle s’endort et tombe en léthargie, mais en lui soulevant un instant ses paupières on la fait entrer en catalepsie.
- En ce moment sur un point déterminé de la partie gauche du cuir chevelu, M. Dumontpallier fait agir le vent aigu d’un soufflet capillaire et il voit aussitôt par la contraction du muscle, qui détermine les mouvements de rotation de la tête (le sterno-cleido-mastoïdien), celle-ci se tourne brusquement à droite. Porte*t-il l’action du soufflet sur la partie droite du
- p.220 - vue 221/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 221
- cuir chevelu? Le même effet se produit en sens inverse. Enfin l'irritation ayant produit tous ses effets soit à droite soit à gauche, si on la renouvelle sur le même point elle défait aussitôt ce qu’elle avait fait. La tête pendant cette expérience en se tournant d’un côté s’incline de l’autre de sorte que le sujet prend l’attitude et l’expression de physionomie d’une personne qui écoute. Dans certains cas, en agissant sur tel ou tel point de la région occipitale, suivant le côté où s'applique l’action, la tête se renverse en arrière et les membres du même côté se lèvent simultanément.
- Autre phénomène qui paraît tenir de la phrénologie : suivant que l’expérimentateur porte l’action du soufflet sur la scissure du sylvius ou sur toute autre partie de la topographie cérébrale, le malade prend une expression de physionomie souriante ou triste, heureuse à droite et chagrine à gauche.
- Aux yeux de M. Dumontpallier cela prouve « la possibilité de limiter par la surface du cuir chevelu un certain nombre de zones réflexogènes dont l’irritation détermine des mouvements en différentes parties du corps et qui paraissent correspondre aux régions motrices corticales de l’encéphale. » Ce sont en effet pour lui des phénomènes d’ordre re-flexe, comme ceux qu’a observés le dr Charcot.
- M. Dumontpallier, réveille son sujet en lui mettant sur le front des plaques métalliques, lesquelles agiraient de même appliquées sur la région ombilicale. L’effet en est très prompt. Les mouvements respiratoires commencent à s’accuser plus fortement et deviennent plus fréquents et plus amples. Un peu de mousse salivaire se montre sur les lèvres; de petites contractions les agitent ; elles s’écartent de façon à laisser voir les incisives supérieures. La figure prend une expression extatique et souriante. Suivent quelques mouvements alternatifs de resserrement et de dilatation de la bouche. Enfin la malade pousse un cri, ouvre les yeux. Elle est recueillie, elle voit, entend, est redevenue sensible par tout le corps. On enlève aussitôt les plaques; elle peut se lever, marcher, l’état normal est rétabli.
- Dans cette situation c’est en vain que l’on chercherait à provoquer à l’aide des mêmes moyens, application du vent du soufflet ou piqûres d’épingles, des effets analogues aux phénomènes décrits ; rien de pareil ne se produit.
- Poursuivons notre revue. Le sujet est encore une femme. Regardez-moi, lui dit l’opérateur. Elle braque les yeux sur les yeux de celui-ci. En une fraction de minute l’effet est produit. Elle dort de ce sommeil si particulier que la science appelle hypnotisme et que les non savants, comme nous, nomment
- magnétisme; affaire de goût. Mon Dieu! Les savants donnent bien le nom pompeux de protoxyde d’hydrogène à ce que tout le monde appelle tout bonnement eau, et de chlorure de sodium au gros sel de cuisine.
- La résolution musculaire est complète*; le sujet n’est plus qu’un instrument en chair vivante sous les doigts du physiologiste qui va jouer de ses nerfs et de ses muscles, comme Frédéric Tremmel des cordes vibrantes de son ingrat instrument. Il produit à son gré et par les moyens les plus insignifiants la contracture et la catalepsie, les provoquant l’une après l’autre ou simultanément, les combinant de mille façons diverses, et les faisant cesser aussi aisément qu’il les fait naître.
- Il se sert des plaques métalliques comme de sondes des centres nerveux qui lui en révèlent la subs-tructure. Elles lui fournissent ainsi des données qui lui permettent de faire des découvertes précieuses sur les relations réciproques des fibres sensitives et des fibres motrices en divers points de la moëlle. Ainsi l’hypnotisme et la métalloscopie, cette autre science, dont on s’est tant moqué aussi, sont également admirables, l’un en fournissant la matière d’exploration et l’autre en en fournissant le moyen.
- Non seulement, à l’aide de l’action du soufflet, le dr Dumontpallier fait rire ou pleurer la face de son sujet, mais encore il obtient des faces mi-partites, joyeusement expressive d’un côté, amèrement attristée de l’autre, en soufflant doucement sur deux points du crâne l’un devant et l’autre derrière. Exagérant cet effet on arrive à fondre ensemble les expressions extrêmes du rire et du pleur dans une difforme boursufflure des muscles qui ne laisse plus rien d’humain à ce visage tour à tour si agréable et si déplaisant, et qui maintenant est tout simplement hideux.
- Un phénomène qui rappelle les convulsionnaires de Saint-Médard au temps des miracles du tombeau du diacre Pàris,c’est celui du ballonnement du ventre du sujet, gonflé au point de devenir plus qu’hémisphérique, et doué d’une rigidité telle que les plus fortes pressions des mains en altèrent à peine la voussure, et qu’il porte sans fléchir le poids d’un homme. N’y a-t-il pas une certaine affinité entre ce cas et celui de la convulsionnaire Jeanne Maulet qui se fit impunément administrer sur le ventre cent coups de chenet pesant de 29 à 30 livres par Carré de Montgeron qui le raconte lui-même dans son livre, et qui, avec le même instrument, avait en vingt-cinq coups percé un mur de quelques pieds ?
- Outre ces phénomènes, il s’en est encore produit d’assez étranges d’aphonie. Ayant fait agir le soufflet sur un certain point du crâne, on montre au sujet
- p.221 - vue 222/836
-
-
-
- 222
- LE DEVOIR
- une clé, et on lui demande : Qu’est-ce ? Après avoir hésité, cherché, il répond : C’est une chose. Il a perdu la mémoire du nom et de l’usage de la clé. Agissant sur un autre point, on renouvelle la question et la réponse alors est : C’est une clé. On demande : A quoi sert une clé ? Il ne peut répondre, parce qu’il a perdu cette fois la notion de l’usage, distincte, à ce qu’il paraît, de celle du nom.
- Au cours de ces intéressantes études, MM. Charles Richer et Brown-Sequard ont exposé des faits dignes d’attention. Le premier rappelle qu’en dehors de l’hystérie et de l’hystôro-épilepsie, on rencontre chez certains sujets une remarquable exagération des réflexes et particulièrement une tonicité outrée. Il cite une femme de quarante-cinq ans non hystérique, non hynoptisable, et n’ayant jamais été malade, chez laquelle, lorsque ses muscles se sont violemment contractés, une contraction très forte persiste pendant longtemps malgré la volonté, contraire du sujet. Il n’y a pour en venir à bout qu’une excitation cutanée. En imprimant à la main une légère oscillation, on ne peut plus arrêter le mouvement qui ne cesse également que de lui-même.
- M. Brown-Sequart raconte qu’appelé en 1850 par invitation du commissaire de police auprès d’une jeune fille du quartier de Saint-Sulpice, il constata chez elle le phénomène suivant : Au moment même où les cloches de l’église se mettaient à sonner, elle se plaçait sur le rebord très étroit de son lit, où, pendant douze heures consécutives, elle restait en équilibre sans faire un mouvement, en récitant les prières de la Vierge, « Il eût été impossible au gym-nasiarque le plus expérimenté, » dit-il, « de garder une pareille position, Il y avait là une exagération toute particulière de la puissance musculaire coïncidant avec l’extase. »
- Ces faits, ainsi que beaucoup d’autres d’ailleurs, tendent évidemment à infirmer la théorie des docteurs Charcot et Dumontpallier, qui prétendent fort à tort que les phénomènes de l’hypnotisme ou magnétisme ne se produisent que chez les hystériques ou les hystero-épileptiques, tandis qu’en réalité ils peuvent se produire chez tous les sujets dont le système nerveux est excitable et particulièrement sensible. Peu de personnes ignorent aujourd’hui, à moins qu’elles n’appartiennent au monde de la science officielle, qu’une personne facilement impressionnable, jeune homme ou jeune fille, regardant fixement les yeux d’une autre personne, arrive au bout de quelques minutes à n’avoir plus conscience d’elle-même ; elle tombe dans une espèce de sommeil que l’on a désigné sous le nom d’hypnotisme pour ne pas adopter
- celui de magnétisme plus ancien, plus répandu, et qui l’emportera malgré tous les efforts réunis de la science et des Académies.
- Dans cet état, la personne, « le sujet, » comme on dit dans les cliniques, est complètement sous la dépendance de celui qui l'a endormie, elle lui obéira aveuglément, répondra à ses questions les plus indiscrètes, et verra ou sentira tout ce qu’il lui plaira de lui montrer ou de lui faire éprouver. Qu’il lui fasse voir un serpent imaginaire, elle le verra et reculera effrayée. S’il lui tend une fleur qui n’existe que dans sa pensée, elle la saisira et en respirera le parfum avec délices, et s’il lui plaît de lui faire trouver un goût exquis à une substance désagréable, elle la savourera avec plaisir, lui persuadant également qu’elle entend une musique ravissante alors qu’aucun son ne se produit. Et lorsqu’il l’aura tirée de ce sommeil bizarre, elle n’aura aucune conscience de ce qu’elle vient de dire ou de faire, ce sera un véritable réveil.
- Ces phénomènes, grâce à leur singularité, ont été l’objet de nombreuses exhibitions publiques qui toujours ont eu pour résultat de provoquer des polémi^ qu.es violentes et d’ardentes discussions, les uns admettant avec chaleur la sincérité des expériences, les autres les traitant de parti-pris de charlatanisme. Ne voit-on pas des gens refuser même d’assister à des expériences de peur d’être obligés de reconnaître l’existence d’un fait qu’ils mettent un incompréhensible amour-propre à nier ? Et chose triste à dire, ce ne sont pas toujours des imbéciles qui en agissent de la sorte. Plus d’un homme d’esprit de notre connaissance est atteint de cette étrange infirmité morale 1
- {A suivre.)
- LA FAIX ENTRE LE TRAVAIL ET LE CAPITAL
- La présence de quatre délégués des chambres syndicales d’ouvriers au banquet des chambres syndicales de patrons est un événement qui mérite qu’on le remarque et qu’on en tire les conséquences. C’est, croyons-nous, l’indice d’une révolution morale en train de s’accomplir à Paris, au foyer même d’où l’agitation des ouvriers est partie pour se propager sur la Franco et sur toute l’Europe continentale.
- On sait qu’il y a deux mois, une conférence contradictoire a mis en présence les délégués des chambres do patrons et d’ouvriers, et que, dans cette réunion, au lieu de se livrer à des déclarations furibondes, on a recherché de bonne foi les moyens de régler autrement que par la grève les relations du travail et du capital.
- p.222 - vue 223/836
-
-
-
- &B DEVOIR
- 223
- Abstraction faite de tous les systèmes préconisés, cette réunion, c.omme le banquet de mardi, est un événement heureux. Elle prouve que les sentiments de dédain d’une côté, de haine envieuse de l’autre, qui rendaient si implacables les luttes économiques, sont en train de disparaître pour faire place au sentiment de l’égalité démocratique.
- Les anciennes écoles socialistes protestaient et celles d’aujourd’hui protestent encore contre l’axiome économique : le travail est une marchandise. L’acceptation générale de qet axiome serait, cependant, le meilleur moyen d’amener l’amélioration de la situation matérielle et morale des ouvriers, et d’organiser la paix sociale.
- Si le travail est une marchandise, l’ouvrier est un marchand, c’est-à-dire l’égal de son employeur.
- Or, la grande cause des luttes sociales ne réside pas seulement dans les suggestions ne l’intérêt ; elle réside dans celles de l’orgueil: de l’orgueil du patron, qui ne yeut pas traiter d’égal à égal avec ses ouvriers, de l’orgueil de l’ouvrier, qui s’indigne contre le dédain qa’on lai montre, et en arrive à vouloir constituer ce qu’on appela, en 1848, « l’aris-cratie de la blouse », laquelle veut s’imposer comme celle de la race ou de l’argent.
- Les hommes de bonne volonté, ouvriers [et industriels, les bons républicains et surtout les bons patriotes, qui ont entrepris d’amener l’établissement d’un état de paix morale et matérielle entre les deux groupes de collaborateurs, ont principalement à lutter contre ce double orgueil.
- Du côté des patrons, ils ont à surmonter des préjugés qu’on retrouve même chez des hommes qui se croient de sincères démocrates. Us ont, en outre, 'à vaincre la résistance des anciens partis coalisés, lesquels disent et répètent aux patrons qu’ils ne doivent pas transiger avec la Révolution.
- Du côté des ouvriers, les préjugés ne sont pas moindres; uu groupe d’hommes remuants, éloquents quelquefois, très actifs toujours, dont on voit arriver les représentants chaque fois que se produit un dissentiment sur un point quelconque du pays, emploie tous ses efforts pour enraciner et augmenter ces préjugés des ouvriers.
- Nous nous souvenons qu’au Havre, lorsque les représentants des chambres syndicales eurent rompu avec les délégués des groupes révolutionnaires appelés « cercles d’études sociales », le congrès des véritables ouvriers visita l’école professionnelle, dont le maire, l’honorable M, Siegfried, leur fit les honneurs.
- Rien n’était plus naturel que cette visite des membres du congrès des ouvriers à une institution
- réalisant un de leur desiderata ; rien n’était plus naturel non plus que la conduite du maire républicain du Havre. Eh bien! une pensée commune hantait tous les esprits : les autres allaient dire qu’on « faisait alliance avec la bourgeoisie » !
- Il a donc fallu un véritable courage moral aux promoteurs du mouvement d’entente entre les patrons et les ouvriers. Ces hommes sont les mieux pénétrés du sentiment démocratique, cause et conséquence de nos institutions. Est-il admissible, en effet, que des citoyens dont les votes se mêlent dans l’urne électorale, puissent longtemps admettre une supériorité ou une infériorité autre que celle du mérite personnel ?
- Il importe de constater ce développement de l’es* prit d’égalité et de le favoriser. Pour cela, nous nous permettrons de donner un peu à l’avance, un conseil aux organisateurs du prochain banquet |de l’Union nationale du commerce et de l’industrie.
- Ce conseil c’est de placer, à la droite du président du syndicat général, non pas un homme politique, président de la Chambre, du Sénat ou du Conseil municipal, orateur éloquent ou non, mais le président de l’Union des syndicats ouvriers, afin de bien constater au yeux de tous, la reconnaissance de tous, la reconnaissance de l’égalité du travail et du capital.
- Le jour où cela aura été fait, l’application des systèmes de transaction et d’arrangement pacifique deviendra facile,
- [France). Charles-M. Limousin.
- —-
- UN VILAIN DESSERT
- Quoiqu’en carême, on peut bien se permettre une histoire un peu grasse, d’autant plus qu’elle est vraie.
- C’est l’éternelle aventure d’un mari surprenant sa femme.
- Elle était jeune, jolie, ardente au plaisir, aimant les crevettes roses, qu’on grignotte sans appétit en mettant les doigts dans l’assiette, et les vins de grande marque, qui se boivent sans soif dans des coupes de mousseline.
- Ma foi, un beau matin, sans savoir pourquoi, dans une de ces minutes de découragement, où la tête abdique pour laisser parler les sens, elle avait — comme nombre d’autres — pris un amant.
- Lui jette la première pierre qui voudra ! Pour moi, je vous conte une histoire arrivée hier, sans en chercher la morale ; elle est drôle, et prouve que souvent si la vertu manque de récompense, le contraire de la vertu trouve sa punition, et que parfois le principal coupable s’en tire sans ennuis.
- Or donc, la belle, inquiétée, paraît-il, par le soleil de mars, fut prise de l’envie de faire ?une escapade. On alla, en partie fine, souper au restaurant.
- On connaît ces sortes de façons de se nourrir ; les
- p.223 - vue 224/836
-
-
-
- 224
- LE DEVOIR
- baisers servent de hors-d’œuvre, et ce n’est pas le champagne seul qui fait tourner la tête ; bref, nos deux amoureux en étaient au moment délicieux, où le diner finit, le café fait son apparition, escorté de fioles de toutes formes, lorsque la porte s’ouvrit brusquement.
- Un homme entra comme une bombe, et, sans crier gare, appliqua sur les joues de la jolie soupeuse une retentissante paire de gifles.
- Plus poltron que galant, l’amoureux surpris, fila par la fenêtre, laissant les deux époux s’expliquer à leur aise. L’explication fut si bruyante que le personnel du restaurant finit par monter. Il était grand temps pour madame; car le mari furieux — et je conviens qu’il y a de quoi — tapait au hasard sur ses épaules et sur la vaisselle.
- Le patron, un bon gros garçon qui n’aimait pas les scènes, arriva mettre le holà !
- Ma foi 1 point ne fut besoin de causer longtemps pour savoir ce qu’il en était.
- Le mari avait eu des doutes, avait pris le parti de suivre sa femme, avait fini par découvrir le pot-aux-roses, et, n’étant pas d’humeur commode, avait agi comme l’on sait.
- La chose parut naturelle; suivant qu’ils étaient garçons ou mariés, les spectateurs plaignaient l’un ou l’autre des époux.
- La jeune femme avait pris le parti de s’évanouir, c’est le meilleur moyen en pareille circonstance; mais les évanouissements ne sont pas d’essence éternelle, et, s’ils résistent à la première carafe d’eau, il est rare de les voir persister jusqu’à la troisième.
- Si bien, que, revenue à elle, confuse et trempée, la trop volage e.t trop gourmande épouse fut fourrée dans un fiacre par son seigneur et maître, à destination du domicile conjugal.
- Lui-même allait en faire autant, lorsque le patron ne voyant dans les- deux infortunés qu’une recette, retint par la veste le mari et lui présenta, en même temps que ses compliments de condoléance, une addition parfaitement en règle, se montant au chiffre respectable de quatre-vingt-cinq francs et quelques centimes
- C’était raide ; il eut beau crier, discuter, il fallait régler ; le restaurateur ne voulait entrer dans aucun détail, il parlait de partir en smala jusque chez le commissaire de police.
- Aux termes de la loi, le mari est responsable des dettes de sa femme, disait-il. Madame a mangé, vous êtes son mari, payez, ou bien vous n’êtes pas le mari et pourquoi l’avez vous dérangée.
- C’était logique; Monsieur paya; il paya sans être content, mais il paya ; c’était l’essentiel.
- Fit-il bien ? ce n’est point mon affaire, mais cette manière de régaler sa femme ne serait pas du goût de tout le monde ; bien des gens, ma foi, en auraient une indigestion.
- Pour comble de malheur, au moment de partir, il est retenu par le maître d’hôtel, qui, d’un air aimable, lui dit : « Monsieur oublie quelque chose, » en lui tendant un chapeau et une canne. Le chapeau et la canne de Vautre î Vous voyez d’ici comme il fut reçu !
- Le malheureux n’avait pas ouvert la portière qu’une voix moqueuse criait derrière lui :
- « Et le garçon l Monsieur oublie le garçon I »
- Diogène.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- 1er Avril. — Jules-Fernand Larive, fils de Jules Larive et de Clara Sarrazin.
- BIBLIOGIRAPHIE
- Nous signalons à ceux de nos lecteurs qui connaissent la langue anglaise un bon journal mensuel
- publié par
- ( The national thrîft Society)
- (Société d’épargne nationale)
- 1 Finsbury circus, London, E. C.
- Cette feuille est intitulée : Thrift (Epargne). C’est un journal de progrès et de réformes sociales. Il est illustré et coûte 3 shillings par an.
- Voici' le contenu de son dernier numéro :
- État de l’assurance sur la vie fondée il y a 17 ans, en Angleterre, par l’entremise des bureaux de poste;
- Assurance des euvriers employés dans les mines et dans les chemins de fer;
- L’Épargne dans les écoles primaires ;
- Les habitations unitaires. — Le Familistère de Cuise ;
- Notice sur Benjamin Franklin ;
- Économie domestique ;
- La puissance de l’épargne ;
- Notices biographiques avec portraits ;
- Roman ;
- Renseignements divers.
- Nous connaissons peu de journaux de réformes sociales rédigés d’une façon aussi instructive, intéressante et variée.
- —---------------------
- L’Association FAM|L|Sj£RE
- (Aisne)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, àG-uise (Aisne).
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.224 - vue 225/836
-
-
-
- ge ANNÉE, TOME 6 —- N° 188 tLe numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 16 AVRIL 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Dire cteur- Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau-de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- .France
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 m» Trois mois . . 3 m»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr, »» Antres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm* ne &&
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal nest pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de la l’Association agricole de Ralahine. — La prime à la naissance. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère. — Nouvelles du Familistère, — La mission de l’espèce humaine. — Le Magnétisme. — L’ivrognerie au point de vue social. — Bibliographie. — Bibliothèque du Familistère. — Etat civil du Familistère. •
- II m çm TTOMM BS2
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE III
- 1
- Projet d’association
- Accord entre M. VANDELEUR et M. CRAIG
- * Le bref exposé que l’on vient de lire de la condition du peuple, dans le Comté de Clare, vers 1830, démontre jusqu’à l’évidence l’impuissance de la loi à protéger la vie et les propriétés des citoyens.
- La peur et le doute s’étaient emparés de chacun, toutes les classes semblaient paralysées, absolument
- incapables de suggérer un remède, encore moins en état d’en adopter un.
- Ce fut à cette époque que l’esprit de vengeance s’attaqua au domaine de Ralahine, dans le Comté de Clare. Le propriétaire, John Scott Vandeleur, et sa famille durent laisser la maison aux soins de la police armée et chercher refuge dans la cité de Li-merick. Cette circonstance amena M. Vandeleur, es-quire, plus tard haut Shériff du Comté de Clare, à réaliser un désir qu’il avait longtemps entretenu et qui consistait à fonder une association agricole et manufacturière entre les paysans de Ralahine et lui. Il voulait dans ce but abandonner son domaine de Ralahine pour en faire d'abord une ferme coopérative. Mais il ne voulait ni ne pouvait effectuer son projet par lui-même.
- Il ne connaissait personne en Irlande qui pût ou qui voulût l’aider. Il se rendit donc en Angleterre pour chercher assistance et quelqu’un le mit en rapport avec M. E.-T. Craig, jeune homme de 26 ans, absolument dévoué au principe d’association , et doué des qualités morales et intellectuelles, indispensables au succès de l’entreprise projetée.
- Devant le tableau de la situation du peuple,dans le Sud de l’Irlande, et la quantité de meurtres commis en particulier dans le Comté de Clare, M. Craig, à la première ouverture douta du succès, et demanda à réfléchir, avant de donner réponse à M. Vandeleur.
- La famille Craig était fortement opposée à l’entreprise ; elle représentait au jeune homme que son acceptation lui aliénerait un de ses grands parents dont l’esprit était absolument opposé aux idées de réformes sociales et dont l’héritage était précieux.
- p.225 - vue 226/836
-
-
-
- 228
- LE DEVOIR
- L’avenir donna raison à la famille. Le parent en question déshérita M. Craig. Mais des considérations de cette nature ne pouvaient en rien influencer le jeune homme. Il n’appréciait pas davantage les objections fondées sur ce que le plan était impraticable, utopique, absurde, parce que de tels raisonnements impliquent la dureté de cœur et l'obstination, c’est-à-dire tout l’opposé de ce qu’il fallait pour étudier avec calme et discernement. les conditions nécessaires au succès.
- Les vraies difficultés, M. Craig les voyait, il s’en rendait pleinement compte ; mais il espérait les vaincre par la prudence et la persévérance. 11 arriva donc à cette conclusion que prendre à loyer, au compte d’une association, une’] ferme, fonds et dépendances, était une entreprise pratique et désirable ; que si lés efforts convenables étaient soutenus par une intelligente direction, et que si le travailleur était appelé à participer aux bénéfices nets, après loyers payés et intérêts servis au capital engagé, le système pourrait être avantageux pour tous les intéressés. Il espérait, en outre, que si le plan réussissait en Irlande, il exercerait quelque influence sur le mouvement général, et porterait ses fruits bienfaisants sur l’Europe et sur l’Amérique.
- Etant ainsi décidé, il se rendit à Manchester, chez M. Vandeleur» Là, ces deux Messieurs tombèrent d’accord. M. Craig fut charmé de la franchise et de la cordialité de M, Vandeleur. Il fut résolu que M. Craig partirait pour l’Irlande aussitôt que possible, afin de préparer la population de Ralahine à ce qu’on avait en vue, de rédiger les statuts de l’Association et de prendre les mesures organisatrices indispensables.
- A peine arrivé à Dublin, M. Craig rencontra un messager de Ralahine qüi s’étendit longuement sur la nécessité de la prudence en toutes choses et surtout en ce qui concernait les questions religieuses puisque, selon toute probabilité, les personnes qui seraient appelées à faire partie de l’Association étaient catholiques.
- Cela n’était pas très-encourageant, mais M. Craig se félicita de l’avis, persuadé qu’il valait mieux connaître le fond des choses que de s’exposer à une controverse ou à un conflit inutile et sans rapport avec le problème immédiat dont il s’agissait de trouver la solution. Les améliorations sociales doivent être réalisées sans considération des vues locales particulières ni des préférences religieuses.
- CHAPITRE IV
- Etat des gens et des choses à l’arrivée deM. Craig.
- Le domaine de Ralahine était admirablement disposé pour l’installation d’une ferme coopérative. Il était situé entre les deux routes principales de Limerick à Ennis. La propriété comprenait 375 hectares dont moitié environ était en culture. Elle possédait de beaux bâtiments de ferme.
- Un marais de plus de 38 hectares fournissait la tourbe.
- Le domaine était borné d’un côté par un lac qui fournissait en abondance une eau excellente pour les usages domestiques. De ce lac s’échappait un ruisseau dont la force mettait en mouvement un moulin à battre, une scierie, un tour, etc,
- A peu de distançe une chûte de la force de 20 chevaux pouvait être utilisée pour des opérations industrielles,
- Un batiment de neuf mètres environ sur 4m5Q offrait, au rez-de-chaussée, l’emplacement d’un réfectoire commun.
- Une autre salle de même dimension, au premier étage, pouvait servir de salon de lecture, de salle de conférence ou de salle d’école. Tout près de là était un magasin avec dortoirs au-dessus.
- A quelques mètres et parallèlement au bâtiment principal se trouvaient six cottages en voie d’édification»
- Enfin, quelques centaines de mètres plus loin, se dressait l’antique château de Ralahine avec ses imposantes tours carrées. Temporairement ce château pouvait être approprié aux besoins des futurs associés.
- Ralahine était à égale distance, 20 kilomètres environ, de Limerick et d’Ennis.
- Malgré les avantages matériels de la situation, l’état et les préjugés du peuple, sur le domaine et dans tout le voisinage, n’étaient point encourageants pour M. Craig. Il considérait avec anxiété, les difficultés qu’il aurait à organiser, au sein d’une telle population, un système de coopération mutuelle.
- Les hommes travaillaient aux conditions usitées dans le pays. Quelques-uns demeuraient sur [les limites de la propriété ; d’autres, à quinze cents mètres ; plusieurs à 8 ou 10 kilomètres ; ce qüi était une grande cause de malaise, d’inconvénients et dé déperdition de forces physiques.
- Ces gens avaient vécu jusque-là sous la direction d’un intendant qui, d’après ce qu’apprit M. Craig à
- p.226 - vue 227/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 227
- son arrivée, avait été tué tout récemment. M. Van-deleur n’avait pas informé de cet événement son mandataire, afin de ne point le décourager.
- Voici commentée meurtre avait eu lieu.
- L’intendant était quelque peu sévère, despotique, dur, dans ses relations avec les ouvriers • Par un jour d’écrasante chaleur, des moissonneurs, la poitrine en feu, s’étaient momentanément arrêtés de travailler pour se rafraîchir avec une goutte d’eau. L’intendant survint, renversa du pied la canette et déclara qu’il ne voulait plus tolérer un tel objet aux champs, puisque c’était pour les hommes une occasion d’arrêter le travail.
- L’intendant ne voyait en l’ouvrier qu’un outil. Il n’avait pas la poitrine brûlée, et n’éprouvait aucune commisération pour les pauvres gens exténués de fatigue et de besoins. De pareils actes d’insensibilité et de cruauté appellent inévitablement la vengeance.
- À une réunion nocturne tenue dans le bois de Cratloe, sur les limites de Ralahine, on résolut la mort de l’intendant et l’on tira au sort pour savoir qui exécuterait la sentence. ,
- L’acte sauvage fut accompli.
- Un soir, au moment où l’intendant vérouillait sa porte, l’assassin qui, de la fenêtre en opposition avec la porte, guettait le moment opportun, lui fracassa le crâne de deux balles. Ce meurtre eut lieu en présence de l’épouse de la victime. L’intendant était marié depuis trois mois à peine.
- L’assassin protégé par de nombreux partisans échappa toujours â l’action de la justice. Cet événement jeta la terreur dans le pays et ce fut à cette époque que la famille du propriétaire de Ralahine se sauva en grand émoi, laissant le domaine sous la protection de la force armée.
- M. Craig arriva sur ces entrefaites. Il fut reçu avec grande suspicion, en sa double qualité d’étranger et d’anglais, car tout le monde ignorait l’objet réel de sa mission.
- Tout naturellement les gens le croyaient dans la ïïïême impossibilité traditionnelle que ceux de sa race d’en agir avec équité et loyauté envers les Irlandais. Ils pensaient que M. Craig devait secrètement sympathiser avec les propriétaires du sol et ks autorités de la police. Leurs préjugés et leurs méfiances les portaient à voir en lui un homme qui allait chercher à obtenir d’eux, pour le révéler à la Justice, le nom de l’homme qui avait frappé l’intendant.
- Outre cela, les sociétés secrètes insurgées exerçaient alors un contrôle absolu sur le peuple.Toutes
- ces circonstances étaient des plus graves et créaient une situation très-désavantageuse àM. Craig.
- Les travailleurs étaient mornes, méfiants et mécontents. Leur état d’esprit était tel qu’on donna à M. Craig le conseil, s’il avait à s’absenter, de ne rentrer jamais chez lui par le même chemin, quand son absence devait se prolonger après le coucher du soleil.
- Une fois, une pierre lancée contre lui par derrière l’atteignit; une autre fois il trouva sur sa route un cercueil grossièrement taillé.
- Malgré la proclamatisn du Lord Lieutenant contre les réunions illégales et les assemblées nocturnes, les travailleurs continuaient à se réunir et passaient en troupes le long des grandes routes, défiant la police et l’armée.
- Dans une de ces occasions ils se rassemblèrent près du cottage d’une veuve chez qui M. Craig était logé et firent entendre des clameurs sauvages et prolongées, telles que seule une foule irlandaise en peut pousser.
- On eut dit une bande de démons rassemblés pour accomplir quelque acte effroyable de vengeance et de mort.
- M. Craig redoutait peu la mort ; mais ces violentes explosions de sentiments lui causaient une émotion étrange et une vague appréhension de faits de violence.
- Le jour suivant il apprit qu’on avait indiqué, en enlevant le gazon, l’emplacement d’une tombe et que c’était un avertissement à quelqu’un ; on ne voulut pas dire à qui.
- Ces faits rendaient la position de M. Craig, excessivement fâcheuse. Pour ajouter à tous ses embarras, la famille du possesseur de Ralahine était hostile au plan projeté. Les serviteurs du château savaient que le « nouveau système, » comme on disait en parlant de ce plan, n’avait pas les sympathies de la famille ni de la classe élevée, et il fallait que M. Craig supportât, avec la meilleure grâce possible, les propos vulgaires de ces gens et leur mauvaise humeur.
- Malgré tout, il était résolu à se plier aux circonstances, à endurer tous les inconvénients et toutes les oppositions possibles, tant qu’il aurait l’appui du propriétaire.
- Cependant il raconte qu’un jour où il était occupé à dresser les statuts de la future association, on lui fit l’horrible récit d’un meurtre qui venait d’être commis, contre un intendant, en présence des ouvriers, sur un champ du voisinage ; et qu’il fut si fort affecté de cette nouvelle qu’il se trouva presque disposé à abandonner sa mission, la considérant
- p.227 - vue 228/836
-
-
-
- 228
- LE DEVOIR
- comme désespérée en présence des passions et de , l’ignorance du peuple. |
- Durant les six premières semaines de séjour de I M. Craig, il y eut quatre meurtres dans le voisinage ! immédiat de Ralahine, tous les quatre marqués au j coin de la barbarie la plus sauvage et tous les quatre à propos d’expulsions du sol, ou de compétitions pour la terre. En fait ces meurtres étaient des épisodes de la lutte pour la vie et les moyens d’existence. (d Suivre)
- LÀ PRIME A LÀ NAISSANCE
- Dans le numéro du Devoir du 19 février, nous avons fait connaître à nos lecteurs la proposition de loi relative à la Caisse nationale des retraites, pour la vieillesse,présentée à la Chambre des Députés par MM. Mace, Nadaud, Guyot, Bertliolon et autres, et nous en avons apprécié les dispositions. A cette loi, Messieurs Tourasse et Piche proposent à titre d’amendement l’adjonction de deux articles ainsi conçus :
- « Tout enfant né en France sera au moment de la déclaration de naissance à la Mairie doté d’un livret de caisse des retraites de 5 francs aux frais de l’Etat.
- « Les versements ultérieurs pourront être faits à la caisse d’épargne postale. »
- Dans une lettre circulaire que les auteurs de cet amendement adressent à MM. les Députés et Sénateurs, ils disent que ces deux propositions, si elles étaient acceptées, donneraient au projet de loi toute son efficacité, et que dans 60 ans il n’y aurait presque plus de malheureux en France. Ils ajoutent que le seul versement de 5 fr., grâce à la puissance des intérêts composés, assurerait au titulaire parvenu à l’âge de 60 ans une rente viagère d’environ 25 francs somme déjà supérieure à la moyenne de ce que donnent aujourd’hui les bureaux de bienfaisance.
- Cette innovation ne coûterait annuellement à l’Etat que cinq millions, car il naît par an en France environ un million d'enfants.
- « Ne serait-ce pas, disait les signataires de l’amendement, acheter à peu de frais un progrès social d’ordre supérieur ? Mieux vaut donner à l’enfant un livret décaissé des retraites qu’il grossira par ses épargnes, que d'être obligé de le secourir quand il sera devenu vieux. »
- Dans notre article sur le projet de loi dont il s’agit nous disions que « bien amendé, ce projet de loi sur les sociétés de secours mutuels présenté à la Chambre par MM. Guyot, Mace, Bertholori, Nadaud, Casimir Périer, Buyat et Àudiffred, peut devenir une loi de
- mutualité nationale de la plus haute importance mais que, quand au projet sur les retraites pour la vieillesse, son utilité était beaucoup plus circonscrite, puisque, ce projet s’adresse à ceux chez qui prévoyance et l’économie sont possibles et qu’j| n’accorde rien à ceux qui sont privés de tout. » Nous ajoutions que « le véritable problème est au con. traire de faire disparaître la paupérisme et la misère, c’est-à-dire de relever ceux qui sont tombés le piQS bas en même temps qu’on aidera les autres. »
- A ce point de vue, l’amendement de MM. Tourasse et Piche constitue évidemment une amélioration réelle, puisqu’il tend à combler dans une certaine mesure la lacune que nous signalions dans le projet de loi en ne faisant plus de différence entre ceux pour qui l’écmomie est possible et ceux pour lesquels elle ne l’est point. C’est un commencement d’organi-sation de la mutualité nationale par l’Etat dont nous avons indiqué déjà les bases ainsi que les voies et moyens dans de nombreux articles.
- Les besoins de cette organisation de la mutualité sociale si conforme à la loi morale de l’humanité est si impérieux, qu’il s’impose à l’attention des hommes politiques les plus étrangers à l’étude des questions de cette nature, ainsi que le démontrent les deux citations dent les auteurs de l’amendement qui nous occupe ont eu l’heureuse idée de faire précéder leur circulaire. Ces citations les voici :
- « Il est une série d’institutions que l’Etat ne doit pas, en se substituant à l’initiative individuelle, créer de toutes pièces, mais pour la création desquelles il doit imprimer le mouvement.
- « Nous pensons que ces choses peuvent être faites sans secousses en nous informant des meilleurs moyens d’établir les institutions de prévoyance de crédit et d’assistance. » (Discours de M. Gambetta à Honfleur 7 septembre 1881.)
- « Ceux que l’âge ou des infirmités mettent également dans l’impossibilité de gagner leur vie ont également droit à une assistance plus efficace de la part de l’Etat que celle que l’on accorde jusqu’ici. Trouver les vrais moyens de leur accorder cette assistance est une tâche difficile, mais une des tâches les plus élevées d'une société fondée sur les bases du Christianisme. (De Bismarck. Discours du trône, 17 novembre 1881.)
- Messieurs Tourasse et Piche font passer, par leur amendement, du domaine de la théorie dans celui des faits cette reconnaissance du devoir de l’assistance à fournir par l’Etat aux déshérités, dont le principe est ainsi formellement admis parles deux hommes politiques les plus marquants de notre époque.C’est un premier pas dans cette voie féconde de la mutualité
- p.228 - vue 229/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 229
- nationale, mais il est plein de promesses, s’il est vrai
- ’en cette matière comme dans toutes les autres il n’y ait que le premier pas qui coûte.
- Mais il est une question qu’ils ne paraissent pas avoir prévu dans la rédaction de leur amendement; c’est celle que signalait à ce sujet le « Petit. Journal » dans un article récent, la question de la mortalité des enfants. Or cette question a une importance considérable puisque selon que l’Etat fera ou non profiter les survivants des disponibilités laissées par les morts, comme cela se pratique dans les assurances mutuelles et les tontines, le montant de la rente viagère peut augmenter dans une proportion telle qu’elle en sera plus que doublée. D’après les tables de mortalité de Montferrand, en effet, sur dix mille individus nés le même jour,4215 seulement survivent à l’âge de soixante ans ; d’où il suit que si, grâce au versement fait au moment de leur naissance, un million de personnes doivent jouir à soixante ans d’une rente viagère de 25 francs, les quatre cent vingt-un mille cinq cents qui survivent à cet âge ayant à se partager les 25 millions de rente que représente ce chiffre, jouiraient d’une rente viagère de 59 fr. 31 au lieu de 25.
- L’auteur de l’article du Petit Journal demande qui profiterait du premier versement fait par l’Etat en cas de mort? « L’Etat, dit-il, cela reviendrait à reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre. » Et il ajoute: « Il me semble qu'il faudrait faire profiter les assurés de cette prime à la naissance qui deviendra, j’en suis convaincu, un élément très important de rénovation. »
- « Il y a là, ce me semble, dit-il en terminant, un grand stimulant à créer, et j’espère qu’il se fera sur cette idée de la prime à la naissance une agitation féconde en résultats. »
- Dans tous les cas cette mesure n’eùt-eïle que l’effet prévu par les auteurs de l’amendement, dans le passage de leur lettre où ils disent que « ce résultat si extraordinaire (du versement primitif) frapperait à coup sûr l’imagination des parents, les engagerait à grossir par de petits versements la retraite de leurs enfants, (en attendant que ceux-ci la complétassent eux-mêmes), et leur inspirerait souvent l’idée de se constituer une retraite à laquelle, sans Cela ils n’auraient probablement jamais songé, » ce serait assurément encore une excellente chose.
- Mais nous ne saurions trop le répéter, la mutualité nationale qui doit remplacer par la protection mutuelle et sociale les efforts insuffisants de la charité sous toutes ses formes, bureaux de bienfaisance 0u autres, exige pour son organisation la liberté
- d’association et l’appui de l’Etat, la participation active des individus à cette organisation et à l’administration des caisses de la mutualité, et enfin les ressources suffisantes à son fonctionnement.
- L’amendement dont il s’agit ne vise qu’une catégorie de nécessiteux, les vieillards. Mais la Société en renferme beaucoup d’autres, tels que les invalides du travail, les infirmes, les malades, les enfants abandonnés qui n’ont pas un moindre droit que les hommes âgés aux garanties de l’existence. Or, ce droit à l’assistance est le même pour tous ceux qui en ont besoin quels qu’ils soient, et c’est ce que les législateurs de 1793 reconnaissaient formellement dans la déclaration des droits qui sert de préambule à la Constitution rédigée par eux,et dans laquelle on lit les passages suivants :
- « Article 21. — Les secours publics sont une dette sacrée. La Société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
- Art. 23. — La garantie sociale consiste dans l’action de tous pour assurer à chacun !a réjouissance et la conservation de ses droits : cette garantie repose sur la souveraineté nationale. »
- C’est donc à tort qu’en présence de besoins urgents, immédiats, dont la satisfaction est un droit strict d’un côté et un devoir formel de l’autre, droit des nécessiteux, devoirs de l’Etat, l’amendement ne vise l’assistance à fournir que pour un délai extrêmement éloigné, soixante ans. La dette publique envers les nécessiteux est constante, de tous les moments, et l’Etat n’a point le droit d’en différer l’acquittement.
- Au point de vue pratique d’ailleurs, cet amendement est une complication presqu’impraticable. Il présente des difficultés et des dépenses administratives très considérables qui rendraient presque nul l’avantage que ses auteurs ont eu pour but de procurer aux classes nécessiteuses. Chaque livret donnerait lieu à l’ouverture d’un compte spécial, d’autant plus soigneusement tenu que les populations ignorantes sont#moins soucieuses de leurs intérêts en pareille circonstance. Le livret que l’on pourra perdre très facilement ne suffirait nullement en effet, et par conséquent la comptabilité à laquelle sa remise donnerait lieu absorberait presqu’entière-ment en frais les sommes fournies et ferait manquer complètement le but que les auteurs de l’amendement ont eu en vue. Ce sont là des difficultés matérielles avec lesquelles il faut toujours compter dans une proposition de cette nature.
- Ces réserves faites, il faut néanmoins savoir gré à
- p.229 - vue 230/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 230
- MM. Tour.asse et Piche d’avoir essayé de faire faire un pas à la question,en transportant dans la pratique ce qui était toujours resté jusqu’à présent dans les spéculations théoriques au sein du monde officiel. Comme le Devoir, organe de l’Association du Familistère s’est toujours fait une loi en même temps qu’un honneur de travailler de toutes ses forces à ce résultat, il ne pouvait passer sous silence cet acte d’initiative parlementaire si conforme, quoiqu'insuf-fisant, à ses aspirations et à ses idées.
- FAITS POLITIQUES k SOCIAUX DE LA SEMAINE
- X-a Franceot l’Italie. — Les fêtes de Palerme ont donné à l’Europe une grande leçon de politique et de morale. Ce généreux peuple de Reggio, de Messine, de Gatane, de Palerme, a démenti les pronostics des pessimistes, et déjoué en France aussi bien qu’en Italie les honteux calculs des faux patriotes qui comptaient sur la résurrection des vieilles haines pour en semer de nouvelles. Crispi vaincu a dû rajuster à la hâte son masque de faux démocrate, et se mettre lui aussi à parler concorde et union. Le voyage de Garibaldi n’est point une ovation stérile. C’est un acte, c’est un événement politique. Privilège admirable! étendu sur son petit lit, couché au fond d’un wagon, à demi perclus, le héros, par la seule vertu de sa présence, réchauffe les peuples, étouffe les haines, rallie les esprits, paralyse la monarchie, féconde la réforme électorale, avance de dix ans peut-être la maturité de la République, et tourne à la confusion de la Papauté, cette éternelle ennemie de l’Italie, l’ardeur puissante qui à sa voix fait palpiter les cœurs.
- Il n’y a donc que le parti papiste ultramontain qui ait vu dans le 6me centenaire une provocation et, quoi qu’il y ait du vrai dans la lettre que M. Freppel a adressée à la Sicilia Cattolica, ce prélat oublie que le peuple français d’aujourd’hui n’est point responsable des fautes et des crimes de ses princes d’il y a six siècles, ni que les Siciliens de nos jours ne pourraient répéter les scènes de cruautés atroces dont les papes et les rois se sont rendus coupables vis-à-vis des prisonniers et dont ils donnaient le triste exemple. Non, l’esprit qui a régné dans cette commémoration est un esprit de concorde, de progrès et de liberté.
- Il y a des points noirs à l’horizon et, comme il n’y a point de fumée sans feu, il est bon de se tenir sur ses gardes. Chose étrange, tandis que le peuple italien manifeste chaque jour et dans toutes les occasions son aversion pour la guerre,son antipathie pour des alliances contre nature — comme celle qu’Humbert Ier est allé mendier à Vienne — le monde officiel et officieux s’évertue à presser l'union de l’Italie royale avec l’Allemagne césarienne et l’Autriche impériale. « C’est contre la Russie que l’alliance se prépare, dit-on, non contre la France. » Et pourquoi contre la Russie ? « Parce que, répond-on, l’Allemagne a besoin de faire la guerre. Si elle la fait, nous ne pouvons nous mettre contre elle. » Ecoutez la Riforma, organe officieux du ministre des affaires étrangères et de son ami François Crispi :
- « A travers les incertitudes et les oscillations de la politique, une persuasion est entrée maintenant dans l’esprit de tous (?) les Italiens, savoir que l’Italie et l’Allemagne doivent être amies ; qu’une telle amitié fait désormais partie de la destinée politique des peuples européens comme conséquence naturelle des événements accomplis, aussi bien que de ceux à accomplir, et qu’elle existerait même sans la bonne disposition réciproque. Mais, comme cette bonne disposition existe
- et surabonde, l’amitié italo-germanique est pour nou8 tous (?) un article de foi. »
- M. Marselli, dans la Nuova Antologia, soutient ia même thèse, mais il montre le bout de l’oreille du roya. liste lorsqu’il dit qu’ « il faut assurer au plus tôt et a tout prix la pleine réorganisation de l’armée italienne et se rapprocher des Puissances qui, représentant eiJ Europe le principe monarchique, sont des éléments d’ordre et de paix. »
- La presse française, nous avons le regret et le devoir de le dire n’a point compris cette grande manifestation des fêtes de Palerme. Parmi les feuilles les plus dévouées à la République beaucoup ont versé dans les vieilles ornières, calomnié ou raillé les italiens, pris pour inspirations patriotiques de vieux préjugés, et finale, ment reproduit sans le savoir les sots racontars des cléricaux et des monarchistes.
- Enorme bévue, mais réparable heureusement, en ce moment où la mise en vigueur de la loi qui sépare enfin l’école des Eglises et rend à la fois obligatoire et laïque l’instruction primaire, fait de la France le champ clos où l’esprit du moyen-àge et l’esprit moderne vont livrer le dernier combat. L’issue de ce combat n’est point douteuse, car en fin de compte c’est le peuple des pères et des mères de famille qui prononcera. Les évêques en seront pour leurs amendements, les ligues cléricales pour leurs menaces. Les appels à la révolte n’yuront qu’un effet, hâter l’heure où la séparation des Eglises et de l’Etat complétant la séparation des écoles et des églises, le budget des cultes ira grossir le budget de l’instruction publique. Pour assurer le triomphe de la nouvelle loi, une seule chose est à faire, en appliquer rigoureusement le principe : faire partout, en tout et par tous respecter absolument le liberté des consciences.
- AUTRICHE
- Même en Autriche, le goût du suffrage universel s’infiltre goutte à goutte. Voici deux ans que les paysans et les ouvriers réclament le droit de voter. Quatre mille 1 ouvriers se sont réunis il y a huit jours à Vienne pour | voter et signer une pétition qui revendique le suffrage, f M. Kronavetter, le seul député qui ait osé défendre 'I devant la Chambre l’extension du droit de vote, a fait avec une grande éloquence dans cette réunion le tableau des premières phases de la lutte, et prédit au milieu des acclamations les succès immanquables de tant d’efforts.
- La Turquie et la Roumanie sont, dit-on, d’accord pour régler par voie d’arbitrage les difficultés qui les divisent au sujet des indemnités de guerre que l’une doit a l’autre. Il est très bien de recourir à l’arbitrage, mais quand verra-t-on deux peuples passer entre eux un traité d’arbitrage permanent?
- ESPAGNE
- 1
- L’Espagne fermente. Mécontents du traité de commerce passé avec la France, les gros manufacturiers catalans ont mis sur le pavéfquelques milliers d’ouvriers qu’ils poussent à l’insurrection. Mécontents de l’augmentation de l’impôt des patentes les commerçants refusent de payer, ferment leurs boutiques et se laissent saisir. M. Sagasta déclare que tous les ministres acceptent la solidarité des projets financiers de M. Camacho, il se fait fort de maintenir l’ordre, il invite froidement les Cortès à discuter et à voter le traité de commerce, et pendant ce temps les ouvriers, très calmes d’ailleurs, remplissent les rues, les boulevards et les places de Barcelone et de Tarragone, le Catalogne est sous l’état de siège, les troupes sont consignées, les canons braqués et les fusils chargés. Quand donc les ouvriers espagnols imitant leurs camarades d’Angleterre, de France, et d’Italie, se lasseront-ils de jouer sur l’échiquier social le rôle des pions qu’on pousse, qu’on avance, qu’on sacrifie selon les péripéties d’une partie dans laquelle ils n’ont aucun intérêt. Quand sauront-ils s’affranchir pacifiquement?
- p.230 - vue 231/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 231
- ALLEMAGNE
- Voici que M. de Bismarck et M. Pecci recommencent l'ennuyeuse comédie de leurs pourparlers, ce jeu^ sans An où l’un et l’autre, semblent se complaire. Peu à peu nourlant M. de Bismarck glisse sur le chemin qui mène ? Canossa. Le Landtag a voté en troisième lecture la Toi oui, remettant à l’arbitraire du roi ou peu s’en faut le maintien ou l’abandon des fameuses lois de mai, laisse peu de chose de ce qui fut le Kulturkampf. La France aura supprimé le budget des cultes avant que le Pape et le Grand-Chancelier soient vraiment bouillés ou «incèrement d’accord,
- “ consistoires protestants, Consistoires israëlites, Curés et Grands-Vicaires sont d’accord en Alsace et en Lorraine pour réclamer le maintien des écoles mixtes dont le pieux Manteuffel exige la suppression. Nous ne connaissons point de témoignage plus concluant en faveur de la liberté de conscience.
- ALSACE-LORRAINE
- Un article de la Gazette de Postdam a suggéré à la France méridionale de Nice les réflexions suivantes :
- Ainsi donc il y a en Europe une question d’Alsace-Lorraine ! C’est un journal prussien et qui plus est un journal officieux, un « reptile » qui le déclare, et qui parle,en termes énigmatiques il est vrai,de la possibilité, voire de la nécessité de rétrocéder les deux provinces à la France. A la longue la lumière crève le nuage. Il devient évident que l’Allemagne marche à une ruine certaine si pendant quarante ans encore elle est forcée d’engloutir ses revenus dans le gouffre sans fond des dépenses militaires, et que la seule voie qui mène hors de l’abîme c’est une alliance solide avec la France,basée cette alliance, sur la justice qui exige impérieusement la libération de P Alsace-Lorraine.
- ANGLETERRE
- En rejetant l’amendement que M. Marriett avait présenté contre le principe du biil qui propose d’introduire l'usage de la clôture dans les discussions parlementaires, la Chambre anglaise a résolu en faveur de M. Gladstone la question de cabinet. — Une minorité de 42 voix s’est prononcée contre la nouvelle dotation accordée au prince Léopold à l’occasion de son mariage. Deux ministres, sir Dilke et M. Chamberlain, se sont abstenus.
- *
- * ¥
- Le trésor de Dijon. — II y a quelques jours un trésor considérable a été trouvé dans un vieil hôtel de Dijon. Voici les renseignements que les journaux de la localité nous apportent à ce sujet :
- Les ouvriers travaillaient, le 14 mars, entre dix et onze heures du matin, place Saint-Jean, 21, dans le vieil hôtel Moussière, un de ces hôtels du dix-huitième siècle qui donnaient à Dijon une physionomie toute particulière, avant que nos mœurs modernes ne les eussent transformés aux convenances et au goût du jour.
- L’un d’eux, le sieur Brechillot, plâtrier, en enlevant une boiserie dans un des appartements du premier étage qu’occupait, tout dernièrement encore, M. Roger, avoué, découvrit trois coffrets d’une lourdeur étonnante.
- Ses camarades et lui furent saisis de stupeur à cette vue. — On se hâta de prévenir M. le docteur Chanut, propriétaire de l’immeuble, et Me Derantière, notaire, pour procéder à l’inventaire des objets mystérieux.
- Ces précieux coffrets contenaient réellement un trésor, un vrai trésor de trots cents six mille francs en louis et doubles d’or à l’effigie de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI.
- Par qui a-t-elle été eacbéeet pourquoi? car 306,000 fr. ne s’oublient comme on peut oublier son parapluie et ne plus se le rappeler.
- Mais tout est encore mystère pour nous, et toutes les
- hypothèses n’aboutiraient à rien. Attendons, et nous apprendrons peut-être un jour ce qu’il en est sur cette découverte extraordinaire.
- AMÉRIQUE
- XJjae ville saccagée. — 4,000 victimes. — Les dernières informations de l’Amérique du Sud confirment la nouvelle de la prise et de la destruction, par une bande de pillards, de la ville péruvienne de Pisco.
- Ges pillards, au nombre de six cents environ, et sous les ordres d’un certain Mas, qui se- donnait le titre de colonel, sont entrés par surprise à Pisco. Mas a fait distribuer nombre de tonneaux devin à ses hommes; après quoi ceux-ci ont pillé la ville et mis le feu aux environs.
- Les résidents étrangers, au nombre de quatre cents, ont voulu s’opposer aux déprédations et aux crimes de ces maraudeurs; mais lisent été repoussés et trois cents d’entre eux ont péri.
- Le nombre des- victimes, péruviens et étrangers, dépasse le chiffre de mille. Le bruit court que le consul français est parmi les morts, et que Mas, après cet exploit, a été tué par les troupes, de Garcia Galderon.
- Pisco était une petite ville du département de Lima, sur le Pacifique. Elle comptait huit mille habitants. Sa belle rade, son port sûr et sa proximité des dépôts de guano des îles Chinchas et Ilobos, en faisaient un important centre commercial.
- Cette ville renommée sur toute la côte pendant les premiers temps de l’occupation espagnole pour sa grandeur et sa richesse a été une première fois prise et pillée par des pirates en 1624. En 1686, elle eut le même sort; elle recommençait à peine à se relever de ses ruines, lorsque, l’année suivante, un tremblement de terre la détruisit de fond en comble.
- La catastrophe du mois dernier est la quatrième du même genre que subit la malheureuse ville de Pisco.
- «— " ..............
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE III
- Au Familistère, de même que dans renseignement, il n’y a qu’un pas du théâtre à l’école, et rien n’était plus logique que de les placer, comme Ta fait notre fondateur, à côté l’un de l’autre, se tenant ensemble, formant un groupe, un tout homogène et intimement uni. L’enseignement par le théâtre est en effet une éducation plus puissante que les récits, que la vue des images, des objets isolés, fragments archéologiques incomplets, que les livres, les musées, les collections, les bibliothèques, bien que ces divers moyens constituent d’excellents matériaux à utiliser.
- Ce que l’enfant garde le mieux dans sa mémoire, c’est incontestablement les choses dont la vue Ta vivement frappé, fortement impressionné. Raeontez-lui un événement, en le présentant dans la forme la plus attrayante que vous saurez trouver ; faites-lui-en lire le récit dans un auteur qui le retrace bien ; il en gardera un souvenir bien moins durable que si vous lui eussiez représenté ce même événement sur
- p.231 - vue 232/836
-
-
-
- 232
- LE DEVOIR
- la scène, où il croira assister au-fait lui-même, voyant les personnages agir, et éprouvant exactement les mêmes émotions qu’il eût ressenties s’il avait été présent au moment où il s’accomplissait. C’est parles yeux et par les sentiments que l’enfance est impressionnable; c’est donc par là qu'il faut savoir la prendre pour lui bien inculquer les notions qu’elle doit posséder, Cette leçon, en etfet, non seulement elle la reçoit par un des sens, mais elle la sent par tous à la fois, elle la vit, pour ainsi dire, parce qu’elle frappe en même temps toutes les sources de perception qui sont en elle.
- A l’école Monge, à Paris, une des meilleures sans contredit de la capitale, les éminents professeurs ont si bien compris cette vérité, que deux fois par mois, le jeudi, on y fait jouer les principales pièces du répertoire classique et du théâtre moderne. Le succès de cette mesure a été grand ; l’art de réciter, la bonne articulation, la prononciation y ont considérablement gagné, mais c’est surtout au point de vue moral et historique que l’on en a reconnu l’utilité à Monge, et c’est le côté principal que la direction a eu en vue en inaugurant ces représentations. Le public appréciera la diction ; c’est ce qui le séduira. Le pédagogue y verra surtout l’assimilation des idées et des sentiments ; voilà le côté sérieux.
- La question de l’école aujourd’hui est une question d’actualité, un sujet brûlant, car il provoque une véritable levée de boucliers de la part de cette catégorie de citoyens malgré eux de notre République, qui regrette les lettres de cachet, les droits du seigneur, les bûchers de l’Inquisition, les dragonnades et les Saint-Barthelemy. Ils se sont mis en pleine révolte contre la loi, parce que, plus respectueux que leurs devanciers des droits imprescriptibles de toutes les consciences, nos législateurs viennent de décider souverainement que l’enfant d’un juif, d’un musul-mal, d’un protestant ou d’un libre-penseur ne devra plus être obligé d’écouter les leçons du catéchisme catholique lui apprenant que les juifs, les musulmans, les protestants, sont des mécréants, des indignes, des damnés destinés à brûler éternellement dans une fournaise ardente. Déclarer que chacun doit faire son métier chez lui, le maître à son école, et le prêtre dans son église, c’est une abominable chose aux yeux de ces messieurs, et une atteinte inouïe à la liberté des pères de famille. Ah ! enlever au père Mortara son fils, pour le fourrer de force dans un séminaire, et l’y garder malgré ses réclamations réitérées, ce n’est point attenter aux droits du père de famille, mais empêcher un prêtre de venir dans l’école où il n’a que faire, donner un enseignement
- i ridicule, voilà un attentat coupable, un crime de îèse-paternité !
- Telle est la logique de Messieurs les cléricaux pour qui le but justifie toujours les moyens, si bien qu’un prêtre luxurieux, pour éviter le scandale, peut tuer de ses mains l’homme qui le surprend eu flagrant délit, sans encourir d’irrégularité, malgré que l’Eglise ait horreur du sang, Ecclesia abhorret a sanguine. Quand ils sont au pouvoir, s’insurger contre la loi est un crime capital puni de mort; mais quand ils n’y sont pas, se mettre en état de rébellion est un acte méritoire et louable, témoins la chouannerie, les guerres de la Vendée, et leur attitude actuelle vis-à-vis de l’enseignement laïque. Lisez leurs almanachs et leurs livres, et vous y verrez à chaque page glorifier et traiter de héros ces brigands bretons et vendéens, qui, guidés par leurs prêtres, massacraient les défenseurs de la loi, les soldats français, tandis que les braves militaires que le gouvernement était obligé de faire marcher contre eux pour rétablir l’ordre, n’y sont que des brigands, des malfaiteurs, des bleus.
- Or, beaucoup de ceux qui écrivent de ces choses sont de bonne foi; iis croient parfaitement ces monstruosités qui sont pour eux des vérités évidentes, et cela n’a rien d’extraordinaire, puisque "c’est ainsi que l’on leur a enseigné l’histoire. Les Loriquet de sacristie faussent les faits suivant les besoins de la religion, et rien n’est plus bizarre que leur façon de les apprécier. Pour un élève de séminaire, par exemple, Louis XVI était le meilleur des rois, tombé martyr de sa foi sous les coups des athées et des ambitieux; Bonaparte „ était le lieutenant-général du royaume pour le roi Louis XVIII; et Marie-Antoinette est une intéressante victime des passions sanguinaires de ses sujets révoltés ; les peuples sont le bien, la chose des rois que Dieu lui-même a établis sur eux, et ils n’ont que des devoirs envers leurs souverains sans aucun droit, de même que ceux-ci n’ont que des droits sans aucun devoir vis-à-vis de leurs peuples.
- instruits de la sorte, quoi d’étonnant à ce que des Français n’ayant pas la moindre idée du patriotisme, aient pris en émigrant les armes dans les rangs des armées allemandes contre la France,'et qu’un roi de France lui-même se soit fait ramener de force dans les fourgons de l’étranger envahissant le royaume ? Chaque arbre porte ses fruits, et une éducation faussée de toutes manières ne peut point produire des hommes droits, justes, patriotes.
- C’était une véritable plaie dans les pays catholiques que cette influence du clergé sur l’instruction publique, et l’on ne saurait trop se réjouir de voir
- p.232 - vue 233/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 233
- enün cette déplorable influence détruite, après un siècle d’efforts et de lutte, dans le nôtre. Tant que le prêtre avait un libre accès dans l’école, et de l’autorité sur l’instituteur, tous les remèdes au mal étaient condamnés à l’impuissance, et les énervantes doctrines du catholicisme détruisaient fatalement ce que la vérité pouvait avoir jeté de bons germes dans l’âme de l’élève. Cela est si vrai, que nulle part on n’a va le progrès s’accentuer, la prospérité régner tant que l’on ne s’est pas affranchi du joug du clergé et des prescriptions abrutissantes de l’Eglise. En fait d’instruction, de lumière, de production, il n’est point de pays plus arriéré que les pays foncièrement catholiques, lorsqu’il y en avait encore. Car, il faut le reconnaître à l’honneur de notre siècle, aujourd’hui il n’existe plus de contrée où le catholicisme règne comme il régnait encore à la fin du siècle dernier en Italie, en Autriche, en Espagne et même en France. Aujourd’hui tout tend à s’émanciper de plus en plus de sa néfaste influence, et c’est sur ses ruines que nous avons vu luire enfin l’aurore radieuse de la liberté du progrès.
- La liberté ! Voilà le drapeau que doit arborer tout homme qui comprend son rôle sur la terre ; c’est celui que le fondateur du Familistère a placé au plus haut sommet de son édifice, et qu’il suit invariablement partout. Dans le palais social, chacun est libre de penser comme il l’entend,et cela est si vrai, que si jamais un prêtre n’a franchi le seuil de ses écoles, où sa présence est plus qu’une anomalie, un danger, dans l’enceinte du Familistère les membres du clergé ont aussi libre accès que n’importe qui. Tout le monde, parmi cette population, n’est pas complètement dégagé des idées qu’on inculquait naguère dans toutes les familles, et qui se rattachent encore au passé. Préjugés* ou non, ces opinions, on les respecte, et lorsqu’un des habitants y meurt, si sa famille désire le concours du clergé aux funérailles, le clergé est appelé à y présider. Sur dix enterrements qui se font au familistère, il y en a sept au moins qui sont religieux. Les sœurs de charitéy viennent visiter les malades qui les appellent, sans que jamais il soit venu à la pensée de personne d’y trouver à redire. De même qu’on admet le médecin, on admet le prêtre lorsqu’il est désiré, parce que chacun a le droit d’exercer librement son ministère.
- Ce que l’on doit entraver et empêcher, c’est la propagande, le prosélytisme, l’obsession importune et dangereuse, et en somme la loi récemment votée par la législature Française n’a point d’autre but que celui-là. Elle dit avec beaucoup de raison au clergé : Vous avez mission d’enseigner la religion dont vous êtes les ministres, mais votre mission se borne à
- cela purement et simplement. C’est à tort que vous élevez des prétentions à instruire l’enfance et la jeunesse sur tout ce qui constitue la science profane, parce que vous n’avez aucune compétence pour cela. Vous professez à cet égard des doctrines qui sont en contradiction flagrante avec la logique, avec le bon sens, avec la raison, et vos enseignements sur ce point sont ahsoluments erronés. Vous établissez comme des faits acquis des impossibilités matérielles ; vous assignez aux choses une origine que tout contredit formellement ; vous mettez partout l’erreur à la place de la vérité, parce que vous n’admettez point la loi divine du progrès, qui fait souvent de la vérité apparente d’hier, l’erreur manifeste d’aujourd’hui. Tandis que tout marche, que tout avance autour de vous, vous seuls restez immobiles, et il en résulte que l’humanifé est déjà loin de vous dans la voie de la vérité, tandis que vous vous croyez encore appelés à marcher à sa tête et à la conduire.;
- Il est impossible de professer une doctrine immuable et de s’entendre avec le progrès. Vous êtes immuables dans vos dogmes, résignez-vous donc à être laissés en arrière par l’humanité qui marche toujours en avant et ne s’immobilise jamais. Pour la guider, il faut marcher avec elle et du même pas qu’elle, ou renoncer à la conduire. Quant à arrêter sa marche c’est chose impossible et ce serait folie de l’essayer.
- Ce que la législation vient enfin de consacrer définitivement en France est, depuis la création, pratiqué dans les écoles du Familistère, où l’instruction a toujours été obligatoire et laïque en même temps que gratuite. La question des écoles est une de celles qui y ont été le plus sérieusement étudiées, et elle mérite, lecteur, que nous nous y arrêtions un peu pour nous rendre bien compte du mérite des méthodes employées, du but que l’on s’est tracé en les adoptant, des améliorations que l’initiative des personnes dévouées que le fondateur s’est adjointes pour cette création y ont introduites, de tout ce qui, en un mot intéresse au plus haut point les citoyens patriotes et amis du progrès, et les pères de famille dont les cléricaux invoquent si haut les droits contre leurs adversaires, tout en les respectant eux-mêmes si peu.
- [A suivre).
- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- La journée radieuse du dimanche de Pâques s’est terminée au Familistère par une représentation qui avait attiré dans sa coquette salle de spectacle une
- p.233 - vue 234/836
-
-
-
- 234
- LE DEVOIR
- affluence considérable ; du faîte à la base tout était pris, et plus de mille personnes, hommes, femmes, enfants s’y pressaient heureux de cette distraction de haut goût dont ils sont hélas sevrés depuis quelque temps. Longtemps avant le lever du rideau les lazzis des spectateurs du paradis réveillaient ces échos longtemps endormis, tandis que le parterre s’emplissait rapidement et que les premières galeries se garnissaient plus lentement de monde.C’était un coup d’œil animé, riant, plaisant à l’œil, que cette mer mouvante de têtes s’agitant sans cesse avec un murmure bruyant de foule impatiente.
- Le spectacle était composé du « Supplice d'un Homme », comédie-vaudeville en trois actes, de Orangé et Lambert-Thiboust, dans laquelle il faut citer le jeu remarquable d’une duègne remplissant un rôle de belle-mère, véritable fléau domestique, fort bien tenu par Mme Livron, celui d’un jardinier débauché et celui d’un amateur de canotage, M.Gan-cey, sans oublier Mlle Sciani, une blonde délaissée, séparée de son mari le canotier, et la gracieuse Mme Angelhiaume, soubrette charmante, aux yeux noirs pleins de feu. Le principal rôle, celui du mari en puissance de belle-mère, est joué avec assez de naturel et de verve par M. Anselme.
- Nous retrouvons ces artistes dans la Pêrichole que tout le monde connaît, et qui a été admirablement jouée par M. et Mme Julien, les deux artistes évidemment supérieurs de la troupe. Le jeu de M. Julien dans le vice-roi est parfait de naturel et de tenue, et Mme Julien donne à son rôle de Pêrichole un charme, une grâce et une sensibilité exquises. En somme, c’est une soirée fort agréable que ces artistes consciencieux et honnêtes ont procuré aux habitants du Familistère, à qui nous donnerons en terminant l’excellent conseil de comprendre que la présence à ces spectacles de jeunes enfants au berceau est un tort à tous les points de vue, car la santé de ces petits êtres n’a rien à gagneràêtre ainsi enfermés pendant des heures dans une atmosphère surchauffée et chargée d’acide carbonique,et d'autre part leurs cris sont toujours une cause de trouble que nul n’a le droit de provoquer en empêchant les autres de jouir paisiblement du spectacle. La place de ces enfants si jeunes et de leur mère est non pas au théâtre mais à la maison.
- LA MISSION DE L’ESPÈCE HUMAINE
- Un de nos abonnés de Tournus nous écrit une lettre extrêmement flatteuse pour le journal, de laquelle nous extrairons le passage suivant qui
- exprime peut-être une préoccupation d’esprit commune au signataire de la lettre et a beaucoup d’autres penseurs comme lui.
- « Tout en constatant de quelle force et de quelle puissance est le principe fondamental sur lequel s’appuie votre doctrine de l’amélioration sociale et individuelle, c’est-à-dire le respect de la vie humaine, nous écrit notre correspondant, il me semble qu’il ne serait peut-être pas hors de propos de faire appel à un argument supplémentaire pour en augmenter la force et la puissance.
- « Cet argument, si je ne me trompe, sera très-apprécié dans les temps futurs, et il me semble assez en harmonie avec ce qui a été sérieusement étudié des œuvres de la nature. S’il est vrai que la nature ne fait rien pour rien, ainsi qu’on le dit proverbialement, on doit, en étudiant les facultés, les penchants, les inclinations des individus de l’espèce humaine, reconnaître qu’elle a été faite pour une destination supérieure à celle de vivoter ou vivre tant mal que bien. Si, en effet, elle n’avait pas une autre destination que la destination terrestre actuelle, à quoi bon ces admirables et multiples facultés dont la nature l’a douée ? Elle n’en â pas besoin en si grand nombre pour vivre seulement. Donc, elle n’en est douée que parce qu’elle a une mission supérieure à remplir, et pour l’accomplissement de laquelle naturellement elle doit vivre, bien vivre.
- « Mais si l'espèce humaine a une mission providentielle à remplir, les institutions qui la régissent doivent toutes tendre non-seulement à lui en faciliter les moyens, mais encore à l’attirer, soit directement soit indirectement à son accomplissement.
- « D’autre part, si, cornais l’observation semble l’indiquer, aussi bien que l'expérience, cette mission consiste dans l'élaboration, la mise en œuvre, le perfectionnement des matériaux que la nature livre dans un état plus ou moins brut, plus ou moins rudimentaire, et cela, non-seulement pour le bien-être, le bonheur des créatures, mais encore et surtout pour le fonctionnement normal des fluides de la planète, l’équilibre atmosphérique, la distribution harmonique des centres habitables, celle des eaux, celle des massifs de grands végétaux, etc, etc., il est nécessaire absolument nécessaire que la vie humaine soit respectée comme un bien que l’on n’a pas le droit d’aliéner, parce que l’on est un coopérateur de la nature, son collaborateur indispensable. »
- L’idée qu’exprime dans cette lettre notre correspondant est juste évidemment. L’homme n’est point seulement destiné sur cette terre à tout faire converger vers sa subsistance végétative, comme les fauves des forêts ou les oiseaux des bois. Doué d’in-
- p.234 - vue 235/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 235
- telligence et de raison, il est clair que ces facultés lui ont été donnés dans un but quelconque, autre et plus élevé que celui-là, et que, par conséquent, leur possession lui impose des devoirs plus en rapport avec leur puissance et leur portée.
- Quel est ce but et quels sont ces devoirs qui constituent en réalité la véritable misionde l’homme sur la terre ? Ce but, c’est le progrès de l’humanité dans l’acception la plus large du mot, et ces devoirs la collaboration la plus active de chacun et de tous pour aider à son développement.
- La grande loi souveraine de l'Humanité comme de tout ce qui existe, la loi des lois, c’est la vie. Mais la vie, c’est l’activité, mère du progrès, et le progrès j est aussi une loi de l’univers. Cette activité qui engendre le Travail, c’est-à-dire la production, Ja répartition , la consommation de tout ce qui est nécessaire à la vie, l’esprit la dirige, la vie l’alimente, et la matière lui obéit, et tout concourt à l’œuvre universelle, le progrès de la vie.
- « La créature humaine, dit l’auteur de « Solutions sociales », tient à l’Etre par l’esprit, par la vie et par la substance : elle est subordonnée : au Temps, par la durée de son existence terrestre ; au mouvement, par son activité ; à l’Espace par sa place et sa fonction dans la vie.
- « La créature est faite pour la vie, c’est là le mystère de chaque existence. L’humanité n’a point d’autre mission sur la Terre que d’y faire progresser et fructifier la vie, La vie est sa première Loi. -« La vie humaine est une mission de l’Etre nécessaire à la vie universelle. » Nous poumons ajouter, pour compléter la pensée, que la vie c’est l’être, dans lequel nous sommes, nous nous mouvons, nous existons. La vie est dans tout, tout est dans la vie, car être et vivre c’est pour ainsi dire une seule et même chose.
- « Par la vie, l’homme élève la matière à la substance active, et la substance active à la vie de la Pensée.
- « C’est pourquoi la vie humaine la plus obscure est encore un des faits les plus dignes de respect de la part des hommes. »
- Paire progresser et fructifier la vie et élever la substance active à la vie de la Pensée, voilà donc la mission de l’homme ici-bas. Or cela équivaut à collaborer activement au progrès dans l’œuvre de la vie universelle. Pour l’homme, vie et travail sont un, et c’est le travail qui fait sa supériorité sur l'animal; par le travail l’homme devient le coopérateur de la nature, en transformant la matière, en cultivant le sol, en utilisant les animaux et toutes les ressources que la nature met à sa disposition ; par
- lui il accumule sur la terre la pensée et l’intelligence, par lesquelles l’Humanité rassemble les éléments de perfection ^réservés au bonheur des générations futures. Le progrès de la vie, et le bien de l’humanité, voilà le double but auquel doit tendre tout homme sur la terre.
- En concourant ainsi par le travail au progrès de : l’humanité en même temps qu’à celui de la vie uni-; verselle tant morale que physique, chacun progresse | naturellement et se perfectionne en cette vie, prépa-j rant ainsi les voies à des progrès nouveaux et à de ! nouveaux perfectionnements dans une existence supérieure.
- La mort qui, à proprement parler n’existe pas, puisqu’elle n’est qu’une très courte période de transition d’une forme d’existence à une autre, une transformation, n’interrompt nullement la continuité de la vie. Le lieu, le mode et la nature de l’être sont seuls changés ; mais la vie continue et progresse suivant la loi primordiale, et en progressant elle contribue au progrès de la vie universelle, car il existe une solidarité très étroite entre l’Individu, l’Espèce et l’Univers. L’entretien et l'équilibre de la vie universelle telle est la loi dont chaque individualité humaine est tributaire, et à laquelle elle obéit sans cesse. En conservant, en développant et en maintenant constamment en équilibre sa vie propre, l’homme concourt efficacement à l’œuvre progressive de la vie universelle, qui comprend celle de ses semblables et celle de tous les êtres de la nature. Rien n’y est perdu, rien n’y est inutile, et dans cet ensemble harmonieux chaque individualité fait sa partie, comme chaque instrument dans un orchestre complet.
- C’est dans ce concours collectif de tous à l'œuvre universelle que se trouvent les principes des droits, des devoirs et de la justice, de la morale de l’humanité, en un mot. Il n’y a point de droit sans devoir, ni de devoir sans droit, et l'équilibre des droits et des devoirs constitue la justice. Le respect absolu des droits, l’accomplissement rigoureux des devoirs forment la base de lamorale,et la morale fidèlement observée est l’agent le plus actif du progrès intellectuel ou spirituel, comme le travail est l’agent le plus efficace du progrès matériel.
- Travailler et pratiquer la morale c’est donc remplir sa mission ici-bas, c’est préparer le règne définitif de l’intelligence ou de l’esprit sur la terre, et avec lui le régime de parfaite harmonie entre les droits et les devoirs et par conséquent de lafjustice. Sous ce régime éminemment supérieur, l’œuvre de progrès moral s'accomplira pleinement,et l’humanité se perfectionnant de plus en plus atteindra à cet âge
- p.235 - vue 236/836
-
-
-
- 236
- LE DEVOIR
- d’or rêvé par les poètes, vers lequel tendent depuis le commencement de la vie ses plus ardentes aspirations.
- Il est clair dès lors que les institutions sociales doivent avoir pour effet de faciliter le plus possible à l’homme les moyens de remplir sa mission, de la lui rappeler s’il-l’oubliait, et de l’y engager s’il paraissait y répugner. Tandis que jusqu’à présent la législation dans les sociétés humaines s’est fait remarquer par son opposition constante à la libre expansion de l’homme et de l’humanité, et par les obstacles qu’elle s’est évertuée à créer à sa liberté, c’est à donner satisfaction pleine et entière à ces besoins, c’est à faire la place la plus large possible à la liberté que la législation devra viser. La loi du progrès s’applique aux sociétés aussi bien qu’aux individualités de toutes les espèces d’êtres, et par conséquent tout ce qui constitue à le développer et à le faciliter est conforme à la loi suprême qui régit toutes choses, la loi de vie, tandis que tout ce qui l’entrave est contraire à cette loi, et par conséquent nuisible à l’humanité.
- C’est ce qui explique l’absence de pr ogrès dans tout pays où. la liberté est méconnue, et son admirable essor là ou au contraire elle règne sans entrave. La liberté, c’est le droit suivant la nature, et par conséquent tout obstacle à la liberté est un attentat contre le droit et le devoir. Donc ce que la Société doit chercher de tout son pouvoir à réaliser, pour se conformer aux lois souveraines de l’humanité, c’est le parfait accord entre les besoins de l’individu et les institutions sociales, parce que c’est uniquement à la faveur de cet accord que l’homme,aussi bien que la Société elle-même, pourront remplir pleinement leur mission, le progrès.
- LE MAGNÉTISME
- {Suite)
- Nous avons vu que le docteur Baréty a constaté que l’agent qu’il nomme force neurique, et que d’autres appellent fluide magnétique, (le nom d’ailleurs ne fait rien à l’affaire), se propage dans l’air en ligne droite, et que, rencontrant sur sa route une surface polie, plane ou courbe, il se brise sur elle en faisant un angle de réflexion égal à l’angle d’incidence, de telle sorte que viser dans une glace l’image d’une région du corps, c’est, quant au résultat, exactement comme si l’on visait directement cette région elle-même. Cette force est donc soumise sous ce rapport aux mêmes lois que la chaleur et la lumière. Cette analogie se complète par l’observation des lois
- de la réfraction auxquelles elle est soumise également, car si au lieu d’une surface, elle rencontre une lentille bi-convexe ou un prisme, elle les traverse pour se concentrer au foyer de la première, et pour former par delà le second un spectre obscur.
- Ce spectre à une hauteur différente selon la source d’émission de la force. A peu près identique pour les rayons digitaux et oculaires indifféremment, elle est moindre si la force est produite par les rayons pneumoniques. Cette différence, d’après lui, pourrait tenir à ce que le souffle passant par un tube forme un faisceau de rayons plus étroit que celui qui émane du doigt ou de l’œil.
- En prenant la moyenne des hauteurs totales des spectres produits par les trois espèces de rayons il obtient une mesure de lm60. Cet immense cône spectral neurique est en quelque sorte partagé en deux transversalement par une bande indifférente ou d’une action presque nulle ayant une hauteur de 2 à 4 centimètres. La dimension du cône qui est au-dessus est un peu plus grande que celle de la partie inférieure, et dans ces deux moitiés inégales du spectre qui ont la propriété de réveiller l’hypéresthésie du doigt réactif qu’elles atteignent, l’intensité d’action diminue vers leur périphérie.
- D’autre part, quoiqu’éparpilîés en cône, les rayons qui ont traversé le prisme acquièrent une intensité d’action supérieure à celle obtenue sans autre intermédiaire que l’air ambiant.
- Ces diverses expériences faites dans l’obscurité ont permis de constater que les rayons neuriques sont obscurs.
- Le docteur Baréty a reconnu encore qu’il y a certains corps qui sont conducteurs de la force neurique comme il y en a qui sont conducteurs de l’électricité ou de la chaleur, et que d’autres l’arrêtent, l’absorbent et l’emmagasinent en eux ; que ses effets se font sentir dans l'obscurité comme à la lumière, et qu’enfin ces effets ont encore leur action à travers une forte épaisseur de corps opaques, des portes, des cloisons et même de murailles.
- Nous aurons peut-être à revenir sur ces observations que nous ne faisons qu’indiquer sommairement aujourd’hui. Pour le moment il nous semble nécessaire,pour faire passer sous les yeux de nos lecteurs toutes les pièces du procès, comme l’on dirait au palais, de citer à leur tour les déclarations du docteur Tony-Durand, auteur du livre intitulé: « Une révolution en Médecine. » Ces déclarations très catégoriques et très nettes ne sont nullement contredites ni infirmées par les expériences dont nous avons rendu compte des docteurs Baréty, Charcot, Dumontpallier et Magnin et autres.
- p.236 - vue 237/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 237
- « Ii est établi, dit le docteur Tony-Durand, que l’électricité, la lumière, le calorique, les vibrations, etc., ne dérivent que des modifications d'un seul et même agent dont la science n’a pas encore défini la nature.
- Au sujet de l'affirmation du docteur Charcot que le somnambulisme artificiel dont il est question n'est qu’une sorte d'hystérie chez la femme sans névrose, l’auteur dit que comme ce genre de somnambulisme est constant aussi bien chez l’homme que chez la femme, il ne parvient pas à s’expliquer comment l’hystérie se déclare chez l’homme.
- Il établit que le corps humain est un corps magnétique puisqu’il est pétri de fer et que, semblable aux aimants dont les corps magnétiques ne sont que des diminutifs, le corps humain est pourvu de courants ascendants et descendants qui constituent les fluides positifs et négatifs.
- Suivant lui, le fluide nerveux (le fluide neurîque ou la force neurique des docteurs précédemment cités) n’est autre chose que le fluide magnétique, et il insiste sur ce fait que l’électricité n’est pas le magnétisme qui est un fluide beaucoup plus fort. Il invoque à l’appui de son dire l’autorité du savant électricien, le comte de Moncel, qui a tant et si bien étudié les électro-aimants.
- Les courants magnétiques humains étant contigus aux vaisseaux sanguins, ne sont autre chose que la force motrice des mouvements vitaux, la force vitale, tandis que les artères et les veines ne sont que des piles magnétiques.
- S’élevant ensuite au-dessus de la sphère matérielle dans laquelle se meuvent toujours ses confrères de la Faculté appartenant au monde savant officiel, le docteur Tony-Durand affirme l’existence de l’âme et déclare que le fluide magnétique est l’intermédiaire entre l’esprit et la matière. Il fait ressortir que la volonté étant une faculté de Tâme, toute action réputée magnétique est une action spirituelle dans laquelle le magnétisme sert de véhicule, et cela l’amène tout naturellement à étudier l’esprit ses manifestations et ses forces.
- Gomme cette partie de son travail nous éloigne de notre sujet, quoique s’y rattachant logiquement pourtant, nous ne le suivrons pas dans cette voie pour le moment, d’autant plus qu’il annonce la prochaine publication d’un ouvrage dans lequel toutes ces questions et d’autres seront développées. Nous y reviendrons donc plus utilement alors.
- Mais nousne croyons pas devoir pousser plus avant cette étude sans constater que cette force inconnue sur la dénomination de laquelle la science n’est point encore bien fixée, ce fluide, cet agent enfin n’est point
- une chose nouvelle. Les doctrines des Chaldéens, des Egyptiens, des Hébreux, les ouvrages des philosophes grecs, notamment de Zenon et de ses disciples ; les écrits plus récents de Plotin, dô Pompa-nace, de Paracelse, de Robert Boyîe, de VanHelmont et autres démontrent que pendant bon nombre de siècles, cet agent mystérieux constitua presqu’ex-clusivement l’art médical des anciens. Dogmatisé par les Mages et les prêtres égyptiens, il était pratiqué dans les temples, et par une politique facile à comprendre, il devint le privilège exclusif du sacerdoce qui, avec le secret, s’en réservait les bénéfices. De chez les Mages et les Egyptiens, la pratique s’en répandit en Grèce et dans l’empire romain, et d’après le témoignage de César les druides en faisaient également usage de temps immémorial.
- Si cette science ne s’est point transmise jusqu’à nous, c’est aux lois lombardes promulguées par les rois francs et visigoths, et aux Capitulaires de Charlemagne ainsi qu’aux idées superstitieuses émanées d’une fausse interprétation du christianisme que cela est dû; comme la perte de tant de trésors littéraires et scientifiques détruits au moyen-âge.
- Enfin en Chine l’agent dont il s’agit était connu et mis en œuvre par les médecins du Céleste-Empire. Dans un livre écrit sous la dynastie des Souis qui régna aux vi® et vu® siècles de notre ère, on trouve le récit suivant d’une guérison qui confirme les expériences de nos modernes docteurs :
- « Un mandarin de haut rang, est-il dit dans cet ouvrage, avait une épouse chérie qu’il voyait dépérir de jour en jour et s’avancer à grands pas vers le tombeau, sans qu’elle se plaignit d’aucune sorte de mal ; il voulut la soumettre à l’inspection d’un médecin ; elle s’y opposa en lui disant qu’en entrant dans sa maison, elle avait pris la ferme résolution de ne se laisser jamais voir par aucun homme, et qu’elle ne voulait pas y manquer, dût-elle en mourir. Le mandarin eut beau prier, presser, solliciter, tout fut inutile. Il consulta les médecins, qui tous lui dirent qu’il n’avaient point d’avis à donner sans avoir au moins quelques indices de la maladie dont était atteinte la personne pour laquelle il les consultait.
- « Un vieux lettré se présenta et assura qu’il la guérirait sans la voir, sans même entrer dans l’appartement où elle était, pourvu néanmoins qu’elle voulût bien tenir l’un des bouts d’un long bambou dont il tiendrait lui-même l’autre bout. Le mandarin trouva le fait curieux ; et sans y ajouter foi pour la guérison qu’on lui affirmait devoir s’ensuivre, il le proposa à la malade comme quelque chose qui pourrait l’amuser plutôt que comme un remède. La malade s’y prêta de bonne grâce ; le lettré vint avec son
- p.237 - vue 238/836
-
-
-
- 238
- LE DEVOIR
- tube, dont il tenait un bout et dont il fit tenir l'autre à celle qu’il voulait guérir,en lui faisant dire de l’appliquer à l’endroit de son corps où elle pouvait soupçonner qu’était son mal, et de le promener d’un endroit à l’autre jusqu’à ce qu’elle eût éprouvé des sensations de douleur.
- « Elle obéit, et quand elle eut porté l’extrémité du tube sur la région du foie, les douleurs se déclarèrent et lui firent jeter les hauts cris. — « Ne lâchez pas prise, » lui dit le lettré, « vous serez infailliblement guérie. » Après l’avoir ainsi tenue dans l’état de douleur, l’espace d’environ un quart d’heure, il se retira et promit au mandarin de revenir le lendemain à la même heure, et ainsi chaque jour de même jusqu’à la parfaite guérison,laquelle ne se fit pas attendre au delà du sixième jour.
- « Le mandarin, plein de reconnaissance, récompensa libéralement le lettré, mais il exigea de lui qu’il avouât avec franchise si son procédé n’était pas un sié-fa, c’est-à-dire une espèce de sortilège. « Mon art, » lui répondit le lettré, « est dans les lois les plus ordinaires de la nature, et c’est parce qu’il est tel qu’il est toujours efficace. Il ne consiste que dans la connaissance que j’ai de Yyn et de Yyang qui sont dans mon corps,et dans mon adresse à diriger l’un ou l’autre sur quelqu’un chez qui l’un de ces éléments ne se trouve point en équilibre pour les y rétablir. »
- (4 Suivre).
- , L’IVROGNERIE AU POINT DE VUE SOCIAL
- Les sociétés, tant grandes que petites, ont divers ennemis à vaincre pour réaliser leur bonheur, parmi les ennemis les plus acharnés du bonheur social l’on doit reconnaître l’ivrognerie.
- L’ivrognerie est un grave défaut : personne ne le conteste excepté quelques ivrognes, car plusieurs d’entre eux avouent que ce penchant est chez eux uns fatale habitude qu’ils ne peuvent pas vaincre.
- Les misères que ce vice engendre sont incurables, et les crimes qui ont ce vice pour origine sont passablement nombreux. Mais ce que nous nous proposons c'est d’examiner ici qu’elle peut être l’utilité du rôle, que peut jouer dans la soeiété un homme qui s’adonne à l’ivrognerie.
- L’importance sociale d’un homme a pour critérium : son talent, son intelligence et ses qualités morales ; nous devons donc examiner les effets de l’ivrognerie sur ces trois points, pour connaître la valeur sociale de l'homme qui se laisse dominer par ce penchant.
- Au point de vue du talent, un homme peut avoir
- Ifait les plus sérieuses études, posséder de précieuses connaissances ; s’il s’adonne à l’ivrognerie, ce vice ne tardera pas à lui faire commettre bien des fautes ; d’abord l’ivrognerie est l’ennemi de l’exactitude,elle dérange la mémoire et prive souvent du bon sens nécessaire pour déterminer la précision de ce que l'on doit faire, ces conséquences annihilent donc le mérite attribué au talent.
- Pour ce qui est de l’intelligence, on peut dire que ce vice est un poison pour elle, puisqu’il parvient à l’atrophier, chez quelques individus, au point de lui substituer cette espèce de folie que l’on nomme l’alcoolisme. L’on peut dire de tout homme qui se laisse aller à l’ivrognerie que son intelligence n’est pas saine, et qu’elle est altérée en raison de l’influence que sa passion exerce sur lui.
- En atrophiant l’intelligence, l’ivrognerie annule donc la valeur sociale de l’individu puisqu’elle le prive du principe essentiel de sociabilité; en effet, la valeur sociale d’un homme consiste dans l’art de savoir se rendre utile aux autres ; et pour accomplir ce devoir, il faut avoir l’intelligence saine.
- Pour ce qui est des effets de l’ivrogneriô sur les qualités morales, on connaît suffisamment les extravagances qui résultent de la folie engendrée par l’ivresse.
- L’ivrognerie ne peut donc avoir que des conséquences déplorables au point de vue social, ce serait donc à peu près une utopie que de vouloir socialiser les hommes qui se laissent aller à cette funeste habitude. Nous croyons donc que c’est faire œuvre de bon socialiste que de combattre cette infirmité morale, et qu’agir ainsi c’est préparer le |errain pour la fraternité sociale.
- Pour combattre un mal, il faut en connaître les causes, or, quelles peuvent bien être les causes de cette infirmité morale? quel peut bien être ce charme fascinateur qui a si facilement raison de la raison de l’homme ? nous croyons tout d’abord que ce charme n’amorce pas toutes ses victimes de J a même manière; les uns y vont par désœuvrement, d’autres cherchent à y noyer un chagrin, d’autres y vont par faiblesse, d’autres par ce que c’est pour eux le suprême plaisir, où le plaisir à la mode; enfin il y en a pour lesquels c’est une véritable passion. Dans tous les cas,et quel que soit le motif qui y conduise ; ce charme finit par fasciner et dominer celui qui le goûte trop souvent, et à en faire un être impropre pour la vie sociale.
- Si nous cherchons à découvrir les causes qui portent à l’ivrognerie, nous remarquons, tout d’abord, que ce vice est bien plus commun dans la classe ouvrière que dans les autres parties de la société :
- p.238 - vue 239/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 239
- à quoi cela tient-il ? nous admettons que le défaut d’éducation y est pour quelque chose, mais nous croyons aussi que l’ouvrier est trop souvent disposé à se venger au cabaret des privations que lui impose chez lui sa situation sociale. L’ouvrier s’en va au cabaret pour satisfaire un appétit longtemps comprimé par les privations, il n’a pas toujours la prudence de pratiquer la modération dans ses satisfactions, qui sont légitimes lorsqu’elles ne s’écartent pas de la raison; mais qui dégénèrent presque toujours en folie par les occasions et les entraînements qu’offre le cabaret.
- Celui à qui sa fortune ou sa situation permet les satisfactions immédiates de ses appétits, de ses désirs ou de ses besoins ; celui là n’a pas lieu de convoiter les délices du cabaret» s’il y va c’est par désoeuvrement, c’est pour yftrouver les moyens de passer son temps, quelques fois aussi pour y goûter quelques plaisirs raffinés, qu’il n’a pas sous la main chez lui, et susceptibles de distraire ses sens engour* dis par l’oisiveté.
- La mauvaise éducation, l’indigence inhérente à la situation sociale que notre système légal fait à la classe ouvrière, et les principes qu’engendre la fréquentation des cabarets : voilà les causes de cette passion, qui cause tant de misères, tant de déshonneur, et qui fait tant de victimes.
- A présent si l’on veut établir la fraternité sociale ; il faut nécessairement guérir la société de cette infirmité morale ; car jamais un honnête homme n’aura le courage de voir un frère dans un homme pris de vin, si l’on a la modestie de le faire, c’est comme on le ferait d’un galeux, on le plaint sans oser le fréquenter. L’eapacê d'un article ne nous permet pas de nous étendre sur les détails concernant les moyens qu’il y aurait à appliquer comme remèdes à cette plaie sociale, mais ils pourront fournir matière à un ou plusieurs autres articles*
- Th. G.
- Le compliee-fivocat. —* L’histoire est absolument authentique. Elle s’est passée dans la ville de.-. » Going-la-Gompote, si vous voulez, sous-préfecture du département des Bouches-de-la-Bièvre, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
- Le tribunal de la loealité était saisi d’une plainte en adultère portée contre sa femme par un notable habitant, un gros bonnet, quelque chose comme un adjoint au maire, si je me souviens bien.
- Vous voyez d’ici le potin.
- Vous savez cè que c’êst qu’une petite ville de province. Dès qu’on y fouette un chat, tuute la population se met en branle ; le fait devient l’événement du jour ; on s’arrête dans la rue pour se communiquer la nouvelle; on ne parle que de cela au café de Paris et à l’hôtel du Lion-d’Or; on se rassemble sur les portes pour échanger des commentaires ; on se cherche ; on se court les uns après les autres, et, le soir, à la veillée, l’histeire fait l’objet d’une conférence contradictoire.
- Il y a les partisans du chat fouetté et les défenseurs de celui qui a fouetté le chat. On jase, on popotte, on discute, on s’interpelle, et, finalement, on s’accorde à déclarer que la chose est grave et que la civilisation court des dangers.
- Donc la plainte en adultère vint devant le tribunal.Le flagrant délit avait été constaté, mais la femme seule était poursuivie. Son complice était resté inconnu. Au moment de l’entrée du commissaire de police dans la chambre où se perpétrait le crime, l’amant filait en chemise par une fenêtre, ses vêtements sur le bras, et le magistrat ne put voir que... le contraire de sa figure, indice insuffisant pour reconstituer un état civil. Le coupable avait' pu s’enfuir, et naturellement il s’était bien gardé de donner de ses nouvelles. L’amante avait héroïquement observé le même silence.
- Un jeune et brillant avocat, que nous appellerons M, Beaütnollet, défendait l’épouse infidèle. Il la défendait chaleureusement, avec conviction, abîmant le mari, le représentant comme un réceptacle de tous les vices, lorsque tout à coup, le substitut l’interrompit ;
- — Messieurs, dit au^ tribunal l’organe du ministère public, on m'apporte à l’instant un portefeuille trouvé par un domestique dans la chambi e où le délit a été constaté. C’est celui du complice et les papiers qu’il contient ne laisse aucun doute sur l’identité de ce-lui-ci.
- — Le nom du complice? demanda le président.
- Je m’institue son défenseur,s’écria vivement M®Beau-mollet.
- — Je crois bien, ajouta malicieusement le substitut. Alors, faites connaître au tribunal le nom du coupable. Visiblement embarrassé, MeBeaumollet hésita un instant, puis, prenant son parti :
- — Quelque pénible que soit ce devoir, déclara-t-il,ma conscience m’oblige à le remplir. Je viens de vous dire que je me constituais le défenseurdu coupable. Eh bien, ce coupable, c’est... son avocat,
- On ea rit encore à Going-la-Gompote.
- L’affaire a été renvoyée. Qn croit que le tribunal se montrera indulgent.
- Diogène.
- ———
- BIBLIOGRAPHIE
- LA PREMIÈRE ANNÉE
- D'ENSEIGNEMENT SCIENTIFIQUE
- (sciences physiques et naturelles)
- Par NI. Paul BERT
- 1 vol. in-12, plus de 500 gravures, cart.... 1 fr. 50
- Librairie Armand COLIN et O
- 1, 3, S, rue de Mézières, Paris
- Cet ouvrage a été spécialement conçu pour répondre aux nouveaux programmes qui ont introduit les éléments des Sciences physiques et naturelles dans l’enseignement primaire. Ce n’est ni un manuel, ni un abrégé, mais bien dans toute l’acception du mot, un Traité élémentaire où l’auteur a appliqué son remarquable talent de vulgarisateur à mettre à la portée des enfants les faits fondamentaux de chaque science.
- Le livre est divisé en sept grandes sections :
- 1° Animaux. I 5° Chimie.
- 2° Végétaux. | 6° Physiologie animale.
- 3° Pierres et terrain. I 7° Physiologie végétale.
- 4° Physique. I
- p.239 - vue 240/836
-
-
-
- 240
- LÉ DEVOIR
- Chacune de ces sections forme un petit traité ou tout a été calculé afin qu’il ne dépassât ni la force, ni le niveau des connaissances d’un enfant de dix à douze ans.
- L’auteur n’a pas adopté la forme un peu sèche des manuels, il a craint qu’elle inspirât de l’éloignement à l’enfant pour des matières si nouvelles pour lui. Il a préféré donner à ses leçons la forme d’une conversation claire, vive et familière, qui attire et soutient plus facilement l’intérêt.
- Ce volume constitue par suite un livre des plus attrayants.
- Mais la loi exige que l’école primaire ait un véritable enseignement scientifique et comme la simple lecture pourrait ne laisser que des souvenirs fugitifs, on a pris soin de dégager de la leçon,la notion essentielle, celle que l’enfant doit garder dans sa mémoire.
- Pour y parvenir on a multiplié les gravures de manière à ce qu’elles soient le commentaire matériel et soutenu de la leçon. *
- Au-dessous de chaque gravure on a mis des légendes, dont chaque mot est une notion ;
- Au bas des pages ont été placées des questions qui ne portent que sur les faits principaux et grâce a une disposition typographique ingénieuse, la réponse se dégage clairement du texte ;
- Chaque division est terminée en outre par un résumé qui en contient la substance et qui est destiné à être confié à 1 x mémoire ;
- Enfin des devoirs < e rédaction sont indiqués sur les points les plus intéressants, les plus difficiles et qui méritent de fixer l’attention d'une manière toute spéciale. Un lexique offre la solution des difficultés que l’élève peut rencontrer dans le texte.
- La Première année d Enseignement scientifique répond donc bien tout à la fois à ce qu’on exige et d’un livre de lecture,et d’un livre d’étude.
- BIBLIOTHÈQUE BU FAMILISTÈRE
- M. Charles Ri veau offre à la bibliothèque du Familistère une brochure intitulée :
- La Bibliothèque scolaire
- Nous l’en remercions vivement.
- Voici le meilleur témoignage que nous puissions donner sur la valeur de cette brochure :
- L’an dernier, le Cercle roche!ais de la Ligue de l’enseignement ouvrit un concours sur les points suivants :
- 1° Préciser les caractères d’une bibliothèque scolaire, son but, son utilité ; \
- 2° Création et organisation, choix des livres, cata- 1 logues ; |
- 3° Serait-il possible d’établir des relations utiles * entre les bibliothèques scolaires et les bibliothèques j populaires ? {
- 4° Pourrait-on compléter l’action des bibliothèques j scolaires par des lectures et des conférences? ]
- Vingt-quatre mémoires furent déposés. M. Charles \ Riveau obtint le second prix. I
- Le mémoire est en vente, sous le titre indiqué plus j haut, au prix de 50 centimes, chez l’auteur, à Gfe- j nouillé, Charente-Inférieure. I
- ÉTAT-CIVIL DO FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- Le 7 avril. — Burlet Jules, fils de Burlet Louis et de Gros Louise.
- Le 10 avril. — Nicolas Fernand-Jules, fils de Nicolas Jules et de Jeannot Rosalie.
- DÉCÈS :
- Le 3 avril. — Druart Emile, âgé de 21 ans.
- Sommaire du dernier numéro de la Revue du Mouvement social
- Gharles-M. Limousin : La République et la question sociale. — Diirrbach : La question du Sénat en France. — C. L. : Les accidents de travail. — Jules Giraud, O. Pontet, C. L. : Bibliographie (La future constitution de la France ou les lois morales de l’ordre politique, par M. Hippolyte Destrem. — De la répartition métrique des impôts, par M. A. Toubeau.
- — Marguerite de Launay, par Mme Noirot. — Les Sociétés anonymes, par M. Alfred Neymarck. — Hoche en Vendée, par M. Hippolyte Maze. — Le mouvement politique en France. — Le mouvement social en France. — Le mouvement social en Allemagne. — Le mouvement social en Italie. — La question de la coopération. (La boulangerie coopérative d’Angoulême. — La coopération en Angleterre. — La coopération en Allemagne). — La question de la paix et du désarmement.—La question des religions.
- — Nécrologie (M. Griess-Trautt). — Chronique. — Bulletin financier. Annonces.
- Bureaux : 64, rue d’Alésia, Paris
- L'Association FAR|||L|ST£RE
- (Aisne)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Piace, 36.
- p.240 - vue 241/836
-
-
-
- ANNÉE. TOME 6 — N" 189
- •Lt numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 23 AVRIL-1882.
- DEVOIR
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- bureau
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Dire cteur- Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . Six mois . . . Trois mois . .
- lOfr.»» 6 »» 3 w»
- Union postale
- Un an. . . . il fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- m W ne s
- Le journal « LE DEVOIR ,» est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de l’Association de Ralahine (suite). — La Bourse du travail. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère (suite). — L’Avenir de la France. — Le vrai socialiste; la Fourmi. — Le Familistère de Guise. — La Stratégie de M. de Bismarck. — Bibliothèque du Familistère. — Etat civil du Familistère. — Les Sociétés coopératives en Allemagne. — Arbitrage international et de la Paix en Angleterre. — Variété.
- ®-m m. emrmr mjtw. m. :msz
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE V
- Etude de la langue irlandaise
- Une des premières choses dont M. Craig reconnut L nécessité fut de se mêler le plus possible à la population et de visiter les demeures du voisinage, afin d’arriver à connaître l’opinion sincère des gens sur les projets d’organisation sociale qu’on avait en vue. Il se heurta à un obstacle considérable.
- La langue usuelle du peuple était l’Irlandais. Les jeunes gens conversaient un peu en anglais, mais
- ' ..... » "i
- ON S’ ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LETMA1RE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- les vieillards n’en connaissaient que quelques mots. Les paysans étaient fiers de leur ancien langage composé, selon eux, de celtique et de phénicien. L’antipathie était très-vive contre la langue anglaise qui semblait être le lot des protestants et des classes dominatrices.
- C’était un dicton populaire que les propriétaires terriens ne savaient point assez d’irlandais pour bénir Dieu en cette langue, y allât-il du salut de leur âme.
- Que de fois M. Craig déplora la fausseté et l’inconséquence d’une situation dont les inconvénients étaient d’autant plus sensibles que son rang le mettait plus en relief.
- Les paysans n’aimaient point à entendre leurs enfants parler anglais, et ils n’aimaient point davantage à entendre un anglais parler l’irlandais.
- Ces sentiments faillirent amener pour M. Craig les plus fâcheuses conséquences.
- La coutume du pays était qu’en cheminant sur les grandes routes, les hommes, les femmes et les enfants se saluaient les uns les autres et saluaient les étrangers par quelques paroles bienveillantes comme « Dieu soit avec vous » ou autres paroles analogues. M. Craig éprouva le désir de répondre quelque chose d’aimable, aux salutations des passants et ce dans leur langue même. Il demanda donc à l’un des travailleurs de Ralahine, plus intelligent que les autres, de bien vouloir lui enseigner une formule de réponse en irlandais.
- Il parvint bien à apprendre quelques mots, mais ce qu’il apprit surtout, ce fut le bien fondé de cette remarque d’un poète : « Un petit savoir est une dangereuse chose. » Cela n’est pas vrai en règle géné-
- p.241 - vue 242/836
-
-
-
- 242
- LE DEVOIR
- raie ; mais ce fut remarquablement exact pour lui.
- En réponse aux bienveillantes salutations : « Dieu vous soit favorable » ou « Dieu vous garde », le malicieux ouvrier avait enseigné à M. Craig la réponse suivante : « Tharah ma dhoël ! » Malgré les vifs encouragements de son professeur, ce fut avec une certaine timidité que M. Craig passa à l’application de son nouveau savoir. Il en fit usage pourtant. Si quelqu’un lui disait : « Dieu vous bénisse, » il répondait : « Tharah ma dhoël! » A un autre qui l’accueillait par ces mots : « La paix soit avec vous »,
- « Tharah ma dhoël ! » disait-il encore.
- Très-vite il observa que ses civilités produisaient comme un mouvement d’embarras chez les passants. Il est bien connu que si dans une voie publique un citoyen a quelque chose de particulier dans son air, dans son langage ou dans sa toilette, il excite d’abord un mouvement de surprise, puis les gens tournent la tête pour le revoir, tandis que d’autres s’arrêtent pour considérer à l’aise l’étrange personnage. C’était quelque chose d’analogue que M. Craig provoquait.il lui vint à l’esprit qu’il parlait trop vite sans doute ou d’une façon indistincte.
- Il en était là quand il fît la rencontre d’une veuve accompagnée de deux petits enfants. La pauvre femme le salua en anglais de l’air le plus affable du monde, en lui demandant quelque chose pour ses petits enfants privés de leur père. M. Craig se rendit à son désir. « Que les bénédictions du ciel accompagnent votre honneur », dit la mère. « Tharah ma dhoël! » repartit M. Craig. « Oh miséricorde! ne dites pas cela même à une pauvre veuve, » s’écria la femme.
- « Je ne savais plus que penser », dit M Craig, en racontant l’aventure, « cardl était évident que j’a-« vais parlé cette fois assez haut et assez distincte-« ment pour être bien compris.
- « L’épreuve qui suivit fut tout-à-fait caractéristi-« que. Je rencontrai un ouvrier, grand, hardi, te-« nant à la main un énorme bâton d’épine. Il me « donna le bonjour usuel et je répondis prompte -« ment: « Tharah ma dhoël! » Ma réponse fit sur « lui l’effet d’un choc électrique. L’homme s’arrêta « immobile, jeta promptement en l’air son bâton, le « reçut par le milieu et lui imprimant un vif mou-« vement : « Répète ces paroles », cria-t-il en anglais,
- « rèpëte-les et je te couche à terre. » Cette exprès-« sive et éloquente démonstration me convainquit « que la veuve avait eu de sérieux motifs, en me « conseillant de ne point redire ces mystérieuses « paroles. Je m’adressai alors en anglais à l’homme 1 « que je venais d’offenser et il fut plus embarrassé J
- « encore, car évidemment il désirait essayer sur « mon crâne la résistance de son bâton. »
- A partir de ce moment, M. Craig cessa de parler la langue irlandaise jusqu’à ce qu’il se fut rendu compte du sens littéral des mots qu’il avait ainsi répétés de mémoire. Alors il reconnut à sa grande surprise et à son profond chagrin qu’à toutes les invocations des gens appelant sur lui les faveurs du ciel, il avait répondu : « \a au diable ! »
- C’était une leçon. Il avait mis toute sa confiance dans le premier homme venu, et il apprit ensuite que le malin professeur l’avait pris pour un anglo-saxon sans foi, dont le seul but en apprenant la langue irlandaise était de découvrir le nom de l'assassin du précédent intendant, de pénétrer tous les secrets des paysans et de les trahir. Il chercha donc un professeur de langue moins habile peut-être, mais plus sûr.
- CHAPITRE VI
- Caractère du peuple irlandais
- A mesure que M. Craig se rendait compte des faits de la vie du paysan irlandais, il comprenait mieux le mécontentement et la résistance des gens en face des conditions sociales qui leur étaient faites.
- Les antipathies politiques de l’Irlandais sont toutes naturelles. Il aime les vertes collines de l’Erin et se rappelle que son pays a été envahi et ses chefs opprimés par les Anglo-Saxons. Des paysans et des petits fermiers indiquaient à M. Craig les terres et les châteaux qui avaient appartenu à des chefs ou princes de leur nom. Les terres avaient passé aux mains des étrangers et les châteaux étaient en ruines.
- Souffrant depuis des siècles, persécutés, exploités et trompés sous mille formes ; il est naturel que les Irlandais se tiennent en garde contre les étrangers. Mais quand leur confiance est acquise, ils se montrent, dit M. Craig, crédules, enthousiastes, patriotes, prêts à s’abandonner à la direction des hommes de talent et à les reconnaître comme chefs.
- Les Irlandais ont un peu de vanité et, comme les Français, un certain amour de la parade. Ils sont enclins à des sympathies et à des antipathies nettement accusées. Ils sont bons, généreux, ardents avec leurs amis, mais rusés, trompeurs et vindicatifs avec leurs ennemis. Iis vont aisément d’un extrême à l’autre, dans leurs affections instinctives comme dans leurs violentes antipathies.
- La bienveillance, la cordialité, l’hospitalité, sont
- p.242 - vue 243/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 243
- les traits principaux de l’indigène irlandais. Ilreçoit l’étranger avec une aisance toute naturelle. En cela il est très-différent de l’anglais. Car en Angleterre lorsque une personne inconnue se présente dans une maison, elle est reçue avec un air de surprise et un coup d’œil scrutateur et méfiant qui est loin de la mettre à l’aise. Dans le sud de l’Irlande, au contraire, la première parole donnée à l’étranger appelle sur lui les bénédictions de Dieu.
- Le pauvre laboureur qui touche à grand’peine douze sous par jour de travail, plus les pommes de terre pour lui et ses enfants, offre à son hôte le meilleur de son ordinaire. La grâce et l’empressement avec lesquels il manifeste son hospitalité prouvent que cet Irlandais se sent l’égal de son visiteur ; et sa bienveillance courtoise confirme cette impression.
- A Ralahine comme partout ailleurs, les paysans, quoique vivant dans un extrême dénuement par suite de leurs occupations irrégulières et de leurs faibles gains, étaient fortement attachés à leurs vieilles coutumes, à leurs misérables huttes isolées qui semblaient leur offrir une apparence de liberté.
- En réalité la misère et le besoin les rendaient esclaves de l’ignorance, des habitudes vicieuses et de préjugés invétérés.
- (i Suivre).
- LA BOURSE DU TRAVAIL
- Dans le monde des travailleurs, une des formes les plus révoltantes de l’exploitation de l’homme par l’homme, de l’ouvrier par le patron, c’est l’industrie des placeurs auxquels, dans certaines parties, il faut de toute nécessité avoir recours pour obtenir du travail, l’usage s’étant établi depuis longtemps déjà que les chefs de maison ne traitent avec le travailleur que par leur intermédiaire. Cet usage était une véritable tyrannie et de plus une spoliation organisée et mise en coupe réglée, à laquelle il était extrêmement difficile pour ne pas dire impossible de se soustraire. Les abus de cette sorte d’exploitation sont tels que plus d’un lecteur se refusera à y croire comme à quelque chose de trop exorbitant pour être possible.
- Les placeurs passent la matière humaine qu’ils exploitent jusqu’à la moelle, et ils font tout ce qu’ils peuvent pour en extraire tout ce qu’elle peut fournir. Comme tous les industriels do nos jours, ils ont hâte de devenir millionnaires et c’est l’ouvrier qui doit Par son travail leur en fournir le moyen. Pour cela, tous les moyens sont bons, et il n’est pas de combi- J
- liaison qu’ils n’aient imaginée et mis en pratique en vue de tirer du travailleur tout ce qu’il est possible d’en tirer.
- Cet abus criant, incroyable, révoltant, existe depuis très longtemps et il a été souvent signalé à l’administration qui jusqu'à présent n’avait à peu près rien tenté pour le faire cesser. Les journaux avaient beau le flétrir de toutes manières et en réclamer la suppression sur tous les tons, les administrations qui se succédaient parfois assez rapidement marchaient toujours dans les mêmes ornières et nul remède efficace n’était apporté au mal. Les ouvriers essayaient vainement de s’entendre pour se défendre de cette exploitation hideuse, tous leurs efforts échouaient contre la Toute-puissance de la coalition protégée pour ainsi dire par l’inertie administrative, et le criant abus se maintenait debout sous les divers régimes jusqu’à ce jour. Les syndicats ouvriers eux-mêmes n’avaient point pu triompher du fléau.
- C’est pour remédier à ce déplorable état de choses que le Conseil municipal, de concert avec la Préfecture de la Seine, a chargé une commission administrative de l'étude des questions relatives à la participation des ouvriers dans les entreprises de travaux publics , et en général à l'affranchissement des travailleurs de tous les liens qui entravent leur activité.
- Cette commission, dans sa dix-septième séance tenue ces jours derniers à la Préfecture de la Seine a examiné le projet de résolutions sur l’établissement d’une bourse du travail, et après une discussion approfondie de la question, elle a adopté le projet sur les bases suivantes :
- 1° IL sera construit à Paris, sous la direction de la ville de Paris, une bourse des travailleurs afin de fournir aux corporations ouvrières les locaux nécessaires à leurs réunions.
- Cette bourse divisée en compartiments affectés aux différents corps de métiers remplacera les bureaux de placement pour les ouvriers, et fournira tous les renseignements propres à éclairer les travailleurs sur les divers éléments du travail tels que les prix des marchandises, des matières premières, le taux des salaires. Toutes les indications qui intéressent le producteur et le consommateur, tant en France qu’à l’étranger, y seront recueillies et exposées avec soin.
- 2° La Bourse de travail sera gérée par les ouvriers dès qu’ils auront une représentation légale telle que les Chambres syndicales dont l’organisation adoptée par la Chambre des députés est soumise au Sénat.
- Le projet porte que le bâtiment construit aux frais
- p.243 - vue 244/836
-
-
-
- 244
- LE DEVOIR
- de la Ville qui y consacrera une somme de douze millions, contiendra une halle centrale, chauffée et éclairée, de 1,200 mètres superficiels, destinée à l’embauchage des ouvriers ; cinq salles de réunion, d’une superficie moyenne de 200 mètres, destinées aux assemblées générales des membres des chambres syndicales ouvrières ; cinq grands bureaux de 120 mètres de surface environ pour le service des employés.
- Le premier et le second étage comprendront au moins 80 pièces chauffées et éclairées, destinées aux bureaux des chambres syndicales.
- Chaque salle de réunion et chaque bureau d’employés y attenant seront réservés à une des sections d’industrie au nombre de cinq et qui seront formées comme suit :
- La lre section comprendra quatre groupes savoir : les industries du bâtiment,l’ameublement,les bronzes d’art, les combustibles.
- La 2e section embrassera les groupes de la mécanique, des machines, de la chaudronnerie, du matériel des transports, du matériel de navigation.
- La 3e section réunira les tissus, les cuirs, peaux et caoutchoucs, l’habillement, les robes et les confections.
- Dans la 4« section seront classés : les arts chimiques, la céramique, la verrerie et la cristallerie, l’orfèvrerie, la coutellerie, l’alimentation et les ustensiles de pêche.
- La 5e section enfin sera formée par l’imprimerie, le papier, les instruments d’hygiène, de médecine et de chirurgie, les instruments de mécanique, de précision, la musique, la télégraphie et l’horlogerie, les armes de guerre et de chasse.
- L’administration de la Bourse de travail sera confiée à une commission composée des présidents et vice-présidents du Conseil des Prud’hommes et d’un nombre égal de conseillers municipaux nommés par le Conseil.
- Le personnel administratif de chaque groupe sera chargé de recevoir les offres et demandes d’emplois, j de les enregistrer, et de les transcrire sur des fiches | spéciales qui seront remises aux intéressés sur leur j demande, j
- Les délégués des corporations ouvrières corres- j pondront librement avec les sociétés ouvrières, les i Chambres de commerce, les municipalités et les chambres consultatives d’arts et métiers de tous les grands centres de production en France où à i l'étranger, afin de leur demander les prix principaux des journées d’ouvriers de chaque corps d’état et les renseignements qu’ils croiront nécessaires dans l’intérêt de leur corporation.
- ;
- Ce projet adopté en principe par la commission et qui sera prochainement soumis au Conseil municipal renferme des éléments féconds de progrès pour l’amélioration du sort des travailleurs, et pour établir l’équilibre dans la production. Il peut couper dans sa racine le mal que nous signalions au début, de l’exploitation parasite de l’ouvrier par les intermédiaires avides qui se placent, en s’imposant, entre lui et le chef d’industrie. Les saines doctrines sociales tendent de plus en plus à faire triompher le principe si juste et si vrai que chacun doit avoir tout le profit de son travail, et les monopoles des intermédiaires légaux ou non sont bien décidément condamnés, n’ayant plus qu’un temps compté à vivre. Les courtiers, agents de change, commissionnaires, placeurs officiels, tout cela est destiné à disparaître prochainement, et le commerce, l’industrie, le travail ne perdront absolument rien à cette disparition. En ce qui concerne la classe ouvrière, la création de la Bourse du travail lui aura ainsi rendu un service signalé.
- Mais il ne sera pas le seul. Elle permettra d'établir en grand, à la lumière des renseignements recueillis partout, le débat libre et direct de l’offre et de la demande et, par conséquent la fin des grèves de la part des ouvriers et des résistances coalisées de la part des patrons. Quand les uns et les autres seront tenus parfaitement au courant du prix de la main-d’œuvre sur toutes les places, quand le travail, au lieu d’être personnifié dans un groupe limité à quelques hommes, sera devenu une sorte de marchandise circulant librement d’un point où elle n’est point recherchée à un autre où elle est désirée, la grève n’aura plus de raison d’être que très exceptionnellement, et elle n’annulera plus durant un temps plus ou moins long des forces qui auraient eu tout à gagner à être utilisées.
- Cette création aura encore pour résultat d’atténuer considérablement les brusques et violents mouvements de hausse et de baisse des salaires. La valeur du travail à la Bourse des travailleurs se négociera comme celle du capital à la Bourse du capital, et l’équilibre qui existe à cette dernière entre les divers fonds publics ou autres, s’établira de même pour la cote des salaires dans la première. Dans l’une comme dans l’autre les fluctuations seront limitées et aisées à prévoir; on pourra, par conséquent, les éviter, les escompter, en adoucir les effets et tout le monde y trouvera son compte.
- Grâce au développement qu’elle peut donner à la mission des chambres syndicales, et des moyens d’information qu’elle leur fournira en tout temps, la Bourse du travail ne sera pas seulement un arbitrage
- p.244 - vue 245/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 245
- libre, quotidien, sérieux des salaires étendu à tous les intéressés, elle aura aussi sur l'industrie nationale l’heureuse influence d’en régler d’une façon normale la production. Tenue exactement et constamment au courant, par les travaux des chambres syndicales concentrés dans les bureaux de la Bourse du travail, l’industrie connaîtra mieux les besoins, les existences, les ressources des diverses régions en ce qui concerne la consommation de ses produits, et elle réglera sûrement sur ces données sa production, de telle sorte que l’équiiibre sera rétabli, non-seulement entre l’offre et la demande du travail, mais encore entre la production et la consommation.
- A tous ces points de vue, la création de la Bourse du Travail nous paraît un pas en avant vers la pacification entre le travail et le capital, car si nous ne pouvons pas noter parmi ses résultats probables la cessation de la lutte séculaire existant entre ces deux éléments de la richesse nationale, nous devons néanmoins reconnaître qu’elle peut la rendre moins nuisible, moins acharnée et plus courtoise. Ce résultat facilitera nous l’espérons, l’avènement définitif du principe de l’Association du Capital et du Travail sur la base de la participation aux bénéfices dans la proportion de la valeur du concours fourni par chacun d’eux à la production.
- En terminant qu’on nous permette une légère remarque. Il nous semble voir une espèce d’anomalie dans l’idée des auteurs du projet de confier l’administration de la Bourse du Travail à une commission de présidents et de vice-président du conseil des prud’hommes, au lieu de la confier aux chambres syndicales. La Bourse dont il s'agit sera surtout le champ d’opérations de ces dernières; il serait donc plus naturel de les charger de son administration. Nous n’insistons pas sur ce point, mais nous croyons que le projet devrait être modifié dans ce sens.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- I --------
- JLia Croisade noire. — On sait que le parti clérical entreprend en ce moment une véritable croisade contre l’applicatiou de la loi du 28 mars, qui organise 1 enseignement primaire laïque et obligatoire; or, le cabinet est décidé à surveiller de très près les champions de la liberté des pères de famille, et à traduire devant les tribunaux tous ceux qui seraient nettement convaincus d’excitation à la desobéissonce aux lois ; quant aux fonctionnaires qui prêteraient leur appui d une façon plus ou moins évidente aux organisateurs de cette campagne, ils peuvent compter sur une révocation immédiate.
- ALLEMAGNE
- La Gazette de Cologne annonce que l’on vient d’in-
- i venter dans l’usine de M. Krupp et dans l’usine Gruson, | une nouvelle espèce d’obus, dont les effets, grâce aux matières explosibles qu’ils contiennent, et au mécanisme qui causera l’explosion, seront égaux à ceux des torpilles.
- D’autre part la Gazette annonce que l’on vient d’expérimenter dans le polygone de M. Krupp, un canon monté sur pivot, muni d’un mécanisme qui supprime absolument le recul. En outre, ce canon est fait de telle sorte que, malgré son calibre de 30, 35 et 40 centimètres, les plus petites canonnières pourront en être armées.
- *
- * *
- Un correspondant allemand de la Pall Mail Gazette signale à ce journal un fait qui montre bien quels encou-ragëments l’intolérance à l’égard des juifs trouve en haut lieu, en Allemagne. La Faculté des sciences de Halle avait offert une chaîne au professeur de chimie Victor Meyer, actuellement attaché à l’Université de Zurich,et qui s’est fait un nom honorable dans la science. M. Meyer accepta l’offre ; mais il avait compté sans le gouvernement prussien. Le gouvernement vient de l’avertir que sa nomination ne sera pas ratifiée s’il ne consent pas à se faire baptiser; M. Meyer est israôlite.
- AUTRICHE
- La Politik de Prague, apprend que le grand-duc Wla-dimir, de Russie aurait dit que le czar désire vivement une entrevue avec l’empereur d’Autriche. Le grand-duc aurait ajouté néanmoins qu’à son profond regret les circonstances actuelles ne paraissaient pas devoir favoriser cette entrevue dans un délai rapproché.
- ESPAGNE
- D’après une dépêche de Madrid, l’état de siège vient d’être levé en Catalogne.
- Dans les cercles ministériels on paraît compter sur nne majorité de plus de 100 voix au Congrès en faveur du traité de commerce franco-espagnol.
- Le vote du traité, attendu pour lundi, produira une certaine irritation, sinon dans les villes, au moins dans les campagnes.
- ANGLETERRE
- Dans un banquet qui a eu lieu mercredi soir à Liver-pool, à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau club conservateur, lord Salisbury et sir Stafford Northcole ont critiqué la politique suivie par le gouvernement en Irlande et ont exposé leurs vues sur la'question agraire.
- Lord Salisbury a reproché au cabinet son attitude inconstante et hésitante, les concessions qu’il a faites au fur et à mesure que l’agitation croissait. Selon lui, la loi agraire votée par le Parlement sera toujours impuissante à amener la pacification de l’Irlande; le système créé par cette loi, qui consiste à partager les droits de propriété entre le landlord et le tenancier, est impraticable. Le seul moyen de rétablir la paix et la prospérité, c’est de faciliter le rachat de la terre par les tenanciers.
- Lorsqu’ils seront propriétaires de leurs fermes, ils deviendront des défenseurs de l’ordre et de la prospérité.
- Le peuple anglais a le droit d’insister pour qu’on mette enfin un terme au mouvement révolutionnaire qui se continue en Irlande. Lord Salisbury somme le cabinet d’agir : ce n’est pas à l’opposition, mais au gouvernement qui possède des renseignements confidentiels, qu’il appartient de proposer les mesures propres à faire cesser les crimes.
- Sir Stafford Nortcote a répété, après le leader de la Chambre des lords, que le moment est arrivé où il faut absolument que le gouvernement prenne une décision
- p.245 - vue 246/836
-
-
-
- 246
- LE DEVOIR
- et agisse avec énergie pour rétablir promptement la sûreté et garantir la vie et la propriété des citoyens. Sir Stafford Northcote promet au gouvernement l’appui de l’opposition s'il veut entreprendre résolument la tâche difficile de la pacification de l’Irlande.
- IRLANDE
- On écrit à Y Indépendance belge :
- La condition de l’Irlande continue de préoccuper vivement l’opinion publique. A aucune époque, les meurtres et les attaques contre les personnes n’ont été aussi nombreuses. Il va sans dire que tout le monde, en Angleterre et en Ecosse, sans distinction de parti, est unanime pour condamner les misérables qui mutilent de pauvres animaux sans défense, ou qui tuent les femmes et les enfants, ou les fermiers qui ont payé leur loyer ou sont accusés de l'avoir payé. Mais, en envisageant froidement ce qui s’est passé, on ne peut nier que le gouvernement a été mal avisé en supprimant la Land league, et en incarcérant MM. Parnell, Dillon et les autres chefs du parti national. Il est vrai que leurs discours avaient le grand tort d’exciter les passions du peuple, mais tout le mal se bornait à l’emploi d’expressions plus ou moins répréhensibles. D'un autre côté, leur influence sur la populace empêchait des voies de fait de se commettre ; la virulence du langage dans les meetings était la soupape de sûreté par laquelle le peuple exhalait sa colère. A la Land league et à l’influence directe de MM. Parnell, Dillon et de leurs associés, succéda celle des sociétés secrètes et du capitaine Moonligth (Glair-de-Lune).
- Les chenapans des villages (village ruffians), que visaient les mesures de coercition, n’ont pas été arrêtés, mais a leur place on a incarcéré les membres du Parlement, des prêtres, des médecins, des fermiers et des gens qui jouissaient de l’estime des habitants de leurs villages. Le capitaine Moonligth et ses associés continuent leurs assassinats et leurs déprédations, en dépit des sommes fabuleuses offertes par le gouvernement à quiconque les dénoncera. Il est évident que le régime de la terreur règne en Irlande, et que le gouvernement est impuissant à rétablir l’ordre même avec Y acte de coercition.
- Les tories ont un remède tout prêt pour faire face à cet état de choses. Ils recommandent purement et simplement de proclamer l’état de siège, et de remplacer les tribunaux ordinaires par les conseils de guerre ou par des cours prévôtales. Mais, en supposant que l’on institue ces dernières et qu’on supprime le jury, il faut premièrement arrêter les coupables, ce qui n'est pas facile, et secondement, il faut trouver des personnes qui veuillent bien servir de témoins à charge. Nous ne sommes plus au bon temps de ce légat du pape que disait, à propos d’Albigeois qui s’étaient réfugiés dans une église : « Tuez-les tous, Dieu saura reconnaître les siens, » ni même du fameux Laubardemont, et, comme on a supprimé la torture, il serait difficile d’arracher des aveux aux gens qu’on arrêterait. Il est vrai qu’on pourrait les faire croupir en prison, et c’est ce qui a été déjà fait pour six cents suspects..Mais, à moins d’augmenter le nombre des prisons et d*y incarcérer la plupart des habitants, la difficulté resterait la même qu’auparavant.
- Les radicaux, de leur côté, recommandent au gouvernement de suivre l’exemple de l’Autriche, qui, au lieu de s’obstiner à gouverner et à administrer la Hongrie, lui a remis la direction de ses propres affaires, au grand avantage de la monarchie.
- Pourquoi n’en serait-il pas de même en Irlande ? Si l’on craint de rétablir le Parlement irlandais, ne pourrait-on pas instituer dans chacune des provinces une assemblée analogue aux Conseils généraux de France, élue par les contribuables et décidant en dernier ressort de tout ce qui intéresse leur province ? Cette idée avait été suggérée, il y a une dizaine d’années, par lord Russell; elle a été malheureusement repoussée. Il en avait été de même de l’adjonction des capacités, dont 1
- M. Guizot ne voulait pas entendre parler, et qui a mené au suffrage universel.
- Il est certain qu'une solution prompte est des plus nécessaires ; le gouvernement ne fait pas d’illusion à cet égard, et c’est pour cette raison que lord Carlingford, garde des sceaux, s’est rendu en Irlande avec M. Forster pour concerter les mesures à adopter.
- Tories et libéraux sont d’accord pour dire que la question irlandaise doit être traitée sans en faire une question de parti. Il nous semble que le gouvernement rencontrerait peu d’opposition, s’il reprenait l'idée de lord Russell.
- RUSSIE
- Le Journal de Saint-Pétersbourg accentue le caractère pacifique de l’élévation de M. de Giers au poste du ministre des affaires étrangères, en rappelant les termes de la circulaire du 4 et 16 mars 1881, écrite au lendemain de l’avènement du tsar et portant la signature de M, de Giers :
- Le programme que, d’ordre de Sa Majesté, il a signé et publié il. y a un an, est encore aujourd’hui et est appelé à demeurer longtemps — tout permet de l’espérer — celui du gouvernement impérial. « La politique de l’empereur sera consacrée avant tout aux travaux intérieurs réclamés par le progrès de la vio civile, et par les intérêts économiques et sociaux qui sont aujourd’hui l’objet principal des soins de tous les gouvernements. A l’extérieur, elle sera essentiellement pacifique. La Russie restera fidèle à ses amiiiés, à ses sympathies traditionnelles, en se prêtant à toute réciprocité de bons procédés envers tous les Etats. Sans renoncer à occuper la place qui lui appartient dans le concert des puissances, ni à veiller au maintien de l’équilibre politique eu tant que ses intérêts peuvent en être affectés, elle se croit solidaire de la paix générale fondée sur le respect du droit et des traités.
- Le succès de M. Giers et le caractère nettement pacifique de sa politique a naturellement donné une certaine consistance aux rumeurs d’après lesquelles le général Ignatieff et le parti panslaviste seraient aujourd’hui en discrédit auprès du tsar : celui-ci, songerait à retirer au général Ignatieff le ministère de l’intérieur. Une dépêche de Berlin au Daily News, enregistrant ces rumeurs dit que le bruit court, dans les cercles officieux, que le tsar a signé la nomination du général Ignatieff comme ambassadeur de Russie à Paris, en remplacement du prince Orlof.
- *
- » *
- On mande de Saint-Pétersbourg :
- << Plusieurs terroristes condamnés à la déportation en Sibérie ont pu s’échapqer des mains de leur escorte, entre autres Schiriakofl, Berdinkoff et Michaloff.
- « 19 déportés politiques sont parvenus à s’enfuir de ia ville de Kara. »
- *
- ¥ ♦
- Un arrêté du ministre de l’intérieur vient d’interdire aux israélites inscrits dans les corporations bourgeoises des villes voisines de la capitale, l’exercice du- commerce à Saint-Pétersbourg.
- La police de Saint-Pétersbourg vient d’arrêter un marchand de fromages, dans la rue Sadowaja, où avait été creusée la mine qui, peu de temps avant l’assassinat d’Alexandre II, devait le faire sauter à son passage dans cette rue.
- Depuis quatre mois environ, un individu suspect, nommé Bogdanowitz, bien qu’ayant ses papiers en règle, était fortement soupçonné d’avoir répandu des proclamations et des journaux nihilistes. *11 y a quelque temps, la police crut le moment opportun d’opérer une perquisition au domicile de cet individu. Bogdanowitz, ne se doutant nullement qu’il était surveillé, fut surpris, et l’on trouva à son domicile une grande quantité d’imprimés révolutionnaires. Leur détenteur fut arrêté,
- p.246 - vue 247/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 247
- et l’on informa immédiatement le directeur de la police d’Etat de cette importante capture.
- Presque à la même heure, celui-ci recevait une dépêche de Kiew annonçant l’arrestation dans cette ville d’un autre nihiliste s’appelant aussi Bogdanowitz Ordre fut donné d’amener immédiatement l’autre Bogdanowitz à Saint-Pétersbourg. On fit photographier les deux inculpas et les photographies ayant été soumises au dwornik (concierge) de la maison où se trouvait jadis la boutique du faux marchand de fromages, le portier reconnut immédiatement par l’une d’elles son ancien locataire, bien que celui-ci eût changé complètement sa coupe de barbe et de chevelure.
- Bogdanowitz nia énergiquement son identité avec le prétendu marchand de fromages Koboseff; on fit alors extraire de la forteresse où elle était détenue, la femme Fakimowa, qui avait été servante et maîtresse du marchand de fromages de la rue Sadowaja, et on la confronta avec Bogdanowitz. Elle reconnut immédiatement son ancien patron et amant, mais déclara néanmoins n’avoir jamais vu cet homme.
- Grande fut donc sa surprise, lorsque celui-ci, craignant sans doute qu’on n’employât à l’égard de son ancienne maîtresse des moyens énergiques pour lui arracher un aveu, s’écria tout à coup : « Je savais bien, Anna Wassi-liewna, que tu étais incapable de me trahir ; je t’en remercie ! » Et, s’adressant aux autres personnes, il ajouta: « Oui, messieurs, le Koboseff que vous cherchez depuis si longtemps, c’est bien moi, mais je m’appelle de mon vrai nom Bogdanowitz. »
- Anna Wassiliewna a été reconduite à la forteresse, où n'a pas tardé à être dirigé Bogdanowitz, qui n’a rien voulu dire sur ses complices. On instruit cette affaire, qui révélera certainement des faits importants dont nos lecteurs seront tenus au courant.
- ÉTATS-UNIS
- Le bruit court en Amérique que la fortune personnelle du général Grant se trouve gravement compromise par suite des embarras financiers d’une Compagnie dont il était l’un des administrateurs et qui avait pour base d’opérations le rachat de tout le réseau ferré des Etats-Unis.
- La confirmation de cette nouvelle rendrait sans doute très difficile, sinon impossible, le succès, longtemps considéré comme probable, le général Grant aux prochaines élections présidentielles.
- New-York, 13 avril, soir.
- Les représentants de la ligue agraire irlandaise se sont réunis hier à Washington.
- Les rapports présentés constatent que les 940 comités de la ligue, qui se sont formés dans les Etats-Unis et au Canada, ont souscrit une somme de 272,810 dollars, qui a été immédiatement envoyée en Irlande,
- * ¥
- Seize moig dans une île déserte. — Le
- Globe dit que le steamer Balmoral-Castle, arrivé avant-hier du Cap à Plymouth, a apporté la nouvelle que le 20 février, la corvette américaine Marion a débarqué à Cape-Town 33 hommes de la barque The Trinity, de New-London, Etats-Unis, qui ont passé seize mois dans l île Heard, située dans l’Océau antarctique par 53° degrés de latitude Sud et 73° de longitude Est. The Tri-ftüy a quitté New-London, Connecticut, le 1er juin 1880 pour aller à la pêche de la baleine et des phoques dans l’Océan antarctique, et est arrivée à l’îie Heard le 2 octobre 1880; la barque a jeté l’ancre en vue de l’îie qui est complètement inhabitée.
- Le 17 octobre 1880, pendant une violente tempête, la barque a été entraînée sur un bas-fond, et fut abandonnée par l’équipage, au nombre de 33 hommes. A ce moment il faisait extrêmement froid, et sept d’entre les matelots ont eu les jambes gelées pendant le débarque-
- ment. Durant la nuit suivante, The Trinity a été poussée vers la haute mer, et on n’en a plus revu de trace.
- Depuis le 17 octobre 1880, l’équipage est resté confiné dans l’îie, jusqu’au moment où il a été délivré. Fort heureusement on av.dt eu la précaution de débarquer pour trois mois des provisions du navire naufragé, qui. avec la chair de l’éléphant marin, du pingoin et des œufs de pingoin additionnés de choux marins, ont servi à nourrir l’équipage.
- Eu débarquant, ces marins ont trouvé quelques huttes de bois construites par des baleiniers qui étaient venus dans ces parages pour y chasser l’éléphant marin ou phoque à trompe. Ces huttes leur ont offert un asile quelque peu précaire.
- Pendant les seize mois de leur captivité forcée, ils faisaient la chasse aux éléphants marins. En hiver, ils ont beaucoup souffert du froid, et le 30 janvier 1881, deux d’entre eux, qui s’étalent aventurés sur les glaçons environnant l’ile pourchasser, sont morts de froid. Le 13 février, ils ont aperçu un navire à l’ancre près de la côte.
- Des signaux furent hissés, et le steamer Marion, qui s’était déjà préparé à repartir, revint à l’ancrage et le lendemain matin il prit à bord les naufragés.
- *
- * *
- GRÈCE
- Un terrible accident a douloureusement impressionné les Athéniens dans la soirée du vendredi saint. Ce jour-là, la population entière, sans distinction de classes, hommes, femmes, enfants, tous un cierge à la main, suit en procession le clergé qui, musique militaire en tête, fait le tour de chaque paroisse, avec accompagnement de pétards, de feux d’artifice, lancés de toutes les croisées sur le parcours du cortège. C’est ainsi que les Grecs célèbrent, à leur manière, ce jour de deuil et de tristesse du monde catholique. Il était 10 heures du soir, la rue de l’Académie, illuminée par des feux de Bengale et des milliers de bougies,regorgeait de monde; la procession allait sortir de l’église de Zoodokon, quand un plâtras détaché de la voûte de l’édifice vînt tomber du côté des femmes. Il en résulte quelque tumulte qui, augmenté bientôt par les cris de : « Au feu ! au feu ! » dégénéra aussitôt en une affreuse panique de toute l’assistance. Pendant que le clergé lui-même s’enfuyait par la porte de la sacristie, la foule des fidèles se précipitait vers la grand porte qui, sous le flot même des gens cherchant e gagner la sortie, se referma, et contre laquelle vint se heurter et s’abattre la masse affolée. En une minute, il y eut une mêlée indescriptible de gens renversés, foulés aux pieds, écrasés. Si un gendarme, en faction au dehors, n’avait pas défoncé la porté, le nombre des victimes eût été considérable. Il n’y en a que trop : on compte onze morts, sept femmes, un homme et trois enfants, et un grand nombre de blessés.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE IV
- Sous la domination trop rétrograde du clergé, l’écola ne pouvait faire un pas en avant sans qu’il fût annulé par quelque mesure bizarre qui en détruisait entièrement la portée, et tel est l’empire de la routine, de la coutume, que même aujourd’hui nous voyons des hommes parfaitement animés de l’esprit démocratique, des républicains sincères, se traîner
- p.247 - vue 248/836
-
-
-
- 248
- LE DEVOIR
- encore dans l’ornière cléricale, tout en étant persuadés qu’ils travaillent au progrès et à l’avancement de l’instruction nationale.
- Du temps du roi Louis-Philippe, la France était assez pauvre, l’on s’en souvient, en moyens d’enseignement, aussi presque dans toutes les communes rurales pauvres, les écoles réunissaient ensemble filles et garçons sous la férule du même maître, réalisant ainsi, plus par nécessité peut-être que pour tout autre motif, je le reconnais, l’idée de l’école mixte. Beaucoup de villages manquaient d’écoles, mais ceux qui en avaient y envoyaient indistinctement garçons et filles. Ce système était excellent, et il aurait dû être généralisé par toute la France afin de lui faire porter tous ses fruits.
- Sa supériorité est en effet depuis longtemps démontrée, non seulement par les arguments tirés des exigences de l’ordre social actuel, des besoins de la société contemporaine, dans laquelle hommes et femmes étant irrévocablement appelés à vivre ensemble d’une vie commune constante, doivent se trouver dans la plus complète communauté d’idées, de goûts et d’aspirations possible, mais encore par les résultats de l’expérience qui en a été faite en France, en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis d’Amérique et dans d’autres pays du Nord et du Midi.
- Mais le cléricalisme n’a rien à gagner, nous l’avons déjà dit, et c’est un fait devenu banal à force d’être constaté, le cléricalisme n’a rien à gagner à ce que les masses soient éclairées; car avec la lumière pour le peuple, son prestige ténébreux s’évanouit et ne tarde pas à disparaître. Sa plus grande force, c’est l’ignorance de la femme, parce que son influence sur le sexe faible est son plus puissant moyen d’action sur la famille et que c’est par elle qu’il parvient encore à prédominer dans la société. Aussi, n’eût-il garde de ne point profiter des dispositions de l’homme de Sedan en 1850 pour faire substituer les écoles distinctes aux écoles mixtes partout où la chose fut possible. La loi du 15 mars lui donna satisfaction à cet égard dans une certaine mesure. Plus tard, en 1854, l’influence de la dévote impératrice vint combler la lacune en faisant transformer les écoles mixtes qui restaient en écoles spéciales, au moyen de séparations isolant chaque sexe dans la même enceinte, ce qui était tout simplement idiot, et en enjoignant à tous les préfets de travailler de toutes leurs forces à remplacer partout les écoles mixtes par des écoles séparées.
- Comme pour faciliter cette transformation il fallait multiplier le nombre des institutrices afin de satisfaire aux besoins par l’établissement des écoles de filles, c’est de 1850 également que date l’inqualifiable
- mesure qui veut que les lettres d’obédience des béguines tiennent lieu de brevets de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses. Grâce à cette disposition ridicule, du jour au lendemain, des femmes complètement ignorantes, des filles de cuisine, se trouvèrent bombardées institutrices et chargées de donner à d’autres l’instruction dont elles étaient totalement dépourvues elles-mêmes.
- Ce fut comme un âge d’or pour la gent enfroquée. L’on ne tarda pas à voir éclore de tous côtés dans le pays des capucinières et des couvents, et moines et nonnes de toutes nuances, blancs, noirs, gris, marrons, bleus, bigarrés, pullulèrent à l’envi, ouvrant partout des écoles, où l’enseignement respirait le bigotisme, l’ignorance et la superstition. Des institutrices religieuses, les vertus de la lettre d’obédience furent étendues aux instituteurs de tous ordres monastiques, si bien, que pas une ville, pas un bourg, pas une commune importante ne resta en dehors de l’action des jésuites, des ignorantins ou autres en-soutanés enseignants.
- Le résultat de cet essor funeste, nous l’avons tous constaté à la fin du second empire. A la génération de 1830 qui donna à la France tant de personnalités illustres et virilement douées dans les lettres, les sciences et les arts, a succédé celle des impuissants franc-fileurs de Paris au moment de la guerre de 1870, des incapacités qui en ont amené les désastres, et des ambitieux de bas étage qui ont porté au pouvoir la plus complète de toutes ces incapacités, le vaincu de Reichoffen et de Sedan. C’est à cette prépondérance dissolvante du cléricalisme sur l’éducation qu’est due la dépravation de goût et de mœurs qui fut une des caractéristiques du second empire, et qui mérita à ce régime haïssable, de la part d’un de nos plus grands écrivains, la qualification de bas empire.
- Maintenir les masses dans l’ignorance, énerver les courages, abrutir les intelligences, annihiler les caractères, telle est l'œuvre utile au cléricalisme pour raffermir sa domination et maintenir son prestige. Aussi conçoit-on facilement qu’il emploie tous les moyens possibles pour atteindre ce but, et l’un des moyens les plus efficaces pour cela c’est incontestablement l’infériorité intellectuelle de la femme. Rien donc d’étonnant à ce que voyant dans le maintien des écoles mixtes un danger sérieux pour cette précieuse infériorité dont il vit, il ait cherché partout à les détruire et à leur substituer les écoles spéciales qui répondent infiniment mieux à ses visées et rentrent plus complètement dans ses vues.
- Mais c’est précisément pour cela que les vrais républicains démocrates qui ne peuvent être qu’en-
- p.248 - vue 249/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 249
- nemis du cléricalisme, doivent au contraire favoriser de tout leur pouvoir le système contraire et pousser au rétablissement dans toutes les communes des écoles primaires mixtes. Dans le régime sous lequel nous vivons et qui n’a et ne peut avoir absolument rien de communs avec celui de l’Empire, plus que jamais l’homme et la femme sont appelés à prendre part aux mêmes travaux, aux mêmes épreuves, aux mêmes péripéties. L’égalité entre eux va chaque jour s'accentuant davantage, et finira à un moment donné par être complète et absolue. Plus la civilisation se développe, et plus le besoin d’union intellectuelle intime se fait sentir entre les deux sexes, parce qu’ils se complètent l’un par l’autre naturellement.
- Pour que cette union intellectuelle soit réalisée, il faut que ces intelligences destinées à s’unir soient placées au même niveau, et que leur développement ait parcouru les mêmes étapes, subi les mêmes degrés d’entraînement, acquis les mêmes proportions ’ en un mot, que tout soit devenu commun entre elles. Comment atteindrait-on ce but, si l’instruction et l’éducation ne sont pas les mêmes pour l’homme et pour la femme, et comment l’éducation sera-t-elle.la même, si ce n’est au moyen des écoles mixtes? Poser ainsi le problème c’est le résoudre, et il semble impossible de contester la supériorité de ce système d’enseignement égalitaire sur tout autre.
- Comment se fait-il donc que nous voyons encore de nos jours des républicains plaider en faveur de la suppression des écoles mixtes et de la création d’écoles de filles ? Quand donc les hommes politiques se débarrasseront-ils entièrement de ces allures préjudiciables, héritage funeste du passé, basées sur de fausses notions de la nature de l’homme, de la morale humaine et des besoins sociaux. L’Eglise catholique a toujours eu des prétentions au monopole de la morale ; mais si jamais prétention fut peu justifiée c’est assurément celle-là. Quoi de plus immoral que le confessionnal et que la manière dont elle entend le dogme de la pénitence? En réalité là morale catholique c’est l’immoralité portée à sa plus haute puissance, et pour s’en tenir réellement à la véritable pratique de la morale, il faut pour ainsi dire prendre le contre-pied de ses idées. Elle juge dangereuse pour la morale la promiscuité dans l’école des enfants des deux sexes, et en réalité le danger n’existe que dans l'imagination déréglée de son clergé. Elle considère comme très avantageux pour l’avancement moral d’une jeune pénitente l’aveu de ses faiblesses à un célibataire jeune et robuste, et en réalité rien n’est plus dangereux que
- ces tête-à-tête que des parents doués de la plus vulgaire prudence ne toléreraient pas ailleurs qu’au tribunal de la pénitence.
- C'est donc à tort qu’imbu encore, sans en avoir conscience, d’idées aussi erronées qu’anciennes, l’on persiste dans des errements condamnés par l’expérience et blâmés parla raison. Dans tous les cas, c’est une singulière logique que celle qui dans une société où les deux sexes sont appelés à vivre constamment côte à côte ne trouve pas de meilleur moyen de les préparer à cette association intime que de les séparer soigneusement dès le jeune âge. C’est comme si on leur disait : Pour vous habituer à vivre toujours ensemble, nous commençons par vous donner des goûts différents, des idées différentes et des sentiments difiérents, et nous vous réunirons lorsque chacun de vous aura contracté des habitudes opposées, conçu des opinions contraires, et entretenu des aspirations antiphathiques.
- Voilà pourtant où l’on en arrive avec le beau système clérical de la séparation des sexes dans les écoles. Quant aux dangers que les écoles mixtes présentent pour la morale, il nous semblent tellement chimériques, que nous croirions faire injure à notre complaisant et patient ami le lecteur en entreprenant la réfutation.
- Dans tous les cas, n’est-il pas souverainement injurieux autant qu’injuste pour l’instituteur, qui est et doit toujours être un homme offrant les plus complètes garanties de moralité, de voir seulement là où il préside un danger dans une promiscuité qui existe à toute heure du jour dans les rues du village, à la maison et partout, sans qu’il en résulte aucun mal digne de mention. Les enfants des deux sexes sont sans cesse mêlés dans leurs jeux au village, dans leurs courses, dans fous les actes de la vie sans le moindre inconvénient loin de toute surveillance, et c’est seulement dans l’école où la surveillance est exercée que le danger existerait ? Il faut être intéressé à le faire croire, pour le prétendre.
- (A suivre.)
- L’AVENIR DE LA FRANCE
- On lit dans « le Nord de la Thiérache » :
- Bien des patriotes, des penseurs ne voient pas sans inquiétude l’avenir pour notre pays, pour notre race. Ils craignent pour nos descendants, car ils constatent que notre population n’augmente pas sensiblement, que nous colonisons peu, et que, par contre, l’Angleterre met les pieds partout, que la Russie s’é-
- p.249 - vue 250/836
-
-
-
- 250
- LE DEVOIR
- tend de plus en plus, et que l’Allemagne ou plutôt la race allemande croit rapidement.
- Il est vrai que l’Angleterre a d’immenses colonies, qui la font vivre,qui enrichissent ses lords; mais elle possède également l’Irlande, qui la ronge, qui pour elle est un cancer. Et puis ses posassions asiatiques, africaines et américaines ne lui échapperont-elles pas un jour ? Les Etats-Unis sont là pour répondre.
- La Rassie s’étend, mais elle étouffe, car la liberté lui manque. A-t-elle pour elle la volonté des peuples qu’elle a conquis ? Il est permis d’en douter.
- La race allemande croît, mais la misère ou le militarisme, cette autre plaie sociale, la fait immigrer. Du reste la force peut primer le droit passagèrement, mais à la longue, le droit devient force et Remporte; ce qui est uniquement bâti sur la force ne peut durer.
- Le Français n’immigre pas si facilement; il est attaché, j’ose le dire, plus que tout autre, à son soi, au coin de terre qui l'a vu naître. N’est-il pas rivé à cette terre que ses ancêtres, avec Vercingétorix, ont défendue contre les Romains, avec Merovée, contre les Huns, avec Charles-Martel, contre las Sarrasins, avec Eudes, contre les Normands, avec Jeanne, contre les Anglais, avec Henri IV et Condé, contre les Espagnols, avec Villars, contre les Impériaux? Est-ce que son grand-père n’a pas avec Dumouriez repoussé les Prussiens à Valmy et avec Jourdan les Autrichiens à Wattignies? Et lui-même n’a-t-il pas fait son devoir en 70 ? Il tient à son pays, car il y voit partout le sang de ses ascendants.
- Il ne les quittera pas; il vivra dans cette France dont il ne demandera pas mieux d’augmenter la population, car il la veut forte, et d’un autre côté, il aime la famille.
- « La population ne croît pas cependant, » dira-t-on. Nous avons « trop de bons bourgeois qui cher-« chent avant tout leur bien-être, ou qui, papas dé-« bonnaires, amassent beaucoup de rentes à peu « d’enfants pour rendre à ceux-ci la vie plus facile, « plus douce; trop de fils de famille qui préfèrent le « plaisir au travail et qui se marient trop souvent « vieux et usés pour faire une fin. »
- Ceci est vrai, mais l’exception n’est pas la règle. Laissons de côté quelques privilégiés de naissance, de fortune ; adressons-nous au petit commerçant, à l’artisan, à l’ouvrier, à ceux-là qui forment le nombre, questionnous-les, demandons-îeur pourquoi ils ne se marient plus ? pourquoi ils restreignent leur progéniture ?
- Beaucoup vous répondront qu’ils ont peur de l’avenir, non pour eux, mais pour leurs enfants. Ils vous diront qu’ils sentent que l’avenir appartient aux plus intelligents et qu’ils ne sont pas certains de pouvoir
- toujours remplir leur devoir, c’3st-à-dire de donner ; le pain et l’instruction à leurs fils.
- Et en effet voici un ouvrier : il gagne suivant les localités, suivant la cherté des vivres, 2, 3, 4 fr. par jour ; il a un enfant, il le nourrit, l’entretient, le fait instruire jusqu'à l’âge de 14, 15 ans, si toutefois le chômage ou la maladie ne vient pas trop l’accabler. Et si cet homme a 2, 3, 4 enfants, que fera-t-il ?, Il aura bien du mal de leur donner le pain; il les fera travailler à Fusine, aux champs dès le jeune âge, il faut bien manger si l’on ne veut pas mourir ! Quant à l’instruction, est-ce qu’il faut y penser? Et si cet homme encore vient à être victime, martyr du travail, à être écrasé, coupé, brisé par une machine, un outil, noyé, asphyxié dans une mine, etc... quel est l’avenir réservé aux enfants?
- L'ouvrier intelligent pense à tout cela, et il s’éloigne du mariage, de la famille.
- Il procréera, mais quand il n’aura plus à craindre pour lui le chômage et la maladie, et pour les siens surtout la faim et l'ignorance, quand il y aura plus d’égalité, de fraternité et par conséquent plus de solidarité.
- Soyons donc sans crainte, ne craignons pas les voisins : le peuple qui a fait 89 n’est pas près de périr, car il a pris pour devise : Liberté et Justice et pour arme la science.
- Et pourtant qui de nous n’a déjà entendu dire que nous étions un vieux peuple, que notre rôle était terminé, que nous devions faire place à des nations plus jeunes, plus fortes, plus énergiques ? Tout cela pourquoi? Parce que nous avons subi des revers en 1870 ! Parce que la patrie a été mutilée !
- Nous sommes, en Europe, un peuple ancien, c’est vrai. Nous sommes arrivés à faire notre unité bien lentement, nous sommes parvenus, avec le temps et la patience, à former une nation une, indivisible, actuellement un Breton, un Gascon, un Lorrain, un Picard, un Provençal est avant tout un Français, tous ont la même patrie. L’unité fait la durée : nous durerons.
- Regardons les voisins. Peut-on dire que l’Angleterre est une, quand elle ne parvient pas à s’assimiler l’Irlande? Et la Russie, avec la Pologne? Et l’Autriche avec ses Allemands, Hongrois, Slaves, etc. Et la Prusse, avec les Alsaciens, Danois, Polonais? Ces Etats, ainsi que la Turquie, sont appelés à se disloquer, car ils méconnaissent le droit des nations, ils craignent la volonté des peuples, ils ont surtout peur de la liberté.
- Qui a aidé Washington à fonder les Etats-Unis ? Qui a fait renaître la Grèce? Qui a créé l’Italie? La France. Et notre rôle serait terminé, notre mission
- p.250 - vue 251/836
-
-
-
- LE! DEVOIR
- 251
- remplie! Cela n’est pas possible. Effacer la France de la carte, supprimer notre pays à l’Europe, c’est retirer l’air, la lumière, la vie à l’homme.
- Nous avons perdu de notre prestige militaire,c’est vrai. L’Alsace et la Lorraine nous ont été arrachées violemment, c’est très vrai; mais nous saurons attendre et ces provinces nous reviendront, car elles veulent retourner à la patrie française.
- En attendant, complétons, achevons notre unité morale.
- Etablissons d’équitables impôts. Faisons de sages lois pour diminuer ces luttes violentes, du pauvre et do, riche, du travail et du capital. Sachons respecter tous les droits.
- LE VRAI SOCIALISME
- X^a Fourmi. — Société en participation d'épargne. —
- Siège à Paris, 3, rue d’Aboukir.
- On sait que nous nous intéressons vivement à toutes les inslitutions de prévoyance en faveur des classes laborieuses, à tout ce qui de près ou de loin touche au socialisme, c’est-à-dire, peut améliorer le sort des déshérités, qui est le fond de la question sociale.
- Aussi recevons-nous un grand nombre de notices, de statuts et de comptes-rendus relatifs au fonctionnement de sociétés de prévoyance, de secours mutuels, d’épargne. Nous étudions ces documents avec le soin qu’ils méritent ; mais nous ne pouvons que trop rarement, faute d’espace, en donner une analyse à nos lecteurs.
- Voici cependant une institution de prévoyance dont nous tenons à dire quelques mots, parce que son organisation présente certains caractères tout à fait] particuliers. C’est une Société appelée « La Fourmi. »
- Cette institution est récente, mais déjà bien vivace. Elle a été fondée en novembre 1879 par un certain nombre d’employés de la Banque de France, du Crédit industriel et commercial, de la Caisse des Dépôts et (consignations, des grandes maisons de commerce de Paris.
- Son but est l’épargne ; la Fourmi est une variété des plus ingénieuses de prévoyance. Elle repose sur l’idée d’association des petites économies accumu-. lées, en vue d’acquérir le plus grand nombre possible d’obligations françaises à lots.
- Au bout de dix ans, le capital, augmenté des intérêts accumulés, si la Société en recueille, sera réparti entre tous les sociétaires vau prorata des parts.
- | Disons maintenant comment le capital est formé : | Tout membre verse 3 fr. par part, du 1er au 5 de !' chaque mois (l’économie bien souvent conseillée des j; 10 centimes quotidiens). Nous devons dire cepen-| dant qu’il est permis à chaque sociétaire de sous-| crire plus d’une part.
- > Des livrets peuvent être pris au nom des femmes \ et des enfants.
- La Société est gérée gratuitement par douze | administrateurs et quatre censeurs nommés en assemblée.
- Les fonds et valeurs sont déposés dans une banque qui conserve les titres et fait le service de caisse à titre purement gracieux.
- Aucune spéculation n’est possible ; car les valeurs doivent rester déposées jusqu’à la liquidation finale.
- Tous les mois un bulletin contenant les numéros des valeurs achetées est remis aux adhérents.
- Tout sociétaire peut se retirer en faisant l’abandon de 20 0/0 de la somme,à lui revenir. En cas de décès, les héritiers d’un adhérent touchent intégralement ce qui lui reviendrait, à moins qu’ils ne se mettent en son lieu et place et ne continuent les versements pour jouir des avantages y attachés.
- L’idée était si bonne que le succès a dépassé les espérances des fondateurs ; pour quelques adhérents en 1879, on en compte aujourd’hui plus de 4,000 possédant 6,800 parts.
- Le capital social actuel dépasse 300,000 francs employés en 1140 obligations de vingt-trois natures différentes. Il atteindra rapidement le million, si l’on en juge par le nombre toujours croissant des adhésions nouvelles venant de tous les points de la France.
- Il ne nous est pas possible d’entrer aujourd’hui dans de plus longs développements sur les avantages de cette société ; mais nous avons pensé qu’il serait intéressant d’en signaler l’existence, l’organisation et le succès. En attendant que nous en reparlions plus longuement, car nous voudrions voir une succursale de la Fourmi se fonder dans le département, c’est un bon exemple à méditer et à suivre et nous contribuerons de tous nos efforts à le propager.
- Pilota.. —Contre 15 cent. la Société enverra'les renseignements nécessaires.
- Les personnes qui désireront : 1 .le compte-rendu de Vassemblée ; 2. la liste des valeurs en portefeuille au 31 décembre 1881; 3. les statuts; 4. la nomenclature des sociétaires, devront adresser 50 cent., 3, rue d/Aboukir, à Paris.
- p.251 - vue 252/836
-
-
-
- 252
- LE DEVOIR
- LE FAMILISTÈRE DE GUISE
- Le Phare de la Loire rend compte en ces termes d’une conférence faite à Nantes par l’ancien rédacteur du Devoir, M. Champury, que nos lecteurs ont pu apprécier depuis la création du journal.
- Comités du O0 canton et die St-Clalr LE FAMILISTÈRE DE GUISE Confèrence de M. Champury
- La conférence faite hier soir, montée St Bernard, salle Gourdon, par un de nos collaborateurs, M. Champury, a parfaitement réussi.
- Les membres des comités de Saint-Clair et du 6me canton, plusieurs conseillers municipaux ou d’arrondissement, beaucoup de membres de corporations ouvrières et de sociétés de secours mutuels, plusieurs grands industriels de Chantenay avaient répondu au rendez-vous malgré l’éloignement de la salle désignée pour cette conférence. Toutes les places réservées aux dames étaient occupées.
- Le sujet développé par M. Champury, à la demande même des organisateurs de cette réunion, était le Familistère de Guise, c’est-à-dire le fonctionnement de cette association unique dans son genre qui réalise l’association du capital et du travail par l’accession successive des ouvriers à la propriété même de tout l’actif social, roule sur un capital versé de 4,600,000 francs, et comprend 1,200 associés, sociétaires et participants.
- On comprend l’intérêt que devait présenter l’histoire du Familistère, au lendemain surtout de la conférence de M. Guesde à Nantes. Il s’agissait, en effet, d’établir que, sans secousses violentes, par la seule entente entre patrons et travailleurs, il était possible d’arriver à la solution sociale la plus considérable et la plus légitime.
- Nous ne rendrons pas autrement compte de la conférence de M. Champury, qui n’a fait que retracer à grands traits les éléments d’une institution que tous nos lecteurs connaissent. « Il est déplorable, dit-il, que le Familistère soit si peu connu en France, alors que l’on vient d’Angleterre, des Etats-Unis et même d’Australie pour l’étudier.
- * On paraît ne pas s’y intéresser en France, ce qui est d’autant plus inconvenable que des entreprises moins grandes, comme l’Association Leclaire à Paris, ou d’autres beaucoup moins complètes, comme celle deM. Ménier àNoisiel,deM.DollfusàMulhouse, de M. La Roche Joubert à Angoulême, ou de Mme Boucicault à Paris (maison du Bon Marché), ont occupé à diverses reprises des écrivains compétents. »
- Les regrets qu’exprime de la sorte M. Ed. Champury sont formulés en général par tous ceux qui ont visité le Familistère, et la presse étrangère s’en est bien souvent fait l’écho. Le silence de la presse Française et regrettable, non pas pour l’œuvre elle-même qui n’a pas besoin de publicité pour prospérer, mais à cause du retard qu’il apporte à la lumière à faire sur cette solution pratique de la question sociale, qui tôt ou tard s’imposera par la force même des choses, puisque la vérité s'impose toujours, et parce que ce retard est d’autant plus préjudiciable aux intérêts des classes laborieuses, qu’il se prolonge outre mesure.
- Les applaudissements les plus mérités avaient souvent interrompu M. Champury. Ils ont salué aussi l’excellente péroraison où il a déclaré que la République était le seul régime politique qui permet, grâce à la liberté, l’amélioration du sort des classes laborieuses.
- —---------------------
- LA STRATÉGIE DE M. DE BISMARCK
- Le plan de M. de Bismarck se développe et sa politique extérieure devient d’une clarté saisissante.
- Des dépêches annoncent qu’un traité d’alliance offensive et défensive existe entre l’Allemagne et la Suède. Le fait, pour n’être connu qu’aujourd’hui, n’en remonterait pas moins, paraît-il, à l’année 1880. On l’aurait tenu secret depuis lors ; mais on juge probablement opportun de le faire désormais sortir de l’ombre.
- Peut-être apprendra-t-on également, tôt ou tard, qu’un traité analogue a été conclu avec la Turquie. Voici longtemps déjà que les relations de plus en plus intimes de l’Empire germanique avec l’Empire ottoman préoccupent l’opinion publique. A Constantinople, on ne dissimule guère qu’on se croit certain de l’appui du grand-chancelier. A Berlin, on pourrait dire également qu’on est certain de la docilité du sultan.
- Si telle est la situation, et nous avons lieu de le croire, la stratégie de M. de Bismarck est formidable.
- Il aura ainsi solidarisé à sa politique trois alliés puissants qui, du Nord au Sud, lui permettront de lutter avec avantage contre tous les dangers dont il peut être menacé du côté de l’Est ou du côté de l’Ouest.
- C’est surtout contre l’Est, c’est-à-dire contre la Russie, que cette forte ligue a été organisée.
- Tout le monde se rappelle qu’après la défaite de la France, M. de Bismarck disait dans l’intimité : « La
- p.252 - vue 253/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 253
- première guerre qu’aura l’Allemagne sera avec la Russie ». Depuis, cette prédiction a été plusieurs fois sur le point de se réaliser, et tout récemment on a pu craindre que le conflit n’éclatât tout à coup. Le panslavisme et le pangermanisme se mesurent des yeux dans des sentiments de haine mal contenus. La moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres.
- C’est contre cette éventualité que le puissant chancelier de l’Allemagne s’est prémuni avec cette habileté, cette prévoyance et cette persévérance qui sont le fond de son caractère.
- La Russie est enveloppée dans un réseau d’ennemis tous réunis désormais dans la main de M. de Bismarck.
- Si elle avait eu l’imprudence de braver son puissant voisin, elle serait attaquée à la fois par la Suède, qui s’élancerait sur la Finlande pour la reconquérir; par l’Allemagne, qui envahirait les provinces baltiques et soulèverait la Pologne ; par l’Autriche, qui marcherait de la Gtallicie, de la Bosnie et de l’Herzégovine, et enfin par la Turquie, qui trouverait l’occasion de venger ses nombreuses défaites.
- A Saint-Pétersbourg, on a vu le péril et on s’en est justement effrayé. Si la politique pacifique y a triomphé, malgré les excitations du parti pansla-viste, c’est qu’on s’y rend bien compte de l’impuissance absolue à laquelle la coalition désormais certaine de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Turquie et de la Suède condamne la Russie.
- Peut-être, dans les conseils du tsar, a-t-on, à certains moments, espéré qu’un rapprochement avec la France pourrait affaiblir cette ligue menaçante, mais, outre que notre pays n’est pas disposé à courir des aventures terribles pour sauvegarder l’empire russe, il est trop évident qu’en immobilisant ce dernier, M. de Bismarck a pris également ses précau*-tions contre nous.
- Les mêmes facteurs qu’il met en mouvement du côté de l’Est, lui serviront du côté de l’Ouest. La France, si elle adoptait une politique belliqueuse, trouverait également devant elle l’Allemagne, l’Autriche et la Suède. Mais l’habile chancelier a fait plus encore. Il est parvenu à nous mettre en froid avec l’Italie et avec la Turquie, de façon qu’en cas de guerre, nous aurions à combattre non pas seulement sur les Vosges, mais en même temps sur les Alpes, tandis que le panislamisme, auxiliaire du pangermanisme, soulèverait en Afrique contre notre domination toutes les forces et toutes les passions des peuples musulmans.
- Voilà le double but que M. de Bismarck semble
- avoir atteint. Appuyé sur l’Autriche, sur la Suède et sur la Turquie, assuré de la complicité de l’Italie, il a réduit à l’immobilité la Russie, d’un côté, la France, de l’autre, lesquelles ne peuvent rien entreprendre au dehors, sous peine de se heurter à quatre ennemis formidables.
- Qui reste-t-il dont l’Allemagne puisse, en cas de conflit, redouter l’intervention ?
- L’Angleterre-? C’est improbable ; sa politique s’est trop désintéressée des affaires du continent pour qu’en cas de guerre européenne personne puisse compter sur elle. Elle l’a bien prouvé, malheureusement pour nous, en 1870. Elle ne bravera pas non plus la coalition des quatre puissances dont l’Aile* magne s’est entourée désormais. Pourvu qu’on lui laisse libre, en Egypte, sa route des Indes, elle ne demandera rien de plus.
- L’Allemagne est donc aujourd’hui une forteresse dont les canaux sont braqués à tous les points de l’horizon, et d’où elle peut faire face, de tous côtés, à tous les ennemis et de les tenir en respect. Nier la force que lui donnent ses combinaisons diplomatiques jointes à sa puissance militaire, ce serait nier l’évidence.
- Est-ce cependant un danger de guerre ? Nous ne le croyons pas, car M. de Bismarck n’a aucun intérêt à être agressif; mais il importe que tout le monde se rende bien compte de cette situation et évite toute politique d’aventure ou de témérité qui pourrait n’aboutir qu’à des désastres.
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- M. Alexandre Vincent d’Angoulins, près la Rochelle, vient de faire don à la Bibliothèque du Familistère d’une brochure de 50 pages intitulée : « Le Spiritualisme expérimental et les Apports. »
- Nous remercions l’auteur au nom des habitants du Familistère, qui pourront lire avec fruit ce petit livre dont on peut dire avec Montaigne : « Cecy est un livre de bonne foi. » Dans sa préface l’auteur dit que parmi tous ces gens d’affaires, ces sages que la lutte pour l’existence absorbe complètement, il s’en trouve dont l’ambition est de chercher la vérité dans l’examen des phénomènes naturels. « Les pages qui suivent, ajoute-t-il ont été écrites par l’un d’eux. Il les soumet à tous les esprits indépendants qui n’appartiennent à aucune coterie religieuse, philosophique ou scientifique. »
- p.253 - vue 254/836
-
-
-
- 254
- LE DEVOIR
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- Le 13 avril. — Garbe Louis-Emile, fils de Garbe Emile et de Hubière Laure.
- DÉCÈS :
- Le 12 avril. — Mme Blanquin, âgée de 30 ans.
- Le 13 avril. — Mme Druart mère, âgée de 65 ans.
- — — Tboret Louise, âgee de 13 mois.'
- LES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES ES ALLEMAGNE
- Le rapport annuel fait par M. Schultze Delisch à 1’assç mblée générale des Sociétés coopératives allemandes, pour l’exercice 1880, vient de paraître. Les bonnes feuilles de ce rapport ayant été communiquées à l’honorable M. Vigano, de Milan, qui remplit en Italie ia même fonction que M. Schultze-Delitsch en Allemagne, celle de promoteur et de contrôleur des Sociétés populaire, M. Vigano a bien voulu nous adresser qn résumé de ce rapport. C’est à son travail, encore inédit, que nous empruntons les chiffres cités dans notre article pour l’année 1880.
- Avons-nous besoin de dire que la grande œuvre des Sociétés populaires économiques, c’est-à-dire Sociétés coopératives de consommation, de production, banquet populaires, Sociétés d'avances et de prêts, continue à se développer en Allemagne, comme en Italie, au surplus, et à y préparer les véritables matériaux, destinés à résoudre la question sociale, ou tout au moins à aider à cette lente mais inévitable’transformation du milieu économique et social clans lequel nous vivons ?
- A la fin de 1880, il n’existait pas en Allemagne moins de 3,250 Sociétés coopératives, dont :
- 1,895 Sociétés de crédit populaire ;
- 674 Sociétés de production de toutes sortes : industrielle, agricole, commerciale ;
- 642 Sociétés de consommation ;
- 36 Sociétés de construction ;
- Si nous reprenons ces chiffres qui sont vraiment importants, nous reconnaîtrons que, au point de vue du crédit, ils indiquent un effort considérable, et que de cet effort surgira, ou a dû. déjà surgir un progrès réel dans les ressources et la condition des classes populaires. Aussi, sur ces 1,895 Sociétés de crédit populaire, 906 avaient envoyé leur bilan à l’assemblée générale ; elles comptaient 460,500 membres et avaient prêté, en 1880, 1,800 millions. Le capital-actions de ces 906 Sociétés représentait 130 millions, et le capital prêté (dépôts et comptes courants) représentait 455 millions. Ainsi, ces diverses petites
- Sociétés ont fait mouvoir, en 1880, 585 millions à l'aide desquels elles ont atteint un chiffre d’affaires réel de près de 2 milliards.
- Voilà donc, si nous ne nous trompons, le crédit populaire véritablement organisé ; il est arrivé au capital : 1° par l’épargne et l’accumulation — c’est le capital-actions, — et 2° par la confiance qu’il inspire — c’est le capital prêté ; — enfin il est arrivé à remplir sa véritable fonction, qui est de prêter aux travailleurs ne disposant d’aucun capital ou qui n’ont qu’un capital insuffisant-
- Aussi est-ce dans ces Sociétés ou des Société ana-
- *
- logues qu’il faut chercher les véritables éléments du crédit populaire agricole. Ces éléments ne tomberont pas tout faits du ciel ; il seront le résultat du travail, de l’effort et du temps, surtout pour le peuple, qui est le fondement principal de tous les progrès sociaux.
- Parmi les Sociétés de production,en rapport immédiat avec les banques populaires, nous relevons 92 Sociétés de production agricole, 131 de production industrielle, et 53 de production commerciale. Il existe même, en Allemagne, 142 Sociétés de production pour l’achat en commun des machines agricoles et du bétail de travail. Nous signalons tous ces résultats aux professeurs et aux comices d’agriculture, car ces Sociétés répondent à un des plus grands désavantages de la petite culture.
- Les Sociétés de consommation sont surtout urbaines. Elles sont moins nombreuses et moins prospères qu’en Angleterre. En Allemagne, ce sont les banques populaires et les Sociétés de production qui ont pris le plus d’accroissement. En Angleterre, ce sont les Sociétés coopératives de consommation.
- Quant aux Sociétés de construction,comme elles ne répondaient pas à des besoins permanents, elles ' n’ont eu qu’une existence momentanée. Elles ne paraissent pas être encore une des formes profitables du travail coopératif.
- Ce qui convient, avant tout, à la coopération,c’est la production agricole, surtout la production si variée, en France, en Italie, en Espagae et dans l’Allemagne du Sud, notamment le vin, la soie, le gros bétail, le lait et tous les fruits ; c’est aussi cette partie de la production industrielle, où l’habileté, le goût, le faire de l’ouvrier l’emportement sur l’activité mécanique. Ainsi, l’industrie de Paris et celle de Lyon devraient être propres à l’association coopérative.
- Au contraire, les Sociétés de consommation sont appelées à se développer dans les grands centres de î manufacture et de mine, là où le travail mécanique ? ou souterrain est le but de l’ouvrier. Ainsi, à Bes-
- p.254 - vue 255/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 255
- sèges, les ouvriers se plaignent de ne pas avoir de Sociétés de consommation indépendantes des économats établis par les associations minières ou métallurgiques.
- Quant aux banques populaires, elles font le plus grand honneur à l’Allemagne et elles attestent les progrès de sa civilisation. L’homme qui épargne et qui préfère faire mouvoir son capital que thésauriser ou acquérir un lot de terre, comme le pauvre Irlandais, est un homme civilisé.
- Tant qu’en France les banques populaires ne se seront pas fondées et développées, le crédit populaire restera à l’état idéal, et |sera un thème de discussion, mais non un élément économique. La banque populaire est au crédit populaire ce que la molécule est pour toute matière, ce que le germe est pour tout corps vivant, c’est la substance même du crédit. Tout le reste est réduit à des combinaisons en l’air.
- Quelle longue route nous avons à faire en France pour constituer 3,254 Sociétés populaires, dont près de 1.900 banques ! Y arriverons-nous jamais? C’est à peine si nous pouvons compter de douze à vingt Sopiétés populaires de toute sorte. Toutefois, avec le développement de l’instruction, avec des institutions libres et stables, nous entrevoyons, dans un avenir prochain, des progrès sérieux.
- {Liberté).
- SOMMAIRE DU RAPPORT POUR 1881 de l’Association de l'Arbitrage International et de la Paix en Angleterre
- Le premier rapport du Comité de l’Association de l’Arbitrage International et de la Paix, vient de paraître et il félicite ses membres du progrès satisfaisant qui a été accompli.
- Parmi les 1710 adhésions qui ont été reçues durant l’année écoulée figurant celles du duc de Westminster, du comte de Derby, du comte de Shaftesbury, du sir John Lubbock, membre du parlement, de Sir John Sinclair baronet, M. P., de Sir Thomas Mc Clure baronet, de l’exlord Maire de Londres, de l’Alderman Mc Arthur, membre du parlement, et de plus de quarante autres membres de la Chambre des Communes.
- La liste des adhésions comprend aussi des membres influents de 1 Eglise de l’Angleterre et d’autres personnages, Maires, Aldermen, Conseillers municipaux, Banquiers, Négociants et Manufacturiers.
- En France, Allemagne, Russie, Italie, Belgique, Espagne et Etats-Unis d’Amérique, des adhésions ont
- 5 r
- été reçues de membres et ex-membres des corps législatifs de ces pays, parmi lesquels, les principaux sont : en France, Paul-Casimir Perier ; en Allemagne, le dr Lasker ; en Italie, le marquis Popoli, Ricciardi et le prof. Vigano de Milan ; en Espagne, Arturo de Marcoartu ; il y a aussi d’éminents publicistes, jurisconsultes, journalistes et des ministres suivants de la religion : Père Hyacinthe, Edmond de Pressensé, M. de Coppet ; et enfin de chefs éminents des classes ouvrières.
- La visite en France et la Conférence donnée à Paris par le Président de la Commission exécutive, M. Hodgson Pratt, qui ont eu pour résultat la nomination d’une commission provisoire pour aider à la formation d’une association dans ce pays, y sont relatées d’une façon encourageante.
- En Russie, grâce aux actives démarches des Professeurs Martens et Kapoustkine, une association analogue a été créée à St-Petersbourg.
- On y rappelle les précieux services rendus par la presse Européenne et Américaine, dont les articles en faveur du mouvement sont mentionnés avec reconnaissance, en citant tout spécialement : le Daily News, Daily Chronicle, Echo, Leeds Mercury, Liverpool Mercury, Les Etats-Unis d1 Europe, La Scène du Monde, Diritto, New York Herald, Voice of Peace et un grand nombre d’autres journaux.
- En outre de l’organisation de l’Associatisn, qui, en raison de son large caractère international, a été fort laborieuse, le Comité n’a point négligé une autre opération importante.
- Le projet de Statuts embrassant la Constitution, les principes et les règles de l’Association a été définitivement adopté et approuvé par les membres.
- La désastreuse guerre entre le Chili et le Pérou 5 la guerre dans le Transvaal ; la cession de Dulcigno au Monténégro ; rectification des frontières entre la Grèce et la Turquie ; et la guerre entre la France et Tunis ont, toutes en général et chacune en particulier, attiré la sérieuse attention du Comité, et provoqué nombre de travaux très utiles accomplis dans l’intérêt de la paix en ces différends internationaux.
- Le rapport conclut par un sérieux appel aux concours dévoués sur les bases suivantes : Que parmi toutes les nations de l’Europe, il existe un ardent désir de délivrance des maux de la guerre et des gigantesques préparatifs militaires en vue de guerres, qui pèsent lourdement sur les peuples et les écrasent sous le fardeau. Les fondateurs de cette Association sont fermement convaincus que la seule chance de paix et de soulagement du système militaire si oppressif, réside dans l’adoption d’un système
- p.255 - vue 256/836
-
-
-
- 256
- LE DEVOIR
- d’Arbitrage, l’établissement d’un Tribunal International, auquel les gouvernements pourraient sûrement soumettre leurs différends nationaux.
- Hodgson Pratt, Président du Comité Exécutif ;
- Aubrey Leunor S‘-John, Trésorier ; William Phillips, Sécrétaire honoraire ;
- Lewis Appleton, Sécrétaire.
- Tailleur Cordonnier
- C’est l’heure du rapport, les sergents-majors arrivent, causent entre eux du dernier vin chaud pris au Café du Commerce en l’honneur d’un camarade promu; le colonel a Pair de mauvaise humeur.
- — Voyons, crédié! messieurs les sergents-majors ! Vous n’allez pas nous faire coucher ici 1 Commençons! La compagnie hors rang ?
- — Présent, mon colonel.
- — Lisez la situation, les’demandes, les punitions ! Rapidement 1
- — Demandes : Le soldat de première classe San-zel, cordonnier de la compagnie hors rang, demande une permission de huit jours. Cette demande est appuyée par le maître cordonnier, qui déclare être très satisfait de ce soldat.
- — Une permission ? Enfin continuez.
- — Punition : Le soldat de première classe Michon, tailleur à la compagnie hors rang, quatre jours de salle de police, ordre du maître-tailleur; a allumé une lampe dans l’atelier des tailleurs après dix heures !
- — Un instant ! il y a une chose que je n’aime pas, en principe ! je n’aime pas qu’un homme puni établisse sur la même situation une demande de permission ! C’est contraire à l’esprit militaire, sacrebleu !
- — Pardon, mon colonel, ce n’est pas le même homme ! La permission est demandée par le cordonnier Sanzel, tandis que la punition est infligée au tailleur Michon !
- — J’entends bien! sacrebleu !§Mais est-ce qu’il n’y a pas une observation?
- — Si, mon colonel ! Du maître-cordonnier, qui déclare être très satisfait du soldat Sanzel !
- — Mais alors, sacrebleu! pourquoi lui flanque-t-il quatre jours de salle de police, s’il en est si content que ça ?
- — Ce n’est pas lui, mon colonel ! C’est le maître-tailleur !
- — Ah! ça, mais de quoi donc se mêle-t-il, le maître-tailleur? Pourquoi va-t-il punir un cordonnier ? Est-ce que ça le regarde les cordonniers ?
- — Mais, mon colonel, il n’a fait que punir un tailleur pour avoir allumé de la lumière dans l’atelier !
- — Qu’est-ce qu’il allait faire dans l’atelier des tailleurs, ce cordonnier? Voler,encore?Et le maître tailleur déclare qu’il est content de lui ?
- J’ai bien envie de lui flanquer huit jours de salle de police au maître tailleur, pour lui apprendre à ne pas se ficher de ses supérieurs! C’est bien le tailleur qui a de bonnes notes?
- — Non, mon colonel, c’est le cordonnier !
- — C’est bien ce que je disais ! le cordonnier! Ainsi voilà un maître tailleur qui se mêle de donner des renseignements sur un cordonnier, un homme en dehors de son service et de sa compétence. Faites-moi donc le plaisir de me coller quatre jours de salle de police au maître tailleur.
- — Mais, mon colonel!
- — Il n’y a pas de mais? Et puis quatre jours de salle de police au maître cordonnier, pour laisser pénétrer des tailleurs dans son atelier; et puis encore quatre jours de salle au même pour fonction illégale. Il n’a pas le droit de punir un tailleur.
- — Mais, mon colonel, ce n’est pas un tailleur!
- — Ah! ça n’est pas un tailleur! Nous n’allons pas recommencer, n’est-ce pas? Je sais bien ce que je fais, ce que je dis, et le reste! Vous ne voudriez pas me faire passer pour un imbécile, n’est*ce pas, sergent-major?
- — Oh! mon colonel!
- — Bien ! Vous vous marquerez quatre jours de salle de police pour réflexions inconvenantes devant votre colonel l Et puis cet animal qui demande une permission, flanquez-lui quatre jours de salle de police aussi ! Il m’embête, ce paroissien-là! Voilà assez longtemps.
- — Bien, mon colonel! Mais le tailleur?
- — Quel tailleur? Vous commencez à me chauffer les oreilles, vous savez, sergent-major !
- — Celui qui a été puni?
- — Puni? Rayez la punition? Le maître cordonnier n’a pas le droit de punir un tailleur. Ah ! il lui faut un dédommagement! Eh bien, acoordez»lui sa permission, à ce garçon-là... Continuons !
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- L’Association riSHii IPTtBC de Guise
- du rAmiLISrEnt (Aisne)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.256 - vue 257/836
-
-
-
- 0e ANNÉE» TOME 6 — N° 190 tLe numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 30 AVRIL 1882.
- LE WEïï&EM,
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par Fenvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . .. 40 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS 5,r,Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- * w m tsm
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de VAssociation de Ralahine (Suite). — L’avenir des classes laborieuses. — Faits politiques et sociaux. — Yoyage autour du Familistère, III, F. ~ Causerie anticatholique et religieuse : Séparation des Eglises et de l’Etat. — Variété.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE VII
- Premières mesurer pour organiser l’association
- Tout en étudiant les gens et les choses autour de lui, M. Craig dressait le projet de règlement nécessaire à l’organisation de l’association.
- Malgré les difficultés de son existence au milieu de la population de Ralahine, il était arrivé à gagner
- la confiance d’un ou deux des plus intelligents ouvriers du pays. Ceux-là voulurent bien croire, dans une certaine mesure, à ses bonnes intentions ; aussi, bien qu’ils eussent prêté le serment secret de résistance aux autorités, prévenaient-ils M. Craig des faits qui avaient pour but vraisemblable de l’égarer ou de le contrecarrer. Celui-ci redoubla donc d’efforts pour bien se pénétrer des besoins et des désirs du peuple, afin de prendre et de suivre la meilleure voie dans la réalisation de l’association projetée, et de dresser au mieux les statuts et règlements.
- Il devint bientôt évident pour lui que pas un seul des travailleurs de Ralahine ne se contenterait de simples modifications dans le régime du salariat en vigueur. Il fallait opérer des changements plus radicaux, plus profonds, si l’on voulait obtenir l’apaisement des esprits. Les projets de MM. Vandeleur et Craig donnaient satisfaction à cette nécessité. Mais la grande difficulté était de faire comprendre, de faire accepter les nouveaux plans.
- Les habitants du pays étaient à cent lieues de concevoir les combinaisons sociales même les plus avantageuses pour eux.
- L’économie et les bienfaits du logement dans des maisons confortables et bien bâties ; les avantages d’une cuisine commune et de tous autres arrangements domestiques ; les bénéfices d’un travail régulier , constant, sous la direction et le contrôle d’agents élus par les travailleurs eux-mêmes ; la perspective de la répartition entre sociétaires à la fin de l’année, s’il y avait lieu, des bénéfices restants après paiement du fermage et des intérêts du capital ; tout cela fut expliqué, développé, démontré à
- p.257 - vue 258/836
-
-
-
- 258
- LE DEVOIR
- maintes reprises. Mais ces avantages n’étaient pas plus compris que les inconvénients de la perte de temps, de travail et d’argent causée par le système de la chaumière isolée, où chaque ménagère se consume en travaux mal ordonnés.
- Il entrait dans les vues de MM. Vandeleur et Craig de rompre autant que possible avec une coutume chère aux paysans mais très-fâcheuse dans ses conséquences. Tout le monde sait qu’en Irlande, c’est une opinion courante que le produit des porcs élevés à domicile représente le coût du loyer. Aussi dans certains districts, cet animal jouit-il d’une liberté absolument préjudiciable à l’hygiène de la famille.
- En présence des préjugés et des habitudes du peuple, il était indispensable de prendre des arrangements qui conduisissent les gens vers l’association, tout en laissant aussi intacte que possible leur indépendance individuelle, sauf sur un certain nombre de points, où elle aurait pu être un obstacle à l’harmonie future et à la prospérité de la société.
- Tandis que le propriétaire élaborait le projet de contrat pour le fermage du sol et les intérêts du capital engagé, et que M. Craig de son côté esquissait le règlement pour le gouvernement de la future société, la lutte des paysans contre l’ordre de choses établi arrivait à sa période aigüe d’excitation. Ils étaient à la fois sourds aux objurgations des chefs religieux et politiques, indifférents aux peines édictées par les lois, et en révolte ouverte contre la force militaire toujours croissante. Et les actes de vengeance sauvage que nous avons déjà relatés ne discontinuaient pas.
- MM. Vandeleur et Craig pressèrent alors l’achèvement des premières mesures arrêtées comprenant : habitations, réfectoire, salle de lecture, magasins et dortoirs.
- C’était dans l’antique château du baron de Ralahine que devaient résider temporairement les associés.
- La population occupée sur la propriété fut convoquée en assemblée générale sous la présidence de M. Vandeleur. Le président donna à l’assemblée connaissance du but de l’association projetée, selon l’ordre indiqué par le préambule des statuts que l’on trouvera plus loin.
- La sécurité du travail, la liberté d’action, les éléments de bien-être, de confort, de progrès intellectuel et moral que l’association mettait à la portée de chacun des membres, petits et grands, furent largement exposés-. Puis M. Vandeleur sentant combien la méfiance traditionnelle des gens pouvait leur inspirer d’incrédulité,' s’efforça de leur faire com- f prendre que l’association projetée offrait toute la
- 1 sécurité voulue parce qu’elle était avantageuse non-seulement pour les paysans mais aussi pour les détenteurs du sol,
- III appuya sur ce fait que si le plan réussissait, tandis que les paysans y trouveraient des avantages précieux, les propriétaires de leur côté recueilleraient, avec plus de ponctualité, les fermages et intérêts convenus ; auraient toute sécurité pour leurs avances de fonds ; seraient assurés du bon entretien du sol et des machines confiés aux travailleurs et, enfin, contribueraient à l’amélioration du sort des membres de l’association, sans déroger aux lois existantes.
- Les paysans écoutèrent ces observations, puis l’assemblée se sépara, Mais il devint bientôt évident que malgré tous les efforts de MM. Vandeleur et Craig, on avait peu de confiance dans les avantages offerts par le nouveau système. L’opinion d’un certain nombre de travailleurs était que le plan serait abandonné dans un court espace de temps.
- Par suite de la surexcitation des esprits dans le district, et par des motifs de sécurité personnelle, il fallait commencer l’association avec les gens déjà occupés sur la propriété. Ainsi furent admis des collaborateurs qui eussent été écartés si l’on eût pu choisir en toute liberté.
- Ce manque de choix dans le personnel rendait d’autant plus nécessaire un règlement détaillé, en accord tout à la fois avec le but poursuivi et la condition du peuple.
- L’esprit d’opposition, un instant assoupi, par les mesures décisives d’organisation de la Société, se réveilla et suscita des rivalités entre ceux qui étaient favorables à l’expérience et ceux qui eussent voulu l’empêcher. C’était à qui des deux partis gagnerait le plus d’influence et d’adhérents parmi les travailleurs.
- Pour réduire ces manifestations, M. Craig proposa à M. Vandeleur d’appeler la masse des travailleurs à voter l’admission ou le rejet de chacun des membres adultes, avant de soumettre à l’adoption et à la signature les statuts et le contrat d’association. Il lui semblait que cette estimation silencieuse et critique de chacun par ses pairs serait d’un utile effet. M. Vandeleur acquiessant à cette pensée, réunit les travailleurs et leur adressa le discours qui suit :
- « Mes Amis,
- « Avant de proposer à votre adoption les statuts « de notre future Société, je crois nécessaire de « soumettre le nom de chacun de vous au vote de « l’assemblée, parce que j’ai des raisons pour croire « qu’un certain nombre de personnes n’accordent
- p.258 - vue 259/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 259
- „ point de sympathie à nos projets, et sont près-* que opposées au but que nous poursuivons.
- u Il m’est possible avant l’adoption et la signature
- des statuts et du contrat, de congédier tout indi-« vidu que je ne jugerais pas cordialement disposé e £ coopérer à l’oeuvre entreprise pour le bien de u chacun et de tous. Donc, la première formalité à « remplir est de proposer chacun de vous, selon l’or-« dre alphabétique des noms à l’admission sur la « liste des associés. L’assemblée tout entière votera « par oui ou non. S’il arrive malheureusement que « l’un de vous ne réunisse pas la majorité des suf-« frages pour son admission, et se trouve par consé-« quent rejeté, j’aurai le regret, quels que soient « mes sentiments personnels à son égard, de renon-« cer à ses services et de ne point le garder dans l’é-a tablissement.
- « Je sais qu’il y a ici quelques étrangers, mais « tous seront soumis à la même formalité. M. Craig a lui-même m’a exprimé son vif désir d’être proposé a au vote, parce qu’il préfère infiniment être accepté a par la majorité, s’il y a lieu, que d’avoir à penser a qu’il vous est imposé par moi.
- a Une fois cette constitution de la liste terminée, a nous passerons à la signature des actes. Et j’ai la a confiance que ceux qui s’opposent aujourd’hui à « la Société reconnaîtront qu’il est de leur intérêt « de mettre les statuts en pratique. »
- Tout en accédant au désir de M. Craig d’être soumis au vote, M. Vandeleur pensait que c’était là pour le futur secrétaire de l’Association une démarche bien hasardée. Il savait que M, Craig venait justement d’apprendre la mort de son grand’père, lequel, absolument opposé à la façon dont son petit-fils comprenait la religion de l’humanité, l’avait déshérité, pour le punir de chercher l’application pratique de ses idées dans la malheureuse Irlande.
- Malgré cette fâcheuse circonstance et les appréhensions de M. Vandeleur, M. Craig avait jugé utile et prudent de se soumettre à une formalité dont il avait recommandé l’usage pour autrui.
- En racontant cette épisode de sa vie, M. Craig ajoute :
- * Quoi que j’aie payé cher pour avoir osé prouver “ la possibilité de l’association parmi les popula-
- * lions agricoles de l’Irlande, le résultat valait l’ef-
- * fort.
- “ Maintenant que me voici alité depuis quatre “ hivers, que le travail de ma vie touche à sa fin,
- 4 Tue mon cœur bat avec moins de force, que ma “ main me refuse ses services, la privation de l’hé- g “ ritage de mon grand’père frappe surtout ma jj
- « femme, mes enfants, ceux enfin dont l’existence « est subordonnée à mes efforts.
- « Les antipathies de secte et les tendances théo-« logiques empêchent les hommès de se rendre « compte des sublimes principes de justice inhé-« rents à la science de la société. Ils oublient que le « premier réformateur social fut le grand maître « lui-même, et que la règle de vie qu’il a enseignée « ne peut être réalisée pleinement que par une or-« ganisation des rapports entre les hommes, entre « la terre, le capital et le travail qui assure à l’ou-« vrier tout le produit de ses efforts. Un tel but ne « peut être atteint avec justice pour tous et pour « chacun que par l’esprit et la pratique de la reli-« gion de l’humanité. »
- La mesure qu’avait préconisée M. Craig eut le salutaire effet d’amener chacun à l’examen de soi-même. Personne ne fut rejeté, mais les critiques mutuelles eurent d’excellentes conséquences. On put s’en rendre compte par la confiance accordée aux membres enrôlés pour faire l’expérience du « nouveau système. »
- Furent admis :
- 28 hommes et 12 femmes, total 40 adultes, parmi lesquels il y avait 7 couples (mari et femme), .g
- La Société comptait en outre 4 garçons et 3 filles de 9 à 17 ans, et 5 enfants de moins de 9 ans; total 12 enfants ou adolescents. En somme 52 personnes.
- On peut être surpris du petit nombre d’enfants comparé au nombre des grandes personnes, surtout quand on tient compte de ce fait que les enfants sont très-nombreux en Irlande, M, Craig répond à ce sujet :
- Un des sept couples de gens mariés était composé d’époux avancés en âge et dont les enfants suffi saient à leurs propres besoins dans la société extérieure. Un autre ménage n’avait pas eu d’enfants.
- Loin de considérer les enfants comme un embarras, la Société accueillit avec empressement une veuve qui âmenait avec elle six enfants dont trois en bas âge, et elle prit à sa charge trois garçons orphelins de moins de 12 ans.
- II fat un temps où, par une inexplicable aberra* tion de l’esprit des sociétés, le travail considéré comme avilissant passait aux yeux des hommes pour une peine et un châtiment. Les religions elles-mêmes semblent avoir voulu sanctionner cette opinion, car nous voyons dans l’Inde les travailleurs râlé-
- p.259 - vue 260/836
-
-
-
- 260
- LE DEVOIR
- gués dans la dernière caste, et la Bible nous pré- j sente l’obligation du travail imposé à Adam comme une punition infligée par Dieu pour sa désobéissance.
- Faire ainsi du travail un acte avilissant, ou tout au moins inférieur, c’est blasphémer l’œuvre du Créateur, et méconnaître la mission de l’homme sur la terre. L’auteur de l’Univers, en effet, a voulu que l’homme fut le coopérateur direct de la nature dans l’œuvre de la vie sur la terre, et c’est pour cela qu’il lui a donné des besoins qui sont étroitement solidaires du travail. En réalité, le travail le plus infime, le plus abject en apparence est infiniment supérieur à l’oisiveté la plus honorée, et il élève l’homme qui s’y livre bien au-dessus de tout désœuvré inutile en ce monde. Une journée de travail bien remplie vaut mieux que toute une existence inactive.
- Le travail est donc la mission divine donnée à l’homme pour concourir à l’œuvre constante du développement de la vie, et il n’en est certainement pas de plus noble et de plus élevée. Coopérer à l’œuvre du Créateur, en la complétant par la transformation de la matière, la fécondation du soi, et la métamorphose des substances fournies par la nature suivant les besoins de la vie universelle, n’est-ce point créer dans une certaine mesure soi-même et achever, pour ainsi dire, l’œuvre de Dieu? Plus l’homme concourt par conséquent à féconder par son travail les éléments naturels, plus il acquiert de valeur et de mérite, et plus il se place haut sur l’échelle sociale.
- Il en résulte que, suivant l’expression de M. de la Codre, « tous les hommes, pour accomplir avec dignité leur destinée, doivent mettre en œuvre toutes les forces que leur a départies le Créateur, sans en négliger ou laisser atrophier aucune. » En cessant de considérer comme on l’a fait jusqu’à présent le travail comme un fardeau ou comme une punition, et en l’envisageant au contraire sous son véritable jour, c’est-à-dire comme une œuvre de dévouement et de collaboration au progrès, il acquerra pour tous l’attrait d’un devoir accompli, d’une victoire remportée au profit de la liberté, de la fraternité et de la justice sur la terre.
- A la lumière de cette vérité, l’absurde préjugé qui fait mesurer la valeur de l’homme à la quantité d’or ou à l’étendue de terre qu’il possède tombe de lui-même, et fait place à une appréciation plus juste et plus vraie qui consiste à attribuer à l’individu la somme de mérite que son utilité à l’œuvre de vie lui a acquise, et à considérer comme véritablement i grand l’homme utile. Plus l’homme produit, plus il I
- | est utile à la vie, et par conséquent plus il a de va-leur au sein de l’humanité. Telle est la vérité réelle incontestable.
- Prendre la richesse comme critérium de la dignité individuelle, c’est légitimer la spoliation, la conquête, le droit de la force ou de la ruse, qui sont le plus souvent la source, au sein des sociétés, de la fortune et de la propriété. C’est accorder la suprématie à la violence et à la tyrannie, c’est retomber dans la barbarie, et faire comme le3 sauvages qui se rangent instinctivement sous la domination du plus fort et du plus violent.
- « Autrefois, dit l'auteur de « Solutions sociales, » quand les hordes guerrières envahissaient,sans autre motif que celui de leurs convoitises, les tranquilles contrées où les peuples vivaient de leur travail au sein des douceurs de l’activité et de la paix, les guerriers s’installaient en maîtres au foyer du vaincu, ce dernier d’homme libre devenait esclave, et le vainqueur, enrichi par le brigandage et la spoliation, avait, de plus, tous les droits dont le possesseur naturel se trouvait dépouillé. *»
- L’histoire vante complaisamment la gloire de l’Espagne au seizième siècle,et les richesses dont elle fut comblée. Mais ces richesses, c’est aux infortunés et paisibles habitants du Pérou etdu Mexique qu’elles avaient été violemment arrachées, et loin que ces conquêtes puissent être un titre de gloire pour ce pays, elles doivent être au contraire à jamais un sujet de honte et de flétrissure. C’est dans le sang de millions d’hommes inoffensifs et travailleurs que ces trésors avaient été aamassés, et ce qui est un crime horrible dans toutes législations, l’assassinat et le vol, ne peut dans aucun cas être admis par l’impartialité équité pour une source de mérite et d’honneur. Or, dans la proportion du plus au moins, c’est à [de telles origines que, lorsqu’elles ne sont pas le produit accumulé du travail, les fortunes héréditaires si considérées doivent leur existence. Lorsqu’elles sont le fruit du travail, rien n’est plus honorable qu’elles, comme rien de plus injuste et de plus criant qu’elles lorsqu’elles sont le produit de la violence et de la spoliation.
- Cette manière de faire la loi, ajoute le même auteur, est aujourd’hui un anachronisme ; ceux qui prétendent qu’il suffit d’être propriétaire pour être plus important dans la Société que tout autre citoyen ne sont plus des hommes de leur temps »...•• Le droit basé sur la force, c’est le droit de la violence et de la révolte. »
- Aujourd’hui le véritable droit est celui qui s’appui uniquement sur la justice, et la valeur réelle de l’iû‘ dividu se mesure aux services qu’il rend à la société,
- p.260 - vue 261/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 261
- à l’étendue du concours qu’il apporte à l’œuvre de la yi0 universelle. Le plus grand producteur est celui qui a le plus de valeur réelle, et, riche ou pauvre, c»est à lui qu’appartient incontestablement la supériorité.
- Si dans une brochure mémorable, l’abbé Sieyès a pu dire, au moment de la révolution qui a inauguré les véritables droits de l’homme, que le tiers état qui jusqu’alors n’avait rien été devait être tout, à combien plus forte raison ne peut-on point le dire de la classe des travailleurs qui sont réellement l’élément le plus utile et le plus productif de la nation? C’est le travail, en effet, et le travail seul qui produit la richesse, et c’est à lui par conséquent qu’en revient le mérite et dans une large mesure la propriété. Le riche oisif et improductif est un parasite nuisible au corps social, comme la plante qui vit au dépens de l'arbre auquel elle s’attache, il consomme et ne produit rien, et son existence inutile sur la terre y peut être tolérée par respect pour la loi suprême de la vie, mais elle ne saurait lui donner aucun droit à la considération et à la supériorité sur les autres.
- Donc pour rentrer dans la vérité, ce n’est plus la richesse qui doit être tout et le travail rien, mais au contraire le travail sous toutes ses formes et sous tous ses états qui doit être tout. Le travail c’est la production, et par conséquent tous les éléments qui y concourent, à savoir : le travail accumulé sous la forme du capital et de l’outillage, la nature sous celle des matériaux à transformer et à élaborer, et enfin le travail proprement dit agissant et mettant en oeuvre les deux autres. Or comme dans cette collaboration féconde c’est le travailleur qui a le rôle actif et prépondérant,* c’est lui qui a la plus grande valeur réelle, la plus grande part à la peine et par conséquent le droit le plus positif à l’honneur. C’est donc à lui que reviennent légitimement et le premier ! rang au sein de la société, et la plus grande part dans le partage de la richesse qu’il crée. j
- A ce point de vue, l’amélioration du sort des ] classes laborieuses, mieux que cela leur réhabilita- ! tiûü pleine et entière est un devoir rigoureux et j strict pour les gouvernements, qui sont tenus de j baser leurs institutions sociales sur ces principes de ; la prépondérance du travail et de la supériorité du j travailleur sur l’oisif, dans toute société. Dans le Passé l’on a si bien méconnu ces principes que l’on | û en soupçonnait point l’existence, et que l’on n’avait loe l’esclavage à offrir au travailleur utile et indispensable, pour accorder la noblesse au conquérant futile et dangereux. Dans le présent, si la servitude 11 est plus son partage, il n’en est pas moins encore
- f condamné à la pauvreté la plupart du temps par un injuste usage, déplorable vestige des errements du passé. Le travail continue comme il l’a toujours fait à créer la richesse, et le travailleur est privé des avantages que la richesse procure; il produit tout ce qui contribue à rendre la vie agréable, et il ne peut jouir d’aucun agrément ; il crée le luxe et il est confiné dans la misère ; il consacre sa vie à soulager par tous les moyens les maux que provoque la lutte pour la vie, et tous les maux de l’existence l’accablent sans défense et sans merci.
- Cet état de choses est le règne de l’injustice et de la spoliation légale, et par conséquent il ne doit pas durer. Fruit naturel des régimes politiques du passé, il ne saurait se maintenir sous celui qui porte dans ses flancs les germes féconds de l’avenir, le régime de la démocratie, et c’est pour cela que nous disons que l’avenir des classes laborieuses doit être plus conforme aux prescriptions de l’équité et de la justice que leur passé et leur présent,
- La participation du travailleur aux bénéfices de la production, et par conséquent l’association du capital et du travail n’est pas seulement un moyen de pacification d’une lutte séculaire; c’est un droit jusqu’alors méconnu, mais aussi impérieux que légitime d’une part, et un devoir rigoureux négligé toujours, mais toujours persistant, d’autre part. Tant que ce droit restera foulé aux pieds, et tant que ce devoir ne sera pas rempli dans toute son étendue, les institutions sociales seront vicieuses, parce qu’eiles léseront injustement et sans raison des intérêts sacrés, en violant une des lois les plus équitables de l’humanité.
- Cette espèce d’anarchie sociale toujours existante doit cesser et cessera certainement dans un temps qui ne saurait désormais être bien éloigné. La réforme qui doit y mettre un terme est tellement urgente, que nous assistons depuis quelque temps au spectacle de nombreuses recherches, d’études multipliées faites en vue de la préparer. Le concours institué par M. Isaac Pereire, le dépôt de projets de loi dont le « Devoir » a déjà maintes fois entretenu ses lecteurs, les innombrables ouvrages publiés à ce sujet, sont des prodromes caractéristiques de ce travail latent et de l’avènement prochain de ce nouveau régime. Il semble que l’on voit aujourd'hui quelque chose d’analogue à ce qui se passait dans les esprits au siècle d’Auguste, alors que tout présageait la venue du Messie attendu de l’humanité, qui devait inaugurer l’ère nouvelle. Comme alors, les vieilles religions vermoulues s’écroulent, prêtes à disparaître, les anciennes institutions s’effondrent, et déjà l’on sent poindre aux extrêmes limites de l’horizon so-
- p.261 - vue 262/836
-
-
-
- 262
- LE DEVOIR
- cial, l’aurore d’un jour plus radieux et plus éclatant, le jour de la justice et de la liberté. C’est lui qui doit inaugurer l’èra de réhabilitation du travail, ère féconde durant laquelle aucune catégorie de citoyens ne pourra plus déposséder injustement l’autre, et où toutes choses étant équitablement remises à leur véritable place, on ne verra plus le désolant spectacle du dénùment absolu de celui qui crée la richesse, et de la spoliation du plus légitime de ses possesseurs. A chacun selon ses besoins deviendra la devise des institutions nouvelles, et c’est véritablement alors que sera mise en pratique la maxime : Ne faites point à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Coacours IPer-eiire. — Le concours ouvert, il y a deux ans, par M. Isaac Pereire, pour l’étude des questions sociales et surtout de celles qui ont pour but le soulagement du paupérisme, avait attiré un grand nombre de concurrents. Près de six cents mémoires ont été soumis au jury. Il a fallu un an pour examiner et classer toutes ces œuvres.
- M. Isaac Pereire instituait des prix d’une valeur totale de cent mille francs, pour l’encouragement des études sociales.
- Quatre questions étaient proposées aux concurrents :
- 1° Rechercher les meilleurs moyens d’arriver à l’extinction du paupérisme, « la charité, malgré les efforts les plus généreux, étant impuissante à le faire disparaître. »
- M. Pereire indiquait, comme moyens pratiques : l’instruction publique à tous les degrés, l’organisation du crédit au profit du travail, et l’organisation de la prévoyance au moyen d’une contribution de réserve imposée aux patrons.
- 2° L’instruction publique mise à la portée de tous jusqu’à l’enseignement supérieur inclusivement, et répartie de telle sorte qu’elle assure la sélection, le classement des individus, leur utilisation sociale, sans déperdition de forces et d’aptitudes.
- Instruction gratuite devenant moralement obligatoire.
- 3° L’organisation du crédit, de façon à commanditer les travailleurs de toutes classes ; les banques mutuelles; réduction progressive du taux de l’intérêt et transformation des rentes perpétuelles en rentes viagères,
- 4° La réforme des impôts, leur simplification *et la réduction graduelle des contributions indirectes. L’impôt unique sur le revenu net, soit au moment de sa formation, soit lorsque, par l’épargne, le revenu est passé a l’état de capital. Etudier les divers moyens de frapper le revenu et le capital.
- Enfin le travail du jury vient d’être terminé. Yoici la liste des lauréats :
- Question, du paupérisme
- Premier prix : M. Louis Baron, avocat, docteur en droit, villa Gecilia, près de Genève, 10,000 fr.
- Second prix : MM. Georges Vilain. 81, rue de Mau-beuge, Paris. — Léon Alvarès, chef de bureau à la caisse d’épargne de Paris. —Adolphe-Anthème Goste, 4, cité Gaillard, Paris. — Pierre G. Marnoz, 39, boulevard Haussmann.
- Mentions honorables ; MM. Matrat, officier d’Académie, 10, rue Saint-Dominique. — Ev. Hourier, ingénieur civil, 20, rue des Acacias (Paris-les-Ternes).
- i Question de l'instruction puilique
- I Premier prix : M. G. Hippeau, professeur honorait* | de faculté, 10,000 fr. e
- Second prix : MM. Albert Gau dieux, licencié en droit receveur d'o l’enregistrement et des domaines à Brainj (Aisne), — X...
- Mentions honorables : MM. J. Barbier, 6, rue de ]a Station, à Maisons-Laffitte (Seine-et-Oise). — Lucien Arréat, 41, rue Fontaine, Paris.
- Question du crédit
- Second prix : M. Léon Hiernaux, ingénieur, U, ru. Javel, Paris, 5,n00 fr.
- Mention honorable ; M. Emile Chevalet, 4, rue des 1 Dames, à Asnières (Seine).
- Question des impôts
- Second prix, 5,000 fr. : MM. Louis Chauveau, 31, me de Bellechasse, Paris. — E. Fournier de Flaix, Sèvres.
- Mentions honorables : MM. Georges Michel, 28, rue de Vau girard , Paris. — Auguste Charton, Clichy-i^ Garenne (Seine). — Ev. Hourier, ingénieur civil, 20, rue des Acacias, Paris-les-Ternes.
- Encouragements : MM. le docteur Suilîet, à Senlis.— E.-A. Struve, à Amsterdam. — Salcis, 75, rue du Cardinal-Lemoine. Paris, — Francesco Vigano, 10, Monte-Oïapcleone, Milan. —Albert Dethez, 12, boulevard Moût-martre, Paris. — Ferdinand Anceîin, à Bois-Colombes iSeineJ.
- FRANCE
- Les évêques français ont choisi leur terrain ; c’est par la ruse, non par la violence qu’ils attaqueront la loi qui rend à la fois gratuite, obligatoire et laïque l’instruction primaire. L’équivoque, la feinte» l’hypocrisie seront leurs armes. Quel est en bon français le sens précisée ces mots : instruction laïque? Ils veulent dire qu’il ne sera donné dans l’école aucune instruction religieuse, qu’on n’y récitera point le catéchisme, qu’on n’y fera aucune prière, qu’on n’y verra aucun emblème reli gieux. Le texte de la loi est d’ailleurs formel; elle énumère toutes les matières de l’enseignement et n’y comprend point la religion, elle interdit même l’entrée de l’école aux ministres du culte. L’exposé des motifs, la discussion de la loi ne laisse aucun doute. L’enseignement doit être laïque, c’est-à-dire étranger à tout dogme et à toute religion, tel que des enfants appartenant^ à tous les cultes ou n’en professant aucun, paissent également le recevoir tous ensemble sans aucune offense à leur conscience. Voilà qui est plus clair que le jour. Quel sera donc en face de celte clarté le devoir des maîtres etdes maîtresses congréganistes qui voudront continuer d'enseigner dans les écoles publiques? Obéir à la loi, répondrez-vous? cesser de faire apprendre le catéchisme, cesser de faire la prière, enlever les emblèmes religieux, et, s’il répugne à leur conscience de se conformer à la loi, donner leur démission et porter leur piété au secours des écoles libres dans lesquelles, dit l’article 2 de la loi, « l’enseignement religieux est facultatif », ce qui indique assez que dans les écoles publiques il ne l’est pas. Voilà ce que disent la raison, l’honnêteté vulgaire, la loyauté, mais voilà ce que défend l’archevêque de Paris, M. Gui-bert. Restez, dit-il aux maîtres et aux maîtresses congréganistes, restez dans les écoles publiques sous couleur d’appliquer la loi, en réalité pour la violer. Ne cessez point de faire la prière, continuez de faire réciter le catéchisme, n’enlevez point des murailles des emblèmes qui d’ailleurs décorent votre poitrine; c’est votre devoir de congréganistes. Vous soutiendrez, nous soutiendrons avec vous et pour vous que cette violation de la loi ea est l’application. En effet, la loi n’a textuellement proscrit, ni la prière, ni le catéchisme, ni l’histoire sainte, ri les crucifix, ni les bénitiers, ni le buis, ni les statues de la vierge, or, ce qui n’est pas défendu est permis. Ou
- p.262 - vue 263/836
-
-
-
- LE DEVOIE
- 263
- voit ia ruse : créer autant de difficultés qu’il y aura d’écoles congréganistes, susciter la lutte, semer les chicanes, émouvoir les consciences, et cependant, continuer d'émarger au budget; révoltés à Fécole, soumis chez le percepteur. Telle est la tactique. Ce qui est incroyable, c’est devoir des journaux, le Temps par exemple, louer les évêques de se ranger ainsi à l’application de la loi. Quel est le plus hypocrite, le journaliste ou l’évêque? Nous espérons que M. J. Ferry fera son devoir et qu'il ne se paiera point de telles bourdes.
- *•
- » *
- Les dernières nouvelles de Tunis reçues au ministère des affaires étrangères présentent la "situation comme satisfaisante au point de vue politique, et confirment les informations que nous avons déjà données à ce sujet.
- M. Cambon, ministre résident, considère comme aplanies les difficultés qui avaient empêché jusqu’à ce jour le réglement de ce que l’on est convenu d’appeler la question tunisienne.
- VIndépendant, de Constantine, annonce, dans son dernier numéro, que vingt-sept tirailleurs ou turcos, comme on les appelle vulgairement, ont quitté le poste de Tuggurt, emportant armes et bagages.
- [./insubordination. de Tuggurt a une cause cachée qu’il convient de rechercher. Pour nous, nous nhésitons pas à croire que nos soldais indigènes sont travaillés sourdement par les excitations d’émissaires venus de Tripo-litaine ou autres lieux ; le fanatisme religieux, qu’on retrouve toujours au cœur de tout musulman, quelle que soit sa position, quel que soit le costume dont 11 est revêtu, ce fanatisme a dû être attisé secrètement.
- C’est la seule excuse possible de l’acte inqualifiable des vingt-sept tirailleurs de Tuggurt.
- A la suite de l’incident de Tuggurt, l’autorité militaire a pris immédiatement les mesures de précaution que conseillait la prudence.
- Les officiers du poste de Négrine, qui se trouvaient en permission à Constantine, ont dû interrompre leur congé et regagner précipitamment leur poste.
- Nous pouvons être certains que rien ne sera négligé pour empêcher tout trouble dans le Sud. Les événements du Sud tunisien n’auront pas de contre-coup fâcheux dans notre province.
- ANGLETERRE
- Lord Salisbury et Sir Stafford Northcote se sont subitement convertis au radicalisme le plus avancé ; voici la thèse qu’ils ont soutenue dans un grand meeting à Liverpool. La loi agraire appliquée en Irlande est insuffisante, elle décompose le droit de propriété, et le partage en quelque sorte entre le landlovd et le tenancier, c’est une inconséquence; il faut trancher dans la vif, il faut laisser entier le droit de propriété et simplement exproprier le iandlord au profit du fermier. Tout propriétaire indemnisé, tout fermier propriétaire. Le bout de l’oreille passe Qui fixera le taux de l’indemnité due au Landlord ? Sans doute le Parlement. Et de quelles gens sont composées les deux Chambres ? En grande Majorité de propriétaires. Donc l’indemnité sera largement évaluée. Mais finalement qui paiera ? Le peuple anglais. Bonne opération pour les Landlords, mauvaise pour la nation. Autre chose : quand les fermiers actuels seront devenus propriétaires, quel sera le sort des journaliers, des ouvriers, des laboureurs proprement dits ? La misère sera déplacée, point guérie. Qu’on laisse donc ^Irlande faire ses affaires elle-même. Borne mie.
- ¥ ¥
- X-c^ss Xîtiild.irag' and Laad sooieties. — Il
- existe en Angleterre, en Amérique et même en Chine, des sociétés qui ont pour objet d’amener chaque famille a posséder son habitation à l’aide d’une contribution mensuelle. Ces sociétés s’appellent en anglais Building and Land societies. Il résulte d’un rapport de M. Ludlow, General Registrar des associations de secours mutuels,
- coopératives et autres, que leur nombre, en Angleterre proprement dite et Galles était, au 3! décembre 1880, de 1,267 ; que celui de leurs membres s’élevait à 372,035, et que leurs recettes, en 1881, ont été de 18,694,555 livres sterling (467,363,875 fr.). Les sociétés n’ont pas toutes fait connaître leur situation complète ; 1,111 seulement se sont conformées à cette prescription. L’avoir des actionnaires de celles-ci s’élevait à 21,813,095 livres sterling (545,327,375 fr.) celui des déposants à 14,079,762 livres sterling (351,994,050 fr.) ; enfin les bénéfices restant en comptes courants montaient à 1,104,735 livres sterling (27,618,375 fr.). Ces fonds étaient placés de la manière suivante : 34,847,220 livres sterling (871,180,500 fr ) en prêts hypothécaires sur les maisons des associés ; 2,103,063' livres sterling (52,576,575 fr.) en titres ou dépôts dans des banques. Eu fin une somme de 47,209 liv. st. (1,180,225 fr.) a été perdue par 167 sociétés.
- {Remie du mouvement social.)
- ITALIE
- Depuis les Jacques on n’avait point vu le paysan, le cultivateur se’mettre en grève. L’Italie donne ce triste spectacle. Les paysans du Mantouan, cette belle province chantée par Virgile, réduits par ia misère, épuisés par l’excès du travail, exténués par la mauvaise qualité et par l’insuffisance de la nourriture, achetant le sel 50 cent, la livre, payés de 12, de 14 heures de travail par un salaire de 1 fr., de 70c., de 60 c., rongés par la pellagre, minés par la fièvre, n’ayant pas même le courage ni la ressource de l’exil, ont succombé sous le fardeau et fâché le travail qui ne les nourrit point. Qu’a fait pour eux le gouvernement? On les a arrêtés, emprisonnés; on lès juge. Les débats sont navrants. L’innocence et la misère de ces pauvres gens éclatent à la fois. Les témoins sont unanimes, ia grève n’était ni préméditée, ni préparée, ni concertée, elle est née de l’excès de là misère. Point de révolte, point de désordres. Les misérables ne se sont point dispersés parce qu’ils n’ont point compris la signification des trempettes qui ont fait les trois sommations. Gomme on les a arrêtés on eut pu les tuer, ils ne se défendaient point. Hélas ! ce n’est point la prison, ni « l’amnonition. », ni le « domicile forcé » qui pourront remédier. C’est du pain, c’est du travail qu’ils demandent et qu’il faut créer à tout prix. Est-ce donc si difficile sur cette féconde terre d’Italie?
- Magna, parens frugmi justissima tellus l
- Une statistique récemment publiée dans la Gazzetta nffïziale du royaume nous donne les chiffres officiels des paysans qui au 30 juin dernier se trouvaient atteints de la Pellagre : Vénétie : 55,893, Lombardie : 36,627 ; Emilie : 7,894, Piémont : 1,293: Marche : 1,248 ; autres provinces : 1,010. Total : 103,905, savoir presque 7,000de plus que l’année précédente. La Sicile, le Napolitain et la Sardaigne ne figurent point sur ce noir tableau. En revanche, on constate avec effroi que ia maladie progresse dans Fltalie centrale où elle était inconnue avant le régime financier Selta-Minghetti-Bastogi. La pellagre est, on le sait, la maladie de la misère par excellence, comme qui dirait ie delirium tremens, la folié de la faim qui pousse fatalement au suicide les malheureux qui en sont atteints. On guérit les pellagreux par un traitement hygiénique fortifiant : de la viande, du bouillon et du bon vin; mais, s’ils souffrent de nouveau de privations, iis retomb ant et meurent dans des souffrances nouvelles. Ainsi, de l’aveu même du gouvernement. 100,000 laboureurs sont chaque année inexorablement fauchés par manque de nourriture, tandis que l’argent des contribuables sert à acheter des fusils et à payer des flatteurs et des fainéants. Ajoutez à ce chiffre celui des 150,000 à 180,000 autres laboureurs qui, fuyant la faim .vont chaque année au-delà de l’Océan à la recherche d’un travail mieux rétribué, mais où la plupart, au lieu de la fortune rêvée, ne trouvent que î’abandou et la mort. Voilà les conséquences du régime économique inauguré et suivi par les amis intéressés de là royauté ;
- p.263 - vue 264/836
-
-
-
- 264
- LE DEVOIR
- ce régime consiste à sucer le sang des ouvriers pour nourrir tout un monde de parasites et d’intrigants ; aussi sommes-nous convaincus que rien de durable ne peut se fonder en Italie sans une révolution économique qui ne peut être l’œuvre d’un gouvernement monarchique.
- A deux pas de la Lombardie qui compte 30,000 pellagreux, nous voyons le canton du Tessin qui pourtant consomme énormément de poulainte, mais dont le régime agraire n’est pas l’exploitation du paysan, ignorer la pellagre.
- Une autre conséquence plus redoutable encore de ce régime de l’exploitation des laboureurs est l’esprit de révolte qui s’empare des paysans : une colère sourde règne parmi eux, éclate soudain çà et là et se traduit par des actes de violence contre les agents de l’autorité déjà baptisés du nom « d’argousins des affameurs... » Dans le Napolitain, les émeutes de paysans sont partout à l’ordre du jour; on se révolte à tout propos par haine de ce qui touche de près au gendarme, au per-cepteur, à l’agent de police, à l’autorité enfin! Dans l’Emilie, en Romagne surtout, on en veut à tous ceux qui représentent ce régime de fausse liberté. Partout où. le peuple se rassemble, il suffit que des gendarmes se présentent pour entendre gronder l’orage, souvent en leur tombe dessus et on les assomme comme tout récemment dans un meeting populaire, à Filetto, près de Ravenne. On a trop abusé de la patience du chameau populaire. Dans la Lombardie, jadis si paisible et si disciplinée, l’esprit de révolte commence à pénétrer dans les masses. Déjà les paysans ont formé la Société du pain et du travait, qui certainement n’est point l’adversaire de la grève agraire qui vient d’éclater dans le Man-touan et le'Véronais. Le 28 mars dernier, les laboureurs ont déposé leur pelle et déclaré qu’ils ne voulaient plus travailler au prix dérisoire de 80 centimes et d’un franc par journée de 16 heures. Le mouvement s’est rapidement étendu des deux rives du Pô et du Mincio : des bandes parcourent les villages criant le mot qui deviendra le cri de guerre des laboureurs : Pane e lavoro — du pain et du travail. Ces bandes ne sont à grand peine dispersées par les troupes royales que pour se reformer plus loin et se faire disperser de nouveau.
- Comme d’habitude, le gouvernement a fait faire des arrestations en masse et en a pris occasion pour emprisonner des républicains et des socialistes inoffensifs mais mal notés dans le livre noir. C’est tout ce qu’il sait faire : les menottes, le cachot, le gendarme devenu législateur, économiste et juge. Quoi que l’on fasse on n’ira pas loin avec un système emprunté aux régimes déchus, et nous attendons plein de confiance l’heure de la république. A. U.
- ALLEMAGNE
- A la fin, le Conseil fédéral de l’empire a cédé sous les rudes manipulations de Bismarck, il accepte le monopole du tabac. C’est la Bavière qui a lâché pied. Mais que fera le Reichstag qui doit rentrer le 27 ? tout indique qu’il rejettera le projet ; Bismarck aura-t-il recours à la dissolution ? C’est à ce défilé que l’attendent les démocrates et les socialistes. La crise allemande approche. Liebknecht a été condamné à deux mois de prison pour avoir dit du chancelier beaucoup ne grosses vérités. Cette condamnation aura détendu pour quelques heures les nerfs du grand homme.
- Le Gremboten, revue hebdomadaire que l’on croit inspirée, sinon directement par le prince de Bismarck, du moins par son entourage immédiat, vient de publier un article étudié sur l’éventualité d’une guerre entre les deux grands empires du Nord, c’est-à-dire de la guerre entre le Slave et le Teuton, annoncée comme inévitable par le général Skobelef.
- Cet article, qui a fait sensation, arrive à cette conclusion que, malgré le licenciement de 37,000 hommes
- opéré en Russie, et le remplacement du prince Gorteha-kof par M. de Giers, les dangers d’une collision entre les deux empires subsistent toujours.
- AUTRICHE
- C’est la quinzième fois pour ne pas dire la vingtième que le gouvernement autrichien annonce que l’insurrection esi étouffée, « entièrement étouffée » en Herzégovine et en Bosnie, et cependant la Délégation autrichienne vient de voter 23 millions de florins pour fournir aux dépenses qui vont se faire d’ici au mois d’octobre, et le prince du Monténégro négocie avec les chefs de l’insurrection qui posent des conditions
- * ¥
- 3L-e TGüîJïi de l’Inquisition. —• Les journaux ont publié la curieuse correspondance du père Monsa-bré et de l’ex père Hyacinthe dont il résulte qu’après avoir loué l’Inquisition dans la chaire de Notre-Dame, M. Mousabré a reculé devant la controverse à laquelle le conviait M. Loyson.
- Ce refus est regrettable.
- Voici le bilan de l’Inquisition fpour l’Espagne seulement), que M. Hyacinthe Loyson aurait pu dresser au cours de sa polémique.
- La très sainte Inquisition, constituée en 1483 par une bulle de Sixte IV, confirmée par Innocent VIII (quel innocent!) était dirigée par un conseil suprême dont le pouvoir était supérieur à celui du roi lui-même.
- L’Inquisition expulsa d’Espagne quatre millions et demi d’habitants parmi les plus riches et Les plus industrieux.
- Llorente évalue à 34,668 le nombre des individus brûlés vifs de 1481 à 1808 ; — celui des brûlés en effigie à 18,049. Ces derniers étaient morts dans les prisons du Saint-Office, avant l’autodafé, par suite des supplices qui leur avaient été infligés.
- Le nombre des condamnés aux galères où à la prison fut de 288,214.
- Au total, près de 360,000 victimes furent frappées par l'Inquisition sans parler des bannis. Troquemada lui seul avait fait brûler vifs 10,220 hérétiques!
- Il n’eût pas été sans agrément devoir le sympathique Monsabré justifier, en 1882, ces crimes abominables.
- * *
- Un voyage aérien, an pôle nord. — Depuis L’invention des ballons, on n’a pas imaginé un voyage plus audacieux que celui que se propose de tenter le commandant anglais Cheeyne : Nous avons parlé déjà de son projet. — Mais voici quelques détails sur l’exécution qu’il prépare :
- La perte de la Jeannette a été pour le commandant la confirmation de son idée.
- Puisqu’on ne peut arriver au pôle nord avec un navire, il faut y aller en ballon.
- Le commandant Cheeyne s’est déjà associé avec des Américains, et il vient d’arriver au Canada pour y poursuivre la réalisation de son projet, dont voici les principaux points :
- Il sq servirait de trois ballons conjugés, lesquels coûteraient environ 20,000 bollards. On les transporterait, avec tout le matériel, de New-York à Saint-Patrick’s-Bay, où le capitaine Nares a trouvé un immense gisement de charbon à la surface du sol.
- Là, dit le commandant Cheeyne, nous construirons une maison sur le charbon. Nous installerons des appareils et fabriquerons du gaz hydrogène pour les ballons. Cet endroit est à 6 milles du point où le navire du capitaine Nares. le Discovery, a ’üivernê en 1876-1876, et à 496 milles du pôle. Quand nous aurons le vent favorable, il nous faudra de dix-huit à vingt-quatre heures pour atteindre le pôle.
- Chaque ballon emportera un traîneau, un canot et des vivres pour cinquante et un jours, et lâchera du fil télé-
- p.264 - vue 265/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 265
- graphique à mesure qu’il s’éloignera, pour se tenir en communication avec la station principale. Enfin, les aérostats seront chargés de manière à ne pas trop s’élever dans l’air.
- L’expédition sera composée de dix-sept hommes qui au Groenland seront rejoints par trois Esquimaux familiarisés avec la plus grande partie de la contrée à explorer et chargés du rôle de guides. Le gouvernement danois a déjà envoyé l’ordre aux autorités du Groenland de prêter toute l’assistance possible à cette expédition polaire d’un genre tout nouveau.
- Ce serait pendant le mois de juin que s’effectuerait ce hardi voyage.
- On voit que toutes les précautions seront prises, et que, au moins sur le papier, l’ordre et la marche sont parfaitement indiqués.
- Reste le grand hasard avec lequel il faut compter. En tout cas, bon vent au commandant !
- RUSSIE
- On télégraphie de Saint-Pétersbourg :
- Grâce aux recherches actives que l’on a faites, on est parvenu à établir l'identité des assassins du général Strelnikof.
- Celui qui a tiré sur le général est le fils du conseiller du collège Nicolas Schéléakof. Il a été, jusqu’en 1881, étudiant libre à l’Université de St-Pétersbourg.
- Son complice est le paysan Etienne Khaltourine, qui était recherché par la police depuis l’explosion qui a eu lieu en 1880 au palais d’Hiver.
- D’après les renseignements fournis par des personnes qui connaissent Khaltourine, cet individu a pu, grâce à un passeport, habiter pendant ces deux années à Odessa et à Moscou sans être reconnu. Il s’occupait de répandre des doctrines pernicieuses dans les cercles ouvriers.
- ♦ ♦
- Une découverte importante vient d’être faite à Varsovie : il y a sept ou huit ans on construisait à une demi portée de canon de la citadelle une usine pour la préparation des cuirs.
- Or on a découvert que cette usine n’était qu’une forteresse construite avec talus, mâchicoulis, etc., de plus, cette forteresse improvisée était disposée de façon à pouvoir recevoir une garnison importante et à dominer de son feu la citadelle russe.
- Malin, M. de Bismarck !
- Les czars coûtent cher à leur peuple.
- Le couronnement d’Alexandre III reviendra, dit-on, à dix millions de roubles, quelque chose comme trente millions de francs.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE V
- En matière d’enseignement, il est une autre considération ayant une certaine importance au point de vue pratique et à celui de l’économie qui milite en faveur des écoles mixtes. Pour faire œuvre utile, il faut que l’enseignement soit constamment maintenu à la portée de l’intelligence de l’élève, et comme il est évident que l’intelligence d’un enfant de huit ans, par exemple, est moins développée, toutes choses égales d’ailleurs, que celle d’un enfant de
- I quinze ans, la division des classes par âges s’impose nécessairement. Il est donc utile de pouvoir établir et maintenir ces divisions dans l’intérêt de la bonne organisation, et c’est chose incontestablement plus difficile avec des écoles séparées qu’avec des écoles mixtes. D'ailleurs, pour procéder de la sorte avec les écoles spéciales, il faudrait doubler le nombre des professeurs, puisque l’on aurait pour chaque âge deux divisions au lieu d’une, et grêver par conséquent d’une façon trop onéreuse le plus souvent le budget d’instruction des communes. Pour les congréganistes qui au moyen d’une lettre d’obédience, et peu soucieux d’ailleurs des progrès de l’éducation chez leurs élèves, pouvaient improviser du jour au lendemain un instituteur, cela n’avait peut-être pas d’inconvénient, mais pour une Société qui exige des garanties beaucoup plus sérieuses de ses maîtres d’école cela présenterait, outre un surcroit de dépense inutile, de graves difficultés pour le recrutement du personnel enseignant.
- Donc à tous les points de vue le système des écoles mixtes offre plus d'avantage que celui des écoles séparées. Au Familistère le système des écoles mixtes se montre dans toute son impérieuse raison d’être. Ne serait-il pas absurde de séparer dans les classes des enfants qui vivent constamment ensemble dans l’habitation unitaire, et n’est-il pas au contraire évident que filles et garçons du même âge, placés dans la même salle sous l’œil du maître, seront forcément portés à avoir une meilleure tenue, un sentiment instinctif plus puissant de respect les uns à l’égard des autres, qu’avec le système contraire, sous l’influence de la bonne direction des maîtres et maîtresses ? L’habitude de se voir constamment, de travailler ensemble, d’être traités de la même façon impartiale et juste, de partager les mêmes récompenses, les mêmes encouragements, les mêmes punitions constitue un des plus efficaces éléments de moralisation que l’on puisse mettre’en œuvre, et qui fait totalement défaut dans le système d’éducation qui consiste dans la séparation des sexes.
- Persuadés que rien n’est indifférent pour le but à atteindre dans tout ce qui a rapport à la construction des locaux scolaires, à leur mode d’éclairage, à leur création, au matériel et au mobilier, aux méthodes à suivre etc., les organisateurs de ces écoles se sont évertués à tenir compte de tous les progrès réalisés dans ce sens par les nations les plus avancées sous C6 rapport, telles que les Etats-Unis d’Amérique, la Suisse, quelques contrées favorisées du Nord, etc.
- p.265 - vue 266/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 266,
- Les salles des écoles du Familistère réunissent | toutes les conditions d’air, de lumière et d’espace ; nécessaires pour le bon fonctionnement de l’œuvre. Construit sur une vaste place et entouré de jardins de trois côtés, l’édifice scolaire divisé en deux parties, qui elles-mêmes se subdivisent en cinq salles d’un côté et quatre de l’autre, est admirablement placé sous le rapport de l’aération. Les salles sont groupées de façon à avoir toutes leu'r entrée sur un large corridor où l’air circule abondamment, et où le chef d’institution chargé de la direction générale peut voir facilement dans toutes les classes et exercer une surveillance efficace et constante.
- Brisant une bonne fois avec tous les errements de la routine, l’éclairage est fourni dans ces écoles au moyen de dispositions toutes nouvelles, qui remédient d’une façon complète à tous les inconvénients si souvent constatés partout dans les établissements d’éducation et qui seront, nous l’espérons, un exem pie précieux, utile à consulter pour tous les hommes pratiques soucieux des progrès de l’instruction dans notre pays.
- Seize tables-pupitres avec bancs à dossier commode, chaque table servant â deux élèves ayant chacun son pupitre, sont placées dans chaque salle et l’espace entre chaque rang est plus que suffisant pour que chacun puisse aller venir sans déranger personne, circuler autour des rangées d’élèves, tout voir et se rendre compte de tout. Le maître peut même passer aisément d’une salle à l’autre pour exercer au besoin la surveillance générale de tout le personnel.
- L’installation, en un mot, est aussi commode que possible, et pénétré de l’idée que la fatigue et la souffrance ou même la gêne, quelle qu’en soit la cause, distraient invinciblement l’attention et paralysent dans une certaine mesure les fonctions du cerveau, l’on n’a rien négligé pour que l’élève dégagé de toute préoccupation étrangère puisse concentrer toute son attention sur les leçons qu’il reçoit. Les bancs J et les tables sont de la hauteur et de la largeur voulues pour sa taille, de façon à ce que son corps soit à l’aise et que ses membres conservent toute leur liberté d’action. Le chauffage en hiver y est l’objet d’une attention toute particulière, et se fait à l’aide d’appareils établis par l’association d’après des modèles qui lui sont propres, et qui ne laisse absolument rien à désirer.
- Une salle particulière est affectée à l’étude du dessin.
- En un mot, nous pouvons résumer la description du matériel et du mobilier scolaire du Familistère !
- en répétant ce qu’en disait en 1878 le rédacteur du « Devoir », notre prédécesseur, que ce mobilier est peut être le plus parfait qui existe, puisqu’il réunit toutes les conditions que l’on a admirées dans les divers modèles qui figuraient à la, dernière exposition universelle.
- La plupart des vœux que formulait à cette même époque le Congrès l’enseignement se trouvent satisfaits dans l’organisation actuelle des écoles du Familistère. Nous signalerons en particulier à votre attention, ami lecteur, les suivants, qui y trouvent une application complète.
- « I/égal développement de toutes les facultés de l’enfant étant le but réel de l’éducation, l’enseignement qui ne s’applique qu’à une communication de connaissances doit être remplacé par un régime qui favorise le développement harmonique de l’être humain tout entier, et qui rende toutes les études également accessibles aux é èves des deux sexes.
- « En ce qui concerne la discipline, le Congrès s’éclairant de l’observation de la nature humaine, des travaux des penseurs et de la pratique suivie dans certaines écoles nouvelles, émet le vœu que l’ancien système fondé sur la contrainte soit remplacé par un régime qui respecte la liberté de l’enfant, et qui rende le travail attrayant et fécond, en faisant appel au sentiment de justice de l’élève lui-même.
- « Considérant que l’expérience a prouvé dans beaucoup d’écoles établies à l’étranger, dans les écoles des Etats-Unis en particulier, qu'il y a de grands avantages à réunir dans les mêmes classes des garçons et des filles, et que cette réunion d’enfants des deux sexes ne présente nulle part dans la pratique, les inconvénients qu’on avait appréhendés; qu’elle est au contraire un puissant stimulant pour le progrès des études et de la moralisation, le Congrès émet le vœu que toutes les écoles soient ouvertes aux élèves des deux sexes et que ceux-ci puissent en suivre simultanément les cours.
- « Le Congrès demande que renseignement soit intégral, c’est-à dire comprenne l’ensemble des connaissances humaines, au lieu d’être borné à des programmes réduits d’une façon arbitraire et dans des vues intéressées. Reconnaissant les inconvénients de la méthode didactique qui consiste à exposer aux élèves les principes et les lois générales auxquels se rattachent les faits particuliers, il est d’avis qu’on lui substitue la méthode qui doit être appliquée à l’étude des sciences savoir l’observation des faits et l’expérimentation, pour arriver à la constatation des lois et des principes.
- « Cette méthode aura l’avantage de mettre en jeu l'initiative des élèves habitués ainsi à observer, à
- p.266 - vue 267/836
-
-
-
- LE DEVOIE
- 267
- comparer, à généraliser, à exercer enfin toutes leurs facultés.
- « Le Congrès considère que l’ordre moral des premières études comporte d’abord : Le chant, base de la phonétique, conduisant à l’étude des langues; le dessin, expression de la forme ; les langues qui doivent être étudiées simultanément dès l’abord, par la recherche et le classement des termes simples et usuels dans lesquels subsistent le plus clairement les racines réelles des langues Indo-Européennes.
- « L’écriture et la lecture qui doivent être simultanées; la calligraphie dérivée du dessin qui doit être enseignée par l'analyse des formes élémentaires, et la lecture basée sur la physiologie du langage et sur une classification conforme aux lois de la production de la parole. La musique dont l'enseignement doit être basé sur l’acoustique et la physiologie, les mathématiques, géométrie, arithmétique et algèbre; la comptabilité, la géographie, la morale et l’histoire.
- « Le Congrès repousse les exercices spéciaux ou artificiels de la mémoire, mais il reconnaît qu'il y a dans certains tracés graphiques de coordonnées un secours utile pour l’association des idées.
- « Le congrès enfin considérant qu’il est du plus grand intérêt que les enfants acquièrent, dès l’école élémentaire, des notions exactes de leur histoire nationale et de l’histoire générale, recommande aux instituteurs et institutrices de substituer la description des différents états sociaux à la narration des faits et gestes des chefs des peuples, en remontant d’abord du présent au passé pour revenir ensuite du passé au présent.
- « Il estime que des cartes, des tableaux ethnographiques et chronologiques et des petits musées d’histoire naturelle leur apporteraient sous ce rapport, un précieux concours, et devraient être mis, le plutôt possible à leur disposition. »
- Nous ne pouvions mieux faire que de citer ces résolutions du Congrès de l’enseignement pour bien indiquer les idées principales sur lesquelles a été fondée l’organisation de l’enseignement au Palais social de Guise. A l’enseignement imaginé par les Jésuites basé tout entier uniquement sur la mémoire, et dans lequel la science est couchée sur le lit de Procuste d’un catéchisme, on a substitué un enseignement qui donne la liberté à l’esprit, qui fournit un aliment constant et substantiel à la curiosité de l’enfant, et qui, loin de contrarier ses penchants naturels, sait en tirer parti pour le conduire aisément par des sentiers agréables vers la science. La gymnastique intellectuelle à laquelle on soumet les élèves des écoles du Familistère, en donnant une trempe plus fine à leur esprit et en les habituant à
- raisonner, à observer et à conclure, améliore pour ainsi dire la qualité de leur intelligence, et aura sur eux une influence salutaire dont ils se ressentiront toute leur vie, tandis que les enseignements confiés à la seule mémoire se dissipent bien vite, si l’on cesse un moment de les entretenir et de les renouveler.
- C’est pour faciliter ces résultats que l’on y a adopté la division des classes suivant l’âge des élèves. Tous ou à peu près tous ayant reçu à la nourricerie et au bambinat, les notions préparatoires analogues, entrent dès l’âge de six ans dans la troisième classe composée de s enfants de six à huit ans ; ceux de huit à dix ans passent dans la deuxième classe, et la première les reçoit de dix à douze; enfin de douze à quatorze ils font partie des cours supérieurs. Cette division est logique, raisonnable et de nature à donner les meilleurs résultats possibles. Elle permet de ne pas former de classes plus nombreuses que de vingt-cinq à trente élèves au plus, condition essentielle de succès, car il est bien reconnu aujourd’hui qu’un nombre trop considérable d’enfants dans une même classe est un obstacle sérieux au progrès de l’enseignement et nuit à l’avancement des élèves.
- Ainsi toutes les conditions exigées pour une bonne éducation de l’enfance ont été remplies le mieux possible dans le système scolaire du Familistère. Nous croyons qu’il serait difficile de rencontrer une meilleure installation, un mobilier répondant mieux aux besoins et une organisation mieux appropriée au but que l’on poursuit. Aussi ne craignons nous pas d’affirmer que si i’usine et l’habitation sociale sont chacune de leur côté un modèle excellent à imiter pour tous les industriels, les écoles du Familistère ne leur cèdent en rien sous ce rapport, et offrent un exemple utile à suivre pour l’installation de leurs établissements scolaires à toutes les communes.
- [A suivre).
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE & RELIGIEUSE
- X_iO. séparation, des Eglises Sz, de l’Etat
- Vous souvient-il, lecteurs, du récit que je vous fis l’an passé d’une discussion que j’eus avec un prêtre de mes amis au sujet de l’article XVI du Syllabus ? Vous connaissez tous cet article monstrueux, par lequel quelques milliers de sectaires, animés d’un fanatisme sauvage et impie, condamnent au feu éter-
- p.267 - vue 268/836
-
-
-
- 268
- LE DEVOIR
- nel le reste du genre humain qui ne pense pas comme eux.
- Il y a de cela quinze jours, j’allais de Blois à Paris, 'et comme je le fais d’habitude chaque année, je fis une halte à la paroisse que desservait l’abbé X.
- Au lieu du vieil ami que je croyais rencontrer au presbytère, quel ne fut pas mon étonnement de me heurter avec un jeune abbé, qui était, disait-il, le nouveau curé du pays.
- Ma première question fut de demander ce qu’était devenu l’abbé X.
- — M. le curé est parti depuis bientôt un an, me répondit le nouveau desservant. Si vous le connaissiez particulièrement, vous devez savoir qu’il a quitté le sacerdoce.
- Avoir quitté sa cure, avoir renoncé au sacerdoce et ne pas m’avoir prévenu, mon étonnement était à son comble.
- — Hélas, oui, je ne sais qui a perverti l’àme si droite de ce pauvre M. X., mais le fait est qu’il a quitté d’une façon scandaleuse le saint ministère qu’il exerçait depuis bientôt vingt-cinq ans.
- — Est-il parti regretté de ses paroissiens ? hasar-dai-je à l’abbé.
- — Regretté de tous, monsieur ; je le plains sincèrement d’avoir souillé sa conscience d’une action aussi sacrilège, et je prie Dieu de le ramener à de meilleurs sentiments.
- Le ton compassé de l’abbé me portait sur les nerfs.
- — Je vous en conjure, monsieur, ne perdez point votre temps à prier pour mon ami ; je le connaissais assez pour savoir que s’il a jeté le froc aux orties, c’est l’ardent désir de se mettre en paix avec sa conscience qui lui a dicté cette grave résolution.
- L’abbé était attéré, et allait me demander l’explication de mes paroles ; mais je n’étais point d’humeur à entamer une discussion théologique ce jour-là ; je lui demandai donc vivement s’il connaissait l’adresse de celui que je cherchais.
- — On dit qu’il a fui vers la capitale.
- Ne pouvant espérer de renseignements plus précis, je pris congé du nouveau desservant avec précipitation, et me hâtai de me rendre à la gare la plus voisine.
- Je battais le pavé de Paris depuis trois jours, me demandant si le hasard me permettrait de mettre la main sur mon curé travesti, lorsque, passant sur le boulevard des Capucines, j’eus l'heureuse inspiration d’entrer dans la salle des conférence. Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir là mon ami, élégamment vêtu, portant l'habit bourgeois avec une désin-
- j voiture superbe, se prélassant dans un fauteuil en f attendant l’arrivée du conférencier.
- jj
- | — Comment, c’est vous, l’abbé? lui criai-je en l’a-
- j bordant.
- Pour toute réponse, son poing s’abattit vigoureu-| sement sur mon chapeau, pour me rappeler qu’il ne f ressemblait en rien à un curé, et qu’il ne tenait pas du tout à ce que je lui rappelle en public ce passage i de son histoire. Il me prit donc le bras avec vivacité, | et m’entraîna dehors, à la stupéfaction des assistants, dont nous entendions les rires moqueurs en opérant notre retraite précipitée.
- Une heure après, nous étions installés dans un bel appartement, vaste et élégamment meublé, situé tout près du Luxembourg.
- L’heure des confidences et des questions pressantes avait sonné, et bon gré mal gré, j’allais avoir le mot de cette énigme qu’on était venu ensevelir si discrètement dans le tourbillon de la vie parisienne.
- — Avant d'être prêtre, me dit mon ami, on m’appelait Charles, vous me serez infiniment agréable en désapprenant le nom d’abbé par lequel vous m’avez encore interpellé tout à l’heure.
- Cette entrée en matière me rappela mon chapeau, sérieusement endommagé par la lourde main de l’abbé.
- — Volontiers, lui dis-je, je m’en souviendrai; ainsi, Charles, vous avez quitté votre délicieuse retraite de C... sans daigner m’avertir de votre résolution, ni me faire connaître votre nouvelle demeure.
- — Je l’aurais fait tôt ou tard, mais je voulais choisir le moment opportun.
- — Je ne vous comprends pas.
- — Je ne cherche point à me dissimuler l’empire que vous avez depuis longtemps su exercer sur moi ; c’est vous, par vos raisonnements, qui m’avez convaincu de l’erreur des dogmes catholiques et qui m’avez fait prendre ma vocation en horreur ; par vos pressantes raisons vous m’avez conduit à abdiquer ; vous m’avez dévoilé l'erreur, merci, je vous en garderai une éternelle reconnaissance ; mais je redoutais votre apostolat lorsqu’il s’agissait de me frayer une nouvelle voie et de combler le vide que mon apostasie avait creusé dans mon âme ; j’ai cru remarquer que vos idées en matière religieuse étaient celles d’une école, d’une secte, moi, je voulais reformer mon entendement sur cette matière sans obéir à aucune pression, dans la plénitude de ma liberté et de mon indépendance ; je ne voulais croire qu’à ce qui est, et chercher le vrai avec zèle et persévérance ; telles sont, cher ami, les raisons qui m’ont déterminé à éviter de vous rencontrer dans les premiers temps de ma retraite.
- p.268 - vue 269/836
-
-
-
- LË DEVOIR
- 269
- Quoique trouvant votre précaution quelque peu exagérée, je vous donne mon approbation. Et à quoi occupez-vous vos loisirs ?
- — A l'étude ; je suis un habitué des bibliothèques et suis assidûment les conférences et toutes les réunions où l’on peut trouver à s’instruire; je lis et j’écris beaucoup.
- — Dites-moi deux mots de votre départ de C...
- — Le lendemain du jour où vous étiez chez moi, les idées bouleversées par le souvenir de nos discussions, où vous m’avez démontré péremptoirement ce que je pensais déjà, mais ce que je n’osais m’avouer, c’est-à-dire que j’étais le serviteur du mensonge; le lendemain de ce jour, dis-je, je me rendis à l'église pour dire ma messe. Les- idées les plus bizarres me traversaient l’esprit. Des voix intérieures me raillaient avec une persistance insupportable .
- Imbécile, disait l’une, puisque tu ne crois plus, ne vois-tu pas que tu joues là un rôle ridicule. La Messe, tu sais bien que c’est une comédie, la présence de Dieu sur l’autel, tu sais bien que c’est une absurdité. Les prières que tu vas murmurer, tu n’ignores pas qu’elles ne servent de rien, et que le mort pour lequel tu vas prier, tu ne peux rien pour lui.
- Est-ce que tu croirais encore, continuait une seconde voix. As-tu oublié le Syllabus ? Si le Syllabus est vrai, Dieu n’est pas juste, s'il n’est pas vrai, l’Eglise n’est plus infaillible. Veux-tu rester encore longtemps le serviteur de l’erreur, l’apôtre du mensonge ?
- Fuis, me disait une troisième voix et obéis à la voix de ta conscience. Le seul moyen d’être agréable à Dieu, c’est de fustiger l’erreur et de chercher l’immortelle vérité.
- Accablé par la persistance de ces reproches intérieurs, je pris subitement la détermination que me commandait ma conscience. Je déchirai le surplis que je venais de revêtir, je m’agenouillai quelques minutes sur les dalles du temple, demandant à Dieu la force nécessaire pour mettre mon projet à exécution, je rentrai précipitamment au presbytère pour y prendre mes valeurs, et le lendemain, vêtu d’effets civils, j’étais installé dans l’appartement où je vous reçois aujourd’hui, je ne fus jamais plus heureux que depuis que j’ai pris cette grave détermination qui fait époque dans ma vie; hier, j’étais enchaîné à une croyance qui ne me laissait même pas la liberté de penser, aujourd’hui je suis libre, ne reconnaissant qu'un maître suprême, absolu : la Raison.
- — Et aurais-je le plaisir de savoir quelle est
- l’heureuse philosophie qui a le bonheur de vous compter aujourd’hui dans ses rangs ?
- — Je butine un peu partout, cherchant le juste, le vrai; d’un métal pur apprenant à distinguer les scories ; je me suis formé tant en politique qu’en philosophie un idéal que je n’ai pas encore rencontré ; je suis donc resté jusqu’ici isolé et indépendant.
- — Et quel est cet idéal que vous cherchez ?
- — La vérité absolue.
- — Eh parbleu,nous la cherchons tous cette vérité ; chacun de nous croit la posséder, mais souvent l’homme s’abuse, et trompé par de fausses apparences prend l’ombre pour la réalité. Croyez-vous toujours en Dieu? Je me permets de vous faire cette question parce que je vois qu’il s’est produit un bouleversement profond, radical dans votre esprit.
- Y croyez-vous vous-même? Peut-on se faire une idéejuste, d’une fixité absolue, d’une chose aussi abstraite que l’est l'idée de la divinité.
- — Nieriez-vous l’âme immortelle ?
- — Peut-être. Démontrez-moi l’existence de Dieu et définissez-le bien, je croirai en lui ; prouvez-moi l’âme immortelle, et j'accepterai cette consolante croyance avec satisfaction; je suis formellement décidé à ne plus me contenter de mots désormais. Voltaire disait : Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer;je condamne cette manière de voir, si Dieu n’existe pas, il faut savoir nous en passer. Je veux avant toutes choses la vérité, et partout la preuve à côté de l’affirmation.
- — Vous êtes un sage, et j’applaudis à votre méthode qui est la seule capable de nous débarrasser des fanatismes du passé et de nous protéger contre ceux de l’avenir. Nous nous verrons souvent, je l’espère, et nous nous éclairerons mutuellement sur ces graves questions touchant Dieu, l’àme et son immortalité. Je désirerais aujourd’hui connaître votre appréciation sur une question que vous êtes très-compétent pour traiter, ayant passé au milieu des populations de nos compagnes une partie de votre existence. Je désirerais connaître votre opinion personnelle sur l’opportunité et la possibilité de la mise en pratique de cette mesure qui préoccupe aujourd’hui tous les esprits libéraux : 4la séparation des Eglises et de l’Etat.
- Mon ami se recueillit quelques instants, et me répondit en ces termes :
- En théorie, je suis partisan de cette mesure radicale, que les catholiques devraient être les premiers à solliciter, s’ils avaient foi dans la vérité de leur cause. Si cette mesure devait entraîner leur chute, je la désirerais de tout mon cœur, mais je redoute les conséquences de sa mise en pratique.
- p.269 - vue 270/836
-
-
-
- 270
- LÉ DEVOIR
- J’aime éperdùment la République, et je crains qu’un semblable bouleversement dans les mœurs de notre pays, si le terrain n’est pas suffisamment préparé, n’amène une réaction violente, qui se traduise aux nouvelles élections législatives par une majorité monarchique, qui s’empresse de mettre à profit le temps qu’elle sera au pouvoir pour substituer un roi quelconque à notre belle démocratie, si pleine de promesses pour l’avenir.
- — Pourtant les populations de nos campagnes sont franchement républicaines.
- — Pouvez-vous dire qu’elles sont républicaines lorsqu’il y a dix ans leurs votes étaient bonapartistes. La politique est une science, et la plus difficile des sciences; témoin les tâtonnements de nos gouvernants et leurs bévues journalières. Comment voulez-vous que les populations ignorantes de nos campagnes y entendent quelque chose I Laissez moi vous donner le secret de leur républicanisme, j’ai assez vécu au milieu d’elles pour les connaître et les juger.
- Dans chaque commune, il y a toujours, vous le savez, quelques natures d’élite, qui instinctivement, sans instruction aucune, sans l’avoir jamais appris, comprennent quelque chose aux affaires de la politique. Si je croyais à la métempsycose, j’admettrais volontiers que ces hommes ont déjà vécu, qu’ils furent jadis instruits, profonds politiques et sages administrateurs, et que leurs connaissances innées ne sont qu’une réminiscence. Dans l’hypothèse de la croyance à la pluralité des vies, je n’aurais aucune peine à croire à la possibilité pour ces esprits de se disperser un peu partout pour éclairer les masses et se faire les apôtres de la nouvelle vérité politique. Ils ont généralement le jugement sûr, ils sont républicains, il ne faut pas un grand effort d’esprit pour comprendre que théoriquement la forme républicaine où le pouvoir se transmet par la volonté nationale est supérieure à la forme monarchique où un être sans intelligence, vicieux, méchant, peut être l’héritier d’un prince vertueux et ami de ses sujets.
- La masse, inctinctivement voit où est la lumière, où est la vérité ; elle pense, elle agit, elle vote d’après les conseils de ces guides, qu’un esprit de solidarité a décidé à s’incarner au milieu d’eux. Je vous affirme que les choses se passent ainsi, et que la masse par elle-même n’est pas assez éclairée pour avoir une idée fixe, invariable, sur les choses de la politique.
- Supposez demain une guerre malheureuse, et l’axe de la majorité serait encore une fois déplacé, comme il le fut en 1871. Que nos gouvernants y réfléchissent, la majorité républicaine actuelle est une force
- réelle, mais ce n’est pas une force numérique sur laquelle il faille toujours compter.
- Le revirement que je redoute d’une guerre, je le crains également de la séparation des églises et de l’Etat.
- Permettez-moi maintenant de vous exposer comment je m’y prendrais pour attaquer le monstre sans m’exposer à ses morsures, moyen ayant tous les avantages de la séparation pure et simple sans en avoir les inconvénients.
- Dans les villes, la cause de la séparation des Églises et de l’État a à son service une groses majorité, une majorité qui raisonne et qui sait pourquoi elle est anti-cléricale ; cette majorité ne manquera jamais à la République. Dans les campagnes, au contraire, on crie bien après les curés, mais on n.e veut point se passer d’eux, et s’ils venaient tout d’un coup à leur manquer, l’arrêt momentané produit dans les affaires chez ceux qui vivent du dimanche, les criailleries des femmes qui ont un faible très-prononcé pour tout ce qui est du domaine religieux, le peu de consistance des idées anticléricales chez des hommes en général peu éclairés, tout cela produirait une impression dont on ne saurait calculer les résultats si on se trouvait à la veille d’une élection.
- Je ferais donc d’abord dans les grandes villes l’essai de la séparation de l’Église avec l'État. Je dénoncerais le Concordat, puis je déciderais dans les villes de 20,000 âmes et au-dessus, les conseils municipaux pourront décider que dans la ville qu’ils ont pour mission d’administrer, l’Eglise sera séparée de l’État, et que les établissements qui servaient à l’exercice du culte redeviendront la propriété véritable des villes, avec droit pour elles, de les affecter à ce que bon leur semblera. Comme une telle mesure ferait faire à l’État une grande économie, je mettrais immédiatement à la disposition des villes qui auront pris cette mesure une somme destinée à payer un certain nombre de conférenciers des plus autorisés qui viendraient chaque semaine faire des conférences dans le but d’instruire les masses et de les moraliser. J’organiserais vivement dans- les écoles l’habitude de jouer des petites pièces de comédie le dimanche ; grâce à ce moyen qui profiterait en même temps à l’enfant, on désaprendrait vite à la femme le chemin de l’Église et d’assister aux offices divins, pour lui donner le goût des choses sérieuses et utiles.
- — Permettez-moi, ami Charles, de vous féliciter de l’heureuse conception quj vous avez là; la mise en pratique de votre projet serait en effet une pierre de touche infaillible qui permettrait de juger de l’ef-
- p.270 - vue 271/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 271
- fet produit sur les populations par une mesure aussi radicale; suivant que l’effet produit serait plus ou moins bon, on verrait si l’on doit s’empresser de l’étendre aux localités de moindre importance. J’ai cependant une objection à faire à votre projet. Et si les prêtres de votre campagne, épargnés par la loi, refusaient d’un commun accord la faveur temporaire qui leur est accordée, et d’an bout de la France à l’autre refusaient le service religieux.
- — Ils sont trop pauvres pour se livrer à cette extrémité, et les riches de ce monde trop intéressés pour la leur conseiller. L’espérance de temps meilleurs leur fera accepter toutes les conditions, quelque dùres qu’elles soient. Dans le cas où cette situation se produirait, ils se donneraient tort aux yeux des masses, ne pourraient plus se poser en victimes, et rendraient plus faciles pour l’Etat la séparation des Eglises, dont je ne redoute les conséquences qu’au point de vue de la stabilité des institutions républicaines. Le meilleur moyen pour rendre efficace et possible au plus tôt la séparation radicale des églises dans toute la France est dans l’instruction répandue à profusion, avec plus de vigueur encore qu’on ne le fait aujourd’hui. Instruisons donc vite, l’instruction peut tuer le catholicisme d’une façon plus certaine que toutes les lois possibles.Les bonnes choses gagnent à être connues, le catholicisme, lui, ne peut pas supporter l’examen, il mourra le jour où tout le monde le connaîtra et pourra le raisonner.
- L'armée cléricale et antirépublicaine contient d’un côté les riches de ce monde, gens sans foi et que l’intérêt seul guide; car ces gens-là ne sont pas convaincus, de l’autre les ignorants qui subissent leur influence. Les premiers sont catholiques parce qu’ils savent qu’il n’y a pas d’autre force existante capable de maintenir les masses dans l’ignorance et de les soumettre à leur domination. Ils sont antirépublicains, parce qu’ils redoutent les tendances de cette forme de gouvernement à améliorer le sort des classes laborieuses. Combattons sans relâche la pernicieuse influence de ces hommes misérables et égoïstes et qu’ils soient à jamais maudits ; quand aux derniers, éclairons-les, la marche enthousiaste envahissante de l’instruction populaire les ramènera vite dans notre camp.
- Ainsi se termina notre premier entretien, nous nous séparâmes, nous promettant bien de nous voir le lendemain et de continuer à échanger nos pensées.
- Edmond Bourdain.
- La pluie de sang
- Ii y a deux mois et demi environ, le cadavre d’un vieillard du nom de Williams Coffl fut trouvé sanglant et percé de plusieurs coups de couteau, dont un avait perforé le cœur.
- Les investigations les plus acharnées de la police de Chicago restèrent sans résultat.On avait retrouvé dans le gousset du défunt sa montre, et, dans sa poche, son portefeuille, contenant des bank notes ; donc il ne fallait pas chercher dans le vol le mobile du crime.
- Restait la vengeance. Une fois sur cette piste, les agents portèrent immédiatement leurs soupçons sur le neveu de l’assassiné, un nommé John Connock. La mésintelligence bien connue qui divisait l’oncle et le neveu, donnait une certaine autorité à ces soupçons. Cependant après une première arrestation, il fallut relâcher le coupable supposé.
- L’interrogatoire n’avait rien démontré. John Connock avait conservé une attitude simple, digne, émue, mais n’avait laissé percer aucun indice qui pût le faire maintenir en état d’arrestation. Confronté avec le cadavre, il s’était précipité à genoux devant ces restes sanglants, et se relevant avec la même dignité émue :
- — J’ai perdu presque un père, avait-il dit. J’avais bien des petites querellas avec le pauvre Biily; mais il m’avait élevé depuis mon enfance, et je l’aimais bien. - 1
- On relâcha donc John Connock.
- Cependant, le soir du même jour, comme on discourait dans une taverne des incidents de la journée, un jeune homme, qui jusque-là s’était tenu dans un coin de la salle, s’avança tout à coup vers les buveurs :
- — Connock est coupable, s’écria-t-il, et je le prouverai.
- Au moment où tous les assistants posaient leurs verres sur les tables, interdits du propos, le jeune homme s’élança vers la porte et disparut.
- — C’est Barnest, fît-on de toutes parts.
- On oublia vite ce nouvel incident. La justice sembla s’endormir sur le tombeau de l’assassiné. La nuit se fit plus épaisse autour du crime, et, au bout d'un mois, personne ne parla plus de Williams CofiLQuant à Barnest, il avait quitté le pays..
- Le neveu John reçut, comme par le passé, force poignées de mains et continua à vivre dans la plus grande apparente tranquillité. Il songea même à faire réparer la petite maison qu’il habitait l’été aux environs de Chicago. A peine avait-il manifesté l’in-
- p.271 - vue 272/836
-
-
-
- 272
- LE DEVOIR
- tention d’engager des ouvriers, qu’un matin,un jeune couvreur se présenta à lui.
- — Vous avez besoin de moi, dit-il.
- — Ah! certainement, et tout de suite, car il pleut dans ma chambre.
- Le jour même, on ss mit à l'œuvre, et au bout de la semaine, le tout fat parfaitement réparé, et l’ouvrage soldé. John s’installa de nouveau dans sa chambre et se disposai fêter sa nouvelle installation par un copieux repas, puissamment arrosé de brandy. À onze heures, ses hôtes partirent et notre homme se mit au lit absolument intoxiqué. Il ne tarda pas à ronfler bruyamment.
- Mais, à minuit moins cinq, un tapage effrayant se fît autour de la maison; de grands piétinements remuèrent le sable de la cour, puis on frappa brusquement à la porte à plusieurs reprises.
- — Qui va là ? grommela John à demi-éveillé.
- — C’est moi, l’oncle Billy... Mon fils, ouvre -moi !
- Connock tressauta sur son lit, mais il laissa retomber sa tête sur l’oreiller, croyant à un cauchemar.
- A peine quelques instants s’étaient-ils écoulés, que le tapage recommença de plus belle.
- — A l’assassin 1 criait la voix de l’oncle Billy, on m’égorge, et c’est toi, John, toi, mon fils !
- Des cris épouvantables retentirent ensuite, cris rauques qui finirent par s’éteindre dans un long soupir, puis tout rentra dans le silence.
- John Connock, les cheveux hérissés, tremblant de tous ses membres, resta cloué sur son lit,’ les yeux démesurément écarquillés et levés au plafond.
- Tout à coup il poussa un cri terrible.Du toit tombait une pluie fine qui inondait son visage. Le malheureux avait vivement porté la main à sa face mouillée et cette main était teinte de sang.
- John s’élança d’un bond hors du lit et se mit à parcourir toutes les pièces de la maison en appelant du secours. Mais partout où il passait la pluie de sang tombait du plafond sur lui.
- Il voulut fuir et les traces de ses pieds se marquèrent en rouge sur le parquet.
- Il voulut ouvrir la porte, et ses mains y tracèrent une empreinte de sang.
- John Connock tomba à la renverse, et, comme si quelqu’un eût attendu ce signal, la pluie de sang s’acharna sur son corps inerte, et la voix de Billy exclama :
- — Ouvre-moi.... Je t’apporte un parapluie 1
- Alors une chose étrange suivit.
- John Connock se releva comme mù par un ressort, et se prosternant devant la porte.
- — Pardon, dit-il, ah ! pardon, mon oncle Billy... pardon de vous avoir tué.
- A ce moment, la porte vola en éclats, et Barnest entra, suivi du chef de la police, de nombreux agents et d’habitants du voisinage.
- — Ah ! ah ! mon maître, je savais bien que vous feriez des aveux, ricana-t-il.
- Le nouveau Javert triomphait; mais la besogne avait été dure.
- Barnest, suivant toujours son idée, s’était présenté comme couvreur et avait percé à jour la toiture.
- Puis il avait égorgé les deux cochons de John Connock, et avait fait pleuvoir leur sang sur l’assassin, à travers les pommes d’arrosoir...
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- L’Association r 11$ i| f CTÈ1 û£ DE Guise du rilIlILSdl tnt (Aisne)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- L’ÉCOLE
- REVUE DS L’IKSTRUCTîOE PRIMAIRE, PARAISSANT LE DIMANCHE
- Directeur : J. SAINT-MARTIN, député.
- Pédagogie théorique pratique.— Sciences naturelles. — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour les brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique.— Histoire.—Littérature. — Musées scolaires.— Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le texte.
- 6 fr.paTan. Los abonnements partent du ler de chaque mois. On s'abonne en envoyant un mandat-poste à l’ordre de M.PICARD-BERNHEIM o 11, rue Soufilot, à Paris.
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.272 - vue 273/836
-
-
-
- 6= ANNÉE. TOME 6 — R" 191
- DIMANCHE 7 MAI 1882.
- "Le numéro hebdomadaire 20 c.
- le wmèm
- REVUE DES OUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN D ir e cteur- Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.6Q
- ON S’ABONNE
- A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Gliamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences i psychologiques.
- ÜL W JÊC s
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre dressai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de l’Association de Ralahine. — Assemblée générale extraordinaire, Séance du 27 avril 1882. — Le travail et la vie sociale. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère III6 partie, VI. — Le Magnétisme. — L’eau, force motrice. —Bibliographie. — Une impression au Salon de Paris. — Etat civil du Familistère. — Variété.
- MÏMSTCBMKE
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE VIII
- Statuts de l’association
- La liste des premiers membres étant fixée, une assemblée générale présidée par M. Vandeleur eut lieu le 10 novembre 1831, pour la constitution de l’Association. Les statuts qui suivent furent soumis à l’examen et à l’adoption des nouveaux associés.
- Statuts de l’association coopérative agricole de Balahine.
- !
- FBÉAMBUIiE
- L’Association se propose pour but :
- 1° L’acquisition d’un capital commun ;
- 2° L’assurance mutuelle des membres contre le besoin en cas de pauvreté, de maladie, d’infirmités et de vieillesse ;
- 3° L’obtention d’une part des conforts de la vie plus grande que celle dont jouissent actuellement les classes ouvrières ;
- 4° L’amélioration intellectuelle et morale des adultes ;
- 5° L’éducation des enfants.
- Bases de la Société
- 1° Pour atteindre le but ci-dessus, les signataires des présents statuts déclarent s’associer entre eux et prendre à fermage les terres, bâtiments, manufactures, machines, etc... de Ralahine, appartenant à M. John Scott Vandeleur, conformément au contrat ci-annexé. Les signataires, ensemble ou séparément, s’engagent à obéir aux règles suivantes et à user de tous les moyens en leur pouvoir pour que ces règles soient observées.
- 2° Le fonds, le matériel d’agriculture et toute la propriété restent aux mains de M. Vandeleur, jusqu’à ce que l’association ait épargné un capital suffisant pour les acquérir. Quand cette acquisition sera faite, le fond, le matériel, et toute la propriété seront la propriété par actions, de l’association même.
- 3° M, Vandeleur a le droit pendant les douze
- p.273 - vue 274/836
-
-
-
- 27 4
- LE DEVOIE
- mois qui suivent la formation de la Société, de prononcer le renvoi de tout associé, homme ou femme qui se conduirait mal.
- 4° Tout membre a la faculté de se retirer de la Société* en prévenant le Comité huit jours à l’avance.
- 5° S’il est reconnu que la Société n’a pas un nombre suffisant de membres pour accomplir convenablement les travaux agricoles ou manufacturiers, tout associé a le droit de proposer l’admission d’un nouveau membre, en faisant appuyer cette proposition par un autre associé. Si le candidat est agréé par M; Vandeleur, il est admis alors à faire un stage de huit jours ; stage durant lequel l’aspirant sociétaire, homme ou femme, reçoit seulement la nourriture et le logement.
- A l’expiration des huit jours, l’Assemblée générale, vote à la majorité l’admission ou le rejet du postulant.
- 6° M. Vandeleur préside la Société et le Comité. Le Comité élit un substitut pendant les absences inévitables de M. Vandeleur.
- 7° M. Vandeleur* choisit le secrétaire, le caissier et le chef de magasin. Le secrétaire et le caissier assistent de droit aux séances du Comité.
- [Une partie des appointements dé ces deux derniers fonctionnaires était payée par M. Vandeleur, cle sorte qu'ils étaient les serviteurs du Fondateur eide la Société, tout à ia fois. Ën qualité d'associés ils participaient aux bénéfices).
- 8° Les étrangers qui désirent visiter ou étudier quelque partie que ce soit de l’Association, doivent en demander permission au président ou au secrétaire, lesquels désignent Un membre pour accompagner le visiteur dans l’établissement.
- Production
- 9® Chacun des soussignés s’engage à mettre au service de l’association les talents qu’il peut posséder, sa force intellectuelle et physique, ses connaissances agricoles, industrielles oü scientifiques, soit en appliquant directement ses facultés a toutes les occupations nécessaires, soit en communiquant ses connaissances aux autres et spécialement à la jeunesse.
- 10° Autant qu’il est possible chaque individu prend part aux opérations agricoles, spécialement à l’époque des moissons. Il est expressément déclaré que nul associé n’a le titre, ni les prérogatives d’un intendant; tous les membres sans exception doivent se livrer aux travaux.
- 11° La jeunesse, garçons et filles, se forme l la pratique de quelque utile métier, outre l’exercice
- î de l’agriculture et du jardinage, et cela dans la pé-J riode de 9 à 17 ans*
- 12° Le Comité se réunit chaque soir pour arrêter les opérations et travaux du jour suivant.
- 13® Le travail s’opère : en été* de 6 h* dü matin à B h. du soir ; en hiver, du commencement du jour à la tombée de la nuit, avec interruption d’une heure pour le repas»
- 14° Tout homme reçoit huit pences (80 centimes) et toute femme cinq pences (50 centimes) par jour de travail.
- [C'était le taux ordinaire des salaires du pays. Le secrétaire, le chef de magasin* le serrurier, le menuisier et quelques autres recevaient un peu plus. Ce supplément était payé par le fondateur
- Il est entendu que les sociétaires opèrent tous leurs achats dans les magasins d’approvisionnements de la Société* et qu’ils, ne peuvent acheter ailleurs que les denrées non produites ni vendues par l’Association.
- 15° On ne peut exiger d’un associé, homme Ou femme, qu’un service ou travail en rapport avec ses sentiments et ses aptitudes. Mais si l’un des membres pense que quelqu’un de ses collègues n’emploie pas utilement son temps, il est de son devoir d’en faire rapport au Comité.
- Le Comité, à son tour, doit porter la question devant une des assemblées générales, laquelle prononce s’il y a lieu, l’expulsion du membre inutile.
- Distribution et économie domestiques
- 16® Tous les services accomplis d’ordinaire par des domestiques, sont remplis par les jeunes gens des deux sexes, âgés de moins de 17 ans, soit par roulement, soit par choix»
- 17° Les dépenses concernant la nourriture, le vêtement, le logement et l’éducation de l’enfance sont à la charge de la caisse sociale, à partir du moment où l’enfant est sevré jusqu’à ce qu’il atteigne 17 ans, âge où il peut être élu associé.
- 18° Les parents doivent une rémunération pour la nourriture, le vêtement, etc..., des enfants qu’ils élèvent eux-mêmes et gardent à domicile.
- [Ces deux derniers articles avaient pour but d’amener les parents à confier leurs enfants aux personnes spécialement chargées du soin de là jeunesse, afin que ces enfants reçussent une meilleure éducation. L’expérience prouva l’excellence de ces dispositions).
- 19° Nulle charge n’est imposée aux associés pour le combustible employé dans les salles publiques.
- 20° Toute personne qui occupe une maison et qui y prépare et consomme sa nourriture, paie le combustible qu’elle emploie.
- p.274 - vue 275/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 275
- [CeS deux articles avaient également pour but un in- , tèrêt collectif. Ils incitaient les gens à prendre leurs repas à-table d'hôte où les mets étaient meilleurs et plus économiquement préparés. En faisant payer le combustible employé à domicile, on évitait, en outre, le gaspillage).
- 21° J1 appartient spécialement au sous-comité d’économie domestique, de s’enquérir des meilleures méthodes de cuisson des aliments et de les mettre en pratique.
- 22° Tout le lavage est opéré à la buanderie commune; les dépenses de savon, de main-d’œuvre, de combustible, etc., sont supportées également par tous les membres adultes.
- 23° Chaque associé verse une cotisation d’un demi-penny (cinq centimes) par chaque shilling (1 fr* 25) reçu comme salaire, afin de constituer une caisse de secours mutuels. Cette caisse est administrée par le comité. Les ressources sont employées à payer les salaires de tout associé frappé par la maladie ou par un accident quelconque.
- 24“ Tout préjudice ou dommage causé par un membre au fonds commun, aux instruments, aux bâtiments, ou à une partie quelconque de la propriété, est compensé par une retenue opérée sur les salaires dudit membre, à moins que celui-ci ne donne au comité une explication satisfaisante.
- Education, formation du caractère
- 25° Il est formellement stipulé entre les soussignés que tout jeune enfant appartenant à une personne ayant, au moment de la mort, la qualité de membre de la Société, sera l’objet de la même protection, des mêmes soins et de la même affection que les autres enfants non orphelins. Lorsque cet enfant sera âgé de 17 ans, il aura également qualité pour être admis à tous les privilèges des membres.
- 26» Tout associé jouit d’une parfaite liberté de conscience. Il est libre également dans l’expression de ses opinions et dans l’exercice du culte religieux.
- 27° Les membres doivent observer, au plus haut point, la bonté, l’indulgence et la charité les uns envers les autres, et envers tous ceux qui différèrent avec eux d’opinions.
- 28° Ils s’engagent, en outre, spécialement à ne Jamais désigner un associé, homme ou femme, que s°us le nom inscrit pour ce membre aux livres de la Société.
- 29° Aucune espèce de jeux n’est pratiquée par les associés.
- 30» L’élevage de quadrupèdes ou de volailles à
- domicile est interdit,
- 31° Ne peuvent être gardés en magasin ni à domicile aucune liqueur spiritueuse, aucun tabac à priser ou autres.
- Tout associé qui laisserait entrer chez lui ces articles prohibés ou qui saurait qu’on en fait usage, serait passible des prescriptions de l’article 36, s’il ne prévenait pas de ce fait le comité.
- 32° Toute contestation doit être soumise à la décision de la majorité des membres, ou du groupe de personnes à qui l’on en référera pour le règlement delà question.
- 33» Tout membre qui désire en épouser un autre signe une déclaration à cet effet, huit jours avant la célébration du mariage ; des préparatifs sont faits immédiatement pour l’érection ou l’appropriation d’un logement convenable pour le nouveau couple.
- 34° Tout membre qui désire épouser une personne non membre de la Société, en signe la déclaration comme il est dit au précédent article. La personne non membre est alors soumise au vote d’admission ou de rejet ; si elle est rejetée, le couple doit quitter la Société ;
- 35° L’association donne toutes facilités à ses membres pour recevoir les visites de leurs parents et amis, pour rendre ces visites et faire des voyages dans ce but.
- 36° Si la conduite de quelque associé est jugée préjudiciable au bien-être de la Société, le comité fait connaître au dit associé les griefs que l’on a contre lui. Si malgré l’avertissement le membre continue à transgresser les règles, la question est portée devant une assemblée générale spécialement convoquée. Après l’exposition des faits, un vote a lieu, et le renvoi de l’associé répréhensible peut être prononcé à la majorité des trois quarts des membres présents.
- Gouvernement
- 37° La Société est administrée et ses affaires sont dirigées par un comité de neuf membres. Ce comité est élu par les membres adultes (hommes et femmes) ; il est renouvelable tous les six mois. La liste doit contenir au moins quatre membres du dernier comité.
- 38° Les affaires sociales comprennent les départements suivants : agriculture et jardinage ; manufactures et métiers ; transactions commerciales ; économie domestique; éducation.
- 39° Pour la surveillance de ces divers départements, le comité se divise en sous-comités. Il peut appeler dans les sous-comités les associés dont il juge la présence utile. Ces sous-comités donnent chaque fois qu’ils en sont requis, des rapports au comité général.
- p.275 - vue 276/836
-
-
-
- 276
- LE DEVOIE
- 40° Le Comité se réunit chaque soir ; ses opérations sont régulièrement consignées sur un registre spécial. Une récapitulation en est donnée par le secrétaire à l’Assemblée générale des asociés.
- 41° L’assemblée générale a lieu chaque semaine. Les comptes du caissier sont contrôlés par le comité et communiqués à l’assemblée générale. Le livre d’observations est également lu à cette assemblée.
- 42° Les livres de comptabilité de la Société sont ouverts à l’inspection de chacun des associés.
- 43° Une Assemblée générale semestrielle a lieu le 1er Mai et le 1er Novembre, pour l’élection des membres du Comité (art. 37) et le règlement de toute affaire qui peut être portée devant le Comité.
- 44° Toutes les règles ci-dessus, sauf les articles 1, 2, 29, 30, 31, 36, peuvent être abrogées ou modifiées, à la majorité des trois quarts des membres convoqués spécialement dans ce but en assemblée générale.
- (A suivre).
- Assemblée générale extraordinaire
- Extrait de la séance du 27 avril 1882, à 8 heures du soir
- Présidence deM. Godin, Fondateur
- ORDRE DU JOUR Admissions d’associés
- Présents : M. Godin et 54 associés, comme en témoigne la liste de présence annexée au procès" verbal. ,
- Absent : M. Mairesse Pierre, malade.
- Le bureau est composé du président et de MM. les conseillers de gérance ayant qualité d’associés, savoir :
- MM. Barbary, Dequenne, Pernin et Piponnier.
- Après l’appel nominal, M. le président déclare la séance ouverte.
- Le procès-verbal de la dernière assemblée générale est lu et adopté.
- M. le président lit les noms des candidats au titre d’associé ; il spécifie la situation actuelle de chacun d’eux dans la Société et dit que chacun a rempli dans sa demande les formalités statutaires.
- Il donne lecture des articles 10, 11 et 14 des statuts; puis on passe au vote.
- La Société comptant 55 associés, la majorité absolue est de 28 voix.
- 53 personnes prennent part au vote. Oui Non M. Briquet Charles obtient 49 4 Bulletin blanc
- M. Gras Prosper 46 6 I
- M. Poquet Ernest 35 18 »
- Mm® Legrand-Duchemin En conséquence, 31 22 »
- MM. Briquet Charles, Gras Prosper, Poquet Ernest et Mme Legrand-Duchemin sont proclamés associés.
- LE TRAVAIL ET LA VIE SOCIALE
- La loi de la vie universelle, loi divine, puisque Dieu c’est la vie, est la loi du progrès. Tout lui est fatalement soumis dans l’univers,et tout lui obéit bon gré mal gré depuis l’atome jusqu’à l’être le plus élevé, le plus rapproché de la perfection. L’homme n’en est pas plus exempt que les autres,et c’est à l’action pré-pondérante qu’il exerce sur la matière,à la surface du Globe, qu’il doit sa supériorité sur eux. Il n’est pas seulement appelé à élaborer comme les autres créatures la matière par l’alimentation,sa mission est plus étendue, et il a été doué d’intelligence afin de pouvoir travailler aux progrès de la substance matérielle sous toutes ses formes. Il est un des agents les plus actifs de la nature dans l’œuvre de progrès et de vie sur la terre, et c’est par le travail que son action s'exerce utile, bienfaisante et complète.
- Le travail est pour l’homme tout à la fois un besoin et une mission sublime et sacrée. Un besoin, car sans lui il ne peut vivre, et la nature ne lui fournit les éléments de l’existence qu’à ce prix ; ce qui le contraint à travailler pour être en mesure de pourvoir à toutes les exigences de la vie. Une mission, car c’est par le travail qu’il devient le collaborateur direct de la nature dans son œuvre merveilleuse d’élaboration, de transformation et de perfectionnement de toutes choses ici-bas. Ce que la nature prépare, le travail de l'homme l’accomplit et l’achève, et l’action de l’homme complète pour ainsi dire l’œuvre du Créateur. Par le travail de l’homme, la matière élaborée se transforme, le minerai devient métal et le métal instrument de travail, pour permettre à l’homme de féconder le sol, d’utiliser les forces de la nature pour la production agricole ou industrielle, de pourvoir enfin de toutes façons à tous les besoins de l’humanité.
- Le travail est en même temps le moyen par lequel l’homme s’élève de plus en plus dans l’échelle des êtres, et accomplit en lui-même l’œuvre sublime imposée par la loi primordiale du progrès dans la vie. C’est par le travail qu’il acquiert et étend les
- p.276 - vue 277/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 277
- connaissances par lesquelles chaque progrès se réalise, et qu’il augmente chaque jour son empire sur la nature dont il parvient à subjuguer delà sorte tous les éléments. C’est ainsi que d’abord assujetti à la matière, l’homme a pu en secouer graduellement le joug, et en devenir le maître à son tour. Il en résulte que plus l’homme développe et étend le champ de ses connaissances, et plus il rend son travail efficace et utile à l’œuvre de vie et au progrès de toutes choses.
- Si tout cela est vrai pour l’individu, ce l’est encore davantage pour l’humanité tout entière. Si ces données s’appliquent parfaitement à la vie individuelle, elles s’appliquent non moins exactement à la vie sociale, et là le travail exerce encore mieux son influence bienfaisante et progressive. Chaque phase de la vie des sociétés, en effet, correspond à l’expression de facultés et de besoins particuliers, de même que chaque phase de la vie des individus traduit fidèlement des tendances particulières bien définies.
- « Si nous considérons l’homme dans les phases successives de son existence; nous le voyons d’abord, enfant, recevant de la tendresse maternelle les soins nécessaires à son entrée dans la vie : fort de son droit, c'est par des cris et des pleurs qu’il les appelle. Puis l’enfant grandit, il veut s’affranchir de ses lisières; il éprouve le désir de disposer par lui-même des choses vers lesquelles ses besoins l’entraînent; il veut l’indépendance; il aspire à faire acte de possession sur ce qui est à sa convenance; l’esprit de propriété s'agite en lui; il recherche la satisfaction de ses besoins avant de raisonner les droits des autres ; incapable cependant de créer ses moyens d’existence, il les attend encore des choses créées sans son intervention, puisant dans les affinités inconscientes de sa nature, la raison du droit qu’il réclame. Consommer et agir est le fait de son existence, et son droit s’appuie uniquement sur le devoir d’autrui.
- « Bientôt l’enfant se fait homme, il entre dans la phase du Travail : il arrive alors à son émancipation naturelle ; ce qu’il attendait des autres il sent qu’il peut le tirer de lui-même; il n'est plus indispensable pour lui d’invoquer son droit naturel à la protection de ses semblables, ni de tout attendre de leur devoir. Le Travail lui ouvre une phase nouvelle de la vie : il crée, il produit, il use de ses œuvres, et il devient même le dispensateur des biens nécessaires.
- « C’est alors le moment où l’homme voit, dans le travail produit, le fruit de son action sur la matière. Les énergies de la morale primitive se développent alors en lui parallèlement à celles du Travail ; le !
- sentiment de la propriété se joint à celui de la sécurité, à celui de la famille et de l’amour. » (Solutions sociales, chap. XIII, n).
- Les mêmes phénomènes se produisent exactement dans la vie des sociétés. Dans leur plus tendre enfance, les peuples pénétrés du sentiment exclusif de leur droit à l’existence et des besoins qu’il entraîne, cherchent dans l’emploi de la violence et de la force leur satisfaction, sans se préoccuper des droits d’autrui. Soumis à la force brutale ils lui accordent la supériorité, et celui qui en est le plus amplement pourvu devient pour eux un chef, auquel ils obéissent aveuglément, et de qui ils attendent aide et protection. C’est le propre de l'enfance des sociétés de recourir à un monarque, comme c’est le propre de l’enfance de l’homme de tout demander à sa mère. Plus tard, le peuple arrivé à l’âge viril sent sa puissance et le meilleur emploi qu’il en peut faire. Au lieu de l’appliquer à la conquête violente et sauvage, se terminant par la spoliation injuste du faible, il comprend qu’il peut plus fructueusement et plus justement l’employer à produire et à créer ce qu’il se contentait auparavant de prendre de force,et il entre dans la phase féconde du travail. Ce qu’il attendait des autres,il se sent capable de le tirer de lui-même, et n’ayant plus besoin de protection et d’appui, mais tout simplement de liberté pour cela, il ne reconnaît plus de maître absolu, et à la place de la monarchie il établit la loi, îa justice, l’égalité, la République.
- C’est ainsi que le travail élève et régénère les sociétés comme il élève et régénère l’individu. Dans la lutte pour la vie, l’homme a deux ennemis l’un extérieur, la misère, et l’autre tout intime, Tignorance. C’est par le travail qu’il peut les combattre utilement tous les deux, et en triompher. C’est en effet par lui que l’aisance et l’instruction s’acquièrent, et il n’y a point d’autre moyen, par conséquent, d’en finir avec ces deux fléaux de l’humanité. L’étude, qui peut faire d’un ouvrier un ingénieur, triomphe toujours infailliblement de l’ignorance, et le travail, qui produit la richesse, chasse inévitablement la misère. Le travail est donc indispensable à la vie sociale, comme l’alimentation, sous toutes ses formes, est indispensable à la vie matérielle des êtres.
- Mais plus le travail est éclairé, plus il est utile, et par conséquent, plus le travailleur est instruit, et plus il est apte à rendre des services à la Société. Donc si la mission de l’homme au sein de la Société est de fournir constamment sa quote-part de travail à l’œuvre providentielle du progrès humain, son devoir est de s’instruire le plus possible. De même que dans la nature tout se transforme dans le sens du progrès, de sorte que la simple cellule de
- p.277 - vue 278/836
-
-
-
- 278
- LE DEVOIR
- protoplasma renferme en elle-même le germe fécond d’une perfectibilité infinie, de même dans l’ordre moral l’esprit le plus inculte, se peut métamorphoser, grâce à l’étude, et devenir une intelligence d’élite capable de rendre d’éminents services à la Société.
- Hœckel, appliquant les lois du transformisme de Darwin aux sociétés, déclare que la concurrence vitale, l’un de ses facteurs, y devient la lutte des classes, et la sélection naturelle, l’autre facteur, la consécration des castes. D’après cela, les agglomérations humaines sont des ruches, des fourmülières trop pleines dont les membres ne peuvent vivre qu’en s’entre-dévorant. Le bien-être de l’un a pour condition le malaise des autres, et la civilisation à ses élus et ses sacrifiés. Cela peut être vrai, cela est exact sans doute avec les défectueuses institutions du passé. Mais cela est et doit être faux avec de vraies institutions démocratico-sociales, respectant ies droits de tous, et entraînant tous les citoyens à remplir fidèlement leurs devoirs.
- Dans une organisation sociale basée sur la justice, c’est-à-dire sur le parfait équilibre des droits et des devoirs, et sur la fraternité et la solidarité humaines, au lieu de s’entre-dévorer, c’est à s’entr’aider, à se soutenir mutuellement que la lutte pour la vie devra tendre chez tous les citoyens, et la distinction des classes n’y pourrait plus avoir aucune raison d’être. Dès que le parasitisme aurait disparu pour faire partout place au travail, plus d’exploitation possible, et tous les citoyens devenus des travailleurs contribueraient dans lamesurede leurs aptitudes à l’œuvre commune, tous confondus par conséquent dans la même classe. La comparaison de la ruche serait là plus justement appliquée puisque dans la petite république des abeilles, en dehors de la reine, que la seule maternité a sacrée telle, il n’exista aucune distinction, et que tous les membres de la communauté concourent avec une égale ardeur et un zèle égal à la prospérité générale dont chacun a sa part légitime.
- C’est l’harmonie parfaite des intérêts, l’équilibre du capital et du travail à jamais réconciliés et unis, la paix et l’équité universelles que le régime social bien établi doit inaugurer à jamais, Pour obtenir ce résultat, il faut que le travail et l’étude réalisant de concert la somme de progrès qui reste encore à acquérir, l’exacte notion de la justice inspire toutes les conceptions légales et dicte les institutions sociales les plus propres à maintenir toujours l’équilibre entre les droits et les devoirs des citoyens. La société reconnaissant alors qu’elle doit tout au travail, lui restituera sa véritable place à la tête de la civilisa-
- tion, place usurpée jusqu’alors par les arts de la guerre qui en sont l’antipode, et qui devraient être au contraire relégués au dernier rang.
- Les réformes sociales devenues désormais nécessaires doivent donc avoir pour but d’assurer à tous tout le comfort que le travail peut créer à leur profit, en faisant tomber toutes les barrières qui ge dressent encore devant la liberté, en légitimant l’emploi de la richesse par une large et équitable organisation de la mutualité sociale, et en établissant de la sorte l’unité sociale des individus, des nations et. des races.
- ———
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE IA SEMAINE
- FRANCE
- Les Tt>r<ïvets <i© eapaeitô». — Le ministère de l’instruction publique vient de dresser le tableau des résultats des examens du brevet de capacité pour la session de mars 1882. Ces résultats sont particulièrement importants parce qu’ils correspondent à la première application de la loi du 16 juin 1881, qui soumet tous les instituteurs et toutes les institutrices publics, laïques ou congréganistes, à l’obligation du brevet de capacité.
- Yoici les résultats pour les 89 départements de France (Algérie et Corse comprises, mais la Seine exceptée).
- 7,801 aspirantes laïques se sont présentées, 4,205 ont été admises.
- 4,202 aspirantes congréganistes se sont présentées, 1,449 ont été admises.
- La proportion des admises est donc de 54 0/0 pour les laïques et de 36 0/0 pour les congréganistes.
- 5,260 aspirants laïques se sont présentés, 2,209 ont été admis; 2,083 congréganistes se sont présentés, 299 ont été admis.
- La proportion des admis est donc de 42 0/0 pour les laïques et de 14 0/0 pour les congréganistes.
- Tous les despotismes se ressemblent et tous les des-potes prennent la même allure. Les Français s’indignent aujourd’hui contre l’arbitraire russe qui peuple la Sibérie d’innocents, voici ce que le premier Bonaparte prescrivait en 1806 au maréchal Berthier :
- « Mon cousin, j’imagine que vous avez fait arrêter les libraires d’Augsbourg et de Nurenberg. Mon intention est qu’ils soient traduits devant une commission militaire et fusillés dans les vingt-quatre heures. » {Cor-resp. XIII, p. 46).
- La même année, il donnait à Fouché l’ordre suivant :
- « Ecrivez au général Menou que,lorsqu’il arrive qu’un homme arrêté pour avoir tenu des propos contre le gouvernement ou de tenté de troubler la tranquillité génér raie est acquitté par les tribunaux, il le fasse sur le champ ècrouer de nouveau et vous en rende compte... » {Corresp. XIII, p. 126).
- * f *
- On lit dans le Mémorial diplomatique :
- Nous apprenons de Londres que les négociations relatives au traité de commerce entre l'Angleterre et la France vont être immédiatement reprises.^ Lord Granville se déclare tout disposé à conclure; mais dans sa pensée, il serait préférable que le nouveau traité pût
- p.278 - vue 279/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 279
- être renouvelé au bout de quatre ans : ce qui lui permettrait de faire de son côté quelques-unes des concessions que le gouvernement français lui demande. A vrai dire, le cabinet de Saint-James cherche à établir pour une’certaine période de temps un modus vivendi commercial entre les deux pays et à réserver ainsi l’avenir.
- ANGLETERRE
- M. Gladstone a fait mercredi, à la Chambre des communes, ainsi qu’on l’avait annoncé, d’importantes déclarations lelaüves à l’Irlande, L’occasion lui a été fournie par la demande de M. Redmond de passer à la seconde lecture de son biîl tendant à modifier la loi agraire de 1881. M. Gladstone a relevé avec insistance le caractère de la proposition Redmond,qui tend à assurer et à compléter l’application de la loi agraire, dans l’intérêt de la pacification de l’Irlande. Les déclarations de M. Gladstone sont très importantes.
- Voici quelques points capitaux :
- Le premier lord de la trésorerie ne veut accepter aucune modification à la loi agraire en ce qui concerne la tenur$ des terres, et par conséquent les droits des fermiers; il a l’intention de régler par une loi, dans la session actuelle, la question des fermages arriérés; enfin il reconnaît que le régime répressif en vigueur en Irlande est contraire à l’esprit de la Constitution anglaise, et il exprime l’espoir que la pacification se fera, non par la voie de répression, mais par l’effet de la loi en préparation, et qu’il présentera au Parlement au cours de la session,
- *
- * $
- Le No Rent irlandais gagne l’Ecosse; les tenanciers de Pile de Skye ont tenté d’en faire l’application, et les populations ont fait mine de se soulever en faveur des fermiers condamnés et emprisonnés pour avoir refusé de payer. On se demande pourquoi ce qui est juste en Irlande serait injuste en Ecosse. Il est temps, en vérité, de fermer par un remède énergique cette plaie irlandaise. La Chambre du Canada adresse à la reine une pétition respectueuse qui réclame pour l’Irlande l’autonomie législative dont jouit le Canada. C’est la vraie solution."il faut au nom de l’honneur anglais mettre un terme au « boycottage », aux assassinats,, aux évictions ; à un tel régime un peuple se ruine et se démoralise. Un amendement de plus à la loi agraire ne sera pas même un palliatif.
- RUSSIE
- La chasse aux juifs et aux juives a recommencé en Russie, plus sauvage, plus horrible que jamais. Jour et nuit sans désemparer on tue, on mutile, on viole ; des monceaux de ruines s’accumulent sur des monceaux de cadavres ; les hommes, les lemmes, les jeunes filles, les petits enfants, errent demi-nus, sans asile et sans pain.
- On écrit d'Odessa :
- Le récit des horreurs de Balta dépasse tout ce que l’imagination peut concevoir. Les quatre cinquièmes des maisons, soit environ 900 habitations, ont été démolies, et çà et là on voit, au milieu des ruines, des soldats et des gendarmes qui font éloigner les rôdeurs qui voudraient voler.
- Sur 9,000 juifs qui habitent cette ville, naguère prospère, il n’en reste plus un seul; toutes les familles campent dans les campagnes, sous la protection des troupes.
- Il est arrivé, à Odessa, plusieurs caravanes.
- Ces gens n’ont rien sauvé et ils tombent à la charge du comité israélite d'Odessa.
- Dans la plupart des villages, les maisons des juifs ont été démolies ou brûlées.
- La connivence sinon la complicité du gouvernement saute aux yeux, et l’Europe n’intervient pas! Contre ces abominations il n’y a qu’un remède : l’émigration en
- masse. Pourquoi les riches banquiers que la nation juive compte an tous pays n’ouvrirajrnt-ils pas un emprunt destiné à rendre immédiatement possible cette émigration ? L’Amérique est prête à recevoir les exilés ; les populations juives sont honnêtes et laborieuses; nul doute que l’emprunt souscrit en leur faveur ne fût couvert d’abord et remboursé ensuite par annuités. Que l’Alliance israélite se mette à la tête de ce mouvement.
- ESPAGNE
- La grève de l’impôt continue. Dans cette même Catalogne où la question du traité de commerce était, prétendait-on, la question principale; à Barcelone seulement, plus de, 8,000 commerçants et industriels, c’est-à-dire la presque totalité, n’a pas payé et ne veut pas payer l’impôt. Les saisies continuent partout, avec manifestations et lutte acharnée. A Albacete, un des commerçants saisis a fait placarder sur sa porte l’inscription suivante : « Ne pouvant pas payer les 174 pesetas (francs), que le gouvernement exige de moi, je vends à qui voudra mon établissement pour 175 pesetas seulement. » Un franc pour les frais d’huissier !
- A Valence, une nombreuse réunion se déclare libre-échangiste et adhère au traité de commerce, niais en même temps elle affirme que les commerçants et les industriels de Valence sont décidés à refuser l’impôt, et à fermer les usines et magasins si le gouvernement persiste dans la saisie de leurs biens, A Çalatayud, tous les magasins se sont fermés lorsque les agents du gouvernement commencèrent les saisies, et se sont rouverts lorsque les saisies ont été suspendues et ajournées. Il faudrait toutes les colonnes de notre journal pour raconter les faits de cette nature qui se produisent dans tous les coins du pays.
- En Andalousie, la situation est encore plus grave, Pas de travail dans les champs. Des bandes de paysans menacent les châteaux, les moulins et les magasins des provisions, aux cris de paix et travail. Là, on se préoccupe fort, peu du traité de commerce et de la réorganisation de M- Camacho ; les traités sont plus pressants.
- Les agriculteurs et les petits propriétaires fonciers ne pouvant ni payer l’Etat, m fournir du travail aux paysans affamés, offrent d’abandonner leurs propriétés. Seuls ne souffrent pas les grands propriétaires, fléaux de ce riche pays. Ceux-là vivent tranquillement de leurs rentes et payent très peu d’impôts, en vertu de cette chose singulière qui ne se voit qu’en Espagne, de ce qu’on appelle ici : les omltations.
- Grâce à la routine et à l’arbitraire administratif, grâce aux privilèges qui régnent en maîtres, pour des intérêts politiques, ces gros bonnets de village, villes et districts, sorte de mandarins économiques dans leurs circonscriptions, ne figurent sur le rôle des contributions que pour la 10e ou la 20e partie de ce qu’ils possèdent. Ce sont eux qui avec leur influence, aillée toujours à celle du clergé, font les élections. Tous les gouvernements ont, jusqu’à présent, trouvé intérêt à conserver ce moyen de se créer des majorités au Parlent.
- Conservateurs et libéraux-monarçhiques cultivent soigneusement cette graine précieuse qui donne en politique de si bons fruits. Les Caciques, comme nous les appelons, sont la colonne fondamentale sur laquelle s’appuie l’édifice gouvernemental. L’impôt tombe alors de tout son poids sur le travailleur, sur le petit agriculteur, l'industriel et le commerçant qui ne peuvent plus le supporter.
- Pour vous donner une idée du régime économique subsistant encore dans notre malheureux pays, et la conséquence naturelle de ces abus, je n’aurai qu’à établir la comparaison suivante. La France a la même superficie à. peu près que l’Espagne. Eb bien, la France compte 39 millions d’habitants; en Espagne nous en avons à peine 17 millions. Eu France presque tout le terrain est cultivé; en Espagne, sur 50,703,600 hectares, il n’y a inscrits, dans le rôle des contributions, comme produisant quelque chose, que 13,783,318 hectares.
- p.279 - vue 280/836
-
-
-
- 280
- LE DEVOIR
- 20,052,687 hectares sont inscrits comme non cultivés et ne donnant aucun produit; 16,867,585 ne sont pas même comptés.
- Et alors, tandis que vous payez en France pour la même superficie d’un terrain à peu près utilisé et productif partout, 170 millions d’impôts, nous payons en Espagne pour le quart à peu près de terrain utilisé et beaucoup moins productif, tenant en compte le chiffre de la population, 166 millions, presque autant que vous, pour une population de 17 millions d’habitants seulement, tandis que vous avez 39 millions d’habitants.
- Voilà des chiffres qui vous scandaliseront, mais qui vous donneront la mesure et la clef de la crise économique que nous subissons dans ce moment. Grise qui n’est pas plus la faute, sans doute, du gouvernement actuel que du précédent; c’est la faute de celui-ci et de celui-là ; c’est la faute de tous, c’est la faute surtout du vieux régime, des vieilles mœurs politiques et des traditions insensées qui veulent quand même vivre au milieu de notre société et de notre temps. Gela vous démontre que le mouvement qui se prépare et qui nous agite dans ce moment est plus profond que le gouvernement n’essaye de le faire croire.
- ITALIE
- *
- MM. Bertani, Briosi et Dini chargés de faire une enquête sur la condition des paysans de l’Agro romano recueillent les détails les plus douloureux. A chaque pas ils trouvent les preuves multipliées de l’incurie du gouvernement, des Autorités provinciales et communales pour tout ce qui regarde la santé des paysans. Personne ne rappelle les riches propriétaires de ces domaines immenses au devoir de pourvoir les travailleurs d’habitations convenables. A quatre ou cinq kilomètres de Rome on trouve les paysans qu’on appelle Guitii, c’est-à-dire qui travaillent à la journée, mais qui résident pendant des mois sur le même domaine. Ges malheureux sont entassés par douzaines, hommes, femmes et enfants pêle-mêle, soit dans des grottes creusées dans le tuf, soit dans de misérables huttes en paille, soit dans des trous humides où manquent l’air et la lumière. Voilà ce qu’on voit sur les immenses propriétés possédées par les princes romains, par les œuvres pies, et il y a peu d’années encore par des chefs d’églises et de monastères.
- ALLEMAGNE
- Le tribunal de Breslau a condamné MM. Kraecker, député au Parlement ; Zimmer, maître-imprimeur ; Feltenberg, fabricant de cigares, et Kulkmann, ébéniste, prévenus de propagation de feuilles volantes socialistes recommandant l’élection de députés socialistes : le premier à trois mois de prison, le second à six semaines, et les autres chacun à deux mois de la même peine.
- Les journaux ultramontains et libéraux de Berlin font remarquer qu’à l’exception du Wurtemberg, qui ne cultive pas de tabac, les Etats qui ont voté au Conseil fédéral pour le monopole du tabac sont en contradiction avec la majorité de leur population, ce qui prouve l’opposition de quatre-vingts pour cent au moins des membres du Reichstag à ce projet. Le secrétaire d’Etat Scholz. qui représentait le chancelier au Conseil fédéral, a déclaré que le monopole restera à l’ordre du jour jusqu’à ce que le Reichstag se décide à l’adopter.
- Dans les cercles parlementaires on compare ce procédé à celui qui s’emploie à table avec les enfants qui refusent de manger certains plats qui répugnent à leur goût.
- La Gazette nationale conseille à la majorité d’opposer résolument la volonté du pays à la volonté autocratique d’un seul homme et de repousser le monopole sans renvoi préalable à une commission.
- *
- * ¥
- JL.es Femmes au Barreau. — Deux jeunes filles font en ce moment leurs études en droit à Paris.
- [Gazette des Femmes.)
- INDES
- La terre classique de l’infériorité et de l’assujettissement des femmes est entamée ; onze jeunes filles se sont présentées aux examens de l’Université de Bombay ; sept ont été admises sur ce nombre, dont 4 de Poona et trois de Bombay.
- A l’Université de Calcutta six jeunes filles du Bengale ont également passé, avec succès, leurs examens.
- [Woman s’Revent.)
- CROATIE
- La Croatie nous devance. L’année dernière elle a donné aux femmes le vote municipal ; cette année elle les rend éligibles ;
- Ces femmes sont-elles plus intelligentes que nous, ou sont-ce nos législateurs qui le sont moins ?
- V. S. T.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTERE
- TROISIÈME PARTIE VI
- L’œuvre des organisateurs de l’éducation de l’enfance au Familistère n’aurait pas été complète, si les programmes et les méthodes adoptés pour l’enseignement n’avait pas été à la hauteur des perfectionnements apportés à l’installation des locaux scolaires, sous le rapport de l’exposition, de l’aération, de l’éclairage, du chauffage, de la surveillance, du matériel etc. Aussi n’a-t-on point manqué de choisir les meilleures systèmes expérimentés à ce sujet pour les appliquer dans les diverses classes du palais social. Nous citerons les ouvrages si justement estimés de Mme Marie Pape-Carpentier la méthode Frœbel celle de gymnastique classique de M. Laisné et celle deM. G-rosselin sur la lecture mimique qui, combinées ensemble, afin de leur faire produire les meilleurs résultats possibles,sont employés au début de l’enseignement, au bambinat et dans la classe de tous jeunes enfants.
- Le fondateur du Familistère dans son livre « Solutions sociales » fait remarquer que la direction imprimée à l’éducation dans son établissement s’est entièrement affranchie des anciennes traditions pédagogiques défectueuses, par lesquelles la crédulité et l’ignorance publiques étaient entraînées à conserver un enseignement absurde, qui en imposait d’autant plus aux parents, que les choses enseignées à leurs enfants étaient moins comprises, et par conséquent moins sujettes à être discutées et mises en pratique.
- p.280 - vue 281/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 281
- L’instruction au Familistère se tient dans la sphère ! des choses pratiques et usuelles ; on s’attache tout j particulièrement à enseigner à l’élève ce qu’il aura besoin de savoir tous les jours et dans les diverses ] circonstances de la vie. Toutes ses études, tous les j problèmes qu’il est appelé à résoudre sont pris sur le j vif des choses et des faits les plus ordinaires, de sorte j que l’enfant s’initie jour par jour, heure par heure, j par ses études à l’école,aux connaissances pratiques j indispensables pour la conduite de la vie. j
- Non seulement on a fait choix des meilleures mé- j thodes d’éducation dans ce sens, mais afin de faciliter j le travail de ces jeunes intelligences, l’on a mis en j œuvre toutes les ressources fournies par la péda- j gogie moderne la plus intelligente. Les bouliers- j compteurs, les cartes murales et tableaux de toute sorte, les jeux complets de solides,les sphères et les dessins de grandeur naturelle sont employés avec succès pour rendre plus clairs et plus faciles à saisir les démonstrations et les enseignements du professeur. Parmi les livres de classe adoptés après mûr examen, nous citerons Larive et Fleury pour la Grammaire. Leyssenne pour l’Arithmétique, Lavisse pour l’Histoire, Foncin pour la Géographie, etc. etc., et nous ajouterons que la haute direction des études est confiée à un instituteur d’une grande compétence, auteur lui-même de divers ouvrages classiques, et entre autres d'un très remarquable. Traité de ponctuation résumant en deux feuilles d’impression à peine les règles si mal connues en général de cette partie de la grammaire.
- L’enseignement dans les écoles du Familistère est divisé en deux parties principales savoir : l’enseignement primaire élémentaire et l’enseignement primaire supérieur.
- L’enseignement primaire élémentaire comprend trois divisions ou classes dans lesquelles le programme suivant est appliqué :
- Éducation civique :
- Instruction morale et civique.
- Civilité.
- Français :
- Lecture.
- Exercice de mémoire et récitation de morceaux choisis.
- Grammaire : exercices, dictées, analyse grammaticale.
- Composition française : exercices préparatoires.
- Histoire :
- Grands faits, résumés et récits.
- Géographie :
- Commune et canton de Guise, arrondissement de |
- Vervins, département de l’Aisne. Notions générales de la géographie de la France et de l'Europe.
- Sciences :
- Arithmétique : Nombres entiers et décimaux ; les quatre règles ; système métrique.
- Géométrie; définitions; lignes, angles, surfaces, figures diverses; mesures de ces figures.
- Arts :
- Ecriture : Cursive appliquée et expédiée.
- Dessin : Tracé des droites, angles, figures géométriques, petits dessins d’ornement faciles, problèmes de géométrie très simples.
- Musique : Notes, portée, signes, intonations, gamme, chants de morceaux faciles.
- Gymnastique : Mouvements préliminaires, marches alignements, exercices divers avec ou sans instruments.
- L’enseignement élémentaire supérieur comprend deux classes dont voici le programme :
- Éducation :
- Instruction morale et civique (auteurs : Çompayré et Paul Bert.)
- Civilité.
- Français :
- Lecture raisonnée et expliquée : prose et vers.
- Mémoire : Morceaux choisis appris par cœur.
- Grammaire : Exercices, dictées, analyses grammaticales, logiques, étymologiques.
- Littérature : Compositions écrites, lettres, narrations, analyse littéraire.
- Ponctuation : Traité simple, logique, infaillible.
- Histoire :
- Histoire de France complète mais approfondie surtout quant à la période moderne.
- Notions générales sur l’histoire universelle ancienne et moderne.
- Géographie :
- Géographie du département.
- La France et l’Europe.
- Géographie générale.
- Cosmographie : principaux phénomènes célestes : explications et démonstrations.
- Sciences :
- Arithmétique : Arithmétique complète; logarithmes; annuités.etc.
- Tenue de livres : Partie double, opérations commerciales.
- Algèbre : Les quatre règles et les équations du premier et 2e degré.
- Géométrie élémentaire complète, théorie et pratique, arpentage, nivellement, géodésie.
- p.281 - vue 282/836
-
-
-
- 282
- LE DEVOIR
- Géométrie descriptive. Projections du point, de la ligne, des surfaces, des solides, rotations et changements de plans.
- Chimie : Métalloïdes et métaux les plus employés.
- Physique : Gaz, liquides, électricité, chaleur, magnétisme, acoustique.
- Mécanique : Machines simples, machines à vapeur, forces, engrenages.
- Histoire naturelle : Zoologie, botanique, minéralogie.
- Enseignement professionnel :
- Cours professionnel : Étude en détail des divers travaux de l’usine.
- Matières premières, minerai, houille, fonte, sable, calcaire, terre réfractaire, fonderie, raperie, ajustage, scierie mécanique, etc. etc.
- Arts :
- Ecriture : Les quatre genres principaux : cursive, ronde, bâtarde et gothique.
- Dessin : Projections, l’avis, dessin géométrique et industriel, dessin d’ornement à main levée ; animaux, fleurs, paysages.
- Musique : Musique vocale : principes et chants de divers morceaux à trois et quatre voix, etc.
- Gymnastique * exercices divers avec ou sans instruments.
- Tel est le programme très complet, comme on le voit, que Ton suit dans les écoles du Familistère, dans le but d’y former de bons et utiles travailleurs, capables de remplir soit à l’usine de l’Association soit ailleurs, les fonctions d’ingénieur, de chef d’atelier, de contre-maître, ou d’employé d’une façon pratique et pouvant rendre la plus grande somme de services sérieux à l’industrie.
- Les .méthodes appliquées dans toutes les classes n’ont d'ailleurs rien de systématique; elles comportent parfaitement toutes les modifications suggérées par le progrès, au fur et à mesure que l’idée les révèle et que l’expérience les consacre, et c’est pour cela que l’intelligence et le dévouement des maîtres chargés de les appliquer sont aux yeux du fondateur les deux conditions essentielles pour dicter ses choix. Trop souvent, la pratique de l’enseignement n’est qu’un métier pour beaucoup d’instituteurs, et fort peu y sont appelés par l’élévation des sentiments, la générosité du cœur, et le dévouement désintéressé à leurs semblables. Persuadé que ces fonctions sont le véritable apostolat de la Vérité, du Droit, du Devoir et de la Justice, on s’attache au Familistère à trouver dans le personnel enseignant cet accord rare de l’intelligence avec le savoir et le dévouement.
- Le raisonnement et la persuasion sont surtout les moyens mis en usage dans les écoles du Familistère. Le besoin de recourir à la contrainte naît toujours de l’insuffisance du personnel enseignant, et c’est pour cela que nous voyons les corrections corporelles beaucoup plus en honneur dans les établissements congréganistes que dans les écoles laïques. Le caractère élevé et le savoir d’un maître lui peuvent seuls donner cette autorité qui non seulement rend la contrainte inutile, mais encore attire dans une certaine mesure îa confiance de l’élève. C’est ce que l’on s’efforce surtout d’établir dans les écoles de l’Association, où les peines physiques sont proscrites, toute l’action sur l’enfance s’y exerçant par l’influence morale ou la simple privation de plaisirs.
- Comme l’émulation est la plus puissant ressort à mettre en jeu pour la bonne éducation de l’enfance, on n’a rien négligé au Familistère pour la faire naître et pour l’entretenir constamment parmi les élèves. Un système de récompenses, décorations, distinctions, grades, et la publicité solennelle donnée à leur distribution stimulent énergiquement le zèle des enfants. La remise en est faite le premier dimanche de chaque mois dans la principale cour du palais, sous les yeux de la population, et souvent avec le concours de la musique. Les décorations remises consistent <n croix étoilées attachées à des rubans rouges, orangés, bleus, verts, etc., suivant les sections. L’élève qui a obtenu la première place dans la composition hebdomadaire reçoit en outre la bannière de la branche d’enseignement pour laquelle le concours a eu Heu, et c’est lui qui, durant toute la semaine, la porte en tête de sa section dans les défilés qui ont lieu après chaque récréation et en se rendant en classe.
- Enfin, pour compléter le système d’éducation pratique, un cours spécial est fait une fois par semaine aux élèves du cours supérieur, dans les ateliers divers de l’usine, par les professeurs spéciaux les plus compétents pour cela, chacun dans sa branche particulière. C’est là, sur le vif, au milieu du travail en pleine activité, l’œil de l’enfant percevant tout à la fois l’ensemble et le détail de chaque opération, que les leçons sont données et les démonstrations faites par les faits eux-mêmes. En fait d’enseignement professionnel, il est matériellement impossible de trouver un champ plus propice qu’une vaste usine comme celle de l’Association, comprenant tous les éléments d’instruction possibles, depuis la science la plus élémentaire jusqu’à l’art le plus élevé, puisque Ton y travaille le bois, les métaux, les émaux, le verre, et qu'on fait passer tous ces matériaux par tous les états qu’ils sont susceptibles d’adopter, avee les
- p.282 - vue 283/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 283
- moyens les plus perfectionnés fournis par les progrès incessants de la science industrielle. L’observateur intelligent qui assiste à un cours professionnel fait dans ces conditions admirables, ne peut s’empêcher, en songeant à tant de tentatives à demi avortées d’enseignement de cette nature, de s’écrier : Heureux enfants favorisés entre tous ! Il semble en effet difficile désormais qu’un élève du Familistère, pour peu qu’il soit intelligent et désireux de s'instruire, ne trouve point dans cet élément tout à fait exceptionnel d’éducation professionnelle pratique, tous les moyens d’arriver plus rapidement à la somme de connaissances nécessaire pour en faire un homme véritablement utile. i
- En outre, dans la saison d’été, les écoles forment des groupes d’élèves, qui sous la direction du jardinier en chef de rétablissement, viennent dans les jardins s’initier à la culture et à l’entretien des jardins et au respect du travail d’autrui. Ces groupes élisent au scrutin parmi eux toutes les semaines des chefs et des sous-chefs chargés de faire bien exécuter les indications du chef-jardinier, et tenus de donner l’exemple du meilleur travail.Pour encourager même ce mouvement, l’administration du Familistère accorde aux enfants une légère rétribution variant suivant les aptitudes et les capacités des divisions des petits travailleurs que le chef-jardinier établit d’accord avec les enfants.
- Ce système si paternel d’éducation complète la consécration solennelle des moyens d’émulation mis en pratique, par l’institution d’une grande solennité annuelle, la Fête de l’Enfance, qui a lieu le premier dimanche de septembre et qui dure deux jours. Le premier jour est consacré à la cérémonie de la distribution des prix aux élèves de toutes les classes dont les travaux sont exposés publiquement au milieu de trophées d’enseignement et de guirlandes de feuillage et de fleurs.
- Le même esprit de progrès et de liberté qui a présidé à la création du Palais social se retrouve ainsi partout dans les institutions relatives à l’enfance. Il n’est certainement pas de famille de travailleurs où les enfants soient mieux traités, mieux soignés, et plus heureux à tous les points de vue que ceux du Familistère, et il y en a même peu où ils le soient autant. En quittant donc les bâtiments scolaires, patient lecteur, rendons un hommage mérité à l’homme éminent qui en a conçu les plans et qui est parvenu à les mettre aussi parfaitement à exécution.
- (A suivre.)
- LE MAGNÉTISME
- Parmi les ennemis bien déclarés du magnétisme, il faut compter les savants qui, poussant l’amour de la science jusqu’à l’excès, ne veulent jamais admettre une innovation dont l’origine n’est point scientifique et n’a pris naissance que dans les simples constatations populaires, et en second lieu ces prétendus esprits-forts qui redoutent pardessus tout le soupçon de crédulité, et qui, pour éviter un pareil reproche, ne se rendent même point au témoignage de leurs yeux. Les uns et les autres, dans l’impossibilité de nier ce qu’ils ont vu, cherchent des explications alambiquées et singulièrement entortillées, et ils en arrivent de la sorte à formuler, comme l’a fait tout récemment dans une conférence l’un d’eux, des conclusions qui, soumises à la dissection, serésument dans les deux syllogismes contradictoires suivants :
- 1° Toute cause dont les effets sont perçus par nos sens existe. Or nos sens perçoivent les effets du magnétisme humain : donc le magnétisme humain existe.
- 2° Toute cause dont les effets ne peuvent pas être démontrés scientifiquement n’existe pas ; or les effets du fluide magnétique ne peuvent pas être démontrés scientifiquement; donc le fluide magnétique n’existe pas.
- Il semble logique pourtant que si tout effet suppose nécessairement une cause, la simple constatation d’un fait démontre péremptoirement l’existence de son auteur, que la science d’ailleurs puisse ou ne puisse pas l’expliquer. S’il en était autrement, et si la cause dont les effets ne peuvent pas être démontrés scientifiquement n’existait pas, il faudrait admettre, par exemple, qu’avant les découvertes de Franklin et de Yolta, le fluide électrique n’existait pas, et que les effets de la foudre constatés sur tant de victimes avant eux n’étaient qu’un rêve, une pure illusion des sens. Tulius Hostilius, roi de Rome, a eu beau périr foudroyé 641 ans avant Jésus-Christ, et Cléopâtre, reine d’Egypte, communiquer d’une ville à l’autre aux extrémités de son royaume au moyen de fils métalliques, pour les savants l’électricité n’existe réellement que depuis la fin du dernier siècle, époque où la démonstration scientifique en put être faite.
- Si, suivant cette manière d’argumenter, l’on voulait appliquer le raisonnement ci-dessus aux chpses les plus évidentes, on pourrait, en adoptant les mêmes prémisses, arriver à des conclusions comme celle-ci :
- Toute cause dont les effets ne peuvent être démontrés scientifiquement, n’existe pas.
- p.283 - vue 284/836
-
-
-
- 284
- LE DEVOIR
- Or, les effets de l’intelligence, ne peuvent pas être démontrés scientifiquement.
- Donc l’intelligence n’existe pas.
- En réalité la science ne peut jamais démontrer les choses, mais seulement la loi des choses, aussitôt qu’elle a pu s’emparer, àl’aide de l’observation, d’une série successive de rapports et de faits, et par conséquent c’est à tort que les savants se prononcent avec tant de netteté à priori contre l’existence de ce qu’ils ne sont pas encore parvenus à expliquer. Le point de départ de leurs raisonnements à ce sujet étant faux, ils sont fatalement amenés à en tirer des conséquences dont le moindre défaut est souvent d’être contradictoires. Ainsi, pour ne point sortir de notre sujet, le magnétisme, avec tous leurs beaux raisonnements, ils en sont venus à être à peu près d’accord à reconnaître l’existence du magnétisme en le débaptisant, et à nier celle du fluide magnétique. On ne comprend naturellement rien à cette bizarrerie, étant donné que nul ne sait ce que c’est qu’un fluide. Mais il est d’autres anomalies que l’on peut relever chez ces messieurs : par exemple le mot névrose employé par eux à tout propos pour expliquer une foule de phénomènes, tout comme si la science savait un traître mot de l’action dynamique nerveuse, soit physique soit physiologique, qui est le principe interne déterminant des effets extérieurs que l’on constate constamment.
- Quoi qu’il en soit de l’opinion des savants et de leur science, la question du magnétisme est d’une importance considérable non seulement au point de vue philosophique organique, mais aussi et surtout à celui de la philosophie générale de toutes les sciences, parce qu'elle nous offre un ordre nouveau de phénomènes, destiné à contraindre malgré elle la science à raisonner d’une manière tout à fait différente de celle qu’elle a adoptée jusqu’à ce jour pour parvenir à la vérité. De même qu’il y a une action réflexe, il y a aussi une raison réflexe, c’est-à-dire inconsciente ou instinctive qu’elle applique précisément à sa défense, parce qu’elle sent l’approche d’un danger : celui d’une grande perturbation dans la logique scientifique. En effet, jusqu’à présent, les causes impondérables appelées vulgairement forces étaient surtout du domaine de la physique ; lumière, chaleur, électricité se découvraient petit à petit au fur et à mesure que l’on étudiait la matière objective, et voici qu’une nouvelle cause impondérable se manifeste, mais invisible, impalpable, et se révélant uniquement dans des phénomènes physico-psychiques ! La science officielle déroutée n’a plus de moyens d’apprécier, et si elle veut ne pas se laisser devancer, elle doit se résigner à substituer au scal-
- pel, à la cornue et à la balance, la logique pure et l’observation correcte du phénomène, en faisant litière de tousses grossiers préjugés, fruits pernicieux de son doctrinarisme exclusif.
- Tout organisme produit de la chaleur, de la lumière et de l’électricité, et est sensible au rayonnement de ces forces qui modifient son état moléculaire. Supposer qu’un organisme puisse produire une force sans y être sensible est une absurdité, et supposer qu’il puisse la produire sans la faire rayonner en est une autre. En outre, il n’existe pas une harmonie organique de ces forces qui ne puisse être dérangée par une action mécanique, physique ou chimique extérieure ou intérieure. Ces forces se dégagent en rai-sod de l’activité vitale et de l’harmonie chimique qui existe dans cette action, et elles représentent trois qualités physiques de l’organisme qui la produit. Il est fort possible qu’il y en ait bien d’autres que nous ne connaissions pas. Cependant il y en a une qui a déjà donné trace de sa présence, c’est le magnétisme. Ayant produit des effets bien et dûment constatés, il est évident que le magnétisme est une force ayant une action positive non seulement sur le règne animal, mais peut-être aussi sur les autres règnes organiques. Les effets y seront différents parce que la constitution chimique y est différente, mais ils n’en seront pas moins réels pour cela.
- En somme les expériences récemment faites sur l’hypnotisme et la neuricité des savants confirment pleinement l’existence de cette force, et bien loin de rien prouver contre le magnétisme, elles le ramènent au contraire au niveau des autres forces de la physique, en démontrant que non seulement il est rayonnant ; mais qu’il est aussi subjectif et se laisse influencer, tranformer et même produire par des simples agents physiques ordinaires.
- Cela nous paraît établi d’une façon incontestable. Mais ce qui a pu jusqu’à présent dérouter les savants dans l’examen de ce nouvel agent, c’est que son action n’est peut-être pas purement et uniquement physique comme celle de l’électricité, de la chaleur et de la lumière ; on peut, croyons-nous la considérer comme mixte, physico-psychologique, participant de la nature physique et de la nature métaphysique; si les organes sont les véhicules, les conducteurs de cette force, sa source se trouve ailleurs, dans l’âme, dans la volonté, et c’est ce qui la différencie des autres forces dont quelques effets sont analogues aux siens. Cest ce que constate le docteur Tony Durand lorsqu’il déclare que le fluide magnétique est l’intermédiaire entre l’esprit et la matière, que l’action magnétique est une action spirituelle dans laquelle le magnétisme sert de véhicule, et par
- p.284 - vue 285/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 285
- conséquent les phénomènes magnétiques sont quelque chose de plus que de simples faits physiques.
- Voici comment le comte Szapary auteur du livre intitulé « Magnétiste et Magnetotherapie » exprime uns opinion analogue.
- « Qu’est-ce que le somnambulisme ?
- « Le somnanbulisme est un tiers-état du corps, dans lequel l'esprit, par l'exaltation de l’àme, est en relation telle avec le corps, qu’il possède des facultés d’une espèce différente et d’un degré supérieur et presqu’inflni.
- « Quel est l’état du corps dans cette situation de l’esprit ?
- « Le corps est beaucoup plus abandonné à la nature universelle et plus vivement agité par les rêves, c’est-à-dire par les faits de lucidité magnétique, que dans le sommeil ordinaire, et les fonctions de ses différents organes sont alors régies par des règles toutes particulières qui, quelquefois pourraient faire supposer queMans cet état I’esprit est séparé du
- CORPS.
- « Pourquoi l’état somnambulique se présente-t-il plus rarement chez les hommes que chez les femmes ?
- « Parce que les muscles sont plus forts chez les hommes, et que, par suite, le lien qui unit l’esprit au corps les rattache de telle manière, qu’il leur devient plus difficile d’agir séparément. Chez la femme, au contraire, l’esprit et le corps ne sont point aussi solidement unis. Aussi se présente-t-il des conditions où l’esprit est capable de se séparer presque du corps et de continuer néanmoins à vivre, mais dans une sphère beaucoup plus élevée. C’est le cas du somnambulisme. »
- De l’impartiale observation des faits du magnétisme il semble donc résulter que ces phénomènes sont d’une nature mixte, et que l’esprit a autant de part dans leur production que le corps*, d’où nous concluons que pour en découvrir exactement les lois il faut faire porter les investigations non seulement sur le côté physique mais aussi sur le côté psychologique de la question. Avec le magnétisme nous entrons dans un domaine scientifique nouveau, dont l’exploration exige d’autres connaissances que celles dont se sont exclusivement servis les éminents docteurs dont nous avons dans cette étude analysé les travaux et les théories. Il nous conduit sur la frontière du monde physique et du monde moral, et il nous découvre de nouveaux horizons, des perspectives inconnues, que l’on ne peut embrasser, mesurer et connaître qu’à l’aide d’instruments plus perfectionnés et d’une nature différente de ceux qui ser-
- vent à constater, à démontrer et à établir les lois du monde physique.
- Tant que le monde scientifique officiel, placé de la sorte sur la limite des deux mondes s’obstinera à tourner la tête d’un seul côté, sans vouloir jeter les yeux de l’autre, ses déductions resteront insuffisantes, et il continuera à nier la lumière en plein jour, comme l’aveugle peut nier les couleurs et le sourd la mélodie. Mais comme jamais la négation d’un fait n’a pu l’empêcher de se produire, les déclarations hostiles de la science n’empêcheront en aucune façon l'âme agissant sur le corps de provoquer, toutes les fois que les circonstances se présenteront favorables, les phénomènes magnétiques avec ou sans la neuricité, l’hypnotisme et tous les autres néologismes imaginés par les savants, pour masquer sous des dénominations sonores et creuses leur ignorance, leur mauvais vouloir, et leurs préjugés.
- {A Suivre).
- L'EAU, FORCE MOTRICE
- De toutes parts on s’occupe d’utiliser les cours d’eau en vue de posséder une force motrice à bon marché. Un des projets les plus étranges et les pius grandioses à la fois est celui qui concerne l’atilisation des chutes du Niagara.
- On sait que la cataracte du Niagara est produite par le déversement du lac Erié dans le lac Ontario, par l’intermédiaire de la rivière Niagara. Cette merveilleuse chute d’eau, la plus puissante du monde, est exploitée par les Américains au point de vue de la curiosité : elle va l’être industriellement.
- Des ingénieurs ont, en effet, calculé que le déversement de la cataracte est de 285,000 mètres cubes d’eau par minute, d’une hauteur ce soixante et un mètres. Ces deux éléments fournissent un effort mécanique évalué à environ trois millions de chevaux-vapeur.
- Des ingénieurs américains ont donc eu la pensée d’établir, dans un endroit favorable, trois turbines gigantesques, qui recevront l’eau amenée de la cataracte au, moyen d’un tuyau, et pourront produire chacune une force de mille chevaux.
- Ces trois mille chevaux recevraient divers emplois : ils donneraient le mouvement à des usines établies à proximité des turbines ; feraient mouvoir des machines productrices de fluide électrique qui éclaireraient les localités environnantes ; et une partie, transportée au loin sur des câbles conducteurs, irait distribuer la force dans des établissements industriels situés plus loin.
- p.285 - vue 286/836
-
-
-
- 286
- LE DEVOIR
- Enfin, comme tout centre de production doit nécessairement se relier par voie ferrée au réseau général des chemins de fer, une partie du fluide électrique produit sur les bords du Niagara servirait à la mise en marche de locomotives électriques.
- Tout cela est-il un simple rêve sorti d'un cerveau américain ? Pas le moins du monde. Nous ne savons si tous ces merveilleux projets entreront dans le domaine de l’exécution ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que tout cela est absolument possible. Avec les moyens que l’on possède aujourd’hui de produire le fluide électrique, d’envoyer ce fluide dans des machines semblables à celles qui l’ont généré, et qui, de machines génératrices, se tranforment en machines motrices, il est possible d’utiliser les grandes forces hydrauliques situées dans des localités éloignées des centres industriels. Usines, chemins de fer peuvent recevoir la force par fil télégraphique, comme une ville peut, par la même voie, recevoir la lumière,
- Si l’expérience projetée aux cataractes du Niagara est vraiment tentée, .on se rendra un compte exact de ce qui doit être fait pour ^utilisation à distance des forces hydrauliques.
- Sans doute, les amateurs des grandioses spectacles de la nature ne sauront assez regretter de voir les usines modifier l’aspect des chutes, et. même en Amérique, une certaine opposition se manifeste contre les projets dont nous venons de parler ; mais il semble difficile que le gouvernement américain puisse s’opposer à l’établissement des usines niaga-riennes dans un pays où le beau devra toujours, et quand même, céder le pas à l’utile,
- Quand on songe que les Américains retirent déjà de leurs chutes d’eau une force utilisable de plus de deux cent mille chevaux-vapeur, qu’ils peuvent décupler ce chiffre, le double encore s’ils emploient le Niagara, et qu’enfin ils possèdent des gisements de charbon d’une étendue supérieure à la surface de toutes les houillères du reste du monde, on se demande ce que sera dans un siècle la puissance industrielle de l’Amérique du Nord.
- Quoi qu’il en soit, nous voudrions voir tentés Ghez nous, mais nécessairement dans des dimensions moindres, l’expérience mécanique du Niagara. On se plaint dans certains pays du prix élevé des charbons, de la difficulté de les faire parvenir aux usines : pourquoi ne songerait-on pas à utiliser la force hydraulique transformée sur place en force électrique renvoyée au loin à l’aide du fil conducteur comme ] une dépêche télégraphique ? ]
- Nous avons dans les Vosges et dans les Alpes bien ] des forces qui se perdent. I
- | Mais un retour se produit : déjà il est question à ï Lyon d’utüiser le Rhône comme une force motrice, | soit pour les moteurs à gaz, soit pour les appareils d’électricité. On ne tardera pas à demander à la Seine les forces dont les ondes disposent.
- Ce sera une grande économie pour l’industrie.
- l. c,
- BIBLIOGRAPHIE
- ! Ih’inst-fcr-uctiOM. & la portée do tous
- Tous les vrais amis du progrès ont reconnu depuis longtemps que rinetruetion populaire était la base fondamentale de toute démocratie.
- Aussi 3e gouvernement s’est-il empressé de multi-plier les écoles, d’en créer où il n’en existait pas et cela jusque dans le hameau le plus reculé. Il s’agit, en effet, de vaincre l’un des plus cruels ennemis de la France : l’ignorance. Nous arriverons bientôt à ce résultat tant désiré par suite de l’application des mesures énergiques que nos députés se sont en grande majorité, engagés à voter.
- Mais, à côté de nombreuses écoles dirigées par des maîtres instruits et dévoués, il faut encore de bons livres à mettre entre les mains des jeunes gens qui ont oublié ou qui veulent apprendre. C’est ce qu’à compris à merveille un groupe de vrais amis de l’instruction populaire, composé d’officiers distingués et d’ingénieurs praticiens dont la réputation n’est plus à faire en écrivant un ouvrage superbe intitulé : Nouvelle encyclopédie des sciences usuelles, publié en livraisons, mis à la portée de toutes les bourses.
- Cette magnifique publication dont nous avons un échantillon sous les yeux traite, au point de vüe théorique et pratique, de toutes les connaissances scientifiques qu’on enseigne dans les lycées, et, pour les comprendre d’un bout à l’autre, il suffit de posséder l’instruction très élémentaire donnée dans la plus modeste école de village.
- Il ne s’agit pas de ces petits livres de classe que cha*-cun connaît, mais de vrais manuels très détaillés devant former à eux seuls toute une bibliothèque d’une douzaine de beaux livres écrits de façon qu’ils puissent être compris sans maîtres, imprimés sur très beau papier et contenant plus de 3,000 belles et riches figures gravées sur fond noir.
- Les auteurs débutent par les notions les plus élémentaires de l’arithmétique, c’est-à-dire par la numè -ration, puis par les quatre premières règles du calcul, pour rémonter la chaîne scientifique en parlant avec les détails les plus étendus de la géométrie, de Tarpen-tage, du cubage, des contractions (charpente, menuiserie, serrurerie, maçonnerie, etc., etc.) de la mécanique, physique, chimie, géologie, botanique, minéralogie, astronomie, etc.
- Tous les jeunes gens qui prendront la peine d’étudier
- p.286 - vue 287/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 287
- l’ouvrage, acquerront seuls, sans professeur, les connaissances qui leur permettront de se créer une belle situation dans l’industrie, le commerce, dans les chemins de fer, ponts-et-chaussées, service vicinal, télégraphe, etc.
- Il faut espérer que cette publication, dont le prix d’abonnement est insignifiant sera bientôt dans toutes mains et que pas un ouvrier, pas un employé, ne voudra se priver des connaissances qu’elle donne.
- Tout père de famille voudra l’offrir à son fils s’il est véritablement soucieux de son avenir.
- De tous côtés, les éloges les plus encourageants arrivent à l’administration. Voici l’extrait d’une lettre d’un homme compétent, de M. l’agent-voyer de Lérê (Cher).
- a Je ne puis clore ma lettre, Monsieur, sans vous « adresser mes plus vives félicitations sur la façon dont « est traité le livre 1er. J’ai enseigné pendant près de « dix ans l’arithmétique dans un lycée ; je n'ai jamais « rencontré un ouvrage présentant autant de méthode « et donnant des démonstrations aussi claires et aussi « complètes. Si les livres qui suivent sont aussi bien « faits, j’aurai à vous demander pardon d’avoir souri à « la lecture du passage suivant de votre prospectus : On « verra assurément beaucoup de jeunes gens qui, arri-« vés à la fin de la publication, » auront acquis, seuls, au moins autant de connaissances scientifiques que s'ils avaient suivi les cours du meilleur lycée pendant plusieurs années. Mais tous les abonnés, sans exception, auront recueilli, en parcourant la NOUVELLE ENCYCLOPÉDIE, des connaissances pratiques qui auront ouvert à beaucoup d’entre eux les portes des diverses administrations de l’Etat, des compagnies de chemins de fer, de l’industrie et du commerce en général, lesquelles connaissances auront pour chacun une valeur considérable, si on les compare à la modicité du prix de l’abonnement.
- Cette publication paraît en livraisons à raison de tan franc par mois et permet aux lecteurs d’étudier sans maître, toutes les sciences théoriques et pratiques.
- Il vient de se créer à Nantes un journal bi-mensuel organe du mouvement religieux libéral et du spiritualisme moderne, dont nous ne pouvons pas ne pas saluer fraternellement la naissance, puisqu’en matière sociale c’est des idées de l’auteur de Solutions sociales, de l’éminent fondateur du Familistère que sa rédaction déclare s’inspirer et vouloir se faire le soutien. Il a nom « i Anti-matérialiste^ » et son administrateur est un homme de convictions fortes.
- Nous le recommandons en conséquence à nos lecteurs. Son prix est modique (8 fr. pour un ah et 2 fr. 50 pour six mois), me de la Boucherie, 4, à Nantes.
- Sa devise : Naître, mourir, renaître encore, progresser sans cesse, telle est la loi, indique mieux que tous les discours l’esprit dans lequel il a été fondé.
- UNE IMPRESSION AU SALON DE PARIS
- Au temps où l’empire régnait en France et où l’église romaine inspirait l’esprit public et formait l’opinion, on voyait dans le salon une quantité énorme de toiles représentant des christs, des vierges, des saints et des miracles. A côté de ces toiles, on voyait d’autres tableaux consacrés aux faits de la guerre. L’empereur et les généraux y paraissaient en brillant costume; et seulement dans le lointain on apercevait quelques nuages de fumée, indiquant que là on se blessait et on se tuait : C’était le règne de la tyrannie. Alors la France avait un maître assumant à la fois tous les pouvoirs et toutes les responsabilités. Et les peintres, eux-mêmes, subissant cet esclavage et humiliant leur génie ou leur talent, prostituaient leur travail à l’adoration d’un homme et de la superstition.
- Aujourd’hui l’art est libre, démocratique et populaire.
- Parcourez le salon de 1882. Voué y rencontrez la vie du peuple, celle de ses douleurs et de ses joies.
- La lutte guerrière ne se personnifie plus dans la personne d’un général ; le peintre nous montre l’image vivante des soldats, des sous-officiers et de leurs chefs combattant avec ardeur pour défendre leur patrie,
- L’art ne défie plus un homme ou une dynastie ; l’art est démocratique; il appartient au peuple et représente sa Vie.
- L’art ne nous présente plus les images de la superstition et de la fable ; il fait voir à nos yeux les réalités de l’activité humaine.
- L’art a étudié Ce qu’il y a de positif dans la vie de l’homme ; et les artistes savent nous montrer ie travail dans sa vraie manifestation. Tantôt c’est le forgeron robuste frappant sur son enclume avec son lourd marteau ou organisant la grève pour combattre la tyrannie d’un patron injuste. Tantôt c’est le laboureur suant et géhennant sous un soleil de feu. Tantôt G’est le pêcheur luttant contre la tempête et s’efforçant de ramener sa barque au rivage.
- Et cet art démocratique ne représente pas seulement les sueurs du travail de l’homme; fi nous montre aussi ses fêtes et ses joies. C’est ie foyer de la famille avec les bambins qui jouent aux soldats, à la maman ou à la poupée. C’est le grand-père entouré de ses petits enfants et leur contant quelque jolie histoire. G’est le dîner de famille, où Ton rit tout de bon et où l’on boit à la santé des parents et des amis.
- Il y a là un progrès sérieux. L’art sort de la routine. Il ne vit plus dans un idéal fondé sur le faux ;
- p.287 - vue 288/836
-
-
-
- 288
- LE DEVOIR
- il ne se traîne plus sous le joug d’une tyrannie acceptée et adorée. Il a conquis sa liberté ; il respire à pleins poumons et s’identifie aux réalités de notre vie de travail et de progrès.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- Le 27 avril. — Charles -Joseph Roolf, fils de Roolf Joseph et de Nicolas Astrée.
- DÉCÈS :
- Le 30 avril. — Gosset Alfred, âgé de 8 mois.
- » v Duchateau Désiré, âgé de 73 ans.
- JLa « Fée lienard »
- Tout Pékin est en émoi, dit le North China Herald. On vient de découvrir que des vols ont été commis au palais d’Hiver, dans la résidence môme du Fils du Ciel et de la famille impériale de Chine. La vénération dont l’empereur de Chine est entouré, vénération qui touche à l’idolâtrie, l’inaccessibilité apparente des remparts du palais d’Hiver, la rigueur des réglements concernant l’admission aux différentes entrées de la résidence impériale et les ordres que reçoivent ses innombrables gardiens , tout semblait rendre impossible un pareil attentat.
- Les découvertes qu’on vient de faire au sujet de ces vols sont d’une nature extraordinaire. Les murailles du palais d’Hiver de même que celle de la cité mandchoue, sont flanquées de bastions ou tours de garde, mais ces constructions n’ont en réalité qu’un caractère décoratif ; de loin, elles sont imposantes : de près, elles offrent l’aspect de vide, de l’abandon, de la saleté à l’intérieur. Il parait que depuis quelques années les bastions du palais d’Hiver servaient de refuge à des bandes de voleurs, qui ôtaient parvenus à se faire protéger et aider par les ennuques impériaux.
- Quelquefois on avait aperçu des lumières qui brillaient à travers les meurtrières ou les fenêtres des tours, et les officiers de garde, étonnés, s’étaient demandé si ces tours étaient habitées. Ils questionnèrent les ennuques; ceux-ci confirmèrent l’histoire des lumières, mais cherchèrent à expliquer le mystère en racontant que la Hn-Hsien fée Renard se promenait là avec sa torche allumée. Il peut sembler incroyable que les officiers du palais aient pu être assez simples pour ajouter foi à cette fable, et que les ennuques aient eu l’audace d’abuser à ce point de leur superstition.
- Mais la croyance au renard est loin d’être éteinte en Chine ou même au Japon. On attribue au renard, dans ces pays, des vertus merveilleuses et surnaturelles ; entre autres avantages, le renard a celui de pouvoir prendre la forme d’une femme, quand il a atteint l’âge
- de cinquante ans, et celle d’une belle jeune fille quand il a cent ans. Il lui est aussi loisible de se changer en sorcière; à l'âge do mille ans il est admis au Paradis où il devient un être céleste.
- Grâce à cette superstition, les voleurs ont dévalisé dos chambres entières du palais d’Hiver. Ils ont emporté, on ne sait où, des chaînes massives en bronze et en cuivre, avec des lourdes plaques d’or et une foule d’objets de prix. Les vols se sont également étendus à la grande bibliothèque d’Hanlin-Ynen, qui renferme des milliers d’ouvrages de philosophie, d’histoire, de géographie, de jurisprudence, de théologie. On a trouvé les éditions impériales des ouvrages classiques complètement mutilées. Toutes les larges marges en papier blanc de ces livres de luxe avaient été soigneusement coupées, puis vendues à Pékin même.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- L’Association riüil I C?T É B ET DE Guise
- du rAHlILloi tnb caisnb)
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne).
- L’ÉCOLE
- REVUE DE L’INSTRUCTION PRIMAIRE, PARAISSANT LE DIMANCHE
- Directeur : J. SAINT-MARTIN, député.
- Pédagogie théorique pratique.— Sciences naturelles. — Leçons et devoirs. — Programmes et matières des examens pour les brevets et le certificat d’aptitude. — Morale civique.— Histoire. — Littérature. — Musées scolaires. — Correspondance. — Variétés. — Gravures dans le texte.
- 6 fr. par an. Les abonnements partent du l6* de chaque mois. On s’abonne en envoyant un mandat-poste à l’ordre de M. PICARD-BERNHEIM o iÿ, IL rue Soufïlot, à Paris.
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.288 - vue 289/836
-
-
-
- Le numéro leldomadaire 20 c. DIMANCHE 14 MAI 1882.
- J. ANNÉE. TOME 6 — N* 192
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- bureau
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par l'envoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . Six mois . . . Trois mois . .
- 40 fr. »» 6 )>» 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm. w m f*§s§
- Le journal <c LE DEVOIR » est envoyé gratuitement k titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Discours de M. Godîn. — Récompenses aux Travailleurs. — Faits politiques et sociaux. — La Fête du Travail. — La Loi des salaires, — Congrès de la Ligue de l'enseignement. — Le Magnétisme. — Etat civil du Familistère.
- FÊTE DU TRAVAIL
- Célébrée au Familistère le Dimanche 7 courant
- Discours de M. GODIN
- Mesdames et Messieurs,
- C’est aujourd’hui le premier dimanche de Mai, jour <lQe nous avons consacré à la célébration de la fête du Travail.
- C’est l’occasion pour moi, mes amis, d’évoquer les grandeurs et les sentiments que renferme la Pensée de cette fête. C’est l’occasion pour moi de Tenir devant vous exposer la pensée qui a présidé à Sa dation, et de rendre hommage à la haute fonc-
- tion que l'homme est appelé à remplir sur la terre par la faculté du travail que la vie nous a donnée.
- Que je voudrais pouvoir faire partager au monde entier les sentiments que je professe à l’égard du travail ! Comme je serais heureux si je voyais l’opinion publique s’élever à l’idée que le travail est le moyen de "rédemption de l’homme et du salut du monde.
- Il m’a été donné de contempler le travail sous un nouvel aspect; il m’a été donné de voir le travail non-seulement dans son passé mais aussi dans son avenir.
- Dans le passé, j’ai vu l’homme placé sur la terre au milieu de la nature vierge; alors les champs étaient incultes ; les maisons n’étaient pas bâties ; l’homme n’avait ni charrues pour labourer la terre, ni outils pour travailler ; il devait vivre des produits de la chasse et de la pêche, des fruits sauvages, des racines et des plantes potagères. Les hommes mangèrent d’abord la chair et les poissons crus. Heureux les peuples pasteurs qui avaient des vaches et des brebis ; le lait et le miel pour douceurs. Si nous nous représentons nos premiers pères dans cet état, exposés aux injures du temps, sans autre vêtement que des peaux de bêtes, sans habitation, obligés de se réfugier dans des cavernes creusées dans le sol ou sous de misérables huttes bâties de terre et de branches d’arbres, nous pouvons mesurer la distance qui nous sépare de ces souffrances primitives.
- Combien de temps, combien d’efforts il a fallu à l’homme pour effacer son ignorance de toute chose, créer les métiers, faire les premiers outils. Longtemps les métaux ont été inconnus; les tranchants étaient faits avec de la pierre ; les outils étaient en os ou en bois dûr.
- p.289 - vue 290/836
-
-
-
- 290
- LE DEVOIR
- Au milieu de -cette pauvreté la pensée du vol est entrée dans les mauvais esprits; les plus méchants sont allés piller leurs voisins. La guerre s’est ainsi établie parmi les hommes. Après avoir pris les troupeaux, on a pris les êtres humains; on les a réduits en esclavage et ils ont été contraints de travailler au seul profit des conquérants.
- Dès lors la tyrannie et la servitude ont accablé le monde. Tout le passé de l’humanité n’a été qu’un long martyre que les hommes se sont imposé les uns aux autres par l’injustice et le crime.
- La Révolution française a secoué le joug de cette servitude; une ère nouvelle a commencé pour les peuples, et c’est au nom de la liberté et de la République que nous pouvons aujourd’hui fêter le travail.
- Oui c’est la Révolution française qui a ouvert l’ère des bienfaits du travail libre et des travailleurs libres. C’est elle qui, en sapant par la base le principe de la royauté, a ouvert la porte au régime du droit des peuples et à la République universelle. Car la France ne restera pas seule républicaine en Europe; et une fois que la royauté sera extirpée des nations, tous les peuples se tendront la main. La paix générale s’établira entre eux, parce que leurs véritables intérêts leur commandent d’être unis.
- Seuls les rois et les dominateurs des peuples ont intérêt à la guerre. Seuls ils ont besoin de la guerre pour occuper l’attention des peuples et empêcher les revendications légitimes. Seuls ils ont besoin de la guerre pour satisfaire leurs vaines et criminelles ambitions.
- Bientôt les nations européennes, converties à la République, mettront fin à ce despotisme et la paix établie entre les peuples ouvrira une ère de prospérité sans égale.
- Je viens de dire que c’est à la Révolution française et au principe républicain que la France doit sa situation présente II suffît de se porter seulement à cent ans en arrière pour constater les progrès accomplis. Il suffît de se rappeler ce qu’était la vie de nos aïeux : servitude, pauvreté, dénûment. Pour les privilégiés d’entre eux la toilette se composait d’un unique habit qui servait à plusieurs générations. Nos arrière-grand’mères portaient des jupons de serge qu’aucune ouvrière ne voudrait porter aujourd’hui.
- L’habitation s’est transformée dans des proportions moins accusées que le vêtement; néanmoins elle se construit aujourd’hui en matériaux solides, au lieu de se faire en bois et en terre.
- Nos voies de transport, chemins, routes, etc, iTont plus rien de comparable à ce qu’ils étaient. Les chemins de fer sont un progrès immense.
- ! A quoi tout cela est-il dû ? Au travail libre, aux travailleurs libres. Par conséquent, c’est à la Révolution française qu’en revient la première cause. Mais c’est aux efforts et à l’intelligence des travailleurs que sont dus tous les travaux accomplis; et c’est au travail que seront dus tous les progrès que l’avenir nous réserve.
- Yoilà pourquoi nous rendons gloire au travail parla fête annuelle que nous lui consacrons.
- Si maintenant nous nous considérons dans notre situation propre ; si nous comparons la situation de l’ouvrier membre de l’association du Familistère, à celle du travailleur d’autrefois; quelle différence plus considérable encore 1 v.
- Vous avez un palais pour maison. Le dénûment n’existe plus parmi nous ; l’aisance y croît peu à peu.
- Nous n’ignorons plus les procédés du travail;tous au contraire, nous en avons la pratique ainsi que celle de l’industrie. Nous possédons une immense usine dans laquelle nous créons sans cesse mille objets divers utiles à la vie,
- Tout cela est couronné par l’association du travail et du capital qui donne à chacun des membres de l’association les garanties nécessaires contre les accidents, la maladie et la vieillesse, avec la certitude de jouir des fruits de son travail par la participation aux bénéfices produits, dans la proportion des services rendus.
- Que reste-t-il donc à faire parmi nous ? De grandes choses. Jamais l’homme n’atteindra aux dernières limites de la perfection. Le plus pressé c’est de combattre l’ignorance qui, il faut l’avouer, est encore grande parmi nous.
- Nous avons la connaissance pratique ; il faut nous élever à celle de la théorie par l’étude et l’instruction.
- L’instruction, voilà ce qui manque parmi nous, notre association doit chercher à lui faire produire tout ce qu’il est humainement possible d’attendre de ses effets.
- Nous voulons vaincre l'ignorance par tous les moyens que la pédagogie et l’art de l’enseignement nous offriront. Le Familistère n’est certes pas resté en retard de bons procédés et de méthodes, mais nous voulons que l’Association fasse un suprême effort pour doter ses enfants du savoir nécessaire à la direction de ses affaires et, surtout, à la direction de l’œuvre morale de l’association que j’ai fondée entre vous.
- Le moment viendra, il faut l’espérer, où l’association du Familistère trouvera dans son propre sein les capacités suffisantes, où elle ne sera plus obligée de les aller chercher au dehors. '
- p.290 - vue 291/836
-
-
-
- LE DEVOIE
- 291
- C’est en vue d’atteindre ce but que nous construisons de nouvelles salles d’école pour la jeunesse du Familistère. La basse enfance jusqu’à l’âge de 6 à 7 aus va comprendre quatre classes maternelles au lieu de trois; et nous aurons cinq classes d’école au lieu de trois pour les élèves de 7 à 14 ans. L’éducation et l’instruction auront ainsi neuf salles d’écoles auxquelles s’ajoutent le préau couvert des écoles maternelles et la salle de dessin des classes supérieures.
- Chaque salle de classe aura son professeur. Il y a donc lieu d’espérer qu’avec l’aide de la Toute-puissance qui envoie les âmes sur la terre, nous forme-rons de bons élèves. Car c’est un point dont il faut tenir compte, l’enseignement ouvre la voie aux intelligences, mais c’est la nature qui nous donne les sujets.
- En entrant dans cette voie nous n’avons pas voulu nous en tenir là, nous avons proposé à la ville de Cuise de nous charger de l'édification, sur les terrains de l’assoeiation du Familistère, d’une Ecole primaire supérieure de trois à quatre années, avec pensionnat.
- Plusieurs plans sont déjà établis et nous espérons qu’une entente prochaine nous permettra de doter la ville de Guise d’une école nouvelle, établie d’après les plans nouveaux de l’enseignement républicain.
- De son côté la ville aura à créer de nouvelles écoles primaires, car celles existantes sont insuffisantes pour donner place à tous les enfants qui, aujourd’hui, doivent recevoir l’instruction.
- Il n’est pas possible que les écoles primaires de la ville restent avec 90 enfants dans une même salle, sous la direction d’un seul maître,comme cela existe aujourd’hui, lorsque l’Association du Familistère donnera l’exemple de classes ne contenant que 30 à 34 élèves.
- Car il ne faut pas compter que l’école primaire supérieure que je propose d’édifier, ait pour conséquence de décharger la ville d’une partie de son enseignement primaire. Non, il s’agit d’une institution qui, au contra're, ne sera ouverte qu’aux élèves ayant subi des examens et ayant été, après concours, jugés capables de recevoir l’enseignement professé dans cette école supérieure.
- L’école primaire professionnelle supérieure comprendrait :
- Quatre classes d’école;
- Deux salles d’étude;
- Une salle de dessin;
- Une salle de chimie;
- Une salle de physique;
- Une salle d’exposition de minéralogie, d’histoire
- naturelle et des produits du pays; musée scolaire;
- Un gymnase;
- Le logement du directeur ;
- Le réfectoire, les dortoirs et tous accessoires en dépendant.
- Cet établissement aurait donc pour unique objet de donner à la ville de Guise une institution supérieure dirigée dans le sens professionnel. Le dessin industriel, la chimie et la physique y seraient des cours très cultivés.
- Permettez-moi ici une observation. On parle beaucoup aujourd’hui d’enseignement professionnel; je pense qu’on se fait un certain nombre d’illusions sur ce sujet. Il est facile d’établir des ateliers de forge, de serrurerie, de menuiserie, enfin tous les ateliers pour travailler les métaux, le bois et répondre aux professions variées à l’infini. On peut garnir ces ateliers d’outils de toutes sortes, mais ce qui est beaucoup plus difficile, c’est d’avoir des professeurs capables d’enseigner dans toutes ces professions,Lorsqu’on ne fait que concevoir théoriquement les choses, les difficultés sont loin de se révéler comme lorsqu’on veut entrer dans la pratique. Or, certaines personnes pensent qu’on trouvera des professeurs à peu près universels, capables de donner des leçons dans presque tous les métiers ; c’est là une profonde erreur. Il faudra bien du temps pour former des pro^ fesseurs réellement capables de donner les véritables notions élémentaires dans chaque profession. Car cela ne pourra s’obtenir qu’avec des hommes d’une supériorité réelle; et ceux-ci de longtemps encore, ne surabonderont pas dans l’enseignement qui doit précéder l’étude pratique des professions.
- Dans le désir de voir avancer l’instruction, on est porté à trop espérer des maîtres ou des professeurs; bientôt ceux-ci devaient être capables de tout enseigner et il faudrait qu’ils enseignassent tout. Cela n’est pas possible; non-seulement l’activité d’un homme a ses limites, mais les facultés de réception des élèves ont aussi les leurs. Le cerveau de l’enfant ne peut pas tout embrasser à la fois.
- Il est un côté de l’enseignement pédagogique qui a une importance considérable pour l’initiation de l’élève aux opérations professionnelles, c’est le dessin linéaire,c’est la pratique approfondie de l’équerre et d u
- I compas, pour rendre sur le papier l’idée des objets, au point de vue de la conception de détail et d’ensemble, en même temps que de l’exécution. Yoilà le véritable côté professionnel que toutes les écoles doivent cul-tiver. La pratique des arts manuels doit venir en-
- I suite.
- Mais si je considère que des ateliers joints à i’é-! cole primaire ne sont pas susceptibles de donner des
- p.291 - vue 292/836
-
-
-
- 292
- LE DEVOIR
- résultats fort avantageux quant à présent ; il n’en est pas de même des visites que les élèves pourraient faire dans les grands établissements d’industrie, où toutes les professions principales sont exercées. Sous ce rapport, la ville de Guise offre des ressources que peu de villes possèdent.
- Nos établissements industriels, l’établissement de l’Association en particulier, offriraient aux élèves de l’école primaire supérieure de puissants moyens d’initiation aux notions de la pratique.
- L’étude du dessin industriel en habituant l’élève à l’usage de l’équerre et du compas, en lui faisant bien comprendre tous les rapports des lignes et des plans, l’étude du dessin, dis-je, servirait à graver dans son esprit les choses qu’il aurait vues. Le dessin serait véritablement le point de départ essentiel au développement de l’intelligence industrielle. Rien n’est meilleur pour se former à la pratique que de voir l’industrie en action, d’étudier le fonctionnement des machines et outils qu’on a tracés, de voir exécuter les objets qu’on a dessinés.
- Une séance bien employée dans un grand établissement industriel comme celui de l’Association du Familistère, sous la conduite de leurs professeurs et avec l’aide des ingénieurs de l’usine, en apprendrait plus aux élèves que vingt séances de classe sur les mêmes sujets ; ou plutôt la visite d’un établissement d’industrie est le vrai moyen de rendre profitables les séances de classe, en consacrant celles-ci à la démonstration détaillée des choses qu’on a eu le soin de signaler aux élèves dans les ateliers.
- Voilà ce que je voudrais établir, non-seulement pour le Familistère, mais pour la ville de Guise tout entière. Je voudrais voir utiliser pour l’enseignement professionnel les grandes ressources de l’usine et celles des différents établissements d’industrie que la ville possède : filature, tissage, sucrerie, etc.
- On travaille chez nous tous les métaux. La fonderie de fer est la base de la production de l’usine. Trois grands cubilots y emplissent journellement de fonte les moules faits soit par les machines soit par la main de l’homme, pour la production de toutes sortes d’objets d’ameublement. A côté de cela, les forges montrent le travail du fer et de l'acier. La construction mécanique fait voir ie travail d’ajustage. La fonderie de cuivre donne tous les objets de ce métal, nécessaires aux machines et à la fabrication. La fonderie de fonte malléable produit les pièces délicates ayant besoin de solidité et que l’exécution en fer rendrait trop coûteuses.
- Des visites fréquentes faites par l’Ecole dans ces ateliers où toutes les professions s’exercent, per-
- mettraient aux élèves d’étudier les mille détails que ces opérations industrielles embrassent : fonderie de fer, de cuivre et de fonte malléable; tour; ajustage; construction mécanique; création des modèles ; travail du zinc, du fer blanc, de l’étain, du plomb, da nickel par la galvanoplastie; emboutissage ; céramique des terres réfractaires; vitrification des émaux ; fabrication enfin des mille objets d’ameublement que produit l’établissement.
- Le bois s’y utilise sous toutes formes ; il entre en grume dans l’établissement ; il passe par des scieries mécaniques puissantes; il est converti en objets de menuiserie, de charpente, de charronnage.
- Un atelier de bourrellerie fait le travail du cuir pour les courroies des machines et les harnais des attelages.
- Six machines à vapeur fixes de différents systèmes et quatre locomobiles peuvent servir d’exemple et de démonstration dans les séances sur l’emploi de la force motrice.
- En outre, l’école possédera un musée scolaire où seront exposés les produits agricoles et d’histoire naturelle du pays.
- Il est donc difficile de trouver un plus vaste cadre pour l’enseignement professionnel. Voilà pourquoi j’ambitionne de fonder à Guise une Ecole primaire ^supérieure, professionnelle, sous le patronage de la ville, de l’Association du Familistère, du département et de l’Etat.
- J’espère que l’importance et le mérite de ce projet seront compris. J’espère que mes intentions ne seront pas dénaturées par la malveillance. Il faudra bien qu'un jour les esprits les plus rebelles se rendent à l’évidence et finissent par reconnaître que tout ce que j’ai fait ici se confond avec l’intérêt communal et l’intérêt public. Le Familistère et l’usine tout entière doivent être, dans un avenir prochain, la propriété des habitants. Déjà plus de 800 personnes y ont des parts d’intérêt. Ne voit-on pas qu’avec les institutions que je propose et l’établissement mis aux mains des travailleurs eux-mêmes, l’association du Familistère sera une institution d’utilité publique ? Les rivalités qu’elle a soulevées n'apparaîtront plus alors que comme de tristes effets de l’égoïsme individuel.
- Voilà, mes amis, ce que je propose de faire en vue de la prospérité de notre ville et en vue de la gloire du travail et des travailleurs. Car il ne faut pas perdre de vue que toutes ces écoles ont pour but de développer les intelligences, delespourvoir des notions qui peuvent les conduire rapidement à bien comprendre la bonne pratique industrielle et agricole du pays.
- p.292 - vue 293/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 293
- C'est enfin ainsi qae nous verrions naître dans la ville de Guise des ingénieurs, des contre-maîtres, des ouvriers habiles, intelligents, en même temps que nous donnerions à l’agriculture des hommes pourvus d’une éducation solide et en état de concevoir et de pratiquer les méthodes que le progrès réalise peu à peu.
- C’est à cette œuvre que je convie toute l’assemblée qui m’écoute, et la municipalité de Guise en particulier.
- RÉCOMPENSES AUX TRAVAILLEURS DE L’USINE
- Je vais proclamer les noms des ouvriers et employés qui se sont particulièrement signalés par les services rendus à l’Association et qui, par ce motif, sont portés à l’ordre du jour des récompenses statutaires.
- Il doit être bien compris que cela ne donne pas lieu aujourd’hui à la distribution des récompenses, celles-ci devant être ajoutées aux titres de répartition des bénéfices qui ne peuvent être arrêtés qu’après l’inventaire du 30 juin prochain.
- Quoi qu’il en soit, je puis dire dès aujourd’hui qu’il sera attribué au moins quinze mille francs à cette répartition, en sus des bénéfices auxquels aura droit chacun des membres que je vais nommer.
- Innovations et propositions utiles
- MM. Poulet, Louêl, Gras Prosper, Défontaine-Quest, Dossogne Fernand, Duval, Dutailly, Meunier Gustave, Roppé César, Andrieux, Lefèvre Séverin.
- Employés et ouvriers signalés pour leur boa travail et lent* a»»iduité
- 4° Service commercial et bureaux.
- MM. Régnier, Liénard, Moyat, Gaucher, Boeheux, Buire, Bourdanchon, Haraux, Blanche, Beaufort.
- 2° Fonderie.
- MM. Hennequin Joseph, Proix Aimé, Proix Denis, Lavabre Jean-Baptiste, Godériaux père, Hennequin Amédée, Coupé Ernest, Cartigny Léon, Dirson Edmond, Mismaque fils, Froment Louis, Anstelle Edmond, Allart Eugène, Lavabre Armand, Laporte Emile,Marchand-Boussus,Blancaneau Adonis,Champenois père, Godériaux Elie fils, Sarrazin Alphonse, Cartigny Jules, Coupé Alfred, Coupé Alexis, Carti-gny Emile, Grosch Guillaume, Dessein Henri, Proix Emile, Madame Garbe Govin.
- Mm. Cellet Jules, Coupé Constant, Auvert Arthur, Macaigne Emile fils, Hennequin Henri, Hamel Ernest Champenois fils, Casseleux Edmond* Legros Maxi-
- min,Dupont Fontaine, Lardier François ;
- M®es Aillot, Gordien, Damiens, Proix Denis.
- 3° Matériel et Constructions.
- MM. Louis Edmond, Maréchal Florent, Baillot Virgile, Dequenne père, Yiéville Auguste, Lefèvre Alexandre, Flamant Adolphe, Jason Aimé, Evens Jean, Dubois Poulet, Léguiller Louis, Judas Paul, Louis Albert, Lambert Edmond, Pourrier Joseph, Louis Edmond fils, Foubert Alphonse, Dndin Ulysse, Deflorenne Auguste, Hébert Marcel, Magnier Constant, Détrez Ernest, Bourbier Jules, Fleury Paul, Alavoine Ernest, Duval Louis.
- 4° Ajustage et modèles.
- MM. Quent Aimé, Roger Pruvost, Duval, Leclercq Eugène, Quent Léon, Dassonville Charles, Nicolas Joseph, Grandin Jules, Quent Victor,Magnier Victor, Laporte Louis, Poquet Ernest, Leclercq Alexandre, Jumeau Victor, Petithomme Eugène, Peteaux Léon, Aillot Jules, Beaurain Edmond, Roppé Adolphe, Jouron Léonard, Maillet Léonard, Lefèvre Severin, Delhaye Alphonse, Dutailly Arthur, Chanoine père, Walton Louis, Froment Henri, Hamel Eugène, Magnier Jules, Ancelet Joseph, Tardier Maxime, Jumeau Eugène, Rousseau Narcisse, Vitou Léon, Froment César, Routier Joseph, Quignon Arthémis, jDuclos Joseph, Lannoy Paul, Lemaire fils, Damiens Henri, Carlier Adolphef Simon Arthur, Lhote Henri, Louvet Alfred, Roppé César, Poulet Mortier, Gode-riaux André, Rousseau Joseph, Bacquet Alexandre, Berlémont Etienne, Richardin Ernest, Fournier Jules,Dorge Albert, Larmoyeu Florus, Jumeau Emile, Collard Forcade, Mabilotte Louis, Poulain Joseph, Andrieux Edourd, Mérieux Arsène, Arnold Louis.
- 5° Emaillage.
- MM. Lefèvre Emile, Legrand, Nicolas Jules, Lou-chet Prosper ; Mmes Legrand Duchemin, Rousseau Adolphe; Mlle Aillot Marie.
- MM. Lannoy Désiré, Louis Léon, Berlémont Victor, Chevrier Alexandre, Senez Joseph.
- 60 Services divers.
- MM. Lefèvre Iréné, Godin Adolphe, Merda Camille, Gras Prosper ;.Mme Govin ; MM. Gambier Aimable, Leroy Charles.
- 7° Services du Familistère.
- MM. Défontaine Gustave, Rousselle, Briquet, Doyen. Mmes Roger Pruvost, Défontaine Quest, Dirson Edmond, Cartigny Journaux.
- 8° Usine de Laehen.
- MM. Gauchet Antony, Bourgeois Benjamin, Daihez, Berghmans Egide, Van Gelderen Simon, Faure Léopold, Duval Jules, Ketels père, Lievens Jean-Baptiste, Lecail Alphonse, Willhems, Devischer Aîné ; Mme Vanoppar.
- p.293 - vue 294/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 294
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- ANGLETERRE
- Contrairement à ce que font généralement les hommes âu pouvoir qui se croient volontiers infaillibles, M. Gladstone avait donné un grand exemple, en reconnaissant qu’il s’était engagé dans une fausse voie relativement à l’Irlande, et en"mettant en liberté M. Parnell et quelqitès-uns de ses compagnons de captivité et en changeant le secrétaire d’Etat pour l'Irlande.
- A révolution évidemment libérale du ministère Gladstone dans la question irlandaise, à la mise en liberté des députés incarcérés, l’Irlande répond par l’assassinat du nouveau représentant de i’Angleterre.
- Lord Frédérik Cavendisch, secrétaire en chef, et M. Thomas Burke, sous-secrétaire d’Etat, pour l’Irlande, se promenaient dans Phœnix-Park lorsqu'une voiture s'arrêta auprès d’eux.
- Quatre hommes étaient dans la voiture. Il en descendit deux qui se jetèrent aussitôt sur lord Cavendisch et sur M. Burkeî et leur .enfoncèrent un poignard dans la poitrine et dans le cou, frappant à plusieurs reprises leurs victimes qui ne succombèrent qü’après une longue lutte.
- Les assassins prirent immédiatement la fuite et jusqu'à présent la police n’a encore découvert aucune trace.
- Les corps des victimes ont été retrouvés horriblement mutilés, étendus au milieu d’uue mare de sang.
- Là nouvelle de ce crime a causé une grande émotiôh à Dublin et à Londres.
- Lord Cavendisch était le frère du marquis d’EUrtington, ministre des Indes ; il était âgé dè quarante-six ans.
- A première vue, cet événement doit amener ou la chute du ministère Gladstone ou la reprisa du système de compression et de répression-, peut-être ces deüx éventualités se produiront-elles.
- M. Y
- La question î>3*jri«4iï3)S feü, •—
- On écrit à P Electeur libre :
- Le gouvernement d’Alexandre III a cherché jusqu'aujourd’hui à saliver l’absoluiisme Impérial. Il suit uhe politique qui n’ën est pas une, puisqu’elle n’a ni pria cipe, ni méthode, ni but; tantôt penchant vers les pans-lavis tes, tantôt vers là politique rtisso-àllërnande, ayant 4 lutter à l’intérieur avec la plus terrible dés institutions secrètes, à l'extérieur cherchant inutilement des alliés, le gouvernement rüssê vit au jour le jbur, comme un négociant qui sent sur sa maison peser la banqueroute.
- La Russie est le pays des grands problèmes sociaux : le plus grand peut être de ces problèmes, le plus difficile à résoudre, c’est la question des paysans. En ce moment, une commission prétend s’occuper du sort des serfs affranchis; mais rien ëheore,aucuüe réforme,auéün projet n’a vu le jour; à peine si, en dbuze mois, o‘n a voté une somme ridicule pour le rachat des rentes. Une pierre dans un gouffre. Cela paraît invraisemblable, et cependant c’est un fait : aujourd’hui, après vingt. ans d’usage de sa liberté, le paysan russe est plongé dans une misère plus grande qu'à l'époque de son affranchissement. Les causes du mal sont diverses : d’abord la négligence et le laisser-aller du paysan, son penchant à l’ivrognerie,et son manque total d’éducation et d’instruction; puis, le système d'administration communiste des districte et surtout les charges exagérées que supporte la propriété, les intérêts (dits d’amortissements) payée par le paysan à l’Etat et enfin lés lourds impôts.
- L’ukase des 16 et 29 février 1861 et celui des 16 février 1861 et leli mars 1863 disent :
- « Tout paysan* attaché à une terre royale, seigneuriale ou particulière est libre. II recevra, suivant la valeur du terrain, trois ou quatre « dessyatines » (de douze à vingt jours) de terrain, en toute propriété. »
- Le paysau devait payer, à celui qui lui faisait la ces-
- sion, une certaine redevance dont l'intérêt courant à 6 0/0 devant lui mèmè s’ajoütôr au capital. Mais, comme malheureusement (ou du moins à peu d’exceptions près) le paysan, ne possédait rien, le gouvernement s’engagea à indemniser les propriétaires territoriaux,et les paysans de leur côté, s’engagèrent à payer à l’Etat, péndant quarante-neuf ans, une rente d'amortissiment en remboursement de la somme avancée. Cetté cession des terres n’eut pas partout lieu de la même manière : en Pologne, par exemple, la cessation fut forcée, on voulait ainsi ruiner la noblesse. Les terres furent cédées à vil prix et la rente fixée à 3 0/0; les terres sont de la sorte aujourd’hui presque libre de leur redevance. La question des forêts et des pâturages est eh Pologne, eh Lithuanie et dans la petite Russie"/ seule encore en litige. Dans le reste de l’empire, la cession des taries ne fut pas obligatoire, le prix de vente fut fixé par le propriétaire et taxé très haut; l’Etat jouait le rôle de médiateur.
- Au pfemier janvier 1879, il y àvàit en Russie 1,768,000 familles de paysans, c’est-à-dire de 4 à S millions d’âmes (un cinquième*de là population qui étaient sans terres. Les autres sont encore aujourd’hui en possession de petites parcelles de terre qui, à vrai dire, suffisent, dans la région dite de Terre noire, à l’entretien d’une famille, mais qui, dans les steppes ou dans les régions Sablonneuses, entre Pétersbomq* et Moscou, sont bien insuffisantes. Ces quatre ou cinq millions d’individus sont donc à la merci de leurs anciens boyards.
- L’état de cette classe est encore aggravé par ce fait que la noblesse se décharge du fardeau des impôts sur les malheureux paysans. La noblesse russe ne joue en Russie aucun rôle politique,mais elle n’ett est pas moins une classe privilégiée.
- En Russie, les impôts directs, 176 millions de roubles, sont payés par les propriétaires et taxés plus ou moins haut suivant que la propriété foncière, appartient aü paysan ou boyard. L’un dans l’autre le paysan russe paie 13 roubles d’argent pâr tête, d’impôt file, et 1 rouble 1 ]ï pour chaque dessyatine* du sol qu’il possède^ Dans le Gubernium de Pétersbourg, les impôts sur les terres dépassent de 134 0/0 le revenu brut; dans celui de Moscou^ de 209 0/0. Dans le Gubernium de Nowo-gorod, le revenu des paysans s’élève à 2,680,000 roubles d’argent ; en plus, ils arrivent à gagner 8,885,000 roubles par un travail autre que celui du sol ; mais ils paient 3,278,136 roubles d’impôts divers, c’est donc 600,000 roubles pris à leur travail, 600,000 roubles qui, à vrai dire, grèvent le sol chaque année. Il arrive souvent que, las de' payer, les paysans laissent leur teffe en friche.
- La plus gratide partie des paysans est eti retard dans le paiement des impôts et des intérêts d’amortissement. Dans le Nord, ils ont un passif de 50 0/0; à Moscou et dans la nouvelle Russie, de 20 à 30 0/0. A la suite de récoltes défavorables, cette situation s’est empirée, à un tel point que là rhisèrè est générale et qtie dâns les régions du Yolga les paysans se sont redonnés à leurs anciens mâîtrés. Us Sont redevenus serfs.
- ITALIE
- On écrit dé Rome âux « Etats-Unis â'Èiiropè » :
- Je ne sais vraiment dans quel code antihumain les juges du Tribunal correctionnel de Mantoue ont découvert qu’il n’est pas permis âux laboureurs d’avoir faim, moins encore de le dire ; mais il est de fait que ces juges sans entrailles ont condamué à un, à deux, à trois, à six mois de prison les mâlhëüfeux paysans qui, fatigués de travailler Îî heures par jour pour 80 et même pour 60 centimes à la culture meurtrière du riz, les pieds dans la vase el la tête aux rayons brûlants du Solèil, ont posé leurs bêches et se sont étendus par terre en s’écriant : « nous n’en pouvons plus ! »
- Le jdgèment du Tribunal de Mantoue ne tessemblé-Hl pas beaucoup à un jugement du Shah de Perse? A cette provocation des autorités chargées de rendre justice et dégénérées ën bourreaux, les paysans dës deux rives du Pô ont répondu en se mettant eh grève, plus nombreux qie jamais, d’un bout à l’autre des trois provinces limi-
- p.294 - vue 295/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 295
- troPhes : Vérone, Mantoue, Modène. La grève s'étend aussi à Femme. Ii faudra Lieu dé Ja êürde et du savon nour pendre tous les a manans » qui se permettent S'avoir faim. Et puis?...
- Le gouvernement, de son côté, se charge de gaspiller l’argent soutiré aux laboureurs : ia Chambre vient de voter de gaîté de cœur 127 millions de francs de dépenses extraordinaires pbur l’artnéë, et, coiüme M. Depretis Fa dit à ceux qui demandaient plus**.*! ce n’est qu'un à-compte, le reste viendra après. » Mais rira bien qui rira lé dernier. Les laboureurs àffaffiês pourraient bien être tentés de punir les affameurs.
- A. U.
- ALLEMAGNE
- On lit daiis lés E lais-Unis d'Europe : *
- Le Reichstag qui s’est réuni le 27 avril s’est ajourné au 9 mai après avoir écouté, mais nullement applaudi, lé pids étrange discoürs du trône qii’on piiisse imaginer. Par quel artifice M. de Bismarck a-t-il réussi à faire endosser à son « auguste maître » la responsabilité his-türiqüe de ce fatras où îë socialisme d’Etat, hardiment mêlé au protectionnisme douanier par Faction puissante d’une forte dose d'esprit nobiiiaire et féodal, compose un programme qu’dn dirait inventé pour désespérer le prolétaire prussien, et rendre plus épais et plus rapide le courant de l’émigration? nul peut-être ne le saura jamais. Mdnopole du tabac; accroissement des dépenses militaires; protection de l’alcool; réorganisation des corporation ; augmentation des impôts indirects ; règlement sur la meunerie; promësses pacifiques; assurances contre les accidents et les maladies sous la main de l’Etat; augmentation inévitable du prix des matières premières et de tous les objets les plus nécessaires, tout semble calculé dans cette œuvre fantastique pour fourvoyer les Philistins, encourager les démocrates socialistes, précipiter la crisé. Que fera le Reichstag? et si le Reichstag résiste que fera le chancelier? Provisoirement lo Reichstag s’est tiré d’affaire en se donnant douze bons jours de vacances.
- . Au. moment même où le discours impérial inondait le Reichstag de ce débordement de socialisme d’Etat, le directeur de l’afrondissement de Mulhouse rappelait à ses administrés les dispositiens menaçantes de la loi de 1878 qui interdit toute souscription, toute cotisation, toute collecte socialiste. C’est qu’eil Allemagne nul n’a le droit d’être socialiste hormis M. de Bismarck et ses amis. Notons en passant qu’avant l’annexion le socialisme était à pëti près incoünü eh Alsace.
- L’Allemagne qui s’est hérissée de fortifications contré la France se hérisse de fortifications contre la Russie; la Russie fait dé inême Contre l’ÀHèinagiie. Là Èràhcé de son côté achève de coüvrir de fortifications contre l’Allemagne les deux vallées de la Meurthe et de la Moselle. Quels entassements de ciment et de moellons ! Que de canons, que d'obus* que de boulets ! Quel approvisionnement d’engins meurtriers ! Que de temps, que d’argent, què de travail bêtêxrieht dépensé par les peuples contre les peuples! Quelle pitié* quelle indignation, quel haussement d’épaules quand on pense que deux paroles de bon sôris, ét deux lighéS de justice : « L’Alsace et la Lorraine sont libres et ne relèvent que d’èlles-mêmes », auraient pu et pourraient encore combler ce gouffre de folié et de haine.
- * ¥
- On signale une découverte importante en Allemagne.
- R ÿ à un àh qüe lé docteur Halin de Rèlitlirigeh avait Cru découvrir à la surface d’un météorite, e’est-à-dire d’un fragment de planète, des traces de vie animale et végétale. Cette découverte vient d’être entièrement confirmée par le docteur Weinlaid. Celui-ci a examiné plus de 600 météorites et les a tous trouvés couverts ou même composés de pétrifications d’animacules ayant l vécp daps la mer et,,appartenant en général à une pé- I node anterieure à céüe des êtres qui ont vécu ou vivent î
- sur la terre. lis sont en général aussi beaucoup plus petits. Il est donc prouvé que les planètes sont habitées* et les théories de Darwin sur l’origine des espèces se trouvent confirmées une fois de plus.
- ¥ ¥
- Il existait dans le canton de Vaud un usage favorable aux criminels, et que l’on trouve dans le coutumier manüsCrit dé cô pays. Il élâit conçu dans léà terrhes suivants : « Si quelques hommes ou. femmes à marier viennent à commettre des crimes* pour lesquels ils soient adjugés à mort, icelle adjudication nonobstant, s’il vient une fille ou un fils, seloh le sexe de conjonction, qui n’aurait été marié, requérir à la justice le condamné pour l’avoir en mariage, il lüi sera délivré sans prendre mort, et abandonné en liberté et franchise, etc., etc.
- La personne qui délivrait ainsi le criminel était aùssi teilüe de payer les frais du procès; *
- D ns le xvne siècle, un jeune homme, coupable de vol, fut condamné à être pëndù à Grbé ; Une fille voulant lüi sauver la vie, se rend au lieu de l’exécution,-réclame la coutume du pays en faveur du.patient, en s’offrant à l’êpoüsër. Gë inaiheürëüi était déjà sous lé gibet. Il regarde celle qui lui apportait avec tant dé générosité une espérance de salut, et l’ayant fixée un instant, il frappe sur l’êpàüië dii bourreau : « Compère, mon arni,- lüi dit-il, allons notre petit trairn elle est borgne. Puis, montant lestement l’échelle, il subit sa sentence.
- Les élimina, 1 ress
- Nous avons à rendre compte aujourd’hui à nos lecteurs de la seizième fête du Travail célébrée au Familistère. Comme les aimées précédentes, auï approches de ce grand jour, toutes les têtes travaillent pour trouver des éléments nouveaux de plaisir et d’attrait, et l’on en cause dans l’intimité du foyer plusieurs jours à l’avance. Cette année l’arrivée dès le jeudi de nombreux marchands forains, manèges et bateleurs venant s’installer sur la grande platie devant le palais a donné pendant trois jours une animation endiablée à ce site d’ordinaire paisible et calme. La présence de ces nombreuses baraques fait de cette place un diminutif de la foire au pain d’épices ou des fêtés des environs de Paris et imprime à la grande solennité du Familistère un cachet moins privé, moins exclusif qu’aUparavant. Nous avons cru remarquer d’ailleurs che2 ces nomades de la vie une certaine surprise en présence d^iine population ouvrière si assidue au travail, si calme d’allures dans ses plaisirs, si régulière en tout, spectacle noitveàu pour eux habitués au désordre dés foules, aux excën; tricites dès agglomérations du peuplé surexcité, au tumulte, à la confusion, au bruit. Ici, ils regardent quelque peu déroutés cet ordre dahS le plaisib, cëtte régularité dans lès réjouissances, cette dignité niêmè dans lés élans énthôûsiâstés de lâ joie. Pour cês
- p.295 - vue 296/836
-
-
-
- 296
- LE DEVOIR
- gens qui passent leur vie à se donner eux-mêmes en spectacle, ce spectacle est utile et bon, et il pourra porter à la longue des fruits moralisateurs et salutaires.
- Quoiqu’il en soit, quelques-uns de ces industriels installés à la bâte commençaient leurs opérations dès le vendredi soir, pendant que les habitants du Familistère, soit à l’Usine soit dans leur intérieur, activaient les préparatifs de la fête ; confection de trophées, tressage de guirlandes, disposition de tous les innombrables accessoires de l’ornementation et de la décoration. Aussi dès le samedi, la cour centrale du Familistère est-elle en pleine activité. Sur toutes les faces, et aux quatre pans coupés de la galerie, les menuisiers installent les tréteaux destinés aux trophées décoratifs que chaque atelier dispose à son gré avec une émulation, un entrain plus grands encore que les années précédentes. Nous assistons cette année pour la première fois nous-même à cette grande solennité du travail; tout ce que nous voyons nous frappe donc plus vivement, comme de juste, qui la plupart de ceux qui en ont déjà été témoins. Mais de l’aveu même des plus anciens, ce zèle, cette ardeur apportés par tous à la préparation de la fête sont signalés cette fois par une recrudescence d’excellent augure pour l'avenir, et l’on entend dire partout que l'âme du fondateur doit être satisfaite de cette manifestation de surabondance de vie communiquée désormais à son œuvre. Ce progrès est assurément une des meilleures récompenses de son labeur et des sacrifices d’une existence si bien remplie. Nous savons combien la prévision des hommes sont souvent trompeuses; mais nous croyons cette fois être dans le vrai en affirmant que, plus nous irons et plus le dévouement de cette heureuse population ira en grandissant, et se montrera à la hauteur du rôle que ces heureuses circonstances lui ont tracé dans l’humanité.
- Le Conseil de gérance cette année, mû par un sentiment très humain et très juste, avait pris une décision qui l’honore. Préoccupé du sort des travailleurs très chargés de famille et qui, dénués de tout, vivent au jour le jour, en touchant quotidiennement leur salaire, il a compris que le chômage du lundi pouvait être pour eux une cause de privations au lieu d’un plaisir, et en conséquence il a décidé que tous les ouvriers de l’usine placés dans ce cas recevraient intégralement une allocation égale à leur salaire. Ainsi, pendant que les uns se réjouiront et fêteront la grande solennité, les autres n’y trouveront pas un surcroît de misère et de gêne, et toute préoccupation de nature à troubler la joie commune étant
- écartée de la sorte, c’est dans les cœurs aussi bien que dans l’établissement social que la fête est célébrée.
- Elle a donc été joyeusement inaugurée le samedi soir par une retraite aux flambeaux, dans laquelle les sympathiques membres du corps de musique ont rivalisé entre eux de talent et d’harmonie en parcou rant la ville égayée par leurs accords.
- La fête
- Le dimanche, dans la matinée la décoration de la grande cour centrale s’exécute et s’achève. Elle est admirable. Les balcons sont tous ornés de guirlandes de mousse ou de papiers multicolores soutenant par intervalles des lanternes vénitiennes et de ballons lumineux. Sur celui du premier étage, de nombreux trophées pour lesquels une émulation louable a combiné les éléments les plus variés et les plus nouveaux se dressent d’espace en espace. Nous devrions pour être juste, les décrire tous, car ils sont tous entièrement remarquables pour leur bon goût, leur arrangement intelligent et leur caractère éminemment décoratif. Citons ceux des Arts industriels, Nickelage, émaillage et décoration, de la Fonderie, du matériel, de la Menuiserie, de l’outillage, de l’ajustage, et le plus élégant de tous celui de l’emballage, chef-d'œuvre de patience, d’adresse et dégoût délicat et pur. Dans celui du matériel qui attire tous les regards, des bonhommes se mouvant automatiquement imitent les mouvements des travailleurs dans l’atelier, les machines fonctionnent et exécutent les divers mouvements qu’elles sont destinées à imiter.
- Sur un des pans coupés de côté de l’aile droite, est placé l’œuvre patiente d’un des contremaîtres de l’Usine qui a exécuté un fac-similé très réussi donnant la coupe verticale des diverses couches de terrain de la plaine de Courcelles dans lesquelles furent exécutées en 1877-i 8 les sondages pour le forage du puits artésien qui alimente d’eau le palais social. Tout à côté de ce petit ouvrage remarquable se trouve un tableau sur lequel un médaillon de M. Grodin en terre cuite attire l’attention, et fait lire une rapide biographie tracée au bas de ce portrait, auquel fait pendant de l’autre côté de l’orchestre le trophée du « Devoir » orné lui aussi d’un médaillon du Fondateur.
- Les visiteurs ont aussi remarqué tout particulièrement un modèle de kiosque po<ur la musique, exécuté en miniature sur les plans de l’un des ingénieurs de l’Usine, avec une adresse et un fini de détails admirable.
- Cet ensemble décoratif dans lequel le travail sous toutes ses formes est glorifié et réhabilité glorieuse-
- p.296 - vue 297/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 297
- ment est d’un très grand effet, et la noble pensée qui inspire tous les travailleurs dans la disposition de tous ces éléments se traduit de mille manières diverses dans les devises dont les nombreux écussons qui complètent l’ornementation du balcon sont remplis. C’est en effet, en les méditant sérieusement et en les mettant véritablement en pratique,que l’homme peut devenir meilleur et s’élever dans l’ordre moral chaque jour davantage.
- C’est dans cette cour où tout respire la joie des jours de fête que le cortège doit se former pour la cérémonie de la distribution des récompenses aux travailleurs fixée pour trois heures. Dès deux heures et demie, le tambour et les clairons commencent à appeler à leur poste dans l’aile gauche, les pompiers, les archers, les musiciens et les élèves des écoles. Bientôt tout le monde étant réuni autour de ses drapeaux et bannières, les membres des divers conseils de l’Association arrivent à leur tour, et l’on se dirige en bon ordre vers la cour centrale. De là, le Conseil de gérance se détache pour aller chercher l’Adminis-trateur-gérant dont la venue est saluée par l’harmonie du Familistère, qui exécute un de ses morceaux si goûtés, et le cortège, pompiers en tête se dirige vers la salle du spectacle. Là, les galeries sont promptement garnies et regorgent. L’Administrateur, les conseils, tous les chargés de fonctions du Familistère et associés prennent place sur la scène. Dans les deux loges d’avant-scène, le maire de Guise, le Conseil municipal largement représenté, un conseil]er de l’arrondissement, le juge de paix du canton, des adjoints honorent de leur présence la cérémonie, qui commence par la magnifique ouverture de Nabuchodo-nosor, de Verdi, fort artistement exécutée par la musique du Familistère, suivie d’un chœur d’enfants et du discours de M. Godin que nous avons donné en tête du journal, et de la proclamation des récompenses aux travailleurs de l’usine dont nos lecteurs connaissent également la liste publiée dans nos colonnes.
- La distribution des prix aux élèves les plus méritants précédée et suivie de morceaux de musique clôt la séance après laquelle le cortège se reforme et retourne à l’aile droite pour se séparer après y avoir entendu la fantaisie patriotique « Paix et Liberté » qui se termine par l’hymne immortel français, la Marseillaise.
- A la suite de cette cérémonie, nous avons eu l’agréable satisfaction, (nous parlons au nom de nos amis les membres du Conseil de gérance), de posséder pendant une heure au moins les représentants les plus autorisés de la ville de Guise, leur respectable maire, M* Delorme, en tête, dans une des salles du
- Casino, et dans une causerie cordiale et animée, de constater que les liens de sympathie et d’union entre les habitants de la ville et ceux du Familistère allaient se resserrant de plus en plus, et que les quelques faibles ferments qui pouvaient rester encore et jeter quelques nuages sur l’horizon de leurs relations disparaissaient peu à peu. La mission de concorde et d’union que nous tachons de remplir dans « le Devoir » est si belle et si noble à nos yeux, que nous ne pouvons résister au plaisir de noter avec soin toutes les manifestations quitendentà nous faire croire que nous avons fait ua pas nouveau dans cette voie. C’est dans ce sentiment que nous sommes heureux aujourd’hui de signaler ce fait sans précédent jusqu’ici.
- Le soir un bal extrêmement animé a terminé la journée, et l’affluence était si grande, si serrée, si compacte, que c’était véritablement miracle que les danses pussent s’y organiser sans encombre.
- Le lendemain est le jour consacré aux jeux et aux concours divers qui occupent toutes les heures de la journée. Le matin, d’un côté le tir à la carabine et de l'autre le tir à l’arc commencent les exercices; puis le concours dans les jeux de piquet et de billard dans lequel le vainqueur des vainqueurs reçoit le prix; vient ensuite le jeu des baquets qui amuse toujours et fait rire inévitablement les plus moroses parmi les spectateurs.
- Plus tard, l’harmonie du Familistère paye largement son gracieux tribut à la fête, en exécutant tour à tour sur la grande place, un brillant allegro militaire, les Diamants de la Comtesse, délicieuse ouverture de Mullot, et la polka les Bourguignons. Dans l’aile gauche aussitôt après a lieu le carrousel, suivi du jeu de seringues, dans la cour centrale, des ciseaux, etc., qui faisant passer la population tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, la conduisent toute étonnée de la rapidité du temps jusqu’à l’heure du bal qui clôt la deuxième journée et couronne définitivement la fête.
- A la suite de ces deux journées si bien remplies de distractions, le travailleur, fier d’avoir mérité par son zèle à remplir sa tâche ces récompenses qui lui constituent des économies toutes trouvées, ces plaisirs et ces délassements dans lesquels l’âme ne puise aucun regret, parce qu’ils n’ont rien de coupable ni de dangereux, retourne encouragé et réconforté à son travail, animé d’une nouvelle ardeur à la tâche, pour mériter encore de nouveaux encouragements et de nouvelles satisfactions. Dans les fêtes banales, le citoyen après le plaisir sent la lassitude et souvent le remords. Dans celles qui ont, comme celle du Travail au Familistère une haute portée morale, le tra*
- p.297 - vue 298/836
-
-
-
- 298
- LE DEVOIR
- vailîear se sent rehaussé, et le sentiment de sa dignité s’y développe d’une façon utile à sa moralisation et à son courage dans ce que l’on a nommé la lutte pour la vie. Elles lui montrent sa véritable valeur, et en lui en inculquant dans l’esprit le sentiment et la conscience, elles lui inspirent le sentiment toujours fécond en résultats du respect de soi et des autres, et l’amènent à se pénétrer par conséquent de l’esprit de solidarité et de fraternité, qui rend les rapports mutuels entre les hommes plus remplis de cordialité et de bienveillance.
- M LOÏ DES SALâlRES
- Sous ce titre, le Globe du 21 avril a publié un article dont voici quelques extraits :
- « j’entends assez souvent, dans des réunions, et je lis dans des journaux ou dàüs des manifestes la phrase suivante: « Rien, sinon la suppression du salariat, ne pourra soustraire le travailleur à la loi de fer des salaires. »
- « Et alors il y a de grands discours, on lance de formidables anathèmes contre cette loi de fer àe's salaires.
- « Il eût peut-être été plus simple de commencer par examiner cette toute petite question : Existe-t-elle ? Mais ce sont là des choses simples dont on ne s’avise jàmàis qu’en dernier lieu. On s’èst massacré pendant des siècles pour des entités ; on s’excommunie encore aujourd’hui au nom d’un certain nombre d’entre elles; les entités religieuses ont une tendance à disparaître, mais comme l’homme ne peut éhcôrè complètement s’en passer, il les remplace par des entités sociales. La loi de fer des salaires est Turie d’elles.
- “ C’est l’agitateur allemand que M. de Bismarck eût désiré avéir pour voisin de campagne, Lassalie, qui l’a formulée de la manière suivante :
- « Selon Ricardo, la moyenne des salaires du travail est fixée d’après les besoins indispensables de la vië. »
- « D’abord Ricardo n’a point dit ceia sous cette forme absolue. Voici son texte :
- « Le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers en générai les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution. Le prix naturel du travail dépend donc du prix des subsistances et de celui des choses nécessaires ou utiles à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille.
- « Cette forme diffère quelque peu de celle que prê-
- tait Lassalie à Ricardo ; mais Ricardo reconnaissait lui-même que la proposition ci-dessus n’était pas exacte, cat il ajoutait : L’on aurait tort de croire que le prix naturel des salaires est absolument fixe et constant, même en les estimant en vivres et autres articles de première nécessité; il varie à différentes époques dans un même pays, et il est très différent dans des pays divers. L’ouvrier anglais regarderait son salaire comme au-dessous du taux naturel et insuffisant pour maintenir sa famille, s’il he lui permettait d’acheter d’autre nourriture que des pommes de terre et d’avoir polir demeure qu’une misérable hutte de terre.
- « Même ainsi atténuée, cette théorié de Ricardo est complètement démentie par les faits. Cependant, elle est, tous les jours rééditée non-séuiement pàr les ouvriers, mais encore par des employeurs, des usuriers. M. Jacqmin directeur de la Compagnie dé l'Est déclarait dans une enquête, que là dépense d’un train dépend uniquement du taux des salaires, et que, le joui* ou les salaires auraient doublé, le prix de revient d’un train serait également doublé, là recette restant stationnaire.
- « Mais le prix de la houille, du fer, le prix des machines, l’établissement de la voie, l’organisatioh administrative, l’effet utile d’un train voj^ageant à plein chargement, n’est-ce donc rien, tout cela ?
- « Une assertion de ce genre dénote un singulier défaut de méthode.
- ' » Si les profits provenaîéht du bas taux des salaires, les plus riches manufactures se trouveraient dans les pays les plus pauvres ; les fllatufes ne resteraient pas à Manchester, elles iraient en Irlande.
- « De temps en temps aussi, j’éntènds dire que les progrès de l’industrie développent lè paupérisme ; le fait n’est pas exact pour Londres qu’on cite volontiers comme modèle, puisqu’elle comptait 105,000 pauvres en 181.5, et qu’en 18V5 elle n’èn comptait que 95,000 et sa population a triplé.
- Si la définition de Lassalie était exacte, le taux du salaire relativement au prix de la nourriture devrait être partout uniforme, et toutes les statistiques démontrent que les pays où la nourriture cbùte ie plus cher relativement aux salaires sont ceux où. l’ouvrier se nourrit le plus mâl et est ie plus mal payé.
- L’auteur de l’article dit ensuite qu’en réalité, iln’ÿ a qu’une loi des salaires : c’est la loi de l’offre et de la demande. Suivant lui, ie travail est une marchandise comme une autre ; si la demande est considérable, il augmente de valeur ; si l’offre, au contraire est plus grande que la demande, il baisse de valeur. Mais la demande de travail est d’autant plus consi-
- p.298 - vue 299/836
-
-
-
- LE DEVOIR 299
- déràble que les capitaux ayant besoin d’être utilisés sont plus abondants, et l’écrivain en conclut que bien loin que la moyenne du salaire du travail soit fixée d’après les besoins indispensables de la vie, le rapport du prix de la nourriture au taux du salaire est en raison inverse du développement industriel du pays.
- Il est vrai que de nos jours le salaire n’a poiut d’autre règle que celle de l’offre et de la demande, et qu'il n’est point tenu compte de ce que, le travail renouvelant et augmentant sans cesse les moyens d’existence, ces moyens doivent être assurés aux travailleurs comme à tous les autres consommateurs. Le salaire est un des éléments du prix de revient des produits de l’industrie avec le prix de la matière première, l’intérêt des capitaux et leur usure ou dépréciation, et c’est pour cela que la valeur des autres éléments qui constituent le prix de revient restant à peu près invariable, la concurrence industrielle produit généralement chez les chefs d’industrie une tendance à la baisse des salaires, qui seule, suivant eux, peut leur permettre de soutenir ia iutte dans des conditions favorables. Il en résulte que sèuvent le salaire est faible, quoique le travail soit considérable et que jamais on ne voit le contraire. Or cela n’est pas parfaitement conforme à ia justice et au droit positif des travailleurs.
- Mais, dira-t-on, si l’on double par exemple les salaires, les produits doubleront de valeur; le riche sera obligé de diminuer sa consommation; il en résultera une diminution dans la production, et par conséquent le chômage pire pour l’ouvrier que l’abaissement du salaire.
- Cette objection qui paraît sérieuse au premier abord, l’est beaucoup moins en réalité si on l’examine à la lumière de l’expérience basée sur les faits. La classe riche diminuerait peut-être sa consommation, mais la classe ouvrière mieux rémunérée consommerait elle aussi, et comme elle est de beaucoup la plus nombreuse, il s’ensuit que la production resterait au moins la même, si elle ne tendait point à augmenter avec le nombre de consommateurs. Et d’ailleurs, il n’est pas absolument ëxact que les salaires venant à doubler les produits de l’industrie doubleraient de prix par le seul fait. Aux Etats-Unis, l’ouvrier gagne près du trîpie de ce que gagne l’ouvrier français, et l’industrie américaine lutte avec avantage de bon marché avec les autres nations.
- En somme, l’augmentation des salaires ne diminuerait en rien la consommation et par conséquent la production; elle aurait uniquement pour effet de modifier les éléments de la consommation, parce qu’au lieu d’être répartie entre un petit nombrë d’in-
- dividus, elle le sera entre un plus grand nombre, et que le capitaliste au lieu de consommer la moitié ou les trois quarts des produits, ne pourra plus en consommer que le tiers, le surplus étant consommé par le travailleur, sans aucun désavantage pour la production.
- Ge que l’augmentation des salaires produit en réalité c’est la diffusion de le richesse, tandis que leur abaissement produit sa raréfaction. Or, comme il y a pour la Société tout avantage au premier de ces résultats, tandis que ië ËeCüïid üe petit lui procurer que des inconvénients, il est clair que la prospérité d’un pays est toujours intéressée â faciliter l’accession du plus grand nombre à la richesse par tous les moyens possibles. La richesse ou ce qui en est la représentation, les valeurs monétaires, étant dâhs uh plus grand nombre de mains, là circulation en deviendra nécessairement plus activé, et le côriimérdé et l’industrie y gagneront incontestablement, parée qu’ils né seront plus â là merci de quelques rares favorisés de la fortune, faciles à influènéér èt â entraîner à des allures nuisibles à la production.
- d’est donc à tort qiiè l’on prétend trouver dans l’abolition du salariat l’affranchissement dès travailleurs, comme c’est â tort que d’autre pârt On soutient que le salariat n’est point susceptible d’êtfë augmenté sans que les produits de l’industrie enchérissent. Ce n’est pas plus sur la règle de l’offre ët dë la demande que le taux du salaire doit être bâSé,qdë sur les besoins indispensables de la vié. Là sëüle règle équitable pour la fixation de la rémunération due àu travail, c’est la juste estimation de son concours dans la production. C’est là là véritable évaluation â faire pour fixer sa valeur réelle, èt comme les circonstances de l’écoulement dés produits peuvent modifier d’üne façon parfois très sensible oettë valeur, la participation du travail aux bénéfices de la production s’impose naturellement dans l'intérêt des deux parties appelées à y collaborer Conjointement.
- Àinsi abolir les salaires serait une impossibilité en même temps qu’une erreur, et d’àutre part les subordonner aux nécessités de l'existence serait une injustice criante. En soumettre l’évaluation à là loi de l’offre et de la demande comme cela a toujours été fait jusqu’à présent, c’est lie point faire une juste répartition des fruits du travail qui a pourtànt lés mêmes droits à cette répartition équitable que le capital, et par conséquent c’est faire tort au travailleur. Pour être dans le juste et dans le vrai, il faut donc baser le taux du salaire sur la valeur du concours fourni par le travail à la production, et l’admettre en outre à la participation des bénéfices qui
- p.299 - vue 300/836
-
-
-
- 300
- LE DEVOIR
- résultent de cette même production en même temps que le capital, et dans la même proportion de la valeur du concours apporté par l’un ou par l’autre, Tous les industriels qui ont compris cette vérité et qui ont appliqué cette méthode dans leurs ateliers en ont ressenti les salutaires effets, et nul doute qu’à un moment donné leur exemple ne finisse par être suivi de tous, pour le bonheur de l’humanité et la prospérité de l'industrie nationale.
- ---------------------
- CONGRÈS DE LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT
- La Ligue de l’enseignement dispute à la franc-maçonnerie l’honneur de provoquer les fureurs cléricales. Cette raison suffît, à part même l’intérêt des délibérations du Congrès de la Ligue, pour expliquer etjustifier la place donnée ici aux séances de cette œuvre libérale autant que patriotique.
- La première séance n’a été qu’une séance d’organisation.
- Dans la seconde on a d’abord traité des Fêtes de V enfance.
- M. Arthur Dessoye, rapporteur, a rappelé, aux applaudissements de l’assemblée, que MM. Jean Macé et Emmanuel Vauchez sont les initiateurs et les véritables promoteurs de la loi nouvelle relative à l’enseignement primaire obligatoire.
- Il a conclu à l’adoption d’une résolution ainsi conçue :
- « Le Congrès, s’associant à l’initiative prise par le journal le Beaumarchais pour l’organisation au Luxembourg d’une fête des écoles destinée à célébrer le vote définitif de la loi sur l’enseignement obligatoire, désire que cette fête ait le plus grand succès et émet le vœu que les pouvoirs publics se joignent aux organisateurs de la fête pour lui donner le plus d’éclat possible. »
- La résolution suivante a été aussi adoptée :
- « Le Congrès invite les Sociétés d’instruction populaire de Paris et des départements et les municipalités à organiser chaque années une fête des Ecoles. »
- Le Congrès, s’est occupé de Y Union studieuse de la jeunesse. Après un débat assez animé, le Congrès s’est rallié à un amendement de M. Vénot recommandant en thèse générale la fondation d’associations de ce genre, qui ont à cœur l’instruction du peuple, mais sans en viser aucune en particulier.
- L’assemblée s’est séparée après avoir émis les vœux suivants : 1° vœu contre le prélèvement par les municipalités du droit de 10 0/0 sur les recettes des fêtes organisées sous les auspices de la Ligue
- française de l’enseignement ; 2° vœu en faveur d’un projet de création de cercles cantonaux; 3° vœu en faveur d’un projet de création de bibliothèques cantonales.
- A la troisième séance, présidée par Jean Macé, l’assemblée a renouvelé le Conseil général de la Ligue. Ont été élus : MM. Jean Macé, Fousset, George, Ernest Garnier, Sardou, Vienot, Wickhham, Zopff, Fiaux et Moutard.
- Après avoir émis un vœu en faveur de la création de comités de dames, et un autre vœu tendant à améliorer les conditions de publication du Bulletin officiel de la Ligue, le Congrès a abordé la question la plus importante, la véritable question capitale de son programme, nous voulons parler de l’organisation de l’éducation gymnastique et militaire. Une proposition dans ce sens avait été présentée par M. George, sénateur des Vosges. Dans un rapport remarquable et dont la lecture a été fréquemment applaudie, M. Lenglet, au nom de la commission compétente, a insisté sur la portée et sur la signification éminemment patriotique de cette œuvre qui dotera la France d’une institution analogue au Tugendbund (Ligue de la Vertu), qui a pris naissance en Allemagne au lendemain de la défaite d'Iéna. Sur cette proposition générale, le docteur Fiaux en a greffé un autre tendant à la formation d’un corps de pupilles de sapeurs-pompiers.
- Le rapport dit à ce propos :
- « On pourrait aussi, comme le proposait avec raison l’honorable docteur Fiaux, habituer les jeunes gens au maniement de la pompe à feu et former, de cette façon, un corps de pupilles qui assurerait le recrutement, aujourd’hui si difficile dans les campagnes, des compagnies de sapeurs-pompiers. Cela posé, le rapport conclut à l’adoption d’une résolution ainsi conçue :
- A. — La Ligue de renseignement, étendant le cercle de son action, prend en main la cause natio-nationale de l’éducation civique et militaire.
- B. — Comme moyen d’action, le Congrès estime qu’il y a lieu de prendre dès à présent les mesures suivantes : 1° provoquer la formation, dans chaque canton de France, d’un cercle d’éducation nationale, subdivisé en sections par communes et qui aura pour but d’organiser pour les jeunes gens sortant de l’école jusqu’à l’âge de 20 ans, une instruction civique et militaire au moyen d’exercices hebdomadaires et de réunions cantonales périodiques ; 2° former aux chefs-lieux de département et d'arrondissement une commission de citoyens de bonne volonté qui se chargerait d’entrer en relations avec chaque chef-lieu de canton, d’y provoquer la création de cercles
- p.300 - vue 301/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 301
- cantonaux de servir d’intermédiaire entre les sociétés locales et le Conseil général de la Ligue ; 3° enfin, comme il sera indispensable, pour la formation et le fonctionnement de ces cercles -cantonaux, de venir au secours des cantons les moins aisés par des subsides en matériel ou en argent, — qu’il importe par conséquent que la Ligue ait à sa disposition des sommes en proportion avec la grandeur de l'œuvre et l’importance des besoins à satisfaire, — le Congrès décide qu’il sera fait appel à tous les citoyens et qu’il sera ouvert, dans ce but, une grande souscription nationale.
- C. — Le conseil général de la Ligue est chargé de prendre les mesures nécessaires pour l’exécution de ces résolutions.
- Inutile d’ajouter que cette résolution a rencontré l’accaeil le plus chaleureux. Immédiatement M. Bazin, s’est inscrit le premier pour commander les futurs bataillons scalaires. Un autre membre M. Le-bel a proposé que les membres du Congrès, prêchant d’exemple, s’inscrivissent en tête de la liste de souscription.
- De son côté M. George, sénateur des Vosges, à qui revient l’honneur de cette initiative, a, dans une éloquente improvisation, exposé la pensée qui l’avait inspiré. Après quelques observations présentées par MM. Rheins, Garrisson, Fousset, etc., la résolution proposée a été votée à l’unanimité avec un article additionnel de M. Viénot (associant les femmes de France à l’œuvre nouvelle.
- L’assemblée, sur la proposition de M. Jean Macé, a voté ensuite des remerciements à M. le sénateur George.
- Le Congrès s’est occupé ensuite de la question des conférences populaires et de celles des expositions scolaires.
- Vendredi avait lieu la séance de clôture, sous la présidence de M. Henri Martin, dont l’entrée est saluée par de vifs applaudissements. M. Jean Macé prononce un discours très applaudi sur le but de la Ligne. Le compte-rendu des séances du Congrès est présenté ensuite par M. Vienot, de Rouen. M. Henri Martin prend alors la parole. Il dit que si M. Jean Macé pouvait parler du présent, il ne pouvait parler du passé. C’était raconter sa propre histoire et sa Modestie ne le lui permettrait pas. L’orateur dit que les fondateurs de la Ligue semblaient avoir eu le pressentiment de la nécessité de réparer plus tard des désastres effroyables. M. Macé a vu de l’autre c°té du Rhin l’instruction très répandue; en France, la loi de 1833 était inachevée; il se mit à l’œuvre et trouva un collaborateur qui fit des prodiges,M. Vau-chez. Tous deux entreprirent leur patriotique cam-
- pagne, et bientôt après les désastres, Jean Macé dut quitter l’Alsace. Mais il reprit son œuvre de la Ligue avec des collaborateurs dont le nombre alla toujours croissant. La Ligue s’attacha particulièrement aux bibbothèques militaires. L’honorable sénateur rend hommage à cette occasion à l’armée et à l’esprit patriotique qui inspira la Ligue dans la formation de ces bibliothèques : M. Martin cite les chiffres qui caractérisent l’œuvre du cercle parisien : le développement des* bibliothèques, les encouragements aux écoles, pétitionnements, etc. Le nombre total des membres de la Ligue est d’environ 100,000. Vous voyez, ajoute l’orateur, que la Ligue n’a pas perdu son temps. La Ligue mérite le souvenir de l’histoire pour la grande part qu’elle a prise dans le mouvement qui nous a donné la loi sur l’enseignement obligatoire. M. Henri Martin commente la gratuité et l’obligation de l’instruction primaire dont il démontre en quelques mots la nécessité. « L’école laïque, dit-il avec Jean Macé, c’est l’école neutre entre les religions diverses, mais non entre les croyances morales. La Ligue est d’accord sur ce point avec le ministre, avec le conseil supérieur de l’instruction qui est aujourd’hui le conseil de la démocratie universitaire. Il est naturel qu’il en soit ainsi; supposez que les principes généraux de cet enseignement viennent à disparaître, qu’on abandonne à eux-mêmes les professeurs, vous aurez le chaos dans l’enseignement.
- En résumé, la Ligue est étrangère à tous les partis et maintient dans leur acception la plus générale les sentiments républicains et religieux. La République n’est pas un parti. Dieu n’est pas un parti. Nous touchons au but. C'est à la Ligue à aider le gouvernement afin de répandre le nouvel enseignement, l’enseignement civique qui doit surtout inspirer l’amour de la patrie.
- Un peuple qui veut assurer son indépendance doit être toujours prêt à la défendre. Iifaut que tout Fran* çais apprenne dès 12 ans à manier les armes. Cela commence; Paris a déjà ses bataillons scolaires; mais ce n’est pas tout. Après l’école, il y a un intervalle pour aller jusqu’au régiment. La loi doit le combler et surtout l’initiative privée. Là encore la mission de la Ligue est superbe.
- Elle doit encore à côté du ministère de la guerre entreprendre l’œuvre de l’éducation militaire. L’orateur fait allusion à M. Georges et dit que nous serons tous à ses côtés pour réaliser ses vœux. Quand^ce sera fait, grâce à la Ligue, jamais plus on ne verra l’année terrible. Et cela parce que nous aurons acquis l’instruction et gardé la République sortie de
- p.301 - vue 302/836
-
-
-
- 302
- LB DEVOIR
- nos calamités et qui seule peut les réparer. (Applaudissements.)
- L’assemblée demande à entendre M. Georges qui se défend d’être ainsi pris à l’improviste. « Ce que nous voulons, dit-il, tout le monde le sent et le veut. Allez au Havre, à Nancy, à Marseille, vous trouverez des citoyens qui se mettent à l'œuvre. Grâce à la liberté, la France a retrouvé la sécurité et surtout la loi dans l’avenir. » L’orateur, en quelques paroles enflammées, rappelle comment la France a lancé la première dans le monde la grande devise : liberté, égalité, fraternité. Il montre la démocratie cherchant sa formule à travers les divers régimes ; les Bonaparte nous ont coûté bien cher; aujourd’hui la République nous a rendu paix et sécurité. A côté de nous il n’en est pas de même et peut-être un jour rois et empereurs, sentant crouler leurs trônes, jetteront-ils sur nous leurs peuples. Il faut que la France soit ce que doit être une République : autant de citoyens, autant de soldats.
- C’est à la Ligue à compléter son œuvre par l’instruction du soldat.
- La Ligue a eu son origine en Alsace. Il ne faut jamais l’oublier. Ce mot d’Alsace doit nous faire souvenir toujours qu’il faut être prêt à tout événement. Au nom de la région frontière que je représente, je confie à la Ligue cette grande œuvre. Et quand la Ligue aura réussi, on lui dira : « Merci, vous avez bien mérité de la patrie! » (Triple salve d’applaudissements }
- (Glaneur de Saint-Quentin.)
- LE MAGNÉTISME
- Les savants auront beau examiner, décrire et chercher à expliquer leurs théories de l’hypnotisme, de la neuricité? des forces neuriques, ce n’est point avec ces théories plus ou moins raisonnables et sensées qu'ils arriveront à rendre compte de certains faits de clairvoyance à distance, de science impromptue instantanée, dont tous ceux qui ont assité à des expériences magnétiques ont été maintes et maintes fois témoins, et provoqués uniquement par la volonté du magnétiseur exerçant une influence toute-puissante sur l’âme de son sujet, souvent malgré lui. L’hypnotisme et la neuricité ne sauraient suffire en effet pour expliquer pourquoi le jeune capitaine, dont parle M. de Fleurville, dans son livre' « Etude sur le Magnétisme animal » venait de son propre aveu malgré lui, assister aux séances de Marcillet, et s’y donner en speotaele, attiré par une volonté qu’il
- ne pouvait ni maitrîser ni dominer, ce dont il était extrêmement contrarié, et pourquoi un mari se plaignait de ce que sa jeune femme se trouvait également attirée chez un magnétiseur, malgré leur volonté à tous les deux, malgré l’ennui que cela leur faisait éprouver.
- Citons au hasard quelques faits de clairvoyance recneillis dans le livre de M. de Fleurville :
- « Un négociant ou banquier vient déclarer dans une séance publique de magnétisme qu’il a perdu ou plutôt qu’on lui a volé six mille francs en biliets de banque de mille francs chaque et il indique quand et comment il les avait reçus, comptés et déposés dans un tiroir de bureau.
- « Le $ujet cherche, examine l’appartement de ce monsieur qui demeurait assez loin du lieu de la séance, et lui dit tout à coup : Je vois votre voleur... Comment est-il ? Le sujet en fait une description succinte quant â l’âge, aux vêtements, etc... Où est-il ? Près de moi. — Comment ? — Oui, c’est vous-même votre propre voleur. — Plaisanterie ! — Non, très sérieusement : vous avez placé vos six billets de banque dans un tiroir très plein d’autres papiers; quand vous l’avez ouvert et tiré le lendemain, vos six billets ont glissé au fond par-dessus la planchette et ils sont à présent sous ce même tiroir.
- « Ce négociant revint à la séance suivante annoncer qu’il avait retrouvé ses billets à l’endroit désigné, et remercie le somnambule de sa clairvoyance.»
- Nous avons nous-même assisté comme témoin et acteur en partie au fait suivant. C’était en 1856. Dans une maison de commerce de grains en gros où nous étions employé principal à Labastide-Bordeaux, le chef de la maison avait à son service, comme domestique et garçon de magasin,un homme à peu près de son âge, né dans la même commune du Lot-et-Garonne, ayant partagé les jeux de son enfance, et en qui il avait la plus grande confiance. Dans le magasin existait une petite caisse où l’on plaçait la recette de la journée et qui était tenue par la maîtresse de la maison qui en rendait compte de temps en temps au caissier à qui elle faisait ses versements. Jamais cette caisse qui consistait en un simple tiroir de bureau fermé à clé ne contenait de sommes considérables, affectée qu’elle était au produit des rares ventes au détail qui s'effectuaient dans la maison.
- Peu de temps après l’entrée dans la maison d’une jeune servante du pays, la patronne crut s’apercevoir que des soustractions quotidiennes étaient faites I à sa caisse, et naturellement ses soupçons se portè-! rent d’abord sur la nouvelle venue, et puis peu à peu sur tout le personnel de la maison, commis, em-| ployés ou hommes de peine, excepté le garçon de
- p.302 - vue 303/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 303
- magasin dont il a été fait mention. Sans rien dire à personne, elle se livra à ane surveillance très active pendant quelques semaines, sans pouvoir découvrir le coupable, et les soustractions allaient toujours leur train. En désespoir de cause, elle se rendit chez un magnétiseur pour interroger la somnambule et connaître au moins le signalement de son voleur.
- La somnambule plongée dans le sommeil magnéti-tique déclara à la dame que le coupable était un homme employé dans sa maison et d’origine étrangère. Ce renseignement était insuffisant parce que par une coïncidence singulière, l’un des premiers employés de la maison était d’origine espagnole, et le garçon de magasin dont nous avons parlé plus haut était d’origine portugaise. La visiteuse insista pour obtenir des indications plus précises, et à sa grande surprise, elle apprit que le voleur n'était autre que le domestique de confiance compatriote de son mari.
- Rentrée chez elle, elle fit part du fait de ses soupçons à son mari qui refusa d’y croire en raison de la confiance qu’il avait en son garçon de magasin d’une part, et en raison aussi de la source d’où venaient les renseignements, car il n’ajoutait aucune foi au magnétisme. Toutefois, comme il était urgent de mettre fin à ces détournements, on se décida à tendre un piège assez bien combiné pour arriver à la découverte du voleur. Le lendemain matin, après avoir placé en observation sur une haute pile de sacs de froment un des plus jeunes commis, en l’absence du garçon de magasin, on éloigna sous divers prétextes de la maison tout le personnel, de telle sorte que lorsque le garçon rentra, il s’y trouvait seul avec le patron. Celui-ci étant sorti ostensiblement à son tour, le voleur se voyant les coudées franches, ne manqua pus d’en profiter pour ouvrir le tiroir de la patronne et en extraire deux louis et quelque menue monnaie. Avant qu’il eût mis l’argent dans sa poche et fermé le tiroir, le commis placé en observation avait sauté sur lui, et attiré par ses cris le chef de la maison dont la fausse sortie avait si bien trompé le voleur. Par pité pour sa famille et pour lui on se contenta de le renvoyer, et les détournements cessèrent. Poursuivons nos citations du livre de M. de Fleurville.
- « La femme du propriétaire d’un des principaux magasins de nouveautés de Paris vient trouver un jour Alexis qui lui dit de suite : Vous me paraissez, madame, très affectée de la perte de votre montre et de sa chaîne... Je le comprends, votre montre était petite et fort jolie... Je vois le nom de l’horloger inscrit sur la cuvette.,, Il le lui indique, au grand étonnement de l’assistance assez nombreuse ce jour-
- là. — Maintenant, dit Alexis, racontez-moi les circonstances de la perte ou du vol... —Hier, je suis allée à Nbuilly, et je suis descendue de la voiture près du pont. Ce n’est que plus tard, étant rentrée à Paris, que je me suis aperçue de la disparition de ma montre.
- Alexis. — Vous aviez votre montre dans la voiture, je le vois.
- Réponse. -» Sans doute, car j’ai regardé l’heure avant de payer le cocher,
- Alexis. -- Vous n’aviez plus votre montre, quand vous avez payé le cocher.
- Réponse. — Alors, c’est lui qui me l’a prise.
- Alexis. — Non; le cocher s’en fva, et il n’a pas votremontre... ni vous non plus.
- Demande. — Alors qu’est-elle devenue?
- Alexis.— Je cherche...(Après quelques instants de silence). ...Ah ! Je vois quelqu’un qui la ramasse... C’est... c’est un soldat... C’est bien vague, dit un des assistants; quel est son régiment ?
- AI. — La ligne... Je vois son schako... un n° 7... puis un autre... 5... Cela fait 75. Non... Attendez... c’est 57... oui, 57. Ne dites rien, j’entends qu'on l’appelle Vin... Vincent. Oui, c’est bien Vincent. — Où est-il en garnison ? — Alexis cherche et il lui est impossible de l’indiquer.
- Cette dame s’en va aussi surprise que satisfaite. Son mari court au ministère de la guerre; où il apprend que le 57e de ligne est caserné à Courbevoie. Le lendemain Mme X arrive à la caserne, raconte toutes ces prévisions au commandant du régiment qui lui dit : Je ne crois pas beaucoup à la véracité de toutes ces révélations somnambuliques, mais je n’ai rien à refuser à une belle et aimable dame comme vous.
- Un coup de tambour réunit ses hommes, et il leur dit : J’ordonne la visite de tous les sacs.
- Un soldat quitte son rang, s’avance vers le commandant, en lui faisant le salut militaire, et il lui dit : S’il s’agit d’une petite montre de femme... c'est moi qui l’ai trouvée hier au pont de Neuilly. —Va la chercher; vous autres rompez les rangs.
- « Monsieur le commandant, dit Mme X, veuillez lui demander s’il ne se nomme pas Vincent?
- « Le soldat rapporte la montre que Mme X reconnaît comme étant la sienne ; il s’excuse de ce que son service ne lui a pas laissé le temps de rechercher la propriétaire de ce bijou... — Quel est ton nom? — Vincent, mon com-dant... Qui fut bien étonné? »
- « Dans une des séances magnétiques tenues dans le Salon de Marcillet, au nombre des assistants de ce jour-là se trouvait un jeune homme blond, silencieux, qui nous semble être un étranger, dit notre
- p.303 - vue 304/836
-
-
-
- 304
- LE DEVOIR
- auteur. Il regarde curieusement Alexis, examine comment on calfeutre ses yeux, suit tous les interrogatoires qu’il subit, écoute sa lecture des lettres, des papiers qu’on lui remet, et puis il demande à Marcillet l’autorisation de mettre dans la main du somnambule un paquet qu’il montre. — Cela fait, il se met à l’écart et ne quitte plus des yeux Alexis. Quant à nous, nous ne perdons pas de vue l’étranger qui ne prononce pas une parole.
- « Le paquet était assez gros et assez ficelé pour qu'on ne puisse pas soupçonner ce qu’il contenait.
- « Alexis le laisse dans sa main, le porte un instant sur sa tête, près du front, réfléchit, cherche et dit : Il y a dans ce paquet un objet en métal, en fer, ou plutôt en acier.., ça coupe... —Un couteau, lui dit quelqu'un. — Non, dit Alexis, pas un couteau ordinaire... on s’en servait... pour couper de la chair humaine... — Un scalpel, dit un autre..., pour disséquer. — Le jeune étranger ne disait rien... mais il ne perdait pas un mot. . Je le pris pour un étudiant en médecine.
- « Non, reprit Alexis... pas de la chair morte, de la chair vivante. (Alors c’est un bistouri dit-on, venant d’un médecin). Non, ce n’est pas encore cela, s’écria Alexis impatienté, (l’étranger était vivement ému) je cherche.... Ah ! il servait à faire des anges...
- « Exclamation générale... rire de la plupart des spectateurs...
- « Le jeune homme devient pâle, puis rougit, une transpiration abondante inonde son visage. — Alexis reprend : Oui,c’est bien cela... pour faire des anges... le propriétaire s’emparait des enfants il les tuait pour les envoyer dans le paradis;... quand il surprenait un homme ou une femme endormis dans un bois ou dans un endroit écarté, il leur coupait le cou où il leur enfonçait ce petit couteau dans le cœur pour en faire des anges, disait-il, (comme Papavoine à Vincennes, s’écria-t-on).
- « A qui appartenait ce couteau ? — A quelqu’un, pas de Paris, dit Alexis, du Nord. De Lille, de Valenciennes ?— R. Plus loin. — D. De la Belgique? — R. Plus loin. — D. De Hollande ? — R. Plus loin ! Ah... de Suède, je vois...
- « L’étranger se lève, essuie sa figure, et d’une voix entrecoupée par l’émotion, il dit : ce n’est pas la peine qu’Alexis en cherche davantage ! Il a tout vu... tout dit ; c’est la vérité.
- « Ce petit couteau (en disant cela il ôtait tous les papiers et il le montrait), appartenait à notre Papavoine suédois, qui attirait les enfants pour les tuer et en faire des anges.
- ...On finit par le soupçonner de tant de meurtres;
- on le surveilla et on le surprit coupant le cou à une
- pauvre femme endormie au coin d’un bois. Il fut arrêté, mis en jugement, condamné à mort et exécuté sans qu’on ait pu découvrir avec quoi il assassinait ses victimes.
- « L’exécuteur ayant remis ses vêtements à un agent de police qui l'avait assisté et aidé, celui-ci le remit à un tailleur pour les découdre et en faire un vêtement à son petit garçon. Le tailleur découvrit ce petit couteau soigneusement caché dans la doublure de l’habit, et le rendit à l’agent de qui je l’ai acheté et mis de côté sans en parler à personne, parceque je voulais venir à Paris et le remettre bien soigneusement enveloppé et dissimulé à Alexis,pour voir s’il pourrait dire à quoi servait ce couteau unique au monde, et que personne (si ce n’est l’agent de police) ne savait être entre mes mains. Jugez de mon étonnement, de ma stupéfaction, lorsque j’ai entendu Alexis découvrir peu à peu, mais d’une manière si sûre toute la vérité ! »
- Dans ce fait vraiment renversant, quel a donc été le rôle de la force neurique, Messieurs les savants ?
- (A suivre).
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- Le 8 mai 1882. — Hébert Marcel-Alphonse, fils de Hébert Marcel et de Cronier Marie.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- L'Association FAMILISTÈRE DWB
- Offre les emplois suivants :
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne.)
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.304 - vue 305/836
-
-
-
- dLe numéro hebdomadaire 20 c.
- DIMANCHE 21 MAI 1882.
- bureau
- À GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 îr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 Ir. »» Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs
- Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jm. w m
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de VAssociation agricole de Ralahine (suite). — Les Héros du Travail. — Faits politiques et sociaux. — Voyage autour du Familistère IIP partie, VII. — Si fait vraiment, il y a la question
- sociale. — Etat civil du Familistère. — Bibliographie : « Le Roman d’un prêtre » de M. L.
- Gagneur; « Nora » de Mme Eug. Garcin. — Darwin et son œuvre. — Variété.
- MISnrOM.W JE
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE IX (1)
- Contrat entre l’Assocîat ion et M. Vandeleur
- Les statuts de l’Association ayant été acceptés, M. Vandeleur donna la lecture du contrat suivant :
- Mémorandum du contrat arrêté ce jour 10 novembre 1831, entre John Scott Vandeleur, d’une part,
- (b Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril et 7 mai
- et John Hastings, John Hogan et Edward Thomas Craig, au nom de l’Association coopérative, agricole de Ralahine, d’autre part.
- Le dit John Scott Vandeleur, loue les terres de Ralahine, actuellement en sa possession, (excepté l’enclos, le bois de Muckinagh, mais y compris les marais de Ralahine et Dereen) aux dites personnes, pour l’usage de la dite Société pendant douze mois, à partir du 1er novembre courant, à condition que la Société adhère aux statuts passés ce jour, et s’engage à livrer les articles ci-dessous mentionnés au dit John Scott Vandeleur aussitôt que possible, après que celui-ci aura fait à la Société demande de livraison soit à Ralahine, Bunratty, Clare ou Lime-rick, comme en décidera M. Vandeleur, et ce, franco pour lui, soit : 320 barils de froment ; 240 barils d’orge, 50 barils d’avoine; 500 kilogrammes de beurre; 1,500 kilogrammes de porc; 3,500 kilogrammes de bœuf.
- Les prix du marché de Limerich en 1830-31 furent pris comme base durant Vexistence de l’Association, pour les six articles mentionnés au contrat. Le total
- s'élevait à (900 Livres) 22.500 francs répartis comme
- suit :
- Froment 12.000 fr.
- Orge 4.000
- Avoine ' 500
- Beurre 1.000
- Porc 1.500
- Bœuf 3.500
- Total. . . . 22.000 fr.
- La Société livre le foin à M. Vandeleur à raison
- de 30 shillings la tonne (37 fr. 50) ; mais celui-ci
- p.305 - vue 306/836
-
-
-
- 306
- LE DEVOIR
- rend le fumier pour l’engrais à 1 shilling il fr. 25) la charretée.
- Si M. Vandeleur le désire, il prendra, au lieu des articles ci-dessus, une somme équivalente en bons de consommation, valeurs représentatives des marchandises vendues dans les magasins de la Société; et ces marchandises seront livrées à M. Vandeleui au même taux qu’à tout associé.
- La terre est cultivée d’après le système le plus perfectionné, et conformément aux décisions du comité. Les bâtiments sont entretenus et réparés avec ie plus grand soin.
- Les routes, les palissades, les maisons dont le comité décide l’établissement sont construites de la façon la plus avantageuse et la plus durable. Nul arbre ne peut être abattu sans l’autorisation de M. Vandeleur, et pour chaque arbre abattu, après autorisation, deux autres arbres sont plantes en quelque endroit désigné par ledit M. Vandeleur. Les pelouses en avant et en arrière ne peuvent être cultivées, ni mises en pâture sans la permission de M. Vandeleur.
- Le 1er novembre 1832, s’il est établi après le relevé des comptes de l’année, que les produits ci-dessus énumérés ont été livres à M. Vandeleur; que tous les salaires ont été payés aux membres; que la Société n’est débitrice de qui que ce soit ; que toutes les obligations ont été remplies ; que la même quantité de produits de ferme que cette année est mise en réserve ; que le nombre, la qualité et la valeur du matériel et du stock n’ont pas diminué d’après les constations de l’inventaire ; alors le comité aura le droit de proclamer, en Assemblée générale des Associés que les hommes qui recevaient huit pences (80 centimes) en recevront 10 (1 fr.) dorénavant, et que les femmes qui en touchaient cinq (50 centimes) en recevront six (60 centimes) pendant le cours de l’année suivante.
- Ensuite, s’il est établi, qu’il reste une certaine somme de profits réalisés par les efforts communs, tout membre qui désirera se retirer de la Société pourra prendre sa part de profits, mais tout membre qui désirera rester associé, ne pourra retirer ce qui lui revient de bénéfices.
- Tous les profits seront accumulés jusqu’à ce qu’ils atteignent le montant porté en inventaire, pour le fonds et le matériel de la Société. Alors M. Vandeleur étant remboursé et la Société cessant de lui compter des intérêts, une assemblée générale des associés décidera quel usage devra être fait des bénéfices communs.
- Mais si, lo lel novembre 1832, la Société ne semble pas en situation prospère; si elle n’a point délivré à
- M. Vandeleur les produits énumérés ci-dessus; si elle n’a point payé tous les salaires de ses membres'; si elle n’a point une quantité de produits en réserve et de travail fait égale à celle du moment présent ; si le montant et la valeur des stocks de toute espèce, sont moindres que ceux donnés par l’inventaire actuel: alors tout l’ensemble des choses, denrées, instruments, fonds (le vif ouïe mort) retournera aux mains dudit John Scott Vandeleur. Celui-ci pourra choisir parmi les membres ceux qu’il jugera les plus propres à comprendre et soutenir le système d’association, ou bien il en agira avec sa propriété de la façon qu’il lui semblera convenable.
- Il est également convenu que si la force motrice hydraulique de Dereen n’est pas employée à quelque usage d’ici douze mois, elle cessera d être comprise dans la propriété abandonnée à la Société.
- John Scott Vandeleur.
- John Hastings.
- John Hogan.
- Edward-Thomas Craig.
- Signé par les parties ci-dessus le 10 de Novembre 1881.
- Quoique ce ne fut pas spécifié au contrat, la Société avait la faculté de bâtir des logements additionnels à mesure de l’augmentation du nombre des membres ; à la condition que pour chaque arbre abattu sur la propriété, en vue des constructions, deux jeunes arbres seraient plantés. Il y avait sur le domaine quantité de pierres à chaux propres à bâtir et de tourbes pour fabriquer la chaux servant à faire du mortier. Le propriétaire prenait à sa charge les frais de vitres et d’ardoises, les associes accomplissaient tous les autres travaux requis par la construction.
- Nous avons vu que le paiement du loyer et des intérêts était opéré en nature et qu’il s’élevait à la somme totale de......................
- Les loyers et les intérêts étaient fixés comme suit :
- Loyer des 375 hectares constituant le domaine et dont moitié environ étâit en culture. . . * • ..... .
- Bétail, valeur 37.500 fr. Intérêts à
- 6 0/0............................... •
- Bâtiments, valeur 25.000 fr. Intérêts à 6 0/0...........................*
- Matériel, machines, capitaux avancés au travail, valeur 20.840 fr. Intérêts à
- 6 0/0................................
- Total francs ....
- Plusieurs associés pensaient que le contrat était
- 22.500 fr.
- 17.500
- 2.250 1.500
- 1.250
- vvsôt:
- p.306 - vue 307/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 307
- trop favorable au propriétaire ; mais ils reconnaissaient aussi que le travail constamment assuré, les avantages domestiques et sociaux de la communauté, le confort et le bien-être garantis à chacun annulaient toutes les objections.
- On a dit que le contrat fait entre le propriétaire de Ralahine et la Société n’était point en accord avec les règles reconnues de l’économie politique. A cela M. Craig répond :
- « L’économie politique est perfectible et quand « elle se donnera pour but de réaliser la justice et le « bonheur, elle embrassera nombre de questions « sociales actuellement ignorées. Ce que sont au-« jourd’hui les relations du propriétaire, du tenan-« cier et de l’homme de peine, tout le monde le sait. « Ce que l’ouvrier peut gagner de paix, de prospé-« rité et de bonheur, Ralahine Fa démontré dans les « circonstances les plus difficiles. »
- (i Suivre).
- LES HÉROS DU TRAVAIL
- Ce titre, qu’un journal politique prenait pour son leader dans un des numéros de cette semaine, nous le prenons à notre tour pour entretenir nos lecteurs du grand événement qui vient de s’accomplir dans le monde des travailleurs, événement qui marquera dans l’histoira du travail comme une aurore, présage et symptôme de temps meilleurs. Nous voulons parler du banquet Gtrisel, dans lequel cent cinquante députés,mêlés a plus de mille travailleurs,célébraient sous la présidence du plus grand poète de la France, la nomination au grade de chevalier de la Légion d'honneur, d’un ouvrier, d’un mécanicien de chemin de fer, du brave Crise!.
- Nous disions dans un précédent article que le travail étant une mission sublime et sacrée qui fait de l’homme le collaborateur direct de la nature dans son œuvre merveilleuse d’élaboration, de transformation et de perfectionnement, l’agent le plus actif et le plus puissant du progrès, en un mot,la société, reconnaissant qu’elle doit tout au travail, devrait à un moment donné lui restituer sa véritable place à la tète de la civilisation, place usurpée jusqu’alors par les arts de la guerre, qui en sont au contraire l’antipode, et qui devraient être relégués au dernier rang. La grande manifestation qui vient d’avoir lieu a l’Elysée Montmartre est un commencement radieux de réalisation de cette prévision; car dans cette circonstance, ainsi qu’il l’a si bien dit lui-même, l’ou-Yrier Grisel était la personnification du travail dans j
- le pays, et c’est au travail que tous rendaient un hommage mérité dans sa personne.
- « C’est sur le charnp.de bataille du travail que l’ouvrier Grisel a gagné la croix d’honneur, » 4dit le journal en question, la Lanièrne; « c’est comme ouvrier qu’il a été décoré, et c’est justement à cause de cela que le banquet qui lui a été offert aujourd’hui a pris le caractère d’une manifestation solennelle.
- « En honorant ainsi le travail, les hommes qui sont à la tête du parti républicain affirment la véritable démocratie, et font bien voir quel chemin nous avons parcouru depuis quatre ans seulement. Quand en 1878, eût lieu l’épouvantable catastrophe de la rue Béranger, des ouvriers se signalèrent, » comme toujours, « par des actes d’un courage héroïque; on décora.... des commissaires de police. »
- Le gouvernement de la République, en faisant disparaître le préjugé bourgeois qui faisait trouver monstrùeux d’attacher la croix d’honneur sur une blouse, comme si la blouse du travailleur n’était pas le plus noble de tous Ls uniformes, le gouvernement de la République,dis-je, a rendu justice au travail et rehabilité cette croix d’honneur tant prodiguée par les gouvernements précédents à des généraux qui jouaient au billard pendant que leurs hommes, aux prises avec les prussiens, se faisaient tuer pour défendre leur drapeau, à des hommes politiques qui trahissaient leur ville, comme Perrinet Leclerc, en ouvrant ses portes à l’ennemi, aux lâches qui, pen-dantle siège évitaient,dans le service des ambulances, les rudes corvées du bastion et de la tranchée,et aux intrigants qui, moyennant finance, obtenaient d’un ministre trompé le brevet d’honneur, devenu de la sorte un stigmate d’infamie. Aucune guerre n’a provoqué une aussi grande largesse de croix que la lutte fratricide à jamais haïssable de la commune.
- Il n’y a pas encore bien longtemps, le peuple, avec son admirable bon sens, dans l’écœurement de cette prostitution d’un signe destiné à ennoblir pour ainsi dire l’homme à qui il était donné, avait trouvé l’expression de marqué de la Légion d'honneur, pour manifester son mépris pour ces hommes, qui ne l’avaient obtenu qu’à force de bassesses et de sollicitations, et c’était justice, car de même qu’un poète a pu dire avec raison :
- Le crime fait la honte et non pas l’échafaud, de même il est vrai que c’est le mérite, et non la croix qui rend l’homme honorable.
- Lorsqu’on décore un soldat pour une action d’éclat sar le champ de bataille, ou fait un acte de justice; car exposer sa vie pour la défense du pays est en somme une bonne action, c’est l’accomplissement méritoire d’un devoir sacré, c’est un service rendu à
- p.307 - vue 308/836
-
-
-
- BOB
- LE DEVOIR
- tous. Mais si un acte de bravoure dans un combat suffît à justifier cette distinction, combien le sera-t-elle davantage lorsqu’elle est accordée à cette série incessante d’actes d’abnégation et de courage qui constitue la vie entière du travailleur ? Le mécanic ien de chemin de fer, comme Grisel, joue tous les jours à toute heure sa vie sur sa machine, pour préserver les existences des milliers d’êtres humains confiées à son intelligence, à son habileté, à son sang-froid et à sa prudence. Le mineur au fond de son puits de mine sacrifie constamment sa vie que le grisou, les éboulements, la rupture des vannes menacent bien plus dangereusement que les balles ou les obus en pleine campagne. Le modeste pompier expose également son existence à tout instant, en luttant à outrance contre l’effroyable fléau. Le travailleur dans l’usine court autant de dangers que le soldat dans les combats, et s’il y a entre eux une différence, elle consiste en ce que pour l’ouvrier le péril est constant quotidien, sans relâche,tandis que pour l’homme des camps, il est momentané et intermittent, et de plus en ce que le premier s’y expose dans une lutte utile au progrès de l’humanité, au bien de la société, sans que cela puisse nuire à personne, tandis que le second ne sert le plus souvent qu’une cause injuste ou inutile, et toujours par le meurtre, le pillage etla destruction.
- C’est par un préjugé aussi absurde que persistant que cette distinction honorifique,aété dès sa création, plus particulièrement réservée aux militaires, et le gouvernement qui a décoré en Grisel le travailleur, a mieux compris que ses prédécesseurs le vrai mérite, la véritable gloire, l'honneur réel.
- « Qui a fait cet homme ! demande Victor Hugo en parlant de Grisel ; » c’est le travail. Qui a fait cette fête? C’est la République. » Honneur donc à la République d’avoir ainsi inauguré la rehabilisation du travail.
- L’histoire de la guerre compte les héros guerriers par centaines, peut-être même par milliers, si l’on veut. Innombrables sont les héros du travail, et leurs victoires sont inscrites en caractères ineffaçables sur toute la surface de la terre. Ce sont ces victoires qu’attestent les pyramides mille fois séculaires de l’Egypte, les gigantesques ruines des temples de Denderah, de Louqsor, d’Ellora, de Copan et de Nag-kon-Watt, en Egypte, dans l’Inde, à Siam, au Mexique. C’est le travailleur qui a élevé ces phares qui guident au port le navigateur, et que les flots battent impuissants depuis des siècles; c’est lui qui, au péril de sa vie, va chercher au fond des mers la perle, le corail, le madrépore, ce qui embellit et ce qui pare, ce qui nourrit et ce qui sert. C’est lui qui, traçant à
- la sueur de son front le dur sillon, prépare la moisson indispensable à l’aümentation de l’homme; c’est lui, lui toujours, qui façonne le métal et le transforme en outil, travaille le bois et le métamorphose en meubles, manipule la terre et la pierre dont il construit des habitations et des monuments, lui qUj fournit à tous les éléments de l’aisance, du comfort et du luxe. C’est lui, en un mot, qui lutte sans relâ-che et sans trêve aux prises avec la matière, avec les éléments, avec les obstacles de toute sorte,pour compléter l’œuvre du Créateur, et pousser toujours en avant celle du progrès.
- Ce travail constant qui occupe l’existence entière de l’homme est bien autrement méritoire, bien autrement héroïque, convenons-en enfin, que la vie du soldat dans les loisirs de la caserne, alternés avec le désordre des camps et les horreurs de la bataille. Et il est plus fécond encore qu’elle en traits d’héroïsme et de dévouement de nature à immortaliser un nom. L’acte du mécanicien Lavergne qui, n’ayant que sept secondes pour éviter une mort imminente, en emploie cinq à renverser sa vapeur, et deux à lancer hors de la voie son chauffeur dont il sauve la vie en sacrifiant la sienne, est à la hauteur des sacrifices du chevalier d’Assas, de Barra et autres.
- « Dans la mine où le grisou est plus dangereux que les obus et les balles, » dit l’article déjà cité, « dans l’usine où l’engrenage emporte un bras plus facilement que ne le fait un boulet, sur la iocomotive où le mécanicien est toujours la première victime d’un accident quel qu’il soit, chaque jour des ouvriers exposent courageusement leur vie, pour sauver quelques-uns de leurs semblables. »
- Le fait de Grisel, le nouveau chevalier, le prouve. Voici comment le raconte notre grand poète : « Uû jour il dirigeait un convoi. A un point de la route, il s’arrête.—Avancez, lui crie le chef de gare. — Il refuse. Co refus, c’était sa révocation, c’était la radiation de tous ses services. c’était l’effacement de sa vie entière. Il persiste. Au moment où ce refus définitif et absolu le perd, un pont sur lequel il n’a pas voulu précipiter le convoi s’écroule. Qu’a-t-il donc refusé? Il a refusé une catastrophe.
- « Cet acte a été superbe; cette protection donnée par l’humble et vaillant ouvrier, n’oubliant que lui-même, à toutes les existences humaines mêlées à ce convoi, voilà ce que la République glorifie.
- « En honorant cet homme, » ajoute Victor Hugo,
- « elle honore les deux cent mille travailleurs des chemins de fer de France que Grisel représente. »
- En honorant ce travailleur, ajouterons-nous, la République honore tous les travailleurs, elle rend au travail réhabilité la place qui lui convient seule â la
- p.308 - vue 309/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 809
- tète des sociétés civilisées. SLa croix d’honneur a souvent été flétrie par l’habit noir sur lequelle elle était placée, elle ne le sera jamais par la blouse^ qQ’on le sache bien, parce que sous ce grossier vêtement du travailleur bat toujours un cœur aux nobles instincts et incapable de certaines bassesses, de certaines compromissions indignas, trop fréquentes dans une catégorie se prétendant plus élevée d’individus.
- Et ce n’est pas un mince sujet de satisfaction que celui qu’offre au démocrate sincère le spectacle dont nous sommes témoins de nos jours au sein de la société. Tandis que le travailleur s’élève et grandit de plus en plus dans l’opinion qui rend justice à sa dignité et à sa valeur, de scandaleux procès dévoilent à nu aux jeux de tous, les sentiments bas et méprisables de certains membres de ces classes dirigeantes, de cette aristocratie, si Aères jadis de leur rang, du hasard de leur naissance, de leurs titres, qui les faisaient se considérer comme étant d’une nature supérieure, et les portaient à mépriser tous ceux qui n’avaient point leur prétendu sang bleu des héros des croisades dans les veines. Leur inutile et pernicieuse oisiveté les a perdus, dégradés, avilis au point,qu’ils ont perdu jusqu’au sens moral, n’appréciant plus ce qui est bien ni ce qui est mal, n’ayant plus la notion du juste et de l’injuste, et faisant litière des sentiments les plus naturels, tels que celui de la famille, de sa propre dignité et de l’honneur. Désormais, sur ces poitrines-là la croix d’honneur serait une anomalie, un contraste disparate; c’est pour cela que la nation républicaine toute entière a tenu à célébrer dans une manifestation éclatante l’apparition de cette radieuse étoile sur une poitrine d’ouvrier qui, loin de la déshonorer, la réhabilite au contraire et l’ennoblit. Honneur donc, trois fois honneur au Travail qui a si bien mérité cette distinction, et honneur aussi au gouvernement républicain qui a su enfin la lui recorder.
- Nota. — Cet article était déjà composé lorsque nous avons reçu celui de notre ami et collaborateur le docteur Ch. Pellarin, que nous publions plus loin.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- M. Villeneuve adressé à M. de Freycinet, au sujet de Egypte. une question qu’il avait annoncée depuis plu-leurs jours. Cette question se rencontrait avec de nou-eaux et graves événements dont le télégraphe venait apporter la nouvelle. Les explications fournies par le j
- ministre ont confirmé les faits tels que les dépêches nous les avaient appris. Le khédive a seuti la gravité du jugement rendu contre les officiers inculpés de complot contre Arabi ; il n’a pas voulu s’associer à des vengeances personnelles ou à des desseins cachés, et, au lieu de ratifier la sentence comme on voilait lui en imposer l’obligation, il a commué la condamnation qu’elle prononçait. C’était se mettre à la fois en opposition avec le parti militaire, dont les prétentions rencontraient tout à coup cet obstacle, et avec la Porte, à laquelle le khédive avait d’abord demandé conseil, mais dont il s’était décidé ensuite à ne point attendre .es instructions. Ces résolutions, fort surprenantes chez un prince aussi pusillanime que Tevfix s’était montré depuis quelque temps, indiquaient assez quil se se sentait appuyé. Mis en demeure de (onsentir à une nouvelle hum liaiion, à de nouvelles entreptises contre son autorité, acculé à une extrémité dans laquelle une concession aurait été l'équivalent d’une abdication, l’infortuné a enfin pris le parti de suivre les inspirations des puissances, celle en particulier des consuls de France et d’Angleterre, et il a résisté aux injouetious de ses ministres. Ceux-ci se sont aussitôt mis en insurrection contre le souverain. Ils ont, de leur autorité privée, convoqué cette Assemblée des notables, dont ils connaissent la docilité, et ils parlent ouvertement aujourd’hui de déposer Tevfik. Teüe est la situation. Ede est singulièrement compliquée : car, outre le conflit entre le khédive et le parti militaire, il y a la résistance de l'un et de l’autre aux tentatives de la Porte pour intervenir dans le différend, il y a les instances du sultan auprès des puissances pour obtenir l’autorisation de faire acte de souveraineté en Egypte, et il y a les intérêts divers de ces puissances, la position privilégiée dont la France et l’Angleterre réclament le maintien, la politique de l'Italie, qui voudrait au contraire profiter de l’occasion pour rompre un protectorat dont elle est exclue, les vues enfin de l’Allemagne et de l’Autriche, qui, si elles n’ont point d'intérêts directs sur 1$ Nil, peuvent se regarder comme tenues à des ménagements pour la Turquie, l’Allemagne surtout qui, dans ces derniers temps, et de plus en plus, a pris le rôle de guide et de conseiller du sultan,
- La réponse que M. le président du conseil a faite à M. Villeneuve a eu ceci d’excellent, qu’elle a répondu aux diverses préoccupations que nous venons d’indiquer, et qu’elle y a répondu de manière à dissiper tous les doute?, à calmer toutes les appréhensions qu’on avait pu concevoir sur le parti de la France dans des négociations extrêmement enchevêtrées et délicates. Plus de doute désormais : l’indépendance de lEgypie à l’égard delà Turquie a été affirmée et confirmée parla liberté, que le khédive s’est attribuée, de prendre une décision importante sans attendre l’avis de Constantinople; l’appui de l’Europe a été virtuellement promis à Tevfik contre l’insurrection militaire, puisque ce sont les consuls qui l’ont encouragé à la résistance; la France et l’Angleterre sont d’accord pour maintenir leur position privilégiée au Caire, et la France, dans tous les cas, e^t décidée à faire respecter la sienne. Ajoutons que cette situation prépondérante est reconnue par les autres puissances,
- « qui ne font aucune difficulté d’abandonner aux deux gouvernements la politique en Egypte. Il est inutile d’insister sur l’importance de ces divers points, qu’on peut désormais tenir pour acquis.
- Congrès régional ouvrier, — Le troisième Congrès régional ouvrier du Centre est ouvert, à Paris, le U courant. Les chambres syndicales, corporations, cercles et groupes ouvriers ont été invités à désigner leurs délégués à ces assises du travail.
- On doit y traiter les questions des grèves, des congrès corporatifs et de l'action des municipalités socialistes dans l’œuvre de l’émancipation du prolétariat.
- ANGLETERRE
- Lo drame de Dublin. — C’est le ministre de l’intérieur, sir W. Harcourt, et non M. Gladstone qni a
- p.309 - vue 310/836
-
-
-
- 310
- LE DEVOIR
- présenté à la chambre des communes le projet de loi en vue de réprimer les crimes agraires en Irlande. Ce projet est particulièrement dirigé contre les sociétés secrètes, qui sont, au dire du ministre, responsable des attentats qui désolent l'Irlande. Il commence par retirer au jury de cour d’assises le jugement des crimes agraires, pour le déférer à trois juges* de la cour suprême qui devront prononcer leur arrêt à l’unanimité. Il suspend ensuite l’inviolabilité du domicile et autorise la police à faire, de nuit et de jour, des perquisitions domiciliaires dans les maisons suspectes. La loi contre les étrangers sera remise en vigueur. L’affiliation à une société secrète sera poursuivie comme un délit, et le lord-lieutenant sera autorisé à dissoudre les réunions illégales et à supprimer les journaux qui propageraient la terreur ou provoqueraient au crime. Enfin lés districts où des crimes agraires auront été commis seront rendus responsables de ces actes et frappés d’une amende. Telle est l’économie de la loi qui restera en vigueur pendant trois ans.
- Le projet de loi, hautement approuvé par M. Forster, n’a jusqu’à présent rencontré de l’opposition qne chez les députés irlandais. M. Parnell considère lebiîl comme la me. ure la plus rigoureuse qui ait jamais été proposée pour être appliquée à l’Irlande, et ses collègues, MM. Diîlon et O Donnell l'ont attaqué avec une extrême violence. La rupture est complète entre les Irlandais et le gouvernement, et la trêve conclue devant le cercueil de lord Cavendish peut être considérée comme rompue.
- L’opinion publique anglaise réserve, au contraire, un accueil favorable au bill, si l’on en juge par le langage satisfait de tous les journaux. Le Times constate la rigueur du remède, mais il en reconnaît l’absolue nécessité. Seul le Daily News, où dominent les tendances radicales, trouve le bill trop sévère, mais réserve toutefois son jugement définitif jusqu’après un examen détaillé du projet.
- RUSSIE
- Une dépêche de Gracovie publiée par la Nouvelle Presse libre rapporte qu’à Varsovie une foule considérable d’ouvriers s’est portée devant le château du gouverneur général, demandant à grands cris l’expulsion de la ville de tous les Allemands qui accaparent les meilleures places dans les ateliers. On a dû avoir recours à la force armée ponr disperser la foule.
- Les dernières dépêches de Russie signalent toute une série d’incendies dans différentes parties de l’empire.
- A Smiela (gouvernement de Kiew) deux incendies ont détruit 200 maisons ; plusieurs grands incendies ont détruit en grande partie la ville clé Tomsk. Jeudi dernier, enfin, a éclaté un grand incendie à Oranienbaum, près de Saint-PTersbeurg. Trente-six maisons ont été détruites par le feu.
- Une enquête faite à Balta (Russie du sud) permet de eostater que 976 maisons ont éiô brûlées ou démolies 253 boutiques ou cabarets dévalisés et 211 israëlites blessés. Le nombre de morts a ôté de 8, mais beaucoup •de blessés ont succombé, et des gens ayant disparu sont considérés comme morts. Plusieurs cas de viol ont été constatés et un certain nombre de femmes sont devenues folles. Ce qu’il y a de vraiment étrange, c’est que le 8 mai une nouvelle tentative de pillage et de massacre s’est produite ; la troupe est intervenue à temps pour éloigner les émeutiers.
- On annonce en outre que plusieurs villages juifs de la Pologne ont ôté saccagés par les paysans; des excès sont encore signalés dans les gouvernements de l’Ouest notamment dans celui du Kiew.
- A tous ces renseignements il convient d’ajouter ceux qui parviennent des provinces allemandes de la Baltique. Des émissaires inconnus circulent dans le pays, prêchent la cause du panslavisme, ces apôtres organisent des assemblées populaires et gagnent les populations russes à leur cause. Déjà,comme en Irlande, les fermiers refusent de payer à leurs maîtres, propriétaires allemands, le loyer de fermes et domaines ; ils prétendent I que le s Petit Père » (le caar) leur fait cadeau de cet ar- S
- | gent. La haine de l’Allemand est devenu un cri de rallje, I ment général ; un comité exécutif lance des proclamai i lions,ni plus ni moins que le comité nihiliste,engageant les populations russes à chasser les « messieurs * allemands. »
- Ajoutons pour terminer que les débats d’un grand procès militaire vont s’ouvrir à SaL t-Pétersbourg, p n’y a pas moins de 2 0 accusés, officiers supérieurs et subalternes, intendants, etc. Il s’agit de dilapidations commises pendant la guerre russo-turque, notamm«nt dans le coïps d’armée de Bulgarie.
- AUTRICHE
- Les journaux autrichiens nous apportent le programme des réformes que revendiquent à Vienne les ouvriers et les paysans autrichiens, réclamant :
- « Suffrage universel et direct ; pleine liberté de la presse, de réunion, d’association de grève, de coalition-séparation de l’Eglise et de l’Etat ; séparation de l’église et des écoles; instruction obligatoire,laïque et gratuité-abolition de l’armée permanente remplacée par la nation armée; abolition des impôts indirects remplacés par un impôt unique, direct et progressif sur le revenue : réduction des heures de travail, enfin l’élection des magistrats et la gratuité de la justice et de la pi\ cédure ;
- Ce programme laisserait peu de chose à désirer en effet au point de vue politique, et il est à souhaiter qu’il soit promptement rempli.
- ITALIE
- On écrit de Rome aux Etats-Unis-à'Europe :
- Le nombre des électeurs inscrits sur les listes électorales nouvelles s’élève à 2,050,000 : il eût été de 2,500,000 si le ministère, craignant de voir tous ces nouveaux venus se précipiter aux urnes pour renverser l’ordre de choses actuel, n’avait arrêté le torrent des incri plions en les entourant do formalités hypocrites et ridicules, et en n’accordant que huit jours aux nouveaux électeurs pour se faire inscrire. Quand on pense qu’il n’y en avait que 6,320,000 sur lesquels 400,000 à peine étaient parmi les électeurs actifs, dont 250,000 fonctionnaires de l’Etat et des Provinces, on est bien autorisé à penser qu’à moins de pressions et de violences de la part du gouvernement, il y aura beaucoup de changements d’ici à quelques années. C’est dans cette prévision que le parti national démocratique, qui compte dans son sein les patriotes les plus éminents et les plus dévoués, se propose d’engager une campagne électorale, tout au moins dans certaines provinces, et de présenter des candidats choisis dans toutes les fractions de la démocratie : républicains unitaires, démocrates fédéralistes, socialistes évolutionnistes, qui accepteront un programme commun arrêté dans une réunion qui a eu lieu ces jours-ci à Reg-gio d’Emilia et dont les principes généraux d’ailleurs sont les principes de toute la démocratie européenne.
- Il va sans dire que les cléricaux, royalistes et exploiteurs privilégiés de la situation actuelle prophétisent la fin du monde pour le cas où des candidats du parti démocratique national seraient élus même en minorité : les plus autoritaires demandent qu’oa supprime simplement le parti démocratique et ses candidats en les faisant coffrer. Mais, n’en déplaise aux flatteurs byzantins de « la plus ancienne maison princière de l'Europe » ce programme est celui qui tôt ou tard devra triompher. La question est posée, lTtalie sera ou ne sera pas, selon qu’elle reprendra ou laissera échapper la direction de ses propres affaires, selon qu’elle comprendra ou méconnailra sa mission historique dans le monde.
- A. U.
- *
- * *
- Le curé d’une paroisse de Ravenne, en Italie, Don Ravagîia, qui s’occupe de mécanique, a inventé un appareil électrique au moyen, duquel on peut, en cas d’incendie, ouvrir simultanément toutes les portes d’un théâtre,
- p.310 - vue 311/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 311
- t 'appareil a été essayé dans le théâtre Alighieri, qui iAuVportes.
- a f'expérience a parfaitement réussi. Pour celte pré-•use invention, le curé Don Ravaglia a été décoré.
- C1 Voilà un curé progressiste. Le roi Humbert lui a en-yè comme récompense, une belle croix de chevalier.
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE VII
- gi Fontainebleau, Compïègne, les Tuileries, etc., sont les palais de ia royauté disparue pour jamais de notre pays, espérons-le, le Familistère est le palais du Travail, la splendide habitation du Travailleur, ce roi bien autrement légitime et puissant que les monarques de tout nom, aujourd’hui tombés en France, qui sans lui ne pouvaient rien en réalité. L'Association du Familistère fondée sur l’alliance intime et indestructible du Travail et du Capital fait au travail la plus large place possible, et pas un des habitants du Palais social qui ne fournisse largement son contingent de labeur quotidien à l’œuvre commune. Dans la pensée de l’éminent fondateur, le travail étant le moyen le plus efficace de moralisation et de progrès, toute sa conception est basée solidement sur lui, et l’on pourrait inscrire au fronton de l’édifice élevé dans ce s vues : « In labore salm » le Salut est dans le Trayaü.
- Nous avons déjà eu l’occasion de remarquer en visitant l’usine et l’habitation unitaire, que l’admirable organisation des ateliers dans l’une,et des divers services dans l’autre, avait eu pour résultat d’éteindre chez tous les travailleurs qui en font partie ce goût funeste des chômages inutiles du lundi, qui sont une véritable plaie pour les grandes agglomérations d’ouvriers, et que la somme annuelle de labeur obtenu était par conséquent plus régulière et plus considérable que dans la grande majorité des autres établissements analogues, Aussi serait-on sans doute autorisé à dire que, toutes choses égales d’ailleurs, l’habitant du Familistère est plus assidu à la besogne, plus actif, et plus consciencieux que la plupart des travailleurs d’usine surtout des grandes villes, et que ces qualités précieuses c’est à l’existence qui lui est faite de la sorte qu’il en doit en partie l’acquisition, A ce point de vue, il est incontestable que l’œuvre du fondateur a donné des résultats qui ne laissent rien à désirer comme démonstration de son utilité et de son efficacité moralisatrice et favorable au progrès de l’humanité.
- Le travailleur y est encouragé au labeur par tous ies stimulants possibles, et rien n’a été négligé pour foire progresse? en lui ce goût et cas tendances. Non*
- seulement il y est directement intéressé, mais on tâche d’entretenir dans son âme une salutaire émulation par des récompenses, des prix accordés à l’initiative personnelle, aux innovations intelligentes à tout ce qui en un mot peut contribuer au développement de l’industrie, à l’amélioration des procédés, à l’avancement et au progrès de la production. Ce qui se fait pour l’adulte, se pratique également pour l’enfant, et vous avez pu voir, ami lecteur, que la question de l’éducation et de l’instruction est une de celles qui tiennent la plus grande place dans les préoccupations de l’administrateur-gérant de l’Association et de son Conseil de Gérance. Les allocations les plus larges sont accordées pour cela, et chaque jour voit réaliser de nouvelles améliorations, des progrès nouveaux dans cette branche importante au premier chef de l’entreprise remarquable que nous avons étudiée ensemble.
- Tout en poussant ainsi par tous les moyens possibles à l’ardeur au travail et à l’assiduité aux ateliers et aux écoles, l’on a parfaitement compris qu’à l’homme fatigué il faut, aux heures et aux jours dp repos, des jouissances plus complètes qu’à l’oisif indifférent, inutile et blasé ; de là le soin que Ton a pris de construire le Palais social dans les meilleures conditions pour procurer cette satisfaction â ses habitants, Les grandes cours vitrées, les salles publiques, le théâtre, la bibliothèque, le casino, les jardins et leurs vastes pelouses émaillées de fleurs champêtres, leurs ombrages charmants qui se reflètent dans les eaux tranquilles de l’Oise aux capricieux contours, sont autant de moyens de délassement agréable fournis aux travailleurs grands et petits,et dont chacun jouit largement à son gré.
- Les sociétés qui auraient toute liberté de se former au s< in de cette population placée dans de si heureuses conditions, et qui s'y formeront certainement le jour ou elle finira par en sentir le besoin, comme s’y sont déjà formées celles des archers, des carabiniers, des pompiers, des musiciens, ajouteront un nouvel élément très puissant à ceux déjà nombreux de distraction et de plaisir que possède le Familistère. On peut donc dire que tous les agréments possibles ont été rendus accessibles à cette population favorisée, qui n’apprécie peut-être pas complètement à sa juste valeur sa situation exceptionnelle, et que Ton trouverait diffilement à mentionner une satisfaction, une jouissance, que l’on ne se soit pas efforcé dans la mesure du possible de mettre à sa disposition.
- Pour compléter cet ensemble d’encouragements au Travail par le délassement rendu le plus agréable et plus complet, deux grandes fêtes annuelles ont
- p.311 - vue 312/836
-
-
-
- 312
- LE DEVOTE
- été instituées, à l’occasion précisément de la distribution annuelle des récompenses au mérite dont nous avons parlé. L’une de ces fêtes, celle du Travail est célébrée le premier dimanche de Mai, au moment où la nature entière réjouie par le retour des beaux jours se réveille et commence à se parer de ses gracieux atours. L’autre, la fête de l’Enfance a lieu le premier dimanche de septembre, au moment des vacances, des vendanges et de la cueillette des fruits. Chacune de ces fêtes dure deux jours.
- C’est la première surtout qui est la grande solen nité du Familistère. A son approche, parmi cette population assez peu démonstrative en général, l’espérance du plaisir que l’on se promet d’y goûter fait battre les cœurs et briller le regard, car chacun sent que c’est sa propre fête, sa fête à lui, et non pas une fête banale, sans but comme sans cause qu’il va célébrer. Dans cette pensée et animé de ce sentiment, c’est à qui contribuera de son mieux à la décoration des cours, à qui composera le plus riche, le plus élégant trophée d’instruments ou d’attributs du travail, et cette émulation existe ardente non-seulement entre les individus,mais encore entre les ateliers. La fonderie rivalise avec l’outillage, l’outillage avec le matériel, celui-ci avec l’émaillage, chacun lutte de son mieux pour l’emporter en ingéniosité d’invention, en bon goût et en,luxe dans l’exécution. Dans cette pacifique bataille, tous veulent remporter la victoire, et aucun effort n’est épargné pour cela. Aussi voit-on s’élever dans quelques heures de splendides trophées, des panoplies merveilleuses, qui donnent à la cour du Familistère un aspect tout à la fois grandiose et gai qui fait la satisfaction de sa population, et l’admiration des visiteurs émerveillés.
- C’est un imposant spectacle que celui de ces solennités du Travail au fond desquelles se cache une idée salutaire, bien propre à faire comprendre à tous la distance qui sépare les habitants du palais social de l’état d’abandon et d’isolement dans lequel ils se trouvaient auparavant dans la maison solitaire. Tous ces avantages de l’aisance et même'de la richesse dont il use aujourd’hui sans pour ainsi dire y prendre garde, ce luxe modeste mais réel qui l’entoure, ces agréments nombreux réunis pour lui et mis à sa portée, n’existaient point pour lui naguère sous le toit de chaume qui l’abritait lui et les siens.
- Dans ^a salle du Théâtre magnifiquement décorée d’arbuste, de feuillages et de fleurs pour la circonstance, a lieu l’âprès-midi, en présence de toute la population augmentée des parents, des amis, d’invités nombreux et de curieux accourus de tous les points du canton, la proclamation des récompenses accordées au mérité dans la pratique industrielle,
- précédée toujours d’un discours substantiel et plein de précieux enseignements du digne fondateur ç}e cette œuvre admirable.
- L’Harmonie du Familistère riche d’une cinquantaine d’exécutants, dont quelques- uns sont de vérita. blés artistes, et de quantités de prix remportés dans différents concours qui forment à sa bannière une opulente couronne, l’Harmonie du Familistère prodigue sans compter, dans ces solennités ses accords les plus mélodieux, et l’on ne saurait trop rendre hommage à son zèle, à sa bonne volonté, à son infatigable entrain. Des chœurs d’enfants ajoutent un charme de plus à tant d’éléments de plaisir, et l’on sort de cette enceinte ému, charmé, réconforté.
- Le soir, la vaste cour est transformée en une immense salle de bal. Dès que l’heure en a sonné, elle se remplit, et aux premières notes de l’orchestre des milliers de danseurs s’élancent, parfois un peu foulés, mais toujours plein d’animation et d’entrain, jusqu’à une heure avancée de la nuit, les quadrilles alternant avec les danses de caractère, et la valse entraînant les couples heureux d’un bout de la salle à l’autre, sous les yeux des milliers de spectateurs massés dans les galeries.
- La journée du lendemain est tout entière consacrée aux jeux et aux concours de toute espèce, tirs, baquets, seringues, ciseaux, carrousel que sais-je ? Souvent ce n’est qu’un long éclat de rire depuis le matin jusqu'au soir, et au milieu de tous ces amusements si variés et si nombreux le temps passe avec une rapidité vertigineuse. Le soir, une fête de nuit dans les jardins où un bai terminent gaiement la solennité, dont le souvenir est gardé vivace dans les cœurs. „
- La fête de l’enfance est organisée de même que celle du Travail, et c’est la distribution des prix aux élèves des écoles du Familistère qui en fournit le thème, comme la proclamation des récompenses aux travailleurs de l’Usine fournit celui, de la fête du commencement de Mai. Dans celle-ci la nature, suivant l’expression du chansonnier, d’une fillette à la pâleur, et dans l'autre, dans la plénitude de son épanouissement, elle a fait succéder aux fleurs les fruits dans lesquels l’enfant peut mordre à pleines dents. Dans l’une comme dans l’autre l’entrain est grand, la joie intense, la satisfaction profonde.
- Les fêtes sont comme la halte salutaire après l’étape fatigante. Le travailleur y puise dans un repos bien gagné des forces nouvelles et une nouvelle ardeur pour poursuivre sa route vers le pogrès. Elles sont un prétexte et une cause d’union entre les travailleurs qui se concertent forcément pour les préparatifs, et qui partagent en commun ensuite les
- p.312 - vue 313/836
-
-
-
- /
- LE DEVOIR
- 313
- jouissances qu’elle leur procure Le plaisir de chacun se trouve ainsi augmenté du plaisir de tous, et dans chacune de ces circonstances les liens de la fraternité ne peuvent se resserrer de plus en plus entre tous les habitants du Palais social. Rien n’unit les cœurs comme la communauté de plaisirs et de peines, et c’est pour cela que l’idée de l’habitation unitaire est infiniment préférable, comme agent de concorde et de fraternité, aux maisons ou cités ouvrières et autres combinaisons imaginées pour le logement des travailleurs.
- Ce qui le prouverait encore au besoin, c’est le fait que depuis que ces fêtes ont été instituées au Familistère, c’est-à-dire depuis près de vingt ans, jamais pendant ces deux journées durant lesquelles plus de mille personnes sont constamment en contact, au milieu d’excitations de toute sorte, une querelle, pas une dispute n’a été constatée, chose assurément bien rare dans de pareilles conditions.
- (A suivre.)
- SI FAIT VRAIMENT, IL Y A U QUESTION SOCIALE !
- Oui, quoiqu’en dise et redise, avec plus d’obstination que de raison, un puissant orateur, il y a la question sociale; la question des rapports entre le travail et le capital, résumant en elle toutes les questions sociales. Elle a une solution unique, l'association du travail et du capital, substituée à leur antagonisme actuel. Hors de là, point de solution possible des difficultés de tout genre, et des antinomies que présente notre état de société.
- Ce premier point réglé, l’accord des intérêts et la solidarité une fois bien établis e«tre le capital et le travail (ce qui ne peut résulter que de leur association), tous les autres problèmes, compris sous le nom de questions sociales partielles, tous ces problèmes quelle que soit leur apparente diversité, se résolvent d’eux-mêmes et comme par enchantement. Ils ont tous une affinité plus ou moins étroite avec ce fait fondamental : le travail et la condition qui lui est faite.
- On sait comment, au banquet donné par les mécaniciens et employés de chemins de fer pour fêter la décoration accordée à un de leurs camarades, M. Grisel, qui s’est signalé par toute une vie de conduite exemplaire et par un acte de courageux dévouement; on sait, dis-je, comment M. Gambetta a réédité, en le commentant, son apophtegme : « Il n’y a pas une question sociale » comme il avait dit autrefois à Rouen, ou bien : « Ii n’y a pas la question sociale, » comme il a dit ces jours derniers à l’Elysée Montmartre.
- j Mais avant de combattre l’assertion de l’éminent orateur, j’éprouve le besoin de protester contre l’indigne débordement d’outrages dont la haine furieuse de nos intransigeants continue à le poursuivre.
- Sommes-nous donc, nous autres républicains, sommes-nous trop riches en hommes de valeur et de réel talent, pour que nous frappions ainsi d’indignité ceux d’entre eux avec lesquels nous différons d'opinion à certains égards ou qui même auraient, à notre avis, .commis quelques fautes ? Qui donc après tout, peut se flatter d’être infaillible ? Partisans de la cause républicaine et démocratique, demandons-nous si elle ne pourrait pas encore un jour avoir besoin des services de M. Gambetta; gardons-nous de traîner aux gémonies l'éloquent tribun qui, pour ne rappeler qu’une des phases de sa vie politique, fut contre la menaçante entreprise du 16 mai, le plus solide rempart de la République.
- Cela dit, j’en viens à la malheureuse thèse de M. Gambetta : « il n’y a pas la question sociale » qu’il a reproduite avec un préliminaire peu intelligible.
- Relevant un mot du héros de la fête, le mécanicien Grisel, qui avait demandé pour les employés des compagnies de chemin de fer la protection des pouvoirs publics, M. Gambetta s’est exprimé ainsi qu’il suit :
- « Non, ce n’est pas de la protection qu’il vous faut,
- « c’est de la collaboration.
- « C’est par la coilaboration avec chaque branche « du travail que l’on pourra peu à peu résoudre les « difficultés. »
- J’avoue ne pas comprendre, et si ce n’était pas la République française, l’organe attitré de M. Gambetta, qui rapportât ces paroles, je douterais de leur authenticité.
- L’orateur continue : « C’est en faisant appel à la « science économique, à la science sociale qui a une « solution pour chaque problème, et non pas une « solution unique pour tous les problèmes. C’est « dans ce sens que je dis, que je répète, que je répé-« terai toujours, parce que c’est la vérité, qu’il n’y « a pas la question sociale : il y a des questions soft ciales. » (Très bien! Très bien ! Marques d’assentiment).
- Eh bien, je n’hésite pas à m’inscrire en faux contre cette affirmation « que la science économique, la science sociale a une solution pour chaque problème.» Tous ces problèmes ont d’ailleurs une connexité telle qu’on n’en saurait résoudre aucun isolément.
- Il faudrait savoir de quelle science économique, de quelle science sociale entend parler M. Gambetta,
- p.313 - vue 314/836
-
-
-
- 814
- LE DEVOIR
- quand il promet en leur nom une solution pour chaque problème.
- Est-ce de l’économie politique orthodoxe? Mais elle s’en tient à sa loi brute de Coffre et de la demande; elle proclame le laissez-faire et le laissez-passer; elle protège et sanctionne toutes les monstruosités de la licence commerciale avec ses fraudes et ses sophistications, avec ses spéculations d’accaparement et autres qui jettent le désordre dans la production et la consommation, avec sa concurrence mensongère, dépréciative du prix du travail : cette économie politique aurait-elle donc pour Iss problèmes posés de nos jours des solutions qu’elle tiendrait jusqu’alors discrètement cachées? Non, certes, car elle déclare elle-même que sa tâche se borne à constater ce qui est.
- Quant à la silence sociale que mentionne en second lieu M. Gambetta, serait-ce par hasard la sociologie d’Auguste Comte qu’il a proclamé un jour le plus grand penseur du xix9 siècle ? Or voici ce que professe l’école de Comte, fidèle en cela aux enseignements du maître :
- « Les positivistes affirment hautement, malgré « l’opinion générale, que le travail humain ne pourra « se régulariser, la production et la consommation se « socialiser, si la population ne se compose en « grande majorité do prolétaires, c’est-à-dire de « gens n’ayant aucun profit personnel dans les en-u treprises. Ce n’est donc pas, suivant eux, S’aboli-« tion du prolétariat qu’il est désirable de poursui-« vre, mais au contraire, sa plus grande extension « possible ! » La Revue occidentale, dirigée par M. Pierre Laffitte, n° de mars 1882.
- Est-ce là une solution du goût de M. Gambetta? Et quand il préconise l’alliance du prolétariat et de la bourgeoisie, est-ce à la condition que le premier s’étendra le plus possible et que par contre, la seconde se réduira proportionnellement, tout en demeurant, du fait de sa possession des capitaux, la directrice exclusive des opérations industrielles? Ce serait la contre partie du plan de Garnier-Pagès l’aîné, lorsqu’il disait il 7 a cinquante ans, au nom du parti républicain ; « Ce que nous voulons, ce n’est point rogner les habits, mais allonger les vestes. »
- Il faut cependant sortir de ce vague où s’enfer^ ment M. Gambetta et beaucoup d’autres sur le compte de la question sociale. Nous soutenons, nous, qu’elle réside essentiellement dans la question des rapports entre le travail et le capital; que sa solution consiste à élever le travailleur de la condition de salarié à celle de participant aux bénéfices et d'associé, Telle est la marcha â suivre ; il n’y en a
- pas d’autre, quelle que soit la variété des travaux et la profession qu’on envisage.
- Mais ce n’est pas à dire que cette transformation, que cette évolution si l’on veut, n’offre point de difficultés ; qu’elle n’exige pas de la science et du temps, la connaissance des hommes, ia pratique des affaires, beaucoup de bonne volonté Chez les chefs d’industrie qui prennent cette louable initiative et une longue succession d’efforts dont quelques'uns déjà ont donné l’exemple, efforts d’ailleurs couronnés de succès. Té» moin le Familistère de Guis ', l’association des peintres en bâtiment de la maison Leclaira et Cie, etc.
- Ce qu’il faudrait, c’est inciter et encourager à entrer dans la même voie tous les directeurs de fabriques et ceux mêmes des grandes exploitations agricoles. Ainsi l’on étoufferait, on enterrerait définitivement les projets du socialisme révolutionnaire et violent qui ne cesse pas de faire des progrès dans la classe ouvrière, Prétendre persuader à celle»ci désormais que la question sociale n’existe pas, c’est vouloir lui fermer les yeux à l’évidence et arracher de son esprit la plus intime de ses convictions. Que M. Gambetta prenne un autre thème, sil tient à ne pas compromettre et perdre, ce qu’il lui reste de popularité.
- Ch, Pellarin.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MARIAGE ;
- Le 6 Mai. — de Magnier Eugène et Josquin Eugénie, NAISSANCE :
- Le 12 Mai. — Carlier Ernest-Eugène, fils de Carlier Ernest et de Cochet Philomène.
- XMtOX.XO GBA JPH113
- KowiaM. d’un Frêis?©
- Tel est le titre d’un nouvel ouvrage que vient de publier la librairie Dentu, au prix de 3 fr. 50.
- Ce roman est de M. L. Gagneur, auteur de « Chair à canon », « la Croisade noire », « le Calvaire des femmes », « les Réprouvés », « les Droit s du mari », a les Forçats du mariage ”, etc,, etc., romans que tant de lecteurs s’arrachent des mains et qui ont fait à si juste titre, aux livres de M. L. Gagneur, la réputation d’êlre aussi émouvants qu’instructifs,
- Le titre du nouveau roman fait comprendre qu’il s’agit cette fois de la vie cléricale dans ce qu’elle a d’intime et de poignant. Les mystères et les tentations du confessionnal sont abordés dès les premières pages.
- Un curé, M. Lejuste, homme de la raison, ami de l’indépendance et de la liberté, est obligé, par profea* sioth d’enseigner un dogme auquel il a« croit pas et
- p.314 - vue 315/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 815
- ()e défendre l’esprit dominateur d’une église qu’il réprouva Moi, se dit-il, moi qui voudrais être l'apôtre de la liberté, de l’émancipation des consciences, du développement indéfini, du progrès social, j’enseigne ]a résignation, l'amour de la douleur et de la servitude 1 II voit de jeunes fiancés qui s’aiment, qui s’unissent; et il est contraint de se dire: Pour moi, jamais que des amours honteuses, criminelles, sacrilèges ; jamais non plus je ne connaîtrai les pures joies de la paternité.
- Pourtant une jeune fille, Balbine d'Avezac, l’aime; elle le lui a confessé. Elle est belle; elle est noble ; mais il veut obéir au devoir. 11 conseille la jeune fille en conséquence. Vains efforts. Il cède à l’amour que Balbine lui inspire. Une grossesse s’en suit. Cette grossesse est tenue secrète. La famille écarte le prêtre; et l’enfant e&t déposé aux « Enfants trouvés ». Ce sont là les moindres choses pour la morale cléricale. Il faut conserver les honneurs du monde avant tout.
- Lejuste, révolté de sa profession, quitte la soutane. Six mois après Balbine se marie et devient comtesse de Sermange.
- Sur les terres du comte existe un fermier dont la famille se compose d’un fils, le jeune Daniel, et d’une fille adoptive, Suzanne, qui provient de l’hospice des « Enfants trouvés ». Daniel et Suzanne grandissent à côté l’un de l’autre ; ils s’aiment avec toute la tendresse du jeune âge.
- Un jour arrive où le curé du village persuade au fermier que Daniel doit entrer au séminaire; il appuie sa demande de la protection de Mme de Sermange qui offre de faire les frais de cette éducation. Daniel cède avec regret et la séparation est plus douloureuse que pei sonne ne l’imagine entre Suzanne et lui. ^
- Nous voyons alors ce qu’est l’existence au séminaire ; nous assistons à toutes les luttes d’un jeune homme candide et affectueux, fait pour l’amour, pour la vie de famille, et qui flotte entre les inspirations de son cœur et renseignement du séminaire.
- Après de longues luttes, la voix de la nature l’emporte. Daniel veut rentrer dans sa famille, retourner près de ses amours. Mais comme il se distingue par de rares qualités, ses directeurs lui font entrevoir qu’appelé à devenir une des colonnes du clergé, il doit se contenter d’un congé, prendre seulement le temps de bien réfléchir et que l’on compte sur son retour.
- Mme de Sermange, l’héroïne à l’enfant abandonné, vit séparée de son mari; elle a un fils, fruit d’une liaison adultère, liaison qui a causé la séparation entre elle et le comte. Depuis ce temps, elle s’est fait la réputation d’une sainte; en réalité,elle est devenue l’incarnation de la perfidie dévote. Cette femme voit le séminariste. Séduite par sa beauté juvénile et sa réputation d’homme plein d’avenir, elle convoite la possession de Daniel et bientôt, à l’aide des influen» ces qu’elle a su se ménager, de l’évêché jusqu’à la simple cure, elle engage Daniel comme précepteur du jeune Tancrède de Sermange,
- Le séminariste est ainsi amené à vivre sous le toit delà comtesse et celle-ci peut, à son gré, essayer sur lui Battrait de ses charmes.
- Découvrant qu’il aime Suzanne, elle met en œuvre tous les artifices et toutes les ressources que lui offre l’organisation cléricale pour contrecarrer les projets et les intentions qui lui sont contraires. Evêque, abbés et prêtres de tous ordres, toute la sacerdotale-et olêrioale est mise à profit; les
- intrigues sont ourdies, de l’êvêché au séminaire et du séminaire au couvent.
- La jeune Suzanne tombe malade de langueur; elle est entonrée des soins apparents de Mme de Sermange. Mais celle ci avec l’assistance d’un médecin consomme le rapt de la jeune orpheline aimée du séminariste. La jeune fille est enlevée de la ferme et conduite aux nonnes du couvent du Siint-Suaire. Là elle est soumise à un régime qui doit vite la conduire à la mort.
- Partout le prétexte de l’intérêt de la religion sert à couvrir les actes les plus criminels ; tandis que les sentiments les plus sincères et les plus purs sont livrés en sacrifice aux passions insolites et infâmes,
- Mais Le juste est là. Il s’est établi depuis longtemps dans le voisinage, avec la secrète pensée que Suzanne doit être sa fille et, par conséquent, l’enfant abandonné de M®8 de Sermange.
- Il avait noué avec la jeune fille des relations paternelles ; il la rencontrait dans les champs, à la garde do ses moutons ; il causait avec elle, réconfortait son esprit et son cœur de sentiments élevés. Il connaissait toutes les peines de Suzanne au sujet de Daniel.
- La disparition de l’orpheline est donc pour lui un mystère sur lequel les renseignements donnés à la ferme sont loin de le rassurer. Aussi sas recherches sont actives et la lutte s'établit entre le défroqué et ies gens d’Eglise.
- Le livra de M- L. Gagneur est le plaidoyer le plus saisissant qui existe contre le célibat des prêtres et la duplicité des âmes dévotes.
- Il faut le lire tout entier pour se rendre compte de la puissance d’imagination que renferment les épisodes de chaque chapitre.
- Cette fécondité d’imagination et d’invention dans le récit est un fait propre au talent de M. L. Gagneur. Il présente cette grosse difficulté de maintenir toujours les personnes et les choses dans les situations vraisemblables. Disons vite que l’auteur a vaincu cette difficulté. Le volume tout entier laisse à peine s’élever deux ou trois doutes sur ce point, Partout ies situations sont parfaitement assemblées, souvent malgré leur inattendu, et le lecteur passe ainsi de surprises en surprises, à travers le labyrinthe clérical que l’auteur a si bien exploré. Je fais des vœux pour que « Le crime de l'abbé Mau frac, qui est annoncé comme suite au « au Roman d'un prêtre », reste à ia hauteur de l’œuvre dont je conseilla la lecture aux abonnés du « Devoir ».
- NORA
- Madame Eugène Garcin, l’auteur de petits chefs-d’œuvre d’éducation morale et civique : Madame Roland, Jacques Cœur, etc..vient de publier un nouveau roman intitulé : Nor a.
- Ce livre contient des scènes d’une fraîcheur ravissante et qui demeurent dans le souvenir, comme si on 1 s avait contemplées dans la réalité de la vie.
- Nora est une belle jeune fille de la Provence. Par une circonstanée toute particulière, elle est mariée, vers l’âge de 18 ans à peine, à un marin breton qui l’emmène habiter le hameau de piounicsur les côtes de la Bretagne.
- Le roman met en scène Nora six ans après ce mariage. Le mari, Jean Kermarec, professe pour sa femme une véritable adoration. Nora est mère de trois enfants»
- p.315 - vue 316/836
-
-
-
- 316
- LE DEVOIR
- Différente de son entourage autant par son genre de beauté que par ses tendances intellectuelles et morales, Nora n’est liée avec aucune des ménagères du bourg du Plounic. Elle est. aimée et respectée de chacun, à cause de la pureté de sa vie et de ses manières affables pour tous, mais on la considère un peu comme un être d’une autre race. Kermarec lui-même, homme à la fois rigide et tendre, est sous l’empire d’un sentiment analoguej il est tremblant et ravi de posséder, au fond de la Bretagne, cette adorable fleur des pays du soleil.
- Au milieu de sa vie tranquille d'épouse et de mère, Nora, nature ardente, rêveuse, ne peut oublier les splendeurs du pays natal.
- Que de fois, lorsqu’elle est assise au bord de la mer attendant son mari pendant que ses enfants jouent autour d’elle, sa pensée l’emporte vers le pays où s’est écoulée sou enfance, où elle s’est vue jeune fille, vers le beau ciel du midi, dans les jardins pleins d’orangers en fleurs ! Oh, l’odeur des orangers ; la respirer encore ! Quel rêve pour Nora.
- Aussi comme la jeune femme est profondément troublée, quand une goélette de plaisance, monté par un équipage provençal, vient séjourner non loin du hameau de Plounic.
- Le possesseur de la goélette, le comte Saladin de Valbrègue, un méridional, lui aussi, mais un viveur blasé, en quête d’aventures, voit Nora. Il est frappé de rencontrer, dans ces parages, cette compatriote en costume arlésien et d’une beauté telle qu’il ne lui connait pas d’égale.
- La distance sociale qui existe entre lui et Nora, les impossibilités apparentes d’une liaison avec elle, sont autant de motifs qui excitent le caprice du comte et transforment bientôt ce caprice en passion.
- Passion peu profonde, il est vrai, car Saladin de Valbrègue est un de ces hommes qui cachent, sous des dehors très séduisants, la sécheresse de l’égoïsme.
- Nora est bientôt touchée de l’amour du comte, puis éperdue de sentir bouillonner en elle tant d’aspirations vers une existence différente de celle qui lui est faite. Elle se réfugie dans la pensée de ses devoirs d’épouse et de mère... Mais Saladin la poursuit, il lui parle de la Provence, et Nora frémit tout entière à ces souvenirs de la patrie perdue. Puis dans le doux langage du Midi, Saladin exprime son amour.
- Que de scènes émouvantes, mélancoliques, charmantes, il faudrait citer pour donner une idée du magique talent de l’auteur
- Enfin la séduction est complète. Nora s’enfuit avec le comte, pendant une absence de Kermarec.
- Le retour du pêcheur, son arrivée chez lui quelques heures après le départ de Nora, sa stupeur et son désespoir en ne retrouvant point cette femme qui lui est plus chère que la vie, le réveil des enfants à demi-orphelins. . , toutes ces scènes poignantes mettent en relief les douleurs que l’infortunée Nora, dans son ivresse, n’a point pressenties, auxquelles son esprit ne s’est point ariêté, et qu’elle n’eùt jamais consenties à infliger sciemment aux êtres qui lui étaient si chers.
- Pendant trois ans, Nora, à qui le comte a fait donner des leçons indispensables, joue le rôle de la comtesse de Valb'ègue. Mais le vide d’une existence employée tout entière à la recherche des plaisirs mondains, ne peut suffire à Nora, dont le cœur a été formé pour les vraies grandeurs de l’amour sincère.
- Nora aime Saladin, n ais elle est bientôt obligée de reconnaître qu’elle n’est qu’un caprice de plus dans la vie de cet homme. Elle devient mère et son enfant meurt quelques mois plus tard Ces deux faits si graves, la naissance et la mort de l’enfant, ne touchent Saladin que par les entraves qu’ils apportent à ses plaisirs.
- Une révolution s’opère alors chez Nora. Elle comprend toute la différence qui existe entre l’attachement superficiel du comte pour elle et l’amour profond, inaltérable, que lui portait Kermarec; amour que la nai sance des enfants rendait encore plus fort, plus complet, plus sacré.
- C’en est fait, Nora abandonne Saladin et les splendeurs de l’existence qu’il lui a fait connaître; elle retourne à l’humble foyer breton où sont les vrais trésors du cœur, le véritable devoir, le véritable amour.
- Ici, le livre atteint une puissance d’émotion dont le lecteur voudra juger par lui-même.
- Depuis trois ans Kernarec a dit aux enfants que leur mère est morte et les enfants vivent avec cette pensée. Nora, blottie contre une fenêtre, considère avant de rentrer si le foyer contient bien tous les aimés d’autrefois. Oui, ils sont là, le père et les troi- enfants. O quelle gratitude envers Dieu, dans le cœur de la pauvre mère! Mais quelle douleur Nora lit sur le visage du père et quelle mélancolie dans ces regards d’enfants!
- C’est le soir et c est l’heure de la prière, Nora écoute, elle entend les enfants prier pour leur mère morte.
- Morte ! Elle mesure toute la profondeur de ce fait. Kermarec 1 a fait passer pour morte. Il a préféré cela à la honte de l’avouer coupable. Il a eu raison. Vivante, elle ports sur le front l’infâmie d’avoir abandonné ses enfants, son mari. Plutôt la mort! Mais le suicide ne rachèterait pas sa faute. Où trouver l’expiation ?
- Pauvre Nora ! Par quel douloureux martyre elle va expier le passé.
- Le lecteur voudra lire comment cette mère, en face d’uu mari outragé, implacable, rentre au logis en qualité de servante ; comment l’amour de ses enfants lui revient tout entier avant que sa qualité de mère lui soit rendue ; commént enfin elle vainc 1 austère, l’inflexible Kermarec qui ne sachant point faillir n’avait point non plus, jusque-là, su pardonner.
- Vaincu par la grandeur morale de Nora, Kermarec apprend, à son tour, la pratique d’une vertu nouvelle et d’une des plus ineffables que nous ayons à pratiquer sur la terre ; l’oubli des fautes du prochain et l’amour quand même.
- Quel désespoir il éprouve cet homme, hier implacable dans son ressentiment, quand il croit que la mort va saisir Nora avant qu’il ait pu, rendre à la noble femme sa place au foyer conjugal, ses droits sacrés à l’amour de ses enfants avant qu’il lui ait, enfin, prouvé qu’il n’a point cessé de l’aimer comme autrefois.
- Cet excellent roman est en vente au prix de 3 fr. chez Panl Oliendorff, éditeur, 28 bis, rue de Richelieu, Paris.
- p.316 - vue 317/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 317
- DARWIN ET SON ŒUVRE
- * ________________________
- Tous les journaux ont annoncé et commenté la mort da naturaliste Darwin. C’est, à coup sùr, une grande gloire pour l’Angleterre que de voir ainsi un de ses enfants honoré d'une sorte de deuil européen. Nous ne voulons pas revenir sur un sujet traité de tous côtés, notre désir est seulement d’indiquer d’un mot le rôle de'M. Darwin dans la science contemporaine et la portée de ses travaux. Pour nous servir d’une expression qui eut cours lors des dernières crises ministérielles, Darwin a véritablement aiguillé la biologie vers une direction nouvelle, ou plutôt dans une direction qu’elle avait autrefois suivie et qu'elle n’aurait jamais dù abandonner.
- Le problème des rapports qui unissent entre elles les formes animales et des causes qui ont pu différencier les unes des autres ce que nous appelons les espèces, n’avait jamais été sérieusement abordé avant le dix-huitième siècle. A cette grande époque de liberté intellectuelle, on vit, pour la première fois, naitre des systèmes qui cherchaient à rendre compte de ces variétés observées entre les êtres vivants. Des ouvrages où la question était traitée presque en façon de roman, eurent une grande vogue, ainsi le TeUiamed, qui faisait dériver le monde entier de la mer et l’humanité des plus infimes poissons. A la fin du siècle cependant, les choses se précisent et Lamark donne le premier une explication scientifique des variétés du monde animal. Absolument dégagé de tout préjugé religieux et bien convaincu que les hasards seuls n’avaient pu créer des formes si voisines et en même temps marquées de différences si nettes, il en était arrivé à penser que toutes les espèces animales dérivent les unes des autres ; que par la suite des temps les descendants d’une espèce quelconque, placés dans des conditions d’existence nouvelle, avaient modifié leur oganisme par l’exercice même donné à leurs organes, pour profiter le mieux possible de ces nouvelles conditions. Yoici des girafes au long cou : celui-ci s’est allongé par suite des efforts séculaires auxquels s’est livrée la race de ces animaux pour atteindre le feuillage des arbres. Pour Lamark, la variété des êtres vivants j avait sa source dans l’activité même des êtres vivants à se façonner, à s’adapter, en quelque sorte, au milieu ambiant.
- Après Lamark, Geoffroy Saint-Hilaire défendit une théorie à peu près analogne; mais, moins hardi, il n’osa aller jusqu’au bout, il défendait le système de la variabilité limitée. Le sort de sa doctrine fut celui fiui attend toujours les opinions moyennes* Il avait
- d’ailleurs trouvé un terrible adversaire dans Cuvier, un homme supérieur dans la discussion, écrasant ses adversaires d’une sorte de dédain vaniteux qui en imposait à tous; il excellait à trouver des arguments qui semblaient décisifs ; il imposait ses idées avec une autorité sans égale. Cuvier, dont le talent était si bien fait pour servir le génie autoritaire de Napoléon Ier, écrasa de ses sarcasmes et Lamark et Geoffroy Saint-Hilaire, vaincus alors aux yeux de tous.
- Le système de Cuvier avait l’incomparable avantage d’être en parfaite harmonie avec les enseignements de l’Eglise. Tous les êtres vivants étaient sortis avec leur forme actuelle des mains du Créateur. Ils s’étaient transmis cette forme depuis l’origine des temps, sans qu’elle ait jamais varié, sans qu’elle pùt même jamais le faire. C’est ce qu’on disait d’un mot dans le langage scientifique en proclamant la fixité de l’espèce. Ce fut la doctrine régnante pendant cinquante ans. Le problème de l’origine de ces forces animales qui nous frappent par leur variété même, n’existait plus. C’était affaire théologique.
- Pendant que la science française tout entière acceptait les décisions de Cuvier et que la plupart des savants étrangers s’y rangeaient assez docilement, Darwin préparait la ruine desidées de Cuvier.
- Darwin n’a pas été seulement un grand savant, il a été, et cela ne pouvait nuire, un homme habile. L’histoire de la publication da ses œuvres, à ce point de vue, est fort curieuse. Pendant nombre d’années il étudie, il cherche, il regarde, il entasse des matériaux sans nombre. Puis un beau jour il publie Y Origine des espèces, qui est l’exposé complet de sa doctrine, mais où manquent les preuves à l’appui. C’est une explication des phénomènes de variabilité qui nous frappent, mais une explication qu’on peut croire toute de raisonnement.
- Cet ouvrage fit en Europe un bruit considérable. Les jeunes, les hardis, acceptèrent d’emblée les idées nouvelles tout prêts à les pousser à l’extrême. Les moins jeunes, les prudents, réservèrent leurs avis. Quelques-uns firent valoir, non sans raison, que tout cela était fort joli, que les explications données de la variabilité étaient fort séduisantes, mais qu’une seule chose manquait : la preuve. Pendant dix années M. Darwin laissa dire. Ce silence encouragea les prudents de la première heure qui commencèrent à s’enhardir. On traita de rêverie, de l roman l’ouvrage du savant naturaliste anglais, qui ] continuait de rester dans une entière réserve, quand ] tout à coup éclata la bombe. M. Darwin faisait paraître deux nouveaux volumes qui dans l’ordre lo-| gique des choses auraient du précéder l'Origine des
- p.317 - vue 318/836
-
-
-
- 318
- LE DEVOIR
- espèces. C’était l’exposé fastidieux, mais concluant, des recherches auxquelles s’était livré l’auteur pendant bon nombre d’années, 11 fallut se rendre : les jours de la création, adoptés par Cuvier, l’origine divine ou tout au moins extra naturelle des formes animales, s’en allèrent rejoindre les idées plus ou moins bizarres des anciens sur tous ces sujets. Et si tout le monde ne se déclara pas dès lors partisan de la variabilité illimitée des espèces, du passage graduel, pendant les temps passés, de toutes les formes animales des unes dans les autres, du moins personne n’osa plus combattre ce qu’on appela désormais le darwinisme.
- Même les cléricaux et les puritains anglais, qui ne valent pas mieux, commencèrent à ne pas se montrer trop émus de cette révolution scientifique. On remarquait avec complaisance que Darwin, dans tous ses ouvrages, n’avait pas touché un mot de l’origine de l’homme. L’homme restait à part. Les animaux les plus élevés en organisation, les mammifères, les singes, descendaient les uns des autres : c’était bien possible* Mais l’homme demeurait comme la Créature da Dieu, la créature d’élection par excellence. Tout était sauf pour la foi. Oui, mais voilà que Darwin joue une seconde fois à l’opinion publique le tour qu’il lui avait déjà ménagé. Il laisse dire, il laisse les gens accepter sa doctrine en ce qui touche les animaux, puis un beau jour, par un volume nouveau, la descendance de l’homme, il prouve qu’on ne saurait ici faire d’exception pour l’humanité, et qu’il faut bien la rattacher au système commun. De là, cris, grincements de dents, mais qui ne font rien et qui n’empêcheront point la biologie, affranchie du joug où l’avait attachée Cuvier, de marcher désormais devant elle en toute liberté.
- Chacun connaît dans son essence la doctrine de M. Darwin. Elle diffère de celle de Lamark, en ce sens que Darwin cherche les origines de la variabilité, non dans une activité spéciale imprimée par l’être vivant à ses organes pour les façonner aux conditions nouvelles du milieu; mais par une sorte de passivité qui donne aux conditions extérieures le rôle principal, tandis que Lamark l’attribuait à la volonté, à l’activité psychique de l’être vivant lui-même. D’après Darwin tous les animaux, en venant au monde, apportent quelque variété individuelle. Celle-ci rend l’individu qui la porte en lui, plus ou moins propre au combat de la vie. Les uns, moins bien partagés, succomberont, pendant que les autres vivront, prospéreront et auront des descendants auxquels cette heureuse modification due dans l’origine au simple hasard, se transmettra, se fixera par les générations successives, et, finalement,
- constituera une différence permanente par laquelle une nouvelle espèce se distinguera de l’ancienne. Le problème posé sur ce terrain du succès dans ce qu’on a appelé la lutte pour l’existence, est susceptible • d’une infinité de solutions. Ainsi, les femelles d’une I espèce d’oiseaux, nous nè savons pourquoi, ont pré*
- | féré les mâles qui avaient, de naissance, le plumage | le plus coloré.
- | Les poussins de ces femelles ont hérité à la fois de I ces dispositions chez les femelles et des avantages de j coloris que présentait le mâle choisi pour la mère; | et c’est ainsi que peu à peu les oiseaux chez lesquels,
- | très vraisemblablement, à l’origine, les mâles et les | femelles se sont ressemblés, ont fini par offrir cette singuPère différence de robe qu’ont communément les deux sexes chez ces animaux.
- Voici encore une autre solution. Telle espèce animale a un ennemi qui la harcèle, la poursuit et la mange. Parmi les individus de l’espèce victime, il en naît un ou plusieurs qui présentent une coloration plus favorable à les dissimuler : celle du terrain sur lequel ils vivent, ou du feuillage des arbres dont ils habitent les branches. Grâce à ce petit avantage, ils échappent à l’ennemi commun mieux que leurs semblables qui ne l’ont pas. Es transmettent ce petit avantage à leur postérité, et ainsi peu à peu, par la répétition du môme phénomène, l’espèce prend exactement l’aspect du milieu qu’elle habite. Tel serpent a l’air absolument d’une branche d’arbre; tel insecte est la copie exacte de la feuille de l’arbre où il vit.
- On a défini les géomètres des gens qui font des raisonnements justes sur des figures qui ne le sont pas. On pourrait dire de M. Darwin quelque chose comme cela. Personne ne doute aujourd’hui que les variétés animales ne soient des résultantes d’actions diverses, séculaires. Mais précisément puisqu’il s’agit d’actions séculaires du milieu ambiant, il est bien clair que M. Darwin, dans la longueur d’une existence d’homme, n’a pu lés constater et en mesurer le jeu exact. Rien n’est prouvé des procédés qu’il nous montre comme ayant été employés par la nature pour arriver à cette infinie variété des formes animales qui nous frappe, nous étonne et nous enchante. M. Darwin est allé chercher les faits nécessaires pour étayer sa théorie dans les seuls animaux où il pouvait suivre de génération en génération quelques petites différences transmises, accrues ou effacées : nous voulons parler des animaux domestiques. Et s’il n’avait traité dans ses écrits que de l’histoire de leur variations, il serait resté sur le terrain de la science positive. Il en sort, en déduisant de ses études sur les ! animaux domestiques ce qui s’est passé chez les es-I pèces sauvages vivant dans de tout autres conditions.
- p.318 - vue 319/836
-
-
-
- LK DEVOIR
- 319
- Nous rentrons ici avec lui dans le domaine de l’hypothèse, et il ne faut pas l’oublier, hypothèse puissante, infiniment probable, mais enfin qui n’est pas démontrée. Sans doute- les choses ont dû se passer comme l’indique M. Darwin, mais en somme rien ne prouve qu’elles se soient vraiment passées de la sorte. Chacune des explications qu’il donne est ingénieuse, mais il arrive ceci de singulier, c’est qu’elle n’est jamais propre qu’au fait particulier auquel il l’applique.
- Aussi peut-on mettre à chaque instant la doctrine en contradiction avec elle-même; il suffît d’appliquer à une espèce animale le raisonnement fait pour une autre. Exemple : certains insectes vivant sur les arbres ont pris, avons nous dit, l’apparence des feuilles de ces arbres. Or voici la coccinelle, la vacotte tout simplement, qui vient dira : « Mais non, tous vos beaux raisonnements sont faux ; autrement je ne serais pas rouge, je n’aurais pas précisément la couleur la mieux faite pour dévoiler ma présence sur les feuilles vertes aux oiseaux mes ennemis. » Les causes de la variation sont infinies, nous le voulons bien; mais il est un animal, latérébratule, qui vit dans nos mers et qui, depuis l’origine du monde, n’a pas varié. On la retrouve telle qu’elle est de nos jours, dans les plus anciens terrains géologiques connus. Elle a traversé pendant des millions et des millions de siècles, dans son étonnante fixité, cette fameuse lutte pour l’existence qui est la clé de toutes les variations dans le système de Darwin.
- On peut imaginer que dans un siècleoudeux, mieux instruite, l’humanité ne conservera pas une seule des explications données par ce génie prodigieusement inventif. Il restera, comme nous l’avons dit au début de cet article, il restera à Darwin, la gloire d’avoir ramené la science de la vie dans sa voie, d’oû elle était si fâcheusement, sortie pendant trois quarts de siècle par la funeste influence de Cuvier.
- (Siècle.) Georges Pouchet.
- La Philosophie de l’Avenir
- Revue du Socialisme rationnel Paraissant chaque mois fondée par FRÉDÉRIC BORDE
- Sommaire de la Revue d'Avril 1882
- Le Bourgeoisisme et le Patriotisme. — Examen de la brochure de M. le général Brialmont, intitulée : Situation militaire de la Belgique. — Qu’est-ce qu’une nation? — Les nations sont entr elles à l’état de nature. — La garantie des traités est illusoire. — Aveuglement de la bourgeoisie à cet endroit. — Le patriotisme est incompatible avec le régime bourgeois ou démocratique. — Preuves nombreuses à l’appui.—Insuffisance des moyens
- présentés par M. le général Brialmont pour faire revivre le patriotisme. — Agalhon de Potier.
- Fleurs de civilisation. — Remarque sur un article de M. Benoît Malon. — F. B.
- Avis au lecteur. — Indication du libraire-éditeur du 6e volume de la Science sociale à Bruxelles et à Mons.
- Prix du numéro : 1 fr. — Abonnement postal : un an, 1S fr. — Six mois, 6 fr. — Trois mois, 3 fr.
- La Revue est en vente chez GLio, libraire-éditeur, au Palais-Royal, galerie d’Orléans, à Paris, et chez les principaux libraires.
- Adresser : demandes, communications et mandats d’abonnement, à M. Jules Delaporte, rue Mouffetard, 108, à Paris.
- TTiie Exposition! orlgfliaal©
- Une exposition d’enfants vient d’avoir lieu à la Nouvelle-Orléans. Yoici le récit qu/en apporte un journal :
- C’est au commencement du mois dernier qu’a été inaugurée cette exposition. Trente prix, consistant en sommes assez élevées, devaient être distribués par un jury composé de médecins, présidé par le docteur Churchill A. Woot, qui est, paraît-il, un spécialiste autorisé pour les maladies de l’enfance.
- Au jour dit, cent soixante-deux babies prenaient part au concours. Il en était venu de partout, — jusque des Etats les plus éloignés; mais on .sait que, pour nous autres Américains, les distances n’existent pas !
- On avait construit tout exprès une sorte de hall immense, divisé en une infinité de compartiments, très luxueusement aménagés, où se tenaient les mamans et leurs nourrissons. Il y avait deux sections : enfants de six mois à un an et enfants de un à deux ans.
- Un troisième groupe comprenait les « petits prodiges, » c’est-à-dire les infortunés bambins trop précoces que leur mauvaise étoile avait doué3 de qualités tout à fait surprenantes, en un mot, tous les Pics de la Miran-dole américains! ceux-ci étaient admis jusqu’à l’âge de huit ans.
- Il y avait là de petits bonshommes, hauts comme la main, qui vous récitaient tout Longfellowsans manquer un vers; d’autres qui, sans le secours d’aucune opération écrite, calculaient comme Newton : d’autres enfin qui, fils d’acrobates et acrobates eux-mêmes, pouvaient prouver, eu dépit de leur taille, que les doubles sauts périlleux Savaient, depuis longtemps, plus de secret pour eux !
- Dès le premier jour, il fut aisé de voir que la grande médaille serait certainement décernée à un baby venant de Pensylvanie qui, âgé de sept mois, paraissait avoir près de deux ans. C’était une sorte de phénomène dans son genre. Il avait toutes ses dents, et ce petit hereule commençait déjà à marcher.
- Il semblait d’ailleurs assez peu commode de sa nature et il donnait tout le mal possible à sa nourrice.
- Un autre enfant était aussi tout à fait remarquable ; mais, bien qu’il ne fût tout au plus que couleur a pain d’épice, » il était de race noire, et il fut exclu du concours et gardé à titre de curiosité.
- Gomme il n’y avait pas de jury d’administration, les prétentions maternelles s’étaient donné libre carrière, et il y avait là un certain nombre de marmots qui n’avaient rien de bien étonnant. C’était, toutefois, la plus superbe nursery qui se puisse trouver.
- Une sage précaution du comité d’organisation avait été de faire jouer, pendant les heures d’ouverture, à un orchestre spécial, les morceaux les plus bruyants... De cette façon, les visiteurs pouvaient admirer les enfants sans être incommodés de leurs cris.
- Le Directeur-Gérant : GODIN SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’PIace, 36.
- p.319 - vue 320/836
-
-
-
- EN VENTE
- MUTUALITÉ SOCIALE
- ET
- ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- ou
- ♦
- EXTINCTION DU PAUPÉRISME
- Par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production contenant les statuts de la Société du Familistère de Guise
- Far GrODIN
- Broché avec la vue générale des établissements de l’Association. . . 5 fr. ; sans la vue 4 fr.
- DU MÊME AUTEUR
- SOLUTIONS SOCIALES, i volume de 655 pages, avec la vue générale du Familistère, les vues intérieures, plans et gravures, édition in 8, 10e édilion grand in-18. . . 5 fr.
- Les ouvrages ci-dessus sont en vente à la librairie du Devoir ainsi que chez Guillaumin et Ce libraires, 11, rue Richelieu et à la librairie Ghio, 1, 3, 5,7 galerie d’Orléans, Palais-Royal, à Paris.
- DU MÊME AUTEUR à la Librairie dix DEVOIR:
- La Politique du travail et la Politique des privilèges, volume de 192 pages. . 0.40 c.
- La Souveraineté et les Droits du Peuple, volume de 192 pages..............0.40 c.
- La Richesse au service du Peuple, volume de 192 pages ........ 0.40 c.
- Les Socialistes et les Droits du travail, volume de 192 pages.............0.40 c.
- Histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, de G. J. HOLYOAKE, résumé extrait et traduit de l’Anglais, par Marie MORËT.......................... . . 0.75 c.
- COLLECTION 13 U DE VOIR s
- 1er volume broché, 432 pages
- 2e » » 464 »
- 3e » » 624 »
- 4e » y> 832 »
- 5e » » 864 »
- 3 francs.
- 3 »
- 4 50 6 »»
- 6 y>y>
- EIV PRIME AUX ABONNÉS DU «DEVOIR»
- LU FILLE DE SON PÈRE, par Mme Marie Howland, volume de 650 pages au prix
- réduit de 1 fr. 50.
- Ce dernier volume se vend également au prix de 3 fr. 50, chez Ghio, éditeur, 1, 3, 5, 7, Galerie d’Orléans, Palais-Royal, Paris.
- Ces ouvrages sont envoyés franco contre mandats ou timbres-poste adressés au gérant du Devoir, à Guise (Aisne).
- p.320 - vue 321/836
-
-
-
- ijt numéro htldomaiaire 20 c.
- 6. ANNÉE, TOME e — N° 194
- DIMANCHE 28 MAI 1882.
- BUREAU
- A. GUISE {Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- ON
- s’abonne
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- A PARIS
- 5,r,Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m. w m es
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Histoire de VAssociation de Ralahine (suite1'. — Voyage autour du Familistère IIIe partie, VIII. — Faits politiques et sociaux. — La perspective. — Les Prêtres Romains. — Nouvelles de la Communauté ÏÏOnèida. — Le magnétisme. — Causerie scientifique. — Variétés.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE X (1)
- Détails pratiques sur la direction. Comité élu
- II ne se produisit aucune demande d’admission pendant les deux premiers mois qui suivirent la signature du contrat d’association. Cependant le nombre des bras n’était pas en rapport avec l’étendue des terres à cultiver à Ralahine.
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, [16, 23, 30 avril ; 7 et 21 mai 1882).
- Mais les préjugés étaient très-vifs. La Société, « le nouveau système », comme on disait, apparaissait aux paysans comme une sorte de « refuge industriel » à l’usage du pauvre.
- Des travailleurs qui étaient occupés à peine trois mois de l’année, préféraient leur misère habituelle aux avantages évidents de l’Association : travail régulier, abondance de nourriture et de vêtements, heures de récréation et de délassement, libération du joug tyrannique de l’intendant, enfin part égale dans les bénéfices nets, si l’année était favorable.
- Une des premières familles admises se composait d’une veuve et six enfants dont un infirme. La vieille mère était farouche, déguenillée; elle avait à peine asssez d’intelligence pour soigner la basse-cour. Néanmoins cette femme versa des pleurs en quittant sa misérable cabane qui,peu de temps après, s’écroulait de vétusté.
- Au bout de quelques semaines pourtant la confiance s’établit et les choses prirent un aspect tout à fait satisfaisant.
- Les affaires de la Société étaient placées sous la direction et le contrôle d’un comité élu selon les prescriptions statutaires.
- La distribution du travail du lendemain était arrêtée chaque soir par le Comité, en réunion spéciale.
- Chaque associé avait un numéro d’ordre ; chaque instrument agraire en portait un également.
- Les directions concernant l’emploi des hommes et des choses étaient inscrites sur des ardoises, au moyen de ces numéros. A la fin de la séance, les ardoises étaient affichées en un lieu très-visible sur les murs de la salle des réunions publiques, de sortp
- p.321 - vue 322/836
-
-
-
- 322
- LE DEVOIR
- que l’associé,sans recevoir aucun ordre verbal pouvant paraître dur et autoritaire, apprenait par la seule inspection du tableau, quelles étaient les instructions du Comité à son égard.
- Ces décisions journalières étaient reportées chaque semaine sur un tableau spécial, affiché dans la salle de lecture, de façon que chacun pouvait contrôler lë travail accompli, voir si les décisions du Comité étaient judicieuses et si le travail général était bien ordonné.
- Si le temps ou quelques circonstances imprévues rendaient urgente la modification de l’ordre des travaux dans le cours d’une même journée, les membres du Comité agissant en qualité de sous-commissaires donnaient les ordres voulus pour éviter toute perte et tout gaspillage.
- Si le Comité ordonnait quelque manœuvre erronée, ou laissait en souffrance quelque utile travail, tout membre adulte avait le droit de signaler le fait en l’inscrivant sur un registre spécial appelé livre d'observations. Ce livre était tenu en permanence, à la disposition de chacun, dans la chambre même du Comité.
- Chaque soir, le Comité, avant de fixer les travaux du lendemain, prenait connaissance des observations inscrites au livre.
- Une Assemblée générale des associés avait lieu chaque semaine. A cette assemblée, le livre d’observations était de nouveau repris. Lecture des inscriptions de la semaine était faite à haute voix par M. Craig. C’était pour lui l’occasion de donner les éclaircissements voulus et de prouver que les avis des membres avaient été l’objet d’une attention raisonnable.
- Les procès-verbaux des séances du Comité et les votes des commissaires étaient mis en discussion, ainsi que la direction imprimée aux travaux de la semaine écoulée.
- Les vues du Comité résumées dans le livre d’observations étaient aussi lues à haute voix et développées. La valeur pratique de certains modes de cultureétai^également exposée dans ces réunions.
- Toutes ces mesures avaient pour but de garantir aux membres l’exercice de leur légitime influence sur les opérations sociales. Elles furent démontrées excellentes en pratique ; elles fixèrent l'attention de chacun, provoquèrent la réflexion ; stimulèrent la pensée ; donnèrent des notions exactes et utiles ; développèrent les hautes facultés du caractère ; intéressèrent chacun aux opérations du Comité et au succès du nouveau système; enfin elles firent la bonne éducation des membres toutes choses qu’il est
- si difficile d’obtenir dans l’état actuel des rapports entre chefs d’industrie et travailleurs.
- Ainsi se forma un courant d’opinion publique favorable au progrès de la Société. Souvent de très-judicieuses remarques étaient faites par des hommes qu’on avait jusque-là considérés comme absolument indignes d’arrêter l’attention. Sous l’ancien régime les travailleurs méprisés gardaient pour eux-mêmes leurs observations et leurs avis. Ils recevaient des ordres et accomplissaient le moins d’ouvrage possible, jugeant qu’ils en faisaient toujours trop pour le peu de bénéfices qu’ils en retiraient.
- Au contraire, dans le nouveau système, chaque membre avait intérêt à conserver, à développer la propriété commune et à en augmenter les produits. Aussi la différence des mœurs et de la conduite devint-elle très-remarquable comme nous le montrerons plus loin.
- Le résumé d’une feuille journalière de travail, en avril de la seconde année, nous fera connaître le genre d’occupations des associés. Les jeunes gens ne recevant pas de salaires jusqu’à l’âge de 17 ans, leur travail n’était pas compté, là hommes employés à la culture à la bêche.
- 4 » étendant le fumier.
- 4 » charriant le fumier.
- 4 » dirigeant chacun une charrue.
- 3 » soignant les vaches et le bétail.
- 1 » faisant cuire les pommes de terre.
- 1 » au travail de boucherie.
- 3 » aux charpentes.
- 2 » aux travaux de serrurerie.
- 1 » au magasin.
- 1 » secrétaire.
- 8 femmes aux opérations agricoles.
- 3 » à la laiterie et à la basse-cour.
- 1 » aux arrangements domestiques.
- 1 » professeur à l’école des enfants.
- 52
- CHAPITRE XI
- Les bons de consommation
- Grâce à l’économie du système et à la supériorité de l’organisation collective sur l’état de choses auquel la concurrence et l’individualisme servent de base, la Société de Ralahine trouvait en elle-même un débouché pour une portion considérable de ses produits. Ce marché sur place avait pour conséquence de faire vivre le travailleur à peu près à moitié meilleur marché qu’ailleurs,
- p.322 - vue 323/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 323
- gn automne de la seconde année, le nombre des membres se répartissait comme suit :
- Hommes adultes .... 35
- Femmes adultes...............23
- Enfants de moins de 17 ans . 7
- Enfants de moins de 9 ans. . 16
- Total des membres de l'Association 81
- Le salaire des associés était payé en bons de consommation
- Ces bons étaient établis sur feuilles de carton de la dimension d'une carte de visite.
- L’impression en était très-soignée. Le bon fondamental portait en inscription ces mots : « 8 pences (80 centimes) pour un jour de travail. » D’autres bons de différents modèles représentaient une moitié, un quart, un huitième ou un seizième de journée de travail, soit 40, 20, 10, 05 centimes.
- Il y avait en outre le bon d’un shilling (1 fr. 25) ou un jour et demi de travail, le bon de deux shillings (2 fr. 50) ou trois jours de travail. Ces derniers étaient imprimés en rouge pour être facilement distingués.
- Les bons constituaient la monnaie courante de la Société et servaient à l’achat de toutes les marchandises vendues par la Société. Ils n’avaient point cours hors du domaine. Leur montant était de 50 L. (1.250 francs).
- Tout d’abord les membres n'accueillirent point volontiers ces bons de consommation. « Ce n’est pas de l'argent », disaient-ils. Mais quand ils virent que les magasins les recevaient en paiement de bonnes et solides marchandises et que, d’autre part,
- M. Craig donnait, en cas nécessité, de l’argent en échange de ces bons, ils cessèrent d’y faire opposition et finirent même par les préférer à la monnaie habituelle.
- Un des cas qui mirent en évidence la valeur pratique de ces bons fut le suivant :
- Il n’y avait alors aucune loi conçernant les pau- j vres, aussi leur nombre était-il incalculable. j
- Quand un travailleur venait à mourir, sa femme I et ses enfants tombaient à la charge de la charité [ publique, et s’en allaient mendier par groupes. j
- Or, les succès de l’association de Ralahine com- j uiençaient à préoccuper l’opinion publique. Selon j toute probabilité les ménagères de la Société, emportées par l’habitude, avaient dû donner à quel- \ 9ues pauvres du lait ou des légumes tirés du réfec- 1 toire commun. Car Ralahine devint tout-à-coup un J Véritable centre d’attraction pour les misérables de toute espèce. « Pour Vamour de la sainte mère de
- Dieu, « criaient-ils », un morceau de pain, du lait ou des pommes de terre. »
- Bientôt cependaut les mendiants durent reconnaître que les membres n’avaient rien à donner. En fait de propriété particulière, ils ne possédaient que des bons de consommation, et ces bons n’avaient cours qu’aux mains des associés.
- C’est ainsi que les membres de l’association se rendirent compte des avantages des bons de consommation ; en même temps ils furent guéris de la pratique aveugle de l’aumône qui entretient la misère et ne résout point la question sociale.
- (A suivre.)
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE VIII
- A une époque d’enfantement social et de réorganisation comme la nôtre, lorsque les merveilleux travaux des philosophes du dix-huitième siècle succédant aux apôtres de la Réforme ont si bien préparé les voies à une transformation,non seulement philosophique mais encore politique, si vigoureusement inaugurée par la révolution, les idées religieuses jouent un rôle considérable dans ce mouvement en avant, et c’est ce qui explique pourquoi de nos jours, après les nombreuses luttes de ces cent dernières années, livrées sur le terrain philosophique d’abord, sur le terrain politique ensuite, plus tard encore sur le terrain littéraire, et enfin sur le terrain économique, la guerre a fini par se circonscrire sur le terrain religieux, en même temps que sur le terrain social. Aujourd’hui c’est le cléricalisme qui livre les derniers combats à la liberté, laquelle finira par triompher infailliblement, en introduisant d’une manière définitive le progrès et la raison à la place de l’immutabilité doctrinale et de la foi.
- L'ennemi le plus acharné des gouvernements démocratiques aujourd’hui, c’est le clergé qui défend avec toute l'énergie du désespoir ses dernières prérogatives et son immense influence perdue, parce qu’il sent que ne pouvant plus étayer sa nomination sur le dogme suranné dont la raison a depuis longtemps déjà fait justice, la religion, son seul moyen d’action, est si fort compromise,que l’on peut facilement supputer désormais les heures qui lui restent à vivre. Comme c’était sur l’ignorance qu’elle avait fondé sa puissance, les progrès de l’instruction ne pouvaient manquer de la miner et de la détruire, et c’est à son effondrement que nous assistons aujdur-
- p.323 - vue 324/836
-
-
-
- 324
- LE DEVOIR
- d’hui. Le moribond se débat et s’agite dans son impuissance, et ses cris, ses convulsions dernières troublent encore quelques esprits timorés, mais ne font plus illusion à 1 homme qui raisonne et sait apprécier sainement les symptômes. Dans un moment donné, assez rapproché certainement, le Christianisme, cette puissance dix-huit fois séculaire, aura rejoint le Paganisme antique dans les limbes des souvenirs historiques, avec les systèmes monarchiques, qui eux aussi sont déjà vermoulus et atteints au cœur.
- En cette matière, comme dans toutes les autres, l’œuvre du Familistère, que nous appellerions volontiers le précurseur de l’œuvre sociale humaine, l’avant-garde de la grande organisation communale et nationale de l’avenir, ne pouvait pas rester en arrière, et comme c’est la liberté qui a présidé à toutes les institutions qui y ont été adoptées, qui a dicté toutes les mesures prises, inspiré toutes les innovations, la religion officielle au Palais Social, c’est la liberté de conscience la plus complète et la plus absolue. Considérée avec raison par tous les vrais démocrates comme la première et la plus essentielle de toutes les libertés, elle doit tenir la première place dans un établissement de progrès comme celui que nous visitons, et nous n’avons en effet qu’à constater qu’elle y règne sans la moindre entrave en souveraine honorée et respectée.
- Dans l’habitation unitaire, chacun suit librement sa croyance, et pratique à son gré la religion de son choix. Le catholique Romain aussi bien que le Chrétien orthodoxe Grec, le Protestant de toute secte, le Juif, le Mahométan ou le sectateur de Bouddha (s’il y en avait) y sont aussi à l’aise pour se livrer à leurs pratiques que le libre-penseur ou l’athée matérialiste,si tant est qu’il existe réellement dans le monde des athées, ce que, pour notre part, nous ne croyons pas. Il y a des matérialistes certainement, et qui plus est ils se croient athées, mais en réalité ils ne le sont pas, puisqu’ils admettent les lois et les forces de la matière comme principe de vie de toutes choses, et qu’en somme ils donnent le nom de principe de vie à ce que d’autres appellent l'Être Suprême, la Cause Première, le Grand Tout, ou Dieu. Le nom importe peu, et la chose est admise par tous, parce qu’il est à peu près impossible de ne pas l’admettre. C’est pour cela qu’à notre avis il n’existe réellement point d’athée, même au sein du matérialisme le plus ardent.
- Quoi qu’il en soit, si au Familistère, il y avait une religion officielle, ce qui n’est pas, elle serait certainement basée sur la libre-pensée, qui n’a absolument rien de commun avec l’athéisme, quoiqu’en disent
- les partisans de l’obscurantisme religieux qui a nom le Christianisme. Le libre-penseur'diffère des sectateurs des religions diverses qui ont gouverné la conscience humaine, en ce qu’il ne veut pas de la foi aveugle comme règle de sa croyance et de sa doctrine. La raison est son unique guide, et ia liberté son dogme préféré. A la lumière éclatante de l’une, il est admirablement éclairé sur ses devoirs et ses droits et sur leur étroite corrélation et leur équilibre qui constitue la véritable justice, et avec l’aide de l’autre il remplit sans difficulté les premiers et jouit librement des autres, en respectant chez ses semblables ce qu’il entend faire respecter en lui.
- Yoici, dans ces données, comment le Fondateur du Familistère définit la loi du Bien et du Mal sur la terre, et le but de l’existence de l’homme ici-bas :
- « La vie partout et toujours ;
- « La vie, cause, but et fin de l’existence humaine ;
- « La vie, loi de l’Individu;
- « La vie, loi des Sociétés ;
- « La vie, loi des Peuples et des Nations;
- « La vie, loi de l’Humanité ;
- « La vie, loi du Globe ;
- « La vie, loi de l’Univers et de l’Infini.
- « La vie enfin, voilà le critère du bien et du mal propre à chaque degré de l’Être ; critère tant cherché par les sages et les philosophes; principe et loi morale de l’ordre politique et social, en même temps que fanal propre à guider chacun dans la voie du bien.
- « Car la Loi de vie de chaque espèce, c’est le Bien de l’espèce.
- « Pour l’homme, le Bien c’est tout ce qui est en accord avec la Yie Humaine. » Et il en conclut que le Bien c’est tout ce qui est conforme aux besoins de la vie, et le Mal tout ce qui est contraire à ces mêmes besoins, que la loi humaine n’est légitime qu’autant qu’elle protège la libre expansion de la vie dans l’Humanité, dans la Société et dans l’Individu, et qu’enfin l’homme transgresse les lois de la vie lorsqu'il fait obstacle, soit en lui-même, soit en ses semblables, au cours naturel des fonctions de la vie.
- Ainsi, conserver, développer et équilibrer la vie en soi et autour de soi est la Loi suprême, et les actes comptent pour l’homme dans la vie, suivant ce qu’ils auront valu pour la vie elle-même.
- « Tout pour la vie, tout par la vie, c’est le critère universel qui désormais doit guider l’Humanité. »
- De ce principe fécond de morale, les déductions sont aisées à tirer : Elles se résument dans la notion réelle et exacte du Droit, du Devoir et de la justice. Il nry a point de droit sans devoir, ni de devoir sans
- p.324 - vue 325/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 325
- droit, et l’équilibre exactement maintenu entre les (jeux constitue la Justice. Ils sont solidaires tous les trois^et ne peuvent exister l’un sans l’autre.
- « Le Droit, c’est la Liberté, car c’est dans l’exercice du Droit, suivant la Loi de Vie, que l’homme peut trouver la liberté d’user sans obstacle de ses facultés physiques, intellectuelles et morales pour son bien propre et celui de ses semblaqles.
- Le Droit, c’est l’Egalité, car c’est dans l’application du Droit, suivant la Loi de Vie, que se trouve l’Egalité de satisfaction des facultés de chacun.
- « Le règne du Droit, c’est le règne de la Liberté et de l’Egalité dan-s la plénitude des facultés naturelles dont chacun dispose pour l’accomplissement des Lois de la Vie.
- « Le Devoir réel, c’est la protection et le respect dû à la pratique des lois de la Vie ; c’est l’application de ces mêmes lois à la Conservation, au Progrès et à l’Harmonie de la Vie dans l’Individu, dans la Société et dans l’Humanité.
- « Le Devoir, c’est la Fraternité ; car la Fraternité c’est l’union des hommes dans l’amour du bien public ; c’est l’Emulation dans le progrès de tous les moyens propres à concourir à la Conservation, au développement et à l’Harmonie de la Vie au profit de Tous.
- « La Justice réelle, c’est la pondération du Droit et du Devoir par le respect de leur usage à la libre pratique des lois de la Vie ; elle ménage à tous les moyens de concourir à l’Entretien, au Progrès, et à l’Harmonie de la Vie, dans la mesure des forces et de la capacité dévolues à chacun, et elle assigne à chaque chose la destination la plus utile à la Vie. »
- La Justice, c’est la vérit é et aussi la Solidarité de tous les hommes dans la vie» à laquelle sont attachés l’harmonie et le bonheur sur la terre.
- Dans cette doctrine que nous venons d’anaiyser rapidement se trouvent renfermées toutes les données, tous les éléments de la morale humaine la plus élevée et la plus pure et la plus vraie, et sa pratique constante et sincère serait le moyen le plus efficace de perfectionnement moral et de progrès dans l’humanité.
- Quant au dogme, le principe universel de toute chose,pour l’éminent auteur de « Solutions sociales », c’est l’Etre, dont les attributs sont : l’Esprit, la Vie, la Substance. L’esprit dirige, la vie agit, la substance obéit. L’esprit et le temps qui est son co-eœister sont attributs d’existence, la vie et le mouvement attributs d’action, et la substance et l’espace attributs d’Etat.
- C’est de l’Etre que découle la vie, il en est le prija-C1pe et la fin, la cause première et le but.
- Telles seraient les bases sommaires sur lesquelles
- une religion aurait pu être établie au sein du Palais social, si une pareille institution pouvait être conforme au principe sacré entre tous de la liberté de conscience. Mais aux meilleures doctrines la liberté est encore préférable. Aussi pouvons-nous dire en terminant que la religion qui règne au Familistère c’est uniquement et par dessus tout la liberté de conscience.
- (A suivre). Ed. Fortis.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- La loi snr les associations. — Il y a quelques jours, la Chambre des députés prenait en considération la proposition de loi de M. Waldeck-Rousseau relative au contrat d’association. Mardi dernier, cette proposition obtenait dans les bureaux de la Chambre un éclatant succès, et une commission favorable à l’ensemble du projet était nommée pour en examiner les diverses dispositions.
- On se rappelle que cette proposition a pour objet de fonder le régime de l’association sur le droit commun. Elle établit une distinction absolue entre les associations ciriles et commerciales, d’une part, et, de l’autre, entre, les congrégations et communautés religieuses. Cette dis_ tinction s'appuie sur des théories sociales et philosol pbiques, et, de plus, sur des raisons juridiques contr^ lesquelles les contradictions n’ont jamais prévalu; ell® a, en effet, été pour ainsi dire consacrée aux époque8 mêmes où le cléricalisme dominait dans les conseils du gouvernement. Sous les régimes les plus réactionnaires, le droit commun des associations n’a été complètement appliqué ni aux congrégations ni aux communautés religieuses.
- Ainsi que l’établit avec une grande clarté et une grande précision M. Waldeck-Rousseau dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi, toute association doit avoir un objet licite, sous peine d’être prohibée par le législateur. Or, la congrépation institue une sorte de servitude personnelle et partant n’a pas un objet licite.
- C’est sur les mêmes motifs que s’appuyaient les législateurs de la Révolution pour abolir en France, par la loi du 18 août 1792, toutes les communautés et congrégations. Ce sont les mêmes doctrines qu’exposait M. Dupin l’aîné devant la Chambre des députés dans la séance du 2 mai 1845.
- On compte parmi les adversaires de la proposition quelques membres du centre gauche, une partie des intransigeants et, cela vasans dire, la totalité des cléricaux.
- *
- * *
- Ce que coûte la. guerre en temps de paix. — L’Europe a dépensé, depuis dix ans, en travaux stériles, en travaux de méfiance et en fortifications, des sommes folles 1
- L’Allemagne 500 millions dont 150 en Alsace-Lorraine ;
- L’Autriche-Hongrie 40 millions rien que pour les nouveaux forts de Cracovie, du Tyrol et de la Gallicie ;
- L’Italie 160 millions ;
- La France 400 millions, de 1872 à 1879; de plus, 30 millions ont été dépensés l’an dernier, et une somme de 70 millions est inscrite au budget supplémentaire de l’année courante.
- Ajoutez à ces sommes connues et contrôlées celles affectées à cet objet par les autres gouvernements en Europe et dites si la peur n’est pas le corollaire de la... folie !
- *
- M. «
- TJn parti à. créer. — .. .Ah ! que je verrais avec bonheur se former le grand parti, le parti de tous ceux qui sont utiles contre les inutiles et les nuisibles ; ce
- p.325 - vue 326/836
-
-
-
- 326
- LE DEVOIR
- parti comprendrait tous les hommes de labeur, depuis le pauvre miheur couché à plat-ventre dans la nuit pour extraire celte houille, mère des grands travaux industriels, jusqu’au poêle de génie illuminant le monde de ses pensées et le charmant de son harmonie. De ce parti, qui sera un jour l'humanité entière, je n’éliminerais que ces fainéants qui, ainsi que les nobles d’autrefois, ne se sont donné que la peine de naître, et que vous voyez errer dans la vie ayant trouvé dans leurs langes ce capital grâce auquel ils vivent aux dépens de nos travaux à tous, êtres inutiles, superfétations sociales, qui consomment, mais qui ne produisent point, hommes qui, après avoir corrompu vos filles, se corrompent eux-mêmes, et meurent comme ils ont vécu, parasites de l’espèce humaine. H. Maret.
- *
- * *
- Statistique. — En 1880, la population de notre globe était évaluée par MM. Belem et Wagner, dans les Geographische Mittheilungen, de Petermann à î,4511,923 500 âmes, se répartissant comme suit :
- Europe 315,029,000
- Asie 834,707 000
- Afrique 205,679,000
- Amérique 93,495,500
- Australie Polynésie 4,031,000
- Régions polaires 82,000
- Total 1,455,923,500
- M. Keith Johnson donne dans dans le Church Miss Atlas de 1879 les chiffres suivants quant aux diverses
- religions de la terre :
- Juifs 7.527,000
- Musulmans 169,129,000
- Hindous 176,673,000
- Boudhistes et autres sectes chinoises 502,547,000 Sectes et religions indét. 8,976,000
- Païens proprement dits 168,653,000
- Total des non chrétiens Chrétiens : romains » protestants
- » grecs
- Arméniens, coptes, abyssins, etc. Autres confessions
- 1,033,505,000
- 190,313,000
- 115,218,000
- 77,958,000
- 4,589,000
- 2,462.000
- Total des chrétiens 390,541,000
- Le total des chrétiens est donc de 642,964,000 inférieur à celui des non chrétiens. Il est accepté que c’est dans la religion chrétienne qu’il y a le plus de défection, les modifications sans cesse renaissantes apportées dans le fond même de la religion formant beaucoup d’incrédules d’indifférents et surtout de tièdes.
- Et le catholicisme romain, qui a la prétention d’être la religion universelle, la seule vraie, la seule dans laquelle on peut trouver le salut. Cette dernière prétention s’applique, d’ailleurs, à toutes les religions.
- ANGLETERRE
- La cour du banc de la reine vient de juger en appel le procès intenté à M. Bradlaugh par un sieur Guerney, qui a demandé que M. Bradlaugh fût condamné à une amende pour avoir voté à la Chambre des communes sans prestation légale du serment.
- M. Bradlaugh, condamné en première instance à une amende de 500 liv. st. par vote, se disposait à présenter sa défense devant la cour d’appel, mais le président l’arrêta en disant que c’était évidemment un procès de complaisance pour permettre à M. Bradlaugh de faire déclarer son serment valide, mais que la justice ne pouvait se prêter à une pareille manoeuvre.
- M. Bradlaugh a reconnu que le pro .ès avait été intenté par un ami, et ia cour a rayé l’affaire du rôle.
- IRLANDE
- Nous détachons d’une correspondance adressée à la France, les passages suivants :
- Dublin, 17 mai.
- La crise est plus vive que jamais.
- La colère, la rancune des partis semblent vouloir précipiter la catastrophe.
- Il y a dix jours, l’Irlande fêtait sa délivrance. La vie-toire ôtait assurée. La Land-League triomphait. Toutes les concessions réclamées par les chefs étaient concédées en principe. Parnell étaient l’homme le plus popu-laire, l’idole de son pays.
- Aujourd’hui tout est changé, l’atmosphère est chargée d’une électricité lourde et malsaine, il nous vient des senteurs de poudre et de dynamite, et le ciel roule des poignards acérés et des revolvers à six coups.
- En esquissant ce sombre tableau, je fais à peine allusion au double crime de Phœnix-Park. Cet attentat,j’en suis persuadé, n’est qu’un jalon sanglant sur la route inconnue, de l’avenir. Ce que je redoute à présent, ce sont les horreurs qui se préparent, et que tous, tories et radicaux, Northcote et Forster, préjugés et haines, nous convions à plaisir à la danse macabre dont l’assassinat de lord Frédéric Cavendisch et de M. Burke n’était que le prélude.
- Jusqu’ici, j’avais négligé de prendre en considération le terrible facteur de l’assassinat politique. Je ne croyais pas en son existence parce qu’il n’est pas dans les mœurs du pays. Les crimes agraires étaient des faits isolés et s’expliquaient tous par la veogeance personnelle de malheureux tenanciers expulsés ou menacés d’expulsion. Les menaces d’O’Donovan R >ssa, les sentences de mort prononcées en Amérique par des loges d’énergumènes fanatisés, les souscriptions pour soudoyer les sicaires et les voltigeurs de la dynamite me semblaient plutôt des épouvantails que des réalités vraiment menaçantes, et me faisaient sourire doucement sans jamais troubler mon sommeil.
- Je me trompais! Meâ maxirnâ culpâl
- Le crime du 6, préparé avec intelligence, exécuté avec un calme et une audace plus épouvantables encore que l’attentat lui-même, les moyens inconnus, mais parfaits, pris pour assurer la fuite et l’impunité des assassins, l’innocence absolue d’une des victimes, qui arrivait ici pleine de bonnes intentions,un rameau d’olivier d’une main, les clefs de la prison où gémissaient les suspects de l’autre, tout semble démontrer l’implacabilité et l’absence de scrupules du nouveau facteur qui vient de s’affirmer.
- M. Parnell a reçu des menaces de mort, pour le cas où il s’allierait avec le gouvernement.
- RUSSIE
- La perséeuüon contre les juifs —La
- Wiener-Presse publie, en déclarant les avoir reçus d’un médecin qui a visité l’hôpital juif à Odessa, des détails épouvantables sur le traitement que les Russes font subir aux juifs. Nous ne pouvons croire à de telles atrocités. Nous reproduisons l’article de la Wiener-Presse, pour que ce récit soit démenti, s’il est calomnieux, pour que l’indignation publique fasse justice, s’il est exact. Les cruautés que les Turcs ont commises en Bulgarie il y a quelques années et qui ont soulevé l’Europe, sont dépassées.
- Voici les traits principaux du récit :
- Les Russes trouvent plaisant d’arroser de schnaps et de pétrole les blessures saignantes de leurs victimes, et si les infortunés se mettent sur la défensive, alors commence une nouvelle boucherie. On finit par leur amputer les bras et les jambes, et on transporte les martyrs ainsi mutilés, dans les forêts où les loups voraces les achèvent.
- Au nombre des épaves du massacre figure une jeune femme, à peine âgée de 18 ans, à qui les brutes ont coupé le sein droit ; son enfant d’uD douzaine de mois repose entre ses bras ; à cet enfant, les bourreaux ont Crevé les yeux à l’aide d’un fer rouge?
- A côté de cette infortunée se tient assise dans son lit une pauvre vieille femme. Le bandeau qu’elle porte à
- p.326 - vue 327/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 327
- la tête couvre une blessure produite par uu coup de sabre. Le docteur lui demanda pourquoi elle ne se couchait pas ; elle répondit que les tortures l’en empêchaient, on lui avait ouvert le dos à coups de verges. Pourquoi? Lorsqu’une bande de forcenés pénétra dans ga maison, elle âvait caché ses petits enfants dans la cave; ceux-ci ayant été découverts, furent immolés sous les yeux de la grand’mère et elle-même fut flagellée.
- Dans la salle voisine, racoDte le témoin, mes regards s’arrêtent sur le visage sympathique d’une fillette re marquablement belle. Elle est à peine âgée de 12 à 13 ans. La pauvre enfant ignore ce qui lui est arrivé, mais elle se lamente et croit mourir de ses souffrances. Le médecin attaché à l’hôpital me dit que l’enfant a été exposée à la bestialité la plus féroce qui se puisse imaginer, et qu’elle succombera aujourd’hui à ses tortures.
- Des scènes plus effrayantes encore se passaient dans la salle des hommes. Là, le médecin nous montre un homme dont les pieds avaient été sciés; ici un jeune homme dont on avait fendu la poitrine ; plus loin, un enfant à qui on avait arraché les dents.
- Les missionnaires «Sfc l’esoiavage.- Dans le Lighè for ail de San-Francisco, nous dit la Revue du Mouvement social, nous lisons que les propriétaires d’esclaves les plus féroces des îles Sandwich sont les descendants des missionnaires qui ont porté le christianisme dans ce pays. Les esclaves proviennent d’autres îles du Pacifique dont les souverains font commerce de leurs sujets, comme au siècle dernier les principicules allemands et même les gouvernants de divers cantons suisses. Récemment, deux navires partaient d’Honololu, l’un était porteur de chaînes, de fouets et autres instruments à l’ueage des marchands de chair humaine ; l’autre était chargé de bibles et autres tracts destinés à la christianisation. Ces deux navires étaient armés par les mêmes personnes et se rendaient aux mêmes endroits.
- Est-ce que la France, l’Angleterre et les Etats-Unis ne s’entendront point pour couper court à cette infamie?
- *
- * *
- La Comète. — Les dépêches venues d’Egypte annoncent que les astronomes que la France, l’Angleterre et l’Italie ont enveyé dans ce pays pour observer l’éclipse de Soleil de mercredi, ont pu faire des observations du plus grand intérêt. Les astronomes français croient pouvoir conclure de leurs observations que la Lune possède une atmosphère spéciale. Cette célèbre question se trouverait ainsi tranchée.
- Mais, pendant qu’ils observaient le Soleil, les astronomes réunis en Egypte ont découvert, à côté de cet astre, une énorme comète qu’ils ont immédiatement photographiée.
- Cette comète sera bientôt visible en France. Depuis quelques jours déjà, nos observatoires la gueüaient du bout de leur télescope. Elle marche actuellement vers le Soleil avec une rapidité d’un million de lieues par jour. Aujourd’hui, elle passera à gauche de l’étoile Iota de Cassiopée, puis elle filera en ligne droite vers le couchant, traversera les constellations de la Girafe et du Cocher, et le 10 juin elle sera si voisine du Soleil, qu’elle se confondra probablement avec les rayons de l’astre.
- LA PERSPECTIVE
- J’ai vu la paix descendre sur la terre, -Semant de l’or, des fleurs et des épis...
- Ainsi chantait Béranger, au lendemain des effroyables guerres du premier Empire.
- Aujourd’hui, après trois quarts de siècle, éprouvés
- encore par bien des calamités, on ne saurait avoir, du moins pour un prochain avenir, une vision aussi riante et aussi consolante que l’était celle du poète à cette lointaine époque.
- Qu’apercevons-nous, en effet, si nous portons nos regards autour de nous en Europe, et si nous les reportons chez nous à l’intérieur.
- D’une part, les Etats s’épuisent en immenses et ruineux armements; ils font de tous les hommes valides autant de soldats : ce qui n'est pas, il en faut bien convenir, d’un très bon augure pour la durée de la paix internationale.
- D’autre part, au sein de chaque peuple, et chez nous particulièrement, il se forme, au point de vue social, deux camps ennemis qui ne peuvent manquer d’en venir aux mains, un jour ou l’autre, dans une mêlée terrible.
- Il y a les exhérédés du patrimoine commun, proie longtemps passive d'une implacable misère, mais qui comprenant enfin la vieille et persistante iniquité dont ils sont victimes, ne veulent plus se résigner à ce rôle ingrat d’un labeur mal rémunéré et toujours précaire. Ils élèvent des revendications, légitimes en principe, mais en fait singulièrement menaçantes pour l’ordre de choses actuel a ces revendications une fin de non recevoir est opposée au nom du droit absolu de propriété, lequel n’entend se reconnaître aucune obligation vis à vis de la masse populaire qui n’a que son travail pour moyen d’existence. Louer au plus bas prix possible les bras de l’ouvrier, les occuper seulement à sa convenance et suivant le besoin qu’elle en avait, voilà quelle fut jusqu’à présent la pratique de la classe en possession des instruments de travail, pratique autorisée et pleinement consacrée par l’économie politique en crédit. Survenait-il des crises industrielles, crises amenées, soit par des secousses politiques, soit plus souvent encore par les cupides spéculations du commerce, aussitôt l’on jetait sur le pavé des milliers de salariés sans pain et sans ressources.
- Je parle au passé ; mais c'est là encore ce qui arrive et ce qui se voit journellement dans l’état présent des choses. D’ailleurs, sur le taux même des salaires, c'est un débat incessant entre l’employeur et les employés, l’un ayant intérêt à le réduire,“Hes autres à l’élever le plus possible. De là une hostilité permanente, donnant lieu tantôt aux grèves des ouvriers, tantôt aux fermetures d’ateliers par les patrons.
- Et ces dispositions, respectivement malveillantes, se trouvent désormais entretenues, avivées, envenimées par une certaine presse de plus en plus répandue dans le peuple et par des réunions publiques de
- p.327 - vue 328/836
-
-
-
- 328
- LÉ DEVOIR
- chaque jour, où l’on pousse ouvertement à la sois- j sion, à une guerre sans merci ni trêve entre l’élément ouvrier et l’élément bourgeois.
- Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’un orateur du parti cléricai, qui, sans grande foi dans le succès de sa tentative,s’efforce de ramener la société en arrière aux corporations du moyen-âge, ait signalé en termes véhéments le péril delà situation.
- « La guerre, s’écriait récemment M. le comte de Mûri dans une assemblée des cercles catholiques d’ouvriers, la guerre est en permanence sans issue, sans pacification possible, et qui ne peut s’apaiser un moment qu’en laissant derrière elle des intérêts compromis, des rancunes amassées et des passions inassouvies, toutes prêtes à se rallumer au premier appel de la révolte.
- « Voilà où nous en sommes! la presse en est pleine : il n’y a pas de jours qu’on n’y lise les paroles les plus violentes, les discours les plus enflammés ! c’est une marée qui monte, qui monte tous les jours, qui monte bien au-dessus des questions politiques, bien au-dessus des petites préoccupations et des intérêts mesquins qui s’agitent dans les couloirs d’une assemblée; c’est une marée qui monte et qui menace de tout submerger! Voilà l’état où nous sommes. La guerre gronde, elle se révèle au-dehors, comme à la veille d’une éruption, on voit la flamme s’échapper du volcan ; elle est à nos portes, au seuil de notre •vie facile, au seuil de nos jouissances, de notre élégance et de nos plaisirs! la guerre est pour demain. »
- — Voilà qui est parlé ! — exclame, à la suite de cette citation, un journal qui dans chacun de ses numéros, sonne le clairon de la guerre sociale.
- Qu’arrivera-t-il cependant si, se laissant entraîner par les Thyrtées du socialisme belliqueux, une partie de la classe ouvrière lève l’étendard de la révolte et tente de s’emparer par la violence des instruments de travail et du capital possédés par les bourgeois ?
- Il ne faut pas croire que ceux-ci vont se laisser sans résistance dépouiller, égorger comme des agneaux. Les agresseurs n’ont ni armes, ni munitions; l’argent, ce nerf de la guerre, leur fait complètement défaut; il se trouve, au contraire, dans les mains de la partie adverse, qui peut compter en outre et jusqu’à nouvel ordre sur l’appui de l’armée, malgré les efforts faits pour détruire dans ses rangs la discipline.
- Quand je songe aux éventualités probables de la lutte fratricide que ne craignent pas de provoquer d’étranges amis du prolétaire, je ne puis m’empêcher d’être ému de pitié pour les malheureux qu’on pousse
- ainsi à la boucherie, et de colère contre les coupables promoteurs de nouvelles catastrophes.
- N’est-ce donc point assez des hécatombes de juin 1848 et de mai 1871 ? N’est-ce point assez du deuil et du dénuement portés alors au sein de milliers et de milliers de familles ? En quoi ces funestes insurrections, suivies de répressions terribles, ont-elles avance la question sociale ? Elles n’ont fait que laisser après elles des haines, des défiances, une ardente soif de représailles et de vengeance, toutes dispositions peu favorables à un progrès social quelconque, qui exige le concours des différentes classes dans une pensée de concorde et d’union pour le bien de tous.
- Ce n’est pas seulement la sainte alliance des peuples qu’appelait en 1816 la muse de Béranger, c’est aujourd’hui la sainte et l’équitable alliance des classes, au sein de chaque peuple qu’il faut se hâter d’établir, si l’on veut éviter des cataclysmes imminents.
- L’idée de péril social, écartée comme chimérique, tant qu’elle était exploitée par la réaction contre la liberté, préoccupe aujourd'hui, non sans motif, des esprits fort avancés dans le sens de l’égalité démocratique. Cette préoccupation s’est fait jour dans le manifeste du Comité républicain radical du quartier de la Folie-Méricourt (IIe arrondissement) qui présente un candidat ouvrier pour le remplacement au Conseil municipal de M. Cadet, élu député.
- « Les rivalités politiques des partis », est-il dit dans ce document, « peuvent affaiblir la République; « mais les divisions de classes, si elles acquiéraient « jamais un caractère de gravité, risqueraient de « compromettre l’existence même de la patrie. »
- Vérité de toute évidence.
- Et pourtant il se trouve parmi nous des publicistes soi-disant républicains et français pour prêcher et appeler de leurs vœux la guerre des classes.
- « Après les guerres de religion, la guerre des classes ! », disait un journal, avec le cri de joie du corbeau qui sent l’odeur des cadavres du champ de bataille.
- Les guerres de religion n’ont produit que des atrocités sans avantage aucun pour les croyances en conflit; la guerre des classes s’accompagnerait de plus d’horreurs encore et entraînerait infiniment plus de désastres, tout en restant fatalement stérile pour la cause au nom de laquelle on l’aurait engagée.—Nous préservent de telles extrémités et le bon sens du peuple et l'esprit de justice des possesseurs de la fortune, en étouffant de funestes dissidences par la mise en pratique du salutaire principe de l’association ! Oui, l’association du capital et du travail, c’est l’évolution urgente à accomplir; c’est la condition de
- p.328 - vue 329/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 329
- la paix et delà concorde; c’est le salut et la sécurité pour tous. Que ceux-là le comprennent de qui il dépendrait de la réaliser, car l’état présent d’antagonisme est gros pour eux de périls...
- Ch. Pellarin.
- LES PRÊTRES ROMAINS
- L’homme, qui a eu une mère catholique et a cru au catéchisme que lui a enseigné son curé, arrive fatalement, s’il réfléchit, à une heure où il doit contrôler toutes ses croyances. Alors il les analyse et les examine sous toutes leurs faces ; il en recherche les fondements et les preuves. Le plus souvent, après une réflexion sérieuse et une étude attentive, tout l’édifice des croyances passées s’écroule ; il ne reste plus rien que le doute. Mais voyant que son intelligence est jetée dans un chaos ténébreux où il ne sait plus que croire, l’homme est effrayé de son œuvre de destruction; aussi il essaye de refaire sa foi et se cramponne, comme il peut, au besoin d’une autorité enseignante ; il a beau faire, il a beau lutter ; ses efforts sont vains ; car sa logique est impitoyable. La Bible lui apparaît comme une œuvre humaine ; Jésus comme un sage et l’église romaine comme un vaste système de domination. Il ne croit plus, ou plutôt sa foi devient peu à peu plus raisonnable et plus noble ; il croit à l’humanité et à sa mission de progrès et de développement sur la terre.
- Cette histoire du doute, de la douleur dans le doute, de l’obscurité dans les réflexions, de la foi humaine qui suit ces crises terribles, est l’histoire de beaucoup d’hommes. Je dirai qu’elle est l’histoire de beaucoup de prêtres.
- Savez-vous ce que c’est qu’en prêtre romain? Etes-vous descendus dans cet abîme qui effraye? Il y a en lui des grandeurs et des sublimités, des bassesses et des pourritures.
- Vous trouverez le prêtre saint et dévoué à côté du prêtre débauché et hypocrite. Nous rencontrons l’évêque qui travaille et se sacrifie à côté de celui qui ne pense qu’à jouir.
- Tant qu’il reste dans les séminaires,le prêtre croit. Que sait-il des travaux critiques des savants sur les religions comparées ? Rien ; on lui a fermé la science moderne. A-t-il pensé ? A-t-il réfléchi? S’est-il posé cette question : Suis-je bien dans la vérité? Jamais; °n si quelquefois cette pensée lui est venue, il l’a rejetée avec toute l’énergie de son^âme ; car ses maîtres lui ont dit : « Douter, c’est nier. Celui qui * nie la foi commet une grande faute. L'apostasie de
- « la foi, c'est le plus grand des péchés. » Vous saliriez la réputation du prochain, vous souilleriez la pureté de son lit conjugal, vous lui raviriez sa fortune et le jetteriez dans la plus grande misère, votre péché n’est rien, enseigne Thomas d’Aquin, le plus autorisé des théologiens de Rome, à côté du crime du malheureux, qui, pressé par la logique de sa raison et la sincérité de son esprit, refuse de croire aux doctrines enseignées par l’Eglise romaine. Entassez crimes sur crimes, forfaits sur forfaits, scélératesses sur scélératesses, les homicides, les parricides, les trahisons les plus infâmes, les ignominies et les hontes de toutes sortes; l’église romaine vous dira toujours : « vos péchés ne sont rien à côté du péché d’infidélité, » doctrine monstrueuse, propre à corrompre les esprits et à déplacer l’axe de la vertu.
- Lejeune prêtre, sortant du séminaire, arrive plein de ferveur dans la paroisse que son évêque lui a confiée. Dès l’abord, que trouve-t-il ? Le plus souvent les traces immondes de quelques prédécesseurs viveurs et débauchés. Que lui révèle-t-on au confessionnal ? Des femmes viennent, qui racontent leurs relations coupables avec le précédent curé ou vicaire que l’administration épiscopale a renvoyé bénignement ailleurs en lui recommandant d’être prudent et sage; ce qu’il promettra toujours; ce qu’il ne fera jamais.
- Pour l’âme naïve du jeune prêtre, des révélations semblables produisent une tempête. Alors son esprit se replie en lui-même. Pour la première fois il pense d’une manière indépendante, il réfléchit, il cherche; le problème de la vérité se pose devant lui sans solution déterminée. Ge jeune prêtre doute ; c’est malgré lui ; il ne voudrait pas douter. Il est comme effrayé du travail de son intelligence. Il prie avec larmes et demande la foi; et la foi disparaît de son âme. Il consulte ses supérieurs et maîtres ; on lui répond qu’il ne faut pas penser, que c’est un danger de réfléchir ; on lui interdit tout autre lecture que celle delà Bible ou d’un docteur romain quelconque ; on lui circonscrit même le cercle de ses études. Le pauvre malheureux essaye de se soumettre; ses efforts sont inutiles ; la raison lui parle toujours et le force à penser. A la fin il ne croit plus...
- Que fera-t-il ce pauvre prêtre ? Restera-t-il dans le ministère sacerdotal, priant un Jésus auquel il ne croit pas, adorant un sacrement qui lui paraît une farce, enseignant un dogme qu’il regarde comme une folie ?
- Pour se dégager d’une situation semblable il fau du courage et de la vigueur. Bien des âmes sacerdotales effrayées à la vue de l’inconnu d’une nouvelle position, se décident pour le parti le plus facile et consentent à mener toute une vie d’hypocrisie et
- p.329 - vue 330/836
-
-
-
- 330
- LE DEVOIR
- de mensonge. Bientôt le vice se joint à l’hypocrisie, avec son cortège de sollicitations honteuses, de séductions et d’ignominies. Pour beaucoup de ces prêtres, les femmes deviennent un oiseau de chasse et leur paroisse un sérail.
- Lorsque l’àme du prêtre, qui ne croit plus, est une âme grande et courageuse, elle ne succombe pas sous le poids de la lutte. Elle est lente à se décider dans une résolution aussi pénible et aussi doulom reuse. Mais il vient un moment où il faut aller d’un côté ou de l’autre ; ou être hyocrite avec une position assurée, le bien-être du monde et l’estime des dévots ; ou être sincère et vrai avec l’incertitude de l’avenir, les luttes de la vie et le mépris de tous les cléricaux et d’un grand nombre d’indifférents. Le prêtre se décide en pleurant, mais avec énergie. Il se dépouille de sa robe noire qui semble s’attacher à lui et le brûler comme une robe de Nessus ; et prenant l’habit civil, Vhabit de tout le monde, il s’en va quelque part travailler pour vivre. Ordinairement ce prêtre est pauvre ; il a été dans son ministère dévoué et généreux. Pour se préserver de la faim et de la soif, il n’a rien, absolument rien que son courage, son intelligence et ses mains. Il frappe à beaucoup de portes, demandant du travail et cherchant appui pour se créer une position. Bien des portes se ferment devant lui ; on ne lui accorde pas même un regard. Quelquefois on le plaint, mais la pitié se borne là. Pour lui alors il y a bien des heures de tristesse, de douleurs, d’angoisses, de faim et de soif.
- Hommes de la libre-pensée, vous qui, élevés dans les superstitions romaines, avez rejeté ces fables absurdes pour embrasser la grande religion universelle, celle de l’amour de l’humanité ; vous, apôtres de l’avenir, tendez la main à ce malheureux. Il est grand,il est noble; il a fait acte de vérité et de vertu. Ouvrez lui les bras ; aidez-le à se faire une position dans le monde. Avec vous ce penseur travaillera à la régénération humaine. Il sera ardent au travail et à la lutte; il ne craint pas la peine et il porte un cœur généreux.
- NOUVELLES DE LA COMMUNAUTÉ D’ONÉIDA
- Deux lettres insérées dans ' « The Coopérative News « du 38 courant, nous informent que M. Craig, l'auteur de l’histoire de Ralahine, en vue de se renseigner sur les causes qui ont amené la communauté d’Onéida à abandonner l’habitation unitaire et le mariage complexe, pour retourner au cottage isolé et au mariage selon les formes légales améri- \
- caines, avait prié un de ses amis, actuellement aux Etats -Unis, M. Ashton, de se rendre à Onéida et de lui faire part de ce qu’il y constaterait.
- M. Ashton répond :
- « Je n’ai pas eu le temps d’aller à Onéida, mais je me suis rendu à Niagara où se trouve installée aujourd’hui la branche Onéidienne qui était autrefois à Wallingford.
- « Les Onéidiens possèdent à Niagara une manufacture de vaisselle plate et un atelier de conserves alimentaires.
- « Je fus reçu avec la plus complète bienveillance.
- « A mes questions concernant les changements survenus, les sociétaires répondirent :
- » Nous vivions de 50 ans en avance du monde ex-« térieur, ce qui attira sur nous la persécution et « nous obligea à modifier l’état des choses. «
- « Beaucoup de jeunes gens vivent, dans des cottages autour de la communauté.
- « Cette Société est constituée par actions de 25 dollars. Les actionnaires se répartissent de gros dividendes.
- « Au moment des modifications sociales, les mécontents eurent la faculté de se retirer. Plusieurs jeunes gens ont alors quitté la communauté. D’autres sont restés mais simplement en qualité de travailleurs.
- « La plupart des anciens membres ont conservé leur foi première et sont fidèles aux doctrines de l’association.
- « La cuisine de l’établissement est dirigée comme un restaurant ordinaire,
- « Ce que la Société recherche pardessus tout c’est de faire de bonnes affaires.
- « Les Onéidiens espèrent encore amener les églises et le clergé à leur mode de croyances et par ce moyen réformer le monde.
- « Je me borne à constater les faits tels qu’on me les a présentés.
- « Les sociétaires sont restés dans les meilleurs termes avec M. Noyés. Ils pensent que le changement a été pour le mieux ; mais ils n’admettent pas de nouveaux membres.
- « Ils ont dépensé, disent-ils, plus de 100,000 dollars (250,000 francs) à publier leurs vues et à chercher à convaincre le monde extérieur, mais ils n’ont recueilli que la persécution et les menaces de difficultés légales. C’est pourquoi ils ont résolu de placer leurs vies et leurs biens hors de l’atteinte de la loi et des légistes. »
- A propos de ces renseignements fournis par M. Ashton, M. Craig fait la remarque suivante :
- Si nous lisons entre les lignes nous concluerons
- p.330 - vue 331/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 331
- que M. Noyés, le chef suprême des destinées d’O-néida, n’ayant pu réaliser son idée spéciale Ua propagation scientifique des êtres humains) a laissé de côté la réalisation du grand principe de l’équité industrielle et s’est prosterné, comme tous les autres, devant le veau d’or.
- Ce culte de l’or qui anime aujourd’hui la plupart des hommes, même chez les coopérateurs, arrache à M. Ashton, dans d’autres parties de sa lettre, les réflexions qui suivent :
- « Oh ! comparez cette préoccupation des gros dividendes à l'esprit qui animait les premiers pionniers delà coopération.
- « Pour les initiateurs le dividende n’était qu’un moyen de propager, de réaliser les principes. Nul de nous n’avait le moindre souci d’épargner quoique ce fût comme bénéfice individuel. »
- Et plus loin : « Les Sociétés coopératives devraient fonder des écoles où l’on enseignerait la science sociale ; de cette façon lorsque les pionniers de la coopération auront tous disparu de ce monde, les générations suivantes sauraient poursuivre le grand et glorieux travail de l’organisation sociale. »
- LE MAGNÉTISME
- Qu’a à faire dans tout cela la neuricité? disons-nous.
- A cette question les savants officiels ne répondront pas, nous en sommos certains,parce qu’ils n’auraient aucune réponse à moitié satisfaisante à faire. Aussi, sans nous arrêter davantage à l’attendro, continuerons-nous nos citations tirées des divers ouvrages sur le magnétisme animal. Nous prendrons encore deux faits dans le livre déjà cité de M. de Fleur-ville.
- « Un changeur de monnaie de la rue Vivienne », dit cet auteur, raconte en séance publique à Alexis, qu’un étranger s’était présenté chez lui pour changer des valeurs russes et anglaises contre de la monnaie française, (pour plusieurs milliers de francs, si nous
- nous souvenons bien). Après son départ, dit le changeur, je m’aperçois qu’il me manque 1,500 francs. Me les a-t-il pris ? Ai-je commis une erreur? A quelle nation appartient-il (il parle très bien le français) ? Quel est son nom? Où demeure-t-il ?
- « Alexis cherche pendant un certain temps.. .puis 11 dit successivement ceci : Votre étranger était arrivé à Paris le matin du jour où il s’est présenté chez vous... Je ne vois pas qu’il emporte autre chose que ce que vous lui avez remis...
- « Je le suis au sortir de chez vous... Je ne puis voir ni son nom, ni celui de son hôtel.
- « Mais vous irez sur la façade de l’église de la Madeleine, vous vous dirigerez sur le côté (droit ou gauche, nous ne savons plus lequel, ce qui importe peu d’ailleurs), vous compterez jusqu’à la 6e colonne, vous tournerez le dos à cette colonne, et vous verrez juste en face de vous la maison où il demeure... demandez l'étranger qui est arrivé tel jour... à neuf heures du matin.
- « Le changeur suit toutes ces indications, et il arrive chez l’étranger qu’il ne reconnaît pas, et auque 1 il adresse toutes ses excuses... Celui-ci sourit, et avec une grande politesse, lui dit : Mais je vous reconnais bien... moi... vous êtes le changeur de... auquel je me suis adressé tel jour... et il ôte une perruque blonde de sa tête; alors le changeur le reconnaît aussi.
- — « Maintenant, que me voulez vous? — J'ai fait une erreur de 1,500 francs à mon préjudice, dit le changeur. — Eh bien, réplique l’étranger, refaites votre compte, et nous allons vérifier, car j’ai mis dans ce coffret, sans le compter, tout l’argent et les billets que vous m’avez remis.
- « Vérification faite, il y avait 1,500 francs de trop que le changeur, fort satisfait, remporta.
- Ici, comme dans le cas précédemment cité de la dame à la montre perdue au pont de Neuilly, une question se pose naturellement sur les lèvres du lecteur. Pourquoi Alexis ne voyait-il pas le nom de la rue et le numéro de la maison habitée par l’étranger tandis qu’il voyait bien sa situation juste en face d’une colonne déterminée du péristyle de la Madeleine, de même qu’il ne voyait plus la montre de la dame tombée à terre alors qu’il la voyait dans la voiture, et qu’il ne voyait pas la caserne tout en voyant si nettement le numéro du régiment du soldat qui l’avait trouvée ?
- De même que les savants officiels, nous serions fort empêchés de répondre à ces questions, parce qu’il faudrait connaître mieux qu’on ne les connaît encore les lois qui régissent ces phénomènes, et être sorti, dans cette étude, de la phase d’observation et d’expérience dans laquelle nous nous trouvons encore. Tout ce que nous pouvons dire à ce sujet, c’est que s’il est imprudent d’avancer des explications qui ne sont pas suffisamment appuyées sur les faits, il y a aussi outrecuidance à nier de parti pris des faits constants et avérés, par la seule raison qu’on manque de notions suffisantes pour les expliquer. Evidemment, il y a une cause à ces intervalles dans la lucidité des sujets magnétiques si clairvoyants sur d’aatres points, mais cette cause n’est point encore
- p.331 - vue 332/836
-
-
-
- 332
- LE DEVOIR
- connue, et c’est uniquement par l’étude comparée des phénomènes que l’on parviendra à la découvrir.
- Voici ce que dit à ce sujet, M. de Fleurville à qui nous empruntons encore le fait suivant :
- L’amiral L*** qui demeurait alors dans le quartier Saint-Georges, rencontra au faubourg St-Germain, dans une nombreuse et brillante soirée Maroillet et Alexis qui, comme toujours, étonnaient, émerveillaient les uns et faisaient rire les autres.
- « Désirant éprouver la lucidité de celui-ci, l’amiral lui demande la description de son appartement,mais le somnambule se trompe de tout point pour la distribution des pièces, pour la couleur de l’ameublement, etc. L’amiral ne fait aucune réflexion, et il allait cesser de lui adresser des questions, lorsqu’A-lexis lui dit : À tel endroit de votre salon, je vois votre portrait qui est bien beau et d’une ressemblance parfaite (ce qui était exact), la peinture est splendide... et la figure de dessus est bien plus ressemblante que celle de dessous.
- « Cette dernière phrase d’Alexis frappe l’amiral qui y réfléchit chez lui ; il a entendu dire qu’Alexis donnait souvent des preuves d’une lucidité extraordinaire, lui-même en a été témoin plusieurs fois. Enfin, un jour, il veut savoir à quoi s’en tenir, et il en parle à l’artiste lui-même (Ary SchefFer, si notre souvenir est exact) ; celni-ci fort étonné lui répondit : Alexis a dit la vérité. A votre retour de l’expédition de... j’ai remarqué que votre portrait ne rendait pas exactement l’expression habituelle de votre figure, et sous prétexte de retoucher votre habit,(qui du reste n’avait rien à faire), sans vous en rien dire, et pour que, malgré vous, vous ne composiez pas votre figure, je vous ai fait raconter votre voyage et votre campagne, et j’ai peint, en entier une nouvelle figure par dessus l’ancienne... Alexis a donc vu ce que Dieu seul et moi nous savions !!!...
- « Nous tenons ce fait de l’amiral lui-même qui, coyons-nous, l’a dit à peu de personnes. Mareillet et Alexis l’ont peut-être ignoré'.
- « Comment s’est-il fait qu’Alexis ait si bien vu ces deux figures superposées dont personne n8 pouvait supposer i’existence, tandis qu’il ne voyait pas ce qui était relativement plus facile... les meubles, et tous les objets en évidence ?
- « Nous ne trouvons qu’une explication possible, répond notre auteur. C’est que le peintre était sympathique au somnambule qui a vu tous les détails, même les plus secrets de son œuvre; tandis que i’a-miral et sa famille ne l’étaient pas, et qu’il ne pouvait pas voir les objets appartenant à ceux-ci parce qu’ils s’étaiont imprégnés de leur fluide.
- « Nous avons remarqué trop souvent, et nous pou-
- vons assurer que ce défaut de sympathie peut nuire beaucoup aux recherches et au succès de la clairvoyance des somnambules, et que parfois elle peut la paralyser même malgré eux.
- « Ce n’est pas seulement sur les somnambules que la sympathie fait sentir ses effets; mais aussi sur les personnes (non magnétisées) qui se produisent ou qui parlent en public. Les deux grandes tragédiennes du temps de Talma, Mlles Duchesnois et Bourgoin, disaient devant nous dans une réunion d’auteurs : Lorsqu’on lève la toile pour la première fois de la soirée, nous sentons, à l’air qui nous vient de la salle de spectacle (au Théâtre-Français), si le public est bien ou mal disposé pour nous ; s’il doit nous être sympathique ou non dans cette soirée ; et cela réagit tellement sur nous, que nous en sommes électrisées ou paralysées pour toute la durée de la tragédie. »
- Cette impression est parfaitement exacte. Il n’est pas un orateur qui n’ait éprouvé l’influence des dispositions sympathiques ou hostiles de son auditoire, suivant les circonstances. Il nous est arrivé dans certains cas, dans des allocutions improvisées, de pouvoir,pour ainsi dire,lire dans les yeux des assistants la fin de la phrase commencée, et de provoquer leurs applaudissements en disant tout simplement ce qu’ils paraissaient eux-mêmes nous dicter. Dans ces occasions, nous éprouvions la sensation d’un homme dont l’âme allégée semblait s’élever, portée qu’elle était par une puissance inconnue vers des sphères plus hautes, et planer ainsi au-dessus de l’assemblée dont elle se sentait maîtresse souveraine. L’orateur alors tient son auditoire dans sa main, si je puis m’exprimer ainsi, et il voit très clairement les impressions qu’il produit sur lui, pressentant avec une lucidité dont il est lui-même étonné ce qu’il doit ou ne doit pas dire, pour le maintenir dans ces favorables dispositions.
- C’est certainement à une influence de cette nature qu’il faut attribuer le fait constaté par les évangélistes que Jésus ne pouvait point réussir à opérer des miracles dans son pays natal. Cette impuissance, de l’aveu de ses disciples eux mêmes, tenait aux mauvaises dispositions dans lesquelles se trouvaient à son égard ses compatriotes, et qui ont donné lieu au dicton célèbre : Nul n'est prophète en son pays.
- Quelle que soit l’opinion que l’on puisse avoir du magnétisme animal, il nous semble difficile que l’on nie la qualification de magnétique à cette influence étrange, qui présentebien les caractères de l’influence magnétique, puisque, sympathique, c’est une véritable attraction qu’elle exerce, et qu’antipathique, c’est au contraire une répulsion qu’elle produit; exactement comme l’aimant agit sur le fer, ou comme l’é-
- p.332 - vue 333/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 333
- lectricité négative sur le courant positif et vice versa.
- Il semble donc rationnel d’admettre, vu cette analogie dans cette classe de phénomènes, l’existence d’une sorte de fluide assez semblable, quant à ses effets, au fluide électrique, quoique différent par ses moyens de production et de transmission, et par une certaine action sur la partie intellectuelle ou spirituelle du sujet,en même temps que sur sa partie matérielle ou physique, tandis que l'électricité n’exerce qu’une action purement physique. C’est précisément cette action mixte psychico-physique du fluide magnétique animal qui rend si difficile pour la science actuelle très peu avancée en psychologie, l’étude de cet agent naturel nouveau dont elle ne peut ni ne veut constater que les effets matériels, sans tenir compte le moins du monde des autres, qui pour elle paraissent ne pas exister. Elle ressemble, en procédant de la sorte, à un aveugle qui n’ayant aucune idée de la couleur,en nierait obstinément l’existence, et ne voudrait constater dans les objets que la forme.
- Ce n’est point ainsi, croyons-nous, que cette étude doit être faite pour aboutir à des résultats utiles. Il faut examiner les faits sous leur double aspect, et faire marcher de pair les constatations faites dans les deux sens. En dehors de ce procédé, l’on ne fera rien et toutes les expériences, toutes les observations se traduiront purement et simplement par une fâcheuse perte de temps.
- [A suivre). Ed. Fortis.
- CAUSERIE SCIENTIFIQUE
- Chemin-de fer électrique. — Le mouvement de la mer force motrice
- A propos d’électricité, une très belle application qu’elle vient de recevoir dans une grande usine du Calvados, la blanchisserie de toile de lin de M. Paul Duchesne-Fournet, à Le Breuil-en-Auge, est décrite et figurée dans la Nature. Il s’agit d’un chemin de fer électrique qui d’abord diffère du chemin Siemens en ce qu’il est à accumulateurs, et qui ensuite a ceci de tout à fait particulier d’être établi uniquement en vue du relevage rapide et économique d’immenses pièces de toile (100 mètres de long) qui, étalées dans de grands prés dont la susdite usine possède, à cet effet, 15 hectares, y achèvent au soleil ce qu’elles ont commencé sous l’action du chlore et des lessives alcalines, de passer de l’écru au blanc.
- U est clair qu'employé à ce service un chemin de
- fer à vapeur, qui ne travaille pas sans fumer son charbon et cracher des scories, eût constitué une insanité. D’un autre côté, l’économie à tirer de la substitution du travail mécanique au travail des bras devait être considérable. L’électricité fournit à l’ingénieur de l’usine, M. Clovis Dupuy, la solution désirée. Grâce à elle, un seul homme fait aujourd’hui en trente minutes ce qu’il ne faisait précédemment qu’en un temps au moins vingt-deux fois aussi long ! Il releve 5,000 mètres de toile, qui demandaient onze heures dans des circonstances exceptionnelles favorables.
- On se figurera aisément le chemin de fer courant à l’extrémité du pré dans la longueur duquel les pièces de toile sont parallèlement étendues. La ligne, y compris ses branchements au nombre de vingt-et-un, a un développement de plus de 2,000 mètres ; elle est, bien entendu, à voie étroite (de 0 m. 80). Le train se compose de la locomotive, du tender et des wagons. Nous avons dit que la force motrice est fourme par des accumulateurs. Ceux-ci sont dans le tender qui en porte 60 en trois étages, et pesant ensemble 500 kilogrammes. La locomotive contient une machine électro-dynamique Siemens à renversement de marche ; c’est dans cette machine que l’électricité fournie par les accumulateurs se convertit en force mécanique, laquelle est employée alternativement à mettre le train en mouvement et à mouvoir l’appareil de ramassage.
- Arrivé sur le pré le train s’arrête en effet devant les pièces à relever. Celles-ci ayant été préalablement attachées les unes à la suite des autres on en engage un bout entre les rouleaux ramoneurs. Les rouleaux alors actionnés forcent le tout à prendre le chemin des wagons dans lesquels la toile s’accumule.
- Il reste à dire comment les accumulateurs seront chargés. L’électricité leur est fournie par la même machine (Gramme) qui sert à éclairer l’usine (au moyen, de onze lampes, installées depuis 1879). Le chargement demande de cinq à huit heures et une force de trois chevaux. La charge est consommée en trois heures.
- *
- * ¥
- Une source de force capable de soutenir la comparaison, même avec celle que l’électricité tellurgique paraît devoir nous fournir, c’est le perpétuel balancement de la masse des mers et l’agitation de leur surface. Cet autre élément de la prodigieuse fortune du genre humain a fourni à M. L. Bâclé la matière d’une note intéressante publiée par le même recueil. Ecoutons l’auteur vantant son sujet, qu’il peut louer très haut sans le surfaire :
- p.333 - vue 334/836
-
-
-
- 334
- LE DEVOIR
- » La mer forme un immense réservoir de force j motrice, la plus grande peut-être de la nature, dont j l’énergie est inutilement dépensée, l’agitation inces-santé de ses vagues et l’oscillation des marées sont [ absorbées sans profit à polir les cailloux roulés sur f les grèves, ou modifient seulement le contour et le j relief des côtes qu’elles battent continuellement. Il j y a là une force énorme qui s’offre d’elle-même, pour ; ainsi dire, et toute gratuite... Il n’y a pas à craindre j de la voir jamais défaillir, comme certains peuples j commencent à le craindre déjà pour la houille. »
- Aussi n’en est-on pas îvenu jusqu’à présent sans songer à l’utiliser. Les propositions faites à ce sujet ne sont même pas rares et plusieurs émanent d’hommes éminents. Mais l’invention et le succès de la machine à vapeur, qui parut devoir réaliserjl’idéal en matière de puissance mécanique, nuisit à cette recherche comme d’ailleurs à l’étude de toute force autre que celle du moteur universel. Aujourd’hui que l’habitude nous a rendus sensibles aux immenses et radicales imperfections mécaniques de cette sublime machine à vapeur, et que le progrès de l’électricité ont mis en nos mains le moyen de transporter la force à de grandes distances et de l’utiliser très loin de son lieu de production, 11 est inévitable que soient remises sur le tapis l’utilisation du mouvement de la mer et celle de tous les forces naturelles.
- Ce n’est pas non plus qu’on n’ait encore rien fait, j’entends dans un sens pratique. On cite M. de Goligny comme ayant appliqué ce mouvement à ces deux fins, à l’élévation de l’eau et au dessèchement des lacs voisins des côtés. On cite dans le Finistère et à Alexandrie d’Egypte des moulins à blé ayant jusqu’à huit paires de meules et mis en mouvement à marée haute. Mais ces inventions ingénieuses ne sont pas susceptibles d’applications générales : elles adaptent la force de la mer à une destination particulière et ne la rendent pas propre à tout. Il en serait autrement de l’invention de M. Victor Gaucher,laquelle n’est d’ailleurs qu’un perfectionnement apporté à une idée émise par M. Roche, de Nîmes, et même expérimentée par lui sur la Méditerranée.
- L’appareil de M. Gaucher se compose : 1° en mer, d’un flotteur et d’une cloche compresseur, reliée au flotteur par un agencement de cordes,tel que lorsque le flotteur descend,il soulève la cloche et que lorsqu’il remonte, la cloche retombe par son propre poids; 2° sur la côte, d’un réservoir a air; 3° des conduites allant du compresseur au réservoir.
- Avec la vague, le flotteur s’élève et s’abaisse verticalement ; quand il s’abaisse, soulevant la cloche comme on vient de le dire, celle-ci aspire l’air par
- des ouvertures ad hoc situées à sa partie supérieure; lorsque le flotteur remontant, la cloche est abandonnée à son propre poids, elle refoule dans le réservoir l’air aspiré pendant le mouvement précédent. On saisit le mécanisme. Inutile d'entrer dans plus de détails. Le poids du flotteur peut aller de 40,000 à 100,000 kilogrammes ; celui de la cloche à 60,000, agrès compris; elle aurait 25 mètres de diamètre et 7 mètres de hauteur ; limitant sa course à 8 mètres, elle aspirerait et refoulerait à chaque oscillation complète 8 à 700 mètres cubes d*air. Les jéservoirs supporteraient une pression de 25 kilogrammes. Tout cela est mis au conditionnel parce que cela n’existe encore qu’à l’échelle du 10*. Mais ce petit appareil qui figurait l’année dernière à l’exposition de Bruxelles, a eu le grand mérite de poser la question dont l’heure paraît maintenant venue.
- C’est donc sous forme d’air comprimé que le mouvement de la mer est transporté à la côte. Veut-on maintenant porter cette force plus loin ; la conductibilité électrique permettra de le faire, mais pour cela il faudra avec l’air comprimé faire de l’électricité par le moyen d’une machine dynamo-électrique. Arrivée à destination, cette électricité pourra être appliquée à un travail quelconque, mais à la condition de se convertir préalablement* dans une machine électro dynamique en force mécanique. Ce fera bien des conversions au cours desquelles beaucoup de force se perdra. Mais nous en aurons à perdre quand la vague et la marée nous la fourniront.
- Il résulte de tout cela que le total des forces dont l’humanité dispose aujourd'hui, et dont l’acquisition nous rend si légitimement fiers, est à celles qu’elle peut s’offrir comme est à la surface des eaux de la mer la quantité que nous en prenons dans le creux de la main. Il résulte de tout cela que nous pouvons avoir confiance dans l’avenir; que satisfaction sera donnée à toutes les revendications de la justice; que cette satisfaction sera le prix de la recherche du travail et de l’invention, non de la dispute; qu’il ne s’agit point de s’entredévorer comme des naufragés sur un radeau, mais de créer comme des dieux.
- Il résulte de tout cela, que le monde connu, j’entends la totalité des richesses acquises, est comparable à un vallon, en apparence fermé de toutes parts, au milieu d’un continent inapproprié, non soupçonné des habitants de ce coin de terre qui, réduisant l’univers à leur prison, s’en disputent la propriété. Un jour des issues sont trouvées, le monde est découvert et ils voient de quoi ils disputaient.
- Ainsi, notre petit monde économique est situé au milieu d’univers non soupçonnés de nos ancêtres, à nous révélés par la science, devant laquelle nos dis-
- p.334 - vue 335/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 335
- cordes sociales valent ce que valaient les guerres civiles de ces petits gens-là 1 Ils s’arrachaient une motte de terre et avaient des empires à s’annexer.
- Victor Meunier.
- XjSl vaccination à la portée «le tous
- D’après une communication faite par M. Pasteur à l’Académie des sciences et rapportée par M. de Parville dans la chronique scientifique du Journal des Débats, M. le docteur Burcq, un inventeur bien connu, va rendre la vaccination accessible à tout le monde.
- On peut donc espérer que la pratique jennérienne finira par pénétrer tout à fait dans nos habitudes, et qu’ainsi ne tardera pas à disparaître une des maladies les plus épouvantables qui puissent décimer l’humanité.
- ’x
- Aujourd’hui, en effet, il est bien et dûment démontré que la vaccine préserve de la variole.
- L’immunité conférée n’est pas sans doute absolue : on peut fort bien contracter la variole,tout en ayant été vacciné; mais la variole est alors bénigne. Et si l’on répète la vaccination de loin en loin, on peut se considérer comme à l’abri de foute contagion et prémuni contre tout danger.
- Mais voilà. Pour se faire vacciner ou revacciner,il faut recourir au médecin ; encore le vaccin peut-il ne pas être bon et l’innoçulation être imparfaite. Alors, c’est à recommencer, et l’on recule. Il en résulte que la vaccination ne se généralise pas autant qu’il le faudrait, et que la variole continue ses ravages.
- Ce sont ces considérations qui ont sans doute amené M. Burq à chercher la solution de ce problème ia vaccination pour tous et par tous ; — et il paraît fiu’il y est ou qu’il croit y être parvenu.
- En principe, il est d’avis que le vaccin de génisse est moins efficace que le vaccin humain. En conséquence, il pense qu’il faut recourir uniquement au
- vaccin ne l’homme, qui a fait ses preuves indubitables. C’est donc sur l’espèce humaine seule qu’il va chercher ses sources vaccinifères.
- Tout son système est fondé sur cette triple observation : qu’il suffit d’une parcelle de vaccin pour inoculer le virus préservatif; que le vaccin recueilli par un support inaltérable se conserve fort bien à l’état sec ; qu’étant donné un virus sec, le meilleur moyen de l’innocuier c’est de l’insérer directement sous la peau sans délayage préalable, et surtout sans écoulement de sang par la plaie d’introduction.
- Par conséquent le mode opératoire de M. Burcq est facile à imaginer. I! prend des aiguilles ou des épingles d’un demi-millimètre au plus, et pourvues d’une rainure ou de stries.
- La pointe est rendue inoxydable par dépôt d’or ou de platine. Toutes ces aiguilles sont juxtaposées horizontalement sur un support plat circulaire, chacune fixée dans une gaîtie spéciale, et toutes dirigées de la circonférence au centre. Le moyeu est creux, et Ton ouvre ou ferme hermétiquement le réservoir contenu dans le moyeu central avec un bouchon à vis.
- Le bouchon enlevé, on conduit le vaccin avec un pinceau. Puis quand le vaccin s’est séché sur les aiguilles, on tasse au-dessus de la ouate bien épurée et desséchée, et Ton ferme hermétiquement. Chaque aiguille porte ainsi dans ses stries assez de virus sec pour suffire à deux ou trois vaccinations, et chaque pelote peut renfermer jusqu’à cent aiguilles.
- A plus forte raison est-il aisé de préparer ainsi des pelotes qu’on pourrait appeler des vaccineuses de famille, avec lesquelles on pourra vacciner tous les habitants d’une maison. Toute pharmacie de poche devra donc désormais comporter une vacci-neuse.
- Les avantages de ce système sont évidents. Selon M. Burq, il a été vacciné en 1880, à l’Académie de médecine, 3,700 individus. Sur ce nombre, l’Académie a trouvé assez de virus pour vacciner ultérieu*
- p.335 - vue 336/836
-
-
-
- 336
- LE DEVOIR
- rement 25 à 30,000 personnes. En sorte qu’en multipliant ce chiffre dans les mêmes proportions, en obtiendrait en peu d’années autant de vaccin jennes-vin qu’il en faut pour vacciner toute la population.
- Si l’expérience, dit avec raison M. de Parville,confirme les calculs de M. Burq, on ne peut disconvenir qu’en faisant de la vaccination et de la revaccination une opération pratique et populaire, au moyen de
- ces aiguilles forées, il aura rendu un grand service à l’humanité.
- Les propriétés des fleurs
- Le rédacteur scientifique du Constitutionnel énumère les vertus et propriétés de certaines fleurs généralement délaissées.
- Dans la saison actuelle, où le narcisse des prés est en pleine floraison, il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelques propriétés médicales de cette jolie fleur jaune.
- Les fleurs du narcisse des prés possèdent une vertu antispasmodique dont la découverte, ainsique la plupart de celles de cette nature, est due au hasard.
- En 1777, une demoiselle de Valenciennes, vaporeuse et souvent en proie aux convulsions, laissa dans sa chambre, pendant la nuit, un grand nombre de fleurs de narcisse qui devaient servir à une procession le lendemain. Elle passa une nuit calme et sans convulsions.
- Le docteur Dufresnoy ayant fait renouveler ces fleurs, la nuit suivante fut aussi satisfaisante. Mais les trois jours après, les fleurs ayant été retirées, les convulsions reparurent, et elles cessèrent encore lorsqu’on replaça les fleurs.
- L’extrait de fleurs de narcisse, administré à cette malade et à d’autres femmes affectées de convulsions depuis de longues anuées, leur procura une guérison radicale. L’infusion des fleurs et le sirop de narcisse produisent de très heureux effets dans la coqueluche i des enfants. I
- Les anciens connaissaient déjà les propriétés antispasmodiques de ce végétal, et c’est pour cela qu’üs lui avaient donné, dit Plutarque, le nom de « narcisse » ou de « narké » (stupeur) qu’il portait chez les Grecs. Le narcisse possède encore d'autres propriétés médicinales, notamment comme vomitif, et comme pouvant remplacer l’ipécacuanha contre la diarrhée. On l’a aussi employé contre la fièvre.
- L’odeur du narcisse est pourtant bien faible pour répandre dans l’air les parfums narcotiques. Une autre fleur, très odorante et plus recherchée, la violette, a des propriétés endormantes beaucoup plus marquées. On raconte qu’une malheureuse fille de chambre, dans une famille, voulut garder sur son cœur, pendant la nuit, un magnifique bouquet de violettes. Elle fut trouvée morte le lendemain matin, asphyxiée par les fleurs.
- OOfrtlMOa---
- L’Association ri Mil IÇYÊDC DE Guise
- du rAmlLIo i tnt (Aisne)
- Offre les emplois suivants:
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifsy soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne.)
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.336 - vue 337/836
-
-
-
- 'Le numéro hebdomadaire 20 e.
- DIMANCHE, 4 JUIN 1882.
- bureau
- A GUISE (Aisne)
- •oL'-jrnj-
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Dire cteur- Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 îr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- -'ïSA/’r—
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m. w je
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadminisiration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La participation des travailleurs aux bénéfices.— Le Congrès ouvrier régional du Centre. — Faits politiques et, Sociaux. — Histoire de l'association Agricole de Ralahine. — Voyage autour du Familistère. — Conditions des femmes dans la savante A llemagne. — Le Duel. — Bibliographie.
- LA PARTICIPATION LES TRAVAILLEURS AUX BÉNÉFICES
- Un fait considérable relativement à cette importante question nous est signalé par la presse Parisienne, et nous ne croyons pas devoir le laisser Passer inaperçu de nos lecteurs.
- La participation des ouvriers dans les bénéfices d’une entreprise quelconque est une mesure que bon-seulement tous les chefs d’industrie, entrepreneurs et employeurs quelconques ont le devoir d’adopter et d’appliquer dans leurs ateliers ou chantiers, mais encore un principe que tout contractant avec l’entrepreneur ou l’employeur a le droit d’in-
- troduire contradictoirement dans la convention qui établit le marché. Cela serait très juste et très équitable, et aurait l’avantage souvent de forcer un peu la main aux industriels qui, en général, ne sont pas assez pressés de faire profiter les travailleurs qu’ils occupent des bienfaits de cette excellente mesure. Cela ne s’est peut-être jamais fait encore, et c’est pour cette raison que nous considérons comme très-considérable l’exemple qui vient d’être donné par l’éminent préfet de la Seine, M. Floquet.
- Persuadé que tout homme traitant avec un entrepreneur peut imposer l’obligation à ce dernier de faire participer ses ouvriers aux bénéfices de l’entreprise exécutée pour son compte, il s’est dit que pour que l’usage en fut établi, il est bon que l’exemple partît de haut, et c’est la Ville de Paris qu’il veut charger de le donner. En conséquence il a nommé une commission composée de conseillers municipaux, de membres des deux Chambres du Parlement et de chefs de services, pour étudier cette intéressante question.
- Les travaux de cette commission dont font partie MM. Tolain, Nadaud et Auguste Desmoulins ne sont pas encore très avancés, mais ils permettent déjà de constater que le sujet à l’étude étant une innovation tout à fait inattendue, les personnes appelées à déposer devant elle n’avaient point d’opinion très arrêtée à cet égard. Les entrepreneurs, délégués de syndicats ouvriers ou de sociétés coopératives consultés, ont émis les avis les plus divers, quelques-uns, ceux des premiers principalement, très hostiles à l’idée préfectorale.
- Mais si les dénégations des entrepreneurs prétendant impossible la mise en pratique de cet équitable
- p.337 - vue 338/836
-
-
-
- 338
- LE DEVOIR
- principe n’ont rien changé aux énergiques affirmations du Préfet de la Seine, en ce qui concerne le droit d’introduire dans les conventions avec les entrepreneurs de travaux publics des clauses en faveur de la participation, elles ont provoqué de la part de M. Alphand, directeur des travaux de la ville, de très fermes assurances de la possibilité de pratiquer cette participation.
- S’il arrive malheureusement trop souvent que les exemples donnés par des particuliers obscurs dans la voie du progrès social sont infructueux parce qu’ils sont presque toujours ignorés ou peu connus, il est bon, il est utile que ces exemples soient confirmés et mis en lumière par ceux des personnages officiels éminents, comme dans le cas dont nous parlons, parce que l’impulsion ainsi venue de haut aura plus de chance d’être suivie.
- En proposant de faire admettre les associations ouvrières à soumissionner pour l’entreprise des travaux de la ville, en leur reconnaissant une existence légale qui leur avait été refusée jusqu’alors, M. Fio-quet préparait les voies à cette nouvelle mesure, qui permettra aux travailleurs employés par des entrepreneurs particuliers de retirer de leur travail une rémunération plus équitable, et si l’on considère que cette question a été mise à l’étude en même temps que celle de la création d’une Bourse du travail, l’on ne peut contester que le préfet de la Seine n’ait donné des gages sérieux de ses dispositions en faveur des classes laborieuses, et qu’il n’ait mérité leur sympathie.
- Cette question de la participation des travailleurs aux bénéfices a déjà, nous le constatons avec satisfaction, acquis assez de force pour s’imposer d’une façon victorieuse sur bien des points ; elle a gagné les régions officielles, parce que le principe en est fondé sur la vérité, et que la vérité finit fatalement par avoir raison de tous les obstacles, de même que le soleil finit toujours par percer et dissiper les nuages qui interceptent momentanément ses rayons.
- Dans la mise en pratique du projet de M. le préfet de la Seine, il y aurait évidemment lieu de procéder de la manière suivante : La soumission pour les travaux aurait à faire connaître le prix que l’entrepreneur en demande, en indiquant en même temps l’intérêt qu’il entend prélever sur le capital engagé dans l’entreprise, le chiffre d’émoluments qui devra lui être attribué, et la base sur laquelle il entend établir la quotité des salaires de ses ouvriers. Ces indications fourniraient les éléments du calcul pour la répartition proportionnelle des bénéfices qui, comme de raison, ne peuvent être connus qu’après la complète exécution des travaux. Comme conséquence
- f naturelle et logique, l’administration aurait à inter-venir dans l’apurement des comptes de dépenses, afin que la clause de participation pût être équitablement appliquée, grâce à la fixation contradictoirement opérée du chiffre réel des bénéfices dont la répartition serait faite proportionnellement a l’évaluation du concours de chacun, évaluation indiquée naturellement par le montant de l’intérêt du capital d’une part, par celui des émoluments de l’entrepreneur et par celui des salaires des travailleurs de l'autre. C’est ainsi que la stipulation imposée dans le contrat sera loyalement exécutée.
- Cettê mesure appliquée de la sorte constitue, à notre avis, le plus grand progrès qui ait jamais été réalisé dans ce qui concerne la juste rénumération des travailleurs par les administrations municipales. Bien plus, la participation de l’ouvrier aux bénéfices, l’association réelle du capital et du travail et les institutions qui en sont le corollaire naturel obligé constituent certainement la solution du problème social,dont le but est l’amélioration du sort des travailleurs et l’extinction de la misère. C’est pour cela que nous nous réjouissons d’en voir tenter l’application dans une certaine mesure par l’administration à Paris, parce que cela nous permet d’espérer que d’autres municipalités voudront l’imposer à leur tour et que lé mouvement une fois imprimé de la sorte en haut se propagera en bas jusqu’à ce qu’il soit généralisé dans toutes les manufactures, chantiers, usines et ateliers.
- Tandis que beaucoup d’hommes politiques nient, malgré l’évidence la question sociale, qu’ils essayent de transformer en questions sociales, ce qui n’a aucun sens et les débarrasse de la tâche ingrate d’en trouver et d’en appliquer la solution, le digne préfet de la Seine, pareil au philosophe qui se mit à marcher pour démontrer le mouvement, fait tout ce qu’il peut pour imposer la solution qu’il a su entrevoir et apprécier, et qu’il considère avec raison comme son devoir de faire appliquer.
- Tout le monde se souvient des scandaleuses fortunes réalisées sous l’empire par les entrepreneurs j de travaux publics de la ville de Paris, au cours de ces grandioses transformations, qui à une autre époque aurait fait donner au héros de Sedan le surnom de maçon. N’est-ce pas en majeure partie au détriment de ceux qui sous leur direction exécutèrent ces travaux, que ces colossales fortunes ont été édifiées ? Eh bien ce spectacle toujours fâcheux sera désormais évité, si, comme il y a tout lieu de l’espérer, le système proposé par M. Charles Fioquet est adopté. Les noms des membres de la commission nommée à cet effet, et dont M. Aug. Desmoulins
- p.338 - vue 339/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 339
- a été nommé rapporteur, sont une promesse de succès, et c’est à tous les points de vue une excellente nouvelle pour les travailleurs.
- Ce n’est pas seulement pour les travailleurs que cette excellente mesure sera profitable. Les expériences particulières encore trop rares qui en ont été faites ont produit partout les meilleurs résultats et partout où le capital a admis le travail à participer aux bénéfices, il n’a eu qu’à se louer de cette innovation. La qualité du travail y gagne considérablement, et la production est plus abondante et meilleure, de telle sorte que l’adoption de ce principe est avantageuse non-seulement pour les divers éléments producteurs eux-mêmes mais même pour le consommateur. Le faire prévaloir dans un pays c’est donc lui rendre un service signalé et considérable.
- Si Titus croyait n’avoir point perdu sa journée lorsqu’il avait pu accomplir pendant toute sa durée une simple bonne action, M. Floquet aura le droit de penser qu’il n’a point perdu le temps de son passage à la Préfecture de la Seine, si la mesure qu’il cherche à faire adopter a pour résultat d’aclimater solidement en France le système de la participation des travailleurs aux bénéfices.
- LE CONGRÈS OUVRIER RÉGIONAL Ml CENTRE
- Le troisième Congrès ouvrier régional du centre a tenu sa session à Paris la semaine dernière au théâtre Oberkampf. Quatre vingt douze sociétés ouvrières y étaient représentées à la première séance. Malheureusement dès le début il s’est produit un incident fâcheux,qui a amené la scission entre deux fractions de l’Assemblée, et l’expulsion de dix groupes du parti ouvrier représentant les cercles des 1er, 11e, 12e et 14« arrondissements de Paris et ceux de l’Ailier, de Montluçon, de Montvicq, les chambres syndicales des caoutchoutiers et les corporations de Pontoise, la Jeunesse socialiste et l’Egalité. Les exclus ont pour organe « le Citoyen » qu’inspire M. Jules G-uesde, et les quatre vingt deux groupes expulseurs sont soutenues par « le Prolétaire » dont Benoit Malon est le directeur.
- La cause de cette scission violente n’a été clairement expliquée ni par l’un ou par l’autre de ces jour-naux> car il est impossible d’admettre que ce soit, comme ils le prétendent, pour avoir pris le titre “ ^ Union fédérative du centre » que les dix groupes du Citoyen aient été exclus. Ce prétexte futile n’est certainement pas le motif réelî quelle est donc la véritable cause de ce schisme ? Est-ce une question de principe,est-ce une question de personne ? Serait-
- ce parce que les dix groupes professent ouvertement une doctrine dont le but avoué est la destruction violente de la propriété individuelle ?
- Quoiqu’il en soit, à la suite de ce déplorable scandale, le Congrès formé de la réunion de quatre vingt deux sociétés de travailleurs s’est constitué et a commencé ses travaux. Le citoyen Allemane en a été nommé président, ayant pour assesseurs le citoyen Pieron et le nouveau conseiller municipal de Montmartre, Joffrin. Les exclus ont tenu de leur côté séance dans un autre local pour étudier les mêmes questions. Il est juste de reconnaître que ce Congrès a fait preuve d'un peu plus d’esprit pratique que les précédents, en ce sens que l’on s’y est occupé davantage des moyens propres à assurer le triomphe des idées socialistes.
- Le programme se résumait en trois questions principales sur lesquelles a roulé la discussion. Ces questions étaient :
- 1° Les grèves et leur organisation.
- 2® Organisation corporative des métiers.
- 3° Les municipalités et le parti ouvrier.
- Sur la première question le Congrès a été à peu près unanime à recommander l’emploi des grèves, comme un des moyens de lutte économique de la classe ouvrière contre la bourgeoisie. Le principal argument des orateurs a été qu’elles sont un excellent moyen de propagande et qu’elles font vivement sentir aux ouvriers les besoins de s’associer, de solidariser leurs intérêts, et d’établir entre eux une mutualité utile. Le parti ouvrier doit non pas renoncer aux grèves, mais chercher dans ia solidarité les moyens d’atténuer leurs misères, et d’obtenir le maximum de leurs résultats. Le Congrès reconnaît que la grève n’est point une solution, mais il en recommande l’emploi et l’organisation, par la création de caisses du denier de la grève.
- Notons en passant que les dix groupes exclus, tout en étant d’accord, avec le Congrès sur l’utilité des grèves, préconisent comme solution logique et pratique : Vappropriation nationale des moyens de production.
- Dans la discussion de laseconde question,on a défini les congrès corporatfis des congrès spéciaux, où les délégués des diverses branches d’une même industrie étudie raient les intérêts qui lui sont propres Une organisation réunissant en un seul faisceau les ouvriers d’un même métier,y a-t-on dit, est une des nécessités,comme les grèves, de la production capitaliste.Pour se développer, cette dernière dût briser les organisations du compagnonnage;mais parvenue à un certain degré de développement , elle provoque I naturellement et par la force même des choses, une
- p.339 - vue 340/836
-
-
-
- 340
- LE DEVOIR
- autre organisation ouvrière différant essentiellement de celle du compagnonnage. C’est celle des chambres syndicales, se reliant entre elles en trade-unions nationales, et au besoin internationales, réunissant les éléments de la statistique ouvrière, les données sur les taux des salaires, sur l’abondance ou la rareté du travail, sur les déplacements des travailleurs, sur le chiffre de la production, et faisant tourner au profit du travailleur toutes ces notions recueillies sur tous les points, et centralisées au siège de chaque chambre syndicale.
- Sept sociétés sur quatre vingt deux ont fait de l’opposition à ce projet d’organisation, dans la crainte de voir rétablir les corporations fermées de l’ancien régime, mais l’opinion qui a prévalu est que les groupements corporatifs devant fatalement s’opérer par la force des choses, il valait mieux s’associer à ce mouvement pour le guider, que chercher inutilement à l’arrêter.
- Les dix groupes dissidents ont formulé de leur côté leur appréciation dans les termes suivants :
- « Considérant que l’organisation des travailleurs par métiers est une conséquence naturelle et nécessaire de la production capitaliste ;
- « Considérant que ces organisations seront d’un puissant concours pour la lutte économique et pour la lutte politique qui s’imposent;
- « Considérant qu’elles faciliteront la transformation des diverses industries privées d’aujourd’hui en autant de services publics, en habituant les travailleurs à l’action commune et en mettant en jeu leurs capacités administratives ;
- « Le Congrès déclare que le parti ouvrier doit encourager par tous les moyens en son pouvoir les organisations de métiers, et toutes leurs manifestations : Congrès, grèves, etc. »
- La troisième question, celle de la part que le parti ouvrier doit prendre aux luttes politiques, à propos des élections municipales principalement, était plus difficile à traiter, et de nature à amener plus de divergences dans les opinions. Pendant un certain temps les orateurs les plus écoutés du parti ont professé qu’il ne devait prendre aucune part à ces luttes, et qu’une révolution violente était seule capable de détruire la société bourgeoise actuelle. Cette théorie d’abstention étant éminemment fausse, ne pouvait être beaucoup goûtée, et généralement elle l’était fort peu dans le public auquel le socialisme s’adresse. D’ailleurs, la révolution violente annoncée, qui n’était certainement pas non plus du goût de tout le monde, paraissant plus qu’indéfiniment ajournée, un revirement complet s’est opéré aujourd’hui, encouragé par quelques succès obtenus dans
- les dernières élections municipales, comme à Montmartre, à Bessèges, à Roanne, à Alais et à Albi. Le troisième Congrès de Paris a donc décidé qu’il était bon de travailler activement à conquérir les pouvoirs politiques dans l’Etat.
- Nous reproduisons le passage suivant de la résolution votée à ce sujet :
- « Pour déposséder la classe dominante et restituer à tous, par la socialisation, les forces productives, il faut s’emparer des pouvoirs politiques par le vote ou par la force, suivant les circonstances. Comme acheminement à cette conquête, qui est elle-même la préface obligée de la révolution sociale, la conquête des municipalités doit occuper une plus grande place dans notre activité actuelle.
- « Les municipalités conquises par nous constitueront autant de fortes positions, d’où .nous pourrons battre en brèche la grande forteresse capitaliste, et si elles ne peuvent contribuer à l’amélioration des destinées ouvrières les plus malheureuses, ce qui reste à discuter, elles serviront au moins à faire à la bourgeoisie une série de mises en demeure qui la mettront dans cette alternative : ou céder à certaines revendications ouvrières et se désarmer d’autant, ou créer une situation révolutionnaire dont le dénouement ne saurait être douteux, car les prolétaires ne veulent plus être ni opprimés, ni exploités,et,quelles que soient les épreuves qui les attendent, ils triompheront du vieux monde et réaliseront la justice sociale. »
- En somme, le Congrès, sauf le fâcheux incident du début, a été peu agité, et s’est tenu avec plus d’ordre et de modération que la plupart de ceux qui l’ont précédé, et que bien de réunions même d’un monde où la politesse et le respect de soi-même devraient régner d’une façon plus constante.
- Dans la première séance, un délégué du Cercle du 6e arrondissement a pris la parole pour demander si les prolétaires Français réunis dans leurs assises solennelles n’enverraient pas un témoignage de sympathie aux prolétaires Irlandais qui luttent avec tant de dévouement contre l’oppression. Le président s’étant levé et ayant demandé que tous ceux qui étaient d’avis de se déclarer solidaires des héroïques patriotes Irlandais qui ont exécuté deux gouvernants anglais à Dublin levassent la main, toutes les mains se sont levées, et le Congrès à l’unanimité décide d’envoyer aux Irlandais ses témoignages de sympathie et de solidarité.
- Enfin à la séance de clôture, des délégués ont proposé d’aller en corps le dimanche 28 mai visiter la fosse commune des derniers combattants de 1871, pour affirmer la solidarité du parti avec les vaincus
- p.340 - vue 341/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 341
- ,je ce soulèvement. Mais le président et le nouveau conseiller municipal de Montmartre ont combattu c0tte motion, en insistant sur l’inutilité de cette manifestation bruyante,qui pourrait fournir à la police et à la classe bourgeoise, pour qui la Commune est et sera toujours une illégalité et une insurrection coupable, un prétexte qu’elles seraient heureuses de saisir pour recommencer la compression contre la propagande révolutionnaire.Il y aurait inconvénient, suivant eux, à manifester, lorsqu’à la violence on ne peut répondre que par la violence, et ils ont en conséquence engagé les délégués à ne point céder à un mouvement d’enthousiasme irréfléchi.
- Docile à la raison, le Congrès s’est contenté d’émettre un vote de flétrissure contre la répression Versaillaise et ceux qui l’ont approuvée, et d’inviter les ouvriers à se rendre « isolément » sur la tombe des morts du mois de mai 1871.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Les affaires d’Egypte. — La situation se complique du côté de l’Egypte. Non-seulement la démonstration de la flotte anglo-française n’a pas produit le résultat auquel on pouvait s’attendre,mais la diplomatie d’un certain nombre de cabinets se montre désireuse d’amener des complications et de favoriser l’ingérence delà Turquie dans les affaires d’Egypte.
- Depuis que les deux escadres sont sur la côte égyptienne, leur présence, sur laquelle on comptait pour établir complètement Tordre et rendre définitif l’apaisement qui semblait en bonne voie, a produit au contraire l’alliance des diverses influences locales qui se disputent l’autorité au Caire et a grandi des difficultés qui paraissaient près d’être aplanies.
- L’attitude énergique du khédive, les dispositions de l’assemblée des notables avaient d’abord effrayé Arafai-Pacha; il s'était alors empressé de faire sa soumission ; le ministère, ainsi que lui-même, s’était mis à la disposition du vice-roi, et tout semblait ainsi rentré dans l’ordre, si bien que la plupart des journaux crurent que les périls de celte question égyptienne étaient désormais écartés.
- Rentré en grâce, Arabi-Pacha fit d’abord preuve des dispositions les plus conciliantes à l’égard de la France et de l’Angleterre, mais il ne tarda pas à changer de rôle.
- Les consuls de France et d’Angleterre demandaient l’éloignement des insurgés en leur garantissant leur grade et leur solde, la retraite du ministère et l’envoi d’une partie des troupes dans l’intérieur de l’Egypte. De longues négociations furent entamées et semblaient devoir aboutir, quand Arabi-Bey changea subitement d’attitude.
- Excité sans doute par la diplomatie turque, encouragé par les conseils allemands, il déclara à notre représentant qu’il n’admettait pas l’intervention des puissances tant que les arrérages de la dette sont régulièrement Payés, et qu’il ne consentirait pas à continuer les négociations avant que les flottes alliées eussent quitté les eanx d’Alexandrie. Pour appuyer ses prétentions, il convoqua un conseil de guerre avec mission d’organiser ta défense militaire du pays.
- Les résolutions nouvelles prises par Arabis’expliquent I seulement par l’appui que lui prête la Porte. Celle-ci n’a S
- (jamais renoncé à l’Egypte, et, se sentant appuyée par M. de Bismarck, dmt l’influence est prépondérante à Constantinople, elle cherche à sair*r l’occasion d’intervenir dans les affaires de ce pays. En soutenant Arabi, et en favorisant l’anarchie, elle compte invoquer son droit de souveraineté et obtenir de l’Europe la mission de rétablir l’ordre. L’Italie, l’Autriche et principalement l’Allemagne ne sont que trop bien disposées à seconder de pareils projets.
- On lit dans le National :
- On sait que le P. Charles Couturier, supérieur du couvent des bénédictins de Solesroes, a, le 22 de ce mois, excommunié le sous-préfet de la Flèche, qui avait visité le cloître accompagné de trois personnes, dont une dame.
- Le P. Couturier a soumis le fait au ministre des cultes, qui en a saisi à son tour son collègue de l’intérieur. M René G-oblet a répondu à M. Jules Ferry que le couvent de Solesmes n’étant plus habité par des religieux, le fait de profanation par la présence d’une femme ne saurait exister; que, du reste, le sous-préfet a visité l’abbaye en simple curieux et non avec l’intention de braver la religion, etc.
- Avis sera transmis au P. Couturier.
- ANGLETERRE
- Le Révolté, journal anarchiste qui se publie à Genève, donne des détails sur la société secrète qui, à ce qu’insinue ce journal, ordonne et exécute les crimes qui, depuis quelques années, terrifient l’Irlande. Il prétend en même temps expliquer, par la rivalité qui existe entre cette association et la Ligue agraire, la réconciliation passagère opérée entre M. Gladstone et les parnellistes. Nous reproduisons, à titre de curiosité, quelques-uns des renseignements du Révolté en lui laissant, bien entendu, l’entière responsabilité de ses informations :
- Nos lecteurs, dit le Révolté, savent ce qu’était la Ligue agraire. Mais, à mesure que cette ligue, ouverte, agissant au grand jour et soutenue par les fermiers, était supprimée par MM. Gladstone et Forster, une autre organisation, autrement puissante, surgissait. C’était celle des ribbon men, — organisation de tous les ouvriers irlandais, valets de ferme, tisseurs, mineurs, disséminés partout : en Irlande, en Amérique, en Angleterre, en Ecosse.
- Vieille de deux siècles, cette organisation secrète du peuple apparaît constamment sous différents noms, aux grands jours. Et tandis que la Land league fait des grèves agraires, boycotte et procède en général par des moyens de résistance légaux, les ribbon men procèdent par les moyens violents et secrets. Ils « tranquillisent » les lords comme Leitrim, ils tuent les traîtres, ils brûlent leurs maisons, ils donnent naissance aux moon lighters (gens du clair de lune).
- Cette organisation, au fond, n’en est pas une dans le sens usuel du mot. Elle n’a ni chefs, ni bureau central, ni bureaux locaux, pas de correspondance écrite ; mais tout le monde en fait partie. Il est impossible de la saisir, de la détruire; elle naît ou disparaît d’elle-même, selon les besoins du moment; elle n’est nulle part, mais elle est partout.
- Depuis uu an, cette organisation avait fait des progrès immenses. Partout où il y a des Irlandais gémissant sous le joug de la misère, il y a des ribbon men.
- S’ils décident de tuer quelqu’un, ils le font de telle sorte que jamais on ne saura qui a porté le coup.
- On a promis des demi-millions à qui découvrira ceux qui ont tué lord Leitrim et Mountmorres, et on n’a rien découvert. Et c’est le développement rapide et menaçant de cette organisation qui a forcé le gouvernement anglais à ne plus persister dans la persécution de la Ligue agraire et de chercher des mesures qui puissent mettre obstacle au développement et aux actes des ribbon men d’un côté et des fenians (terroristes politiques) de l’autre.
- p.341 - vue 342/836
-
-
-
- 342
- LE DEVOIR
- ]Le» J «ifs en Ra»sie. — Le Messager du g ou- ! vernement russe annonce que le gouvernement, se conformant aux ordres de l’empereur, a pris la ferme résolution de réprimer activement tous les actes de violence qui pourraient être commis sur la personne ou contre la propriété des israélites qui sont placés sous la protection des lois valables pour tous les sujets du czar.
- Les autorités ont reçu l’ordre de prendre à temps sous leur responsabilité personnelle, les mesures propres à prévenir ou à réprimer les attaques dirigées contre les juifs.
- Les fonctionnaires qui négligeront de se conformer à ces instructions seront destitués.
- En même temps, le Messager officiel publie une décision du comité des ministres, sanctionnée le 15 mai par l’empereur.
- Cette décision contient les quatre articles suivants :
- 1° Il est désormais interdit aux juifs de s’établir en dehors des villes et villages, à moins que ce ne soit dans des colonies israélites déjà existantes;
- 2° Tous les contrais de vente ou de fermage conclus avec des israélites sont provisoirement suspendus ;
- 3° Il est interdit aux juifs de se livrer au commerce les dimanches ou jours de fête où chôment les chrétiens ;
- 4° Les articles 1 à 3 ne sont applicables que dans les gouvernements où les juifs sont établis d’une manière permanente.
- Ges mesures de protection ressemblent terriblement à des mesures de persécution.
- Si ce sont la les seules mesures que le conseil des ministres ait prises pour prévenir le retour des excès contre les paisibles habitants qui ont le tort d’être juifs, ceux-ci trouveront sans doute que leur sécurité n’est pas suffisamment assuré© et leur émigration vers l’Occident continuera.
- *
- ¥ ¥
- Le Voltaire publie la lettre suivante :
- Saint-Pétersbourg, 6 et 18 mai.
- Le mouvement anti-sémitique. — 11 est
- assez malaisé de savoir au juste le nombre des israélites de Russie : le désordre et 1 imperfection des statistiques donnent lieu à de grands doutes sur ce point; mais il paraît certain qu’en fixant ce nombre à environ quatre millions on demeure en-deça de la vérité. Un pareil chiffre peut faire comprendre toute l’étendue du péril que crée le m uvement anti-sémitique ; le pays tout entier est littéralement ébranlé, et il se pourrait que cette question, considérée au oébut comme secondaire et négligeable, fut le point de départ d'une série incalculable de malheurs.
- J’ai fait, ces jours derniers, une assez longue excursion en province, et j’ai pu constater par moi-même à quel degré est poussé la surexcitation des populations contre quiconque est juif. Cette haine irréfléchie et exaspérée suffit parfaitement à exp iquer l’attitude embarrassé® et équivoque des autorités dans diverses localités. La vérité est qu'on a été absolument débordé. Pour protéger efficacement les israélites,il aurait fallu avoir recours à des moyens tellement énergiques, que l’on aurait infailliblement déchaîné la guerre civi.e, et qu’on se serait trouvé en présence d’un mouvement révolutionnaire impossible à enrayer.
- Presque partout, les négociants russes ont fait de louables et énergiques efforts pour s’opposer à la persécution. Us étaient d’ailleurs guidés en cela moins par l’humanité que par des raisons d’intérêt; la crise commerciale déterminée par le mouvement atteint un grand nombre de maisons non j aives ; le représentant d’une des plus anciennes banques de Moscou me disait qu’au point de vue des affaires, une guerre n’aurait pas ôté plus funeste.
- Le comité israélite qui fonctionne à Pétersbourg n’a peut-être pas été tout à fait à la hauteur de la situation ou pour mieux dire il ne l’a pas comprise. U ne parlait rien moins que de demander au gouvernement des indemnités pour les juifs dépouillés, et la destitution des
- I fonctionnaires qui avaient montré trop de faiblesse. or la sit ation du gouvernement est délicate et difficile au plus haut point ; car, s’il protégeait sérieusement les juifs, dans l’état actuel des esprits, ils encourraient satrs aucun doute toute l’impopularité qui s’attache à eux-son autorité serait compromise, et l’on peut même dire que son existence serait mise en jeu.
- *
- ¥ *
- La question est arrivée à un état tellement aigu que le seul remède paraît être désormais la sortie en masse des israélites, Y exode de toute la nation. Quelles qUe soient les difficultés que présente l’exécution d’une telle mesure, elle est pour ainsi dire commandée par les circonstances. Les juifs eux-mêmes en ont le sentiment. Leur situation est devenue encore plus intolérable depuis que le fléau des incendies s’est joint à tous ceux qui les accablaient.
- Les faits les plus douloureux en ce genre, sont ceux qui se sont passés à Smela, dans le gouvernement du Kieff. Le feu, allumé dans le quartier israélité, avait pu être dompté grâce à des prodiges d’énergie, Mais il fut rallumé dans la nuit suivante, et se développa avec une telle violence, que toute cette partie de la ville fut consumée. Un juif Je cette ville, qui passait en Allemagne, a reçu l’hospitalité chez des amis à moi qui habitent à quelque distance de la frontière. Il leur a raconté que le véritable but des agioteurs et des incendiaires avait été le pillage : même après l’incendie on voyait, paraît-il, des voleurs errer parmi les décombres fumants, daus l’espoir de découvrir quelque objet précieux, or ou pierreries ayant échappé à l’action du feu.
- En général, la persécution a épargné les israélites riches et ne s’est acharnée que contre les autres, mais la délimitation est parfois difficile. Tel brocanteur déguenillé passait pour recéler chez lui des trésors. Le métier d’usurier et de prêteurs sur gages est celui que faisaient ici le plus grand nombre des juifs, conformément à cette vieille parole biblique adressée à Israël ; « Tu prêteras sur gages à plusieurs nations. »
- ¥ ¥
- Les nihiliste». En dehors de la question juive, la crainte d’un grave mouvement agraire continue à préoccuper les esprits. Un vent révolutionnaire souffla sur le pays, et il semble que l’on voit se développer les germes semés il y a trois ans avec tant d’opiniâtreté par les nihilistes.
- L’attitude des populations rurales est si mauvaise que plusieurs gouverneurs ont cru devoir demander à Pétersbourg des instructions spéciales. Les incendies, les rixes, les attaques contre les collecteurs d’impôts se multiplient, du Nord au Sud, dans toute la partie occidentale de l’empire. U y a dans tous ces phénomènes quelque chose de vague, d’incohérent, qui empêche d’en bien saisir le caractère, d’en prévoir la portée et d’en assigner le remède.
- La Pologne, si calme durant ces dernières années, est en train de redevenir une des portions les plus agitées de l’empire. Une violente démonstration anti-germanique y a eu lieu, il y a deux semaines.
- Au dire de personnes qui ont été mêlées à cette affaire, il s’en est fallu de peu que ce scandale ne devint une émeute. Personne n’a pu se rendre compte exactement de ce que voulaient les mutins : peut-être n’avaient-ils pas eux-mèmes de programme bien défini, ni de prétexte bien déterminé. On a dû déployer un nombre considérable de troupes, mais on n’a distribué que quelques coups de crosse et de plat de sabre. Les soldats ont été consignés pendant plusieurs jours, et on s’attend à de nouveaux troubles.
- Les révolutionnaires ont fait paraître et répandre un numéro de Narodnaïa Voila où s’affirme encore une fois le désir âpre et violent d’arriver à une réforme libérale et rationnelle de l’Etat. Qn trouve dans le corps du journal l’annonce du décès de la trop fameuse Jessa Helfm&tra. Oa dit que la captivité et la crainte du eup-
- p.342 - vue 343/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 343
- olice avaient produit sur cette malheureuse, le même effet qu’elles firent jadis sur le comte Lavalette; elle était devenue folle, ou du moins à peu près imbécile. La police essaya d’utiliser îes renseignements qu’elle fournissait, mais on dut bientôt renoncer à tirer aucun parti de cette pauvre hébétée. Cétait dans le même temps que quelques journaux de l’Occident la présentaient à leurs lecteurs comme une héroïne, une martyre, digne d’être placée à côté de Pérowska.
- Piote. Mërskoff,
- AUTRICHE
- La Nouvelle Presse libre nous apprend que le baron Galice a été chargé par le gouvernement austro-hongrois de négocier avec" la Porte certaines modifications à la convention d’avril, relative à la Bosnie et à l’Herzégo-vine. L’Autriche demanderait à la Porte de renoncer à ses droits de suzeraineté sur les provinces occupées, de façon à lui permettre de changer cette occupation en une annexion définitive.
- Ges négociations, ajouté la Nouvelle Presse libre, ne sont pas sans avoir une étroite connexité avec le délai anormal qui s’est écoulé depuis la démission de M. de Szlawy, sans qu’un nouveau ministre des finances commun ail encore été nommé. Le nom de M. de Kallay,, désigné avec persistance depuis quelques jours comme’ le successeur de M. de Szlawy , est une autre confirmation de ces négociations, car M. de Kallay est un partisan notoire de l’annexion.
- Le lagblatt) de Vienne, reproduit la nouvelle de la Nouvelle Presse libre sous une forme différente. D’après le Tagblatt, ce serait le prince de Bismarck qui insisterait pour que la situation des pays occupés par l'Autriche soit définie au plus tôt.
- Le comte Szhenyi, ambassadeur d’Autriche à Berlin, sondé à ce propos parla chancelier, aurait répondu évasivement, en prétextant l’opposition de la Chambre hongroise à la politique d’annexion. Par contre, la Porte se montrerait prête à céder complètement la Bosnie et î’Herzégovine, contre la conclusion d’une alliance défensive et offen-ive avec l’Allemagne et l’Autriche, alliance qui lui garantirait son territoire actuel,
- ALLEMAGNE
- La Oàutee de la Croise donne les renseignements suivants sur la célèbre fabrique de M. Krupp, à Essen : j
- Cette fabrique possède 439 chaudières à vapeur, 450 machines à vapeur d’une force totale de 18,000 cheva:’x, 82 pilons à vapeur d’uu poids de 10 à 60,000 kilogrammes, 21 laminoirs, 1,62*2 machines à outils, 1,556'fourneaux, parmi lesquels 14 hauts fourneaux, 25 locomotives 5 vapeurs à hélice d’un tonnage de 7,800 tonnes. La production annuelle est de 180,00u tonnes d’acier et de 26,000 tonnes en fer, La fabrique emploie 15,000 ouvriers.
- Et tout cela pour la destruction et le massacre ! !
- Quelle puissance féconde si c’était consacré à la production utile à l’humanité ! I !
- AMÉRIQUE
- à la tête du cheval, se trouve en communication avec un réservoir Installé dans la voiture.
- Brevet pour un appareil qui empêche les vaches de remuer la queue pendant qu’on les trait ! ! !
- J’ajoute qu’une compagnie vient de se fonder à New-York dans le but d’acheter le Vésuve aux Napolitains— pour Tétèindre.
- XJn. héritage d’nn Milliard. — Je vous passe un éblouissement devant les yeux, n’est-ee pas, au simple énoncé d’uû pareil chiffre ? Un milliard, mille millions, un million de billets de mille francs ! Et vous vous demandez le nom de l'heureux mortel auquel est échue cette fantastique fortune ?
- C’est M. le comte de D...
- Je ne mets pas son nom en toutes lettres parce que cela suffirait à lui attirer les importunités de tous J es mendiants de France, et je ne veux pas lui jouer de mauvais tour.
- Voici l’histoire de ce milliard :
- Il y aura dans trois jours cent ans qu’un richissime Américain se rendit acquéreur à bas prix de tous les terrains sur lesquels est bâtie aujourd’hui la vide de Chicago. L’année d'après, il les vendit tous à condition qu’au bout de quatre-vingt dix-neuf ans ils lui tissent retour, — suivant un usage pratiqué dans divers pays. C’est dimanche prochain que les quatre-vingt-dix-neuf ans expirent, et la presque totalité des terrains de la ville de Chicago revient à l’héritier de leur ancien propriétaire.
- Cet héritier est une héritière qui a épousé le comte
- deD...
- Il m’a paru curieux, à cette occasion, de rechercher quelles peuvent être les fortunes les plus importantes d’Europe.
- Les Rothschild de Paris et de Vienne possèdent entre eux tous dix-sept ceots millions environ.
- Les Rothschild d'Angleterre, douze cents millions.
- Ensuite nous tombons brusquement à MM. Springer, les banquiers allemands qui n’ont que quatre cents petits millions à peu près.
- Je ne par.e pas des gens très nombreux qui ont plus de cinquante millions. Il y en a en France une quarantaine au moins, et je n’en citerai qu’un que j’ai gardé pour la fin, parce que c’est le plus riche de tous.
- Il a en effet t trois cents 'millions de revenus, ce qui, à cinq pour cent, représente six milliards. Le possesseur de cette fortune extravagante est un Brésilien, don Ricardo da Souza. C'est principalement de mines d’or et de diamant qu’il tire ses rentes. Tous les ans don Ricardo da Souza, vient passer un mois à Paris. Inutile de dire qu’il fait le voyage à bord d’un steamer qui lui appartient. Il possède vingt-neuf maisons à Paris, quatre de plus que Richard Wallace, et il y a quelques années il a failli devenir l’acquéreur des Magasins-Réunis. C’est un homme de trente-cinq ou trente-six ans, d’une laideur absurde. Inutile de vous dire, n’est-ce pas ? que ce détail insignifiant ne l’empêche pas de faire toutes les conquêtes qu’il veut.
- Les Américains ont l’imagination industrielle, chacun sait ça.
- L4-bas, tout le monde est inventeur. Tout le monde prend des brevets, les hommes, les femmes, les jeunes filles.
- Ainsi, l'office central de Washington a, le mois dernier, délivré les brevets suivants :
- A une lady pour épingle à cheveux qui sert en même temps de ciseaux, de porte manteau et de porte-bouquet.
- Brevet pour un appareil servant à rafraîchir les che-
- affréter leur course. Cet appareil, qui est fixé
- M. de D..., avec son milliard, ne sera encore qu’un très petit seigneur à côté de lui, puisqu'il n’aura jamais que cinquante millions de rentes.
- Que feriez-vous, chers lecteurs, si vous aviez cinquante millions de rentes ?
- Un petit ramoneur à qui l’on adressait devant moi un jour, une question de ce genre, répondit avec élan :
- — Je mangerais du bœuf bouilli tous les jours !
- Sifflet, votre serviteur, réaliserait un autre rêve.
- Il n’y aurait chez lui, ni journaux, ni plumes, ni encre, ni papier 1
- [Nord de la Thiérache) Sïï'flbt*
- p.343 - vue 344/836
-
-
-
- 344
- LE DEVOIR
- mm :m sm "jæ mm m «i ms:
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XII (1)
- Le département du bétail
- Dans la ferme coopérative comme partout ailleurs, l’expérience et l’habileté sont indispensables au succès. Les laboureurs de Ralahine quelque attentifs et soigneux qu’ils fussent n’avaient pas les connaissances requises pour une bonne exploitation du bétail ; ils auraient certainement perdu quantité de bêtes de valeur et de vaches laitières, s’ils ne se fussent assuré les services d’un pâtre et d’une femme très-expérimentés.
- Le bétail constituait à Ralahine une des plus intéressantes et des plus productives branches du travail. La valeur du bétail était estimée à 1,500 Livres (37,500 fif.) somme pour laquelle l’association comptait annuellement 6 p. 0/0 comme intérêt du capital. Si cette valeur augmentait, le surplus devenait le bénéfice de l’Association.
- Le bétail comprenait :
- Vaches..............................37
- dont 30 laitières fournissaient le lait et le beurre à l’Association. Une grande partie du beurre était vendue à M. Vandeleur ou livrée comme part du fermage.
- Génisses...............................44
- Bœufs..................................20
- Veaux . . . 17
- Bêtes engraissées......................16
- Taureau ........................... 1
- 135
- Porcs..................................51
- Moutons . ......................26
- Chevaux................................11
- Total..............223
- Le bétail était réparti en trois groupes : le premier groupe comprenant les 30 vaches laitières ; le second, les jeunes bêtes ; le troisième, les animaux à l’engrais.
- La nourriture et le traitement variaient suivant les groupes, mais tous les animaux étaient nourris à l’étable avec des racines et des fourrages que fournissait la propriété. Aussi avait-on consacré dix-huit hectares environ à la culture des navets, autant à la
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21 et 28 mai 1882. {
- culture du trèfle et du seigle fromental, cinq hectares et demi aux vesces et trois hectares et demi à la bet. terave.
- A l’occasion, le jeune bétail était conduit sur quelques pâturages. Si l’on eût voulu, dit M. Craig, élever tous ces animaux en pâturages, il eût fallu trois fois le même nombre d’hectares pour les nourrir; et le produit du lait eut été beaucoup moins considérable, par suite de la fatigue causée aux ani-maux par ce déplacement et des influences du froid et de l’humité. Pour lui, il est démontré que les opérations de laiterie, conduites comme elles l’étaient à Ralahine, peuvent fournir un excellent placement de capitaux. Aussi signale-t-il le fait aux sociétés coopératives, mais en déclarant formellement que la condition essentielle du plein et entier succès de l’entreprise, c’est la participation de tout travailleur aux profits de l’établissement et la résidence sur le domaine.
- « Une ferme où les hommes ne seraient que des I salariés,» dit M. Craig, « ne mériterait ni la considération ni l’encouragement dus à une véritable entreprise coopérative. Là où les hommes sont occupés sans avoir droit aux bénéfices, il n’y a pas de coopération mutuelle; il y a simplement une entreprise dans laquelle le capital exploite le travail. Le capital doit être un simple agent ou instrument ; il est créé par le travailleur, et c’est le travailleur qui doit, au nom de la justice, avoir part aux profits réalisés par ses propres efforts, son industrie et son talent. »
- CHAPITRE XIII
- Les engins mécaniques et l’association
- Le domaine de Ralahine comprenait environ 162 hectares cultivés. En l’absence de machines perfectionnées, l’association employait à la culture quatre laboureurs conduisant chacun 2 chevaux. Ces hommes étaient à l’œuvre toute l’année, sauf les quelques jours consacrés à la moisson. La culture à la bêche occupait, en outre, dix manœuvres. On ne connaissait point alors les engins mécaniques réalisés aujourd’hui.
- La première moissonneuse qui apparut en Irlande fut achetée par M. Vandeleur et à destination de Ralahine. Les travailleurs l’acceptèrent avec empressement, mais il n:en fut pas de même dans les autres parties du pays où les paysans se trouvaient sans ouvrage et presque sans pain.
- C’est là un effet tout naturel.
- Pour que le travailleur voie la machine d’un bon œil, il faut que la machine travaille pour lui et non
- p.344 - vue 345/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 345
- contre lui ; il faut que son usage profite à une association, comme cela avait lieu à Ralahine, où chacun participant aux profits réalisés avait intérêt, par conséquent, à ce que ces profits fussent considérables.
- Il faut donc que les travailleurs soient devenus possesseurs du capital, du sol et des instruments de travail, pour que les inventions mécaniques soient reconnues comme un des plus grands bienfaits.
- En envoyant à Ralahine la première moissonneuse, M. Vandeleur n’était point rassuré sur lesort de la machine. Non qu’il s’inquiétât de l’accueil que pouvaient lui faire les associés, mais il redoutait que les paysans du district détruisissent l’instrument; ce qui arrivait fréquemment à cette époque. Il rédigea donc et soumit au Comité une adresse qui fut répandue dans tout le voisinage. Cette adresse était ainsi conçue :
- « Aux travailleurs agricoles du Comté de Clare.
- « Camarades de travail.
- « Nous, membres de l’Association agricole de « Ralahine, parlant en notre nom et au nom de nos « frères coopérateurs, venons vous prier de réflé-« chir sérieusement aux maux que les inventions « industrielles peuvent causer aux classes labo-« rieuses, si celles-ci n’adoptent quelque système,
- « grâce auquel la machine travaillera avec elles,
- « pour elles et non contre elles.
- « Toutes les inventions nouvelles, telles que la « moissonneuse et autres, au lieu de vous faire tort,
- « peuvent servir à votre profit. En effet, au lieu de « nous épuiser à récolter et à écraser le grain de « nos propres mains tout le jour, pourquoi ne lais-« serions-nous pas ces soins rebutants à la machine,
- “ en ne nous réservant que la tâche relativement « aisée de lier et d’entasser.
- « La moissonneuse que nous avons aujourd’hui à « notre disposition est une des premières machines « qui aient été données aux classes laborieuses,pour « l’allégement de leurs peines et en même temps « pour l’augmentation de leur confort. Elle ne crée « d’avantages pour qui que ce soit au détriment des « autres parmi nous, et elle ne prive personne de “ travail.
- » Toute espèce de machine qui abrège la besogne “ a pour conséquence (excepté quand elle usitée par « une association comme la nôtre) 1 abaissement des “ salaires, la suppression des bras, la famine pour le “ travailleur et l’obligation pour l’ouvrier, soit d’é-“ migrer, soit d’entrer d’entrer quelque profession “ 011 h apportera aussi l’abaissement des salaires.
- “ Au contraire, si les classes ouvrières voulaient
- cordialement et paisiblement s’unir pour adopter le système d’association, rien ne pourrait contrecarrer leur succès. Une société comme la nôtre ne fait tort à personne. Elle donne emploi à tout individu désireux de travailler, soit de la tête ou de la main. En outre, toute association ainsi organisée peut élever et instruire ses enfants de façon à ce qu’ils puissent créer avec aisance plus de richesse qu’ils n’en consomment.
- « Telle est notre organisation. Nous nous répar-tissons ce qui nous est nécessaire des produits créés par nous, d’après le mode le meilleur et le plus économique, et nous nous gouvernons à notre gré et pour notre plus grand bien.
- « Dites-donc aux propriétaires du soi que s’ils désirent user avantageusement des engins mécaniques, ils constituent des sociétés, grâce auxquelles ces engins loin de faire tort au travailleur travailleront pour lui. Alors l’ouvrier sera le premier intéressé à mettre la machine en oeuvre, à la conserve^, à la perfectionner.
- « Si les patrons pouvaient être amenés à adopter des dispositions si avantageuses pour toutes les classes sociales, on verrait bientôt une grande amélioration dans l’état du pays. Il n’y aurait plus de gens mourant de faim à côté d’autres plongés dans l’abondance, et les travailleurs industrieux ne seraient plus dans l’obligation d’abandonner leur foyer, leurs amis, leur sol natal pour aller dans des contrées lointaines, tandis que leur propre pays reste en partie inculte.
- « Ralahine, 21 août 1833.
- « Par ordre du Comité,
- « E.-T. Craig, secrétaire. » Assurément il était difficile que M. Vandeleur trouvât sitôt des imitateurs. Mais l’esprit public a fait de grands progrès depuis les jours de l’association de Ralahine, et l’union du capital et du travail pourrait être aisément effectuée aujourd’hui dans les entreprises fondées par la fédération des sociétés coopératives.
- On sait que cette fédération dont le siège social est à Manchester, Angleterre, dispose de capitaux considérables. « Elle atteindrait, » dit M. Craig, » le but le plus élevé.du système coopératif en fondant des associations agricoles et industrielles, où l’ouvrier disposerait d’engins mécaniques perfectionnés, participerait aux bénéfices de l’œuvre commune et trouverait, pour lui et sa famille, les conditions d’existence les plus propres au bien-être, au progrès physique, intellectuel et moral.
- (A suivre.)
- p.345 - vue 346/836
-
-
-
- 346
- LE DEVOIR
- VOYAGE AUTOUR DU FAMILISTÈRE
- TROISIÈME PARTIE IX
- Nous voici parvenus au terme du voyage, cher lecteur. Guide conscieneffeux et complaisant, je vous ai conduit partout, je vous ai tout fait visiter, dési* reux de vous faire tout connaître des caves au greniers, du nord au midi et du levant au couchant. Cet imposant ensemble de constructions du Palais social, de ses annexes, de 1 Usine, n’a plus de secrets pour vous, et vous êtes désormais en mesure d’apprécier à sa juste valeur cette institution unique au monde et que je voudrais voir imiter dans notre pays. Je crois que mon vœu se serait déjà réalisé depuis longtemps peut-être, si le Familistère était plus connu qu’il ne l’est en France, où l’idée en est éclose. Malheureusement, il ne l’est pas du tout, même des gens qui, comme les journalistes, sont tenus au courant de tout ce qui mérite l’attention â un titre quelconque. A part quelques membres appartenant à la petite presse, personne ne sait rien dans le journalisme militant, dans ce que l’on nomme la grande presse, de cette création admirable à tant de titres, A l’étran ger elle l’est assurément davantage, mais c’est encore dans une certaine sphère d'hommes spéciaux qui ont consacré leur vie à l’étude des questions particulières auxquelles elle se rattache,
- A quoi cela tient-il ? Est-ce à ce que le Familistère est construit dans une localité un peu perdue, loin des centres fréquentés, tout à fait en dehors des grands courants de communication, des grandes lignes qui marquent la route de la civilisation et de l’humanité? Est-ce à ce que, comme l’humble violette que son parfum seul trahit et qui se cacha sous les haies, il n’a point cherché à signaler sa présence, en faisant appel à la trompette retentissante de la renommée ? Est-ce à des hostilités sourdes mais tenaces qui font les ténèbres autour de lui et le vouent obstinément à l’obscurité?
- Lorsqu’on voit de grands industriels qui ont fait infiniment moins que le fondateur du Familistère, connus d’une extrémité du monde à l’autre, si bien que si dans le plus petit hameau vous prononcez leur nom, chacun fait voir aussitôt qu’il sait ce que vous voulez dire, on est tout surpris de cette anomalie, et l’on ne s’explique point cette lumière éclatante faite autour des uns et ces ténèbres profondes dans lesquelles d’autres restent plongés, à moins que l’on n'attribue la grande notoriété des premiers à l’immense publicité qu’ils ont eu le soin de faire sur leur entreprise, et qui n’a point été perdue pour eux,
- Dans le monde dé la publicité, on cite souvent l’exemple de quelques hommes qui n’ont dû. leur fortune très considérable, princière même, qu’à la manière intelligente dont ils avaint su user de ce puissant auxiliaire de l’industrie et du commerce.
- L’un d’eux, M. C..fondateur de deux des plus importantes usines des environs de Paris est un des modèles du genre. Simple colporteur au début, après avoir pendant quelques années battu toutes les routes de son département la balle sur le dos pour vendre aux ménagères de village du fil, des aiguilles, des almanachs, etc., lorsqu'il se vit en possession de quelques milliers de francs d’économies, il quitta le pays et s’en vint à Paris. Dans son existence vagabonde, il avait imaginé ou trouvé la recette d’un spécifique guérissant certaines maladies assez Communes surtout dans les grandes villes. C’est l’exploitation de ce remède qui devint d’abord son objectif une fois arrivé dans la capitale Comme dépourvu de diplôme, il n’avait pas qualité pour traiter les maladies ni pour vendre des médicaments, son premier soin fut de découvrir quelqu’intèrne d’hôpital riche de science ou de diplômes mais non d’espèces, et de s'associer avec lui. Dans cette association l’un apportait son titre de docteur et l’autre ses économies et sa recette.
- Un cabinet de consultations médicales bien installé fut ouvert et l’on se mit à fabriquer d'abord en petit le spécifique sauveur. En même temps, l’ancien colporteur faisait insérer dans tous les journaux, placer sur tous les murs non seulement à Paris, mais dans la France entière, l’annonce de son industrie. Il y a bien longtemps de cela déjà ; eh bien ! encore aujourd’hui, l’on peut voir dans les villages, sur les murs de clôture des propriétés, l’annonce en question attirant le regard. Cette publicité à outrance ne tarda pas à porter ses fruits. Deux ans après l’ouverture du cabinet médical, M. C..., possesseur d’un capital considérable, cédait sa part de propriété dans la Société au docteur qui a continué seul son commerce.
- L’ancien colporteur fonda alors la première de ses usines sur un grand pied, et fidèle au système qui avait commencé sa fortune, la publicité là encore alla son train. On évalue à cent mille francs îâ somme, dépensée par lui la première année pour faire connaître son établissement, et loin d’économiser sur ce budget les années suivantes, il l’augmenta progressivement, si bien qu’à l’époque de sa mort il y a une quinzaine d’années, les deux Sociétés créées par lui dépensaient annuellement en frais de publicité rénorme somme de huit céilt aille francs. Il est vrai que vous ne pouvez pas faire ufl pas h Paris sur
- p.346 - vue 347/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 347
- les boulevards, en province dans une rue quelconque, , sans voir le nom de l’un au moins de ses établisse- ! nients vous sauter aux yeux en grandes lettres d’or, j Aussi, qui ne connaît ses diverses entreprises ? En France, dans toute l’Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique, ses produits sont non seulement connus, mais recherchés et, comme après tout, ils méritent cet accueil, la fortune qu’il a laissé se chiffre par dizaine de millions.
- Ce qui a fait le succès de M. 0..., c’est qu’il avait parfaitement compris la publicité et la manière de l’employer. Faire de la publicité n’est rien si l’on ne la fait pas bien; beaucoup de gens en font, sans en être plus avancés pour cela, tandis que tous ceux qui, comme notre ancien colporteur, savent s’en servir et en tirent toujours d’incalculables profits. Mais si l’instrument est excellent, son usage est fort coûteux, et pour l’employer il faut avant tout ne pas lésiner, car il vaut mieux ne pas y recourir du tout que de s’arrêter à moitié chemin. On peut dire de cette ressource cp que les anciens disaient de Corinthe : Non datur omnibus adiré Corïnthum : il n’est point donné à tout le monde d’aller à Corinthe.
- Un autre industriel intelligent aussi avait adopté une formule très courte, mais invariable, qui, répétée sans cesse, partout et toujours, finit par s’imposer et devenir pour ainsi dire une vérité pour tous. Son annonce n’avait qu’une ligne et elle était ainsi conçue : « Le meilleur chocolat est le chocolat Perron. » Et à force de voir cette phrase partout répétée, le bon public finit par le croire et acheta le chocolat de ce fabricant.
- Peut-être et même sûrement, si le fondateur du Familistère eût embouché, comme ces deux commerçants, les trompettes de la Renommée, son œuvre aurait été beaucoup plus connue, et aurait suscité des imitateurs. Mais il est des entreprises qui, se recommandant par elles-mêmes, devraient n’avoir pas besoin, ce semble, de recourir à ces moyens un peu charlatanesques quoiqu’on en dise, et répugnant toujours plus ou moins à des natures délicates et élevées. Tout le monde ne partage pas l’opinion jésuitique que la fin justifie les moyens, et quoiqu’il n’y ait rien de répréhensible à l’emploi de la publicité, bien des gens éprouvent une certaine répugnance à en faire usage.
- Quoi qu’il en soit, c’est là la cause du peu de notoriété que nous constatons, défaut de notoriété fâcheux, parce que dans un moment où les reven- * dications du prolétariat s’affirment de plus en plus énergiquement, où les réformes sociales s’imposent plus impérieusement que jamais, la création d’entreprises de ce genre basées sur l’Association du capital ôt du travail, sur les avantages de l’aisance et de
- la richesse procurées aux travailleurs par la construction d’habitations comme le Palais social, et par l’organisation bien entendue de la mutualité, rendrait d’immenses services à la société en faisant disparaître la plus grande partie des maux qui provoquent ces revendications, et entretiennent le déplorable antagonisme de classes survivant à toutes les institutions destinées à le faire cesser à jamais. Qui pourrait dire, par exemple, que beaucoup de ces travailleurs, qui dans les congrès où les réunions ouvrières dépassent assurément le but par leurs violentes récriminations et leurs propositions au picrate ne resteraient pas mieux dans les sages limites des revendications légitimes, s’ils avaient connaissance de l’organisation si remarquable du Familistère et de son Association. Ces hommes cherchent leur voie, et ils se jettent un peu à droite et à gauche contre les brousailles qu’ils heurtent et qui Les meurtrissent tandis que si on leur eût montré le chemin a demi-caché par ces végétations, ils marcheraient droit sans hésitation ni fatigue.
- Dans ce sens, l’œuvre accomplie par le fondateur a une portée très considérable, une portée humanitaire autant que nationale et sociale, parce que le prolétariat auquel elle remédie dans la mesure du possible est un mal répandu partout dans l’humanité et non pas seulement dans quelques sociétés ou dans quelques nations. Le paupérisme règne dans le monde entier, et l’institution sociale qui lui porte une atteinte décisive est une institution qui intéresse tout le genre humain et qui l’embrasse tout entier.
- On a donné au corps d’enseignements du Christ le titre d’Evangile qui signifie la bonne nouvelle. Il apportait en effet au monde la bonne nouvelle de l’inauguration d’une ère de fraternité parmi les hommes, et si elle a peu duré, la faute n’en est point à la doctrine, mais à ceux qui, appelés à en bénéficier, n’ont pas su la comprendre et l’appliquer, et l’ont affreusement dénaturée. L’idée de l’association du capital et du travail appliquée dans toute son étendue pratique au Familistère est aussi une bonne nouvelle, une innovation heureuse et féconde, qui, lorsqu’elle se sera propagée, rétablira le règne de la justice sur la terre,en faisant à tous la part équitable qui leur est dûe dans la production de la richesse, et en maintenant inaltéré l’équilibre entre les droits et les devoirs de chacun et de tous. C’est pour cela que tous les hommes honnêtes et sincèrement dévoués au bien de l’humanité doivent éprouver le désir, que nous formulons en terminant, de voir bientôt cette bonne nouvelle propagée partout, et l’idée qu’elle proclame appréciée, comprise et appliquée dans notre pays et dans le monde *
- FIN.
- p.347 - vue 348/836
-
-
-
- 348
- LE DEVOIR
- CONDITION DES FEMMES
- DANS LA
- Savante Allemagne
- (Lettre d’Amérique de Mm9 Mary A. Livermoore traduite par Mme V. Griess-Traut).
- J’étais venue dans la Virginie du Sud y passer quelques années, il y a longtemps de cela, car j’étais alors unejeune fille de 18 ans.
- Le pays, entrecoupé de vallées et de collines, de forêts et de champs bien cultivés, me parut charmant, un véritable Eden... Son air doux et embaumé me rappelait le climat de l’Italie, j’en étais ravie, habituée que je suis aux rigueurs de New-York.
- Mais hélas ! tous ces enchantements je les oubliai bientôt quand je visitai dans les champs, les esclaves au travail, où femmes et hommes travaillent en commun.On ne distingue guère les premières des seconds qu’à une légère différence dans le costume.
- C’est aux femmes que les intendants imposent les plus rudes travaux et les plus lourdes charges quoiqu’elles soient généralement mariées et mères ; mais ces pauvres créatures ne connaissent ni les joies du foyer ni celles de la maternité. Leurs corps courbés par un travail excessif et leurs visages abrutis, permettent à peine de deviner leur sexe, cette dégradation physique en a fait des animaux humains, des machines humaines.
- Ce souvenir des impressions de ma jeunesse dans la Virginie du Sud, de l’esclavage et des misères des femmes causées par l’égoïsme et la brutalité des hommes, vient de m’être vivement retracé durant ces dernières semaines — avec cette différence, que les femmes dont je vais parler sont — nominalement libres et non un troupeau d’esclaves — qu’elles sont blanches et non pas noires—que leur pays s’appelle Allemagne et non la Virginie du Sud.
- Dans la plupart des contrées de l’Europe on professe une médiocre estime pour la femme, les lois aidant, elles sont généralement opprimées. Partout la femme est accablée dei multiples travaux de l’intérieur, dont on lui tient peu compte et que pourtant l’homme refuse de partager ou même d’alléger au moyen des engins qu’offre le progrès et que les maris d’Amérique procurent à leurs femmes. Nulle part les femmes ne reçoivent une compensation équitable pour leur travail.
- Cette Allemagne, pays de la littérature, des sciences, des savants, des arts, de la musique, de la culture, où nous envoyons nos fils pour recevoir dans ses universités leur complet développement intellec-
- . tuel — cette Allemagne qui se vante de sa civilisation avancée, tient la tête parmi les nations où la femme est le plus exploitée et le plus avilie,—en même temps qu’elle est aussi la nation où l’on exalte le plas l’homme,— qui considère la femme comme une serve et la traite comme telle.
- Nous étions au milieu de l'été, le pays était paré de cette beauté parfaite inhérente à cette époque de l’année. Les champs de blé cultivés avec soin, une mauvaise herbe eut été considérée comme un péché, les routes irréprochables, pas une pierre détachée n’offensait l’œil,— des rangées d’arbres les bordaient et les ombrageaient. Les cours d’eau soigneusement encaissés étaient traversés par de solides ponts en pierre. Tout enfin, ce que nous venions de voir exci* tait notre admiration.
- Mais hélas ! comme dans la Virginie du Sud, cela ne devait pas durer, car là aussi, on voit les femmes contraintes à des travaux impropres à leur sexe et privées de tout ce qui peut attacher une femme à la vie. Les 8/10mes des travailleurs des champs sont des femmes. Ce sont elles qui cultivent les immenses champs de betteraves dont on fabrique le sucre, et, là où l’outil ne peut passer, c’est sur leurs genoux et avec leurs mains que se fait la besogne. Elles ploient sous les énormes charges d’engrais qu’elles vont chercher à de grandes distances où ils sont déposés et elles les répandent ensuite sur les champs où il en est besoin. Ce sont elles aussi qui fauchent, qui retournent, qui sèchent le foin, qui le chargent sur les chariots. Elles qui moissonnent et qui rapportent les gerbes sur leur tête ou sur leurs épaules.
- Après la moisson enlevée, elles font le labour à l’aide d'un bœuf ou d’une vache sans joug pour les animaux ni attelage aux charrues. Quelques fois les animaux manquent, alors les femmes les remplacent : l’une dirigeant et l’autre poussant la charrue. Même dans des cas exceptionnellement pénibles, des charges excessives à porter ou des voitures lourdement chargées à démarrer et à conduire, c’était encore la tâche des femmes. Elles venaient se courber avec patience et énergie pour recevoir la charge sur leur dos...
- Tandis que les hommes, leur éternelle pipe à la bouche, ne bougeaient pas et les regardaient faire... sans tenter de les aider.
- Misérablement vêtues et généralement, jambes et tête nues sous un soleil ardent, leur teint est bronzé et leur corps courbé et amaigri. Ni espoir ni plaisir dans ce travail excessif. Je m’enquis de la paye que Ton donnait pour ce rude labeur et je ne doute pas que le lecteur n’accepte avec incrédulité la réponse qui me fut faite.
- p.348 - vue 349/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 849
- pour le travail d’une journée de 12 heures on donne à ces femmes fr. 1,25, sans nourriture. Quand leurs empl°yeurs *es nourrissent, elles ne reçoivent que 50 à 60 centimes par jour. Les hommes qui travaillent côte à côte avec ces femmes et qui font la même besogne qu’elles, reçoivent environ le double de salaire. Malgré cela les femmes préfèrent encore, lorsque leurs forces le leur permettent, le dur travail des champs au travail intérieur de la ferme, vu que celui-ci ne reçoit pour tout salaire, qu’une nourriture insuffisante et un vêtement misérable.
- Dans les villes que nous avons vues les choses étaient encore plus navrantes. Nous venions de visiter la bibliothèque de Munich, une des plus riches de l’Europe, la 40 du monde, par son importance. Elle compte environ 800,000 volumes, 27.000 manuscrits. Et chaque année elle reçoit une augmentation de 3,000 volumes.
- Des statues de marbre représentant les grands hommes, ornent du haut en bas les deux côtés d’un imposant escalier et, sur les médaillons attachés aux colonnades qui décorent les galeries, se lisent des inscriptions en l'honneur des poètes et des savants. Il ne m’a pas paru, dans ces vastes collections, qu’il y eut rien concernant les femmes.
- Parmi les statues se trouvaient celles d’Aristote, d’Hippocrate, d’Homère, de Thucydide, etc.
- De retour dans la rue au sortir de la bibliothèque nous nous trouvâmes au milieu d’une armée de femmes pauvrement vêtues, mal chaussées ou pieds nus. Elles étaient munies de balais, de fortes brosses et de pelles, à l’aide desquelles elles dirigeaient les boues des ruisseaux et des chéneaux vers des tombereaux sur lesquels elles les chargeaient en même temps qu’elles réparaient les dégâts occasionnés par une immense averse tombée pendant notre visite à la bibliothèque et qui avait complètement inondé les rues et causé çà et là des dommages.
- A Munich dans une promenade matinale que nous fîmes en voiture tandis que les habitants sommeil» laient encore, nous étions allés visiter les deux magnifiques arcs qui se trouvent à une petite distance de la ville et dont l’un est une copie de l’acropole d’Athènes et l’autre, de l’arc de Constantin à Rome, exécuté en bronze de Bavière. La hauteur du premier est de cent pieds, il est encadré, en partie, par une triple galerie consacrée à la Renommée. Des statues des hommes éminents de la Bavière dans l’ordre où ils ont vécu, ornent ces galeries.
- b*e soleil touchait à peine à l’horizon quand nous rentrions de notre course, et déjà partout les femmes déployaient une grande activité. Les débris et les ordures des maisons, déposés la veille, étaient réunis
- en tas,et enlevés par d’autres femmes qui, munies de pèles, les chargeaient sur des tombereaux à bras. Los ruisseaux étaient obstrués ainsi que les raiis des tramways et les rues proprement balayées. D’autres femmes attelées à de petites voitures traînaient des bidons de lait et des charges de pain qu’elles apportaient aux clients. Dans toutes les directions on les voyait actives ; elles lavaient et balayaient les boutiques, préparaient tout pour la journée afin qu’à leur lever les hommes trouvassent, non-seulement leur déjeuner prêt ; mais encore, la maison, la boutique et les rues propres et en état.
- A Vienne nous pûmes admirer,en nous promenant, des merveilles d’architecture. Partout on fait disparaître les vieilles et laides maisons, que l’on remplace par des constructions modernes et magnifiques. Nous nous étions arrêtés devant une bâtisse en construction pour en étudier le plan. Là nous vimes des femmes employées à gâcher le mortier,au dessus de nos têtes nous en vîmes d’autres montant de hautes échelles avec des charges de mortier — de pierres ou de briques qu’elles portaient sur leur tête ou sur leurs épaules aux maçons. Nous nous arrêtâmes un jour à Dresde pour visiter la galerie de tableaux qui peut être comparée aux galeries de Pitti-d’Uffizi à Florence et au Louvre à Paris.
- Cette occasion me permit de réaliser un des rêves de ma vie, car je me trouvais en présence de la Madone Sixtine de Raphaël qui à la tendresse infinie réunit la gloire radieuse dans sa sublime expression. Cette Madonne n’est pas cependant la seule toile inspirée de cette galerie dont je n’oublierai jamais le souvenir.
- Revenues dans la rue nous trouvâmes de nouveau un grand nombre de femmes circulant dans les rues avec des paniers attachés sur leur dos qui contenaient des poids de 23 à 30 kilos. Quelques-unes avaient les cheveux tout-à-fait blancs. Leur démarche était vacillante sous le poids de leur lourde charge, en rencontrant leur regard on y lisait le découragement et la tristesse.
- Il existe dans quelques villes de Wurtemberg des brigades de femmes employées au département des incendies pour le service des pompes. De temps à autre, elles sont passées en revue par l’Inspecteur du district et soumises à des exercices propres à faire connaître leur degré d’habileté dans l’emploi de leurs engins en cas d’incendie. En un mot, il n’existe point de travaux manuels que les femmes allemandes aussi bien que les femmes autrichiennes ne fassent. J’en ai vu dans la rue, fendre et scier du bois, le charger sur leurs dos et le porter à plusieurs étages de haut dans les maisons. J’ai vu ailleurs, des fem-
- p.349 - vue 350/836
-
-
-
- 350
- LÉ DEVOIR
- mes fabriquer des briques — Décharger des matériaux de bâtisses - Poser des rails — Extraire des pierres des carrières — Réparer des routes — des talus — des canaux — Draguer des rivières et des ruisseaux, puis répandre la vase dans les champs pour les fertiliser. Elles font ainsi les travaux les plus pénibles dont les hommes sont bien aises de se débarrasser.
- Dans leurs universités les allemands comptent par milliers leurs élèves et par centaines leurs savants professeurs; mais nulle place n’est faite à la femme, elle ne compte pas, on ne se préoccupe pas de lui donner une instruction supérieure. La femme allemande est complètement subordonnée à l’homme qui la considère comme son inférieure et la traite comme telle. Il consent volontiers à partager avec elle les plaisirs du théâtre et ceux de la bière dans les jardins publics, mais non ceux plus élevés de la littérature et des études dans les universités.
- — Quelques femmes cependant, animées d’un souffle divin, se sont émue de cette subordination et de cette iguorance de leur sexe. J’en ai rencontré une à Londres — Mme Lina Morgenstern de Berlin. Elle était très désireuse de savoir comment s’y prennent les femmes américaines pour pousser aux réformes du jour. J’appris, par elle, qu’à Berlin, il existe, malgré les obstacles mis sur leur chemin, quelques femmes si remarquables par leur savoir, que leurs adversaires mêmes ne peuvent s’empêcher de leur rendre justice. Le Dr M., Mm<) Franciska dentiste habile et belle-sœur du Dr M. Mad, Tibertius Hirschfeld non moins distinguée, sont de ce nombre.
- J’appris encore qu’il existe aujourd’hui des associations de femmes à Berlin — à Dresde — à Munich, que ces associations de femmes se sont fondées dans le but d’assurer une éducation technique et des emplois aux femmes, une fois leur éducation terminée. Ces sssociations sont dirigées par des femmes sérieuses — de grand cœur et de grand talent.
- Mais tant que l’Allemagne continuera à être un Camp, ainsi que le reste de l’Europe, avec des armées permanentes — entretenues dans l’oisiveté — tant que chaque enfant mâle qui naîtra sera considéré comme un futur soldat qui à 21 ans sera enlevé aux travaux paisibles et productifs, pour être dressé dans les camps durant trois années au métier atroce de tuer leurs semblables — il n’y a pas grand chose à espérer pour les femmes allemandes ! Car, par suite des raillions d’hommes enlevés à leurs carrières et à leurs familles, les femmes se trouvent livrées aux plus dures éventualités de la vie ; les unions sont brisées ou rendues difficiles, et la démoralisation
- s’en suit naturellement, une atteinte profonde est portée ainsi au progrès et à la civilisation. — Aussi est-il bien démontré que la pire victime des guerres et de l’intempérance de l’homme, c’est toujours la femme.
- Paissent-elles comprendre bientôt que : — françaises ou allemandes, les femmes ne sauraient se désintéresser de la politique, quoiqu’en puissent dire les partisans attardés du bon vieux temps.
- LE DUEL
- Voici un sacripant; il vous outrage; vous devriez mépriser l’insulte aussi bien que l’insulteur, mais la colère, une colère indignée vous fait lever le bras... Des amis vous arrêtent et, en votre nom, demandent satisfaction. Cette satisfaction est accordée et le lendemain vous êtes tué. C’est la moralité de la chose !
- *
- * *
- Comme armes de combat, ne sont admis dans le duel que l’épée « l'arme des chevaliers », le sabre et le pistolet. Le bâton, la fronde, le fléau (etc.), ne sont point considérés comme assez nobles pour prendre place dans le Code du duel. J’avoue ne pas bien comprendre comment ni en quoi un morceau de fer ou un tube au bout d’un bras est plus noble que le bras lui même. Je croyais que si le privilège d’ennoblir était donné, ce serait plutôt à la main qu’à l’arme qu’il devrait appartenir.
- Je me suis demandé également pourquoi le duelliste décernait des lettres de noblesse aux trois armes que je viens de citer, et n’ai pas trouvé d’autres titres de leur part à cet honneur que les qualités meurtrières dont elles sont douées. Mais en ce cas, la boulette empoisonnée est bien plus meurtrière encore. .. Pourquoi donc ne pas l’admettre? Peut-être est-ce parce qu’elle aurait l’inconvénient d’égaliser
- les chances. Ma foi, on n’a jamais pu savoir.
- *
- ¥ *
- Une des prétentions les plus désopilantes de nos bretteurs, c’est de vouloir être « cru sur parole ». Une balle échangée et voici un imposteur en droit d’en imposer toute sa vie. Ceci me remet en mémoire le fait de la duchesse de Berry qu’un malencontreux accusa d’être grosse. Il fut traité de menteur, provoqué en duel et eu le bras fracassé. Trois ou quatre mois après, la duchesse accouchait d'un enfant vena à terme*
- Ce qui, outre le désopilant de cette prétention, me parait bizarre chez ceux qui l’affichent, c’est que le même fait qui donne aux uns le droit d’être crus
- p.350 - vue 351/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 351
- quand ils mentent, en prive les autres quand ils disent la vérité. Aussi, gare à l’écrivain se permettant je dire ce qu’il pense d’un contemporain, s’il n’est pas initié aux arguments de îa salie d’armes ! Malheur au libre-penseur se hasardant à penser hautement dans certaines localités comme nous en con-uaissons, peuplées de congréganistes ou même de cléricaux, s’il n’a pas à son service une pointe secrète.
- * *
- On a dit, je ne me souviens pas au juste qui, mais il a été dit que le duel avait été inventé au profit des opprimés. Il faut avouer que ceux-ci ont été bien mal inspirés, ou bien ingrats; car ils ont toujours manifesté de la répugnance à profiter de l’invention. Pour n’en citer qu’un dont le nom peut faire autorité, nous écrirons J. J. Rousseau qui, le plus persécuté des
- hommes, a été le plus grand ennemi du duel.
- *
- * *-
- Le point d’honneur ! Le point d’honneur î Drôle d’honneur en vérité que celui qui a besoin de s'affirmer en tuant ou se faisant tuer, ou encore en se faisant garantir dans les journaux par deux signatures
- parfois plus propres à l’entacher qu’à le faire briller.
- *
- * *
- Ce point d'honneur que l’on met en avant « n’exige pas cependant qu’on se batte avec un spadassin, un * maître d’armes ou un manant ». Mais tout est relatif, tous les manants n’ont pas des blouses et tous les maîtres d’armes des brevets. Si vous êtes plus fort que moi à l’épée, au sabre ou au pistolet, vous êtes pour moi un maître d’armes ; si vous êtes plus querelleur, je vous considère comme un spadassin ; moins bien élevé, comme un manant.
- « On ne se bat pas non plus avec un coquin », dit encore le Code des duellistes. Néanmoins cela arrive tous les jours; nous ne tenons compte que de la prescription et de ce qu’elle comporte en elle-même.
- « On ne se bat pas avec un coquin ! « Le Duel> parmi ses privilèges, n’aurait donc pas celui de rendre un coquin honnête homme, comme il fait d’un | menteur un homme digne de foi ? Cependant nous voyons tous les jours l’attaque à l’honnêteté être la j cause de duels. Que conclure alors ? C’est que l’accu- | sateur, en se battant avec celui dont il a attaqué la j probité, la moralité, le présentant comme un coquin, j non-seulement ne prouve pas la vérité de son asser- j tion, mais encore s avoue aussi malhonnête homme } que lui. ]
- * j
- Un assassin que l’on guillotine n’a parfois commis j qu un seul meurtre et, s’il en a commis plusieurs, au j moiûs n’a-t-il tué chaque victime qu’une fois. Mais j
- combien de duellistes brettistes par profession ou par orgueil, n’ont-ils pas selon selon l’expression de l’un d’eux, crevé de paillasses ou troué de bedaines, à l’abri de la loi, et cela après avoir tué moralement leurs victimes.
- Trois définition»
- Qu’est-ce que le serment ?
- Une formalité que l’on impose à une personne de la bonne foi de qui l’on doute.
- Qu’est-ce que l’honneur ?
- Une marque dont se couvre la conscience.
- Qu’est*ce que le mariage ?
- Un garde-fou de l’amour.
- Formalité vaine î
- Masque le plus souvent faux î
- Garde-fou artificiel.
- Pour l’homme droit, la parole donnée équivaut au serment, le mensonge au parjure.
- Et, à propos de serment : Il y a quelque temps, à Londres, un adorateur du soleil, sectaire originaire de la Perse, était appelé à déposer comme témoin devant M. le Commissaire Kerr. Requis de prêter serment, n’étant pas chrétien, il refusa tout naturellement de jurer sur le nouveau comme sur l’ancien testament. N’étant parmahométan, il repoussa également le Coran qui lui était présenté. On ne connaissait pas de livre sacré sur lequel il put remplir la formalité requise, et le magistrat anglais était sur le point de proposer qu’il jurât sur les cornes du diable, lorsque le témoin avisa M. Kerr qu’il portait sur lui une relique,un talisman sacré, offrant de faire une déclaration qui engagerait suffisamment sa conscience, pourvu qu’en faisant la dite déclaration, il tint ostensiblement cette relique dans sa main droite.
- Le magistrat, attendu les circonstances exceptionnelles et l’embarras où. il se trouvait, désireux de se conformer au vœu de la loi, consentit à la proposition de notre sectaire, mais en insistant alors sur cette condition expresse de sa part de tenir haut, à la main, et en vue de tout le monde, la relique vénérée.
- Quelle ne fut pas la surprise, et, disons-le, la confusion du digne M. Kerr, lorsque le témoin exhibant une queue de vache qu’il montre à tout l’auditoire, fit la déclaration exigée avec une gravité qui ne contrastait pas peu avec l’hilarité dont furent saisis les assistants.
- A ce sujet la « Pall Mail Gazette », un journal sérieux, fait la réflexion que si M. Bradlaugh avait eu quelque relique de cette nature pour faire son affirmation, il occuperait aujourd’hui, selon toutes
- p.351 - vue 352/836
-
-
-
- 352
- LE DEVOIR
- probabilités, son siège au Parlement. Mais alors, j considérations philosophiques d'une haute impor-ajoute la feuille anglaise avec le plus grand an g froid j tance.
- du monde, on eut vu cette étrange chose : « La su- j Nous remercions vivement l’auteur d’en avoir fait perstition admise clans une enceinte fermée à l’in- j hommage à notre bibliothèque. crédulité / » } —
- A Glasgow, tout dernièrement, un indigène est également appelé comme témoin à faire une affirma- . tion devant ce que l’on nomme le Stipendiary Ma gis- ; traie (Magistrat salarié). Rien, dans sa conscience, ne s’oppose à ce qu’il défère au vœu de la loi. Il lève donc la main et prononce les mots sacramentels. Il n’a pas fini, que le magistrat l'interpelle brusque- | ment : « C’est la main droite et non la gauche qu’il j faut lever 1 » hélas, la main droite est absente chez j le comparant. Elle a été remplacée par un mécanisme fort ingénieux à la vérité mais qui, aux yeux de Dame Justice ne saurait tenir lieu de l’instrument naturel.
- Cependant l’affaire est grave et le témoignage du mutilé est important à recueillir.
- D’un autre côté, the affirmation Act de 1866 est précis dans ses exigences. Que faire ? la discussion s’engage. Elle durerait encore sans l’intervention du Secrétaire d’Etat qui, consulté déclara que « bien qu’il fut dit dans la loi qu’on lèverait la main droite, l’interdiction de lever la main gauche n‘y étant pas stipulé, l’on ne pouvait mieux faire, surtout en fac-tualité d’accepter comme valable l’affirmation morganatique. »
- Mais on se demande ce que l’on pourrait bien faire si l’on se trouvait en présence d’un témoin privé de ses deux bras. Le pied pourrait-il suppléer à la lacune... dans l’esprit de la loi ?
- P. Maistre.
- Nous avons à remercier également M. Mathieu Pitty pour l’envoi de sa brochure intitulée :
- Des Octrois (Imprimerie Gadreau, à Brest)
- Dans cet ouvrage qpi a reçu l’approbation d’hommes compétents en la matière, l’auteur établit que les octrois sont l’impôt le plus mauvais, le plus urgent à supprimer.
- Il est partisan de l’impôt sur le capital. Cet impôt, dit-il, ne prend rien à qui n’a rien, prend peu à qui a peu et beaucoup à qui a beaucoup.
- L’Association g” s pus j; de Guise
- du f5 Ü if! IL I ù I L fl (C, (Aisne)
- Offre les emplois suivants:
- 1° Direction commerciale des magasins et'débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise (Aisne.)
- BIBLIOGRAPHIE
- La bibliothèque du Familistère a reçu l’ouvrage suivant :
- Des Droits, des Devoirs et des Constitutions au point de vue de la Destinée humaine.
- Par Auguste Guyard
- 3e édition augmentée d’une lettre-préface à John Ruskin et d’un appendice de citations justificatives tirées des écrivains les plus autorisés en ces matières.
- Un volume in-18,prix 3 fr. 50, chez Ernest Leroux, 28, rue Bonaparte (Paris.)
- Cet ouvrage est profondément pensé et rempli de
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- i
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.352 - vue 353/836
-
-
-
- g* ANNEE, TOME 8 — N° 198 £e numéro hebdomadaire 20 e, DIMANCHE 11 JUIN 1882.
- "le devoir
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M GODIN Dire cteur- Gérant p ondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 îr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’üBONNE
- A PARIS 5,r,Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- w m süb
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Question de l'habitation ouvrière. — Les diverses méthodes de participation aux bénéfices. — Faits politiques et sociaux. — Nouvelles du Familistère. — Histoire deVAssociation agricole de Ralahine.— Magnétisme. — Oaribaldi. — Les habitations préhistoriques du nouveau Mexique. — Bibliographie. — Bibliothèque du Familistère. — Etat-Civil du Familistère. — La Comète de 1882.
- QUESTION DE L'HABITATION OUVRIÈRE
- Le propre de notre Société civilisée est d’entrevoir le bien, mais de ne savoir ni pouvoir le réaliser. Il y a près d’un demi-siècle qu'un économiste renommé, Adolphe Blanqui, émettait l’opinion suivante :
- « J’ai étudié, avec une religieuse sollicitude, la vie “ privée des familles d’ouvriers, et j’ose affirmer que “ l’insalubrité de l’habitation est le point de départ “ de toutes les misères, de tous les vices, de toutes * les calamités de leur état social. Il n'y a pas de “ réforme qui mérite à un plus haut degré l’attention “ et le dévouement des amis de l’humanité. »
- Eh bien, qu'a-t-on fait, en réalité, depuis cette
- époque, pour remédier au mal signalé par Blanqui et pour opérer la réforme qu’il recommandait si vivement ?
- Rien, — rien du moins qui ait un caractère d’efficacité, en même temps que de largeur tant soit peu générale.
- Les philanthropes d’une part, et les grandes Compagnies industrielles d'autre part, qui ont voulu tenter quelque chose, ont eu la fâcheuse inspiration de se placer toujours au point de vue du morcellement; ils ont eu, ils ont encore l’idée fixe de construire une maisonnette pour chaque famille d’ouvrier. D’où, en premier lieu, la nécessité d’employer de grandes surfaces de terrain pour le logement d’une population assez restreinte. Cet inconvénient devient surtout grave quand il s’agit d’opérer dans l’enceinte ou même dans la banlieue des grandes villes, où le prix des terrains est considérable et tend à s’élever de plus en plus.
- Il est évident que si, au lieu de bâtir des habitations à un seul étage suivant les plans adoptés pour les maisons ouvrières de Mulhouse, ou bien (ce qui est encore pis) de simples rez-de-chaussée, comme le fait en ce moment la Société de Passy-Auteuil, fondée, il y a 16 mois, sur l’initiative et sous le patronage de M. Dietz-Monin; si, dis-je, on construisait des bâtiments de trois étages, on réduirait de moitié ou des deux tiers l’étendue de terrain nécessaire pour le logement d’un même nombre de personnes.
- Mais, objecte-t-on, en procédant ainsi on no répondrait pas à l’aspiration de l’ouvrier qui ambitionne d’avoir sa maison en propre, pour lui seul et sa famille; on manquerait en outre le but qu’on se
- p.353 - vue 354/836
-
-
-
- 354
- LE DEVOIR
- propose en affectant une maison particulière à chaque famille, ce but qui est de lui permettre d’en acquérir, au bout d’un certain temps, la propriété.
- *Sur le premier point ne s’abuse-t-on pas quelque peu en supposant que la plupart des familles ouvrières ont tant à cœur d’avoir une maisonnette qu’elles habitent exclusivement ? Beaucoup d’entre elles, si le choix leur était laissé, préféreraient peut-être à la maisonnette un logement plus confortable dans une maison comptant plusieurs locataires. S’il en était autrement, elles se montreraient plus difficiles et plus exigeantes sous ce rapport que les familles bourgeoises ; car celles-ci, même dans des conditions de fortune assez élevée, se contentent fort bien d’un appartement dans des maisons où habitent pareillement d’autres ménages en plus ou moins grand nombre, Combien de nos jours, soit à Paris, soit à Lyon, à Marseille et dans les autres grandes villes, combien pourrait-on compter de particuliers ayant leur hôtel à eux et à l’usage exclusif de leurs familles ?
- Sur le second point, quant au désir de la propriété, avec le système du grand édifice il est possible aussi de donner satisfaction à ce désir, dans ce qu’il a de juste et de raisonnable, Il suffit pour cela de changer la forme de la propriété en la rendant actionnaire. Figurez-vous que la valeur de l’édiflce soit représentée par des actions que les locataires sont admis à prendre, au fur et à mesure que leurs ressources économisées le leur permettront, chacun d’eux, lorsque le dividende de ses actions égalera le loyerdeson logement, sera libéré de toute redevance à ce sujet; il sera en outre co-propriéfaire de l’immeuble, comme le sont, par exemple, les actionnaires d’une fabrique, d’une mine, etc.
- Examinons comparativement les avantages et les inconvénients des deux systèmes : la petite maison isolée et la grande maison collective.
- La Société Dietz-Monin pour les habitations ouvrières a construit, impasse Boileau, près le Point-du-Jour, dix maisons à un simple rez-de-chaussée, avec un jardinet par devant et une petite cour par derrière. Chaque maison est complètement isolée des voisines.
- Il faut par conséquent pour chacune un caniveau pour l’écoulement des eaux, un cabinet d'aisance et une fosse, travaux dispendieux par leur répétition.
- Pourquoi la Société tient-elle à l’isolement complet de chaque maison ? N’est-ce pas là une circonstance toute favorable aux exploits de messieurs les voleurs et assassins ? On sait, par d’assez nombreux exemples, que les vieillards, les infirmes, les femmes qui habitent seuls, ou qui restent seuls une par-
- tie du temps, dans des maisons isolées, sont, pour peu qu’on les suppose en possession de quelques valeurs, des victimes désignées aux mauvais coups des malfaiteurs de toute espèce.
- Du moment, au contraire, où vous vous élevez à l’idée d’une grande maison collective, dans laquelle, il est vrai, les appartements de chaque famille sont parfaitement distincts et indépendants, vous arrivez tout de suite à des dispositions d’un avantage incomparable à toute sorte d’égards.
- L’eau, le gaz peuvent être mis à la disposition des habitants dans des conditions très modérées.L’éclairage des escaliers, des corridors, de la cour ou des cours, s’ensuit naturellement-
- Qu’il y ait autour de la grande habitation l’équivalent des terrains attribués à chacune des maisonnettes, on y pourra tracer des jardinets séparés pour ceux d’entre les locataires qui voudraient cultiver quelques fleurs, fruits ou légumes. Sur l’ensemble de ce terrain, j’aimerais encore qu’on réservât, au-devant de la façade du bâtiment, un promenoir planté, à l’usage de toutes les familles.
- Si l’édifice était assez grand pour recevoir un nombre important de celles-ci, une centaine par exem« pie ou plus, rien n’empêcherait d’établir dans une pièce du rez-de-chaussée, un asile où les mères,obligées de sortir pour les besoins du ménage, pourraient déposer leurs enfants, au lieu de les laisser seuls au logis, au risque de sa brûler, de se jeter par la fenêtre, accidents si communs et à peu près inévitables dans les conditions actuelles des ménages ouvriers.
- Quand un de ces malheurs arrive (et il n’y a guère de jour que la presse n’en signale quelques-uns) on se récrie contre la négligence et l’imprudence des parents qui ont laissé, dans le voisinage d’un poêle allumé ou d’une fenêtre ouverte, de pauvre petites créatures inconscientes du danger. Comment veut-on cependant que s’y prenne une malheureuse femme qui a trois ou quatre jeunes enfants, et qui se trouve forcée d’aller au-dehors chercher ses provisions? Si elle les emmène, pourra-t-elle avec l’embarras des denrées qu’elle rapporte, les surveiller assez pour les mettre à l’abri des voitures et des autres risques de la rue? Ce serait donc une précieuse ressource pour toute mère dans pareille situation, d’avoir un local où, pendant ses sorties, elle pourrait laisser en sécurité, ses enfants sous la surveillance d’une femme affectée à cette fonction.
- Avec une grande maison telle que je la conçois, rien ne serait plus simple que d’établir, entre toutes les parties de l’édifice, un système de communications, au moyen de galeries couvertes qui mettraient
- p.354 - vue 355/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 355
- jes locataires à l’abri des intempéries pour leurs relations entre eux.
- Mais j’ai l’air d’esquisser une utopie, tandis que je fais que mentionner, en îa diminuant beaucoup, une réalité qui existe et que chacun peut aller voir.
- t gommes qui ont à cœur de préparer pour les jamilleS ouvrières des logements sains et confortables, dont le loyer n’excède pas le prix que le commun des ouvriers peut y mettre, je n’ai qu’une chose à dire, c’est qu'ils aillent visiter le Familistère de Guis8 et observer comment tout s’y trouve disposé et comment tout s'y passe.
- Ch. Pellàrin.
- LES DIVERSES IBÉTIIODES DE PARTICIPATION A CX BÉNÉFICES
- Plus nous allons et plus le malaise se fait sentir dans le monde des travailleurs avec une intensité telle, que même dans le pays où les salaires sont le plus élevés, aux Etats-Unis, nous voyons des grèves se déclarer. De très récentes dépêches de Chicago nous apprennent en effet que douze cents ouvriers des Usines métalliques ont attaqué le 1er juin un train dans lequel se trouvaient plusieurs de leurs camarades, qui n’avaient point voulu prendre part à la grève, que des coups de revolver ont été tirés, et qu’un juge de la Cour d’appel de l’Illinois a été mortellement blessé. D’autre part, nous trouvons dans les journaux un appel navrant des ouvriers charpentiers de Paris en grève depuis plus d’un an. La commission de permanence de cette corporation dit qu’en jetant un coup d’œil sur la situation des charpentiers, on a un spectacle déplorable : ces infortunés travailleurs sont en proie aux déboires du dévouement fatal, et courbés plus que jamais sous le joug de la féroce rapacité patronale.
- La situation des ouvriers passementiers n’est pas beaucoup meilleure. Une grève, qui remonte à deux minées déjà, amis en désaccord les ouvriers et les façonniers de cette profession, et les marchands passementiers en ont profité pour porter à l’étranger ^eurs commandes. De là un chômage extraordinaire, es-trêmement nuisible aux intérêts des travailleurs dont l'industrie est gravement compromise de la sorte pour l’avenir. Il est vrai que la grève n’est Point la seule cause, au dire de la Chambre syndicale des ouvriers passementiers à la barre, de cet état de ^hoses, qui est dû aussi en partie à la mode des den-, es>des tulles, des fourrures et des passementeries a d’aiguille,
- Si l’on voulait énumérer toutes les professions qui souffrent, la liste en serait longue assurément, et il n’est pas besoin d’être grand clerc en ces matières pour voir que le besoin d’une réforme se fait sentir chaque jour plus impérieusement,parce que les charges imposées au travail sont trop onéreuses d’une part, et que la répartition des produits n’est point équitablement faite de l’autre. C’est ce qui rend les rapports entre le travail et le capital de plus en plus difficiles, si bien qu’il ne manque pas d’esprits sensés mais peu renseignés qui commencent à désespérer de leur accord futur. Il est certain que cet accord ne se fera qu’au moyen d’une réforme devenue urgente dans la répartition des produits dûs à la collaboration de ces deux éléments indispensables de la production, réforme basée sur un principe plus équitable que celui sur lequel est fondée la rémunération actuelle du travailleur.
- La Société instituée à Paris pour faciliter l’étude pratique des diverses méthodes de participation des ouvriers dans les bénéfices vient de publier son dernier bulletin qui.contient des documents d’un intérêt réel.
- Dans l’ensemble de ces documents nous trouvons la constatation de quelques Insuccès dans les tentatives diverses faites pour appliquer .ce principe. La Compagnie d’Orléans s’est vue forcée de modifier les premières conventions qu’elle avait faites; MM. Briggs et C® exploitant les houillères de Witwood, dans le comté d’York, ainsi que MM. Boscher jeune, de Berlin, pour sa fabrique de laiton, ont dû. également renoncer à la participation.
- Il serait intéressant de connaître les causes qui ont pu amener ce fâcheux résultat alors que l’application du système, même d’une façon incomplète et défectueuse en a produit d’assez bons en général, et nous regrettons de n’avoir pas aujourd’hui des éléments suffisants pour cet examen approfondi comme nous voudrions le faire. Mais en parcourant les bulletins publiés par cette Société, on remarque que la plupart des établissements dans lesquels fonctionne la participation n’ont point pris pour base de son organisation l’Association du capital et du travail, qui en est le seul fondement solide et inébranlable. Partout cette participation se réduit en réalité à un intérêt dans les bénéfices, intérêt qui n’a d’autre règle d’évaluation primitive que la volonté des chefs d’établissement, et qui, par conséquent, peut être, suivant le cas, inférieure le plus souvent et supérieure peut-être à la valeur réelle du concours fourni par le travail à la production.
- L’un, par exemple, a fondé une Caisse de partici-f pation et de retraite en faveur de ses travailleurs de
- p.355 - vue 356/836
-
-
-
- 4
- LE DEVOIR
- 356
- tout ordre, moyennant une somme dont la moitié est immédiatement répartie au prorata des salaires et appointements, et dont l’autre moitié reste en caisse comme premier versement fait à un fonds de réserve dont les intérêts serviront à constituer aux ayants droit des pensions viagères de retraite. Cette Caisse est alimentée tous les ans par l’allocation annuelle de 5 0/D des bénéfices nets, allocation dont moitié est distribuée de suite aux travailleurs, et dont moitié est versé au fonds de réserve. Disons, pour être juste, que la moyenne de la répartition calculée sur les derniers exercices a été de 22.40 0/0 des salaires et appointements, distributions et réserves comprises.
- Un autre constiCue une Caisse de prévoyance au moyen d’une participation égale à la moitié du bénéfice afférent à la main d’œuvre, répartie au marc le franc du salaire de chacun, mais tout participant quittant la maison perd tous ses droits, les sommes acquises font retour à la Caisse de prévoyance, et de plus le chef de maison se réserve la faculté de faire cesser la participation à son gré.
- Un troisième fait jouir tous ses travailleurs d9un dividende proportionnel au travail exécuté par eux dans l’année. Les bénéfices sont divisés en marc-le-franc entre le patron,dans la proportion des intérêts qu’il aura perçus ou à percevoir (cet intérêt étant fixé à 10 p. 0/0 du capital), et les ouvriers d’après le montant du travail qu’ils ont fait. Ce système a donné des résultats variant de 9.40 à 22 p. 0/0 des salaires, et en moyenne, pour les onze dernières années, 17.38 p. 0/0.
- La. Compagnie d’Assurances Générales de son côté a fondé une Caisse de Prévoyance en faveur des employés et garçons de service des quatre branches d’assurances qu elle embrasse, Maritimes, Incendie, Vie et Grêle. Som règlement porte qu’il est versé chaque année à la Caisse de Prévoyance une somme égale à un vingtième ou cinq pour cent des bénéfices nets répartis aux actionnaires, soit en dividendes, soit en accroissement du capital des actions. Cette allocation peut toujours être réduite par l’assemblée générale des actionnaires, si elle est jugée excessive. Les sommes versées à la Caisse sont distribuées entre les comptes individuels des participants au prorata de leurs traitements respectifs.
- Les comptes individuels peuvent être liquidés lorsqu’un employé a complété sa vingt-cinquième année de service ou à défaut sa soixante-cinquième année d’âge, mais la somme revenant au participant doit être exclusivement consacrée, soit à lui constituer une rente viagère sur la Compagnie, avec ou sans réversibilité au profit de sa femme, soit à lui acquérir
- des rentes françaises ou des valeurs nominatives dont les titres demeurent déposés dans la Caisse de la Compagnie jusqu’au décès du titulaire, pour être alors remis à ses ayants-droit.
- Les Compagnies « la Nationale », « l’Union » « l’Urbaine », etc, ont établi une Caisse analogue ^ peu près dans les même conditions.
- Une maison de banque crée une Caisse de p^. voyance constituée au moyen du prélèvement annuel d'une somme déterminée chaque année par les chefs de la maison suivant les bénéfices de l'exercice. Cette allocation est répartie chaque année entre ceux des employés ou garçons admis à y prendre part par les patrons, au moyen d’un compte ouvert à chacun d’eux productif d’intérêts à 4 p. 0/0 l’an capitalisés. Mais ces comptes ne constituent qu’un droit éventuel et leur règlement ne peut être obtenu qu’après vingt années de service dans la maison ou à l âge de cinquante ans. Si le travailleur quitte la maison avant, il perd tout droit à la Caisse, et les sommes portées à son compte font retour à cette même Caisse qui est administrée par les chefs de la maison.
- Il est une maison qui alloue aux ouvriers 75 0/0 du produit net; ce quantum est réparti : un tiers à la Caisse de prévoyance et de secours, et le surplus au compte individuel du participant. Dans cette maison la somme des bénéfices répartis de la sorte représentait en 1871, 12.12 p. 0/0 des salaires,et croissant toujours proportionnellement,elle est arrivée en 1880 à 19.53 p. 0/0.
- Le cadre de cette étude ne nous permet pas de pousser plus loin cet examen dont les éléments suffisent à montrer que nulle part cette organisation de la participation des bénéfices ne réalise exactement la véritable association du Capital et du Travail, puisque partout ou à peu près ce ne sont que des Caisses de Prévoyance que l'on a instituées, et qui sont alimentées à titre gracieux au moyen d’un prélèvement plus ou moins élevé sur les bénéfices, que le chef de maison se réserve le plus souvent de faire cesser s’il le juge convenable. Dans ces conditions le sort des travailleurs se trouve éventuellement amélioré mais non assuré et garanti dans l’avenir.
- La maison Chaix vient de publier à ce sujet un livre de M. Yan Marken directeur d’une fabrique de levure et d’alcool à Delft en Hollande, qui accorde â ses ouvriers une participation de 10 p. 0/0 distribues sous forme de primes et de gratifications. Ce sys* tème.tout primitif et imparfait qu’il soit,a permis de réaliser une notable économie dans l'emploi des matières premières, et un sensible accroissement de production. A ces allocations sont jointes des Caiss®3 de prévoyance, d’épargne et d’assurances, etc.
- p.356 - vue 357/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 357
- ^vons-nous besoin de dire que le système adopté ^ pelft es^ l0*n rï ®tre parfait ? Les primes et les gratifications ne sont qu’une forme de salaire, et ce n’est avec cela que l’on arrivera à établir l’équitable répartition des bénéfices entre tous les éléments de production qui ont contribué à les créer. Pour asSeoir la participation, nous ne saurions trop le répéter, il faut qu’elle soit uniquement fondée sur l’association réelle du Capital et du Travail, chacun participant aux bénéfhes de la production dans la mesure proportionnelle du concours qu’il a fourni, et cela non pas éventuellement, à titre gracieux, comme une libéralité facultative de la part du capital, mais statutairement, d’une manière fixe et stable, en reconnaissance d’un droit trop longtemps méconnu, et qui ne peut plus désormais être contesté.
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Mort cl© Gfarifoaldi. — Garibaldi est mort. lia succombé vendredi 2 juin, à six heures et demie du soir. La Chambre des députés, en signe de deuil, a suspendu sa séance ; elle a fait son devoir.
- C'est une belle et grande vie qui s’éteint; c’est un caractère chevaleresque qui disparaît. Celte existence toute de lutte et de désintéressement, par bien des côtés. touche à la véritable grandeur, et le nom de Garibaldi restera dans la mémoire des hommes comme celui d'un libérateur, d’un patriote, d’un héros. La France républicaine, à laquelle il a offert sa vaillante F-pée pendant l’invasion prussienne, lui gardera un fidèle souvenir et le vengera, par d’unanimes regrets, de l’ingratitude de la majorité royaliste qui, à Bordeaux, reconnut si mil ses services.
- Garibaldi (Joseph) est né à Nice le 4 juillet 1807. Il entra de bonne heure dans la marine sarde et se fit remarquer dans plusieurs rencontres par sa bravoure et son saog-froid. Eu 1834, compromis à Gênes dans une conspiration, il se réfugia en France et donna des leçons de mathématiques à Marseille, passa de là au service du bev de Tunis et fut quelques mois officier dans sa flotte. Eu J836, il se rendit dans l’Amérique du Sud. offrit ses services à la République de l’Uruguay, et reçut le commandemeut en chef de l’armée qui opérait coQire Buenos-Aires. Aprèsl iutervention anglo-française il lev* contre Rosas un corps de 3,000 hommes qu’il dressa à la guerre de partisans.
- Eu 1848, le réveil de la liberté italienne le rappela dans sa patrie. Il prit une part active à la guerre de Lharles-Albert contre l’Autriche et, après la malheureuse capitulation de Milan, fut le dernier à déposer les armes.
- L’aunée suivante, quand la République fut établie à home, il s’empre sa d’aller la défendre avec sa légion, vainqueur en plusieurs rencontres, il paya comme toujours de sa personne et fut blessé. Quand la défense de p jvfile fut devenue impossible, il proposa des partis extrêmes qu’on n’osa suivre : de faire sauter les ponts, oe se retrancher dans le château Saint-Auge, de quitter nome avec la garnison pour continuer la guerre en Ita-ile* Lui-même sortit de Rome avec 4,000 hommes d’in-anterie et 400 cavaliers, traversa les lignes ennemies et »e retira à Saint-Marin ; là il fut obligé de licencier ses ,iipes et, avec deux cents fidèles, il gagna l’Adriatique 1 s embarqua pour Gênes. Sa femme Anita mourut en-
- ceinte dans cette fuite; elle avait jusque-là partagé tous ses périls. I retourna alors en Amérique.
- Eu 1859, il revint se mettre au service du Piémont en prévision de la nouvelle guerre de l'indépendance italienne, fut nommé major-général et organisa à la hâte une légion nationale sous le nom des chasseurs des Alpes. Il mit le pied le premier sur le territoire lombard et prit hardiment l’offensive contre l’Autriche. Il s'empara de Yarèse et de Gôme, et, refoulant par une suite de combats les Autrichiens vers Milan, il excita au plus haut point l'attention et l’intérêt de toute l’Europe. La paix de Viliafranca lui fit déposer les armes,
- Eu 1860, par une entreprise d’une hardiesse inouïe, il organisa de son nom privé et avec les secours de souscriptions permanentes, ouvertes dans divers pays, une expédition en Sicile U s’embarqua sur deux bateaux de la Sociélé transatlantique, avec des munitions et une troupe d’environ mille hommes déterminés, aborda à Marsala, défit les troupes royales à Catalafimi, assiégea Palerme, s’en empara et bientôt se trouva maître de la Sicile.
- Alors il se consacra entièrement aux préparatifs d’une expédition dans les provinces de terre ferme. Son débarquement ne rencontra qu’une faible résistance; le pays, l’armée et les administrations semblaient également l’attendre. Il fit en effet son entrée solennelle à Naples, pendant que le roi se repliait sur Gapoue avec les troupes restées fidèles. La lutte devint alors plus sérieuse ; les volontaires de Garibaldi rencontrèrent la résistance la plus vive sur le Volturne, et il fallut l'intervention ouverte de l’armée piémontaise pour s’emparer de Gapoue et refoulerles défenseurs de la royauté de l’autre côté du Gari?liano. Devenu dictateur de l’Italie méridionale, il fit Voter le plébiscite qui réunissait les Deux Siciles an royaume d’Italie, sous le sceptre de Victor-Emmanuel. Bientôt après, Garibaldi, promu général d’armée, renonçait à tout rôle politique et se retirait à Giprera.
- Il prit part, sous le titre de commandant des volontaires, à la guerre de 1866 et fut blessé au combat de Monte-Snello.
- En 1867, jaloux de consommer le dernier acte de l’unité italienne, il commença L'agitation et prépara ouvertement une tentative contre les Etats romains. Il fut arrêté, reconduit à Gaprera et gardé à vue par un navire de guerre ; mais il s’échappa, attaqua les troupes du pape et se dirigea sur Rome. Vaincu à Mentana, il fut arrêté de nouveau et conduit au fort de Varignano,près de la Spezzia. Il y tomba malade et fut renvoyé à Gaprera. G’est alors qu’il donna sa démission de membre du parlement.
- On sait quelle part Garibaldi prit à la guerre de 1870; il avait été investi par le gouvernement de la Défense nationale du commandement des francs-tireurs et des troupes irrégulières sur la ligne de l’Est. U défendit avec succès la ville de Dijon contre les Prussiens, et il l’évacua par suite de l’armistice. Il fut élu représentant à l'assemblée nationale française par quatre départements; mais il dut, dès le premier jour et devant l’indigne accueil qui lui fut fait par les partis hostiles, donner sa démission. Il quitta la France pour rentrer à Caprera.
- Il n’a pas cessé depuis de s’associer à la propagande républicaine et de témoigner son aversion pour le cléricalisme.
- Garibaldi a publié plusieurs romans historiques qui ont été traduits en français : Canlonile volontaire, avec une lettre inédite d’Edgard Quinet ; la Domination du moine, et Mille, récit de son expédition de Sicile.
- * ¥
- Affaires d’Egypte. —Voici, d’après le Temps, le texte authentique des trois propositions indiquées par le gouvernement français comme devant servir de hases à la conférence de Constantinople, dans l’invitation à cette conférence qui a été adressée aux puissances :
- 1° Maintien des droits du sultan et du khédive, ainsi que des engagements iuternationaux et des arrangements qui en résultent, soit avec la France et l’Angle-
- p.357 - vue 358/836
-
-
-
- 358
- LE DEVOIR
- terre, soit avec ces deux nations réunies aux autres puissances ;
- 2° Respect des libertés garanties par les firmans du sultan ;
- 3° Développement prudent des institutions égyptiennes.
- Le Times publie une dépêche de Berlin disant que le discours de M. de Freycinet a produit, dans la capitale de l'Allemagne, une très vive impression et ne fera que confirmer le prince de Bismarck dans son désir de donner son appui moral au cabinet de M. de Freycinet.
- Les journaux anglais apprécient toutes les déclarations que M. do Freycinet a faites à la Chambre française.
- Le discours de M. de Freycinet, dit le limes, démontre que la France abandonne sa politique d’opposition à une intervention turque, et comme c’est là ia solution que. le gouvernement anglais a toujours considérée comme la plus acceptable, il faut savoir gré du succès à la diplomatie du cabinet de Londres.
- Le Standard dit que M. de Freycinet a observé une plus grande réserve que les ministres anglais. Un vote de confiauce peut être très agréable au président du conseil; mais il n’avânee en aucune manière la solution de ia question d’Egypte.
- Le Daily Telegraph dit que M. de Freycinet a l’habitude de s’exprimer d’une manière très positive, mais avec certaines réserves ; toutefois, on peut déduire de son discours que la France préfère partager avec le reste de lEurope la responsabilité que pourrait faire naître une intervention dans l’imbroglio égyptien.
- Eofin, la Pall Mail Gazette croit que lés débats à la Chambre des députés contribueront à consolider l’accord qui règne entre les gouvernements de France et d’An-gleterré, et que le cabinet anglais, sous certaines réserves, se présentera aussi à la conférence projetée avec la résolution d’accepter les responsabilités, décisions et moyens d’action qui seront arrêtés par le concert européen.
- AUTRICHE-HONGRIE
- Après un discours très applaudi de M. Tisza, la Chambre des magnats a adopté les crédits demandés pour la pacification de la Bosnie et de l’Herzégovine.
- À la suite de ia suppression du commandement militaire de la Daîmatie et de l’Herzégovine, le baron de Jo-vanovic, commandant le corps expéditionnaire, s'est embarqué avec uue partie de son état-major pour Zara, d’où i) se rendra à Vienne. Le reste de l’état-major restera sur place jusqu’à la tin des opérations du recrutement en Herzégovine et jusqu’à l’achèvement des fortifications.
- Les opérations du recrutement se poursuivent régulièrement. À Cattaro seulement, un quart des inscrits est réfractaire. Mais les véritables difficultés commenceront le mois prochain, quand on opérera le long de la frontière monténégrine.
- La gendarmerie de Plinikau, en Bohême, a procédé à l’arrestation d’un vagabond, possesseur d’un passeport et de papiers russes. Cet individu, dit le Pester Lloyd, se vantait hautement d’être socialiste et nihiliste et d’avoir pris part à l’assassinat du czar Alexandre IL Déporté en Sibérie, il serait parvenu à se sauver de ce pays.
- Les journaux anglais publient une dépêche de Cet-tinje, d’après laquelle l’escorte des commissaires autrichiens aurait été attaquée par des insurgés entre Toca et Gcrazda, et ces derniers auraient enlevé 145 chevaux. Cinq hommes de l’escorte ont été tués.
- Deux jours après, un autre convoi autrichien a ôté attaqué près de Massastelc, sur la Drima. Dans cette seconde affaire-, les insurgés ont été rapidement dispersés.
- ANGLETERRE
- A l’occasion du voyage du prince et de la princesse
- de Galles à Leicester, le bruit a couru qu’un com™ avait été ourdi par des assassins. piot
- Pendant ce voyage s’est produit l’incident suivant sur le passage du prince, un individu s’étant appro„.t: de la voiture, étendit la main vers la princesse X . écarta son bras; un inspecteur de police s’avançji même moment, saisit l’homme et le fit conduire tu ^ rection de police. Il a déclaré se nommer Charles Wt kerdive, être âgé de 30 ans et exercer la profession t' cloutier à Leicester. üe
- D’après les renseignements reçus à la direction a police lors de son interrogatoire, Walkerdive avait hf outre mesure, et dans son ivresse il avait parié oui! donnerait une poignée de main à la princesse de Galles Il s’est avoué coupable et a exprimé ses regrets ; il a au condamné à sept jours de prison. '
- RUSSIE
- Les journaux anglais publient la dépêche suivante Berlin :
- On mande de Saint-Pétersbourg <que le tzar, désirant inaugurer une politique de conciliation, est décidé à entreprendre une série de réformes. On a nommé à cet effet une commission, présidée par M. Kochanoff. qui est chargée d’étudier les moyens de donner un développement au système des institutions locales. Deux autres commissions seront nommées ultérieurement L’une s’occupera de la question des institutions centrales, et l’autre aura à déterminer les limites de la participation qu’on pourrait accorder à la nation dans l’administration du pays. Le comte Loris Melikoff est placé à la tête de toutes les trois commissions, mais les vice-présidents des deux dernières n’ont pas encore été nommés. Prochainement va être publié un manifeste impérial, déclarant que le tzar désire célébrer le jour de son couronnement en octroyant des réformes. En raison de cela, la cérémonie du couronnement a été remise au mois de mai de l’année prochaine, vu l’impossibilité de compléter avant cette date les préparatifs nécessaires,
- ÉTATS-UNIS
- Une dépêche de New-York annonce que les ouvriers des usines métallurgiques se sont mis en grève.
- Six usines sont fermées en Pensylvanie. La grève s’étend à l’Ohio, au West-Virginie, au Missouri et au Kentucky-
- Le nombre des grévistes est évalué à 50,000, dont 18,000 pour le seul district de Pittsburg.
- On croit que la grève sera de longue durée, à en juger par l’attitude résolue des fabricants et des ouvriers.
- <Ce sera mon petit frère. — Les époux F..., qui demeurent rue Delambre, sont économes et laborieux. Us ont une charmante petite fiLle de cinq ans à peine, qui répond au nom de Jeanne.
- M. et Mrae F... eurent longtemps pour voisine une jeune veuve, la dame M..qui tomba malade dans le courant d’avril, Les époux F,., la soignèrent avec un dévouement sans bornes; malheureusement, la jeune veuve était atteinte d’une de ces affections de poitrine qui pardonnent rarement, et ces jours-ci elle mourait, laissant un enfant de quatre ans, le petit Paul, qui avait été pour ainsi dire élevé avec Jeanne. Pas de parents,ni du côté paternel, ni du côté maternel. Il ne restait donc à l’orphelin qu’une seule ressource : les Enfants-Assistés.
- Pendant l'accomplissement des formalités, les époux F... avaient gardé le petit Paul. Avant-hier,ils devaient s’en séparer. Quand sonna l'heure suprême, une scène touchante se produisit. Jeanne poussa dos cris déchirants, se jetant aux genoux de ses parents, joignant ses petites mains et les suppliant de ne point laisser partir Paul.
- — Ce sera mon petit frère! disait-elle.
- M. et Mme F... ne purent résister aux larmes,aux sup*
- p.358 - vue 359/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 359
- plications de Jeanne, et ils se sont chargés du précoce déshérité.
- Mademoiselle Jeanne, tous méritez tous les bonheurs. ^
- jj© Tunnel sonn-marin. — Le Génie civil donne aujourd’hui de curieux renseignements sur l’état d’avancement des travaux du tunnel sous la Manche.
- La longueur du tunnel sous la mer doit être de 3b kilomètres. Il faut compter de plus, de chaque côté, les accès en pente qui seront de 6 kilomètres et demi, soit en tout 48 kilomètres. Du côté ds l’Angleterre une partie de la galerie d’accès est ouverte, mais on a creusé plus près de la mer un puits au fond duquel on a commencé les travaux du tunnel proprement dit. Ce puits descend à 49 mètres, soit 30 mètres au-dessous de la mer. Une galerie cylindrique est poussée vers la France. Les ingénieurs la conduisent à la limite de deux couches de terrain imperméables à l’eau, au bas d’une couche de craie grise, à quelques pieds au-dessus d’une autre couche de marne bleue argileuse ; si, comme tout permet de le supposer ces couchas s’étendent régulièrement au-dessous de la Manche sans failles, sans chevauchements, on peut dès à présent prévoir la réussite à courte échéance de ce gigantesque travail.
- La galerie d’exploitation actuelle a un diamètre de 2 mètres 15. Elle est creusée par une machine qui, en somme, représente une immense tarière, dont l’avant est armé de lames d’acier qui entament la roche à la manière d’une râpe. Elles sont animées d’un mouvement circulaire et avancent de 7 millimètres 1/2 à chaque tour. De cette manière, une mince couche est enlevée à chaque révolution de la machine sur tout le front de la galerie. Un homme placé à l’avant ramasse les débris à la pelle, dans de petits seaux qui sont entraînés par une corde et vont se déverser plus loin en arrière, dans des wagonnets que des hommes traînent vers l’orifice du puits.
- Derrière cette machine on doit prochainement en établir une autre qui entaillera tout autour de la galerie de 2 m. 15 une bande annulaire de 1 m. 08, ce qui portera l’orifice total du tunnel à 4 m. 30; L® tunnel gardera probablement cette forme et ces dimensions, U sera revêtu de béton et légèrement incliné en sens inverse, d’abord suivant la pente du fond de la mer, puis en se relevent un peu vers le centre de son parcours.
- Une question très importante s’est présentée relativement à l’approvisionnement de l’air comprimé. G’est lui qui fait travailler la perforatrice. Il n’y avait pas à songer à l’eau, puisque l'écoulement était impossible. Cet‘air comprimé, à l’ouverture du puits, envoyé avec une pression de 12 kilogrammes environ, mais en circulant dans les tuyaux de fonte qui le conduisent à la machine et qui ont un décimètre de diamètre, il perd par le frottement une grande partie, presque la moitié de sa force. Il est donc question de remplacer les tuyaux de conduite existants par d’autres plus larges du double avec lesquels on estime que la perle de forces serait à peu près nulle, et le travail par conséquent beaucoup plus rapide.
- Georges Pouchet.
- ALLEMAGNE
- La Germante, rappelant que les nouveaux évêques de Breslau et d’Osnabrück ont été invités à la table de l’empereur, fait remarquer avec joie que c'est la première fois, depuis l’ouverture du Cullurkampf, que l’on voit des évêques assister à un dîner de la cour, et elle en conclut que la reirait des lois de mai no peut plus guère se faire attendre.
- M. Bebel, le député socialiste, a été arrêté à Dresde, sur la réquisition du ministère public.
- *
- * ¥
- La voccînatîoK charbonneuse en Allé-m88rne. — La Gazette de l'Allemagne du Nord rend
- compte des expériences de vaccination charbonneuse faites récemment par ordre du ministère prussien d’agriculture. Ces expériences ont commencé le 5 avril et ont été terminées le 9 mat. Elles étaient dirigées par un élève de M. Basteur et contrôles par une commission d’experts nommés par le ministre. Le 5 avril, on a pratiqué la vaccination préventive sur six sujets de race et bovine et sur vingt-cinq moutons d’âge et de sexe différents. Une nouvelle inoculation préventive eut lieu le 19 avril. A la suite de cette seconde opération, 3 moutons périrent.
- Les autres moutons vaccinés n’éprouvèrent qu’une légère élévation de chaleur. Le 6 mai, il s’agissait de vérifier l’efficacité prophylactique des procédés de M. Pasteur. L’opérateur prit du sang tiré d’an animal ayant succombé la nuit précédente à l’infection charbonneuse et l’inocula sur 22 animaux survivants, puis à 6 vaches et à 25 moulons vierges de toute inoculation. L’effet de l’intoxication produite par l'injection sous-cutanée de sang charbonneux fut immédiat chez la plupart des animaux non vaccinés. Le 9 mai, les animaux vaccinés, mais soumis à l’intoxication virulente du charbon, se portaient à merveille. L’état des bêtes non vaccinées n’était pas aussi favorable. Sur les 25 moutons, 22 avaient succombé, ainsi que 3 des 6 vaches. Les survivants étaient d’ailleurs malades; l'étatdes moutons était désespéré, mais celui des vaches s’améliorait. On a constaté, à l’autopsie des animaux péris, la présenco dans le sang du virus morbide contagieux.
- Le gouvernement prussien considère l’expérience ne M. Pasteur comme très probante.
- ¥ ¥
- Le Courrier de Meurthe-et-Moselle raconte l’amusant quiproquo que voici, et dont a été victime un huissier de la région :
- Un huissier de notre ville, qui avait à signifier un acte de procédure à Maréville, se rendit, il y a quelque temps, à l’hospice d’aliénés, et entra par mégarde dans une des salies réservées aux pensionnaires de rétablissement. S’apercevant de son erreur, il voulut sortir presque aussitôt et se dirigea vers la porte ; mais là il se heurta à un gardien qui, scrupuleux observateur de sa consigne, le repoussa doucement en l’avertissant toutefois que s’il renouvelait sa tentative, ii se verrait forcé de lui faire administrer une douche.
- « — Mais je suis huissier, exclama le malheureux officier ministériel qui comprit tout de suite la méprise dont il était victime.
- » — Très bien ! très bien ! riposla le gardien, habitué à calmer les fous en flattant leur manie.
- » — J’ai des actes à signifier, reprit M. X...
- » — Signifiez-les à vos camarades, répondit l’inflexible porte-clefs.
- » — A mes,camarades 1 Je ne connais personne ici, je ne suis pas fou,jenesuispas fou,je suis M. X.., huissier près le tribunal de Nancy, insista l’honorable auxiliaire de la justice.
- » — Tâchez de vous tenir tranquille, répliqua sévèrement le gardien, où je vous fais mettre la camisole de force. »
- M. X... comprit qu’il n’y avait pas moyen défaire entendre raison à son cerbère en uniforme, et après quelques légères protestations auxquelles une nouvelle menace de la camisole de force vint mettre une sourdine, ii attendit, martyr résigné, que le hasard voulut bien mettre fin â sa captivité.
- Enfin, le hasard tant désiré apparut sous la forme d'un docteur de l’hospice qui, mis au courant des réclamations du nouveau, s’aperçut de la méprise; mais ce ne fut cependant pas sans peine, car, sous l’influence d’une situation aussi étrange , l’huissier infortuné avait été pris d’une fièvre assez forte qui rendait le médecin fort perplexe.
- L’intervention du directeur leva les derniers doutes, et c’est avec mille excuses que le pauvre huissier fut mis en liberté, se promettant bien de se garder désormais de fréquenter les fous, les gardiens et les médecins.
- p.359 - vue 360/836
-
-
-
- 360
- LE DEVOIR
- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- Conseil die Gérance
- Extrait de la séance du 26 mai 1882
- Ont été admis dans l'Association, en qualité de sociétaires, les personnes dont la liste suit :
- Mme Hourdeaux Juliette, femme Rousseau,Employée à la décoration.
- MM. Noizet Joseph, surveillant ; Dufour Hector, mouleur ; Routier Joseph, ajusteur; Tennière Adrien, id.; Hébert Marcel, mécanicien.
- Ont été admis en qualité de participants :
- MM. Leleu Augustin, mouleur; Fournier Jules-César, chargeur ; Derche Edouard, émailleur; Possier-IIerbin, id. ; Maréchal Louis-Arthur, ajusteur ; Fresnoy Ernest, id.; Ribeaux Jules, id. ; Fournier Jules, id.; Blondeau Léon, meuleur; Braillon Adolphe, employé; Dagniaux Louis, menuisier ; Grégoire Edouard-Lucien, charpentier; Mme Cartigny, du Pouponnât ; MM. Régnier Jean-Baptiste, employé; Drocourt Jules, ajusteur; Cordelette Louis, mouleur ; Bridoux François, id. ; Disant père; Jean Baptiste Louis; Garbe Jules-Léon, emballeur; Duchange Adonis Victor, émailleur; Mmes Ve Lamy, balayeuse, Baron Ismérie, femme Prudhomme, id. ; Bachelin Laurence, femme Tennière,id.;Vandois, femme Hennequin, id.; Malderey Lucie femme, Josquin, id., Bouleau Léocadie, femme Gardet.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XIV (1)
- Arrangements domestiques Modifications morales
- Les premières personnes qui s’aperçurent des avantages inhérents à l’association, furent les femmes, les jeunes gens et les enfants.
- L’économie domestique pratiquée à Ralahine avait été conçue de façon à délivrer le plus possible les femmes des gros travaux.
- L’allaitement et le soin des enfants, la préparation des mets de la famille, et l’accomplissement de tous les travaux de ménage si multiples et si accablants dans la maison isolée, amènent une perte de temps considérable, sans parler des causes incessantes d’irritation.
- A Ralahine, deux personnes seulement,un homme
- (1) Voir « U Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21, 28 mai et 5 juin 1882.
- et une femme, préparaient la nourriture de toute la communauté.
- Cette nourriture consistait surtout en végétaux et particulièrement en pommes de terre. On consommait très-peu de viande. La grande ressource était le lait, matière éminemment nutritive et communiquant une grande énergie vitale.
- Chaque associé avait une pinte de lait (environ un demi-litre) par repas. Dans ces conditions tous étaient souples, robustes, musculeux et forts.
- Les célibataires, hommes et femmes, mangeaient ensemble au réfectoire commun ; les gens mariés pouvaient à leur gré, prendre leurs repas, soit au réfectoire, soit dans leur appartement. Car chaque couple avait un domicile particulier.
- Divers dortoirs étaient affectés aux personnes non mariées, aux jeunes gens et aux enfants.
- Seuls les enfants non sevrés étaient gardés au domicile des parents.
- Des salles de réunion et de lecture étaient à la disposition des associés.
- On avait donc, autant que possible, rompu avec les conditions du ménage isolé, véritable foyer de misère, de privations et dé mauvaises habitudes.
- La pratique des sentiments élevés, le développement des plus heureuses dispositions est presque impossible, en effet, chez les personnes qui vivent dans des cabanes sordides, misérables, au sein de l’abandon, de l’ignorance et souvent de l’ivrognerie, du vice et des crimes.
- L’amélioration de la condition des membres se fît sentir rapidement dans leur constitution physique. Des paysans qui, au premier jour, paraissaient, quoique jeunes encore, aussi usés que des vieillards, ne tardèrent pas à devenir gais, vifs, sains et actifs. Ceux qui n’avaient que des guenilles eurent des habits de rechange et firent très-vite des économies. _
- Ces conditions nouvelles de bien-être furent complétées par une modification remarquable de l’opinion publique.
- Jusqu’à la constitution de la Société, les travailleurs dont les intérêts n’avaient absolument rien de commun avec ceux du propriétaire de Ralahine, ne s'occupaient de rien en dehors des heures de travail. Si un bœuf brisait une palissade, ou écrasait le blé en germe, « Que nous importe, » disaient-ils, « c’est au pâtre à veiller à cela. » Tout pouvait aller à la dérive. Et cette incurie était générale dans tout le pays. Le plus souvent, du reste, les travailleurs n’eussent recueilli ni profits, ni remerciements de leurs soins exceptionnels ; parfois même, leur intervention eut été mal vue.
- p.360 - vue 361/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 861
- Aussi pensaient-ils qu’ils avaient intérêt à encourager clandestinement la destruction de la propriété, puisqu’il en résultait du travail pour les nécessiteux-
- Sous le régime de l’Association, cette opinion fit place à un sentiment absolument contraire. Mais cette évolution ne se détermina que le jour où les associés se furent bien pénétrés de leur rôle comme électeurs du Comité qui fixait à chacun d’eux ses devoirs journaliers.
- Ce fut là, pour eux, le point essentiel du « nouveau système. » Ils avaient tant et si longuement souffert des caprices individuels de l'Intendant que le nom seul d’un tel fonctionnaire leur était odieux. Sous l’ancien régime, jamais ils n’avaient possédé la sécurité du lendemain. Pour un oui, pour un non, l’ouvrier perdait brusquement ses moyens de subsistance .
- Aujourd’hui, au contraire, le travailleur était maître de son propre avenir.
- Fils des esclaves du travail, les associés de Rala-hine, reconnaissaient qu’ils étaient maintenant des hommes libres, assujettis aux seules lois qu’ils avaient eux-mêmes acceptées. Tous les membres étaient égaux entre eux. L’article 10 des Statuts le disait expressément. Il n’y avait ni maître, ni serviteur. Tous étaient, les uns à l'égard des autres, des aides-mutuels pour le bien général.
- Ceux qui commandaient et dirigeaient le travail étaient élus par la masse et n’étaient investis que d’une autorité temporaire. Ces chefs élus se sentaient donc responsables de leurs actes.
- Le développement du caractère fut très-frappant dans ces nouvelles conditions. La tristesse, la morosité, l’apathie et la dissimulation firent place à la franchise et à la gaieté communicative.
- Dès le matin chacun allait accomplir la tâche qui lui était assignée, sans se faire rappeler à l’ordre et sans proférer la moindre plainte.
- L’industrie et l’habileté des travailleurs se firent jour de tous côtés ; admirable témoignage de l’heureuse influence d’un système qui intéressait directement le travailleur à réaliser des bénéfices dont il prenait sa part !
- Pas un objet, si minime qu’il fût, n’était gaspillé ; les associés avaient compris qu’en ménageant avec •soin toute chose, ils conservaient leur bien propre, ce domaine commun, qui leur procurait des moyens constants de subsistance, des salaires réguliers, des logements confortables, l'éducation des enfants, des rapports sociaux et un bonheur dont jusque-là ils n’avaient jamais joui.
- Ils comprenaient enfin que l’association était le
- seul remède à leurs maux. Différents fait» racontés par M. Craig témoignent de cette transformation profonde de l’esprit public.
- L’Irlandais éprouve pour la chasse une passion très-vive. Aussi était-ce la coutume, si la chasse au renard venait à traverser un champ, que les travailleurs s’y joignissent. Paysans et chasseurs avec une égale frénésie renversaient les palissades, écrasaient les moissons, passaient à travers tout, à la poursuite de ce qui leur semblait le plus grand des plaisirs.
- Quelle fut donc la surprise des chasseurs, le jour où pour la première fois, les paysans de Ralahine, bien loin de se joindre à la chasse, empêchèrent de passer sur leurs terres et donnèrent ce spectacle inouï d’ouvriers osant contrecarrer les jeux de la noblesse et parler de moissons détruites et de palissades brisées.
- G était pendant l’hiver de 1832. Vainement les chasseurs exprimèrent leur indignation. Les associés avaient fermé les portes de la ferme, portes massives, hautes de huit pieds, roulant sur rails, et aucune objurgation ne put les décider à rouvrir ces portes. Les chasseurs furent arrêtés net et maître renard eut la vie sauve ce jour là.
- Bien que les associés se fussent ainsi opposés aux déprédations des chasseurs, ils n’en portaient pas moins grande sympathie à leurs compatriotes ; et ils le prouvèrent en maintes circonstances. Durant les ravages du choléra en 1832, la misère était horrible pour beaucoup de personnes. L’épidémie désolait toute la contrée. Elle sévit tout autour de Ralahine. Seule l’association fut épargnée, en raison peut-être des conditions hygiéniques de la vie de ses membres.
- Un jour le bruit courut qu’une pauvre femme du voisinage dont le mari venait de mourir, allait maintenant perdre sa récolte, parce qu’elle ne pouvait ni la faire elle-même, ni payer des moissonneurs. Le dimanche suivant les jeunes gens de Ralahine se rassemblèrent et firent gracieusement la moisson de la veuve. Des faits analogues se répétèrent tant que sévit le fléau. Si les membres eussent vécu dans l’isolement habituel, ils n’eussent point accompli aussi facilement ces œuvres de charité.
- C’est donc là un nouvel exemple de l’élévation de sentiments, contenue dans le principe même d’humanité et de sympathie sociale qui avait donné lieu à la fondation de la Société.
- Un fait qui arriva à M. Craig lui-même environ un an après son arrivée à Ralahine, prouve l’intérêt profond que les gens du pays en étaient venus à
- p.361 - vue 362/836
-
-
-
- 362
- LE DEVOIR
- porter à l’entreprise et leur vif désir que rien ne contrecarrât le développement des opérations.
- Le domaine de Ralahine était admirablement situé. Du haut du vieux château, on embrassait un panorama splendide et d’une immense étendue. M. Craig avait la coutume d’explorer tout le voisinage, admirant les sites que le pays offre à chaque pas. Dans une de ses promenades, où il s’était attardé (ce qui ne lui était point arrivé encore) il s’aperçut tout-à-coup qu’un orage était imminent. De sombres masses de nuages envahissaient l’espace. Limerick ne se trouvant pas très-éloigné il se décida à aller chercher un abri dans cette ville pour la nuit, au lieu de retourner à Ralahine. Le lendemain matin, il prit un omnibus qui le descendit à quelques kilomètres de l’habitation de la Société. A peine avait-il fait quelques pas qu’il fut bien surpris de rencontrer un des associés, V. M. Frawley, celui-là même qui avait été son premier et malicieux professeur de langue irlandaise, lequel monté sur un des chevaux de l’association, courait le pays.
- — « Que cherchez-vous donc? »,demanda M.Craig.
- — « Vous même, Monsieur ».
- — « Et pourquoi cherchez-vous après moi » Frawley?
- — « Parce que nous avons craint que les esprits vous aient égaré dans les montagnes. »
- — « Et d’où vient tant d’anxiété à mon égard ? »
- — « Oh ! c’est que si vous étiez perdu, Monsieur, le nouveau système le serait aussi assurément. »
- Deux autres membres étaient passés par d’autres routes pour se livrer aux mêmes recherches que Frawîey.
- Peut-on trouver un plus frappant exemple de l'intérêt que les bienfaits do l’association avaient su éveiller dans le cœur de ces gens, et chez celui-là même qui, au début, avait trompé M. Craig avec une malice dont les résultats eussent pu être si funestes.
- Le changement effectué par les procédés de l’association était si grand et si manifeste que son influence s’étendit, comme par magie, à tout le voisinage.
- L’indépendance comparative des membres devint un sujet d’honnête orgueil parmi les plus humbles d’entre eux, et une cause d’émerveillement non-seulement dans le voisinage et le comté de Clare, mais dans toute l’Irlande.
- C’est un fait incontestable que les jeunes hommes, bien connus pour avoir été des plus violents parmi les insurgés de l’époque, se montrèrent les plus actifs, les plus fermes et les plus industrieux parmi les associés de Ralahine.
- Le « nouveau système » était le thème de conversation des assemblées petites et grandes. L’espoir renaissait dans le cœur du peuple. Les paysans commençaient à nourrir la pensée que les autres propriétaires imiteraient l’exemple du maître de Ralahine et fonderaient des associations sur leurs domaines.
- Les demandes d’admission étaient devenues nom-breuses, c’était comme une question de vie ou de mort pour chacun d’obtenir son admission dans la Société.
- Les candidats devaient subir un stage de huit jours avant d’être proposés au vote de l’assemblée. C’était à M. Craig d’abord que s’adressaient les candidats et, en vue de l’avenir de l’œuvre, celui-ci faisait un premier choix des membres qui se distinguaient ainsi que leurs ascendants par la santé, la vigueur, la force, l’énergie et les facultés intellectuelles et morales : Les qualités physiques et morales des candidats étaient du reste l’objet de la plus scrupuleuse attention de la part des associés, Les membres sans en avoir conscience agissaient les uns sur les autres pour leur propre élévation.
- Quatre des sociétaires se marièrent, et virent leurs épouses admises par le vote. Mais une jeune fille, qui avait la garde des enfants les plus petits, épousa le chef jardinier de M. Vandeleur; et ce jardinier ne fut point admis à la qualité de membre. Le couple dut quitter l’association. Ce fait qui se produisit deux fois eut l’heureuse conséquence de préserver les jeunes gens d’unions irréfléchies.
- Dès que la Société fut en complet fonctionnement, les violences agraires Cessèrent dans le pays ; et tandis que les meurtres allaient croissant dans le Comté de la Reine et autres districts, ils furent inconnus dans le Comté de Clare pendant toute l’existence de la Société. Il ne s’en produisit sur le sol même de Ralahine que 30 ans après la dissolution de l’Association.
- La paix du district était si profonde que par les belles soirées de 1832, des danses en plein air s’organisaient sur les points favorables. Comme preuve de cette transformation morale qui envahissait le pays, M. Craig raconte que lorsqu’il passait devant ces groupes de danseurs étrangers, de jeunes filles venaient vers lui souriantes et courtoises, en gage de respect et comme pour l’inviter à se joindre à la danse.
- A Ralahine même, on dansait deux fois par semaine. Les jeunes hommes qui s’étaient livrés tout le jour aux travaux pénibles de la culture ou de la charrue, semblaient trouver un heureux délassement dans ces récréations qui se terminaient tou -
- p.362 - vue 363/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 363
- jours à 10 heures et n’amenèrent jamais aucun fait
- regrettable.
- Le changement opéré parmi ces populations qui, moins d’un an auparavant ne songeaient, selon leur expression, qu’à faire aux propriétaires une vie de damnés, était bien de nature à étonner toutes les classes sociales.
- Que de gens avaient vu dans l’entreprise de Ralahine un véritable acte de folie ! Et cependant les faits justifiaient la tentative et donnaient raison au fondateur.’M. Vandeleur était délivré de soucis et d’anxiétés sans fin, et les travailleurs étaient actifs et heureux.
- En temps de moissons, c’était un spectacle merveilleux de voir avec quelle ardeur les associés travaillaient. On eut pensé qu’ils étaient tous attachés à quelque grandiose entreprise dont l’heureuse issue était poursuivie avec enthousiasme. Et tout cela sans qu’aucun salaire exceptionnel fut attendu. Il s’agissait simplement d’accomplir au mieux les opérations sociétaires et de recueillir les bénéfices qu’on se partagerait ensuite.
- Cette transformation semblait un mystère pour beaucoup. La science sociale avait été sur ce point plus puissante que la force armée. Le socialisme avait amené les pauvres et ignorants Irlandais à vivre en paix et harmonie.
- L’intérêt personnel peut donc produire des résultats tout opposés selon les milieux où il s’exerce. Ce que les gouverneurs des peuples ont à faire, c’est d’organiser les choses de façon à ce que l’intérêt individuel soit en accord avec l’intérêt général, avec la prospérité et le bonheur de tous.
- Ralahine apparaissait maintenant comme une cité modèle, et l’attention générale était portée sur l’association. Nobles, propriétaires, penseurs, écrivains se rendirent sur le domaine de M. Vandeleur, afin de découvrir dans quelle mesure l’association du travail et du capital pouvait être la solution des grosses questions irlandaises.
- (A suivre.)
- LE MAGNÉTISME
- À notre avis, oa le magnétisme n’existe point et j tout ce que l’on en a écrit, toutes les expériences que l’on en a faites ne sont que des illusions vaines j et des chimères, ou bien tous les hommes sont doués plus ou moins,et suivant les circonstances physiques ou morales, de la faculté magnétique active ou pas" sive. Elle peut être plus ou moins manifeste ou latente,plus ou moins facile à se produire et à se déve-
- lopper, mais elie doit exister chez tous. En effet, en invoquant l’analogie des faits psychologiques et des caractères anthropologiques connus, il n’est point supposable qu’une faculté dont est douée une organisation quelconque ne se retrouve pas dans une organisation analogue. De ce que son existence est plus ou moins perceptible et appréciable pour l’observateur, il ne s’ensuit pas qu’elle doit être niée lorsqu’elle ne le parait pas, ou affirmée dans le cas contraire.
- D’après les faits étudiés depuis Mesner jusqu’à nos jours, il semble probable que l’agent qui met en mouvement cette faculté est la volonté, et c’est ce qu’affirment, par exemple, les faquirs Indous dont la puissance magnétique est bien autrement puissante et développée que celle d’aucun Européen, les faquirs, maîtres passés en fait de phénomènes magnétiques. Que l’on nous permette de citer un fait de ce genre rapporté par un auteur qui a longtemps habité l’Inde, un fait dont Jacolliot a été témoin, et que maint voyageur a certainement pu voir dans ce pays. Nous traduisons textuellement :
- « Y aurait-il un jongleur, un domppteur ou même un magnétiseur Européen qui se risquât à tenter, ne fut-ce qu’une seule fois, une expérience dont on peut être journellement témoin dans l’Inde, si l’on se trouve à portée pour cela? Personne n’ignore qu’il n’y a rien au monde de plus féroce qu’un tigre royal du Bengale. Un jour, toute la population d’un petit village, non loin de Dakka, situé sur la lisière d’une jungle, fut saisie d’une terreur panique par l’apparition, au commencement du jour, d’une énorme tigresse. Ces bêtes féroces ne quittent jamais leur tanière que la nuit, pour aller guetter leur proie ou pour boire. Cette sortie tout à fait extraordinaire, flagrante dérogation à toutes leurs habitudes, était due à ce que la tigresse était mère, et qu’un hardi chasseur lui avait enlevé S8S petits, à la recherche desquels elle allait.
- « Deux hommes et un enfant avaient déjà été victimes de sa fureur, lorsqu’un fakir âgé, partant pour faire sa ronde quotidienne, parut sur le seuil de la pagode, vit la tigresse, et comprit du premier coup-d’œil ce qu’il en était. Il se dirigea en chantant un mantran du côté de la bête qui, l’œil en feu,la gueule écumante, s’était accroupie au pied d’un arbre, comme prête à s’élancer sur une nouvelle victime. Arrivé à quelques pieds seulement de distance de la tigresse, le fakir, sans interrompre sa monotone prière, dont aucun non-initié ne pourrait comprendre les paroles, commença à magnétiser dans les règles l’animal, à ce que nous comprimes, en faisant des passes. Un mugissement terrible qui jeta l’épou-
- p.363 - vue 364/836
-
-
-
- 304
- LE DEVOIR
- vante dans les cœurs se fit alors entendre. Long et féroce hurlement plein de menaces d'abord , ce cri alla s’affaiblissant graduellement, et se transforma en gémissements plaintifs et saccadés comme des sanglots, comme si la mère désolée exhalait ses douloureuses plaintes. Tout à coup, i la grande terreur de la population qui contemplait cette scène étrange du fond des maisons ou du haut des arbres où elle avait cherché un refuge, la tigresse d'un bond prodigieux s’élance sur le saint homme, pour le dévorer, croit-on. On se trompait, car elle retomba aux pieds du vieillard, se roulant dans la poussière et toute frémissante. Quelques instants plus tard, elle était immobile, son énorme tête posée sur ses pattes de devant, et son œil sanglant, désormais adouci, fixé sur le visage du fakir. Celui-ci s’assit auprès d’elle, caressa de sa main débile la robe mouchetée de l’animal, et lui tapota doucement le dos jusqu’à ce que ses grognements devenus de plus en plus faibles eu-sent entièrement cessé. Une demi-heure après, tout le village entourait le groupe formé par le vieillard dont la tête reposait sur le dos de la bête féroce comme su** un coussin, la main gauche sur «e gazon devant sa gueule, dont la rude langue sanguinolente la léchait gentiment. » (« Isis Dévoilée, » Il chap. XII.
- Ce fait qu’il semble bien difficile de révoquer en doute, puisque toutes les personnes qui ont visité l’Inde sont unanimes à reconnaître l’étonnante puissance des fakirs, et à attester des actes analogues ou tout aussi surprenants, ce fait démontre qu'en dehors des forces neuriques ou du fluide magnétique qui sert peut-être de véhicule, le nom importe peu il y a au fond de cette merveilleuse puissance de l’homme, l’action de la volonté. Ce vieillard qui sort de sa pagode le matin pour faire sa ronde habituelle ne s’attendait évidemment pas à se trouver ainsi face à face avec le plus terrible des animaux de la création; il n’a rien préparé et il ne peut rien préparer pour l’éviter ou l’affronter,et fort néanmoins de sa seule volonté il marche droit à la tigresse et la force à venir ramper à ses pieds. N’est-ce point encore la force de la volonté vivement surexcitée par l’amour maternel qui, dans l’épisode du lion de Florence, fait prendre à la mère affolée l’enfant que le puissant animal avait ravi ?
- D’après les anciennes doctrines, toute force est produite par la volonté et comme la volonté procède de l’intelligence suprême, qui ne peut se tromper puisqu’elle est la plus pure émanation de la divinité, elle est éternelle et agit souverainement d’après d’immuables lois. Un désir intense produit la volonté qui développe la force créatrice de tout, même de la matière.
- La volonté de l’homme a donc lorsqu’elle est poussée jusqu’à un certain point une puissance considérable dont on ne sait point encore apprécier sainement tous les effets. Mais tous ceux qui ont étudie cette question du magnétisme sont d’accord à reconnaître que c’est elle qui, dans les phénomènes dit magnétiques joue le rôle de la pile électrique dans les phénomènes produits par l’électricité, delà vapeur dans la marche des machines, de l’eau dans les appareils hydrauliques, etc. C’est le grand moteur sans lequel aucun effet ne serait produit.
- Il y a même des auteurs qui vont plus loin, et qui prétendent qu’il faut le concours de deux volontés, l’une active, celle du magnétiseur, et l’autre passive, celle du sujet, pour provoquer les phénomènes magnétiques. Suivant eux, cette dernière n’est pas moins indispensable que l’autre, et ils soutiennent que si le sujet veut résister à l’action de la volonté agissante, celle-ci sera impuissante, malgré tout. D’autres affirment que dans cette lutte de deux volontés opposées, l’avantage restera à celle qui a le plus d’intensité, d’énergie, de force, et il y en a qui ne craignent pas de dire que la mort du plus faible pourrait être le résultat du conflit.
- L’observation et l’expérience véritablement scientifiques n’ont peut-être pas encore suffisamment éclairé ce point, et c’est pour cela sans doute que les avis sont partagés. Aussi ne voulons-nous retenir de cette étude pour le moment que le fait de l’action capitale primordiale de la volonté sur les phénomènes de cette nature, et le caractère mixte par conséquent de ces effets psychico-physiques. Ce n’est pas que cette influence toute puissante de la volonté soit toujours également manifeste,également patente parfois il peut arriver qu’elle ne s’exerce que d’une façon en apparence douteuse ; peut-être même inconsciemment de la part de l'agent principal; mais, latente ou manifestée, elle se trouve agissanteau fond de tous ces faits, et cela ne parait pas contestable.
- Voyons maintenant quelles sont les conditions les plus favorables à l’action magnétique.
- [A suivre).
- GARIBALDI
- « Le Secolo » de Milan publie sur le grand patriote italien les réflexions suivantes :
- « Pourquoi pleurons-nous ?
- « Parce qu’au lieu de nous sentir portés à l’espérance d’un avenir meilleur à la pensée de la perte de l’homme qui a tant fait faire de chemin à la cause de la liberté du monde, notre esprit reste confondu et
- p.364 - vue 365/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 365
- notre âme gémit et souffre, comme si la mort avait enlevé la personne la plus chère de notre famille.
- « Il était la meilleure partie de nous tous; il était notre guide et notre maître; il était le Prométhée qui avait délivré l’Italie de l’esclavage ; il était la personnification la plus pure et la plus noble de l’humanité.
- « Preux comme Epaminondas, vertueux comme Timoléon, modeste et simple comme Cincinnatus, champion des opprimés comme Spartacus, patriote désintéressé comme Washington, humanitaire comme Mazini, il faut parcourir l’histoire de tous ces siècles et réunir les dons les plus splendides qui se trouvent disséminés chez les personnalités les plus choisies de l’humanité, pour avoir un type de vertu et d’héroïsme tel que l’Italie moderne en a su produire un dans Garibaldi.
- « Il était tout jeune encore lorsque les tyrannies Autrichienne, papale Bourbonienne et des autres principicules issus de l’Autriche ou de la Papauté pesaient de leur main de fer sur la patrie; la prison et l’échafaud étaient le partage de ceux qui osaient nourrir des sentiments de liberté ; et l’étranger regardait les efforts intermittents et vite étouffés de nos patriotes d’on œil de compassion ou de mépris.
- « Garibaldi sentit la rougeur lui monter au visage à la vue de toute lahonte de la servitude infligée à sa patrie, et il se jura à lui-même de vouer toute son énergie, toutes ses forces à l’œuvre de rachat de l'honneur et de la liberté.
- « La première conspiration avortée l’envoya en exil, et dans les diverses régions de l’Amérique où il porta son bras et son épée, il accomplit dans la défense des opprimés, de tels prodiges d’activité, d’intrépidité et d’héroïsme, que cela paraissait un rêve aux fils abâtardis de l’Europe civilisée.
- « Et lorsque l’Italie parut avoir enfin secoué les chaînes qui chargeaient ses membres endoloris, il se hâta de revenir l’âme assoiffée de batailles et de victoires aux rivages paternels, pour lutter encore en faveur de la liberté. On le vit, alors que tout était perdu encore une fois, se révolter intrépide contre le destin, qui punissait ses concitoyens de l’erreur qu’ils avaient commise en confiant leur sort à des gens qui n’avaient pas eu le courage ni l’envie de le défendre; et lorsqu’il ne put plus combattre avec l’espérance de vaincre, il lutta, nouveau Leonidas, dix contre mille, pour sauver l’honneur et pour montrer aux Italiens qu’il y a quelque chose au monde de plus sacré et de plus précieux que la vie, c’est le patrimoine héréditaire de la dignité nationale.
- « La meilleure partie de la génération qui date des événements de 1848 doit aux exemples de fer-
- meté vraiment romaine donnés par Garibaldi, la foi semée dans leur cœur dans les destinées de l’Italie, et la détermination de consacrer leur vie, corps et âme à sa rédemption.
- « Que de nuits passées dans les années les plus tristes de la servitude, à lire le récit des exploits de Garibaldi, et à baigner de larmes ardentes et amères les glorieuses pages! Que de fois, ayant réuni en secret des amis, nous avons lu ensemble l’histoire de l’homme invaincu, et juré de ne plus prendre de repos ni de trêve jusqu'à ce que notre patrie adorée, affranchie de la domination autrichienne et de celle de ses proconsuls, put enfin se montrer au monde le front haut, digne d’un glorieux avenir, digne mère de Garibaldi !
- « Et le jour où, non plus en secret, mais à la pleine lumière du soleil, avec quelques amis et dans les rangs d’une foule réveillée, nous pûmes obéir à la voix du devoir, nous ne fûmes point les derniers que Garibaldi vit accourir à ses côtés, soldat obscur mais dévoué à lui et à l’Italie, et à notre amour il répondit par une affection qui restera comme la meilleure récompense de notre vie de soldat et de publiciste.
- « Sa vie fut une série non interrompue de prodiges militaires et civils, et le roman le plus complet et le plus intéressant de ce siècle.
- « Lorsqu’il ne lui fut plus possible d’étonner le monde par ses exploits, ;1 le frappa d’admiration en faisant violence à son mal, se portant partout où il était utile, déjà à moitié mort physiquement, mais toujours revendiquant énergiquement la liberté et la justice sociale.
- « Nul n’entendit aussi bien que lui la voix de l’honneur national, et certains actes de sa vie accomplis en dehors de la sphère commune, que bien des gens jugeaient irréfléchis, étaient au contraire le f"uit de méditations calmes et profondes.
- « Il voulait, par le spectacle d’actions hardies, faire vibrer chez les Italiens la fibre de l’amour-propre,et les enlever au culte exclusif des intérêts matériels.
- « Il ne pouvait se résiguer à l’idée que la majorité des hommss est vile ; que pour un grand nombre, vivre servilement est un instinct; que pour certains, les affaires, les commodités et les aises de la vie, les gains, sont tout, et que pour ceux-là, patriotisme, honneur, dignité, vertu sont des mo*s vides de sens.
- « Garibaldi a fait pour l’Italie plus que n’avaient fait avant lui plusieurs générations de penseurs et de patriotes; mais il aurait fait bien davantage encore, s’il avait trouvé dans le peuple Italien un plus grand nombre de citoyens capables de le comprendre et de le suivre.
- p.365 - vue 366/836
-
-
-
- 366
- LE DEVOIR
- « Et il fat non-seulement l’homme du patriotisme, j le champion armé et constant de l’Uniié Italienne, mais encore le représentant le plus actif de l’humanité. Il voulait, non-seulement l’Italie libre, mais aussi toutes les nations indépendantes et affranchies de même. Pour lui, la liberté, la justice, l’indépendance ne variaient pas de signification suivant les pays, ce qu’il désirait pour sa propre patrie, il le demandait pour les autres peuples, et tant qu’il eût le pouvoir de le faire, il contribua de toutes ses forces à aider autant de nations qu’il y en eût qui luttaient pour la défense de leur sol.
- « Les siècles passeront; bien des idées qui aujourd’hui paraissent éternelles passeront également; beaucoup de morts et de vivants, qui aujourd’hui reçoivent un culte d’honneur et de gloire des coteries complaisantes et des multitudes oublieuses, tomberont dans l’oubli, mais le nom de Garibaldi vivra d’une gloire qui ira toujours en augmentant avec le temps, et tous les peuples de la terre reconnaissants lui rendront un jour des hommages éternels.
- LES HABITATIONS PRÉHISTORIQUES DU NOUVEAU MEXIQUE
- Les villes souterraines préhistoriques du Nouveau-Mexique et de l’Arizona, ont été visitées l’année dernière par le major américain Powel et par M. James Stevenson, du « Smithsonia Instituts. » Les rapports que viennent de publier ces deux explorateurs contiennent d’intéressants détails sur les mystérieuses constructions de ces contrées et sur les Indiens des « pue-blos. » Ces derniers sont disséminés sur une étendue de pays de cinq cent milles de long et de quatre cents de large, situé moitié dans le Nouveau-Mexique, moitié dans l’Arizona. Le nombre des « pueblos » actuellement habités est de trente-quatre.
- Quant aux anciens villages ou villes en ruines, on les compte par milliers, soit dans les vallées, soit sur les plateaux, soit creusés à une grande hauteur dans les flancs des collines ou les versants des montagnes.
- Une de ces villes, visitées par M. Stewenson, devait avoir, d’après ses calculs, une population d’au moins 100,000 âmes. Il en a été exploré des parties distantes de 4 à 5 milles les unes des autres, et, autant qu’il a pu en juger avec ses lunettes d’approche, les excavations s’étendent de 15 à 20 milles dans les profondeurs du sol.
- La plupart des habitations de cette antique cité souterraine, semblables à des ruches d’abeilles, sont en ruines et inaccessibles, mais plusieurs sont intactes, et toutes celles que l’explorateur a vues sont construites sur le même modèle et ne diffèrent guère que par les dimensions. Il n’y a jamais qu’une seule ouverture, qui servait à la fois de porte, de fenêtre et de cheminée, et une unique chambre de forme ovale ayec un foyer au
- fond, et quelquefois, dans les côtés, des enfoncements destinés sans doute à recevoir les ustensiles et provisions de ménage.
- Sur le sommet du plateau, dans les flancs duquel est creusée l’aniique cité, se trouvent de grandes constructions circulaires, dont les murs encore debout, ont 10 et 12 pieds de hauteur. Ce devaient être des lieux destinés au culte. Sur la plus haute cime du grand Potrero de las Vacas, montagne faisant partie de la rive gauche du Rio-Crande ont été découverts des dieux, sculptés dans la pierre, qui étaient adorés par les habitants préhistoriques de cette région.
- Ces dieux sont deux lions de montagne taillés dans le roc volcanique, longs de six pieds séparés l’un de l’autre par un espace de 12 pouces, représentés dans l’attitude que prennent ces bêtes féroces lorsquelles se préparent à bondir. Les têtes ont été presque entièrement détruites à coups de marteau, probablement par les premiers Espagnols qui pénétrèrent au Mexique, mais les pattes, le corps et la queue sont à peu près iDtacts.
- Les indiens Cochiti de nos jours rendent encore hommage à ces idoles, et ceux qui accompagnaient les explorateurs du « Smith-Sonian institute, ® quoique se disant catholiques, ne consentirent sous aucun prêtexre à les toucher.
- Au nord de l’endroit où sont ces deux lions, on rencontre une série d’habitations creusées dans le rocher faisant toutes faces au sud.
- Ces habitatious, bien qu’inférieures à celles delà même époque que l’on voit dans l’Arizona, n’ont évidemment pas été construites par des nomades. Elles sont peut-être antérieures à l’occupation du pays parles Aztecs.
- Quant aux hiérogliphes qui recouvrent les demeures et les temples du Nouveau-Mexique, les caractères ressemblent à ceux qui sont employés de nos jours par les Indiens des pueblos, etpourraieatêtre déchiffrés comme ceux de'l’Egypte, du moins partiellement.
- BIBLIOGRAPHIE
- Nous avons reçu la 2e partie du Roman d'un prêt?*, par M. L. Gagneur, cette deuxième partie est intitulée :
- Le Crime de l'abbé Maufrac
- Elle constitue un fort volume in-18 de 400 pages, en vente à la librairie Dentu» Palais-Royal, au prix de 3 fr. 50.
- L’auteur continue, dans cette dernière partie du roman, l’exposé des douleurs et des crimes engendrés par les situations contre nature qu’entraînent les vœux des prêtres et la vie monastique.
- Les secrets et les turpitudes de la vie cloîtrée ; les aberrations des âmes dévotes; la faeilité avec laquelle les membres du clergé peuvent échapper à la responsabilité de leurs actes, quelque répréhensibles qu’ils soient, grâce à l’institution dont ils relèvent, tout cela est présenté au lecteur dans ce style vif, imagé, palpitant d’intérêt qui est le propre de M, L, Gagneur.
- p.366 - vue 367/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 367
- bibliothèque du familistère
- Minod, gérant du « Bulletin continental » à fîeufchâtel (Suisse), offre à la bibliothèque du Familistère les ouvrages dont la liste suit :
- — Les actes du Congrès de Genève 17,23 septembre 1877 2 forts volumes in-8.
- première session Congrès de Genève, étude juridique par M. le professeur Sbeldon Amos.
- — Actes relatifs à la police des mœurs de France.
- — La police des mœurs jugée par les hygiénistes partisans de ce système.
- — L’Etat et la moralité publique par D. Sautter.
- __ Conférence populaire du 22 mars 1877, tenue à la Chaux-de-Fo'nd à l’occasion d’un vote municipal relatif aux maisons de tolérance.
- —Une voix dans le désert, par Mme Joséphine E.Butler deLiverpool.
- Au nom de la population du Familistère, nous offrons à M. Minod de sincères remerciements.
- La bibliothèque du Familistère vient de s’enrichir, en outre, grâce à la libéralité d’un des membres de ses conseils dont nous ne sommes point autorisé à dire le nom d'un ouvrage‘précieux de métallurgie, le traité intitulé : « De la Fonderie » par Guetier. C’est le livre le plus estimé des hommes compétents de la partie, parce que c’est celui qui fournit les renseignements les plus prati-ques et les plus utiles pour le progrès de cette industrie. C’est pour faciliter aux travailleurs de l’usine l’étude des divers éléments de leur profession que le donateur en a fait le sacrifice à leur profit, et nous ne saurions trop applaudir à cette pensée, et le remercier au nom des habitants du Familistère,
- T7» OHCguO". '» —-,
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE :
- Le 3 Juin —Elise Drocourt, fille de Louis Drocourt et de Julia Vandois.
- IL«a Comète de 18813
- La Comète qui sera visible dans quelques jours Pour tous les habitants de l’Europe est en route depuis bien des années, depuis bien des siècles. Si elle Jient de l’étoile la plus proche, le voyage n’a pas duré moins de yingt millions d’années! Elle n’a ja-Qiajs traversé nos régions planétaires ; du moins, c est la première fois qu’on l’observe. Depuis deux jsois environ, nous la suivons au télescope et nous Y°yons approcher. Elle est aujourd’hui à 33 mil-lQns de lieues de nous, et à 27 millions de lieues du 9nnn ‘ vitesse qui était ces jours derniers de UO.OOO et 950,000 lieues par jour, surpasse actuellement un million de lieues par jour /,.. De son côté,
- la Terre vogue, comme chacun sait, autour du foyer solaire, dans un essor respectable de 643,000 lieues parjour.
- Vous pouvez déjà l’apercevoir à l’œil nu, cette mystérieuse exploratrice de l’infini. Cherchez dans le ciel du Nord, ou plutôt du nord-ouest, à gauche et un peu au-dessus delà constellation de Cassiopée, qui ressemble à un gigantesque W : aujourd’hui samedi elle passe à gauche de l’étoile iota de Cassiopée, qui brille sur le prolongement du premier jambage du W. Puis elle va filer en ligne droite vers le couchant, traverserai grande vitesse les constellations de la Girafe et du Cocher, et se plongeia le
- 10 juin prochain dans les feux solaires pour s’enfuir de l’autre côté du monde et disparaître à nos yeux. Alors, elle apparaîtra soudain, éclatante, aux yeux des habitants de l’autre hémisphère.
- Son éclat va augmenter progressivement et rapidement. Elle deviendra beaucoup plus lumineuse que celle de l’année dernière, et il est même probable qu'on pourra l’apercevoir en plein jour à l'œil nu. Elle augmentera, disons-nous, d éclat de jour en jour; mais, malheureusement, le clair de lune va arriver et grandir en même temps qu’elle, et d’autre part, elle se précipite sans perdre une minute vers l’astre qui l’attire, de telle sorte qu’au commencement de juin, à l’époque de sa splendeur, son noyau, plongé dans le rayonnement solaire, aura dispara au-dessous de notre horizon après le coucher du soleil. On pourra voir alors une immense colonne de lumière s’élevant obliquement dans le ciel du nord-ouest Peut-être même pourra-t-on, le 9, le 10 et le
- 11 juin, contempler en plein soleil la comète visible dans le voisinage de l’astre éblouissant. Faisons des vœux pour que le ciel soit pur : ce sera là un spectacle astronomique de la dernière rareté.
- Voici le bulletin de la comète ;
- Le 12 mal, elle arrivait à une distance du Soleil égale à celle de la Terre (37,000,000 de lieues), et sa vitesse était de 909,000 lieues par jour.
- Le 22, elle atteindra la distance de Vénus (27,000,000) et sa vitesse sera de 1,060,000 lieues par jour.
- Le 2 juin, elle glissera dans le voisinage de l’orbite de Mercure (14,000,000) et sa vitesse sera de 1,431,000 lieues par jour.
- Le 10, elle passera à son périhélie, à 2,250,000 lieues du globe solaire, dont le diamètre ne mesure pas moins de 345,500 lieues : elle se précipitera alors avec une vitesse s’élevant au taux d î 3,682,000 lieues par jour, — soit 153,000 lieues à l’heure, contournera le Soleil dans réblouissement d’une splendeur sans égale, et, emportée sur une seconde branche de parabole symétrique de la première, ira désormais en s’éloignant de l’astre radieux, mais comme à regret, avec une lenteur croissante. Peut-être l’astre vagabond va-t-il disséminer à travers les champs de l’espace les semences cosmiques fécondées dans les ardeurs du périhélie.
- Si nous pouvons calculer d’avance avec précision sa route et son. éclat (le 10 juin, elle sera au moins trois mille fois plus brillante que le 19 mars, date des premières observations), il n’en est pas de même de l’étendue et de la forme de sa queue. Certaines comètes ont projeté dans l’espace des queues de 40, 50, 60, 80 millions de lieues de longueur ; d’autres se sont ouvertes en éventails de cinq ou six rayons;
- p.367 - vue 368/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- une autre s’est fendue en deux du haut en bas, et même s’est tout à fait désagrégée en une pluie d’étoiles filantes. La comète actuelle émet déjà un rayon en forme de panache qui mesure plus de deux cent mille lieues. Nos lecteurs savent certainement que ces mystérieux rayons sont absolument transparents, impodérables et situés, non pas en arrière des comètes dans leur marche, mais toujours à l'opposé du Sob.il.
- En ce moment, la route de la voyageuse dans l'espace est presque perpendiculaire à notre rayon visuel ; elle est à son minimum de distance de la Terre, elle va s’éloigner de nous à mesure qu’elle se rapprochera du Soleil. Mais après avoir fait le tour de la cité centrale, elle reviendra vers notre province errante, et même on a déjà pu calculer que le 11 juillet prochain elle traversera l’orbite suivie annuellement par notre planète autour du foyer lumineux. Le noyau ne pass ra pas à plus de 178,000 ii *ues de cette orbite; c est moins de deux fois la distance de la Lune.
- *
- # *
- La Terre et la Lune pourraient donc être plongées dans les vapeurs cométaires, dans lesquelles l’analyse spectrale a constaté la présence dominante de l'hydrogène et du carbone. Nul ne peut prévoir quelles seraient les conséquences physiologiques du mélange chimique de ces vapeurs délétères et brûlantes avec l’atmosphère que nous avons l’habitude de respirer.
- Cependant, les calculs s’accordent pour montrer que les plus immenses comètes de quelques-unes ont atteint 400 et 500,000 lieues de diamètre : exemple, celle de 1811, dont la queue s’étendait sur une longueur de 44 millions ne lieues, — les calculs, dis-je, montrent qu’elles ne pèsent presque rien, n’ont qu’une très-faible densité, et ne pourraient sans doute même pénétrer à travers notre atmosphère. Mais, il ne faut pas oublier qu’elles sont lancées avec une vitesse formidable, que leur température est fort élevée, puisque leurs éléments sont à l’etat d'incandescence, et que plusieurs noyaux ont paru composés d’une agrégation de bolides et d’aréolites immergés dans un gaz brûlant. Si la rencontre n’était pas mortelle, elle ne serait probablement pas non plus tout à fait inoffensive.
- Quoiqu’il en soit, la comète doit arriver sur l’orbite terrestre le 11 juillet prochain. Mais... notre planète errante ne sera pas là pour recevoir cette visite : elle est passée sur cette route le 14 avril dernier, et elle roulera alors à des millions et des millions de lieues de la nébulosité cométa re,
- *
- * ¥
- Le rôle des comètes dans l’tînivers est encore une énigme. Elles semblent faire exception dans l’harmonie générale des mouvements célestes et traverser cette harmonie comme une fugue étrangère à la mélodie des chœurs. Voyagent-elles d’une étoile à l’autre, — c’est-à-dire d’un soleil à l’autre, puisque chaque étoile est un soleil — et circulent-elles de systèmes en systèmes ? Quelques-unes, en traversant nos contrées planétaires, ont subi l’attraction du puissant Jupiter, de Saturne, d’Uranus, qui constamment leur tendent des pièges invisibles : elles ont été capturées, et sont désormais fixées dans notre monde solaire pour ne plus s’en échapper.
- Toute comète qui s’est laissé une seule fois détour-
- ner de sa route par l’influence attractive d’une planète change absolument de destinée : c’en est fait de la voyageuse intersidérale ; après avoir visité le Soleil la petite nébuleuse devra revenir au point même où elle a s_bi l’indiscrète influence et désormais elle gravitera suivant une courbe fermée, suivant une ellipse. Autrement, elle reste libre et peut courir indéfiniment le long des paraboles ou d’hyperboles ouvertes dans l’infini.
- Il est probable qu’en général les comètes qui nous visitent sont des nébulosités abandonnées au commencement du monde solaire, des restes extérieurs de la nébuleuse primitive dont le Soleil, la Terre et toutes les planètes sont des condensations. Insensiblement, le foyer central les attire; elles viennent voltiger autour de lui comme des papillons autour d’une flamme. Un grand nombre peuvent descendre des autres systèmes et être rencontrées par notre république flottante dans notre translation vers la constellation d’Hercule. Tout invite à penser qu’il existe ça et là, disséminées sur les plages célestes, flottantes sur les vagues éthérées, quelques comètes disloquées, ruines des naufrages de millions de mondes, épaves qu’un tourbillon remporte. Képler pensait qu’il y a autant de comètes dans le ciel que de poissons dans l’Océan.
- L’analyse de leur lumière montre en général — rapport assez inattendu — un spectre analogue à celui de la flamme de l’alcool. Autre coïncidence, pins profonde et plus importante : le fait de la présence du carbone, de l’hydrogène et de l’azote dans ces laboratoires du ciel est d autant plus remarquable que la vie a précisément commencé sur notre planète par la combinaison chimique du carbone avec l’hydrogène, l’oxygène et l’azote, pour former les premières cellules albuminoïdes.
- Ces mystérieuses exploratrices de l’infini seraient-elles destinées à recueillir les derniers soupirs des planètes défuntes et à semer la vie sur les mondes futurs ?...
- Mais arrêtons-nous ; les ailes de ces blondes mes-sagèr s nous emporteraient jusqu’aux étoiles — dont la plus proche plane à hwt mille milliard? de lieues d’ici. Le voyage serait un peu long; il l’est déjà: revenons sur la Terre.
- Camille Flammarion.
- Chemin de fer de Guise à Huiut-Queutin
- A l’occasion du concours de musique qui aura lieu à Saint Quentin, le Dimanche 11 courant, un train spécial public sera organisé de G-uise à Saint Quentin avec l’itinéraire ci-après:
- Guise dép. 7h. mat. — Lesquelles dép. 7 h. 08 m. — Vadencourt dép. 7 h. 17 m.
- — Longchamps dép. 7 h. 26 m. - Macqui-gny dép. 7 h. 34. — Origny dép. 7 h. 54 m. Lucy dép. 8 h. 03. — Ribemont dép.8 h. 13 m. — Séry dép. 8 h. 22 m. — Mézières dép. 8 h. 28 m. — Itancourtdép. 8 h. 44 m.
- — Saint-Quentin arrivée 9 heures.
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36»
- p.368 - vue 369/836
-
-
-
- j. ANNEE, TOME 6 — N“ 197
- £e numéro hchimnadain 20 c. DIMANCHE 18 JUIN 1882.
- SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant F ondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Sis mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMAIRE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m ’w m s
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- • Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l'administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Le Socialisme Pratique. — Nouvelles du Familistère. — Faits politiques et sociaux. — Histoire de l’association Agricole de Ralahine.— Le Congrès d’Oxford. — Causerie anticatholique et religieuse : Le prêtre. — Lettre cVun conscrit allemand à M. de Bismarck. — Bibliographie. — Variété.
- LE SOCIALISME PRATIQUE
- I
- Lorsqu’il y a dix-neuf siècles, le Christ parut sur la terre et fit connaître sa doctrine qu’il allait prêchant de bourgade en bourgade sur les rives alors gracieuses du lac de Tibériade, il fut considéré avec raison par les conservateurs du temps, pharisiens, scribes, sadducéens, tous membres des classes dirigeantes, comme un perturbateur de l’ordre établi, comme un révolutionnaire digne de la potence à laquelle il finit par être cloué. Il prêchait l’égalité des hommes et la fraternité, en déclarant que les derniers seraient les premiers dans le royaume céleste
- idéal de la vie future, et dans toutes les sociétés plus ou moins aristocratiques de l'ancien monde comme du monde moderne, la doctrine de Légalité a toujours été tenue pour subversive.Impitoyable aux hypocrisies de la bourgeoisie juive, il frondait énergiquement ses vices et ses étroites idées, et il s’attira ainsi la haine de cette catégorie influente de citoyens qui jurèrent sa mort et tinrent leur serment.
- Plus tard, ses doctrines, réputées révolutionnaires de son temps, devinrent la base de toutes les législations du moyen âge, et toutes les individualités qui, docilesàlaloi inéluctable du progrès, voulurent faire faire un nouveau pas en avant à l’humanité, les Gior-dano Bruno, les Arnaud de Brescia, les Savonarole, les Jean Huss et tant d’autres, se virent tour à tour traités de révolutionnaires, condamnés et mis à mort dans les bûchers par le clergé devenu alors la classe dirigeante par excelle nce, au sein de cette société vouée dès lors à l'obscurantisme immuable de la foi.
- Si l’auteur de la Réforme au seizième siècle échappa au sort de ses devanciers, ce n’est point que ses idées de progrès ne blessâssent le sentiment de conserva^ tion de Tordre établi si cher aux classes dirigeantes de tous les temps, mais parce qu’une partie de l’Europe était lasse du joug si pesant de l’aristocratie cléricale et du saint-siège, dont les mœurs étaient la honte et le danger suprême de l’humanité. Les princes impatients de ce joug despotique furent heureux du prétexte qui leur était offert de le secouer, et ils n’en laissèrent point échapper l’occasion. Mais l’on accepta un mal pour s’affranchir d’un mal plus intolérable encore, et ce fut là la cause du succès de Luther.
- p.369 - vue 370/836
-
-
-
- 370
- LE DEVOIR
- Plus tard encore, les philosophes du dix-huitième siècle, également honnis par l’aristocratie et les classes dirigeantes, ayant préparé les voies à la grande régénération sociale accomplie par la Révolution française, les hommes qui y coopérèrent le plus activement furent bientôt en butte à la haine, à la calomnie, à la persécution de la part des hommes d’ordre, des conservateurs, et ceux qui ne portèrent point leur tête sur l’échafaud, ou qui ne trahirent pas leur noble cause pour servir un maître, traînèrent une existence misérable dans l’exil et le dénû-ment.
- Depuis lors, les républicains, héritiers naturels des grands conventionnels à qui la France doit l’inauguration de l’ère nouvelle de liberté et d'égalité politi-tiques, furent pendant longtemps l’épouvantail et le cauchemar de ces dignes membres des classes dirigeantes qui avaient remplacé la noblesse et le clergé dans la direction des affaires du pays. La Révolution, dans son œuvre violemment interrompue, avait aboli l’aristocratie de naissance, mais pour laisser à sa place celle de l'argent tout aussi nuisible, tout aussi rétrograde que sa de vancière.
- Comme le Christ, et comme les innovateurs du moyen-âge, les républicains furent considérés encore comme des perturbateurs de l’ordre social, des révolutionnaires, des hommes dangereux, que l’on poursuivait par tous les moyens possibles, et que l’on eût voulu pouvoir anéantir. Pourtant les républicains proprement dits, au commencement du siècle, n’avaient généralement en vue qu’une réforme politique raisonnable modérée et juste ; mais l'antipathie des gens dits conservateurs pour toute innovation, quelle qu’elle soit, est si forte, que la moindre doctrine nouvelle de progrès les effraye et les terrorise, et tout leur paraît bon pour en arrêter les progrès. Sous Charles X et Louis-Philippe, un républicain était pour ainsi dire un scélérat dont on avait peur et que l’on traquait. Béranger, qui était plutôt, comme Paul-Louis Courrier, anti-clérical et anti-royaliste que républicain, fut poursuivi à maintes reprises par les tribunaux, qui le condamnèrent toujours, quoi-qu’innocent, comme ils condamnent tous ceux qui ont le malheur de trouver que le gouvernement établi n’est pas le meilleur des gouvernements.
- Mais comme le progrès marche toujours, quelles que soient les résistances qu’on lui fasse, quels que soient les obstacles qu’il rencontre, un jour vint où la République devint le gouvernement national, et le titre de républicain cessa d’être pour ainsi dire un stigmate, parce que l’idée en était enfin entrée sinon dans les mœurs, du moins dans les esprits. En 1848,
- être républicain ne fut plus un délit passible des tribunaux, et l’on put avouer son républicanisme sans s’exposer à être montré au doigt.
- C’était un pas de fait. Mais cet épouvantail disparaissant, on en trouva promptement un autre, caries classes dirigeantes ont un besoin tel de croquemi-taine, qu’il semble qu’elles ne puissent plus vivre sans cela. Aux républicains succédèrent donc les socialistes, et le socialisme devint alors ce qu’avait été jusque-là l’opinion républicaine. Le socialiste fut considéré comme un homme des plus dangereux, capable de tous les méfaits, cherchant à renverser l’ordre public, à dépouiller les riches de leurs biens, à niveler les fortunes, à spolier les classes qui possèdent, que sais-je ? Heureux lorsqu’on se contentait de le tenir tout simplement pour un songe-creux, un utopiste, un rêveur se berçant d’illusions et se nourrissant de chimères.
- Pourtant la transition de l’égalité politique et des réformes quelle nécessitait, à l’égalité sociale était dans la logique des choses, et après avoir aboli le servage et la corvée, il était naturel que l’idée de l’abolition du paupérisme préoccupât les esprits. Lorsqu’on a eu beaucoup de peine à poser les fondements d’un édifice, on ne considère pas l’œuvre comme terminée parce que les premières assises dépassent le niveau du sol, et l’on continue la construction jusqu’à ce que la toiture soit posée.
- Les souffrances qui résultaient des institutions politiques une fois soulagées, restaient les misères sociales qui exigent un remède aussi prompt et tout aussi urgent au moins. S’il est des êtres dont l’égoïsme étroit et le cœur sec aiment mieux nier ou ignorer le dénuement des autres au sein de leur abondance, il en est aussi, heureusement pour la société, qui savent voir le mal et se préoccuper d’en rechercher activement le remède, et c’est parmi ces derniers qui sont nés les divers systèmes imaginés dans ce but. Pénétrés du besoin de reformes à opérer pour l'amélioration du sort des classes laborieuses, des esprits élevés, de nobles cœurs se mirent résolument à l’étude de cette question humanitaire entre toutes, et chacun s’évertua à trouver un procédé capable d’amener cette modification indispensable dans les institutions sociales.
- Comme de raison, parmi les divers systèmes éclos dans les cerveaux de ces philanthropes, depuis Thomas Morus jusqu’au fondateur du Familistère^ côté d’incontestables vérités beaucoup d’erreurs se glissèrent,et c’est le prétexte de ces erreurs que l’égoïsme object des classes dirigeantes saisit avidemment pour jeter la déconsidération sur ces hommes, qui valaient infiniment mieux qu’elles, et pour les per-
- p.370 - vue 371/836
-
-
-
- LS DEVOIR
- 371
- gécuter. Innombrables furent en effet les procès intentés sous la restauration, sous Louis Philippe, el sous le second empire aux socialistes, qu’ils appartinssent à l’école de Saint-Simon ou à celle de fourier, à l'internationale ou à toute autre idée collectiviste,etencore aujourd’hui être socialiste n’est pas une recommandation aux yeux des tribunaux.
- Le socialisme n’est pourtant autre chose que la science des théories formulées en vue de reformer les abus sociaux, et d’introduire la pratique de la justice et de la vérité dans les sociétés humaines, en rétablissant partout les véritables principes du droit et du devo:r.
- « Le véritable socialisme, dit l’auteur de « solutions sociales » consiste dans l’étude des problèmes sociaux, des rapports des individus entre eux, de leurs intérêts, des meilleurs principes économiques à introduire dans la gestion de leurs affaires, et particulièrement dans l’organisation du travail et de ses rapports avec le capital,
- « Le socialisme est donc, par sa nature, éminemment pacifique et éloigné de l’emploi des moyens anarchiques que la frayeur et la fureur des partis lui ont prêté. Comment, en effet, peut-on concevoir la mise en pratique ou l’expérimentation d’idées sociales, sans le calme et la réflexion que donnent la tranquillité et la paix ?
- « Toute expérience serait impossible hors de ces conditions ; on n’organise pas dans le désordre. Le socialisme dans sa véritable acception n’étant que l’ensemble des systèmes divers d’organisations sociales, n’est applicable que par voie d’expérimentation locale; et, en effet, aucune école contemporaine n’avait fait appel à un changement politique. Les socialistes des diverses nuances ne proposaient que des essais de réforme s’adaptant aux intérêts sociaux par voie d’expérience, mais sans compromettre l’état social; il n’y avait donc là rien qui motivât les rigueurs dont le socialisme et les socialistes furent l’objet ; les prétendus dangers, tant redoutés pour la société n’avaient d’autre source que les terreurs des ennemis de toute réforme. »
- Mais, comme la marche de l’esprit humain dans la voie du progrès est constante, force a été aux plus récalcitrants de reconnaître l’existence réelle du m;d auquel le socialisme a pour but de remédier, et la nécessité urgente d’en chercher et d’en appliquer le remède. Sachant par expérience que l’on n'arrête Pas plus le mouvement des esprits que l’on n’arrête 1® cours d’un torrent impétueux, les classes autoritaires si dévouées au despotisme ont presque compris que pour n’être pas débordées et emportées par le durant, le meilleur moyen était de suivre le mou-
- vement et même de se mettre à sa tête, et c’est pour cela que nous assistons aujourd’hui en Allemagne au singulier spectacle d’un ministre tout-puissant le chancelier de fer d’un gouvernement basé sur le prin» cipe de la monarchie absolue cherchant à organiser dans son pays officiellement le socialisme, un socialisme d’Etat. Tant ilest vrai, que le prétendu perturbateur, le révolutionnaire d’hier est le plus souvent l’organisateur, l’administrateur de demain, et que l’homme crucifié la veille est placé le lendemain sur l’autel.
- Comment s’est opéré ce revirement ?
- (A. suivre.)
- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- La journée du dimanche 11 juin peut être rangée par les habitants du Familistère au nombre de celles que les anciens Romains marquaient d’une pierre blanche, albo notanda lapîllo. C’était en effet ce jour-là qu’avait lieu à Saint-Quentin le grand concours musical, auquel cent soixante-dix corps de musique prenaient part, et l’Harmonie du Familistère figurait parmi les concurrents. Déjà récompensée souvent dans de nombreux concours, elle partait de Cuise le matin à sept heures, accompagnée d’un grand nombre de parents ou amis, et des vœux les plus ardents de ceux des habitants du palais unitaire qui n’étaient pas du voyage. Ces jeunes gens, on le voyait à leur attitude, au départ, étaient animés par l’espérance, mais non pas sans un mélange de crainte et d’inquiétude sur le sort de la journée. Chez plusieurs même la crainte l’emportait sur l’espoir, et la manifestation de ce sentiment avait laissé dans le cœur de ceux qui restaient une certaine émotion, qui rendait plus vif le désir de connaître les résultats au fur et à mesure qu’ils étaient produits.
- Auront-ils un prix, se demandait-on, et chacun, suivant la tournure de son esprit, voyait cet avenir si proche en optimiste ou en pessimiste.
- Aussi ce fut une joie sérieuse, intense, qui se fit jour sur tous les visages, lorsque vers midi une première dépêche arriva annonçant le premier prix de lecture à vue. Pour ceux qui n’avaient rien espéré, c’était un résultat satisfaisant dont ils étaient heureux; mais pour ceux qui, comme nous qui écrivons ces lignes, étaient restés pleins de foi dans la valeur de ces dignes champions de l’art dans ce tournoi d’harmonie , c’était mieux que cela ; c'était un gage de triomphes nouveaux, une promesse de victoires ultérieures. C’est un commencement, disions-nous,
- p.371 - vue 372/836
-
-
-
- 372
- LE DEVOIR
- ils auront encore d’autres médailles. Et nous ne nous trompions pas.
- A cinq heures et demie, en effît, diverses dépêches nous apprenait que notre brave corps de musique venait de remporter le premier prix d’exécution musicale, la couronne d’or. « Premier prix d’exécution; couronne, » disait fort laconiquement le télégramme. A cette nouvelle, la joie se peignit sur tous les visages, et chacun aussitôt informé courait enthousiasmé la communiquer aux autres, si bien que comme une traînée de poudre elle se propagea en un clin d’œil dans toute l’immense habitation.
- Restait une nouvelle lutte à affronter, et les résultats obtenus avaient fait germer désormais l’espoir dans les cœurs les moins confiants le matin. Lajoie acquise, de même que la vitesse des corps en mouvement grandissait, pour ainsi dire, par l’attente d’un nouveau succès, et chacun disait que le télégraphe aurait encore à constater le soir un triomphe. Cette confiance, que l’on se reprochait peut-être comme trop ambitieuse au fond de la conscience, ne devait pas être déçue, et le concours des solis, quoique soutenu contre de très redoutables adversaires fut encore l’occasion d’un nouveau prix, un second, cette fois, pour l’Harmonie du Familistère.
- Nous ne saurions exprimer avec quelle satisfaction nous constatons ces brillants résultats obtenus par de jeunes travailleurs qui, après les labeurs d’une journée bien remplie à l’usine, savent utiliser leurs loisirs dans des délassements artistiques élevés, délassements que tant d’autres ne peuvent trouver que dans les cabarets ou autres fréquentations malsaines et nuisibles. Nous éprouvons un très vif plaisir à féliciter les musiciens du Familistère des récompenses qu’ils ont su mériter par leur travail, et des émotions douces et agréables qu’ils ont provoquées parmi tous les habitants du palais social. Grâce à leur bonne volonté et à leurs études persévérantes ils réussissent à se placer à un rang honorable parmi les sociétés musicales qui ont pris part au concours de Saint-Quentin, c’est un honneur dont la population du Familistère est fière à juste titre.
- Nous félicitons donc cordialement le chef dévoué
- ï
- qui voit ses incessants efforts ainsi récompensés, les ! solistes distingués qui font tant d’honneur à ce j remarquable ensemble, et tous les exécutants qui le ! complètent si bien, et qui ont contribué pour une si ! large part, chacun suivant son pouvoir, à mériter j cette glorieuse couronne. I
- i
- 1
- (i
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- M. Sassari, préfet de Rome, a insisté auprès de la famille de Garibaldi, au nom du premier ministre, pour qu’elle renonçât à son projet de garder à Caprèra ]e corps du défunt, en disant que le corps du grand patriote appartenait à toute l’Italie. Mais Ménotti Garibaldi a répondu a qu’il voulait avant tout se conformer à la volonté de son père. »
- Il sera célébré un service religieux auquel assistera le prince Thomas, représentant le roi.
- L’affluence des visiteurs à Maddalena est considérable ; des services spéciaux de bateaux ont dû être organisés.
- Le maire de Rome a demandé à la famille le sabre de Garibaldi pour qu’il fût conservé parmi les trésors du Capitole.
- On assure que tous les drapeaux seront en berne pen-dant la journée du 18 juin, date de la revue militaire annuelle, et que le roi et la reine paraîtront en deuil.
- On assure qu’en mémoire de Garibaldi, un phare sera élevé sur l’ile Caprera.
- Dans une réunion des membres du conseil déjà Société le Droit des gens, il a été décidé de promener le buste de Garibaldi à travers les rues de la capitale pendant la journée de Dimanche,
- La Voce délia Veritk dit à propos de Garibaldi :
- Avec Garibaldi disparaît un des plus grands hommes de ia Révolution, un des plus grands et des plus francs ennemis de la papauté. Nous nous inclinons devant la majesté delà mort et nous nous rappelons ce mot du divin maître : « Aimez vos ennemis 1 » Si Garibaldi a été l’ennemi le plus violent de l’Eglise, il en a été peut-être le plus loyal. Ce n’est pas de lui que nous viennent les coups les plus durs. Il combattit l’Eglise à visage découvert et sans hypocrisie.
- Un autre journal clérical, le Cassandrino, ayant publié un article offensant pour la mémoire de Garibaldi, une violente démonstration a eu lieu ; les étudiants ont envahi les bureaux de l’imprimerie et ont tout détruit.
- Le pape a donné des ordres à toute la presse catholique, lui enjoignant la plus grande discrétion.
- Le corps de Garibaldi a dû être embaumé en attendant la crémation, la figure commençant à se décomposer.
- Garibaldi a laissé 200,000 fr. à chacun de ses deux derniers enfants, Manlio et Glelia.
- Voici i’acte de naissance de Garibaldi :
- L’an mil huit cent sept, le jour dix-neuf du mois de juillet, a été baptisé par moi soussigné, Joseph-Marie, né le quatre du courant, fils du sieur Jean-Dominique Garibaldi, négociant, et de Mme Rosa Raymondo, mariés en face de l’égjise de celte succursale. Le parrain a été le sieur Joseph Garibaldi, négociant ; la marraine, Martin-Julie-Marie, sa sœur, mes paroissiens. Le parrain a signé, la marraine déclare ne savoir. Le père, présent, a signé. Messieurs Félix et Michel Gustavin, témoins.
- PIE PAPACIN,
- Recteur de Saint-Martin.
- ESPAGNE
- La situation politique et sociale se complique; l’état des choses, dans ce pays de révolutions militaires et de guerres civiles devient grave. L’on se tromperait eu attribuant à la faiblesse le recul de M. Sagasta dans la question douanière. M. Sagasta est un homme à poigne; sa politique est la politique de répression; il n’a jamais été gêné — même dans des époques de gouvernement démocratique, sous Amédée de Savoie — 1872, par des scrupules libéraux, et s’il recule aujourd’hui devant l’attitude des protectionnistes catalans, juste le lendemain d’une victoire parlementaire, c’est qu’il est menace d’un autre côté d’un danger autrement grave. La crise
- p.372 - vue 373/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 373
- i iravailie les provinces du Midi, surtout l’Andalousie, ourrait très bien se traduire par un soulèvement formidable qui appellerait de ce côté toutes les forces dis-oouibles ; d’autant plus qu’il est question de défendre les intérêts des grands propriétaires fonciers, qui possèdent tout ce vaste et beau pays, contre les ouvriers à bout de patience, et prêts à se porter aux extrémités,
- poussés par la faim.
- y La famine qui ravage déjà les provinces andalouses, va prendre dans quelques jours, des proportions épouvantables : ni eau, ni pain, ni travail, voilà le mot de la situation. La récolte complètement perdue, jamais on n’avait vu une disette pareille. Le gouvernement pressé d’ouvrir les ports à la libre entrée des blés étrangers, retarçîe la mesure de plus en plus, et pour cause. Pendant ce temps les blés d’Orient sont débarqués à Barcelone, et les blés américains à Santander et les autres ports de la mer Gantabrique, et les accapareurs les emmagasinent en attendant la hausse. Lorsque l’entrée eu sera affranchie, il n’y aura plus de grains à importer. Le peuple sera bien obligé de payer le pain à prix d’or ou de crever la faim. Et comme le peuple des campagnes andalouses n'est guère endurant, comme il a le caractère indépendant et comme rien ne l’attache à cette terre, où il ne possède un seul lopin, voyez d’ici, ce que serait une révolution agraire dans ce beau pays du soleil et du prolétariat agricole. Le ministère Sagasta le sent bien, et devant ce danger pressant, la question budgétaire, la question douanière, les plans de Gamacbo, to it a disparu. Il est disposé à jeter tout par dessus bord, pour être prêt aux-événements.
- Malheureusement pour le prolétariat espagnol, le Parti socialiste ouvrier n’est pas encore bien organisé, il n’est pas préparé à la lutte, et, pour comble de malheur, les idées anarchistes et autonomistes lui ont tourné la tête et elles paralyseront son action, au cas échéant.
- Quant à ce mouvement de partidos qui a éclaté dernièrement dans la province de Barcelone, il n’est qu’un résultat partiel des grands travaux des protectionnistes pour iorcer la main au gouvernement de Madrid. Se voyant abandonnés par les manufacturiers catalans, qui ont obtenu gain de cause, ou à peu près, du ministère Sagasta, les "quelques calecillas engagés dans l’affaire, et qui comptaient uessus, se sont lancés dans la guerre civile. Ils tiendront campagne tout le temps qu’ils voudront; les montagnes de la Catalogne offrent un terrain très propice pour cette sorte de guerre, et, pourvu qu’on n’ait pas de but politique à défendre, qu’on soit disposé à réquisitionner, à marauder chez les paysans, on peut tenir campagne de longs mois, les troupes n’osant pas toujours s’engager dans des défilés dangereux, contre des partisans qui marchent pendant la nuit, et qui font la guerre d’embuscade.
- D’ailleurs le soulèvement, dont les dépêches ont dû vous rendre compte, présente tous les caractères d’un mouvement carliste ; leur chef est un ancien aide-de«camp du cabecilla carliste Castell, ce qui n’a pas empêché ce champion du trône et de l’autel de lancer un manifeste où il est question des fueros et de revendications autonomistes. L...
- VAtlas nous édifie sur las cosas de Fspana. Il cite le hit suivant d’où se dégage uu enseignement qui a son prix :
- .Dans uue ville de la Catalogne, au moment des derniers événements politiques, un contribuable, ayant refu-é de payer ses impôts avant que le gouvernement aù fait droit à leur réclamation, vit son mobilier saisi, comme on le fit en France, sous l’empire, au brave bambou, dont on vendit la vache.
- Eu Espagne, un saisi a, paraît-il, le droit de désigner ms objets qui seront vendus les premiers. Notre hidalgo Résigna donc un magnifique portrait du roi don Alphonse rès richement encadré et orné de pierreries. Ce portrait 6tait estimé environ 8,000 réaux. On l’exposa donc à la ente sur une mise à prix de 4,000 réaux; aucun acheteur ne se présenta. On baissa a 2,000; pas la moindre iirenchère. Enfin, de diminution en diminution, le Portrait ciu roi fut adjugé à 000 réaux.
- Le propriétaire dut désigner un autre objet pour couvrir le montant de sa dette : il indiqua alors son portrait à lui-même, modestement encadré dans un châssis de 60 réaux.
- La population poussa des vivats, et les mises augmentèrent avec une rapidité telle, que le tableau atteignit le chiffre fabuleux de 6,C00 réaux.
- *
- ¥ ¥
- Affaires d’Egypte. — La Porte a définitivement refusé de prendre part à la conférence ; son ambassadeur à Paris a confirmé à notre ministre des affaires étrangères la décision de son gouvernement sur ce point. La dépêche de la Porte à ses ambassadeurs à Paris et à Londres, en réponse aux instances réitérées de ces deux cabinets, prend soin de faire observer que l’exercice des droits souverains du sultan, consacrés par l’envoi de Dervisch, rend inutile l’intervention des puissances européennes. La Turquie s’en lient donc à sa doctrine suivant'laquelle l’Egypte est « une province faisant partie intégrante de l’empire », où elle seule a le droit de prescrire et d’appliquer des mesures.
- Nous ne savons pas encore quelles seront ces mesures; mais nous sommes fondés à supposer qu’elles auront pour but de faire passer les prétentions turques de la théorie dans le domaine de la pratique. L’une des premières tendra sans doute à placer sous la main du sultan toute l’autorité militaire sur les bords du Nil. Le Standard affirme, en effet, que la mission de Dervisch consiste à encadrer l’armée égyptienne avec des officiers turcs, et l’envoyé de la Porte a donné lui-même à entendre qu’il songe à prendre le ministère de la guerre.
- IL sera curieux de voir comment Arabi accueillera ces intentions, et s’il se montrera plus disposé à céder la place au commissaire de la Porte qu’au khédive. Le Times redoute une explosion du parti militaire, le jour où ce parti s’apercevra qu’il a été l’instrument des ambitions de la Porte, et qu’il n’aura plus rien à attendre des Turcs. Le journal anglais propose même que le khédive vienne à Alexandrie se placer sous la protection des cuirassés européens, afin d’éviter une catastrophe dont la responsabilité pourrait rejaillir sur les puissances occidentales.
- Des troubles graves ont éclaté le 11 juin à Alexandrie entre des indigènes fanatiques et des Européens.
- Il y a eu plusieurs morts et blessés et de nombreuses maisons ont été détruites. La police égyptienne est restée inactive et indifférente, comme si un mot d’ordre avait été donné, et qu’elle fût assurée de l’impunité pour cette infraction coupable à son devoir.
- Des démonstrations ont eu lieu devant le consulat de France, où plusieurs Européens mortellement blessés s’étaient réfugiés.
- Les troubles ont continué sans rencontrer d’empêchement de la part de3 autorités. Au dire des ministres Français et Anglais interpellés le calme est rétabli grâce à l’intervention tardive de la troupe.
- RUSSIE
- On écrit de Saint-Pétersbourg à la Gazette de Voos que le conseil militaire supérieur a résolu de fortifier au plus vite les frontières occidentales de la Russie ; Lublin ainsi que Kovno, qui se trouve sur les frontières allemandes, seront érigés en forteresse de première classe ; un nouveau canal qui traverse le Bug reliera en outre la ville de Pinsk à Minsk, lesquelles se trouvent toutes deux dans le commandement du général Skobeleff. Ces travaux ont pour but d’arrêter une invasion éventuelle de l’ennemi jusqu’à ce que l’armée russe soit complètement mobilisée.
- ALLEMAGNE
- Le Moniteur officiel de Berlin, dans son numéro du 7 juin, publie la loi adoptée, il y a plus d’un mois déjà, par les deux chambres du Landtag, qui modifie profon-f dément le régime imposé jusqu’à ce jour à l’Eglise
- p.373 - vue 374/836
-
-
-
- 374
- LE DETOIB
- catholique en Prusse. Les fameuses lois de Mai ont vécu après huit années d'existence, et avec elles a pris fin le conflit politico-religieux qui restera célèbre sous le nom de Kulturliampf, et auquel cette législation avait donné naissance. L’Eglise catholique sort triomphante de cette lutte, car elle a reconquis presque toutes les positions qui lui avaient été ravies, et elle n’a dû, pour les recouvrer, faire le sacrifice d’aucun de ses principes et d’aucune de ses prétentions. Au premier abord, il peut sembler étonnant de voir le prince de Bismarck capituler devant ses adversaires et confesser ainsi son erreur et son impuissance ; la surprise est moindre quand on songe au tempérament de M. de Bismarck et a ses procédés de politiques. Le chancelier de l’empire allemand n’est pas un ami des conceptions lointaines ; il a toujours devant les yeux un but prochain, oùil tend par toutes les voies qui lui sont ouvertes, et par tous les moyens en son pouvoir. Quand il s’aperçoit qu’il s’est fourvoyé, il ne fait nulle difficulté pour revenir sur ses pas et pour choisir un autre chemin ; dans son dédain des hommes et des institutions parlementaires, il ne juge pas que son amour propre ait à souffrir de ces variations. Il y a huit années, le chancelier a cru voir dans lEglise catholique un ennemi de l’unification de l’Allemagne, qu’il a entreprise, et il a voulu briser cet obstacle. Il fait aujourd’hui l’aveu de son échec, et, comme il a pensé que les cléricaux pourraient devenir à leur tour des instruments de sa politique, il n’a pas hésité à tendre la main à ses adversaires de la veille.
- Le rapprochemant entre deux ordres d’idées si différents peut sembler bizarre ; mais la réconciliation qui vient de s’opérer entre M. de Bismarck et les catholiques
- Ïprussiens est en connexité étroite avec les projets de ois économiques et financières dont le Reichstag est actuellement saisi. Le chancelier a commencé à se rapprocher du parti clérical quand il a vu que l’ancienne majorité libérale ne le suivrait pas dans la voie des réformes qu’il méditait, et la question de la révision des lois de mai a surgi le jour même où. on a commencé à parler en Allemagne du monopole du tabac. La loi que vient de promulguer le Moniteur berlinois est le fruit de trois années de pourparlers, de négociations et d’intrigues diplomatiques et parlementaires. Dans cette partie longue et difficile, le centre ultramontain a toujours eu la main, et sa victoire ne lui coûte aucune concession. Il se retrouve aujourd’hui tel qu’il était à la veille des lois de mai, n’ayant pas transigé avec ses doctrines, mais fortifié et grandi par la lutte dans laquelle il a éprouvé ses forces.
- La loi qui met fin au Kulturhampf, après avoir été adoptée par la Chambre basse, a été votée au commencement du mois de mai par la Chambre des seigneurs. Le gouvernement royal a donc attendu plus d’un mois pour la promulguer. On avait prétendu qu’il se réservait par ce retard le moyen de peser sur le centre, fort intéressé à l’application de la nouvelle loi, de manière à le rendre favorable à ses projets économiques. Quoi qu’il en soit de cette interprétation, le gouvernement prussien s’est dessaisi de cette arme à la veille même du jour où le Reichstag aborde, animé des dispositions les plus hostiles, la discussion finale du monopole du tabac : soit que M. de Bismarck juge cette partie irrévocablement perdue pour lui, soit que, en échange de cet acte de générosité, il espère obtenir l’appui des cléricaux pour de nouvelles combinaisons écloses dans son imagination féconde et hardie.
- ANGLETERRE
- Les journaux ont annoncé l’assassinat en Irlande de M. Bourke et d’un soldat qui l’accompagnait.
- Une dépêche de Dublin dit que le vice-roi vient de publier une proclamation offrant une récompense de 2 ,000 liv. st. à celui qui opérera l’arrestation des assassins et une récompense de 1,000 liv. st. pour toute information particulière qui pourra amener la découverte des coupables.
- Trois nouveaux crimes agraires ont été commis le 9 juin en Irlande :
- Un fermier, du nom de John East, a été mortellement blessé d’un coup de fusil, dans le district de Roscomroon
- Un autre fermier, du nom de Michel Brown, d ns lé comté de Mayo, a reçu un coup de feu dans la cuisse pour avoir loué une ferme mise à l’index. Personne m» été arrêté.
- Enfin, un troisième fermier, du nom de Hickey, a reçu une blessure grave à la jambe, pour des raisons agraires Quatre individus ont été arrêtés à cette oecasion.
- D’après une correspondance de Londres, publiée par le journal Newcastle Chronicle, les nouvelles apportées d’Irlande par les députés revenus à Westminster ne sont guère encourageantes. Tous, sans distinction de parti disent que la population paraît mécontente et irritée’ Dans le sud et l’ouest principalement, l’aversion contré l’Angleterre semble être profondément enracinée. Les autorités se tiennent sur leurs gardes même à l’égard des subordonnés les plus intimes. On dit que le vice-roi est constamment gardé dans ses appartements par deux hommes armés. La seule perspective favorable est une bonne récolte ; dans certains comtés, cependant, une partie des terres ne sont pas ensemencées, les fermiers ayant été expulsés et non remplacés par d’autres cullL vateurs.
- Le Morning Post annonce que le capitaine Swaine succédera au colonel Brakenbury comme attaché militaire à l’ambassade anglaise à Paris.
- ¥ ¥
- Exploiteurs exploités. — Il y a quelque temps un nommé Cornu se présentait à l'hôpital, à Marseille, afin d’être admis comme malade à la salle Saint-Charles. Ce Monsieur ou plutôt Chevalier d’industrie avait su gagner les bonnes grâces de J’Aumônier ainsi que celle des bonnes sœurs.
- Pour obtenir ces bonnes grâces, il reçut le sacrement de la confirmation, alors l’agence se mil* à sa disposition on lui servait des consommés, du beurre, de la crème, même des bouteilles de rhum, et le soir il prenait le thé en compagnie de ces dames, ne se couchait qu’à 9 ou 10 heures.
- Alors que les autres malades doivent être au lit à 7 heures du soir.
- Notre homme, on ne peut savoir comment, se trouvait en possession d’un cachet du Commissariat de police de Tours, grâce à ce talisman il s’adressait des lettres revêtues du sceau, qu’il communiquait à M. l’aumônier, lettres déclarant que le sieur Cornu était le propre fils de M. le commissaire de police à Tours, Cornu finit par en adresser à l’aumônier directement,et ce dernier n’hésita pas à faire admettre notre homme au nombre des malades payants, et répondit pour lui à cet effet de la somme de 3 fr. par jour.
- Cornu était choyé comme un coq en pâte, il mangeait avec les élèves, les suivant dans les salles pendant la visite.il était à l’hospice comme chez lui, tandis que les autres malades sont astreints à demeurer dans les limites assignées.
- De plus, Cornu se commanda deux vêtements, et M. l’aumônier ee chargea d’acquitter cette facture,-espérant toujours toucher de M. le commissaire de Tours, le montant des dépenses qu’occasionnait monsieur son fils.
- Cornu continuait d’avoir carte blanche à la Conception, il avait tellement carte blanche qu’il poussa l’impudence jusqu’à demander en mariage une jeune fille employée à la pharmacie au lavage des bouteilles; mais la trouvant trop mal élevée, il lui fit donner des leçons particnlières à raison de 50 francs par mois.
- Leçons que la pauvre fille a dû payer sur son maigre salaire, son fiancé ayant oublié de solder le professeur.
- Mais le quart d’heure de rabelais finit par sonner, et cela le jour où un infirmier en faisant la c uverture de Cornu, trouva le fameux sceau entre deux matelas.
- L’infirmier informa la sœur de la salle et l’agence de sa trouvaille, et l’autre comprenant que le pôt aux roses était découvert, prit ses effets et partit sans être io* quiété par personne.
- p.374 - vue 375/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 375
- L’aumônier et les bonnes sœurs aimaient mieux protéger de cette façon un abominable coquin, que d’avoir avenir avouer leur bêtise devant un tribunal.
- Voilà comment cette affaire a été étouffée.
- Beste à savoir maintenant si M. l’aumônier a songé à régler les sommes dont il avait répondu, et si l'administration des hospices a reçu les quatre mois de pensions de Cornu.
- Il serait grand temps, croyons-nous, de nommer un directeur où administrateur d’hospice civil, car les bonnes sœurs sont parfois d’une naïveté qui porte grand tort à la Caisse de nos pauvres malades.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XV. (1)
- Voyage à Manchester. — Les coopérateurs.
- D’après le pacte conclu entre M. Vandeleur et les associés les paiements annuels devaient être faits en denrées et en bétail.
- Lorsque le moment de la première livraison fut venu, la Société envoya à Dublin, sous la garde de deux pâtres, 16 animaux engraissés à l’étable. Mais les chemins de fer n’existaient pas encore et les bêtes perdirent en route une part considérable de leur valeur, M. Craig s’était rendu lui-même à Dublin et avait fait livraison du bétail à l’agent qui le vendit et en encaissa le prix pour le compte de M. Vandeleur.
- A son retour, M. Craig passa par Manchester, où il put constater les progrès du mouvement coopératif. Les Sociétés qui n’étaient qu’au nombre de 4 en 1828 s’élevaient à 700 en 1832.
- La grande préoccupation du Congrès qui eut lieu cette année-îà, fut l’organisation de la propagande. Le Congrès adopta, comme un des moyens les plus pratiques et les plus efficaces, la publication d’une circulaire qui précisât le but des fondateurs du mouvement.
- « Ce but, » dit M. Craig, « est aujourd’hui perdu « de vue par tant de personnes qu’il peut être utile « de le rappeler. Il s’agissait d’accumuler les capi-« taux fournis par les bénéfices du commerce, afin “ d’établir des maisons unitaires plus favorables à « la santé et au bonheur que les demeures isolées « actuelles. Présentement nombre de sociétés coo-« pératives sont si loin de mettre en pratique les « principes fondamentaux du mouvement, qu’elles “ n’appellent même pas le travailleur à la partici-
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21, 28 mai et 4 juin 1882,
- « pation des bénéfices. Celles-là,quelque nom qu’el-« les se donnent, ne font qu’exploiter le travail.
- « Si la moité seulement des dividendes des socié-« tés coopératives était mise en réserve pour eon-« stituer un fonds commun qu’on placerait en « achats de terrains, en fondations d’ateliers et de « logements hygiéniques et perfectionnés, dans des « localités choisies, nombre de coopérateurs joui-« raient alors, non seulement des avantages du foyer « familial qui est leur lot actuel, mais aussi des « conditions de sécurité, de confort, de bien-être « et de développement qui sont offertes aujourd’hui « à un groupe de travailleurs français par le Fami-« listère de Guise. »
- CHAPITRE XVI
- Prohibition du tabac & des liqueurs.
- En instituant l’habitation unitaire, MM. Vande-deleur et Craig avaient à tenir grand compte de tout ce qui pouvait influencer la santé et le caractère des enfants de la communauté. On ne sait pas assez, dit M, Craig, les rapports étroits qui unissent l’idiotisme, l’imbécilité et l’intempérance. La nicotine est un poison qui détruit la sensibilité nerveuse et entraîne des maladies spéciales. Le tabac est une plante doublement funeste : elle est mauvaise pour l’homme et pour le sol,
- On a beacoup parlé des difficultés causées par le soudain abandon d’habitudes prises. Certainement l’usage du tabac et de l’alcool était arrivé à un point excessif en Irlande. Cependant l’expérience a donné raison aux mesures prises à Raîahine.
- En proscrivant l’usage du tabac et de l’alcool, l’association évita le tapage et les querelles qu’amène inévitablement la surexcitation causée par la boisson ; les plaisirs, les danses journalières, les fêtes ne furent jamais troublés.
- Au cours des opérations sociales quelques incidents firent comprendre la nécessité de veiller avec le plus grand soin à l’observation de ces règles conçues en vue du confort et du bien-être général.
- Comme on l’a, vu, il était de règle statutaire, en cas de mariage d’un des membres, de soumettre le futur conjoint 4 un vote d’admission ou de rejet. Si le conjoint était rejeté, les deux époux devaient quitter la Société, Nous avons cité un cas d’exclusion prononcé dans ces conditions. Le même cas se produisit pour un jeune homme, neveu de l’intendant qui avait été tué avant l’arrivée de M. Craig. La jeune fille que ce garçon se proposait d’épouser ne fut point admise en qualité d'associée, et le jeune homme dut en conséquence quitter le domaine. Sur
- p.375 - vue 376/836
-
-
-
- 376
- LE DEVOIR
- ces entrefaites trois des membres de la Société se rendirent à une fête de village où se trouvaient des amis de la jeune fille évincée. L’eau de-vie joua comme d’habitude son rôle néfaste en surexcitant les esprits.Une querelle puis une collision suivirent, un des combattants fut frappé à mort d’un coup de pierre.
- Le serrurier de Ralahine, homme actif et très industrieux, fut accusé et convaincu d’avoir jeté cette pierre ; il fut condamné à sept ans de transportation. Le membre qui l’avait accompagné fut renvoyé de la Société, et la troisième personne compromise dans la même affaire, fut privée de ses droits de sociétaire pendant un certain temps.
- Les associés eurent là une nouvelle preuve de l’importance vitale pour eux de la prohibition des boissons alcooliques.
- CHAPITRE XVII
- Conférences instructives par M. Craig.
- L’instruction des membres adultes de Ralahine était excessivement bornée, et M. Craig éprouva de grandes difficultés au début pour parer à cet état de choses, la langue anglaise étant fort peu comprise. Il parvint cependant à force de persévérance et d’efforts à instruire un peu le personnel.
- Les plus ignorants étaient comme partout les plus superstitieux.
- On se rendra compte de ce que devait être l’instruction publique, quand on saura qu’il n’y avait alors qu’une seule école entre Ralahine et Lime-rick, à 22 kilomètres environ de la Société.
- M. Craig fait le tableau suivant d’une école qu’il eut l’occasion de visiter. « Cette école « dit-il », était « installée dans une cabane humide, à peu de dis-« tance de la grand’route d’Ennis. La cabane avait « pour unique fenêtre une très-petite ouverture qui « ne donnait pas une lumière suffisante aux pauvres « petits moutards déguenillés, assemblés sous la « garde d’un maître presque aussi déguenill4qu’eux-« mêmes. Quelques-uns des plus jeunes élèves « étaient assis ou couchés par terre. D’autres un « peu plus âgés étaient sur des bancs ; quelques « grands se pressaient contre la porte offrant leurs « livres à la lumière. Dans un coin de la pièce se « trouvaient plusieurs morceaux de tourbe et quel-« ques pommes de terre apportés par les enfants,en « guise d’indemnité pour le maître.
- « La plupart des enfants demeuraient à plusieurs « kilomètres de distance de cette école; et le pro-« fesseur lui-même devait aller loin pour gagner « son logis, emportant ses indemnités scolaires
- « payées en si pauvres et si lourdes marchan-« dises. »
- A cette misère, à ce dénuement si l’on ajoute les répugnances de l’Irlande catholique à recevoir l’instruction de la part des professeurs anglais protestants, on s’expliquera toute l’ignorance dans laquelle les Irlandais étaient plongés. Le clergé romain ne voulait pas que la bible entrât dans les écoles, tandis que les protestants, de leur côté, ne voulaient instruire l’Irlande qu’à la condition de lui imposer leur catéchisme religieux.
- Malgré leur ignorance lamentable, les habitants du pays étaient généralement de fins observateurs des mouvements politiques. Cependant les journaux étaient de trop haut prix pour qu’on en vendît dans le pays, et M. Craig ne se souvient point d’en avoir vu entre les mains des membres de l’Association de Ralahine.
- Reconnaissant que les associés manquaient de notions exactes concernant certains phénomènes naturels, et qu’il était indispensable de les instruire à ce sujet, M. Craig organisa une série de simples expériences chimiques et pneumatiques qui furent à la fois très-instructives et très-récréatives pour les associés jeunes et intelligents.
- Pour démontrer la pression et l’élasticité de l’air, par exemple, il raconte qu’il se servit d’une pompe à air. Ayant placé sur une assiette un vase de verre d’environ 3 pouces de diamètre, il demanda à un gamin de poser sa main sur le vase. Puis, après avoir pompé, il expliqua comment l’air qui se trouvait dans le vase et faisait pression sous la main de l’enfant ayant été écarté, le petit garçon ne pouvait plus retirer sa main soumise, sans contrepoids, à une pression d’air extérieur d’un poids de quinze livres environ.
- Il démontra aussi la force d’expansion de l’air, et les auditeurs manifestèrent une grande surprise à la vue des modifications opérées par des causes invisibles à leur sens et dépassant leur compréhension.
- En fait, ces pauvres gens ne savaient rien au-delà de leurs superstitions, de leurs croyances aux fées, aux charmes, à la nécromancie. La vieille veuve, mère de six enfants, se trouvait dans l’auditoire. Elle n’avait qu’une connaissance excessivement bornée de la langue anglaise ; elle commença à exprimer en irlandais ses terreurs à propos des expériences de M. Craig. Ses yeux petits et pénétrants semblaient prêts à jaillir de leur orbite, sous l’empire de la surprise et de la peur.
- Remarquant cet effroi, M. Craig varia les expériences dans l’espoir que cette femme finirait par y
- p.376 - vue 377/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 377
- trouver, à défaut d’instruction, un amusement. La
- pauvre
- vieille terrifiée ne put supporter plus long-
- temps ce spectacle ; soudainement elle se leva et s’enfuit de la salle des conférences, déclarant que M Craig avait des relations avec le démon. Une des vaches perdit son lait peu après et,cet accident fut attribué aux dites expériences qui ne pouvaient g)expliquer que par le pouvoir de Satan. On conseilla donc à la femme chargée de la laiterie de se procurer de l’eau bénite et d’en asperger les cornes de la vache, afin d’éloigner les mauvais esprits attirés par M. Craig. L’ignorance est toujours la mère féconde des obstacles au progrès.
- Les conférences donnèrent néanmoins de bons résultats. M. Craig les poursuivit, convaincu que le meilleur moyen de combattre les légendes, les contes de fées et leur cortège de superstitions, était d’éveiller l’esprit de recherche et d’examen, et de répondre à l’amour des jeunes gens pour les nouveautés et l’idéalité, en propageant la connaisssance des merveilleuses inventions du génie moderne.
- Pour se mettre à la portée de ses auditeurs, il s’attacha à initier tout d’abord la jeunesse à l’observation des phénomènes de la vie végétale et à la connaissance des rudiments de l’agriculture.
- (H suivre).
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Le quatorzième Congrès des Coopérateurs anglais s’est tenu cette année le 27 mai, non pas dans une ville industrielle enfumée par les nuages noirs qui forment comme un panache sombre aux hautes cheminées de ses usines, mais dans une cité savante, aristocratique, siège d’une des premières Universités, pour ne pas dire la première de l’Angleterre, à Oxford. Les coopérateurs ayant constaté que l’année dernière à Leeds le nombre des questions à l’ordre du jour du Congrès avait empêché d’en examiner quelques-unes avec toute l’attention qu’elles méritent, si bien que l’on dut se contenter de la simple lecture des rapports rédigés sur certaines de ces questions, les eoopérateurs anglais ont évité cette fois cet écueil en restreignant les débats à quatre questions seulement. Voici le programme tracé à la discussion, par les organisateurs du Congrès dans la rédaction de l’ordre du jour :
- 1° Possibilité de l’extension du système des banques coopératives ;
- 2° De la coopération dans les exploitations agricoles ;
- 3° De l’éducation des coopérateurs ;
- 14° Des revenus du Comité central de la coopération.
- Lorsqu’on suit avec attention le progrès de la coopération en Angleterre et qu’on en étudie la marche, on est frappé de voir combien cette marche dévie insensiblement du but qu’elle paraissait avoir en vue au départ, et l’on regrette qu’une institution destinée essentiellement à rendre plus faciles les rapports du capital et du travail, dans l’intérêt des travailleurs surtout, tende de plus en plus, comme elle le fait, à devenir plus particulièrement financière et profitable exclusivement à ses coparticipants, dont la majorité n’appartient pas à la classe intéressante des travailleurs. Mais avant de faire l’examen critique de ce fait fâcheux à tous les points de vue, nous emprun-; terons à l’organe de la coopération «. The Cooperative News » la relation des Actes de son quatorzième Congrès.
- Les coopérateurs d’Oxford avaient parfaitement fait les choses pour accueillir les hôtes qu’ils attendaient. Chaque délégué à son arrivée recevait des maies des commissaires chargés de les guider un magnifique guide-manuel richement relié, avec un plan colorié de l’hospitalière cité, un beau portrait de lord Reay, le président du Congrès cette année, et les plans des locaux consacrés aux réunions et à l’exposition coopérative, avec des descriptions et notices fort bien faites. C’est grâce à ces dernières que nous savons que le sympathique secrétaire du Comité, M. Vansittart Neale, est pour ainsi dire un enfant d’Oxford, puisque c'est au collège Oriel de cette ville qu’il a fait ses études.
- Le samedi soir 28 mai la réunion préparatoire d’ouverture eut lieu dans la Town Hall sous la présidence de M. George Hawkins qui, avec le professeur Acland, s’était prodigué de toutes manières pour procurer aux coopérateurs un accueil cordial et agréable. Quoique la soirée du samedi ne soit pas très favorable aux réunions dans la religieuse Angleterre, l’assistance était nombreuse, et les discours prononcés substantiels, nourris et assez courts, grâce aux recommandations du bureau, età l’exemple donné par le président et par M, Holyoake, un de ses assesseurs.
- M. Hawkins ouvrit la séance par une rapide allocution, en exprimant les sentiments des eoopérateurs d’Oxford qui se sentaient tout fiers de recevoir dans leurs cités les représentants du mouvement coopératif dans le Nord, le Midi, l’Orient et l’Occident, et en leur souhaitant une cordiale bienvenue.
- M. Holyoake exposa en quelques mots le but de la réunion, qui était de fournir publiquement quelques renseignements sur la coopération, ses moyens d’ac-
- p.377 - vue 378/836
-
-
-
- 378
- LE DEVOIR
- tion et sa manière de procéder, dans le but de donner le plus d’extension possible au mouvement. C’est la coopération qui a le plu> contribué à moraliser les transactions commerciales, en imposant la confiance aux consommateurs et la loyauté aux vendeurs. La coopération n’est pas une concurrence au commerce libre, c’est une création industrielle parallèle, qui n’enlève rien aux bénéfices légitimes du commerce, puisqu’en somme c’est à lui qu’elle a à faire pour ses approvisionnements de denrées et de produits naturels. L’orateur termine en déclarant qu’il aime la coopération parce qu’elle est fondée sur l’honnêteté et sur l’aide de soi-même, et rég ée d’après les principes de l’équité.
- Après lui M. Hepworth fait le tableau de la phase productive de la coopération, dont le succès a été si grand, qu’il a fallu bientôt discuter sérieusement sur le meilleur emploi à.faire des capitaux d’excédant provenant des économies réalisées. Il recommande aux sociétés qui possèdent d’aider et d’encourager celles qui se forment et se trouvent dans la phase de lutte et de début.
- M, Milburne signalant la présence de nombreuses dames à la réunion, constate que dans le Nord elles forment la majorité dans les réunions, et qu’elles sont l’âme du mouvement dans ces contrées. L’homme du Nord croit davantage aux faits qu’aux théories. Les sociétés de la section du Nord avec un capital de 15 millions ont fait l’année dernière un chiffre d’affaires de de 67,100,000 fr. laissant un bénéfice net de 8,600,000. C’est un produit de 57 p. 100.
- M. Macroft fait un tableau rapide desjmerveilleux résultats obtenus par le système coopératifà Oldham à Rochdale, et il espère que les travailleurs d’Oxford sauront les imiter.
- La séance se termina par de chaleureux remerciements aux orateurs et aux membres du bureau qui ont si bien fait leur devoir.
- Tout le monde sait que les traditions religieuses se sont conservées fort vivaces en Angleterre, et c’est à cause de cela que toutes les grandes assises du genre de celle dont nous nous occupons débutent généralement le dimanche par une cérémonie du culte. Le congrès d Oxford est demeuré fidèle aux usages établis, et le dimanche de la Pentecôte, premier jour de sa session, deux sermons, l’un prononcé le matin par le R, Horton dans Congregational Church, et l’autre le soir par le Rév. H. S. Holland dans la cathédrale de Christ Church ont inauguré ses travaux.
- C est dans la salle de Sheldonian Théâtre que le lendemain devait avoir lieu la première séance de travaux. L’heure fixée pour le discours d’ouverture
- de lord Reay était dix heures du matin. Un peu après neuf heures les délégués commençaient à s’y réunir. La salle de Sheldonian Théâtre est une des plus vastes et des plus élégantes du Royaume-Uni et elle compte de nombreux souvenirs historique^ Elle est très élevée, fort bien éclairée et parfaitement a rée ; les sièges y sont confortables, mais une chose y fait défaut, ce sont des tables pour les membres de la presse, qui en sont réduits à prendre leurs notes sur leurs genoux.
- Avec une ponctualité véritablement coopérative les chefs du mouvement montent sur la scène, où est installé le bureau, au milieu des applaudissements nourris de l’assistance, et M. Thomas Hughes prend aussitôt la parole, en qualité de président de la section Sud de l’Union des Coopérateurs.Il rappelle que les années précédentes la tâche d’ouvrir le Congrès, dévolue cette année à lord Reay, a été remplie par les hommes les plus éminents de l’Etat et de l’Eglise. En 1879 ce fut lord Ripon,aujourd’hui vice-roi de l’Inde; en 1880 à Newcastle, l’évêque de Durham, et en 1881 lord Derby à Leeds. Fidèle à l’usage britannique, il présente a l’assistance le président de cette année, dont il trace la biographie en quelques mots, à partir de sa sortie de l’Université de Leyde, jusqu’à sa campagne à la Chambre des Députés des Pays-Bas en faveur du droit d’association. C’est grâce à lui que, dans ce pays, trois ans ont suffi à faire triompher ce principe, pour lequel il a fallu que deux générations entières luttassent sans relâche en Angleterre. Un service pareil rendu à la cause de l’amélioration du sort des travailleurs donne à celui qui en est le promoteur et l’agent des titres incontestables à l’honneur de présider le Congrès national des coopérateurs anglais.
- A la suite de ce discours,l’orgue exécute l’antienne nationale anglaise, que toute l’assistance écoute debout, et lord Reay, président du Congrès prend ensuite la parole.
- « Il est impossible, dit-il, de méconnaître l’influence du mouvement coopératif. Commencé au sein des classes laborieuses il s’est propagé dans des régions plus hautes, où il a pris pied solidement. Les équitables pionniers de Rochdale ne se sont pas contentés de donner un magnifique exemple aux employés des services civils de ce pays, et lorsqu’on reprochait à ces derniers de négliger leurs travaux professionnels pour les magasins coopératifs, ils accoururent chevaleresquement à leur secours pour empêcher les nouveaux coopérateurs d’être écrasés*
- « Les coopérateurs n’ont jamais eu la prétention de renouveler la Société anglaise, et il en est résulté que grâce à eux le frottement, qui presque partout
- p.378 - vue 379/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 379
- ailleurs est douloureux entre les classes,a pour ainsi dire perdu ce caractère en Angleterre. La coopération a été fort loyale dans ses transactions, elle a imposé l’estime, et s’étant montrée la meilleure amie du capital, elle a su organiser l’épargne sur le meilleur pied. Elle a pour ainsi dire fait disparaître la ligne de démarcation qui séparait des classes laborieuses des classes moyennes, elle a augmenté la sécurité des petits capitaux, et contribué matériellement à faire éviter à la Société anglaise le danger qui résulte en France de la haine de l’ouvrier pour le bourgeois. De quoi se composent les sociétés coopératives en Angleterre? Sur 460,656 membres qu’elles comptent, nous voyons 93,000 fermiers, horticulteurs, arboriculteurs et pêcheurs indépendants; 14,000 manufacturiers, propriétaires de mines et entrepreneurs de bâtisse; 124,000 artisans indépendants; 38,900 commerçants; 20,800 entrepreneurs de transport, armateurs et hôteliers; 26.800 médecins, chimistes, professeurs, artistes, auteurs, membres de l’Eglise ou des administrations de l’Etat ou municipales; et enfin 2,900 rentiers, possesseurs de fonds publics et autres sans profession.
- « Le Dr Schulze-Delitzch persiste à attacher une grande importance à la clause impérative du réglement, portant que chaque membre d’une société coopérative doit être responsable de toutes les dettes de cette Société. Il considère cette responsabilité comme la meilleure sauvegarde à offrir par ceux qui n’ont point de capital à ceux qui le leur prêtent. La loi allemande a adopté cette manière de voir, et le créancier après avoir actionné la Société a recouru contre tel ou tel associé pour avoir satisfaction. Cette procédure n’est nullement conforme à nos idées et nous ne saurions en approuver l’application. La responsabilité illimité des actionnaires éloignera toujours d’une entreprise quelle qu’elle soit le capital qui y court trop de risques.
- « A mon avis, dit l’orateur, assurer le paiement graduel des actions, faire que le chiffre d’affaires soit en proportion du capital réalisé, pourvoir à la constitution d’un fonds de réserve suffisant pour parer à toutes les éventualités, et avoir une bonne administration, sont des conditions plus importantes et des garanties plus sérieuses de succès que la responsabilité illimitée de chacun, qui fera probablement défaut le plus souvent là où elle serait nécessaire.
- « En Autriche et en Belgique, la loi a sagement laissé aux intéressés la faculté d’adopter ou d’exclure la responsabilité illimitée de chaque membre individuel des sociétés coopératives. Dans son ouvrage * Des Institutions et des Associations Ouvrières de
- « la Belgique ». Léon d’Audrimont dit : « Si cha-« cun est responsable pour tous, tous sentent la « nécessité de la prudence et de l’ordre. On ne fait « des affaires qu’après en avoir mûrement examiné « les chances diverses, on n’admet dans l’associa-« tion que des hommes rangés ; chacun surveille et « ne s’en rapporte pas exclusivement, aveuglément « au gérant. En un mot, la solidaritén’augmente pas « seulement la force extérieure, la puissance mo-« raie.»
- « Cela peut être vrai dans les petites sociétés, mais dans celles qui ont des proportions considérables c’est fort douteux. Pour tant que les membres puissent surveiller les affaires de la société, ils ne peuvent pas exercer autre chose qu’uncontrôle général et par conséquent insuffisant, et j’attache beaucoup plus d’importance à la surveillance d’hommes, tels que Vansittart Neale en Angleterre, Schuîze-Delitzsch en Allemagne, ZillerenAutriche, Léon d’Audrimont en Belgique et Vigano en Italie, et à la stricte observance des principes et des règles soigneusement adoptés et constamment modifiés, suivant les leçons de l'expérience.
- L’orateur fait ensuite un tableau de la situation des sociétés coopératives en Autriche, où l’on compte 1,119 associations de crédit, 292 associations coopératives dont 273 de consommation, 1,253 banques d’épargnes et 709 institutions municipales de crédit.
- (.A suivre.)
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE à RELIGIEUSE
- Second entretien
- X.© Prêtre
- Le lendemain, fidèle à ma promesse, j’accourais à l’heure indiquée au domicile de mon ami. J’étais avide de ses paroles, car je sentais mon jugement se rectifier devant la force de son raisonnement et la solidité de son argumentation. Celui que j’avais accusé naguère de professer l’erreur, me prouvait, à son tour, d’une façon péremptoire, que moi aussi j’avais besoin de reformer mon entendement sur divers points, et de rompre avec certains préjugés que je prenais pour des vérités acquises et immuables. Ainsi va le progrès, les vérités de la veilie sont quelquefois les erreurs du lendemain, et souvent les théories qui servaient de base à notre raisonnement sont remplacées parce qu’auparavant nous appelions imprudemment des utopies. Savants de toutes écoles, représentants des sciences les plus officielles et les plus autorisées, sachons compter avec l’éternel de-
- p.379 - vue 380/836
-
-
-
- 380
- LE DEVOIR
- main qui porte le progrès dans ses flancs, et redoutons ce maître implacable qui viendra nous convaincre d’ignorance, nous, les princes de la science, nous, que l’on croit impeccables et qui nous croyons infaillibles.
- Charles était peintre à ses heures de loisir, et je le trouvai à mon arrivée en train de peindre la vieille église qui avait abrité vingt de ses plus belles années. Le paysage était assez bien rendu, et son vieux clocher, dont la masse ressemble de loin à une énorme pyramide taillée dans un bloc de granit, avait pris sous son pinceau un aspect magistral et imposant. Je l’arrachai à cette récréative occupation, et nous reprîmes la conversation interrompue la veille.
- —J’ai mûrement réfléchi, mon cher Charles, au plan que vous m’avez exposé hier pour la séparation des Eglises et de l’Etat. Plus j’y pense, et plus je vois qu’il est véritablement pratique, et qu’un habile législateur pourrait en tirer grand profit. En effet, la majorité de nos députés est favorable en principe à cette réforme radicale, mais lorsque nous leur demandons pour la centième fois : A quand l’exécution de votre promesse? ils nous répondent : La question n’est pas mûre.
- Nous ne pouvons nous empêcher, en Considérant la profonde ignorance des masses, la fragilité de leurs convictions, de penser qu’en effet il y aurait peut-être un danger. Dans dix ans, nos législateurs s’abriteront encore derrière les mêmes difficultés, et la question sera éternellement remise, s’ils ne prennent la résolution d’en faire l’application partielle. Quoi d’impossible et d’irrationnel dans cette proposition? Est-on forcé, lorsqu'on fait une cueillette, de dépouiller l’arbre de tous ses fruits? N’avons-nous pas soin en cette occasion de prendre les plus mûrs et de laisser à ceux qui sont encore verts le temps d’arriver à la maturité? Pourquoi dans un autre ordre de choses n’agirions-nous pas avec la même sagesse, la même économie ?
- Votre idée de conférences hebdomadaires est superbe, et votre projet d’établir dans toutes les écoles des théâtres enfantins est une conception d’une grande valeur qui rendra d’éminents services. On craint que la femme ne soit émue et troublée par la suppression subite des cérémonies religieuses, mais les conférences d’un côté, les théâtres enfantins de l’autre, toutes ces réunions instructives et moralisatrices ne l’emportent-elles pas par leur caractère attrayant sur les cérémonies absurd.s et abrutissantes du culte catholique; je les crois capables à elles-seules de les faire oublier. Quant aux dévotes incorrigibles, qu’elles se rassurent, elles trouveront
- encore longtemps dans des établissements privés des messes en latin pour les endormir, et des confesseurs pour leur arracher leurs secrets et leur imposer leurs volontés.
- Je vous fais donc mes sincères compliments pour ces excellentes idées que je voudrais voir germer dans le cerveau d’un de nos législateurs, mais lais-sons-là ce sujet et causons d’autre chose.
- Lorsque vous étiez encore prêtre, il eut été impoli de ma part de vous poser la question que je vais vous faire aujourd’hui ; maintenant que vous avez brisé vos chaînes, je crois pouvoir vous l’adresser sans crainte de vous offenser.
- Les prêtres sont-ils des croyants bien sincères dans leurs convictions, ont-ils foi dans ce qu’ils enseignent aux fidèles; victimes d’une éducation faussée, sont-ils simplement fanatisés, ou ne devons-nous voir en eux que des monstres de perfidie et d’hypocrisie?
- Je vis que j’avais soulevé là un souvenir pénible pour mon ami ; quelques gouttes de sueur perlèrent sur son front, et il fut quelques minutes sans pouvoir me répondre.
- Vous savez, me dit-il, ce que sont les tout jeunes gens qui entrent au séminaire. Fils pour la plupart de parents ignorants et croyants, ils sont de la religion dans laquelle ils furent élevés. Ce qu’il importe surtout d’obtenir du jeune homme que l’on destine à la prêtrise, c’est de soumettre sa raison à toutes les subtilités de la théologie. C’est l’œuvre que l’on poursuit dans les séminaires, et pour la réalisation duquel rien n’est négligé; on travaille les âmes pour les rendre plus malléables, on les pétrit, on les brise dans tous les sens jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien de ce qui constitue l’homme libre et indépendant. La théologie se charge de répondre à toutes les objections que la raison naissante des jeunes initiés pourrait opposer aux absurdités du dogme catholique.
- L’un d’eux se hasarde-t-il à demander à son maître comment il se fait que Dieu qui est juste nous rende tous responsables d’un péché que nous n’avons pas commis.
- Mon ami, répond le professeur, lorsqu’une source est empoisonnée, tous les ruisseaux qui en découlent le sont également; nous sommes à Adam ce que le ruisseau est à la source.
- Une autre question, poursuit l’entêté raisonneur. On dit qu’il y a 300 millions de Bondhistes, 200 millions de protestants, 100 millions de mahométants; ces êtres seront donc tous damnés ? Pourtant parmi ces 600 millions d’hérétiques, il y en a bien quelques-
- p.380 - vue 381/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 881
- uns de vertueux ; comment concilier la justice divine avec cet article de foi.
- Cette question embarrasse le professeur, mais il faut répondre, et répondre victorieusement.
- Vous savez, mes chers amis, que les hérétiques sont privés des bienfaits de la grâce , il y en a par conséquent bien peu de vertueux parmi eux ; mais s’il y en avait quelques-uns, soyez persuadé que Dieu qui est toute bonté, ferait un miracle, s’il le fallait, pour amener leur conversion.
- La justice, tout naturellement, ne saurait se déclarer satisfaite par des réponses aussi stupides, et je suis sûr, chers lecteurs, que s’il vous fallait écouter de semblables inepties, vous bondiriez sur vos sièges, et que vous seriez tentés de jeter par la fenêtre le fanatique qui aurait la témérité de vous les débiter ; mais un raisonneur de 19 ans n’est pas un adversaire bien sérieux, et presque toujours les auditeurs se déclarent satisfaits.
- Joignez à cette éducation faussée les retraites souvent réitérées, accompagnées de jeûnes et de prières, les épreuves du sous-diaconat, du diaconat, jusqu’au moment où le jeune homme est sacré prêtre, et vous ne serez pas étonné qu’un jeune homme relativement instruit tombe au bout de quelques années dans un abrutissement qui n’est pas autre chose qu’un véritable empoisonnement moral.
- L’Etat donne des bâtiments qui sont des palais pour l’accomplissement de cette œuvre pernicieuse qui consiste à fausser l’esprit de quelques milliers d’individus; qu’il leur réserve donc à l’avenir une place dans ses casernes pour en faire des soldats et des hommes ; il leur doit bien cet acte de justice et de réparation ; la vie de soldat aidera à extirper chez ces jeunes gens le poison que le séminaire a inoculé dans leurs jeunes intelligences.
- Ces hommes qui viennent d’être sacrés prêtres et qui vont être dispersés dans nos campagnes sont des croyants à toute épreuve ; ils ne doutent de rien, ni de l’infaillibilité papale, ni de la virginité de Marie, mère de Jésus, ni du pouvoir des saints, ni de la vertu des prières que l’on vend.
- Ils penseraient pécher, s’ils ne croyaient pas à la lettre tout ce qui est contenu dans la Vie des Saints, depuis la descente de Saint-Eucher aux enfers, où il vit l’âme de Charles Martel, jusqu’à la vision de ce saint ermite d’Italie, qui aperçut des diables enchaînant l’àme de Dagobert dans une barque. Iis seraient au désespoir s’ils nourrissaient le moindre doute sur l’authenticité des miracles de Lourdes et de la Salette ; et au récit d’impostures audacieuses telles que celles qu’exploitaient certains moines de Jérusalem qui montraient un doigt
- du St-Esprit, leur raison n’opposerait aucune résistance et ils croiraint encore. J’en parle savamment, j’était de ceux-là.
- Ces jeunes fanatiques sont soumis à la cour de Rome ; ils ont accepté de défendre et de faire triompher ses présomptueuses prétentions et ses ridicules enseignements, ils n’y failliront pas.
- La morale ne tient qu’une très-petite place dans les sermons que font les jeunes prêtres à leurs fidèles, le dogme envahit tout; leur plus grande préoccupation n’est pas d’en faire des hommes de bien, mais des chrétiens suivant le Syllabus. Assistez à un sermon prêché par un des jeunes lévites, vous le verrez mettre un zèle inoui à exhorter ses paroissiens à se livrer à une dévotion outrée, les engager, par exemple, à consacrer le dimanche de la Sainte-Trinité, le lundi au Saint-Esprit, le mardi à l’Ange gardien, le mercredi à St-Joseph, le jeudi au Saint-Sacrement, le vendredi au Sacré-Cœur, le samedi à la Sainte-Vierge, etc., etc., et autres insanités de la même nature qui fourmillent dans les livres de dévotion. La mise en pratique de ces conseils est bien capable de rendre un homme fou, mais de le rendre meilleur, jamais.
- Ce zèle intempéré, cette foi irréfléchie se maintiennent intactes chez le prêtre à peu près une dizaine d’années, puis au bout de ce temps les doutes accourent en foule ; il est bien temps encore pour rompre avec certaines prédications auxquelles vous regrettez de vous être livrés, mais il est trop tard pour quitter le corps auquel vous appartenez ; il faut avoir une force surhumaine, il faut être violenté pour sortir de l’ornière dans laquelle vous êtes embourbés.
- — Je suis heureux de connaître votre opinion sur ce sujet ; le simple prêtre est en effet un auxilliaire subalterne qu’il faut plaindre plutôt que blâmer; aussi, avons-nous le devoir en combattant énergiquement, violemment s’il le faut, le prêtre, notre ennemi, de respecter l’homme, notre frère en humanité. Ainsi, il résulte de votre aveu, que le prêtre, fervent croyant dans les premières années de son apostolat, voit sa foi décroître et chanceler à mesure qu’il avance dans la vie. Mais il est trop profondément engagé pour pouvoir reculer, il est trop complètement identifié avec le corps dont il fait partie, pour ne pas en épouser toutes les craintes, toutes les espérances et toutes les rancunes. Son amour-propre, son intérêt, son entourage, le contraignent à l’obéissance et au dévouement à la cause à laquelle il s’est consacré. Le prêtre de l’Evangile se fait homme de parti, le ministre de paix et d’amour, endosse la peau d’un factieux et s'allie
- p.381 - vue 382/836
-
-
-
- 382
- LE DEVOIE
- avec ceux qui tentent de ramener la société en arrière, pour lutter contra les hommes qui la poussent dans la voie du progrès.
- — Votre peinture est exacte, le prêtre est en effet fatalement entraîné dans la lutte contre les idées modernes ; le voudrait-il, il ne peut pas reculer.
- (A suivre). Edmond Bourdain.
- LETTRE D'OS COTOimiMDA M. DEF1S1ABCK
- Les journaux anglais publient la lettre suivante adressée par un jeune Allemand résidant en Angleterre au prince Bismarck, en réponse à une injonction de se rendre dans une certaine ville de Prusse, pour le service militaire :
- Mon cher Bismarck : Je suis sensiblement flatté de votre gracieuse invitation à rejoindre l’armée allemande, adressée dans ma ville natale, mais je crains de ne pas pouvoir l’accepter, car je suis actuellement occupé en Angleterre au travail plus utile) à mon avis, du moins), d’exposer la science, et d’enseigner aux gens à faire le meilleur usage possible de leurs facultés. Pour la même raison, je me vois dans l’impossibilité d’accepter l’hospitalité de six mois avec nourriture aux frais de l’Etat, que vous voulez bien m’offrir. Je préfère de beaucoup me chauffer au soleil de la liberté anglaise, qu’être despotiquement contraint à la servitude militaire de mon pays. Depuis que j’ai quitté les bancs de l’école, j’ai entièrement renoncé aux batailles. Je ne vois pas que j’aie pour le moment de sujet particulier pour me battre, et je ne me soucie nullement de le faire sur l’ordre de qui que ce soit. Si vous avez une querelle avec quelqu’un, je vous conseille de tâcher de l’arranger à l’amiable, si c’est possible ; et sinon, c’est à vous de la vider vous-même. Si lorsque vous aurez terminé votre recrutement de l’armée, il vous prenait fantaisie de venir assister ici à une de mes leçons de phrénologie, je serai heureux de vous faire toucher du doigt la supériorité de la vie en Angleterre, et de vous expliquer la nature et l’utilité du travail plus utile, je le répète, auquel je me livre, et j’examinerai publiquement ou en particulier votre crâqe, sans aucun frais.
- Mes respects au papa, et croyez-moi votre fidèle.
- G-ustavus Cohen.
- BIBLIOGRAPHIE
- Mme Clémence Royer
- Lo Bien et la loi morale
- Tel est le titre d’un nouvel ouvrage de Mme Clémence Royer. (Librairie.Guillaumin et Ce, prix ; 3 fr. 50.)
- I Mme Clémence Royer ne se contente pas des sentiers | battus, elle marche hardiment à la recherche du vrai et assurément son livre peut donner matière à réfléchir à beaucoup d’esprits. Je ne veux pas dire pourtant qne ses déductions soient exemptes d’erreurs; mais certainement étant donnés les sujets qu’elle aborde et la pensée aidant, le livre peut contribuer à faire voir plus qu’elle ne nous montre.
- Ce livre qui vise à la définition du bien et de la loi morale a le tort, de l’aveu de l’auteur, « d’être la dernière « conséquence d’une longue chaîne de déductions logi-« ques dont la prémisse majeure est, il est vrai, une « hypothèse. »
- Nous pensons qu’un pareil point de départ en semblable matière est grave ; et cette hypothèse qu’elle est elle? « La double manifestation d’une substance unique, « à la fois force, vie et intelligence. »
- Pour nous ce n’est pas là une hypothèse, cette substance unique comprenant la vie,l’intelligence et la force, mais c’est l’Etre infini ! Peu importe les mots dont on se sert pour le définir.
- Là où Mme Clémence Royer fait commencer l’hypothèse c’est quand elle définit la substance, cette puissance qui a tout à la fois : force vie et intelligence ; c’est lorsqu’elle affirme que cette substance se compose d’unités et d’atomes élémentaires, éternels, incréés, indestructibles, irréductibles et mécaniquement insécables. Si cette conception est nécessaire pour que le bien et la loi morale ressortent du système philosophique bâti par Mme Clémence Royer, nous demandons où est la preuve de cette constitution de la substance universelle et de leurs manifestations phénoménales, complexes et toujours d’ordre dynamique, selon les états qu’ils peuvent affecter successivement. Quant à nous, nous pensons que les ressources dont la science dispose et que les moyens limités que notre organisation matérielle comporte ne permettent pas qu’une telle affirmation serve de base à une démonstration scientifique.
- Il est d’ailleurs difficile à concevoir que le bien et la loi morale ne soient pas plus évidents que cette hypothèse. Pour nous, le progrès de la vie dans l’humanité, progrès qui se rattacha à la transformation de la nature, au progrès de la vie dans la plante, dans l’animal, dans l’homme et dans la société, nous paraît un critère plus facile à saisir et plus pratiquement utile. L’auteur dira peut-être : mais c’est le mien. Alors je demanderai : pourquoi la notion qui se dégage de celui-ci n’est-elle pas d’accord avec les prémisses que pose l’auteur : lorsqu’elle dit: «tout ce qui augmente dans le monde la « somme de bonheur est bien, tout ce qui la diminue « est mal. »
- « C’est là, « ajoute-t-elle, » le résumé « de toute la loi a morale. »
- Il y a un côté vrai dans cette affirmation si on l’envisage dans sa généralité la plus étendue, c’est-à-dire s’appliquant à l’humanité entière.
- Mais si l’on considère le bonheur dans tous les cas particuliers aux individus, comme critérium, comme
- p.382 - vue 383/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 383
- rèffle morale du bien, cela conduit aux plus graves erreurs et à une morale des plus dissolvantes ; la morale ^ hommes du jour n’est pas autre chose.
- L’mteur ne conteste pas que chacun comprend le bonheur à^sa façon, et que par conséquent le bien et la morale peuvent être interprétés de mille manière, dès J qu’on leur donne le bonheur individuel pour but. j
- Or, la loi morale n’a'pas une base aussi fragile. Le ’ vrai bien est un, la vraie morale est une, et cela paraît ; évident si l’on considère que le progrès et la perfection J dans la vie sont le but réel de l’existence humaine. j
- Alors au lieu de descendre vers les unités atomiques | supposées de la substance, unités irresponsables, il est j plus satisfaisant de s’élever vers les régions supérieures de l’être et de la vie, certaines pour les uns, en tout cas aussi probables pour les autres que le peuvent être les unités atomiques constituant l’intelligence, la vie et la force dans l’univers.
- En cherchant le principe du bien dans la mission logique et naturelle de l’individu, on est conduit à la morale sociale, seule morale véritable et intéressante pour le progrès humain. L'homme est l’être responsable.
- En ceci il n’est plus besoin de bâtir sur l’hypothèse, les faits parlent d’eux-mêmes ; l’homme est l’agent du progrès. L’intelligence et la vie servent aux actes ; et les actes sont bons ou mauvais suivant leur degré d’utilité pour le bien, le progrès et la perfection de vie.
- Il n’est donc pas juste de dire que « la somme totale « du bonheur chez tous les être individuels est la somme « du bien; » le bonheur de l’individu pouvant, d’après le propre aveu de l’auteur, résulter du malheur d’autrui. Non la recherche du bonheur pour soi n’est pas le moyen d’arriver au bien, elle est au contraire souvent la voie du,n»al ; le vrai bien est dans l’activité utile, dans le dévouement aux autres, il est dans tout ce qui est utile à la vie ; le mal est dans ce qui est nuisible à la vie.
- « Le voleur ou le meurtrier déterminé au crime par la cupidité ou le besoin d’assouvir certaines [passions brutales » trouveront du bonheur dans cette satisfaction, et pourtant elle sera contraire à la loi morale ; ce sera le mal et non le bien.
- L’homme qui, au contraire, sacrifie son existence et son temps à la recherche des choses utiles aux autres, qui emploie sa fortune à la création de ces œuvres utiles, et qui, pour ce motif, subira souvent le dédain des autres hommes, aura pourtant agi en accord avec la vraie loi morale ; ce sera le bien et non le mal.
- Mme Clémence Royer n’a donc pas raison de conclure ainsi :
- « Le souverain bien ou bonheur absolu, consiste pour * chaque individu,dans l’équilibre parfait de ses besoins « sentis avec la possibilité de les satisfaire. »
- Elle perd de vue que le bien et le bonheur sont deux choses différentes ; elle confond les satisfactions physiques et le but moral des actions. Bornons-nous à lui dire qu’il ne peut y avoir de souverain bien pour l’in-
- dividu isolément, que l’idéal de ce bien ne peut se concevoir que daut l’harmonie sociale résultant du 'perfectionnement de la vie humaine.
- Nous ne suivrons pas l’auteur dans sa recherche de la formule algébrique du bien absolu dans l’univers, nous croyons que la formule nécessaire de la morale doit être claire, simple et accessible à toutes les intelligences, qu’autrement elle est sans utilité.
- Nous aimons mieux nous rencontrer avec elle sur des passages comme celui-ci :
- * Dans les mœurs surtout, que de gêne inutile, que « de règles oiseuses et de formalités puériles ont été « imposées à l’homme pour limiter sa liberté sans profit « pour l’espèce ! Le mariage, par exemple, qui n’a « d’autre but social que de protéger le droit de l’enfant « et celui de la mère, en est arrivé à violer ces droits « eux-mêmes. En constituant, à côté de femmes etd’en-« fants privilégiés, une sorte de caste inférieure de v< parias sans droits et sans protection, la loi a créé des « maux qui n’ont pas leur source dans la nature des « choses. »
- Une odyssée de brigands
- Il y avait une fois deux frères,connus sous le nom de James Boys. Franck, Famé, était né en 1841 ; Jesse, plus jeune de quatre ans, était de beaucoup plus audacieux. Ils étaient fils d’un pasteur protestant; mais iis n’en étaient pas devenus plus honnêtes pour cela.
- Ils avaient une vocation, celle du brigandage. Le bien d’autrui exerçait sur eux ce qu’on peut appeler un attrait irrésistible; s’en emparer, tel était leur plus vif désir. Par quels moyens?... oh! par tous les moyens.
- Paves de ces bonnes intentions, Franck et Jesse ne tardèrent pas à rejoindre la bande du fameux Quantrell.
- Cette bande mémorable ne comptait pas moins de deux cents individus, qui se signalèrent par de brillants exploits. Entre autres faits d’armes, iis saccagèrent et brûlèrent le village de Lawrence, dans le Kansas, et massacrèrent tous les habitants mâles. Jesse, qui n’avait alors que dix-huit ans, se vantait d’en avoir tué trente-six pour sa part dans une seule journée.
- C’était un joli monsieur.
- Charmés de leur début, les frères James, se mirent bien vite à travailler pour leur compte, ce qui doit être le rêve de tout bon ouvrier.
- Au mois de septembre 1864, ils s’emparent de la ville de Centralia, dans le Missouri, pillent les magasins, s’installent dans la gare, attendent le premier train, s’adjugent valeurs et correspondances, et, comme il ne faut jamais s’éloigner sans faire un peu de bien, massacrent trente soldats malades, qui se trouvaient dans le train et se rendaient à l’hôpital Saint-Louis.
- La guerre de sécession terminée,ils se séparèrent. Jessese rendit au Texas, Franck s’établit au Kentucky. C’est à ce moment que commence réellement la belle série de leurs crimes et de leurs audacieux coups de main.
- p.383 - vue 384/836
-
-
-
- 384
- LE DEVOIR
- En 1868, Franck prend d’assaut la banque de Itus-seville et emporte 14,000 dollars en or, il court à Galatin, massacre les employés de la Banque et enlève titres, billets et numéraire.
- En 1870, c’est au tour de la banque de Coridon; Jesse et Franck, qui se sont remis à opérer ensemble, enlèvent 40,000 dollars, en 1872, ils mettent au pillage la banque de Colombie.
- Six mois plus tard, ils s’emparent de 4,000 dollars à la banque de Sainte Geneviève. Comme on le voit, | ils ne s’amusent pas à perdre leur temps sur les grands chemins et à courir la montagne. Ils connaissent d’autres moyens de faire rapidement fortune et d’acquérir, à la force du poignet, une honorable aisance.
- En juin 1873, ils arrêtent le train de Chicago et volent six mille dollars.
- La semaine suivante, ils attaquent le Iron Mountain Train, et forcent les voyageurs à leur livrer tout l’argent qu’ils possèdent.
- Ces crimes consécutifs mirent la police des Etats-Unis en émoi ; des détectives, alléchés par l’appât d’une forte prime promise par les banques et les chemins de fer, se mirent à la poursuite des deux frères : mais ceux-ci échappent à toutes les embuscades, et tuent tous les policemen lancés sur leurs traces.
- Us disparaissent pendant un an; on les croyait morts, lorsqu’en 1874, ils attaquent près de Mencie un train du Kansas-Pacific Railway, et enlèvent vingt -quatre mille dollars.
- En 1875, ils essayent de piller la banque de Hun-tingdon; mais les employés résistent et les brigands sont vigoureusement poursuivis ; leur lieutenant, Keen, est capturé après une lutte désespérée. Jesse et Franck parviennent à s’échapper.
- En juillet 1876, ils arrêtent un train du Missouri Railway et dérobent quinze mille dollars; au mois de septembre ils pillent la banque de Northfleld, mais les employés résistent à coups de revolver, le bruit de la lutte ameute les habitants, les bandits quittent la ville poursuivis par la foule. Pendant leur lutte, une querelle s’élève, Jesse veut tuer Younger, parce que celui-ci est blessé, et que le sang qu’il perd pourrait indiquer leur piste.
- On n’est pas plus prévoyant.
- Franck s’oppose à ce meurtre ; des coups de revolver sont échangés, les deux frères se séparent.
- On n’entend plus parler d’eux., quand, en 1879, ils reparaissent à Glendale, enlèvent 30,000 dollars, s’emparent de la caisse du train de Chicago et de celle d’un train de Blue-Cut.
- Cela devait être leur dernier exploit. Il y a quelque temps, Jesse s’était blessé d’un coup de revolver.
- Pendant sa convalescence, M. Crittenden, gouverneur du Missouri, s’entendit avec un certain Ford, qui s’engagea à lui livrer le bandit. Depuis longtemps, la tête de Jesse James avait été mise à prix ; mais Youtlaw ne semblait pas s’inquiéter autrement de cette mesure et il continuait à vivre tranquillement avec sa femme dans une petite maison de Saint-Joseph, village de Missouri.
- Robert et Charles Ford, car ils étaient aussi deux frères, n’eurent pas de grand’peine à capter sa confiance. Les deux frères se présentèrent à lui comme des fugitifs. Ils s’étaient, disaient-ils, évadés d’une maison de détention et ils venaient lui proposer un coup superbe.
- Us exposèrent leur plan. L’entreprise parut excellente à Jesse James, et les deux frères Ford devin-
- f rent les hôtes du bandit. Les trois compagnons co 1 chaient dans la même chambre; le 3 avril, vers ' heures du matin, Jesse James procédait à sa toilett * quand Robert saisit un revolver, ajusta son hôte Pt lui brûla la cervelle. La femme de Y outlaw, éveillé en sursaut, voulut venger son mari, mais les frère! quittèrent la maison en toute hâte, et allèrent se con stituer prisonniers. u'
- Les deux frères Ford ont été traduits devant le tribunal de St-Joseph sous l’inculpation d’assassi nat, reconnus coupables et condamnés à être pendus' Ainsi le voulait la loi. ’
- Bien entendu le gouverneur leur a fait grâce et leur a versé la récompense promise par l’Etat, en attendant celles des Banques et des Compagnies de chemins de fer.
- Ce qui prouve bien qu’en ce monde le vice est toujours puni, — et la vertu récompensée.
- Eucouragemeat de l’inatruotion «Se développemeut de FédL «cation.
- Revue mensuelle des
- ipiÈirsa s&vamiFâMïïÿ
- Des distributions de priée, des primes & récompenses scolaires, de l'épargne scolaire, des musées scolaires, des musées cantonaux, etc., et de l’éducation civique.
- Faire des hommes
- Rédacteur en chef : Henri de Sabatier-Tlantier, propagateur des Fêtes d’Enfants.
- 2e année. — Nos 5 et 6. — Avril et mai 1882
- Sommaire. — Fêtes d’Enfants, II. L’organisation {suite).—Revue de la Presse : L’Education morale dans les lycées et les collèges [Le Temps), de l’Education par les fêtes (Le Devoir) ; l’Education civique et militaire, lettre de Jean Macô (UElecteur Libre). — Les récompenses scolaires. — L’éducation militaire. — Musées scolaires (échanges). — Chronique : la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse ; Allocutions prononcées par M. le colonel Riu, à Blois; la Ligue des Patriotes ; la Société des Alsaciens-Lorrains ; projets de fêtes scolaires. — La Fête des Ecoles de Paris. — Correspondance. — Les Musées cantonaux. — Les Fêtes d’Enfants en 1882, IY : La Revue des pupilles des écoles du Havre à Montivilliers ; la Saint-Charlemagne dans l’Académie de Clermont-Ferrand. — Les fêtes utiles. — Bibliographie : le 3e Annuaire des Musées cantonaux.
- ABONNEMENTS:
- Frange et Colonies. S fr. | Etranger. 6 fr.
- Le numéro : 35 centimes.
- OIN- S’ABONNE s
- A PARIS : A la librairie Ch. Delagrave, 15, rueSoufflot.
- A la librairie Eug. Weill et G. Maurice, 169, boulevard Saint-Germain.
- Et au bureau du journal, à Ners, par Yézenobres (Gard). On s’abonne également sans supplément de prix dans
- tous les bureaux de poste.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.384 - vue 385/836
-
-
-
- Le numéro Itldomadaire 20 c.
- DIMANCHE 25 JUIN 1882.
- TOME 6 — N° m
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 40 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 41 fr. »» Autres pays Un an. . . . 43 fr. 60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- -TfNJUTr—
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- jmk. w m. m®
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l'administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Le Socialisme Pratique. — Le Congrès d’Oxford. — — Faits politiques et sociaux. — Histoire de l’association Agricole de Ralahine. —- Les femmes employées de police. — La statue de Garibaldi (lre liste cle Souscription).— Causerie anticatholique et religieuse : Le prêtre (Suite). — Revue scientifique; Photographie des animaux. — Etat civil du Familistère.
- LE SOCIALISME PRATIQUE
- il
- La vie des peuples, on Ta déjà dit bien des fois, °béit aux mêmes phases que la vie des individus. L’homme dans son enfance sent quelques besoins sommaires pour la satisfaction desquels il ne peut rien, et qui, par conséquent, le placent sous la dépendance absolue de ses parents qui le nourrissent, le ^tissent et lui prodiguent les soins nécessaires à son existence. Il est guidé par eux, et il leur obéit aveuglément, jusqu’au jour où, se sentant plus fort plus capable de se pourvoir lui-même des choses dont il a besoin, il secoue graduellement cette tutelle
- qui de son côté se relâche de plus en plus, et finit naturellement par disparaître au moment opportun. Alors l’enfant a disparu lui aussi pour faire place à l’homme qui pense, qui sait et qui agit. Tant qu’il n’a pu ni penser, ni savoir, ni agir par lui-même, il est resté dépendant et soumis, mais du jour où cette dépendance et cette soumission ont gêné ses allures il s’en est dégagé, et il a conquis sa liberté.
- Les peuples ignorants et neufs sont, comme l’enfant, incapables de se suffire à eux-mêmes, et iis sont par conséquent forcés de se placer sous la tutelle de quelqu’un plus instruit, plus expérimenté, plus fort, et de le lui demander appui et protection. Ce quelqu’un est souvent un soldat heureux, que l’on proclame chef de tribu, de clan, de peuple, roi. A ce point de vue, la royauté, le système monarchique peut convenir peut-être à un peuple enfant. Mais de même que l’individu, après avoir franchi la période critique de l’enfance et de l’adolescence, entre dans celle de la puberté, où des besoins nouveaux plus amples se font sentir, pour lesquels il n’a pas besoin de tutelle, et qu’il cherche à satisfaire par lui-même librement, de même le peuple grandit, et en progressant éprouve des besoins nouveaux et différents de ceux que les monarques pouvaient l’aider à satisfaire. A ce moment le rôle du principe d’autorité appliqué d’une façon absolne doit cesser pour faire place au principe de liberté, et la souveraineté se déplace pour aller du roi à qui elle avait été dévolue au peuple à qui elle appartient en réalité.
- Lorsque les gouvernements comprennent ce besoin populaire et s’attachent à le satisfaire, le principe d’autorité se modifie; d’absolu et personnel qu’il était d’abord, il se fait constitutionnel et représen-
- p.385 - vue 386/836
-
-
-
- 386
- LE DEVOIR
- tatif, et partageant ainsi la souveraineté avec la nation, la monarchie peut subsister encore, plutôt nominative que réelle. Telle est la loi qu’ont suivi les évolutions politiques des peuples dans l’histoire. C’est pour cela que de nos jours un pouvoir despotique et autocratique est un véritable anachronisme, une anomalie fatalement condamnée à disparaître à bref délai.
- Si cela est vrai dans l’ordre politique ce n l’est pas moins dans l’ordre social, et comme dans cet ordre d’idées les besoins de l’humanité sont plus impérieux encore, puisqu’ils portent sur l’existence même des individus et des classes, l’obligation de leur donner satisfaction s’impose plus tyrannique, plus urgente encore.
- Tous les hommes ont en venant au monde un droit strict, inéluctable à l’existence, et toute atteinte portée à Texercice de ce droit, est un crime de lèse humanité. Si dans l’ignorance où il se trouve de ce droit, l’homme, pendant un temps néglige de le revendiquer, il n’en subsiste pas moins, et un jour vient où il en acquiert la conscience, et où il se décide à l’exercer. Ce jour là, le peuple souverain a la conscience de sa force, et si Ton lui suscite des obstacles à Texercice de son droit de vivre, sa vie étant en jeu,il brise ces obstacles, et conquiert par la violence ce qu’on a voulu lui enlever. C’est là la cause de toutes les insurrections populaires, de toutes les révolutions, de tous les cataclysmes dont l’histoire fait mention. Les institutions sociales qui ne donnent point pleine satisfaction à ce besoin et qui font obstacle à l’exercice de ce droit sont, si je puis m’exprimer ainsi,comme le vêtement de l’enfant que l’homme ne peut plus endosser. Si l’on veut le contraindre à s’en revêtir, le vêtement éclate et se déchire, parce que le contenu est plus grand que le contenant, et que, par conséquent, l’on viole toutes les lois de la nature en agissant de la sorte.
- Or, de nos jours les peuples sont sortis de l’ignorance qui les avait empêchés autrefois de revendiquer hautement leurs droits. Les classes déshéritées savent que si elles souffrent du froid, de la faim, de la misère, c’est parce que la loi primordiale de la vie est violée dans les institutions auxquelles on exige encore qu’elles se soumettent, et, devenues adultes, elles ne veulent plus de ces lisières bonnes pour l’enfance qui entravent leurs mouvements, elles refusent de se couvrir de ces vêtements que leurs membres font éclater en essayant d’y entrer.
- Si aveuglés que puissent être les gouvernants, les classes dirigeantes, les hommes qui n’ont eû qu’à naître pour être appelés à jouir de toutes les dou-
- ceurs de l’existence, il leur est impossible de ne pas voir, bon gré mal gré, ce qui éclate aux regards de tous,comme lesrayons du soleil par une belle journée d’été. Les souffrances du peuple se manifestent de plus en plus ouvertement; elles sont criées sur ies toits par la presse, par les orateurs des réunions publiques, par les grèves, lorsque ce n’est point par des exécutions sanglantes et des meurtres, connue en Russie ou en Irlande. L’exploitation outrée des travailleurs par les détenteurs du capital a fini par porter ses fruits, et partout l’exploité menace d’user de sa force contre les exploiteurs,qui jusqu’à présent n’ont pas cessé d'abuser de la leur contre lui. L’Irlande et la Russie ne sont pas les seules qui se soient révoltées à la fin contre ce joug injuste. En Italie,en Espagne, le peuple mourant de faim dans certaines provinces s’indigne, et s’apprête à revendiquer ses droits. Partout l’orage gronde et si Ton n’y remédie, il ne tardera pas à éclater.
- C’est ce qu’ont entrevu en France nos hommes politiques qui commencent à s’occuper de la question sociale; c’est ce dont s’est rendu compte le prince de Bismarck, et ce qui a provoqué de sa part l’essai d'organisation du socialisme d’Etat que nous signalions dans notre précédent article ; c’est ce dont s’apercevront enfin tous les gouvernants, heureux s’ils ne le font point trop tard.
- 11 est donc grandement temps pour tous les gouvernements sans exception de se préoccuper d’appliquer aux institutions les réformes indispensables pour les rendre conformes à la loi suprême de la vie, qui veut avant tout que le droit de chacun à l’existence soit respecté et son exercice favorisé par tous les moyens possibles. Ce droit de l’individu est un droit naturel, intrinsèque, imprescriptible; il est inhérent au fait même de l’existence ; les prétendus droits de la société sur chacun de ses membres n’existeBt pas en réalité,car ce ne sont véritablement que des devoirs, et ils sont le résultat des besoins que l’homme éprouve de vivre avec ses semblables, et non point de l’existence même de la société, comme le droit de l’individu. Il s’ensuit que pour pouvoir exercer légitimement son action, la société est rigoureusement tenue de remplir ses devoirs, et la définition exacte des devoirs de la société vis-avis des individus et des individus vis-à-vis de la société, c’est le socialisme qui la donne.
- Les bonnes institutions politiques doivent être d’accord avec les institutions sociales propres à assurer le bonheur des peuples,et conformes de tout point aux lois naturelles auxquelles est assujettie l’humanité. Or, comme nous venons de le dire, l’homme a le droit
- p.386 - vue 387/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 387
- de vivre par le seul fait de son existence; la société j n’existe que parce que l’homme a besoin d’elle pour pouvoir exercer ce droit dans toute son étendue. Telle est la loi, le droit naturel. Par conséquent, pour que la société ait rempli fidèlement ses devoirs, il faut que tous ses membres soient assurés de pouvoir toujours exercer sans entrave ce droit à la vie. C’est là sa mission principale, pour ne pas dire unique Elle doit aider l’homme à vivre, en veillant à la juste répartition entre tous ses membres des res» sources qu’ils concourent à créer .
- Ces ressources qui constituent la richesse des peuples sont fournies par trois éléments distincts de production, qui sont la nature, le travail, et le capital. Dans cette oeuvre féconde chacun de ces trois éléments ayant sa part, il est clair qu’en bonne justice, la répartition des produits entre eux doit être faite exactement dans la même proportion. A la nature qui fournit libéralement la matière première une part est due dans cette répartition, de même qu’au travail qui transforme utilement ces matériaux, et au capital qui fournit à celui-ci l’outillage et les moyens d’opérer cette transformation. Lorsque la société, par une méconnaissance fâcheuse des lois de la justice, fait dans cette répartition une part exagérée à l’un de ces éléments au détriment des autres, elle manque d’une manière grave à ses devoirs, et en invoquant ses droits dans ces conditions elle devient coupable.
- Or jusqu’à présent, les institutions ont toujours permis et encouragé de toutes façons cette inégalité criante, qui a dégénéré en une véritable exploitation criminelle de l’un des éléments de la production par l’autre, et c’est cet abus que le socialisme s’est donné pour but de détruire, en rétablissant au sein de la société la pratique de la justice par l’équilibre stable des droits et des devoirs de chacun et de tous.
- Ainsi que le dit l’auteur de « Solutions sociales » déjà cité, « la bonne politique et le bon socialisme ne peuvent être ni séparés ni ennemis : — car, si la bonne politique doit consacrer la souveraineté du peuple et inaugurer avec elle la liberté sociale, la morale et la liberté religieuse ; si la politique désintéressée, honnête, la politique de la justice doit nous conduire aux réformes sociales utiles et nécessaires, le bon socialisme, celui du droit, du devoir et de la justice, doit être la science de ces réformes et de leur application. »
- Lô socialisme a pour objet de rétablir les institutions sur les véritables bases de la justice et de l’équité, en améliorant ainsi la constitution des peuples, afin de préparer pacifiquement et légalement l’amélioration du sort des individus. Il professe que
- du bien-être de chacun dépend le bien-être de tous, et du bonheur de tous le bonheur de chacun. Si l’existence des sociétés découle du besoin de l’homme de s’unir à ses semblables pour rendre plus facile à chacun la tâche que la loi naturelle de la vie lui impose, n’est-il pas logique de donner à cette union nécessaire toute sa portée et toute son efficacité, en appliquant ce principe non seulement au groupement des individus en peuples, mais encore aux éléments de la richesse nationale, en les unissant l’un à l’autre par l’association?
- L’association des éléments constitutifs de la richesse est le corollaire naturel de l’existence des sociétés, et cela est si juste et si vrai, que l’on se demande comment elle n’a pas été établie partout dès l’origine des peuples. Nous trouvons bien chez quelques-uns une communauté de biens qui semble être l’idéal des partisans du système communiste. Mais le communisme est impraticable, parce qu’il ne pourrait s’établir sans une spoliation parfaitement injuste d’une part, et parce qu’il ne pourrait exister sans injustice de l’autre. Ce système n’est admissible qu’en tant qu’il s’applique à la part de la nature dans la production, part qui, fournie libéralement par elle à tous, appartient par conséquent à tous, et forme le patrimoine de la communauté. Dans l’association de la richesse et du travail, que le socialisme vrai indique comme le moyen d’atteindre le but, il ne peut y avoir en aucun cas ni spoliation ni injustice. Chacun concourant pour sa part à l’oeuvre commune reçoit en retour de sa collaboration une part proportionnelle à la valeur de cette collaboration dans la répartition de la richesse qu’il a contribué à produire, quoi de plus équitable et de plus correct ?
- Voilà ce qu’il est urgent que les gouvernants comprennent enfin, pour éviter les catastrophes que l’injustice persistante ne manque jamais de provoquer, et pour fonder des institutions politiques et sociales véritables conformes au droit naturel.
- {A suivre.)
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Après cette énumération des sociétés existant en Autriche, le président du Congrès parle du Crédit agricole, qu’il serait urgent d’organiser dans l’intérêt de l’agriculture, d’une façon sérieuse, et il déclare que des banques centrales sont nécessaires pour soutenir les institutions de crédit aux agriculteurs. Il rappelle les décisions du Congrès agricole Autrichien de Décembre 1879, qui a été d’avis que les
- p.387 - vue 388/836
-
-
-
- 388
- LE DEVOIR
- banques populaires ne peuvent pourvoir aux besoins des agriculteurs, et qu’il y avait lieu de créer des institutions distinctes. Les classes agricoles étant aussi aptes, dans ce pays, que toutes les autres classes à se suffire à elles-mêmes, si on les traite comme ces dernières en ce qui concerne le crédit, il il est clair que l’application des principes de la coopération à l’agriculture serait le meilleur moyen à employer, de préférence à tout concours pécuniaire du gouvernemnnt.
- « Quoique la France soit considérée comme la première en matière de coopération de production,ajoute l’orateur, on ne peut contester que l’Allemagne marche aussi d’un pas rapide dans cette voie, comme le démontre la longue liste de ses associations. »
- ..........« En présence des résultats obtenus de
- la sorte dans ces divers pays, on se demande si la coopération anglaise ne pourrait pas acquérir un développement plus considérable dans ce sens. Quel meilleur usage pourrait-on faire des bénéfices qui viennent constamment augmenter les ressources de la coopération de consommation ? La grande différence entre les associations de production et celles de consommation paraît consister en ce que le danger de retrait des capitaux dans les moments de crise est plus grand pour les premières que pour les dernières. C’est pour cela qu’en organisant celles-là, on devrait en tenir compte, et prendre des garanties contre cette éventualité.
- « Le succès d’une Association coopérative de production exige un ensemble de circonstances et de personnes, qui suppose un plus haut degré de civilisation que pour les autres, et une somme de vertus telles que la persévérance, l’abnégation, et la bonne discipline chez tous ses membres. Le principe de la coopération de production est certainement légitime; mais le succès de son application universelle ne s’ennuit pas nécessairement. Là, où, comme à Paris, vous trouverez une agglomération considérable de travailleurs imbus de l’idée que le capital est leur ennemi; que l’inégalité des salaires est un monstrueux abus; que le travail difficile de l’ingénieur civil n’est pas plus méritoire et plus dur que celui du facteur de chemin de fer, qui n’a qu’à rassembler les malles et autres colis sur sa brouette, l’application de la coopération de production pourrait peut-être ne pas donner de résultats satisfaisants, quoiqu’elle ait pourtant réussi en France. L’Association des maçons réalise un bénéfice net de 200.000 fr. et les trois hommes, au travail intellectuel desquels ce résultat est dù tout particulièrement, ne sont guère plus rémunérés que les autres membres, et si ceux ci ont imposé silence à leur jalousie et à leur
- envieuse malice, c’est uniquement dans la crainte de voir ces associés utiles se retirer. »
- L’orateur parle ensuite d’économie politique et des diverses écoles qui se sont formées pour l’enseignement de cette science, de la liberté du commerce, de la théorie de Malthus, des assurances, et termine par les déclarations suivantes :
- « Les expériences révolutionnaires ne sont point des réformes. La coopération est une réforme considérable parce qu’elle n’est point une expérience révolutionnaire. Le mouvement coopératif est vu de mauvais œil par les partis révolutionnaires de tous les pays. C’est probablement pour cette raison qu’en France il n’a eu qu’un succès comparativement médiocre.....
- .....Le jour où la France s’unira de cœur dans le
- mouvement coopératif avec l’Autriche, la Belgique, la Hollande, l’Italie et l’Allemagne, sera salué par nous comme un jour fortuné, non pas parce que le mouvement coopératif ou celui de la libre concurrence commerciale ont besoin de la sanction de la France pour démontrer qu’ils sont vrais au point de vue abstrait, mais parceque l’application en France de vérités abstraites sera une preuve de progrès dans l’état de l’opinion publique dans ce pays.
- « Le grand danger de la démocratie est l’absence de coopération. Le but de la coopération, comme vous le comprenez, est d’atteindre le maximum de l’habileté, le maximum de rémunération, et le minimum de déboursés. Pour y arriver, il faut admettre la nécessité de tolérer la supériorité, quant au premier point, d’accepter pour le second la compétition) et de bien observer la discipline pour le troisième. La démocratie permettra-t-elle aux intelligences supérieures, à l’expérience supérieure de s’affirmer ? Laissera-t-elle libre cours à l’activité individuelle ^ Ecoutera-t-elle la voix de la science, et non pas la voix de la passion? Nous avons eu une lutte entre l’aristocratie de naissance et l’aristocratie de l’intelligence; nous assistons dans bien des pays à une guerre entre la démocratie de la pensée et celle qui n’a pour base que l’aversion pure et simple pour tout ce qui existe. La coopération est une des formes les plus élevées de la démocratie intellectuelle.
- « Les membres des Sociétés coopératives peuvent faire accepter la solution de bien d’autres questions par les esprits bien dressés, habitués à cette rectitude de jugement, à cet esprit de discipline qui exclut la possibilité de prêter l’oreille aux plans chimériques de nationalisation du capital et d’égalisation de la propriété. La merveilleuse prospérité des magasins coopératifs et la prospérité non moins merveilleuse de ce pays n’ont été obtenues que par
- p.388 - vue 389/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 389
- un développement progressif s’opérant lentement.
- « Ce serait une fatale erreur que de prétendre attribuer au mouvement coopératif le caractère et la valeur d’une panacée universelle. Nous laissons ces exagérations absurdes aux gens qui se complaisent dans les fleurs de réthorique ; ils ne sont point tenus d’être des hommes d’affaires. Il y a eu des mécomptes et des insuccès dans la coopération et il y en aura encore dans l’avenir. Les réunions annuelles sont faites pour en diminuer le nombre, et pour accroître le succès du mouvementenaugmentant les garanties et les précautions que l’expérience indique comme nécessaires. L’accroissement remarquable qui s’est produit dans la population des grands centres en Angleterre est un problème aussi difficile que celui de la stagnation qui remplit d’épouvante les économistes Français. La coopération, en se propageant, pourra peut-être remédier dans une certaine mesure aux maux qui résultent de l’augmentation des dépenses de l’Etat, qui préoccupent tant les ministres des finances de l’Angleterre et de la France, et il est heureux à ce point de vue que l’instinct delà coopération soit fortement enraciné dans le caractère national des Anglais. »
- Après ce discours, M. Lloyd Jones, sur l’invitation de M. Hughes, propose un vote de remerciements à lord Reay, et cette proposition est appuyée par M. Goldwin Smith qui constate que la réunion du Congrès dans cette enceinte, où l’Université a l’habitude de célébrer ses fêtes et de tenir ses assises, prouve l’union toujours croissante de l’élément académique avec l’élément industriel. Or, il y a quelques années encore ces deux éléments étaient complètement étrangers l’un à l’autre. Oxford, par exemple, et le Lancashire n’avaient pas plus de rapports entre eux que s’ils avaient été situés dans des planètes différentes. Maintenaot leur union est complète; ils coopèrent ensemble l’an dans la sphère intellectuelle, l’autre dans la sphère industrielle. C'est ainsi que l’Angleterre a échappé aux douleurs du frottement du mouvement industriel dans les autres pays, et elle le doit à des causes diverses, parmi lesquelles il faut compter le bon sens et le caractère sérieux des travailleurs anglais, et la nature généralement !
- libérale des institutions du pays. Elle le doit aussi ]
- 1
- à ce que le mouvement a eu à sa tête des hommes de beaucoup meilleurs que ceux des autres contrées, j des hommes qui, comme M. Hoîyoake ne sont ni j égoïstes ni démagogues, n’ayant à cœur que l’intérêt j réel des classes laborieuses, et qui, lorsque des con- | flits éclatent entre des ouvriers et leurs patrons, ne poussent pas à une lutte interminable à leur profit, mais à l’apaisement et à la justice. C’est aussi dans \
- ces moments critiques, que quelques hommes de l’élément académique sont venus donner la main aux travailleurs,leur prêter l’appui de la science sociale, les guider, leur servir de médiateurs et contribuer puissamment à prévenir la lutte.
- M. Milburne dit qu’il y a lieu de se demander quel est le but du Congrès. L’un de ses principaux objets est d’étudier le moyen de faire disparaître la pauvreté et les maux qui l’accompagnent, le moyen de mettre un terme aux luttes et aux divisions trop fréquentes entre les intérêts rivaux du capital et du travail, et de les réconcilier, le moyen en un mot de les rendre frères, et, suivant l’expression du poète, de faire que
- Chacun voit son bonheur dans le bonheur de tous,
- Et d’un lien fraternel tous travaillent unis.
- L’orateur ajoute que l’on ne peut oublier que la vie commerciale du pays prit naissance au moyen âge par l’association du capitaliste et du travailleur dans une existence d’union et d’activité, et le but de la coopération est de délivrer le commerce de la concurrence déloyale, ce parasite qui a corrompu sa vie, détruit sa vertu et alourdi ses mouvements. « N’oublions jamais, dit-il, ces paroles du professeur Stuart a Gloucester : « L’éducation est désirable pour tout le genre humain, mais c’est une nécessité capitale pour les coopérateurs. »
- La séance d’inauguration est terminée par le vote de remerciements au Président, et au vice-Chancelier et curateurs du Sheldonian-Theâtre pour leur hospitalité.
- A midi, les délégués se sont réunis à la Bourse aux Grains pour assister à l’ouverture de l’exposition des produits de la coopération, sous la présidence du Rev. J. Percival, président de Trinity College.C’est M. Broadhurst, membre de la Chambre des communes, qui prononce le discours d’inauguration, dans lequel il déclare que la coopération s’est signalée par ses produits soit dans la bonneterie, soit dans les tissus, soit dans la chaussure, soit dans l’imprimerie, soit enfin dans une foule d’autres branches dans' lesquelles elle a pu soutenir victorieusement la comparaison avec les meilleures maisons du pays. Dans la meunerie, il sait qu’elle possède vingt-cinq moulins en pleine activité avec un capital de 12,500,000 francs, faisant un chiffre d’affaires annuelles de plus de 50 millions avec un bénéfice annuel de 2,500,000 francs. La Société d’imprimerie coopérative de Manchester alloue un bénéfice de 7 1/2 pour cent au capital, et les travailleurs qui la composent voient leur salaire annuel augmenté de 3 p. 0/0. L’Association coopérative de cordonnerie du Northamptonshire, tout en donnant un revenu constant et assuré de
- p.389 - vue 390/836
-
-
-
- 390
- LE DEVOIR
- 5 p. 0/0 au capital, peut distribuer aux travailleurs 17 1/2 pour cent de leurs salaires. C’est là, suivant l’orateur, la meilleure garantie de succès de ces sortes d’entreprises.
- Le lunch qui d’habitude suit l’ouverture de la session et l’inauguration de l’exposition, a eu lieu dans Christchurch Hall, où le comité de réception de l’Université a offert une brillante collation aux délégués membres du Congrès.
- Enfin dans l’après-midi, le Congrès s’est de nouveau réuni dans le Town Hall (Hôtel de Ville), sous la présidence de lord Reay pour procéder aux travaux de la session. La première question à l’ordre du jour porte sur les Banques coopératives. C’est donc sur ce sujet qu’ont porté les débats dans cette première séance dont nous avons à rendre compte.
- (A suivre.)
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Appel. — Au moment où la persécution des juifs en Russie nous reporte aux temps des guerres de religion, Victor Hugo vient d’écrire l’appel suivant :
- L’heure est décisive. Les religions qui se meurent ont recours aux derniers moyens. Ce qui se dresse en ce moment, ce n’est plus du crime, c’est de la monstruosité. Un peuple devient monstre. Phénomène horrible.
- Il semble qu’un rideau se déchire et qu’on entend une voix dire :
- Humanité ! regarde et vois.
- Deux solutions sont devant les yeux.
- D’un côté, l’homme avance, d’un pas lent et sûr, vers l’horizon de plus en plus lumineux; l’homme tient l’enfant par la main; l’homme marche, la tête pleine de clarté ; l’enfant marche, la tête pleine d’espérance ; le travail fait sa grande œuvre ; la science cherche Dieu, la pensée le voit; Dieu vérité, Dieu justice, Dieu conscience, Dieu amour; l’homme le mêle aux choses de la terre, liberté, égalité, fraternité; Dieu cherché, c’est la philosophie; Dieu vu, c’est la religion; rien de plus, pas de contes, pas de rêves, pas de dogmes; tous les peuples sont frères; les frontières s’effacent; l’homme s’aperçoit que la terre n’a pas encore été possédée ; les guerres, de plus en plus diminuées, n’ont plus qu’un motif et qu’un but, la civilisation; chaque battement du cœur humain signifie : progrès.
- De l’autre côté, l’homme recule; l’horizon est de plus en plus noir; les multitudes vont et tâtent dans l’ombre; les vieilles religions, accablées de leurs deux mille ans, n’ont plus que leur*, contes, jadis tromperie de l’homme enfant, aujourd’hui dédain de l’homme fait, jadis acceptés par l’ignorance, aujourd’hui démentis par la science ; ne laissant au croyant tenace qui a les yeux fermés et les oreilles bouchées, d’autre refuge que l’affreux Credo quia absurdum; les erreurs s’entre-dévorent, le christianisme martyrise le judaïsme; trente villes (vingt-sept, selon d’autres) sont en ce moment en proie au pillage et à l’extermination; ce qui se passe en Russie fait horreur; là, un crime immense se commet, ou pour mieux dire une action se fait, car ces populations exterminantes n’ont même plus la conscience du crime; elles ne sont plus à cette hauteur; leurs cultes les ont abaissées dans la bestialité; elles ont l’épouvantable innocence des tigres ; les vieux siècles, l’un avec les Albi-
- geois, l’autre avec l’Inquisition, l’autre avec le Saint-Office, l’autre avec la Saint-Barthélemy, l’autre avec les dragonnades, l’autre avec l’Autriche de Marie-Thérèse, se ruent sur le dix-Deuviètne et tâchent de l'étouffer; là castration de l’homme, le viol de la femme, la mise en cendres de l’enfant, c’est l’avenir supprimé ; le passé ne veut pas cesser d’être ; il tient l’humanité ; le fil de la vie est entre ces doigts de spectre.
- D’un côté le peuple, de l’autre la foule.
- D’un côté la lumière, de l’autre les ténèbres.
- Choisis.
- Victor Hugo.
- ANGLETERRE
- La Pall Mail Gazette raconte comme suit une rencontre qui a eu lieu jeudi dernier entre lord Spencer, vice-roi d’Irlande, et miss Anna Parnell :
- Au moment où le vice-roi venait d’une promenade à cheval et se dirigeait vers le château, accompagné de ses aides de camp et de son escorte habituelle, une dame descendit précipitamment du trottoir et saisit la bride du cheval de lord Spencer. Le viee-roi fit immédiatement arrêter sa monture, et la dame commença à lui parler des huttes que la land-league fait construire pour les tenanciers irlandais expulsés de leurs fermes. Au premier moment, le lord-lieutenant paraissait tout décontenancé de l’étrange position dans laquelle il se trouvait placé; il dit quelques mots à voix basse à l’un de ses aides de camp, qui mit immédiatement pied à terre, offrit le bras à la dame et la reconduisit sur le trottoir, lui disant, au nom de lord Spencer, que si elle voulait bien faire remettre sa carte au château, le vice-roi se ferait un plaisir de la recevoir et de l’écouter. Ni lord Spencer ni son aide de camp ne connaissaient la dame à laquelle ils avaient eu affaire, et c’est seulement après son départ que l’un des messieurs de la suite a dit au vice-roi que la dame qui lui avait parlé était miss Anna Parnell.
- A la suite de cette rencontre, miss Parnell a publié dans YEvening Telegraph, une lettre dans laquelle elle dit avoir voulu demander à lord Spencer des explications sur les dernières mesures de Tadministration dirigées contre les tenanciers irlandais, et que le vice-roi a refusé de lui répondre.
- DANEMARK
- On télégraphie de Copenhague à la Saint-James Gazette, que les autorités prussiennes, profitant de ce que l’attention générale est portée vers l’Egypte, recommencent à expulser les Danois du Schleswig. Elles interdisent même aux sujets danois de demeurer dans le Schleswig comme fermiers ou exploitants de tout autre commerce.
- Les journaux de Copenhague invitent le gouvernement à intervenir diplomatiquement, sans toutefois espérer un grand résultat.
- RUSSIE
- Une dépêche de 'Saint-Pétersbourg publiée par la Presse de Vienne, dit qu’une émeute militaire d’un caractère sérieux a éclaté à Cronstadt, et qu’un bataillon d’infanterie a dû être appelé pour établir l’ordre. Il y a eu beaucoup de blessés.
- Une dépêche de Berlin publiée par la Wiener Allge-meine Zeitung, assure qu’en Wolh/nie les colons allemands ont eu dernièrement à subir des attaques de la part des paysans russes.
- *
- 4 *
- Affaires d’Egypte. — Le correspondant du Times à Alexandrie expose de la manière suivante la
- p.390 - vue 391/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 391
- ituation dans laquelle se trouve aujourd’hui la colonie
- européenne :
- Elle est, dit il, menacée incessamment d’une attaque de la part des rebelles, et, d’autre put, elle est protégée nar 12,000 hommes de troupes égyptiennes. Mais ces troupe? sont en réalité sympathiques aux rebelles, et peuvent à tout moment se joindre à eux pour agir de concert contre les Européens.
- Afin d’écarter le danger, il n’y a qu’un moyen : — c>est de débarquer une force supérieure aux forces contées des troupes et des rebelles. Une fois ce débarquement effectué, l’armée égjrptienne résistera ou sera forcée à se soumettre. Dans le premier cas, elle aura à combattre l’armée de débarquement, et la colonie européenne aura plusieurs heures devant elle sans être inquiétée ; en cas de soumission, les soldats égyptiens auront à cœur de maintenir l’ordre,et de se concilier les bonnes grâces de la colonie européenne.
- On télégraphie d’Alexandrie au Daily Chronicle que les imans ont été invités à ne pas exciter la populace. Us ont répondu que le peuple avait été fanatisé par plus de 200 derviches qui se trouvent actuellement dans la ville. Le nombre des victimes qui ont succombé dimanche dernier et dont les corps ont été retrouvés s’élève à 3S0. Tout en constatant les dangers croissants de la situation, les correspondants des journaux anglais sont unanimes A dire que la panique générale contribue encore à ce que les indigènes deviennent de jour en jour plus hardis. On loue1 beaucoup le sang-froid de sir E. Malet et on regrette l’agitation perpétuelle dans laquelle se trouvent les consuls d'Allemagne et d’Autriche.
- Suivant les dépêches du Daily chronicle, ou a trouvé dans les rues du Caire des bandes de papier imprimées,, invitant la population à purifier la ville sainte de la présence des « chiens de chrétiens ». Ces proclamations incendiaires sont attribuées aux étudiants de l’université El-Azhar.
- Les réponses données à la Chambre des communes par MM. Gladstone et sir Charles Dilke relativement aux affaires d’Egypte ont été accueillies par le public aussi tranquillement qu’elles l’ont été à la séance du Parlement.
- L’attitude négative de la Porte ne semble pas rebuter les puissances qui ont pris l’initiative de la conférence. On assure qu’en présence des évènements qui se pressent depuis une semaine en Egypte, les cabinets européens vont adresser à la Turquie une sommation d’avoir a adhérer à la conférence dans les quarante-huit heures, faute de quoi celle-ci se réunirait uans une autre ville que Constantinople. L’argument opposé par la Porte pour décliner les propositions des puissances occidentales n’existe plus en effet, car la mission de Dervich a manifestement échoué et sa présence en Egypte n’a môme pu empêcher l’affreuse catastrophe du Caire. C’est ce que le gouvernement français a représenté à la Porte, en lui faisant observer par son ambassadeur que la situation n’a fait que s’aggraver depuis l’arrivée de la mis-sion turque, et en lui ' demandant de prendre une décision immédiate.
- Le Mémorial diplomatique assure que, dans leur récente entrevue, les représentants des puissances à Constantinople ont fixé les points principaux qui seraient à discuter par la conférence. Ils se seraient mis d’accord sur l’envoi en Egypte d’un corps expéditionnaire ottoman, dont l’effectif serait d’au moins 10,000 hommes ; mais ils auraient réservé la question de savoir quelle serait la durée de l’occupation et à qui en incomberaient les fiais. En tout cas, les escadres européennes resteraient devant Alexandrie pendant toute la durée de l’occupation. Suivant le même journal, l'Angleterre insisterait pour avoir le droit, d’accord avec la France, de débarquer des troupes à la moindre alerte. Cette question du débarquement préoccupe aussi les journaux Anglais, naais leurs informations sur ce point ne sont nullement concordantes. Tandis que le Morning Port mentionne le bruit que le gouvernement britannique serait disposé à faire occuper l’isthme de Suez, le Times dément que le cabinet de Londres ait l’intention d’envoyer des troupes en Egypte.
- Le Popolo roma.no, organe officieux du cabinet de Rome, en parlant des affaires égyptiennes, s’exprime en ces termes :
- Notre suprême désir est celui de la paix avec dignité, et il s’ensuit que, dans les questions internationales, nous nous trouvons naturellement associés aux Etats qui ont pour base le maintien de la paix en Europe... Or, il faut reconnaître que. dans la question d’Egypte, l’Angleterre s’est montrée inspirée par la justice et la prudence. et une égale prudence, à vrai dire, a inspiré M. de Freycinet.de telle sorte que tout permet d’espérer que, non seulement le concert européen trouvera moyen, dans la crise présente, de donner plus de stabilité aux affaires intérieuresàde l’Egypte, mais aussi de sortir de la conférence pins compact et plus fort, afin d’assurer au monde une nouvelle et grande garantie de paix.
- ALLEMAGNE
- Le chancelier d’allemagne a prononcé un nouveau discours en faveur du monopole du tabac, mais avec un insuccès éclatant. Le reichstag a repoussé, en seconde lecture, le projet favori de M. de Bismarck par une majorité écrasante de 276 voix contre 43. Tout le parti catholique a voté avec l’opposition ; mais il reste à savoir quel sera le sort de la proposition Lingen, qui a pour but d’en flair avec toutes les velléités réformistes de M. de Bismarck. Sur ce point, paraît-il, les cléricaux allemands seraient divisés, ce qui ne rend pas absolument certaine uns nouvelle défaite de chancelier. La presse ministérielle ne néglige rien p®ur peser sur les déterminations du parlement ; elle procède par intimidation ; elle menace le reichstag de dissolution. Mais cela n’a pas le don d’émouvoir grandement l’opinion, qui sait, à n’en pas douter, que si la lutie électorale devait s’engager sur la question du tabac, l’issue en serait désastreuse pour M. de Bismarck.
- *
- ¥ ¥
- IMC. <1 © Bismarck. — Le Reichstag allemand a repoussé mercredi, par 276 voix contre 43, le projet de loi déposé par le chancelier et portant introduction du monopole du tabac dans l’empire. Nous ne croyons pas exagérer, dit le Temps, en affirmant que ce vote est le plus grave échec que M. de Bismarck ait encore essuyé dans sa carrière ; car le chancelier vient d’éprouver jusqu’à l’évidence qu’il n’existe pas en Allemagne de majorité parlementaire pour appuyer ses idées de réorganisation économique et sociale de l’empire. Pour juger de l’importanee politique de cette question du monopole, qui ne semble pourtant mettre en jeu que des intérêts matériels, et pour comprendre le bruit qu’elle a fait depuis tantôt cinq années en Allemagne, il tant se rendre un compte exact du but qui se pose aujourd’hui devant M. de Bismarck et des moyens qu’il lui faut mettre en œuvre pour y arriver.
- Les circonstances, une organisation militaire perfectionnée et les fautes de ses adversaires ont permis au prince de Bismarck de donner à la Prusse l’hégémonie de l’Europe et de restaurer l’empire allemand au profit de la maison de Hohenzollerü. Mais il s’agit maintenant de faire vivre cet empire, un peu anémique, comme tout adolescent qui a poussé vite; il faut aussi lui fournir les moyens de soutenir, au moyen des vieilles monarchies européennes, le rang auquel l’oblige sa fortune inespérée. Il faut surtout trouver pour la nation allemande des compensations aux lourdes charges que fait peser sur elle l’entretien d’un état militaire disproportionné à sa population et à ses ressources, et lui démontrer que les' bienfaits d’une unité chèrement achetée ne se traduiront pas indéfiniment pour elle par la seule aggravation du service militaire et par des augmentations d’impôts. C’est pour consolider cotte œuvre de l’unité nationale, qui est le fondement de sa popularité, que le chancelier a entrepris de l’asseoir sur la prolétariat allemand, en procurant à ce dernier des satisfactions qu'il n’a encore trouvées sous aucun régime. De là tous ces
- p.391 - vue 392/836
-
-
-
- 392
- LE DEVOIR
- projets d’assurances ouvrières, de caisses de retraite, d’institutions coopératives au profit des classes laborieuses, dont le chancelier, avec assez peu de succès jusqu’à ce jour, saisit périodiquement le Reichstag. Il va sans dire que les bienfaits dont le prince de Bismarck prétend combler les travailleurs allemands ne seront pas gratuits, et que l’empire en devra faire pour une bonne partie les frais.
- Le chancelier nourrit d’autres projets. Il souffre de voir l’empire contraint de recourir à la bourse des Etats particuliers, il voudrait lui créer des ressources indépendantes de ces derniers; bien plus, il rêve d'intervertir les rôles et de relever l’empire de ses obligations envers les confédérés pour en faire un protecteur opulent et généreux, qui, loin de percevoir des subsides sous forme de « contributions matriculaires, s» ferait couler dans les caisses de ses clients le Pactole débordant de son propre trésor. Les budgets de la Bavière, de 3a Saxe, de la Hesse, deviendraient par là de simples annexes du budget fédéral, et la puissance financière, qui est le nerf de la politique comme celui de la guerre, actuellement morcelée à Munich,?à Dresde, à Stuttgard, à Darmstadt, serait concentrée à Berlin.
- Pour réaliser ce plan, dont l’exécution ferait faire un pas à l’unifieation de l’Allemagne, M. de Bismarck a besoin d’argent, et c’est au monopole du tabac qu il avait résolu dé le demauder. On a contesté l’exactitude des chiffres sur lesquels le chancelier fondait ses calculs, mais peu importe. Le chancelier l’a dit dans un discours qu’il a prononcé lundi au Reichstag, il ne tenait pas au monopole eu lui-même, mais bien aux ressources qu’il se flattait d’en tirer. Si ces ressources avaient été insuffisantes, d’autres monopoles se seraient greffés sut le premier, et nous aurions successivement vu s’accomplir cette absorption de foutes les sources de la production nationale au profit de l’Etat, qui semble le dernier mot des aspirations actuelles du système administratif prussien. C’est ce principe qu’il s’agissait de faire accepter, et c’est ce principe q&’une majorité de quatre cinquièmes vient de condamner au Reichstag.
- ¥ *
- IL’allîance des eoutari ère «. — Parmi les associations ouvrières, une des plus intéressantes, une des plus touchantes, pourrions-nous dire, est celle qui a été fondée dans un groupe de couturières, sous le titre de : l'Alliance des Couturières de Paris. Son but est d’entreprendre directement du travail fourni par les chefs des grands magasins, et de le donner à faire chez elles à ses sociétaires; elle vent les soustraire ainsi à la vie d’atelier, et surtout leur permettre de gagner un salaire plus rémunérateur que celui qu’elles reçoivent lorsque leur ouvrage, avant de leur être remis,” a déjà passé par les mains de plusieurs sous-entrepreneurs.
- Nous avons entretenu les initiatrices de cette œuvre, qui mérite tous les encouragements. Elles déploient, pour en assurer le succès, un dévouement qu’il faut admirer. Mais, dans un entreprise de ce genre, toute la bonne volonté possible ne suffit pas. Or, les associées n’ont guère que cela en apport social.
- Cette tentative n’est pas la première de son espèce; nous nous en rappelons plusieurs autres.
- Vers 1874, une chambre syndicale des ouvrières lin-gères, brodeuses, couturières et confectionneuses fut fondée. Elle réunit en peu de temps de nombreuses adhérentes, Malheureusement, la discorde se mit entre ces dernières, et elle dut se dissoudre sans avoir rendu de services appréciables.
- Un peu plus tard, les sociétaires les plus persévérantes de cette chambre syndicale disparue fondèrent une association c®opérative de production qu’elles appelèrent le Réseau. Le désaccord suivit les associées comme un mauvais sort, et, là encore, elles ne purent s’organiser assez solidement pour durer. Le Réseau rejoignit la chambre syndicale dans le néant.
- Alliance des Couturières ne contient aucun élément ( des anciens groupes. Elle s'est placée sous la présidence j d’honneur de Victor Hugo et sous le patronage d’un !
- certain nombre de députés, de conseillers municipaux et d’autres hommes connus pour l’intérêt qu’iis porter à l’amélioration du sort de la femme ouvrière.
- L’influence morale de ces hommes connus sera certainement utile à leurs protégées ; mais, ce qu’il leur faut avant tout et le plus tôt .possible, c’est de l’argent; (je l’argent pour louer un siège social, pour le meub’ler pour s’outiller. Ce n’est pas qu’elles aient besoin d’unè grosse somme pour commencer leurs opérations; il ieur faudrait principalement quelques modèles, pour pré. senter aux grands magisins des échantillons de leur savoir-faire et attirer dès commandes.
- Il parait qu’avec 3 ou 4.000 fr. seulement, elles pourraient se mettre en train. Réunir ces 3 ou 4,000 francs-là voilà le problème pour elles. ’
- Les ouvrières, membres du conseil de VAlliance des couturières, ont bien fait de se placer sous le patronnage d’hommes influents, mais elles pourraient plus fructueusement, à notre avis, et sans se passer de l’appui moral de leurs protecteurs, s’adresser à des protectrices. Il y a, en France, des dames bienfaisantes qui encourageraient volontiers de toutes les manières cette œuvre éminemment philanthropique et moralisatrice. Outre l’aide pécuniaire qu’elles apporteraient, nous n’en doutons pas, à l’association des ouvrières, elles seraient à même plus que les hommes, de lui procurer du travail. Elles connaissent particulièrement ou indirectement les chefs des grandes maisons de confections pour dames,et leur recommandation serait bien accueillie le plus-souvent. En outre, si elles voulaient bien provoquer des fêles au profit de l’œuvre, elles lui assureraient d’abondantes recettes.
- D’autre part, le conseil municipal, qui s’est montré maintes fois plein de générosité envers les syndicats d’ouvriers, en leur accordant des subventions pour leurs cours professionnels, vouira bien, nous n’en doutons pas, étendre ses bienfaits à l’association des femmes ouvrières, d’autant plus qu’il aura bientôt à sa disposition le montant du legs Rampai, qui est spécialement affecté, par la volonté du testateur, a des prêts aux associations coopératives ouvrières de production et de consommation.
- IL ne faut pas l’oublier, la question de savoir si des entreprises comme celle-ci réussiront, en cache une autre infiniment plus générale et d’une gravité douloureuse. La condition dès femmes dans notre société n’a pas l’indépendance qui serait nécessaire à leur dignité. Il est triste de songer que, si toute une classe de femmes n’est qu’une marchandise à l’usage de l’homme, la faute en est pour une forte partie à l’organisation sociale, qui n’assure pas au travail honnête de la femme une rétribution suffisante. En vérité, il y a là une iniquité dont tout le monde est un peu responsable, et qu’il faut tr -vaiiier par un effort commun à faire disparaître, en aidant les ouvrières à gagner honorablement leur vie. D'autre part, en pareille matière, l’initiative privée peut beaucoup plus que le législateur. Le bien-être par décret est irréalisable.
- Avec l’état de choses actuel, étant donné la cherté de l’existence, comment s’y prendrait une ouvrière qui n’a que son travail pour toute ressource, comment s’y prendrait-elle pour payer son loyer, acheter ses vêtements et se procurer la nourriture, môme la plus frugale?
- Les forces humaines ont des limites, et surtout les forces féminines. Puisqu’en travaillant les ouvrières ne gagnent pas de quoi se nourrir et se loger, il en résulte qu’au moindre chômage, elles se volent obligées de se vendre pour manger. La moitié de celles qui ont dû se livrer de la sorte sont ensuite abandonnées de leurs séducteurs une fois qu’elles sont devenues mères. Quel est leur sort ? quel est le sort de leurs enfants ; voilà ce qu’on ne se demande pas assez.
- L'Alliance des couturières compte déjà deux cent soixante sociétaires. D’autres, et en grand nombre, voudraient se faire inscrire comme adhérentes. Le conseil administratif diffère leur inscription en attendant que l’association soit mieux assise.
- En accordant à cette association un p^u de publicité, la presse peut lui être très utile; elle lui gagnera des
- p.392 - vue 393/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 393
- \
- apathies puissantes. Nous sommes convaincus que nos coiifi'ères ne lui refuseront pas leur concours, quant au nôtre, il lui est acquis d’avance. a Le siège de l'Alliance des couturières est établi, 20, rue ag Verneuil.
- L’association donnera une grande fête de nuit au urofH ôe son œuvre, le 1er juillet, dans les salons de l’Etoile avenue de Wagram, 39 Ms. On délivre des billets pour cette fête au prix de 2 fin, au siège social.
- ^ Nous recommandons tout particulièrement cette soi-fée de réelle bienfaisance aux partisans de l’émancipation des femmes ouvrières.
- [petit, Catéchisme patriotique
- LA PATRIE
- Qu'est-ce que la Patrie?
- C’est le pays où l’on est né, la nalion à laquelle on ap-tient.
- Quel est votre pays ? Quelle est votre nation ?
- Mon pays, c’est la France. Ma nation, c’est la nation française.
- Quels sont vos devoirs envers la patrie 1
- Je dois à ma patrie de l’aimer, de la servir, de vivre pour elle, de mourir pour elle s’il le faut.
- Qu'est-ce qu'un patriote ?
- C est celui qui met 1 intérêt de sa patrie au-dessus de son intérêt personnel.
- Qu est-ce qu'un compatriote ?
- G est celui qui a la môme patrie que moi.
- Quels sont vos devoi; s envers vos compatriotes ?
- Je dois les regarder comme des frères, des enfants de la même mère que moi, m’affliger (le leurs malheurs, me réjouir de leur prospérité, prendre leur défense quand ils sont opprimés.
- Que ferez-vous qmnd vous serez grand ?
- Je serai un bon patriote et un bon compatriote.
- LA LOI
- Qu'est-ce que la loi ?
- C’est ce qui doit être la règle de ma conduite.
- Il y a-t-il pour vous deux lois ?
- Oui, il y a pour moi deux lois : la loi de ma conscience et la loi de mon pays.
- Qu'est-ce que La loi de votre conscience ?
- C’est la voix de Dieu qui parle en moi.
- Quest-ce que la loi de votre pays ?
- Cest .la volonté nationale, exprimée par les représentants de la nation.
- Gomment appelez-vous celui qui n'obéit pas à, la loi de sa conscience ?
- Un méchant homme.
- Gomment appelez-vous celui qui n'obèü pas à la loi de son pays ?
- Un mauvais citoyen.
- A laquelle de ces deux lois faut il obéir d'abord ?
- Il faut obéir à tous les deux en môme temps. Un bon citoyen n’est jamais un méchant homme.
- l’école
- Qu'est ce que l'école ?
- C’est l’endroit où les enfants viennent apprendre à devenir des hommes et des citoyens.
- Que pensez-vous d'un enfant qui ne veut pas aller à l'école ?
- Il manque à ses devoirs envers Dieu et envers son pays.
- Comment manque-t-il à ses devoirs envers Dieu ?
- La loi de Dieu, c’est que l’homme développe de tout son pouvoir toutes les facultés qui sont en lui. Celui 9ui ne veut rien apprendre étant jeune se prive volon-|^roroeüt de la possibilité de développer toutes ses
- Comment manque-t-il à ses devoirs envers son Pays ?
- Le premier besoin d’un pays, c’est d’être peuplé
- d’hommes pouvant le servir et lui faire honneur. L’enfant qui ne veut rien apprendre prive son pays des services qu’il pourr il lui rendre plus tard, et de l'honneur que peut-être il lui aurait lait, s’il s’était mis eu état de développer ses facultés.
- Ne manque-t-il pas aussi à ses devoirs envers lui-même ?
- Assurément. Mais il n’est pas nécessaire de parler de ceux-là. On remplit toujours ses devoirs envers soi-même quand on remplit les autres.
- LE RÉGIMENT
- Qu'est-ce que le régiment ?
- Cest l'école militaire de la nation.
- QuJapprencl-on au régiment ?
- Ou y apprend la guerre.
- Qu'est-ce que la guerre ?
- Il y a deux guerres : la guerre de conquêtes, qui est un acte abominab e ; la guerre de défense nationale, qui est un devoir sacré,
- Pourquoi la guerre de cop,quête est-elle un acte abominable ?
- Parce que c'est le vol en grand, à main armée.
- Pourquoi la guerre de défense nationale est-elle un devoir sacré ?
- Parce que le sol de la patrie est une chose sacrée, à laquelle l’étranger ne doit pas toucher. Tant qu’il l’occupe, un patriote doit avoir une pensée toujours présente, celle de l’en chasser.
- Pourquoi faut-it aller au régiment ?
- Pour appprendre à bien défeudre le sol de la patrie.
- Faut-il attendre pour cela le régiment ?
- Nou. li faut commencer à l’école et cuntinuer après. C’est le moyen de donner à son pays un bon soldat.
- Que donnerez-vous à notre pays quand vous serez grand ?
- Je lui donnerai un boa soldat.
- Jean Macé.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XVIII (1)
- Éducation de l’enfance & de la jeunesse
- Généralement les avantages de l’instruction ne sont pas appréciés des gens ignorants ; mais l’association de Ralahine prescrivait à cet égard certaines mesures qui donnèrent de bons résultats.
- Dès que leur âge le permettait, les enfants étaient confiés à des maîtresses ou à des professeurs qui veillaient sur eux nuit et jour.
- Des aliments spéciaux, particulièrement du lait frais et des végétaux, étaient envoyés de la cuisine commune à l’école pour les élèves.
- Des dortoirs particuliers étaient assignés à l’enfance.
- Beaucoup de tranquillité et un grand repos ; tel était pour les parents le résultat de cette organisation.
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21, 28 mai ; 4, 11 et 18 juin 1882.
- p.393 - vue 394/836
-
-
-
- 394
- LE DEVOIR
- Les pères et les mères, retenus aux travaux des champs, de la buanderie ou de la laiterie, étaient heureux de penser que leurs enfants étaient bien soignés, qu’ils développaient leurs facultés, acquéraient de bonnes habitudes, de bonnes manières, des connaissances utiles, etc. On comprit vite l’économie et le confort de ces dispositions.
- Toute immixtion des parents dans la discipline de l’école était absolument interdite. Sous aucun prétexte ils ne devaient faire sortir les enfants pendant les heures de classe.
- L’hygiène, la tenue des enfants et tout ce qui pouvait contribuer à leur développement physique était l’objet de la plus grande sollicitude.
- Les élèves de 2 à 8 ans accomplissaient de petits exercices calculés pour les tenir gais, bien portants et heureux. On avait soin de ne point surcharger ni leur mémoire ni leurs forces mentales, On leur expliquait les qualités et l’usage de tout ce qui les environnait, et l’on saisissait toutes les occasions de développer chez eux l’esprit d’amour et de sympathie mutuels.
- On mettait entre leurs mains des morceaux de bois de différents modèles, avec lesquels ils s’amusaient à faire des maisons. Ils devaient ranger avec soin ces instruments quand ils ne s’en servaient pas.
- Ils apprenaient à marquer le pas, à chanter, à danser, à s’amuser dans leur salle de récréation ou dans le jardin. Là se trouvaient des instruments de gymnastique et autres, servant à l’amusement et à l’exercice des élèves, sans exiger d’eux une dépense exagérée de force, sans les exposer à aucun danger ni accident.
- L’exercice de la danse très-gouté des enfants les habituait à l’ordre, à la méthode, à la discipline et à la courtoisie.
- En 1833, l’école des petits enfants se trouvait sous la direction de Mme Craig; car M. Craig s’était marié depuis la fondation de la Société.
- Madame Craig sut donner â l’école un développement remarquable. En toutes choses on cherchait à rendre l’enseignement agréable pour l’enfant. La connaissance des lettres par exemple était donnée comme suit : On avait réparti les caractères alphabétiques en groupes, selon leurs formes plus ou moins compliquées, Ces groupes appartenaient à deux ordres :
- 1er Ordre :
- Lettres d’un trait.
- « de 2 traits
- « de 3 »
- « de 4 »
- I.
- L T V X.
- A H F N K Y Z. E M W.
- 2 ® O R D R E :
- ♦
- J P D G U C O S Q B R
- L'enfant n’était point habitué à désigner toutes ces lettres consécutivement. On choisissait un mot qu’il entendit souvent prononcer « chapeau » par exemple, en anglais « hat ». L’objet était présenté à l’enfant, on le lui faisait nommer, puis on lui en désignait, dans le premier ordre, les lettres qui composaient le mot et on l’invitait à reproduire ces lettres au crayon. Au besoin on lui venait en aide en traçant des points qu’il n’avait qu’à relier par un trait, soit :
- Jamais on ne présentait à l’élève de mot auquel il ne pût attacher un sens. L’enfant avait le plus grand plaisir à dessiner ainsi tous les mots des choses connues de lui, Il apprenait à la fois à dessiner, à lire et à orthographier.
- L’attention des enfants était si bien fixée par.l’à-propos et l’excellence de l’enseignement, qu’il n’y avait point besoin de recourir au procédé démoralisant d’attribution de places ni de décorations pour forcer l’élève au travail.
- Ces pratiques sont mauvaises en ce qu’elles développent l’égoïsme, qu’elles stimulent les sentiments de rivalité et qu’elles éveillent une fâcheuse satisfaction en présence de l’échec d’autrui.
- L’attention de l’élève ne fait point défaut quand on ne demande à celui-ci que ce qu’il peut raisonnablement donner, quand on s’adresse à ses facultés natives et qu’on ne les surcharge pas.
- Un des visiteurs disait : « Le mode d’éducation à « Ralahine est ce qui m’a le plus surpris. Les en-« fants ont l’air actif, heureux, bien portant. Les « exercices auxquels ils se livrent ont la meilleure « influence sur leur tenue générale. Les ablutions « journalières, les repas réguliers et simples con-« jointement aux leçons qu’ils reçoivent, contri-« huent merveilleusement à améliorer leurs mœurs « et leur extérieur, et à les élever au-dessus du ni-« veau des enfants de leur classe. »
- Les élèves n’ayant à redouter aucun châtiment corporel étaient expansifs, ouverts, naturels, francs dans toutes leurs expressions, dans tous leurs mouvements. L’unique punition infligée était la privation de l’Ecole ; et cette punition était profondément redoutée parce qu’elle privait les enfants d’un grand plaisir.
- p.394 - vue 395/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 395
- Le système adopté dans les classes différait de celui que l’on voit généralement usité,lequel semble basé sur cette opinion que l’enseignement primaire doit se borner à la lecture, l’écriture, l’arithmétique et la grammaire. Ce sont là de simples instruments, ce n’est pas le vrai savoir.
- L’enseignement pour être pratique doit être proportionné aux capacités de l’enfant ; pour être efficace, il doit embrasser la période où les énergies physiques, les passions, les tendances morales, les forces intellectuelles marchent vers leur plein développement; il doit se continuer enfin jusqu’à ce que les bonnes habitudes aient pris un caractère fixe et permanent.
- L’enseignement de la lecture, de l'écriture, etc...; est la partie la plus aisée de la tâche du maître. Il est autrement difficile de former, de guider les dispositions morales et les plus hautes facultés de l’être humain.
- Il n’y a pas de moyen plus prompt et plus sûr d’atteindre ce dernier résultat que cl’assurer constamment aux élèves des occupations en rapport avec leurs facultés.
- Il est évident que le système d’enseignement actuel semble bien plutôt conçu en vue de faire des consommateurs et des distributeurs de la richesse, que des producteurs. La puissance de production dans les sociétés atteindrait un plus haut degré, si l’éducation industrielle avait une part spéciale dans le travail journalier des écoles.
- A Ralahine, les jeunes gens étaient employés, à de courts intervalles, dans les ateliers ou dans les champs. On les exerçait à manier l’outil du charpentier ou l’instrument agricole ; puis ils étaient tenus une heure en classe et spécialement à dessiner au crayon d’après nature. Le but du système était de développer chez l’élève la santé, la discipline, l’industrie, l’amour du travail, la promptitude de perception mentale et l’habileté d’exécution mécanique.
- Les enfants apprenaient à dessiner avant d’apprendre à écrire, parce qu’en fait l’écriture est un dessin pour le jeune élève, dont l’œil et la main ont tout à apprendre et qui doit s’exercer à observer la forme, la direction, les proportions et les positions relatives des lignes droites ou courbes dont récriture se compose.
- Le dessin, entre les mains d’un maître compétent, devient un excellent moyen de cultiver et de perfectionner les facultés d’observation et de comparaison.
- M. Craig dit avoir constaté que les élèves se livraient avec le plus grand plaisir au dessin après les exercices de l’atelier ou de la ferme.
- La lettre suivante écrite par un des orphelins de la communauté, deux ans après son entrée dans la Société, peut servir ici de document intéressant.
- « Cher oncle,
- « Mes amis m’ayant informé de votre bienveil-« lante enquête concernant ma situation, et de « votre désir d’avoir un spécimen de mes progrès à « l'école, je m’empresse de vous exprimer le plaisir « que j’ai à vous envoyer cette lettre et le dessin « inclus.
- « Pour vous mettre en mesure de juger de mes « progrès en dessin, je dois vous dire que l’on'y « consacre seulement deux heures par semaine. Les « autres heures d’école sont données à l’écriture, « aux récits, à la grammaire, à la géographie et à la « musique. Le reste du jour, je travaille pour mon « entretien.
- « Actuellement j’ai donc toutes les facilités possi-« blés pour m’instruire et le moyen de vivre confor-« tablement.
- « C’est à la bienveillance de M. Vandeleur et à « l’administration dévouée de M. Craig que je dois « ces avantages.
- « En m’efforçant de suivre fidèlement la direction « et les conseils de M. Craig, j’espère mériter la « continuation de votre sollicitude et de votre estime.
- « Croyez-moi votre affectionné neveu. »
- D’après M. Craig l’alternance du travail manuel et de la culture intellectuelle constitue un mode efficace d’éducation morale.
- Une période de trois heures était divisée comme suit : une heure et demie à l’instruction intellectuelle ; une heure et demie à l’enseignement professionnel de l’agriculture. Quand il faisait mauvais temps, la leçon professionnelle d’agriculture était remplacée par une leçon professionnelle dans les ateliers.
- La même chose se pratiquait l’après-midi.
- « Cè' système « dit M. Craig, » eut pour consé-« quence d’activer les facultés spéciales des enfants.
- « Je constatai, ce que d’autres éducateurs ont cons-« taté également, que le temps pendant lequel un « enfant pouvait donner une attention volontaire,
- « soutenue et profitable, se répartissait comme suit :
- « De 5 à 7 ans environ 15 minutes.
- « De 7 à 10 ans » 20 »
- « De 10 à 12 » » 25 »
- « De 12 à 16 » » 30 »
- « L’alternance des leçons et du travail manuel « était pardessus tout hautement favorable à la « santé, ainsi qu’aux dispositions morales. Ce prin-
- p.395 - vue 396/836
-
-
-
- 796
- LE DEVOIR
- « cipe d’alternance ouvre un champ fécond à exploi-« ter et mérite l’attention des professeurs , des « hommes d’Etat, des travailleurs et des patrons. Il « ne faut pas seulement exercer les forces intellec-« tuelles de la jeunesse, mais il est désirable de « donner à tout individu l’occasion de manifester « ses aptitudes spéciales, avant de le lancer dans « quelque fonction, métier où profession. On ne se « rend pas compte de l’immense perte de puissance « mentale dans les écoles ordinaires qui résulte de « l’indifférence, de la négligence dans laquelle on » tient les aptitudes de la jeunesse. Ces écoles n’ont « rien qui permette à l’élève un choix de profession « ou d'études, ni aucune méthode pour éprouver ou « distinguer les dons spéciaux d’un enfant et [ses « tendances particulières. »
- (A suivre.)
- LES FEMMES EMPLOYÉES DE POLICE
- Le chef de la police de New-York vient d’adresser l’arrêté suivant à son surintendant.
- Monsieur le surintendant,
- « J’ai l’honneur de vous informer que je viens de nommer Mme H. P. Croker et miss Johns aux fonctions de surveillante et d’aide-surveillante à la police pour le service des femmes. Vous voudrez bien leur faciliter leur tâche et prévenir MM. les chefs de service afin que ces dames puissent circuler librement dans les sections où elles auront à faire. Leurs fonctions consisteront à prévenir les désordres et à sauvegarder une certaine dignité qui, même chez la femme la plus dégradée, n’est jamais complètement éteinte. » (Wornan1 s Journal Boston.)
- Cette innovation et les motifs sur lesquels elle s’appuie font honneur à l’homme et au fonctionnaire qui en a pris l’initiative. Je les note avec une vive satisfaction comme un trait de mœurs d’une grande j République... et un signe des temps. Je souhaite- j rais de tout mon cœur de pouvoir en dire autant 1 des chefs de police de notre belle France. — Ils se j succèdent — ne ressemblent jamais à ceux-ci ; — ! mais en revanche, se ressemblentbeaucoupentr’eux ! ! L’heure serait venue cependant de notifier l’état de ! choses déplorable qui règne chez nous ; de mettre j fin aux procédés sommaires et arbitraires dont usent j les hommes à l’égard de certaines femmes, qu’ils li- î vrent à la discrétion, où plutôt, à l’indiscrétion de leurs semblables.
- Depuis le sommet jusqu’au bas de l’échelle sociale l’omnipotence masculine est imposée à la femme.
- Les lois faites sans elle et contre elle on pourrait dire,que l’homme l’oblige à subir, ont fait leurtemps La vapeur a remplacé la force musculaire, seul titr' sérieux à la suprématie de l’homme sur la femme-qu’il cesse donc de l’exercer, il n’en sera que heureux; qu’il renonce à une souveraineté factice et contraire aux lois de la nature qui veut la femme souveraine, mais éclairée et dévouée et non une pou pée qui, faute de droits, est forcée de recourir à la ruse pour ramener à l’obéissance le maître qu’0n veut lui donner.
- Les femmes manquent de carrières et la mécanique a réduit les travaux intérieurs; ne serait-il pas infiniment plus logique et plus moral de leur ouvrir l’accès de nouveaux emplois conformes d’ailleurs à leurs aptitudes et à leurs capacités acquises; — de les admettre aux lieux et places ou concurremment avec les hommes dans les établissements consacrés à l’usage spécial des femmes : prisons de femmes, dispensaires, hôpitaux de femmes et d’enfants, maisons d’aliénés, assistance publique, bienfaisance administrative, à titre de fonctionnaires rétribuées et non bénévoles; les femmes étant assujetties comme les hommes aux besoins de la nutrition, du vêtement et de l’abri.
- V. Griess-Traut.
- LA STATUE DE GAKIBALDI
- Nous avons reçu des délégués de la presse républicaine de Paris la lettre suivante :
- Paris, 6 juin 1882.
- Monsieur et cher confrère,
- La réunion des journalistes républicains de Paris, qui a été tenue lundi au Grand-Orient, a décidé, comme vous le savez, l’ouverture d’une souscription pour élever une statue a Garibaldi.
- Nous ne doutons pas de l’accueil qui sera fait par le sentiment populaire à cet hommage rendu à l’homme illustre qui a été toute sa vie le champion de la République et de la libre-pensée, et qui, dans les jours d’épreuve, a défendu la France.
- Les délégués :
- De LANESSAN, Ernest LEFÈVRE, G. ISAMBERT. Eugène MAYER, Charles LAURENT.
- « Le Devoir » ne peut refuser à cette œuvre de reconnaissance nationale le concours qui lui est demandé, et il ouvre en conséquence dans ses bureaux une liste de souscription dans laquelle il s’inscrit pour une somme de 50 fr.
- @o«seriptiou de la presse républicaine pour élever une statue à Gra,rit>aldi
- PREMIÈRE LISTE
- Le journal « le Devoir »......................50 fr.
- Mmo Marie Moret..................................10
- M. Ed. Fortis ....................................5
- Un lecteur du « Devoir »..........................5
- p.396 - vue 397/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 397
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE & RELIGIEUSE
- Second entretien {suite.)
- 3Le Prêtre
- Après avoir ainsi reconnu la justesse du raisonnent de mon interlocuteur, et admis que le prêtre est fatalement entraîné dans la lutte contre les idées modernes sans pouvoir reculer, quand même il en aurait la volonté, je profitais de ses bonnes dispositions, pour tàcber de connaître ses idées au sujet d’une institution que l’on considère généralement avec raison comme dangereuse.
- __ j’ai une autre question à vous poser, lui dis-je. On dit, et je crois que c’est avec raison, que la grande arme du catholicisme pour régner sur le monde : C’est la confession. Si les secrets échangés entre le confesseur et la pénitente ne sont jamais violés, comment cette arme peut-elle devenir si puissante entre les mains du clergé.
- — Lorsque la milice cléricale a décidé en haut lieu de combattre un ennemi, la confession est le porte-voix chargé de transmettre l’ordre, le puissant auxiliaire qui sert à le découvrir et à le forcer de son repaire.
- L’ennemi depuis longtemps redouté du catholicisme : C’est l’instruction. Jadis, le mot d’ordre donné dans les hautes sphères cléricales, fut qu’il fallait à tout prix l’empêcher d’étendre ses rameaux bienfaisants dans les classes populaires, que mieux valait l’ignorance qu’une demi-instruction, que la femme n’avait pas besoin de savoir lire.
- D’un bout du monde à l’autre, les cent mille bouches du confessionnal transmirent ces ordres suprêmes par lesquelles on encensait la sainte ignorance.
- Depuis quelques années, la soif d’apprendre et de savoir gagne les masses, et les digues du cléricalisme sont impuissantes à enrayer ce formidable courant.
- De jésuitisme, l’œil au guet, a prévu le danger, et s’est empressé de le conjurer. Puisqu'il faut que la science envahisse le monde et éclaire les intelligents, fut-il décidé en haut lieu, faisons qu’elle soit cléricale ; monopolisons l’instruction. Le mot d’ordre fat lancé, les prêtres furent mandés dans tous les évéchés de France, et on s’assûra leur concours P°or le succès de cette œuvre ténébreuse ; On fonda Partout des écoles congréganistes, et le confessionnal, ea pesant sur la femme de toute son influence, fut chargé de fournir les recrues à la cause sainte de la Scfance donnée par l’Eglise.
- Uü troisième coup plus terrible que tous les autres Y]ent de frapper le Catholicisme : L’Instruction vient ^étre décrétée laïque, gratuite et obligatoire.
- Que va faire l’Eglise, en présence de la situation difficile que vient de lui créer l’Etat, en lui interdisant de peser sur l’éducation de l’enfance. Elle ne perdra point courage ; vous lui avez ôté les enfants, il lui reste la femme, avec la femme elle ressaisira les enfants, avec les enfants elle aura l’espoir de reconquérir un jour un pouvoir qui menace de lui échapper. Le point important pour elle, c’est de conserver sur la femme dont l’Intelligence est généralement peu cultivée, l’empire que lui donne la confession.
- Diviser pour régner, est une maxime dont l’Eglise ne dédaigne point de se servir aux jours du danger. Par la voix du confessionnal, on jettera la discorde dans les ménages, on divisera les époux ; on dira à la femme dont le mari n’est pas enrôlé sous la bannière cléricale : Les sources auxquelles votre mari s’abreuve, sont des sources empoisonnées, ne touchez à aucun de ses livres, ne lisez jamais un seul de ses journaux, évitez la société de ses amis, vous risqueriez de perdre votre âme ; je vous le défends sous peine de péché. La femme obéira au prêtre qui commande au nom de Dieu, au risque de déplaire à son mari, au risque de voir celui-ci, voyant le peu d’écho que trouvent ses pensées dans l’esprit de sa compagne, abandonner le foyer conjugal, pour chercher ailleurs des amis qui le comprennent mieux. L’Eglise espère conjurer le danger, en établissant une barrière entre les époux, en paralysant l’échange amical de leurs pensées respectives ; or, si la femme lisait et raisonnait avec son mari, elle pourrait s’éclairer, et la lumière est funeste à l’œuvre ténébreuse du Catholicisme.
- Si l’homme trouve la femme si rétive aux idées de progrès et de liberté qui soufflent de toutes parts et auxquelles il est lui-même gagné, c’est la confession qui déchaîne contre lui cet ennemi irréconciliable ; c’est la confession qui crée entre le mari et la femme un divorce cent fois pire que le divorce des corps : Le divorce moral. La femme qui se confesse, c’est le prêtre introduit dans votre maison, s’emparant de vos secrets et pesant insidieusement dans toutes les décisions de la famille.
- Prêtres maudits, tant que vous n’avez pu faire autrement, vous avez encensé la sainte ignorance ; lorsque le progrès renversant sur son passage tous les obstacles que vous aviez accumulé sur son chemin, le peuple voulut enfin avoir sa part de lumières, vous avez organisé les frères enseignants et les sœurs avec leurs lettres d’obédiences, et vous avez dit : Nous aussi, nous voulons l’instruction, voyez, nous organisons partout des écoles. Arrière donc, homme de ténèbres, hypocrites et menteurs, jadis
- p.397 - vue 398/836
-
-
-
- 398
- LE DEVOIR
- vous bénissiez l’ignorance, aujourd'hui pour mieux nous asservir et nous dominer, vous voulez clérica-liser l’Instruction, que vous ditribuerez de façon qu’elle ne gène point vos projets.
- L’heure de la justice a sonné. Le Parlement vient de vous chasser des écoles, bientôt je l’espère, le bon sens français vous aura contraints à abandonner le sol de la patrie, et vous n’existerez plus pour les générations futures qu’à l'état de souvenirs légendaires, jugés sévèrement par l’histoire et conspués parla postérité. Vous vous posez en défenseur de la morale outragée et de la vertu méprisée, et vous dites partout:. C’est Dieu qu’on chasse de l’école. A l'école, Dieu régnera toujours en maître, car l’école c’est le sanctuaire de la science, et c’est la science qui mène à Dieu ; à l’école la vertu grandira dans les âmes, et la morale s’y purifiera; car: La vertu c’est la science, le mal c’est l’ignorance. Ce n’est pas Dieu qu’on a chassé de l’école, c’est le prêtre avec son syllabus et son cortège d’erreurs et de préjugés.
- Edmond Bourdain.
- REVUE SCIENTIFIQUE
- MM. Muybridge et Marey : la photographie
- instantanée des animaux en mouvement.
- La photographie est pour les sciences un puissant instrument, mais il ne faudrait pas croire que celles qui étudient les phénomènes lumineux soient seules à en tirer partie. Il appartenait à un Américain d’appliquer le premier la photographie à l’étude du mouvement des animaux, et à un de nos compatriotes bien connu, M. Marey, de pousser ce genre d’études jusqu’à ses plus beaux résultats en l’étendant au vol des oiseaux.
- C’est à la fin de l’année 1878 que plusieurs personnes s’occupant de sciences reçurent d’un Américain de San-Francisco, M, E. L. Muybridge, une série de photographies d’un intérêt peu commun. Elles offraient la solution d’un problème longtemps étudié et auquel M. Marey avait lui-même depuis plusieurs années appliqué son puissant esprit d’invention.Elles fixaient pour la première fois les différents temps de l’allure du cheval au pas, au trot et au galop. Il y avait là des difficultés d’un ordre tout spécial, en particulier, pour déterminer dans ses différentes positions l’image du cheval de course lancé avec une vitesse de près de 20 mètres à la seconde. Il suffît d’examiner quelques-unes des positions du quadrupède ainsi photographié pour se rendre compte de la complexité des mouvements qu’il exécute et pour reconnaître que certaines de ces positions nous semblent tout à fait invraisemblables. Si un artiste en avait donné la représentation par le dessin, on l’accuserait assurément de s’être livré aux fantaisies les
- plus extravagantes. Sur les photographies de l’animal au trot on peut encore retrouver un certain nombre des attitudes du cheval familières aux peintres. Mais nous n’hésitons pas à dire qu’il n’existe ni en dessin, ni en peinture, même dans ces reprél sentations de courses faites par des artistes spéciaux, aucun cheval galopant vrai. Tous les chevaux figurés au galop, que l’on voit partout, sont des êtres de pure convention. Et le plus curieux, c’est qu’à notre tour, spectateurs des courses, nous voyons les chevaux au galop comme nous les ont représentés Géricault, De Dreux et tant d’autres artistes si répu. tés pour ce genre de sujets.
- Et notez que ces photographies ne sont pas prises au hasard, qu’on ne peut pas dire que peut-être les attitudes du galop avec lesquelles nous nous croyons familiarisés, ont échappé au photographe. Ce ne sont pqs des photographies isolées que M. Muybridge a réalisées, mais des séries de photographies prises à des intervalles assez courts pour que le cheval n’ait avancé, entre deux épreuves, que d'une tête. Le cheval représenté ainsi est Sallie Gardner au grand galop de course, fendant l’espace avec une vitesse de 1142 mètres à la minute.
- Ces premières photographies de M. Muybrigde avaient fort intrigué les physiologistes européens : elles avaient été envoyées sans aucun mot de texte sur la manière dont on les obtenait. Le journal la Nature les reproduisit, et M. Marey en témoigna hautement son admiration. Depuis cette époque, M. Muybridge n’est pas resté inactif; grâce au généreux patronage du richissime M. Standford, ex-gouverneur de la Californie, le photographe a pu compléter son œuvre en faisant pour un grand nombre de quadrupèdes: bœuf, chien, cerf et enfin, pour l’homme lui-même, ce qu’il avait exécuté pour le cheval. La Nature a reproduit ainsi des représentations d’un lévrier lancé à fond de train, qui sont du plus grand intérêt.
- M. Muybridge apassé une partie de l’hiver dernier à Paris ; il a successivement montré les projections de ses photographies’chez M. Marey, chez M. Meis-sonier et au Cercle de l’Union artistique de la place Yendôme, M. Muybridge apportait avec lui un nombre de clichés considérable,qui représente une somme de travail énorme, une dose de patience remarquable et une habileté consommée. Il prend une photographie en moins de 1/500® de seconde. Il lui est facile pendant qu’un clown fait un saut périlleux, d’obtenir huit fois son portrait dans les positions successives qu’il occupe dans l’espace, au moyen d’appareils photographiques convenablement disposés et dont les objectifs se démasquent successivement dans le temps que dure la cabriole du clown.
- Pour les animaux ou l’homme lancé à la course, voici comment on procède. Dans un des parcs de M. Standford est installée une piste. D’un côté, un mur de planches porte des lignes verticales régulièrement espacées à la distance d’un pied environ et numérotées. De l’autre côté de la piste, on a bâti un hangar où sont disposés vingt-quatre objectifs, braqués en face du mur de planches. C’est entre ces objectifs et le mur qu’on fait courir l’animal. Sur son passage, on a tendu des fils très tenus, trop fins pour qu’il puisse en avoir la moindre inquiétude ou mem® les voir, trop peu résistants pour entraver en Qu°l que ce soit ses mouvements. Chacun de ces fils en se rompant détermine; par un mécanisme simple» ^ fermeture d’un circuit électrique qui agit sur de»
- p.398 - vue 399/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 399
- électro-aimants. Ceux-ci, par leur action, déplacent un écran, et démasquent ainsi pendant un instant infiniment court l’objectif d’un appareil photographique correspondant. L’animal au galop est donc photographié dans la position qu’il avait au moment de la rupture du fil, et les lignes verticales tracées sur le mur en planches devant lequel il court, et que la photographie reproduit en même temps que lui, permettent de raccorder exactement toutes les poses successives saisies par les vingt-quatre appareils.
- pendant que M. Muybridge poursuivait ces études à San-Francisco, M. Marey essayait de réaliser un instrument dont les premières photographies de M. Muybridge lui avaient peut-être donné l’idée, et qui permît de vérifier par la photogranhie l’exactitude des recherches que M. Marey, ainsi que M. Pet-tigrew, en Angleterre, avaient faites sur le vol des oiseaux. C’est encore une idée assez commune dans le monde que les oiseaux se servent de leurs ailes comme de rames qu’ils feraient agir à la fois de haut en bas et d’avant en arrière. Toutefois, comme il s’agit ici de mouvements beaucoup plus lents que ceux des chevaux ou des lévriers lancés à fond de train, il suffit d’un peu d’attention pour s’assurer qu’il n’en est pas ainsi; si l’on regarde voler des oiseaux un peu gros, comme des pigeons, en ne s’occupant que de ceux qui volent de face et de ceux qui volent de profil devant nous, on reconnaît bien vite que l’oiseau, pour voler, élève et abaisse simplement son aile étendue dans un plan à peu près perpendiculaire à l’axe de son corps. M. Marey, en multipliant ses recherches, au moyen d’appareils très compliqués, était parvenu à démontrer mathématiquement, en quelque sorte, que les choses se passaient ainsi. Mais M. Marey, pour ces démonstrations, ne pouvait employer que des oiseaux attachés à un manège, chargés d’appareils aussi légers qu’ingénieux, mais enfin qui pouvaient être regardés comme entravant dans une certaine mesure la liberté de l’oiseau ; et c’est pour cela que l’habile professeur du Collège de France méditait depuis quelque temps déjà la construction d’une sorte de fusil photographique, qui permît de prendre des images rapides, successives du même oiseau, pendant que le chasseur photographe le suivrait de l’œil avec la mire fusil. La brièveté du temps de pose n’était point en question, puisque l’industrie emploie aujourd’hui des procédés photographiques absolument instantanés; n fallait condenser en quelque sorte dans un seul appareil ayant une vague ressemblance avec un fusil, les vingt-quatre appareils fixes de M. Muybridge. De plus, cet appareil unique devait fournir dix ou douze images par seconde, afin d’avoir plusieurs attitudes de l’oiseau entre le moment où l’aile est dans àne position donnée et celui où elle y revient. Un instrument imaginé par M. Janssen et que celui-ci avait fait connaître sous le nom de « revolver photographique » permettait d’arriver à ce résultat; Mais encore fallait il lui donner une forme et une disposition appropriées au but que l’on voulait atteindre. M. Janssen ne s’était servi de son revolver fine pour des observations astronomiques.M. Marey, an moyen d’ingénieuses combinaisons,réussit finale-Ment à construire dans les dimensions d’un fusil de chasse, un appareil qui photographie douze fois par seconde l’objet que l’on vise, chaque image n’exigeant comme temps de pose qu’une fraction très petite de seconde.
- A.u fond du tube représentant le canon du fusil, est
- i disposé un objectif photographique. En arrière de | celui-ci, et solidement monté sur la crosse, est une large culasse cylindrique dans laquelle est contenu un rouage d’horlogerie. Quand on presse la détente du fusil, le rouage se met en marche et imprime aux différentes pièces de l’instrument le mouvement nécessaire. La principale pièce est un disque mobile sur son axe et percé de douze fenêtres qui viennent successivement se placer pendant un temps très court derrière l’objectif, en même temps qu’un obturateur démasque celui-ci. L’obturateur revient à sa place, le disque avance d’une fenêtre et ainsidesuite avec la rapidité que nous avons indiquée. Derrière le disque s’appuie la plaque sensible, de sorte que chaque fois qu’une fenêtre se place derrière l’objectif et que l’obturateur s’écarte, les objets situés dans le prolongement du tube viendront se peindre sur la plaque. D’autres dispositions secondaires permettent de faire la mise au point en allongeant ou en raccourcissant le canon, ce qui déplace l’objectif en avant ou en arrière. Enfin une petite ouverture placée à l’arrière de la culasae permet de vérifier la netteté de l’image sur un verre dépoli. Quand on s’en va au bord de la mer photographier des mouettes, on peut emporter une douzaine de plaques disposées dans un boîte, d’où on les fait passer dans la culasse et réciproquement sans qu’elles sortent de l’obscurité absolue dans laquelle elles doivent toujours être conservées.
- Après des essais sur des corps en mouvement pour s’assurer à la fois des qualités de l’appareil et du temps de pose, M. Marey aborda la photographie du vol des oiseaux, et en particulier du vol des mouettes. 11 put en saisir une, entre autres, pendant qu’elle volait en plein travers. Comme l’oiseau donnait exactement trois coups d’aile par seconde, les douze photographies de la plaque employée représentent quatre attitudes successives qui se reproduisent périodiquement. Les ailes sont d’abord élevées au maximum, puis elles commencent à s’abaisser; dans l’image suivante, elles sont au plus bas de leur course, et, dans la quatrième, elles se relèvent. Une nouvelle série pareille de mouvements revient ensuite.
- Les images obtenues avec le fusil photographique sont forcément très réduites. En les agrandissant, on obtient des représentations visibles à distance, mais dont la netteté laisse à désirer. La reproduction de ces images par l’héliogravure ne donne qu’une silhouette noire. Il ne faudrait pas croire toutefois qu’on ne puisse jamais obtenir un certain modelé. En regardant au microscope, avec un faible grossissement, les images directement obtenues, on compte aisément les grandes plumes des ailes.
- La chauve-souris a offert beaucoup plus de diffi* culté, à cause de son vol capricieux, de sa petite taille et de l’heure tardive à laquelle elle se montre. Les rares observations qu’a pu faire M. Marey sur cet animal, lui ont toutefois montré certains faits curieux. On sait que la chauve-souris abaisse considérablement ses deux ailes à chaque battement, au point qu’elles deviennent parallèles. On constate en outre que la chauve-souris peut volermalgré la perte d’une notable étendue de la membrane de ses ailes Parmi les images qu’a recueillies M. Marey, il en est une qui se retrouve plusieurs fois, et qui montre une bête volant encore très bien quoiqu’il lui manque près de la moitié de l’aile, mais la moitié la plus rap-
- p.399 - vue 400/836
-
-
-
- 400
- LE DEVOIR
- prochée du corps et non celle qui correspond, chez les oiseaux, à ce qu'on nomme le fouet.
- L’emploi du fusil photographique ouvre donc tout un champ nouveau d’études, car il est applicable à tous les animaux, même terrestres, qu’on ne saurait guère faire coutir sur une piste comme celle de M. Muybridge, et c’est peut-être dans l’étude des petits animaux, la marche sautillante des oiseaux, des souris, des rats, qu’on trouvera les phénomènes les plus curieux et les choses les plus inattendues.
- (Siècle). Georges Pouchet.
- ——-----------------
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MARIAGE :
- Le 17 Juin. — Cartigny Léon et Louise Pissot.
- Froment Henri et Lemaire Marthe.
- DÉCÈS :
- Le 20 Juin. — Mme Jumeaux-Maillet, âgée de 23 ans.
- VICTOR HUGO
- LES TRAVAILLEURS DE LA MER
- 60 Dessins de VICTOR EUQO
- On sait que Victor Hugo, s’il n’était pas le plus prodigieux des poètes, serait le plus merveilleux des peintres. Sa plume, quand elle a cessé d’écrire, se repose en dessinant. C’est ainsi que, sur le manuscrit original des Travailleurs de la mer, le poète, en marge ou en face de la page écrite, s’amusait à esquisser l'image de sa pensée, tous les aspects et tous les drames de la mer, les coups de vent, les rochers, les navires en perdition ; ou bien les ruines et les maisons du vieux Guernesey, de Saint Sampson et de Saint-Malo ; ou même les personnages du livre, la face rugueuse de mess Lethierry, le délicat profil de Déruchetle, le noyé sous l’eau livide, la pieuvre vengeresse, les gnomes fantastiques, et les paysans ahuris devant les gnomes.
- Ces précieux dessins, admirablement gravés par l’excellent artiste Mêaulle, composent une illustration toute faite des Travailleurs de la mer, la plus belle et la plus
- fidèle des illustrations, le peintre interprétant l’écrivain l'album complétant le livre. Ajoutés aux remarquables compositions de GhiffLrt et de Vierge, les dessins de l’auteur feront de cette nouvelle édition du célèbre roman le plus curieux, le plus étonnant des livres illustrés.
- Les Travailleurs de la mer formeront 05 livraisons à lO centimes et 13 séries à SO centimes.
- Envoyer un mandat-poste à l’éditeur Eugène Hugues, 3, rue Thérèse, Paris, pour recevoir franco les séries au fur et à mesure qu’elles paraîtront.
- L’Association FAMILISTÈRE (Aisne) Offre les emplois suivants:
- 1° Direction commerciale des magasins et débits coopératifs, soin des bâtiments et propriétés ;
- 2° Contrôle des comptabilités industrielle, commerciale et sociale, et contentieux de la Société;
- 3° Correspondance pour l'industrie, les affaires et approvisionnements industriels.
- On ne sera admis qu’avec preuve de capacité et bons renseignements sur tout le passé; âge, famille, honorabilité.
- Adresser les demandes à M. Godin, conseiller général, à Guise iAisne.)
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.400 - vue 401/836
-
-
-
- ANNEE, TOME 6 — N° 199
- •Lt numéro hldomadaire 20 c, DIMANCHE 2 JUILLET 1882.
- ONS SOCIALES
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 mm Trois mois . . 3 mm
- Un an ... . 11 fr. mm Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- ül w m 00
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement. • -•
- -i i
- ;« < i.
- SOMMAIRE
- Le Socialisme pratique. —Le drame de Vienne.— Faits politiques et sociaux. — Histoire de VAssociation de Ralahine. —Le congrès d*Oxford. Biblio-
- graphie. — Le Prêtre. — Le Magnétisme.
- LE SOCIALISME PRATIQUE
- III
- Si à la naissance des Sociétés, il a existé cette communauté de biens dont nous avons parlé, qui semble au premier abord plus conforme que tout autre système de répartition au principe de légalité <Ie droits des citoyens, elle n’a point duré ni pu durer, parce qu’en réalité elle consacre une égalité factice complètement en désaccord avec la vérité des faits, Tii démontrent une grande diversité d’aptitudes, de talents et de qualités chez les individus. En présence de cette différence de valeur individuelle de ses mem-^res> la société ne peut sans injustice et sans tyran-
- nie empêcher cette inégalité de conditions, résultant précisément de la variété de capacités, qui rend les uns inévitablement supérieurs aux autres. De cette inégalité d’aptitudes d’ailleurs résulte une différence sensible dans les conditions normales d’aisance pour chaque individu, et ce qui peut suffire largement à l’un, peut très naturellement être parfaitement insuffisant pour l’autre. Or, en les traitant tous les deux exactement de la même façon, la communauté imaginée pour faire le bonheur des hommes, pourra rendre l’un très heureux et faire le malheur de l’autre, c’est-à-dire manquer complètement son but.
- La nature variant à l’infini ses formules dans l’homme comme dans tous le reste de la création, il est nécessaire, pour instituer un régime conforme aux lois de la nature et à l’équité, de tenir compte, dans son organisation, de ce fait inéluctable, et d’adapter les institutions aux données naturelles, et c’est ce que le communisme basé sur l’égalité absolue ne peut point faire. Le communisme destiné à réagir contre les abus d’une répartition trop inégale des fruits du travail, ne tient pas assez compte de la différence de valeur du travail accompli par chacun, et voulant détruire le despotisme d’un seul ou d’une caste, c’est le despotisme collectif qu’il impose à sa place.
- La communauté n’est conforme aux lois de la nature que lorsqu’elle s’applique à cette part de biens que la terre prodigue libéralement à tous les êtres sans distinction et qui sont par conséquent le patrimoine commun de tous les hommes. Appliquée aux fruits du travail, elle constitue une injustice, parce que le produit du labeur de chacun ne
- p.401 - vue 402/836
-
-
-
- 402
- LE DEVOIR
- doit en aucun cas être la propriété de celui qui n’a concouru en rien à sa production. Dans ces conditions, le communisme ne remédierait pas aux souffrances des classes laborieuses, et ne ferait que déplacer le mal.
- Le mal évident de la société actuelle provient de la répartition abusive de la richesse créée parle travail. C’est donc dans une réforme sage et intelligente de cette répartition, en la basant sur la justice et l’équité qu’il faut chercher le remède à ce mal. La formule de cette réforme, entrevue simplement par saint Simon qui posait le principe « à chacun selon » ses œuvres », n’a été réellement donnée que par Fourier, lorsqu’il conseillait aux hommes « d'asso-» cier toutes les forces productives, et de partager » entre le capital,, le travail et le talent les produits » généraux de la production.»
- C’est en combinant l'idée de saint Simon et celle de Fourier et en prenant pour base du partage à faire des bénéfices de la production entre les divers éléments qui concourent à la créer,l’attribution suivant la capacité, la rétribution suivant les œuvres, que l’on arrivera sûrement à trouver la véritable solution du problème. C’est ce qu’a seul compris le fondateur du Familistère, ce que seul il a mis en pratique en instituant sur ce principe la véritable association du capital et du travail.
- Reconnaissant d’abord qu’avant toute richesse créée par l’activité humaine, il y a les forces de la nature qui offrent gratuitement aux hommes les ressources indispensables à leur existence, il a senti qu’il était raisonnable et juste que la société, en s’emparant de ces biens naturels, fournit en échange à tous ses membres les moyens de vivre. C’est pour elle un devoir strict, corollaire naturel du droit de tous les hommes àla jouissance de ces biens naturels dont elle les prive à son profit, De là l’obligation d’assurer à tous les moyens d’existence par l’organisation de l’association de mutualité dans la commune, dans le département et dans l’Etat. La terre, les fruits qu’elle porte, les animaux dont elle est couverte sont un fonds commun, où chacun avant la constitution des sociétés, puise suivant ses besoins, et sur lequel aucun privilège n’est établi.
- « Chacun, au nom de ses besoins, dit-il, peut ramasser la pierre qu’il trouve propre à faire un tranchant, couper l’arbre pour se faire un arc, cueil lir la grappe mûre et tuer l’animal au passage pour satisfaire son appétit ; mais la terre et ses fruits, le travail du Créateur et celui de la nature enfin, restent le fonds commun sur lequel les générations qui suivent, â l’égal de celles qui les ont précédées,
- conservent le droit de pourvoir à leurs besoins et d'exercer leur intelligence.
- « C’est là un devoir primordial qui subsistera aussi longtemps que l’humanité elle-même, et auquel il n’est porté atteinte que parce que, dans son ignorance primitive, l’homme méconnaît les lois de la vie, de l’association et du travail»
- « Les produits naturels n'étant l'œuvre de per-» sonne sont le partage de tous. » La nature accorde à l'homme la faculté de disposer pour ses besoins personnels des biens qu’elle prépare pour lui; mais elle ne donnne et ne confère à personne, par aucun signe particulier, le privilège d’accaparer ces biens. De l’assistance qu’elle accorde, elle fait un droit pour tous les hommes à une part du produit qui en résulte; par conséquent le domaine naturel est inaliénable. Son aliénation n’a lieu que par une violation du droit naturel, violation malgré laquelle tous les hommes conservent de génération en génération, leur droit imprescriptible au fonds commun de la nature et à une part des choses créées par son travail.
- « La Société ne peut avec justice faire obstacle à ce droit; elle ne peut en modifier l’usage qu’en donnant à l’individu des droits sociaux supérieurs à ceux qu’il tient de la nature ; c’est-à- dire en convertissant son droit aux produits naturels en un droit sociétaire dans les produits du travail. »
- L’existence de la Société sur ses véritables bases engendre donc nécessairement l'association, sans laquelle il lui serait impossible d'assurer à chacun les garanties de l’existence auxquelles il a droit. C’est par l’association de mutualité que la Société pourra remplir son premier devoir envers l’individu, qui consiste à consacrer ses ressources à assurer l’existence de tous ses membres sans distinction ni exception. Elle réalisera de la sorte le vœu de la nature qui distribue ses biens en vue de chacun, et elle inaugurera efficacement ainsi le règne de la fraternité parmi les hommes.
- En dehors de ce mode de répartition des richesses naturelles, conforme au droit individuel de chaque homme, il y a aussi à rendre plus équitable et plus juste celle de la richesse créée par le travail de l’homme, et c’est encore par l’association entre les deux éléments qui concourent à sa production, le travail et le capital, que cette répartition se fera dans des conditions normales. G-râce à l’association, en effet, une juste évaluation des concours pourra être faite, et c’est sur la base de cette évaluation que chacun viendra participer aux bénéfices de la production. La valeur exacte des services et concours de tous genres est déterminée par les émoluments, appointements et salaires attribués aux travailleurs
- p.402 - vue 403/836
-
-
-
- le devoir
- 403
- d'une Part’ Par *e l°3™r ^es choses et les intérêts fixés pour l’usage des capitaux. La répartition faite oportionnellement à cette valeur sera donc parlement conforme à Injustice, et réalisera l’application de la formule : « A chacun suivant ses œu-vres, sa capacité, son travail, Ses services dans la
- Société. »
- U est donc nécessaire pour quele mal social résul* tant du mauvais système de répartition de la ri-chesse créée par le travail disparaisse, et pour que tous les inconvénients qui en sont la conséquence cessent, que l’association s’établisse régulièrement entre les hommes. Il faut que sous la protection des lois, dans chaque entreprise, la part due à la vie humaine soit réservée, et que les droits du travail dans les bénéfices de la production soient reconnus et établis.
- Telle est la réforme radicale à laquelle il faut avoir recours tout d’abord, si l’on veut faire œuvre sociale utile. Seule elle peut faire cesser à jamais l’antagonisme séculaire qui met constamment en lutte dans la Société actuelle le capital et le travail, et seule elle peut détruire à jamais le paupérisme, contre lequel tous les autres remèdes essayés sont demeurés impuissants et inefficaces. Ce n’est que par elle que chacun aura l’assurance du nécessaire, sous la garantie de l’Etat, et obtiendra dans la richesse produite sa part légitime proportionnée à la valeur des services rendus par son travail à l’association dont il fera partie.
- Voilà, suivant nous, le véritable socialisme, le socialisme pratique, qui de l’étude consciencieuse des lois de la nature et de la vie et des éléments constitutifs des sociétés tire des enseignements propres à indiquer la solation réelle du problème tant cherchée depuis près d’un siècle.Ce que la révolution française a accompli dans l’ordre politique, le socialisme l’accomplira dans l’ordre social, lorsqu’il aura enfin triomphé de cette résistance aveugle et tenace que l'ignorance et l’égoïsme opposent toujours à toute innovation quelque recommandable qu’elle soit. Les hommes de cœur qui de bonne foi recherchent le nioyen de détruire la misère au sein de l'humanité forent encore les véritables principes sociaux, ffieme et surtout dans les sphères gouvernementales, °hl’on en est encore à l’organisation des caisses de secours mutuels et des caisses de retraite pour la vieillesse, palliatifs insuffisants, qui ont le tort d’at-tnquer la question par son plus petit côté, et d’autre Part les hommes qui connaissent ces principes et qui, Par conséquent pourraient en essayer l’application, 611 sont empêchés par l’individualisme, par l’intérêt
- personnel qui leur fait préférer le statu quo tout à leur avantage.
- G’est aux hommes chargés du gouvernement de leur pays qu’incombe d’une manière toute spéciale la tâche d’étudier la sociologie, pour se faire enfin une idée exacte des droits des citoyens, dont la méconnaissance est la cause principale de tous les maux dont souffre la société, par suite du système défectueux de répartition de la richesse. Lorsqu’ils auront enfin compris et bien vu la source du mal, iis ne tarderont pas à pouvoir en appliquer le remède. Ce jour-là ils ne resteront plus hésitants, indécis comme aujourd’hui sur ce qu’il y a à faire pour améliorer la condition du peuple, et ils s’attacheront à organiser la mutualité nationale pour assurer à tous les garanties de l’existence, et à provoquer par tous les moyens légaux l’application du principe d’association du capital et du travail pour la juste répartition des fruits de ce dernier entre ces deux facteurs de la production. Puisse ce jour n’être pas éloigné dans l’intérêt du pays aussi bien que dans celui des gouvernants eux-mêmes.
- LE DRAME DE VIENNE
- Sous ce titre, tous les journaux ont raconté le suicide de deux jeunes artistes parisiennes dans le parc du château d’Ottenshim, près Liüz (Autriche).
- L’une des victimes est Marie Damain (20 ans), cantatrice débutante, qui avait obtenu des succès dans les salons de Vienne; elle s’était éprise du jeune comte de Codenhove qui, après l’avoir rendue mère, l’abandonna; — l’autre est Aline Renneville, amie d’enfance de Marie Damain, qui a voulu mourir avec elle.
- Les deux cadavres ont été trouvés, sous les fenêtres de l’ingrat séducteur, dans un bosquet de roses, le revolver à la main, la poitrine trouée de balles.
- Dans ce lamentable événement le sexe masculin et la classe aristocratique allemande ont, il faut l’avouer, un vilain rôle qui contraste avec l’amour vrai, le sentiment maternel de la première de deux victimes, et l’héroïque dévouement amical de la seconde.
- D’un côté, perfidie, lâcheté, avarice, parti pris d’insultes cruelles à la malheureuse femme qui s’est donnée, et méconnaissance complète du devoir paternel, répudié et foulé aux pieds; — de l’autre côté, foi naïve aux promesses et aux serments d’amour, puis après l’abandon confirmé, préoccupation unique et tendre du sort de l’enfant, vu de la séduction ; enfin quand la jeune mère délaissée, abreuvée d’outrages,
- p.403 - vue 404/836
-
-
-
- 404
- LE DEVOIR
- se décide à en finir avec la vie, sa fidèle compagne est là, résolue à la suivre jusque dans la mort. Ne sera-ce donc plus que parmi les femmes qu’il se trouvera encore des Pylade et Oreste, des Nysus et Enrvale?
- Mais pour faire apprécier la moralité de cette tragique histoire, il faut citer le testament de Marie Damain, qui a été ouvert par le chancelier de l’ambassade de France à Vienne. Nous reproduisons la plus grande partie de ce document d’un poignant intérêt :
- Testament de Marie Damain.
- Voici quelles sont mes dernières volontés. Quant au seul bien que je laisse au monde — mon fils bien-aimé — je prie M. Bergruen de se faire nommer curateur ou tuteur sitôt que je serai morte, et de vouloir bien entamer le procès, afin que mon enfant n’arrive pas à être dans la gène, puisque je ne lui laisse rien.
- De mon vivant, il m’a été impossible de réclamer, parce qu’on y voyait toujours un intérêt personnel ; mais maintenant je puis dire hautement au comte Henri Codenhove ou à celui qui le représente — vu sa minorité — qu’il soit généreux et n’oublie pas qu’étant orphelin, l’enfant a plus de droits à la part qu'il lui réservait de sa fortune.
- ... .Je charge tout spécialement M. Silas de pourvoir à son éducation.
- Je tiens à ce qu’il ne soit pas élevé chez les jésuites. Mais je désire qu’on lui fasse faire sa première communion ; je serais désolée qu’il suivît le courant de notre siècle, qui consiste à ne rien croire. Je prie de ne pas négliger les exercices de corps si utiles à un garçon (gymnastique, équitation, escrime, etc.), et que l’on sacrifie souvent aux études.
- Je pars pour Livry, afin d’y rencontrer le comte, avec lequel j’ai eu une liaison à partir du 4 avril 1881, et je suis devenue enceinte au commencement de juillet, ce qui a été la ruine de ma carrière. Je suis loin de m’en plaindre, car c’était le châtiment dû. à ma faiblesse.
- ....Ce que je reproche au comte Henri, c’est sa
- conduite envers moi, qui me pousse à cet accès de désespoir. S’il ne veut pas me voir, s’il ne medemande pas pardon des tortures qu’il m’a fait endurer, s’il ne me jure pas de réparer ses torts, je me tuerai, car mon cœur sera brisé et ne pourra plus supporter la vie.
- Le premier tort qu’il ait eu, c’est au mois de septembre.quand je le suppliai de me laisser retourner en France, s’il ne pouvait me protéger pendant la dure épreuve qui m’attendait, de s y être opposé. A cela il me répondit : Tu n’as pas le droit de quitter le père de l’enfant qui est en toi, je ne t’abandonnerai jamais. C’est un lien qui m’attache à toi pour toujours, nous ne nous quitterons plus et sitôt que je pourrai t’épouser, je le ferai. Ce serait une mauvaise action que de t’abandonner. » J’ai cru qu’il était de mon devoir de rester. J’avais foi en lui. Je pensais qu’il voulait faire son devoir vis-à-vis de la mère de son enfant; j’ai compris depuis qu’il ne tenait qu’à conserver la femme plus longtemps. Je jure que je dis la vérité.
- D’ailleurs, il m’a écrit : « Je suis content de pouvoir t’écrire quelques mots pour te consoler sur ton
- état; si vraiment un accident se préparait, ne crai rien, ma bien-aimée, je serai près de toi, et si Qs le sort ne nous permet pas de nous épouser, l’arriQ116 nous unira toujours. Je saurai ce que l’honneur et "p religion réclament de l’homme qui a un enfant c’e<4 à-dire le bien-être de l’enfant et de la mère. »’
- « Quant à ce sujet, nous nous entendrons. j8 m>e gage d’avance à tout faire pour assurer ton aveni tant que mes moyens me le permettront. Et sur ce[’ je te prêterai serment, je té donne ma parole d’hon neur de gentleman et de futur officier', cette lettre' qui restera entre tes mains, en sera la preuve docu-mentale. Diæi ! »
- On trouvera cette lettre avec beaucoup d’autres semblables. Au mois de septembre, il retourna chez son père. Je restai alors à Dœbling; j’étais très malheureuse. H failut vendre tout ce que je possédais, même mes chapeaux ! Et alors je le priai de s’adresser à son père pour en obtenir quelque secours. Voilà ce qu’il me répondit :
- « Chère Mimi, j’ai reçu ta charmante lettre elle prouve que tu m’aimes toujours. Je te dirai, entre autres choses, que mon cheval favori est tombé boiteux ! »
- J’avais encore quelque espoir, mais ce fut en vain, car il ne se départit pas des instructions que lui donna son père par télégramme, et qui étaient ainsi conçues :
- « Tout promettre et ne rien donner. »
- Sans l’aide de deux amis, j’aurais subi la plus affreuse misère.
- Je sais bien qu’il n’avait pas la libre disposition de ses biens, mais s’il avait eu du cœur, il aurait dit à son père : « Voici une femme que j’ai rendue mère, je lui ai promis tout ce que l’on peut promettre.
- « Je l’ai dissuadée de retourner dans son pays, elle est ici sans ressources et abandonnée. Pour sauvegarder mon honneur, tu dois la protéger. »
- Au lieu d’agir ainsi, il s’est allié avec son père contre moi et contre son enfant. Je suis surprise que le comte Franz, dont on vante la générosité, se soit montré si cruel pour l’enfant de son fils.
- Ils croyaient sans doute tous deux que j’en voulais à leur argent, parce que le sentiment de l'amour a été plus fort chez moi que le sentiment de l’honneur.
- Henri m’avait promis de m’emmener en Italie; je devais y passer le temps de mes couches. Il m’avait juré de reconnaître l’enfant, puisque cela est possible en France et en Italie.
- Avant que je me misse en route, le comte Franz me fit comparaître, à Dœbling, devant un commissaire de police qui m’insulta et me traita de telle sorte que je fus obligée de m’adresser à un avocat.
- Après, j’eus affaire à M. Landsteiner, qui m’offrit quatre mille florins si je consentais à déclarer, par écrit, que le comte Henri Condenhove n’était pas le père de mon enfant. Je repoussai cette offre avec indignation.
- ... Je n’ai pas fait do procès après la naissance de mon fils, parce qu Henri m’écrivait que son père consentirait à arranger les choses.
- Il me proposa même un arrangement assez semblable à celui de M. Landsteiner; je devais nier la paternité d’Henri, je ne me souviens plus de la somme qu’il m’offrait. ,
- Je ne puis supporter cette injure; c’en est trop-La naissance de mon fils est illégitime, mais elle na rien de déshonorant. . .
- Je suis honteuse do m’être livrée à un homm® *ltt était indigne de moi.
- p.404 - vue 405/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 405
- Te n’ai plus la force de vivre, et je sais heureuse j/inettre fin à mes malheurs.
- 4line, qui a été ma compagne fidèle et qui a souf-
- vt avec moi, ne m’abandonnera pas môme devant 3a f ort. J’ai toutfaitpourladissuader, mais elle m’aime plus que tout sur la terre et elle veut mourir avec
- 111 Nous demandons â être enterrées ensemble à Vienne, et nous demandons qu’on ne nous transporte pas en
- France.
- Voici nos dernières volontés !
- Marie Damain-Balmoht;
- 10 juin 1882.
- Et maintenant, jeunes filles qui pouvez vous trouver en butte aux sollicitations d’un séducteur, méditez la leçon qui ressort de la triste aventure de cette malheureuse jeune femme 1 Voyez ce qu’il en revient de filer le sentiment avec les beaux rejetons de l’altière mais trop peu délicate noblesse.
- Il y a là aussi un sujet digne de fixer l’attention du législateur. Comment n'existe-t-il pas, même en un pays comme l’Autriche où la recherche de la paternité est autorisée, comment n’existe-t-il pas de prescriptions légales pour obliger à remplir le plus sacré des devoirs, ceux qui, comme les comtes de Con-denhove, s'y refusent avec toutes sortes d’aggravations odieuses ?
- Si, de même qu’aux temps de la chevalerie, il y avait encore des cours d’amour tenues par des femmes exclusivement, je demande un peu, devant un tel aréopage, quelle figure pourrait bien faire un galant qui se serait conduit en homme sans cœur, sans foi et sans honneur, en vrai goujat, pour tout dire, comme le beau sire Henri de Condenhove ? Eh bien, au lieu de la juste humiliation qui lui serait infligée et de la sentence d’éternelle indignité qui serait prononcée contre lui, de nos jours le héros de l’aventure où deux jeunes femmes ont si douloureusement péri, sera le très bien venu à porter ses hommages à d’autres beautés qui se flatteront de les mieux fixer que ne le fit la pauvre Marie Damain. Peut-être même rencontrera-t-il avant peu quelque noble et riche héritière pour accepter sa main et se laisser par lui conduire à l’autel ?...
- Belles mœurs que les nôtres où, de la part de l’homme, toutes les roueries en amour sont, non seulement permises, mais applaudies ; où la jeune fille trompée n’a aucun recours contre celui qui l’a mise à mal et ne trouve de refuge que dans la mort!
- Ch. Pellarin.
- Quelques journaux rapportent que le père dujeune comte s’est montré fort affecté du suicide des deux femmes. Il a déclaré, dit-on, que, s'il avait pu le Prévoir, il aurait obligé son fils à tout faire pour Empêcher.
- La sincérité de ce sentiment semblera suspecte à ceux qui auront lu le testament de Marie Damain.
- Ah ! l’on comprend sans peine qu’après la flétrissure que ce document imprima au nom des comtes de Condenhove, ils regrettent amèrement l’un et l’autre d’avoir donné lieu, par leurs indignes procédés, à ce qu’une telle pièce vînt au grand jour de la publicité. Sans doute ils donneraient encore plus de florins pour qu’un témoignage si accusateur ne fût point sorti de la tombe de Marie Damain, qu’ils ne lui en offraient lorsqu’elle était vivante, pour démentir la paternité du comte Henri :
- Ils ont fait enterrer, ajouta-t-on, le jour même du décès, à Ottenheim, les deux jeunes femmes — et peu s’en faut qu’on ne fasse un mérite de la générosité grande.
- Il n’eût plus manqué que cela, qu’eux, les auteurs indirects mais véritables de la double more, ils laissassent à îa charité publique le soin et les frais de la sépulture!
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- Keyue ùu 14 juillet. — La décision du gouvernement à ce sujet suggère au journal le Temps les réflexions suivantes
- Une question relative à la revue du 14 juillet a été soulevée par M. Hov.elacque dans l’une des dernières séances du conseil général de la Seine. Dans la précédente session, un vœu tendant à la suppression de cette revue annuelle avait été déposé et adopté à l’unanimité parle conseil. Il s’agissait de savoir quelles raisons avaient empêché le gouvernement de tenir compte do cette maniiestation, et c’est ce que M. le préfet de la Seine a expliqué, en lisant une lettre du ministre de la guerre à lui adressée, en date du 10 juin. Le gouvernement a pensé, dit en substance le général Billot, qu’il fallait associer l’armée à la fête, eu la faisant paraître ce jour-là aux yeux des populations. Le ministre ajoute, et sur ce dernier point il a raison, qu’on ne pourrait changer l’heure de la revue sans imposer aux soldats venus de loin un surcroît de fatigue.
- Le conseil général n’a pas paru très satisiait de cette réponse, et nous devons avouer que nous partageons son sentiment, comme nous partageons d’ailleurs un peu sa déconvenue. C’est le Temps, en efiet, qui, l’année der-! nière avait le premier soulevé cette question et appelé j l’attention du général Faire sur l’inutilité de ces parades frivoles. Presque toute la presse parisienne nous avait suivis. Seulement on disait que nous avions parlé trop tard, que les mesures étaient prises, les invitations lancées, etc., etc.; pour cette fois donc il n’y avait rien à faire. Au lendemain de la revue, que de regrettables accidents avaient attristée, nous n’étions contredits par personne en écrivant que cette solennité militaire serait vraisemblablement la dernière du genre, et qu’il n’y avait pas lieu de la regretter.
- Nous avons été, on le voit, mauvais prophètes, et nos vœux, ceux delà presse presque entière, ceux de l’armée, à coup sûr, n’ont pas eu meilleur sort que les vœux du conseil général. Toutefois, comme il n’est pas trop tard, comme la question peut encore être portée devant les Chambres, on nous permettra d’insister et ! d’insister vivement, parce que, sous une apparence
- p.405 - vue 406/836
-
-
-
- 406
- LE DEVOIR
- futile, la manie d’exhibition que nous combattons cache tout un système de mensonge et de trompe-l’œil; parce que montrer nos régiments, nos drapeaux, comme un objet de parade; les faire défiler devant le même public incompétent qui vient d’acclamer, dans les mêmes lieux, le vainqueur du grand prix de Paris, c’est manquer de respect, à la fois à l’armée, dont on fait un jouet ridicule, et à la nation, qu’on abuse en lui montrant des unités factices de fausses compagnies, de faux bataillons et de faux régiments.
- Et de quelle utilité peut être cette comédie dont l’étranger n’est pas dupe, et qui ne Rompe que le public intéressé à savoir la vérité?
- On veut mêler, dit-on, l’armée à la nation ; on veut qu’elle participe à la fête nationale ! Ce sont là de vaines phrases, car la vérité est que, ce jour-là, qui est une fête pour tous, est pour le soldat une corvée redoutée qu’il voit revenir avec le plus grand ennui. Singulière façon de participer à une réjouissance publique que d’y servir de spectacle aux autres, et comme l’amour du soldat pour la République va s’en trouver accru! Est-ce sérieusement qu’on dit ces choses? Mais on veut peut-être par des spectacles militaires entretenir le goût et l’enthousiasme guerrier. Eh bien, pourquoi, au lieu d’une vaine revue, qui n’a ni portée ni signification, qui est un reste de la vieille tactique, pourquoi ne pas exercer plus fréquemment les garnisons de Paris et de la banlieue à des opérations d’un caractère plus pratique et plus attrayant à la fois? Une circulaire récente a prescrit aux commandants de forteresse d’habituer leur troupes, soit de nuit, soit de jour, aux sorties et autres actions militaires qu’elles auraient à accomplir, en cas de siège. La garnison de Paris n’est sans doute pas exceptée de ces prescriptions, et si l’on veut amuser la foule en môme temps qu’instruire les soldats de l’armée de Paris, on voit que les occasions ne manquent pas. Quant à la revue, c’est un non-sens, et il nous semble que le général Billot était digne de rompre le premier avec une tradition bonne seulement à démoraliser les soldats et les officiers et à jeter de la poudre aux yeux du public.
- *
- ¥ ¥
- Une lettre épiscopale. — M. l’évêque de Laval vient d’écrire à M. l’archevêque de Paris, son « éminentisme et révérendissime seigneur », au sujet des « observations » que ce prélat a adressées aux sénateurs et aux députés sur divers projets et propositions de loi « qui menacent l’Eglise et les consciences catholiques, » une lettre que publie Y Univers et dont voici les dernières lignes : « Puissent tant de préjugés disparaître les esprits se rapprocher, les cœurs s’unir pour le bien général, et que tous comprennent et demeurent convaincus que notre vœu le meilleur est, avec le salut de nos frères, de voir notre pays béni de Dieu, et toujours glorieux et prospère ! »
- Les sentiments qu’exprime M. l’évêque de Laval sont louables. Souhaiter la disparition des préjugés, l’union des cœurs pour le bien général, et que notre pays soit toujours glorieux et prospère, c’est le vœu de tous les bons Français, et on ne saurait l’exprimer trop souvent.
- Mais il ne suffit point, en pareil cas de prononcer le mot; il faut aussi vouloir la chose. M. l’évêque de Laval et ses collègues de l’épiscopat l’ont-ils voulue, cette chose? Ont-ils travaillé à faire disparaître les préjugés? La campagne furieuse qufils ont dirigée et qu’ils dirigent encore contre les lois qui ont pour but de mettre l’instruction à la portée de tous les français est une suffisante réponse. Loin de les vouloir anéantir, ils ont tout fait pour les enraciner.
- Ont-ils, du moins, prêté leur concours à l’union des cœurs pour le bien général? La réponse se trouve dans l’entreprise du Sacré-Cœur de Montmartre, et dans la fondation des facultés catholiques, ils ont prêché la désunion, ils ont tout fait pour séparer la France en deux partis irréconciliables dès l’école, et ils l’ont vouée à Marie Alacoque, comme si ce grand et noble pays pouvait se prêter à une aussi odieuse mascarade !
- Quant à la prospérité de la patrie, ils y ont travaillé à leur manière en adressant, dès le lendemain de la guerre
- à l’assemblée nationale, une pétition, la pétition évêques, réclamation hautaine en faveur du p0Uv ,s temporel du pape, et qui devait violemment indisrmt l’Italie contre nous. Us ont fait ensuite alliance ouvp ?r avec ces monarchistes élus du « jour de malheur » ^ e l’unique pensée était de relever le trône de Charles X 1 qui ne s’inquiétaient que fort médiocrement de l’oecun61 tion ennemie et de la nécessité de libérer le territoire n se sont associés enfin à l’entreprise du 24 mai 1873 et il se sont jetés à corps perdu dans l’aventure du 16 mai lR-7 au bout de laquelle il y avait la violation de la constiti tion et un sanglant coup d’Etat. u"
- Nous voilà loin des vœux que font en faveur de 1 patrie les bons français. Il faut donc croire que aj l’évêque de Laval ne donne point aux mots la mèmp
- signification que nous. Disparition des préjugés est pour lui synonyme d’abrogation des lois sur renseignement c’est-à-dire de conservation des préjugés. Union des cœurs pour le bien général veut dire division des français en deux camps ennemis dès l’adolescence, voire même dès l’enfance. Une France glorieuse et prospère signifie une France livrée sans défiance à toutes le» entreprises du Gesù et de la contre-révolution.
- Avec ce glossaire, la lettre de M. l’évêque de Laval à son « éminentissime et révérendissime seigneur » m. Guibert, archevêque de Paris, cesse d’être une indéchiffrable énigme, pour prendre rang parmi ces nombreuses production, de l’épiscopat français qui ne brillent ni par le style, ni par le bon sens, "ni surtout par le patriotisme.
- Réception <1© Ml. de Brazza. — La réception par la Société de géographie de M. P. Savorgnan de Brazza, enseigne de vaisseau, au grand amphithéâtre de la Sorbonne,a été aussi brillante que celles de MM.Stau-ley et Gameron.
- La salle était comble.
- M. de Brazza a rapporté de son second voyage dans la région de l’Afrique équatoriale, non seulement de précieux renseignements topographiques et géologiques, mais des traités avec des rois nègres.
- Dans une vaste contrée, située entre le Congo et l’O* gooué, le roi Macoco envoya un de ses officiers pour annoncer au chef de l’expédition qu’il désirait le recevoir. Aussitôt M. de Brazza donna l’ordre à sa troupe de se préparer à cette réception. Lorsqu’il fut prêt, un chef indigène frappa sur une cloche à la porte de la résidence royale. Laporte s’ouvrit et le roi s’avança,suivi de ses ministres, de sa femme et de ses enfants, ainsi que son féticheur. Macoco s’assit sur une peau de lion et lui dit qu’il était heureux de le recevoir,non en guerrier, mais en homme de paix. L’accueil a été très cordial. L’explorateur est resté vingt-cinq jours dans ce pays. Chaque jour, il recevait la visite de la favorite du roi qui lui apportait des présents. Malheureusement,ses ressources ne lui permettaient pas de répondre, comme il aurait voulu le faire, à tant de témoignages û’amitié.
- Dans une grande assemblée des chefs venus de 50 lieues à la ronde, M. de Brazza a expliqué le but de son voyage. Il venait au nom de la France apporter la paix et le bien-être parmi ces peuplades, où la traite est encore à l’état d'institution.
- Après avoir pris avis de ses conseillers, le roi a signé un traité, il a juré par l âine de son quatrième ancêtre qu’il y resterait fidèle. Une concession de vastes terrain3 a été accordée pour fonder une station hospitalière, et, comme consécration au traité, une petite boîte renfermant de la terre des terrains concédés a été remise a notre missionnaire.
- De sorte que nous possédons, dans ces parages, deux stations ou villages. L’une a le nom de Franceville, e l'autre a été baptisée, par la Société de géographie, a nom de l’explorateur : Brazzevilie. , j
- Dans une autre tribu, le jeune voyageur a renconm de sérieuses difficultés. 100 pirogues, évidées dans r tronc d’un arbre et portant chacune 50 hommes, de' cendirent le fleuve. Ces guerriers qui avaient, années auparavant soutenu un combat meu trier et sa *
- p.406 - vue 407/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 407
- elaüt contre des Européens, étaient résolus à anéantir fa mission. Il fallut parlementer et recourir à toutes les ressources de la diplomatie pour les calmer. Enfin, la paix fut conclue. On fit, dans la terre, un trou où les chefs déposèrent, en signe de paix et de concorde, l’un une cartouche, l’autre une balle, un autre une pierre à fusil. Puis, on planta dans le trou un arbre symbolique qui, en déployant sa ramure,assurera à toute la contrée hamùié des français.
- Poursuivant sa" route à travers forêts, plaines et mon • tagnes, l’expédition arrive dans un pays où les habitants sont moins belliqueux, mais doués d’une prodigieuse adresse. Pendant qu’on faisait aux voyageurs de la musique pour les reposer de leurs fatigues,on fouillait dans leurs bagages pour les voler. Que fit M. de Brazza? Il déchargea quelques coups de revolver sur un arbre et tous les objets volés furent aussitôt rapportés au sou d’une musique exécutée avec beaucoup plus d’entrain. . •
- Dans le récit qu’il a fait de sa relation au centre de l’Afrique, M. de Brazza a été souvent interrompu par d’unanimes applaudissements qui ont dû le dédommager de ses longues souffrances et des dangers qu’il a courus. Deux jeunes nègres qu’il a amenés ont vivement excité la curiosité du public.
- Lundi prochain la société de géographie donne eu l’honneur du jeune explorateu r un banquet à l’hôtel Continental.
- ANGLETERRE
- On écrit de Dublin au « Rappel » :
- Les événements des derniers jours ont une teinte de mélodrame tellement prononcée que peu de vos lecteurs, à moins ae connaître le pays d’où je vous écris, seront disposés à y ajouter foi.
- 1° Le major-général Harman a mandé à tous les officiers de la garnison de Dublin, d’avoir à se tenir prêts avec leurs bataillons. Divers endroits de Dublin ont été désignés où ils auront à se cantonner avec les troupes sous leurs ordres. D’autres endroits doivent servir aux postes de réserve ; et tout un plan de stratégie complet a été tracé eu cas de désordres, ou pour mieux dire en cas dé révolte.
- 2° Les principales villes de province sont traitées de même; dans quelques-unes, les postes sont doublés et l’état de siège est quasiment déclaré.
- 3° Le lord lieutenant ne vient plus eu ville et gouverne les affaires d’Irlande de sa propre villa, où un système de dépêches a été établi entre lui et le château.
- 4° Les autorités ont reçu avis que des armes devaient être ou avaient été débarquées sur la côte du comté Clare. Tous les bateaux y sont examinés par les gardes-côtes. A cela, rien d’étounaut, si l’on se rappelle que, samedi dernier, les détectives de Londres opérèrent une descente dans un magasin fenian où ils saisirent 100,000 cartouches, 475 sniders et 20 caisses de revolvers.
- 5° Avant-hier, les autorités ont encore intercepté à l'embarcadère de la ligne Sud-Ouest un baril de poudre, abandonné par un voyageur qui aurait dû changer de voiture à Mallow, mais qui, soit crainte de se faire soupçonner, soit toute autre cause, n’avait pas réclamé son bagage et avait continué sa roule sans souffler mot.
- 6° Il est défendu à tout « pékin » d’entrer dans aucune caserne sans être accompagné d’un officier en garnison qui se porte garant.
- 7° Des détachements de cavalerie font continuellement le tour de Dublin par le chemin de ceinture.
- 8^ La police elle-même est «boycottée », elle avait érigé à Ballynchoun une caserne sur la ferme d’un tenancier boycotté. Un seul aubergiste, Ryan, la servait encore. Il a dû cesser, devant les menaces qui lui ont été faites, et la police eu est à présent réduite à faire venir ses vivres de Athloue par le canal.
- En voilà assez, je crois, pour prouvêr que lès choses vont de mal eu pis. Et je n’ai pas parlé d’évictions ! 4 aür&ig trop à dire là-dessus.
- Une bande de moonlighters a saccagé, la nuit dernière, la ferme d’un individu nommé Driseoll, qui persistait à aider à des voisins boycottés.
- ALSACE-LORRAINE
- Le dernier recensement du 5 juin a constaté pour la ville de Strasbourg, une population totale de 104,472 âmes qui se répartissent ainsi au point de vue confessionnel : catholiques, 51,859, dont 2,608 soldats ; protestants, 47,769, dont 6,818 soldats; réformés, 922, autres cultes chrétiens, 225, dont 4 soldats ; israélites, 3,521, dont 28 soldats; sans religion, 155.
- En 1871, la population, garnison comprise, comptait 85,441 âmes.
- AUTRICHE
- La protestation de Victor Hugo contre les persécutions des juifs en Russie a été l’objet de mesures de rigueur en Autriche.
- Le Tagblat de Vienne a été saisi pour avoir publié le généreux appel du grand poète.
- ÉTATS-UNIS
- La foulé des émigrants s’accroît sans relâche.
- Pendant le mois de mai de cette année, il est arrivé 84,000 personnes à New-York.
- Depuis le commencement de l’année, le nombre des . émigrés s’est élevé à 225,000, tandis qu’il n’avait été que de 187,000 pendant l’époqne correspondante de l’année passée.
- Les Allemands y figurent pour le plus grand nombre, maison a constaté que le nombre des Italiens qui sont arrivés en Amérique a considérablement augmenté dans les derniers temps.
- EGYPTE
- Le correspondant du « Temps » à Londres lui écrit :
- Encore un fait qui peint bien la situation en Egypte. Le Times en a reçu la nouvelle ce matin. Un ingénieur anglais, M. Cotteriîl, avait été cité, il y a deux ans, devant un tribunal international, par trois saidifellahs, sous prétexte qu’il leur devait de l’argent. La cour lui donna gain de cause et condamna las fellahs aux dépens. Hier les trois individus, enhardis par les désordres récents et s’imaginant pêcher en eau trouble, sont venus réclamer à M. Cotteriîl la vieille dette dont le tribunal n’avait pas voulu reconnaître la réalité. Ils le menaçaient de le tüer. et allèrent jusqu’à monter avec lui dans la voiture qu’il prenait pour se rendre ail consulat anglais, et de là jusque chez le gouverneur d’Alexandrie. Le gouverneur leur fit comprendre qü’en tout cas M. Cotteriîl, ingénieur de là Compagnie d’irrigation dont ils se plaignaient, ne pouvait être responsable. Ils le laissèrent partir, mais dans l’après-midi ils attaquèrent de môme le gérant de ladite compagnie et le menèrent chez le gouverneur, qui lui donna quarante-huit heures pour prouver qu’il n’atait pas de dette envers les trois individus. C’est rouvrir la chose jugée et on comprend que, dans un pareil état de choses, les Européens ne veuillent pas écouter les Conseils d’Àrabi de rester tranquillement en Egypte et dé vaquer comme à 1’ordir.aire à leurs affaires.
- *
- * *
- Le Standard reçoit fi’ÀléxâMrie la dépêche suivante :
- On apprend de*bonne source que, dans le cas où l’Angleterre et la France se décideraient pour une intervention armée en Egypte, Àrâby-Pacha ferait sauter, au moyen de la dynamite, ühe partie du canal de Suez. Des torpilles ont été préparées à cet effèt au tapis de février; il couperait, eh outre, la ligne dit chemin de fer
- p.407 - vue 408/836
-
-
-
- 408
- LE DEVOIR
- du Caire ; il s’opposerait enfin de toutes ses forces au j débarquement des troupes à Alexandrie et, dans le cas f où il serait battu, il se retirerait dans le désert où 30,000 Bédouins viendraient se joindre à lui.
- ITALIE
- La tombe s’achève à Caprera : une large pierre taillée dans les rochers de l’île la recouvre. Pour toute inscription un nom : Garibaldi. Pour tout ornement d’étoile des Mille. Chaque jour des fleurs, des couronnes viennent s’entasser sur ce froid granit ; c’est un pèlerinage incessant. La piété populaire demande que la petite maison dans laquelle a vécu le héros, dans laquelle il est mort, demeure avec l’humble mobilier qu’elle renferme un monument consacré. Que les drapeaux réunis de l’Italie, de la France et de la République Argentine, qu’un phare allumé toutes les nuits indiquent aux marins l’asile où Garibaldi donna l’exemple des vertus les plus hautes et les plus simples.
- Trieste, Trente. Gorilza, l’Istrie partagent le deuil de la patrie dont elles sont encore séparées. L’Autriche a fait saisir, sans pouvoir en arrêter la rapide circulation, un petit papier de cinq lignes où les Irredenti ont ins> crit leur douleur et leur espérance.
- * ¥
- Un jour Henri Monnier entre chez ce restaurateur de chaussures, que Von nomme un Pipelet, il s’installe, cause une heure, puis deux. Pipelet, impatienté, lui demande à la fin ce qu’il désirait.
- — Rien, répond flegmatiquement Monnier. j’ai lu sur votre loge Parlez au portier, je parle au portier...
- *
- * *
- Nouveau complot «en X&us&ie* **» La police vient d’arrêter une cinquantaine de nihilistes qui paraissent impliqués dans un complot ayant pour but d’attenter à la vie de l’empereur.
- Le chef de cette conspiration est un vétérinaire, nommé Kribiloff, qui, après avoir habité le quartier do Moscou, vint s’établir dans le quartier Vassili-Qstroff, où ses allées et venues suspectes excitèrent Fattention de la police.
- Samedi des frotteurs se présentèrent chez Kribiloff, commencèrent leur travail, puis tout à coup se précipitèrent sur Kribiloff et sa cuisinière (qui se trouva être un homme déguisé) et leur mirent les menottes.
- La maison était pleine de matières explosibles et, sans la ruse des agents, il est probable que Kribiloff se serait fait sauter avec les personnes venues pour l’arrêter, plutôt que de se rendre.
- On a saisi une grande quantité de dynamite, une correspondance importante et les plans du Kremlin.
- Ces découvertes ont amené l’arrestation d’une quarantaine de personnes, parmi lesquelles on compte quelques militaires et des personnages d’un rang élevé.
- Les dernières dépêches annoncent qu'un soulèvement vient d’éclater dans la Lithuanie. Il y aurait eu un grand nombre de morts.
- •*
- * *
- Un ukase impérial adressé au ministre de la justice porte que les lois civiles actuellement en vigueur seront examinées par une commission spéciale présidée par ce ministre et composée de personnes versées dans le droit civil au point de vue théorique et pratique. Cette commission, après avoir examiné les lois en question, élaborera un projet de code civil.
- ALLEMAGNE
- On sait que le Reichstag, après avoir rejeté le monopole du tabac, cette pierre angulaire du système économique et financier de M. de Bismarck, s’est ajourné au 30 novembre. La discussion qui a précédé le vote a éclairé d’une vive lumière la situation intérieure de l’Al-
- lemagne. M. Richter et M. Windhorst ont fait durement et hardiment entendre de cruelles vérités. M. de Win-dhorst a résume en trois mots la situation : cherté croissante de la vie ; augmentation incessantes des impôts; dureté insupportable d’une discipline militaire anti-humaine.
- A quoi servent les dynasties a demandé M. Richter? Et qui des deux, peuple ou dynastie, a le plus besoin de l’autre? — Les socialistes voteraient le monopole, a dit M. Hasenclaver, si le monopole devait augmenter d’un pfennig le salaire de l’ouvrier. — Eu principe, ont déclaré les Polonais, nous ne sommes point hostiles au monopole, mais nous voterons contre par discipline politique. — Malheureusement les dénutés alsaciens et lorrains n’ont pas été unanimes. Quelques-uns, MM. Jaunez, Quirin, de Wendel, ont eu la faiblesse de s’abstenir. M. Grad, qui paraît enfiler le chemin suivi parM. Schneegans, a voté la loi. C’est une désertion. Pour sô consoler de la rude opposition du Reichstag, et pour -s’entretenir la main, le chancelier expulse les Danois du Schleswig, même les commerçants, même les fermiers. Le Danemarck réclame, mais on lui fera bien voir que :
- Le droit du plus fort est toujours le meilleur !
- RÉPUBLIQUE ARGENTINE
- Des nouvelles de Montévidéo annoncent qu’une révolution vient d’éclater dans l’Uruguay.
- La Beringue ouvrant les portes du ciel. — Tout le monde sait que la croyance au péché originel nécessite le baptême pour 1’eflaeer. L’Eglise a été amenée à admettre que le fœtus humain, a peine conçu, est immédiatement habité par une âme coupable du pêché d’Adam.
- Le clergé ne s’est pas arrêté en si beau chemin. Dès qu’une felnme a fait quelques concessions à l'hyménée plus ou moins légal, elle s’expose à contenir dans son sein un rudiment d’homme, auquel est attaché une âme nécessairement souillée du péché originel ; on doit sans délai venir au secours de cette âme et la purifier. Qn ne pouvait songer à éventrer toutes les femmes suspectes de grossesse, ce qui pourtant aurait été le remède souverain. On se résina à prendre un expédient plus do jx; et l'on imagina "l’injection qu’on décora du titre de baptême intra-ultériu.
- Un prêtre en grande tenue, introduit dans ce que le poète appelle ce « gouffre où dort notre néant », introduit, dis-je, une seringue remplie d’eau bénite et pousse le piston en prononçant gravement les paroles sacra-meutales ! « Je le baptise, etc. »
- Mais tout ceci était vulgaire, et nous sommes dans un siècle de progrès. Un docteur orthodoxe , nommé E. Terrier, vient d’inventer un instrument devant remplacer la seringue vulgaire qui se trouve dans chaque maison.
- Il a donc inventé un instrument pour administrer le baptême inira-ultèrin. Il a présenté cet instrument à f Exposition universelle de 1867 ; malheureusement pour les petites âmes, il n’y fut pas admis.
- L’inventeur vient de publier une brochure dans laquelle il donne la description détaillée, ornée d’un dessin représentant l’appareil.
- C’est un siphon dont la branche supérieure se termine par un entonnoir, l’autre branche se termine par une canule dont l’orifice a la forme d’une croix.
- En résumé, voici la description qu’en donne l’auteur ;
- Mon instrument, dit-il, réunit toutes les conditions qu’on peut désirer au point de vue de la théologie et de médecine, savoir :
- En ce qui concerne la théologie ;
- 1. Le sacrement se donne par infusion et non par injection, puisqu’il suffit de verser, dans la partie creusée en forme d'entonnoir, de l’eau contenue dans une carafe ou dans un vase quelconque, en prononçant les
- p.408 - vue 409/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 409
- aroles : « Si tu es un ll0mme vivant, je te baptise,
- etÜ"r * sio-ne de la croix que forment les prêtres v baptisent, sur le front des enfants, est imité par ^Y^mité inférieure de mon instrument, qui est terminé ‘'Sune ouverture cruciale;
- p o Plus de crainte de profanation par l’emploi d un • ctrument souillé.
- / Un qrand nombre d’enfants qui mouraient sans baotême ne seront plus désormais privés de la grâce
- attachée à ce sacrement.
- Sous le rapport médical : .
- 1. Facilité de porter Pinstrument, qui se démonte en
- deo Xpiqrs1de’ridicuie attaché à l’emploi de la seringue.
- [ 'instrument nouveau s’allonge ou se raccourcit à volonté, suivant la hauteur à laquelle se trouve l’enfant dans le canal valvo-utôrin. _ .
- On nous dit que l'auteur était médecin du Prince de Monaco lorsqu’il publiait sa brochure. D'ailleurs, le docteur Verrier est un médecin très distingué et un savant.
- TJn déménagement. — Un jour,
- l’un des officiers du restaurant Noël, en pénétrant dans un cabinet où avaient soupé une dizaine de noctambules, ne trouva plus le piano. L’absurde instrument avait disparu comme une muscade. Le garçon se frotta les yeux et se demanda s’il était bien êveilie. Puis il alla voir sur la terrasse. Toujours rien. Il redescendit avec des allures d’halluciné, et courut chercher un maître d’hôtel qui, après avoir constaté le prodige, monta lui-même réveiller
- M. Noël. ... 4.1 v. v.*
- Tout cela ne faisait pas revenir le piano, et les habitants commençaient à crier au sortilège, quand un grand jeune homme vint trouver le restaurateur et lui expliqua, d’un air confus, ce qui s’était passé...
- A cmq heures du matin, ses amis et lui s'étaient trouvés gris comme la Pologne tout entière. Il y avait déjà deux heures qu'ils versaient toute espèce de liquides dans le piano, sous prétexte que Pinstrument avait soif, et ils s’étaient pris pour lui d’une véritable amitié. Cette amitié finit par dégénérer en une de ces tendresses dont sont seuls susceptibles les pochards, et il parut évident qu’on né pouvait se séparer d’un piano si chéri. Lesdits ivrognes se mirent donc à le désosser suivant leur expression. Et ils l’emportèrent sous leurs longues gâteuses, eu une douzaine de morceaux. Celui qui parlait ainsi à M. Noël avait notamment mis toutes les touches dans ses poches...
- Il venait du reste, de la part de ses amis, pour payer le piano disséqué. Ce qui fut fait, à la grande satisfaction de M. Noël qui se tordait de rire.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XIX (1)
- Liberté de conscience
- Comme on l’a vu dans les Statuts, la liberté de conscience était absolue à Ralahine.
- Un des principaux visiteurs de l’association, M- Finch, dont nous parlerons plus loin, dit à ce Propos :
- (D Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21,28 mai5 4, 11, 18 et 2o juin 1882.
- « La seule religion enseignée par la Société est la « pratique incessante de tout ce qui peut contribuer « au bonheur de la population : hommes, femmes et « enfants, sans préoccupation de pays, de sectes, ni « de partis.
- « La Bible, en conséquence, n’est point usitée « comme livre d’école. On n’entend nulle part de « discussions dogmatiques.
- « Les membres de l’association ne cherchent ni à « se convertir, ni à se tourner en ridicule les uns « les autres à propos de religion. Une liberté abso-« lue est laissée à chacun dans l’accomplissement « des exercices religieux, quels qu’ils soient.
- « La religion est enseignée aux enfants par les « ministres des cultes ou les parents ; mais ni prê-« très, ni ministres ne sont rétribués par la Société. « Néanmoins, catholiques ou protestants, les mi-« nistres sont partisans de l'association, parce qu’elle « a pour’conséquence de faire un peuple sobre et « industrieux de gens qui, autrefois, n’étaient que « des mendiants. »
- Le dimanche était en réalité un jour de repos ; trois membres, tour à tour,veillaient à la nourriture du bétail et à la préparation des repas ; les autres associés jouissaient de leur temps à discrétion.
- CHAPITRE XX
- Admission de membres non agriculteurs
- D’après les Statuts tout candidat devait d’abord obtenir de M. Vandeleur une autorisation écrite, avant d’adresser au comité une demande d’admission. Cette mesure avait pour but de permettre au Président d’écarter tel candidat qui pouvait ne pas lui convenir et de limiter le nombre des membres s’il le jugeait nécessaire. Tout candidat devait, en outre, faire un stage d’une semaine, afin que les associés se formassent une opinion sur son mérite avant de passer au vote d’admission ou de rejet.
- L’expérience conduisit à reconnaître qu’un stage de huit jours n’était point une période de temps suffisante pour s’assurer que le postulant offrait réellement les conditions morales et intellectuelles, essentielles à la bonne marche de l’entreprise. Deux exemples démontrèrent la nécessité d’un temps d’épreuve plus considérable. Il est intéressant de les faire connaître, surtout parce qu’il s’agit de gens non habitués aux rudes travaux que les associés avaient à accomplir.
- Il est très-remarquable que ces deux personnes soient justement les seules qui se soient retirées de la Société de leur propre volonté.
- Le premier des deux individus en question fut
- p.409 - vue 410/836
-
-
-
- 410
- LE DEVOIR
- James, M. Guire, un ancien serviteur de M. Vande-leur. Cet homme exprima le désir de devenir membre de la Société, et d’être employé en qualité de garçon de magasin. Il fut élu membre et chargé de la fonction qu’il désirait ; mais bientôt il fut évident que ses services n'étaient pas nécessaires au magasin et comme Guire n’était point habitué au travail agricole, il demanda lui-même à se retirer de la Société, afin de chercher ailleurs une position plus en rapport avec ses goûts et ses habitudes.
- L’autre exemple fut celui de Joseph Cox, jeune homme appartenant à une respectable famille de Londres. Cox avait reçu une bonne éducation ; il était employé chez un homme de loi. Les discours et les enseignements des défenseurs du progrès social, leurs démonstrations de la supériorité du socialisme sur l’égoïsme et la compétition avaient fait sur lui une vive impression. Il attachait donc une très-grande importance au mouvement social.
- Quelques articles parus dans le « Times » et autres journaux concernant l’association de Rala-hine attirèrent son attention, et il résolut, dans un moment d’enthousiasme, de se joindre, si possible, à la Société. Il se rendit en conséquence de Londres à Ralahine.
- La Société ne comptait encore que quelques semaines d’existence quand lui arriva ce grand et mince jeune homme d'environ 18 ans. Cox fut tellement séduit dès les premiers jours qu’il demanda à M. Vandeleur de le proposer à l’admission. Il fut reçu.
- Or, dans les circonstances où se trouvait la Société, avec les charges qui lui incombaient, il était indispensable que chacun des membres fût en état de prendre part aux travaux agricoles. La majorité des gens étaient illettrés * ils ne savaient pas le premier mot des théories, ni des merveilles de la science sociale ; ils ignoraient le progrès intellectuel ; ils n’étaient capables que d’une chose : travailler longuement et rudement à la culture du sol. Ils commençaient bien à entrevoir que l’étude de nouvelles combinaisons sociales avait son utilité, mais ils n’étaient point encore dans la possibilité d’apprécier l’intelligence supérieure du jeune homme qui arrivait parmi eux, Comme Joseph Cox ne pouvait ni bêcher ni labourer, on le considéra bientôt comme un membre inutile, un frelon mangeant le miel, rassemblé par les travailleurs.
- « C’était, » dit M. Craig, « une grosse méprise d'avoir accepté comme associé un jeune homme délicat, bien élevé, qui de sa vie n’avait manié d’instrument plus lourd qu’une plume ; de l’avoir mis en compétition avec de robustes ouvriers irlandais, rompus
- depuis la naissance aux plus durs exercices indus triels. Seuls des travailleurs agricoles expérimentés peuvent être, sous une direction intelligente, les pionniers de la ferme coopérative. Le socialisme véritable, exige l’égalité des conditions, des services et la réciprocité des sentiments. »
- La situation de Joseph Cox était très-pénible. \\ se sentait inférieur à ses collègues ignorants mais laborieux ; on ne pouvait l’employer qu’aux travaux confiés à la jeunesse.
- Physiquement Cox gagna beaucoup. Il était venu à Ralahine tout délicat de forme, les mains féminines; et quelques mois passés à la ferme développèrent sa poitrine, lui élargirent les épaules, le rendirent fort et robuste. Mais il n’était pas dans le milieu intellectuel qui lui convenait. La sympathie manquait à cause de la disproportion d’intelligence et de manières entre lui et les autres membres. Son ignorance de la langue irlandaise était pour lui une cause déjà bien considérable d’embarras et de peine. D’autre part, il n’était pas accoutumé aux conditions d’existence du peuple ; son instruction supérieure l’élevait au-dessus des pensées habituelles de son entourage ; bientôt il perdit tout espoir de trouver quelque lien moral avec les travailleurs qui l’entouraient.
- L’enthousiasme qui l’avait porté à quitter ses amis de Londres était glacé par les rudes nécessités de l’existence de Ralahine. Il se sépara de l’association au bout de quelques mois.
- Joseph Cox passa en Amérique où il se fit une situation honorable ; il garda toujours un excellent souvenir de Ralahine où il avait acquis du moins, plus de vigueur physique et le sens plus pratique des conditions indispensables au progrès de la vie sociale.
- (A suivre.).
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Les Banques
- I M. Crabtrée lit un long rapport dans lequel il expose la situation, à ce point de vue, des sociétés de coopération en Angleterre. Il a pris pour base de cet exposé de situation les comptes-rendus d’une cinquantaine de sociétés différentes, et il croit que l’on peut raisonner sur toutes les autres d’après la-moyenne fournie par le dépouillement des chiffres qu’il a examinés.
- p.410 - vue 411/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 411
- Voici le résultat que cet examen a fourni :
- Nombre de membres 208.353 Capital leur appartenant Fr. 66.085.SÛC »»
- Actions dans la société
- de vente en gros Fr. 1.813.825
- Prêts à la dite société Actions des Moulins Placements hypothécaires Actions des sociétés de production et d’Escompte prêts aux dites sociétés Actions de chemins de fer En caisse dans les Banques de coopération En caisse dans les Banques particulières
- Solde employé par les 50 sociétés en constructions et autres transactions d’affaires
- 4.488.175
- 1.837.050
- 6.524.650
- 3.165.625
- 3.688.725
- 1.913.000
- 1.562.525
- 5.406.675
- 35.685.250
- Ensemble Fr. 66.085.250
- Ce qui donne une moyenne par membre Fr. 317 15
- D’après ce tableau, l’on peut voir que près de la moitié du capital tiré des magasins de détail n’est point nécessaire pour les affaires des magasins, et que les sociétés en question ont placé beaucoup plus de capitaux en actions et en prêts aux banques et chemins de fer qu’en valeurs leurs propres entreprises; ce qui tendrait éprouver qu’elles ont quatre fois plus de confiance dans les banques particulières que dans les banques de coopération. S
- En constatant ce fait, le rapporteur se demande si dans de telles conditions, les banques de coopération ont chance de prospérer et de se développer. Il s’explique peu ce manque de confiance dans la Banque coopérative du Magasin de vente en gros, qui fournit tous les trois mois au public son bilan, et qui paye le même taux d’intérêt que les banques particulières auxquelles on donne la préférence, tout en offrant les mêmes garanties au moins de sécurité.
- « Je ne suis pas* dit-il, de ceux qui croient que le mouvement coopératif doit absorber toutes ies individualités et toutes les transactions du pays, pas plus que la Banque d’Angleterre n’a pu le faire ; car à mesure que notre mouvement grandit et se développe, nous avons à compter sur des influences hostiles agissant pour le neutraliser autant que possible; mais si, malgré cela, nous pouvons faire ce qu’a fait la banque d’Angleterre dans un laps de temps analogue, nous aurons obtenu un résultat suffisamment remarquable. »
- La sécurité du placement est la première considé-tion de tous ceux qui possèdent, coopérateurs ou âütfes. Le paysan Français se contente d’un intérêt
- faible dans ses placements en rentes pour cette raison, et les travailleurs anglais ne peuvent s’empêcher de courir au contraire après des retenus élevés. Iis devraient comprendre que la meilleure méthode à adopter est de chercher des placements qui donnent le maximum de garanties de conservation du capital. Les travailleurs d’autrefois se contentaient des intérêts payés par les caisses d’épargne, tandis que ceux d’aujourd’hui croient qu’il n’y a point de limites au taux de l’intérêt, et celui de 5 0/0 leur paraît à peine suffisant. Quoique ce chijïre soit supérieur à la valeur réelle de l’argent de nos jours, c’est celui que les banques de coopération payent régulièrement et ce genre de placement est par conséquent rémunérateur. Elles pourraient pour donner satisfaction à ceux qui aiment à avoir des valeurs de l’Etat, trouver le moyen d’employer une partie de ses fonds en achat des Consolidés. Chaque membre pourrait avoir son titre nominatif et non pas au nom de la société qui lui aura servi d’intermédiaire pour son placement.
- M. Thomas Hughes lit à son tour un rapport rappelant qu’il y a cinq ans à Leicester la question de savoir si les opérations de Banque de l’Association coopérative devaient faire l’objet d’une institution centrale distincte ou se confondre avec celles du Magasin de vente en gros. Le congrès se prononça en faveur de la séparation, malgré que l’administration du Magasin de vente en gros fut d’un avis contraire. L’expérience de ces cinq années a permis de se faire une opinion sur l’efficacité du système adopté. Dans l’année qui précéda le congrès de Leicester le mouvement de fonds de la Banque du Magasin de gros avait été de 254 millions de francs environ. Pendant les deux années suivantes il n’atteignit point ce chiffre; en 1880 ii monta à 307 millions passés, et en 1881 à 315 millions environ.
- D’après les bilans des diverses armées, il est clair que la faculté de la Banque de disposer des fonds confiés à sa garde ne suit pas le mouvement d’augmentation des dépôts de ces fonds, c’est l’impossibilité ou est parfois placée la banque coopérative de trouver un emploi utile de ces capitaux disponibles, qui explique l’espèce de préférence donnée aux banques particulières. Lés pertes éprouvées dans certaines opérations de banque de la société de vente en gros sont dùes tout simplement aux limites étroites imposées à ses administrateurs pour le choix de leurs placements. Etendre le champ de ses opérations en séparant les affaires de la Banque de celle du commerce de l’association de vente en gros, et rendre cette banque coopérative complètement mutuelle, en en éliminant les actionnaires qui interceptent les bénéfices des affaires, ainsi que ie suggère
- p.411 - vue 412/836
-
-
-
- 412
- LE DEVOIR
- le Manuel, serait le meilleur moyen d’imprimer à cettte entreprise un caractère attrayant que nulle autre entreprise de ce genre ne présente dans le pays. Cette transformation une fois connue assurerait à l'institution une large clientèle et des affaires prospères.
- L’on passe à la discussion, et le président rappelle que les orateurs ne doivent point dépasser les cinq minutes accordées à chacun d’eux par le règlement.
- M. Barnett, au sujet du rapport de M. Crabtrée, fait observer qae le sacrifice de 5 0/0 en faveur du magasin de vente en gros pour faire réunir les opérations de banque n’est point admissible, en raison des difficultés qu’éprouvent les Sociétés à réunir les fonds et à les adresser à l’Association de vente en gros. Sur 650 sociétés qui font des affaires avec elle, il y en a 432 qui en raison de leur situa-i tion géographique ne peuvent faire des opérations de banque avec elle. Elles ne peuvent donc être accusées de lui être infidèles. Il y en a d’autres qui n’ont pas de fonds ou qui en ont de si peu importants qu’ils restent entre les mains des trésoriers. Ce n’est pas tout : pour porter tous les capitaux à la Société de gros, il faudrait que celle-ci en eut toujours l’emploi, et c’est ce qui n’a pas lieu, car souvent elle en a eus dont elle ne savait que faire. Les magasins de détail emploient leurs excédants en achat d’immeubles et en constructions, pourquoi l’argent des banques ne serait-il pas utilisé de même avec bénéfice ? Il y a dans les banques particulières des capitaux que l’on prête à 2 0/0 aux sociétés. La Société de gros ne pourrait point le faire.
- M. Nuttall conteste les affirmations du précédent orateur au sujet de l’impossibilité pour certaines sociétés d’opérer avec la banque de l’Association de vente en gros, qui a des agents à Londres et dans les grands centres. Il dit que le meilleur emploi à faire des capitaux de la coopération consiste à favoriser les entreprises de production et l’ouverture de magasins coopératifs de détail. Il ne devrait pas y avoir de ville ni de village sans un magasin de ce genre, et pour cela l’Association prêterait des fonds avec sécurité. Mais la première chose à faire, c’est de produire soi-même tous les articles à y mettre en vente. Ce serait le moyen le plus sûr d’utiliser les millions qui sont actuellement placés dans les banques particulières. L’institutionde la Banque coopérative a eu pour but de faire déposer les fonds d’excédant des magasins dans un centre coopératif, qui le placerait pour développer la production et la consommation de la coopération. Il manque des moulins dans plus d’un district. Il n’y aura de véritables pro-
- grès que lorsqu’on sera parvenu à produire tout ce que l’on consomme.
- Après quelques observations de M. Swallow, M. Neale déclare que le conseil de M. Nuttall d’employer l’argent déposé à la Société de vente en gros à développer les affaires de la coopération est excellent, mais ce n’est point là le but de la banque. Les banques qui emploient leurs capitaux à favoriser des entreprises s’y ruinent, et c’est ce qui est arrivé à la Banque industrielle de Newcastle. La banque doit toujours pouvoir rembourser les fonds déposés chez elle à court délai, ce qui lui est impossible, si elle les place. Il y a dans les règlements de l’Association une clause qui rend impossibles les opérations de banque, c’est celle en vertu de laquelle personne ne peut être membre de l’institution en dehors des Sociétés coopératives, et personne n’y peut faire d’emprunt s’il n’est membre d’une Société de coopération. Pour rendre la banque possible, il faudrait modifier cette règle, et l’on rendrait alors la banque profitable. C’est pour cela que la coopération a actuellement 5 millions inutilisés dans la London and County Bank qui ne peut les prêter à un étranger à la coopération dans la crainte qu’il n’en fasse usage en dehors de la coopération, ce qui est ridicule.
- M. Greening est d’accord avec M. Nuttall en ce que suivant lui la solution réelle de la question se trouve dans le développement de la production coopérative. Il est également d’avis qu’il y aurait lieu de produire pour l’association tout ce qui y est mis en vente. M. Hughes dans son rapport a fait allusion au succès des banques en Allemagne et en Italie. Pourquoi ont-elles réussi ? Parce qu’elles ont été fondées avec l’idée de permettre aux travailleurs de devenir producteurs. En Allemagne, le but était de faciliter, au moyen d’une avance de fonds, au travailleur la possibilité de devenir un petit fabricant, le système des petits fabricants étant général en Allemagne. C’est ainsi que les banques en Italie et en Allemagne ont trouvé dans la production un débouché pour leur argent. Pour atteindre le même résultat, il nous faut agir de même, et nous créer une clientèle de travailleurs, mais dans d’autres conditions qu’en Allemagne, parce qu’en Angleterre le système des petits fabricants n’aurait aucune chance de succès. Mais on pourrait multiplier les institutions comme la société de fabrication d’étoffes de futaine d’Hebden Bridge qui a parfaitement réussi, ou comme celle de la société d’Airedale et celle d’horlogerie de Coventry, prospères aussi.
- Divers orateurs parlent ensuite soit en faveur soit contre l’emploi dans tel ou tel sens des fonds d’excédant des sociétés coopératives, mais la question ne
- p.412 - vue 413/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 413
- paraissant pas suffisamment élucidée par cet échange d’observations, M. Foster de Manchester propose d’ajourner cette étude de la question des banques au prochain congrès, et à la suite d'une légère discussion, cette proposition est votée à l’unanimité.
- La séance est levée à cinq heures.
- (4 suivre.)
- BIBLIOGRAPHIE
- L’enseignement de l’Histoire dans les Ecoles primaires.
- Si le Parlement a inscrit dans le programme des matières que tout jeune Français est teuu de savoir Vhistoire de France jusqu'à nos jours, ce n’est pas pour charger la mémoire de l’enfant de noms de rois inconnus, de dates, de batailles, de récits légendaires et d’anecdotes puériles. Cette méthode, qu’on a trop suivie jusqu’à ce jour, est répudiée deux fois aujourd’hui :elie l’est d’abord par une saine pédagogie, qui fait passer la culture du bon sens et des raisonnements bien avant celle de la mémoire ; elle l’est aussi par l'esprit même de notre époque démocratique, qui veut que Y histoire de France soit enfin l’hiRstoiro de la, nation française.
- Ce dernier point est essentiel. Il faut en être bien pénétré pour écrire le livre d’histoire que la loi réclame en faveur de nos écoles primaires D’une part, en effet, à cette œuvre il faut un homme de savoir, un érudit, ayant le culte du passé : car si l’histoire a droit à une place dans l’éducation nationale, c’est parce qu'elle est une école de patriotisme ; c’est parce qu’un peuple qui n’aurait pas un passé, ou qui n’aimerait pas son passé, ressemblerait à un arbre déraciné : ce serait comme si la sève, qui doit circuler dans toutes ses parties et les animer d’une même vie, était tout à coup tarie ; il dépérirait, il perdrait ses branches, et tomberait en poussière.
- Mais, d'autre part, il faut aussi, pour cette entreprise, un homme du temps présent, un homme ayant foi au progrès. Si les Français des siècles précédents nous intéressent, s’ils ont droit à nos respects et à notre reconnaissance, c’est que leurs efforts nous ont préparé les biens dont nous jouissons. De même que les plus reculés de nos ancêtres ont défriché, assaini, purgé des bêtes féroces cette terre aujourd’hui si féconde et si agréable à habiter ; de même nos pères l’ont délivrée des envahisseurs qu’attiraient le climat, des barons féodaux qui la désolaient et la maintenaient à l’état de division, et des usages iniques qui opprimaient le bourgeois, l’ouvrier et le paysan : ils ont fondé l’indépendance, la paix intérieure et la liberté que nous possédons et que nous devons transmettre à nos descendants, après les avoir accrues. Pour tout dire d’un mot, cet esprit démocratique qui nous anime, ce besoin d’égalité et de liberté qui a exigé l'abolition des abus de l'ancienne, royauté, qui a fait la R évolution de 1789. et qui n’a pu se trouver satisfaite avant d'avoir fondé la République, c'est d'eux que nous les tenons. Nous sommes leurs dignes enfants ; et s’ils voyaient les institutions que nous nous sommes donnés, ils reconnaîtraient en nous leur sang, leur âme indépendante et égalitaire. Ils nous approuveraient. Bref, l’état social et politique de la France actuelle est le couronnement naturel et heureux de toute notre histoire.
- Telles sont les idées qui ont visiblement inspiré le Cours élémentaire d’histoire de France de M. Edgar Ze-vort (1). Grâce à elles, ce livre rompt absolument avec
- . h) Histoire de France, cours élémentaire par M. Edgar Zevort inspecteur d’académie à Paris. —L’brairie Picard-Bernheim et G*'
- rue fsoufflot.— Prix : 90 cent.
- tous les manuels analogues dont nos instituteurs et nos écoliers ont dû se contenter jusqu’à ce jour, On ne connaît que trop ces opuscules, où les annales de notre race se réduisent à une chronologie insipide et à une généalogie de rois, comme si la nation ne comptait point, et qui se terminaient à la Révolution de 89, comme si elle avait été la fin du monde, tandis qu’elle est le résultat inévitable des réclamations de nos pères en faveur de leurs droits, et le point de départ d’un nouvel essor de notre fortune. L’nistoire de M. E. Zevort clôt définitivement cette série.
- A ce titre, on peut dire qu’elie satisfait entièrement à la loi nouvelle, parce qu’elle est conçue dans l’esprit même de la loi. Elle va jusqu’aux derniers mois de l’histoire contemporaine, et se termine par un exposé des principes de notre Constitution.
- Elle ne satisfait pas moins aux exigences de la pédagogie la plus moderne : les leçons, découpées de manière à former des lectures suffisamment courtes, sont suivies de résumés, imprimés en caractères très gros et très lisibles, comme il convient pour que l’enfant les apprenne plus aisément par cœur. D’habiles dispositions typographiques gravent dans l’œil, et par suite dans la mémoire du lpcteur, les noms essentiels et les faits les plus dignes d’être retenus. Il n’est pas jusqu’aux gravures, très soignées et suffisamment dramatiques, qui ne concourent au même résultat.
- Nous n’hésitons pas à considérer ce livre, qui est dans son genre le premier-né de la loi nouvelle sur l'instruction primaire, comme destiné à devenir un modèle de ce genre, autant pour son inspiration patriotique, que pour sa méthode et son habile distribution.
- Ajoutons qu'il appartenait à MM. Picard-Bernheim et Gie, les éditeurs du livre de M. Paul Bert, Y Instruction civique à l’école, de faire pour l’étude de notre histoire dans les écoles primaires ce qu’ils ont fait pour l’enseignement civique. Nous savons aussi que ces éditeurs ne s’arrêteront pas là ; ils vont faire paraître successivement de nouveaux livres dans le même esprit, appelés également à rendre les plus signalés services tant aux maîtres qu'aux élèves. Nous sommes heureux de contribuer par les moyens en notre pouvoir à la propagation d’ouvrages répondant ainsi à tous les nouveaux besoins de l’enseignement.
- Nous n’avons qu'un désir à émettre, c’est qu’au rang de ces bons livres, place soit faite à une histoire du travail et des travailleurs.
- L’enseignement secondaire et l’organisation des collèges communaux pour les jeunes filles.
- Sous ce titre, M. Francolin, directeur de l’Ecole normale, publie dans une brochure de 53 pages un rap-port qui a le mérite d’avoir été adopté par la société d’Education intégrale et libre.
- Ce rapport est plein de renseignements et de considérations utiles sur l'éducation intégrale des femmes, l’organisation, l’administration et la direction des collèges communaux.
- La formule générale d’une école secondaire ou d’un lycée de filles est donnée comme suit :
- « Il faut avoir en vue dans l’éducation générale des « femmes, de faire d’abord des mères, des institutrices, « et diriger leur instruction intégrale vers ce but ; « ensuite elles se spécialiseront pour les antres fonc-« tions sociales qu’elles peuvent avoir à remplir et « pour les professions qu’elles peuvent exercer. »
- Ce rapport est en vente au siège de la Société d'Edu-cation intégrale et libre, 25 rue Lepic, Paris.
- Etapes de l’Avenir
- par Jacques Blanchart, librairie Fischbacher, 33, rue de Seine, Paris. — 1 vol. 1 fr. 50.
- Ce volume contient une série de conférences faites, par l’auteur, en Amérique, sur les questions sociales et politiques,
- p.413 - vue 414/836
-
-
-
- 414
- LE DEVOIR
- L’esprit du livre est indiqué par ce passage de la | préface : , , , \
- « Il faut que sans entraves, sans encombres, tout « homme, toute femme, arrive au complet épanouis-« sement de ses facultés ; il faut que chacun puisse « donner à tous ce qu’il a de meilleur dans le coeur et « dans le cerveau»
- LE PRÊTRE
- Notre société est mélangée de toutes sortes d’éléments. Catholiques romains, protestants orthodoxes, protestants libéraux, déistes, athées, spiritualistes, matérialistes, tous s’y coudoient, tous y vivent, tous proclament leurs principes, défendent leurs doctrines et désirent préparer un avenir conforme à l’organisation qu’ils ont conçue.
- Le catholique rêve au moyen-âge, abhorre la révolution et la société moderne, se met à genoux devant le pape infaillible et le voudrait souverain de tous les rois et maître de toutes les républiques.
- Le protestant orthodoxe ne sait trop comment s’arranger avec la Bible et la divinité de Jésus. Il proclame l’inspiration divine des livres saints et ne la prouve jamais, il affirme la divinité du Christ et ne peut en faire la démonstration.
- Le protestant libéral en a fini avec le surnaturel. C’est un déiste spiritualiste qui tient à honneur de se dire chrétien. Nous n’y voyons pas de mal.
- L’athée et matérialiste font de l’homme une machine pensante, venue sur la terre par hasard, retournant dans la terre pour y pourrir et différant des machines que nous construisons seulement par sa plus grande perfection dans le jeu des organes et de la vie.
- Le déiste spiritualiste proclame les droits de la raison, les devoirs de la responsabilité humaine et enseigne aux hommes qu’il y a une religion vraie, unique, universelle, Vamour de l'humanité, le travail, l’effort incessant et énergique pour le progrès de l’humanité dans l’organisation harmonique des éléments de la vie.
- Au milieu de ce mélange si bizarre de la société moderne, le prêtre tient sa place. Parmi ces voix qui parlent, on distingue la sienne. Parmi ces hommes qui enseignent, il y en a un, revêtu d’une robe noire, qui prêche au nom de Rome et affirme au nom de Dieu. Il se trouve partout. Dans toutes les communes de France, si petites qu’elles soient, il y a une chaire de théologie catholique, où bourgeois et paysans, sous prétexte d’entendre la parole sainte, font la sottise d’aller s’abêtir.
- Rien de plus adroit, de plus intrigant, de plus audacieux, de plus fanatique que le prête romain, croyant à sa mission surnaturelle et fidèle à ses devoirs.
- Rien de plus bas, de plus hypocrite, de plus souillé, de plus barbare, j’allais dire de plus romain, que le prêtre qui ne croit pas à la doctrine romaine et fait le métier de comédien.
- Ces prêtres saints ou démons, sincères ou hypocrites, chastes ou libertins, charitables ou égoïstes, se trouvent partout, travaillent de tous côtés et leur influence est grande.
- Ils nous prennent nos enfants à leur naissance et les incrivent sur leurs registres d’église comme leurs ouailles et leurs sujets. Ils nous prennent nos enfants, quand nos enfants ont grandi, leur enseignent le catéchisme romain et pervertissent leur intelligence par des fables absurdes et des rêves mythologiques. L’homme se rend peu à peu indépendant du prêtre ; mais la femme est encore son esclave et la peur de l’enfer et du diable, la glace d’effroi. Au moment de leur mariage, la plupart des français sacrifient à la routine et demandent à l’homme habillé de noir de bénir leur Union. Quand un deuil frappe une famille, on a recours au prêtre et on se trouve grandement honoré, si des ecclésiastiques nombreux accompagnent le défunt à sa dernière demeure en lui chantant avec plus ou moins de recueillement des de Profundis des Re* quiem ou des Libéra me.
- Voilà la société moderne. Elle rencontre partout le prêtre romain. Il n’est pas seulement dans l’église ou le presbytère ; il a des maisons d’éducation, il se glisse dans les familles, il surprend tous les secrets et s’efforce, en s’emparant des individualités surtout féminines, d’influencer la masse et de l’entraîner à sa remorque.
- Ce prêtre si rusé, si ardent dans la propagation de ses idées, si dangereux pour notre progrès so* cial, si fourbe et si débauché quelquefois, il faut le voir de près, il faut le connaître. Car en apprenant à le connaître, nous nous éloignerons de lui, nous ne voudrons plus lui confier ce que nous avons de plus cher, nos femmes et nos enfants, et nous nous ferons un devoir d’apprendre à nos frères que l’ennemi le plus funeste à l’idée moderne et au progrès social, c’est le prêtre romain, le prêtre du Pape, le chevalier du Syllabus.
- Un ancien 'prêtre.
- LE MAGNÉTISME
- Nous avons à examiner les conditions physiques, physiologiques, et morales de l’individu et les conditions de lieux les plus favorables au développement des facultés magnétiques et à la production des divers phénomènes auxquels elles donnent Heu.
- p.414 - vue 415/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 415
- Én fait de sexe, généralement parlant, les femmes I sont incomparablement plus accessibles à l’influence magnétique que les hommes. Cela s’expliquerait aisément si l’011 admet, avec la plupart des hommes qui ge sont occupés du magnétisme, que l’impressionnabilité magnétique n’est pour ainsi dire qu’une faculté négative ou plutôt passive. Sans rien enlever à l’égalité intellectuelle des deux sèves, à laquelle nous avons la foi la plus complète et la plus ferme, il y a lieu de reconnaître néanmoins que tout chez la femme semble l’entraîner à subir une influence extérieure, parce qu’elle a moins de force que l’homme, en même temps que plus de sensibilité nerveuse, plus d’excitabilité, plus de foi, plus de propensions au merveilleux, conditions toutes favorables à Faction du magnétisme, l/homme ne croit que difficilement, et discute volontiers la religion, tandis que la femme la pratique tout simplement sans la discuter ; elle sent plus qu’elle ne raisonne, et chez elle le cœur domine, tandis que c’est la tête qui l’emporte chez l’homme. En un mot, les femmes sont plus faibles, plus délicates, plus sensibles, plus dociles et plus impressionnables que les hommes, et le système nerveux est prédominant chez elle. C’est là la cause de leur plus grande imprésionnabilité magnétique.
- Est-ce à dire que l’homme ne soit pas accessible à cette influence ? En aucune façon : l’expérience démontre, au contraire, que l’homme peut se trouver souvent dans des conditions d’organisation très favorables à la production des phénomènes magnétiques, et les sujets les plus remarquables, au point de vue des résultats obtenus, ne sont point exclusivement des représentants du sexe faible.
- Dans son ouvrage intitulé : « Magnétiste et Magné-totherapiê ». le comte Szapary s’exprime comme suit : Pourquoi l’état somnambulique se présente-t-il plus rarement chez les hommes que chez les femmes?
- « Parce que les muscles sont plus forts chez les hommes, et que, par suite, le lien qui unit l’esprit au corps les rattache de telle manière, qu’il leur devient plus difficile d’agir séparément. Chez la femme au contraire, l’esprit et le corps ne sont point si solidement unis. Aussi se présente-t-il des conditions où l’esprit est capable de se séparer presque du corps, et de continuer néanmoins à vivre, mais dans une sphère bien plus élevée. C’est le cas du somnambulisme. »
- Sans admettre ni rejeter absolument une théorie aussi hardie, nous avons cité cet auteur parce que l’explication qu’il donne de la différence d’aptitude des sèxes à l’influence magnétique paraît plausible et confirme l’opinion exprimée par les autres auteurs, tels que le docteur Teste, de Fleurville et autres.
- A propos de la théorie de la séparation de l’esprit d’avec le corps, M. de Fleurville cite l'expérience suivante à laquelle il a concouru.
- « Peut-on dégager l’àme d’une personne non ma*
- » gnétisée? « demande-t-il. Et il répond à cette question : » Nous avons vu, jusqu’à présent que l’âme ne se dégage du corps que sous l’influence du magnétisme.
- « Voici une expérience que le savant docteur marquis D** a faite avec le comte d'Q** et moi.
- « Le premier s’assied dans l’angle du salon assez grand du comte , celui-ci et moi, nous nous plaçons dans l’angle opposé.
- « Sur la prière et d’après les instances du marquis, nous essayons de lui soutirer son âme, sans le magnétiser. De son côté, le marquis fait des efforts de volonté pour envoyer son àme vers nous.
- « Le comte et moi nous dirigeons tous les efforts de nos volontés énergiques pour faire réussir cette opération.
- « Après une dizaine de minutes, le marquis cesse de nous parler.... peu à peu ses jambes et ses bras restent immobiles... sa figure pâlît progressivement ; ses yeux restent ouverts, mais le regard est fixe. L’oppression commence, la respiration devient déplus en plus difficile.
- « Alors la préoccupation, puis la crainte d’un accident possible me saisissent, et je déclare au comte que je veux absolument arrêter l’expérience. En continuant, nous aurions pu peut-être occasionner une paralysie ou affaiblir le cerveau, conduire à la folie, peut-être à la mort.
- « En cessant d’attirer, puis de retenir cette âm& invisible, intangible... mais qui nous semblait être venue vers nous, après nos premiers efforts, elle dût retourner vers le marquis, se réintégrer dans son corps.
- « Sa figure reprit peu à peu son animation ; la respiration devint déplus en plus libre; le regard perdit sa fixité ; les bras purent s’agiter, et la parole revint.
- Alors le marquis nous raconta toutes ses sensations. « Je n’ai pas cessé un seul instant de vous entendre, nous dit-il, même lorsque vous parliez à voix basse. J’ai toujours conservé toute ma conscience, toutes mes facultés... Seulement, à mesure que je sentais quelque chose sortir de mon corps, une espèce de vide s’y faire, mes membres devenaient de plus en plus immobiles. La parole me manqua... ma vue devint moins nette...
- * Mais l’idée que je pouvais m’affaiblir jusqu’à la mort ne me vint pas. Enfin je suis très satisfait,très heureux même de cette expérience qui a été bien
- p.415 - vue 416/836
-
-
-
- 416
- LS DEVOIR
- faite, bien conduite, et que je désirais depuis longtemps.
- « Elle ne fut pas renouvelée.
- « Il ne lui resta qu’un peu c^e lassitude qui disparut au bout de quelques heures.
- Certes voilà une expérience concluante en faveur de la thèse que nous avons précédemment indiquée et développée, de l’action toute-puissante de la volonté sur ces sortes de phénomènes. Qu’y a-t-il eu en effet, dans ce cas, comme agent, si ce n’est purement et simplement la volonté des trois personnes concourant à l’expérience? Il n’est question dans ce récit, ni de passes, ni d’émission de fluide, ni de mise en mouvement d’une force quelconque, neurique ou autre, mais uniquement de l’exercice de la volonté, et par ce moyen seul on en est arrivé à provoquer un déplacement des facultés. Il y a donc chez l’homme des forces en dehors des forces physiques, il y a donc réellement en lui des forces psychiques.
- Revenons à notre sujet. Parmi ies conditions favorables au magnétisme, si le sexe joue un rôle, l’àge en doit jouer un également.D’après le docteur Teste, la premièrejeunesse et l’adolescence paraissent être les époques de la vie auxquelles le magnétisme réussit le mieux; mais c’est surtout, dit-il aux approches et dans les premiers temps de la puberté que les jeunes filles offrent le plus de prise à son action. Il ajoute que quelques observations tendraient à lui faire croire que les femmes sur le point d’atteindre l’âge critique se retrouvent précisément dans les mêmes conditions.
- L’auteur est-il dans le vrai dans cette appréciation ? Il serait permis d’en douter, si l’on en juge par les sujets célèbres qu’il cite lui-même, et par ceux dont tout le monde a entendu parler, Alexis, Mile Lucile, etc. , qui tous avaient dépa sé l’âge de l’adolescence et de la premièrejeunesse. Partout ce sont des adultes qui se montrent en général le plus accessibles à l’influence magnétique, dans certaines j conditions, tandis que nous ne voyons dans aucun auteur citer d’expérience confirmant cette assertion, j « Le Journal du Magnétisme » cite dans son nu- I méro de décembre 1881 un certain nombre-d’enfants traités pour incontinence d’urine avec plus ou moins de succès, et souvent guéris par l’hypnotisation ou sommeil magnétique, et comme la plupart des cas s’appliquent à des enfants n’ayant pas encore atteint l’adolescence, ces faits ne peuvent pas être invoqués à l’appui de la thèse du docteur Teste.
- Quoiqu’il en soit, comme en définitive on trouve des exemples de somnambulisme à tous les âges, sauf peut-être dans l’extrême vieillesse, il nous semble plus prudent d’admettre que l’àge n’a que
- peu ou point d’influence sur l’impressionabilité des sujets.
- En ce qui concerne le tempérament, nous retrouvons à peu près la même incertitude. Yoici en effet comment s’exprime à ce sujet le dr Teste :
- » Jusqu’à présent, en matière de magnétisme, on est embarrasé dès qu’il s’agit de résoudre une question générale et d’en ériger la solution en principe. A coup sûr les personnes de tempérament nerveux sont généralement celles qui paraissent la plus sensibles à l’action des passes ; mais le somnambulisme n’est pas toujours la cause de cette sensibilité. Peut-être même, je ne serais pas loin de l’affirmer, faudrait-il voir un obstacle au somnambulisme dans une excessive impressionnabilité. Tous les efforts du magnétisme n’aboutissent souvent alors qu’à déterminer un état fort singulier, difficile à décrire, parce que les signes en sont variables, et dont le caractère constant consiste uniquement dans une grande exaltation morale et physique. J’ai vu des personnes dans cet état sentir et comprendre aussi bien que des somnambules lucides, toutes ies nuances de ma volonté. Quelques-unes même semblaient douées d’une sorte de seconde vue, qui les faisait parler avec assurance sur les causes et la nature des maladies dont elles étaient atteintes, et prédire sans se tromper l’issue de ces maladies. Mais n’étaient-ce pas là, dira-t-on, de véritables somnambules ? Peut-être ; mais toujours est-il qu’ils ne présentaient aucun des symptômes pathognomoniques du sommeil magnétique, tels que l’insensibilité, l’oubli au réveil, etc.
- En résumé j’ai observé le somnambulisme parfait ou complet, comme on voudra l’appeler : 1° chez des personnes nerveuses ; 2° chez d’autres, qui ne l’étaient que médiocrement ; 3° enfin chez d’autres qui prétendaient ne l’être pas du tout et présentaient en effet tous les signes d’une constitution iympathique, je dirai même scrofuleuse. »
- (.A suivre.)
- MINISTÈRE DES POSTES & DES TÉLÉGRAPHES
- * Par décret présidentiel, en date du 19 juin 1882 :
- « Est élevé de 1,000 à 2,000 francs à partir du 1er juil-« Jet 1882 le maximum des quittances, factures, billets,
- « traites et généralement des valeurs commerciales ou « autres dont le gouvernement est autorisé à faire cf-« fectuer le recouvrement par la poste, en vertu des dis-« positions des lois du 5 avril 1879 et du 18 juillet « 1880. »
- Le directeur des postes et télégraphes de l'Aisne,
- A. Houille.
- ie Directeur-Gerant : GOD1N __
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.416 - vue 417/836
-
-
-
- £e numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 9 JUILLET 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- ,w m mm
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La propriété individuelle, le Travail et V association.— Le congrès d’Oxford. — Faits politiques et sociaux.— Histoire de VAssociation agricole de Ralahine. — Le Magnétisme—Veau sucrée delà portière.-Distinction entre les étoiles fixes et les planètes.— Souscription pour l’érection d’une statue à Gari-èaldi.
- LA PROPRIÉTÉ INDIVIDUELLE, LE TRAVAIL ET L’ASSOCIATION
- La propriété du sol qui, dans l’organisation actuelle des sociétés appartient à quelques privilèges de la fortune, possesseurs de richesses, soit par V01e d’héritage, soit par voie d’accumulation des fruits du travail des autres, est une propriété commune à tous les hommes, mais détournée au profit T^fiues-uns, en violation du droit naturel le plus ^contestable et le plus légitime. Si l’on ne peut P0lût dire des propriétaires actuels que leur bien ait mal acquis par eux, puisque c’est par des
- moyens parfaitement légaux qu’ils en sont devenus possesseurs, il n’en est pas moins vrai qu’en recherchant à l’origine de ce droit, on trouve toujouïs la conquête partout, c’est-à-dire la violence, la spoliation, le vol.
- Pour justifier ce droit à son origine, l’on dit que toutes les richeses naturelles, force productive du sol, gisements de minerais, mines de houille etc,, dont la collectivité humaine aurait été dépouillée n’avaient à l’origine et n’ont encore par elles-mêmes aucune valeur, pas plus que n’en ont, en dépit des services qu’ils nous rendent,l’air que nous respirons, la force motrice de la chute d’eau et da vent, l’électricité qui commence à obéir à nos ordres, le fleuve et la mer qui portent nos navires, la lumière et la chaleur du soleil qui font mûrir nos fruits et dorent nos moissons, et que toute valeur vient du travail de l’homme.
- Cette assertion est fausse de tous points. S’il en était comme on le dit, pourquoi les déshérités qui émigrent tous les ans d’Europe pour se rendre en Amérique n’iraient-ils pas de préférence dans les landes de Gascogne ou dans ia Camargue, qui se trouvent en France, ou dans le Sahara africain plus rapproché dô nous, au lieu de s’expatrier et d’aller dans des pays fort éloignés, affrontant des dangers nombreux et des inconvénients de toute sorte ? Si la terre n’avait point de valeur autrement que par le travail de l’homme, la Creuse serait aussi riche que la Beauce, et ses habitants n’auraient pas besoin de venir manier la truelle à Paris pour gagner de quoi vivre, puisque la ferme le leur donnerait chez eux plus largement. 11 n’est donc pas vrai que la force productive du sol n’a par elle-même aucune valeur.
- p.417 - vue 418/836
-
-
-
- 418
- LE DEVOIR
- Ce qui est vrai, c’est que le travail de l'homme ajoute une plus-value considérable à cette valeur intrinsèque de la terre, et c’est à cette plus-value qui est son œuvre qu’il a un droit incontestable de propriété. Les fruits qu’il fait produire sont son bien propre, sa propriété légitime, et nul ne peut l’en dépouiller sans crime.
- Mais le droit qui lui appartient d'ajouter par son travail une valeur additionnelle à la valeur du sol, appartient également au même titre,au même degré, à tous les hommes, et le premier occupant qui en exerçant ce droit empêche celui qui arrive après lui de l’exercer, doit à ce dernier une compensation équivalente à la valeur du droit dont il le prive, puisque la jouissance qu’il a par suite de son occupation lui créé un véritable monopole auquel il n’a pas le moindre droit naturel. Il est donc équitable qu’en échange de gô monopole dont il bénéficie, il soit tenu de garantir à, ceux qui en sont fustrés une compensation.
- Les ressources de la nature, il ne faut jamais perdre cela de vue, sont données au genre humain tout entier et non point à quelques-uns seulement; chacun a un droit égal à sa quote-part de ce fonds commun. Tant que ces ressources ne sont pas accaparées par quelques-uns, tous ont la possibilité d’en jouir, en appliquant leur travail à les développer et à les faire produire, mais du moment qu’un membre de la société s’en empare, il porte atteinte au droit commun à lui et à tous les autres, et s’il ne compense point ce dommage, il y a violation flagrante du droit naturel, injustice, spoliation.
- Il est donc juste et équitable que ceux qui fécondent le sol par leur travail jouissent de l’occupation de ce sol, mais il est non moins juste, comme conséquence de cette jouissance,que ceux qui,par le fait de son occupation, ne sont plus à même de le féconder jouissent d’une compensation équivalente à la valeur de leur droit inutilisé.
- Or dans l’organisation actuelle des Etats, ce n’est point sur ces bases rationnelles qu’est fondée la propriété individuelle. Ainsi que nous l’avons déjà- dit, l’origine de la propriété partout c’est la conquête. Elle date de loin, sans doute, mais le fait que le sol ainsi possédé a depuis des siècles passé de main en main par voie de vente et d’achat ne peut pas donner à la propriété territoriale privée le moindre caractère de justice, car la durée de l’injustice si longue qu’elle soit, n’en change point la nature et ne l’empêche pas de rester l'injustice. Le sol étant la propriété de la population toute entière ne peut être considéré comme une denrée que l’on vend et qui s’achète.
- En somme tout le droit naturel qui découle de ia loi primordiale des êtres, la loi de la vie,condamne le principe de la propriété individuelle,et le maintenir alors que rien ne le justifie, c’est violer cette loi des lois, c’est se maintenir en révolte contre le droit.
- Cette vérité bien établie, il en résulte que dans une société démocratique modelée sur les vrais principes sociaux conformes au droit naturel de l’huinanitéjes institutions doivent être modifiées de façon à rendre à la propriété du sol son véritable caractère de propriété communale. Est-ee a dire qu’il faille déposséder les propriétaires actuels pour faire rentrer le sol dans la collectivité nationale ? Déposséder les détenteurs actuels sans compensation serait une injustice, presqu’une spoliation plus criante que celle de laquelle la propriété individuelle tire son origine. Le capital qui leur a servi à payer leur droit de pro» priétô du sol représente le produit du travail économisé et accumulé, et comme tel il constitue la plus légitime, la plus sacrée de toutes les propriétés personnelles ; les dépouiller de cette portion de terre qui représente la valeur de ce capital ce serait donc un crime analogue à celui que commet le bandit qui attend le voyageur au coin d’un bois pour le voler. Il est donc nécessaire de trouver le moyen de ne pas léser les intérêts des propriétaires particuliers tout en faisant rentrer les biens par eux détenus dans la collectivité nationale.
- Ce moyen, dont l’idée première revient à Fourier, c’est l’association de toutes les forces communales, du capital et du travail, de la production et de la consommation, de l’agriculture, de l’industrie, du sol des ateliers et des fabriques.Voici comment cette théorie sociale est résumée dans « Solutions sociales » :
- « L’ordre sociétaire décrit par Fourier garantit à chacun sa fortune, ses capitaux, ses économies.
- « L’association les tient sous sa sauvegarde et sa responsabilité. Un loyer ou un intérêt consenti est assuré en échange de Dusage qu’elle en fait.
- « Toutes les valeurs qui composent le fonds de l’association : terres, habitations, fermes, fabriques, ateliers, machines et outils, sont convertis en actions, et ces actions sont les nouveaux titres de propriété.
- « Les anciens propriétaires du sol et des maisonS> les chefs d’industrie, les patrons, les artisans, les ouvriers, les cultivateurs, les commerçants, etc-, changent de titres et de qualités ; ils deviennent actionnaires et sociétaires.
- « Par la constitution de la propriété actionnaire< l’Association permet à chacun de déplacer sa tune, et d’en disposer sans nuire à la marche d’au'
- p.418 - vue 419/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 419
- cune entreprise, ni sans en changer la destination.
- « Elle offre toutes les sécurités désirables aux capitaux, puisque l’avoir de tous répond de l’avoir de
- chacun.
- a La richesse immobilière est convertie en actions : chacun peut vendre ses titres, en user comme il l’entend; mais il ne dispose plus arbitrairement ni du sol, ni des bâtiments, ni des ateliers, ni des instruments de travail.
- « Tout immeuble fait partie du domaine sociétaire : l’individu ne dispose que de ses valeurs mobilières.
- <. Ainsi est assurée la stabilité de toutes les industries et de toutes les exploitations; elles ne sont plus à la merci des revers de fortune des individus, ni des successions et des partages de famille. Le partage et la transmission des actions s’opèrent sans que le fonds en soit atteint, sans que l’atelier s’en aperçoive dans sa marche, et sans que sa direction ait à en souffrir.
- « Les droits du travail sont ainsi réservés, tout en consacrant les légitimes droits du capital.
- « La propriété repose sur les fruits accumulés du travail, et laisse intacts les droits naturels de chaque homme au fond commun de la nature. »
- Ce système de l’association communale respecte tous les droits et donne satisfaction aux besoins de l’homme, en établissant partout le fonctionnement de la loi naturelle sur ses véritables bases. Il est conforme à cette loi primordiale de la vie et aux droits naturels antérieurs et supérieurs à toute législation que cette loi consacre, en mettant un terme à la violation des droits naturels, grâce à laquelle quelques particuliers ont pu établir des prétentions à la possession du sol, au détriment des autres. L’association en un mot fait rentrer naturellement et sans secousses la collectivité dans ses droits sans nuire â aucun intérêt, sans porter aucune atteinte à la liberté et à la prospérité de chacun.
- Grâce à elle, la prospérité ramenée à sa véritable signification sera formée de ce qui est d’un usage particulier à chacun,et ne s’appliquera plus à la terre qui est donnée par la nature à chaque individu pour y employer librement son activité et son travail.
- Immobilière quant à la collectivité en général, elle ne sera jamais que mobilière pour tous les individus en particulier, l’association mobilisant par des actions tous les éléments du travail humain, en faisant disparaître de Ici sorte les écarts et les abus auxquels se prête si facilement aujourd’hui la propriété individuelle. Dans le système sociétaire, l’on ne verra plus la terre laissée en friche, ou recevant une destination improductive ou nuisible aux intérêts géné-
- raux, et chacun étant directement intéressé au contraire à la bonne gestion du fonds social pour le plus grand avantage de tous, tous s’évertueront à qui mieux mieux à contribuer pour leur part à cette bonne gestion.
- Ainsi le travail se trouvera naturellement associé au capital et cessera d’être exploité par lui ; chacun retirera de la production sa légitime rémunération, proportionnée au concours par lui fourni, et si l'on doit ne plus voir dans une société ainsi organisée le déplorable contraste de fortunes fabuleuses à côté de la misère la plus sombre, l’on verra, ce que vaut infiniment mieux, le paupérisme disparaître, remplacé heureusement par une sorte d’égalité relative dans l’aisance et le bien-être de l’humanité.
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- L» Coopération, agricole
- Dans la deuxième séance du Congrès, la principale question à l’ordre du jour était la coopération agricole. C’est le Rev. Kitchin de Christchureh qui avait été chargé de faire le rapport sur cette intéressante matière, et il en a donné lecture, après avoir exprimé le regret que le deuxième rapport qui devait être rédigé par M. Stubbs n'ait point été remis au Congrès
- M. Kitchin commence par établir que les deux tiers de la population en Angleterre réside dans les villes, et que le tiers seulement habite les villages et la campagne. Cette effrayante disproportion s’accroît encore chaque année, car la population des villes augmente toujours, tandis que celle des campagnes reste stationnaire si elle ne diminue pas. C’est un fait qui ne s’était jamais produit nulle part, un phénomène bien digne d’attirer l’attention en lui-même et dans ses conséquences.
- Il semblerait que la consommation alimentaire étant presque le double de la production dans cette population, l’agriculture devrait être florissante, et pourtant que voit-on? Un des meilleurs sols du monde, et un climat qui, malgré les critiques que suscitent ses brouillards, est aussi un des meilleurs pour la vie et le travail ; une nation de travailleurs d’une force et d’une énergie physique peu commune, un marché illimité toujours ouvert et d’une incomparable richesse pour toute sorte de transactions; d’excellentes routes en nombre plus que suffisant; un réseau de voies ferrées complet, et des voies navigables partout; des villes grandes ou petites parsemées de tous côtés dans le pays; èt pourtant malgré
- p.419 - vue 420/836
-
-
-
- 420
- LE DEVOIR
- tous ces avantages merveilleux, nos fermiers, dit la rapport, font banqueroute, notre agriculture dégénère, et nos cultivateurs manquant de travail fuient le pays.
- Les causes véritables de cet état de choses sont les lois et usages qui règlent la possession du sol d’une part, et de l’autre l’immense richesse du pays dont la répartition est si défectueuse. Pendant des siècles il a été de tradition d’employer la richesse à l’acquisition de la terre, et les capitaux énormes concentrés dans une seule main ont rendu presqu’im-possible la subdivision de la propriété rurale. A mesure que la fortune des citoyens augmente, nos marchands, nos manufacturiers, nos maîtres de forges et les heureux commerçants de tout genre se tournent instinctivement vers la terre, et lorsqu'une vieille famille de propriétaires fonciers tombe, le capital accourt pour acheter ses biens, et ce marchand d’hier imite et dépasse même les extravagances qui ont amené la chute du propriétaire antérieur, et souvent le uouveau possesseur est pire que l’ancien. Le plus souvent ce dont il se soucie le moins c’est de rendre le sol le plus productif possible.
- C’est pour cela que pour le paysan la propriété foncière n’est à peu près qu’un rêve. L’agriculteur isolé n’a point le capital nécessaire, et même en supposant que les lois du pays devinssent à cet égard sensibles et justes, il ne pourrait lutter contre son rival plus riche venu de la ville pour accaparer la terre.
- La question que nous avons à discuter est celle-ci : La coopération peut-elle entrer avec chance de succès dans l’exploitation agricole si féconde en naufrages? Le landlord est à bout; le fermier en faillite; le paysan indépendant n’est plus qu’un souvenir du passé. Dans cette situation, les principes et l’organisation qui ont résolu le problème d’assurer les choses essentielles à la vie aux classes populaires pourront-elles résoudre de même le problème bien plus difficile de la production agricole ?
- Jusqu’à présent les tentatives de fermes coopératives n’ont pas été encourageantes. L’expérience de M. Lawson, dans le Cumberland, un roman agricole intéressant à un haut degré,même dans ses fautes les plus singulières, était condamné à échouer par son vaillant mépris des règles les plus élémentaires de la prudence commerciale. Quant à l’expérience tentée à Àssington, ce n’était point de la coopération à proprement parler; c’était une Société en commandite par actions qui s’est traînée sans grand résultat, et l’un des très rares essais qui aient réussi a été fait dans le voisinage d’Oxford, à Barton, par M. Hall, qui a loué une petite ferme à trois travailleurs,et qui |
- est satisfait du résultat. Mais cet exemple est fourni sur une si petite échelle et il a duré si peu, que l’on ne peut faire aucun fond sur lui. Dans la plupart des cas, là coopération s’établissait dans des conditions défavorables, soit dans des localités perdues trop éloignées des marchés, soit sous le patronage ami peut-être, mais nuisible, de quelque puissance locale. Ce qu’il est nécessaire que le travailleur anglais sache, c’est qu’il doit agir par lui-même, et repousser cette semi-servile dépendance dans laquelle il se place trop souvent vis-à-vis des grands propriétaires ses voisins.
- Si l’on veut que l’agriculture devienne florissante en Angleterre, il faut donc modifier radicalement cet état de choses. Le système du landlordisme, du fermier ou tenancier et du laboureur à gages a détruit l’émulation et le courage, et c’est la certitude du peu de succès de ses efforts sous une législation défectueuse qui paralyse l’agriculture.
- Pour que la ferme réussisse, il est nécessaire de remplir les conditions suivantes :
- P Avoir un capital suffisant pour faire sans arrêt ni trouble les travaux agricoles.
- 2° Posséder un matériel en bon état et suffisant (ce qui en agriculture comprend une terre de qualité au moins moyenne,et une ferme d’une étendue assez grande).
- 3° La liberté d’allures nécessaire pour marcher sans les inutiles entraves de la loi ou de la coutume surannées.
- 4° Une direction compétente et habile, avec la puissance exigée pour bien faire marcher l’ensemble de l’entreprise.
- 5° Un personnel de travailleurs connaissant le métier, et produisant.
- 6° Comme conséquence, facilités pour l’éducation technique des travailleurs.
- 7° L’installation et l’outillage convenables, tels que constructions solides, charrues à vapeur et machines agricoles de toute sorte, qui contribuent à faire de la bonne culture.
- 8° Des machines-outils pour la bonne distribution du travail, chose jusqu’à présent négligée en agriculture, et qui pourtant procure une énorme économie de travail et de fatigue.
- 9° Enfin un marché pour les produits dans le voisinage.
- Le rapporteur constate que la coopération peat aisément remplir ces diverses conditions. Elle est assez forte pour agir sans l’aide de l’Etat ; elle possède le capital suffisant disponible, accumulé par les différentes sociétés et par l’économie particulière de ses membres, pour acheter de la terre dans de bon-
- p.420 - vue 421/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 421
- nes conditions, même sous l’empire de la législation actuelle. Grâce à lui, les coopérateurs peuvent se présenter sans crainte sur le marché des propriétés foncières, et acheter des fermes près des grands centres de communication où le placement des produits est assuré. L’affranchissement des mauvaises lois viendra plus tard ; en attendant, l’organisation des sociétés coopératives est telle, qu’elle peut dans une certaine mesure neutraliser le mal. L’application de l’habileté de direction qui forme un de ses caractères distinctifs n’est qu’une question de détail.
- Avec tous ces éléments, il ne sera pas difficile de donner aux travailleurs les notions et l’expérience qui leurmanquent afin d’appliquer les meilleurs méthodes de culture, d’avoir un outillage perfectionné et des machines facilitant le travail et permettant d'augmenter la production avec une plus grande économie dans les dépenses.
- Pour réaliser ce programme, deux moyens s’offrent à la coopération : L’on peut acheter en bloc les terres d’une ferme,et y installer une colonie pour les cultiver en société, avec une organisation complète, un conseil de direction composé des travailleurs les plus entendus, chargé d’élire les chefs de service, de décider les genres de culture les plus en rapport avec la nature du sol, de contrôler les dépenses, et de déterminer le mode de répartition des bénéfices. C’est là l’un des moyens.
- L’autre consisterait à subdiviser les terres d’une ferme en petits lots, un pour chaque famille, avec une administration centrale composée des chefs de famille et des fonctionnaires choisis par eux, de façon à conserver les avantages de l’association, d'entretenir les communications avec les coopérateurs de la ville la plus rapprochée.
- Le premier système serait plus politique et plus social, et il offrira plus d’attraits aux amateurs d’utopies, aux rêveurs inspirés qui ne songent qu’au perfectionnement de l'homme. Il exigerait beaucoup de vertu et un sentiment très vif du devoir chez tous ses membres, car il substituerait l’idée du droit à celle de l’intérêt, et l’homme devrait travailler avec ardeur et habileté, d’abord pour le bien de la communauté et pour le sien propre ensuite ; l’individu serait ainsi dans une grande mesure perdu dans l’association.
- Dans le second système d’autre part,il y aurait un champ plus vaste ouvert à l’énergie individuelle et aux capacités ; chaque cultivateur serait stimulé par l’émulation, par le sentiment de l’intérêt, parent de 1 égoïsme qui enflamme le cœur du paysan propriétaire dans tous les pays. Chez lui le sens de la propriété devient la passion dominante. En fait, il sem- \
- ble que ce second moyen doit stimuler davantage la production, s’il élève moins les caractères pour les doter des qualités qui font le parfait citoyen.
- En somme, dans le premier cas, on pourrait avoir une ferme de 200 acres de terre cultivées par huit ou dix chefs de famille avec leurs enfants, chaque cultivateur pouvant être, au commandement de son chef élu, envoyé dans telle ou telle partie des champs exécuter tel travail pour lequel son chef le juge le plus apte. Dans le second cas, notre ferme de 200 acres est divisée en environ vingt-cinq petites te-nures comprenant en moyenne huit acres, et cultivées chacune d’une façon indépendante par une famille.
- Ce dernier plan, paraît au rapporteur le meilleur moyen d’assurer cette culture soignée et complète du sol que tout le monde doit désirer. En effet, la propriété du paysan basée sur la coopération et aidée par elle pourrait être la solution pratique des difficultés agricoles. Mais d’autre part aussi, le paysan propriétaire a des défauts qui ne sont point compensés par les qualités que l’on trouve chez le grand propriétaire. Son indépendance le conduit facilement à l’isolement, et son énergie appliquée toujours sur une petite échelle finit par devenir peu à peu égoïste, minutieuse et puérile, haïssant instinctivement toute ingérence étrangère et féroce contre les intrus.
- Le système coopératif produira les meilleurs résultats au point de vue social, et le système indépendant amènerait la culture la plus efficace.
- Le produit du travail des champs est une source gigantesque de richesse nationale, et il est grande ment temps d’en tirer profit d’une manière intelligente. Avec le système actuel elle décline ; n’y a-t-il pas moyen d’améliorer cette situation? « Je crois, dit en terminant le rapporteur », que de nos jours il est possible de montrer que l’ancienne fable d’Antée est au fond d’une grande vérité ; c’est par le contact constant de la terre notre mère que l’Anglais de notre temps pourra renouveler sans cesse ses forces.
- (A suivre.)
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- FRANCE
- TJne expérience. —Une intéressante expérience a été faite au Conservatoire des arts et métiers, par M. Depretz, ingénieur électricien.
- Il s’agissait de la transmission des forces à grande distance.
- p.421 - vue 422/836
-
-
-
- 422
- LE DEVOIR
- Devant un public compétent, M. Depretz a mis en mouvement des moteurs électr ques à raide d’un courant qui traversait 4 kilomètres d’un fil de maillechort dont la résistance était égale à celui d’un fil de cuivre de même section. Il opérait donc dans les mêmes conditions que s’il se trouvait à 50 kilomètres de la force motrice.
- Le courant était assez énergique polir soulever un poids de 40 kilogrammes dans l’intérieur d’un sélénoïde à une hauteur de plus d’un mètre avec une très grande vitesse.
- En interrompant le courant, le poids retombait sur une enclume et produisait un martelage tellement énergique,, qu’il aurait Tu être employé industriellement.
- Après avoir vu ces expériences et écouté l’inventeur, es assistants ont chaleureusement applaudi.
- *
- » *
- IL» Conférence. — Tout l’intérêt de la conférence, ainsi que nous l’écrivions l’autre jour, est de savoir si l’Allemagne parviendra à empêcher l’action de l’Angleterre. L’Angleterre a terminé ses dispositions ou peu Ven faut, elle est prête à intervenir en Egypte, et l’on ne pourra prévenir son intervention qu’en rétablissant l’ordre dans ce pays, en le rétablissant de manière à satisfaire les légitimes réclamations britanniques, et en ne laissant ainsi aucun motif, aucun prétexte à l'ingérence de M. Gladstone.
- C’est à résoudre ce problème que l’Allemagne et T Autriche font tous leurs efforts. Ces deux puissances n’aiment point l’Angleterre , et elles regretteraient vivement de la voir faire acte de ressources et d’énergie. Ces deux puissances, en outre, favorisent la Turquie, et elles voudraient, par conséquent, lui épargner le coup qu’une intervention en Egypte porterait à ses prétentions et à ses prestiges. De là les .tentatives qu’elles ont faites pour surmonter les objections d’Ab-dul-Hatnid et l’engager â se faire représenter à la conférence. De là, en présence de l’obstination du sultan, la disposition qu’on a observée un instant du côté germanique de la conférence. Le prince de Bismarck et le comte Kalnoky étaient tout prêts à accepter la fiction turque d’après laquelle l’ordre est désormais rétabli en Egypte. L’autorité du sultan y est reconnue, disait-on, elle y est obéie, il se charge de tout, et il n’y a plus lieu à une intervention armée, mais seulement à un échange de vues entre la Porte et ses alliés.
- Malheureusement pour les desseins austro-germaniques le gouvernement anglais a dès l’abord donné à comprendre qu’il refusait de se placer sur ce terrain. Il a d’autorité déehiré la fiction, en chargeant lord Dufferin d’ouvrir les travaux de la conférence par la présentation du programme des exigences britanniques. Ce programme, autant qu’on en peut juger, est irréprochable, le seul compatible avec la dignité et les intérêts de l’Angleterre, et nous ne craignons pas d’ajouter, de la France comme de l’Angleterre. Le cabinet britannique n’abandonnera point le khédive, il ne permettra pas qu’Arabi reste au pouvoir, il poursuivra le licenciement d’une armée rebelle, et il exigera le rétablissemement de ce contrôle, qui n’est pas seulement, comme on le dit trop, la garantie des créanciers européens, mais aussi la garantie de bonnes finances de l’Egj'ple et, par suite, de la prospérité du pays.
- Devant cette attitude du cabinet anglais, il ne restait à la politique allemandes qu’à revenir de nouveau à la charge, qu’à essayer encore une fois d’obtenir du sultan sa participation à la conférence et son intervention effective en Egypte. La conférence pouvait d’autant mieux recourir à ces nouvelles démarches, que l’Angleterre elle-même a toujours été favorable à l’intervention delà Turquie ; si elle a pris le parti d’intervenir pour son propre compte, c’est sur le refus répété du sultan d’envoyer des troupes au Caire. Hier encore, M. Gladstone rappelait à la Chambre des communes qu’il s’est constamment prononcé pour un exercice de l’autorité légitime de la Porte, de préférence à toute autre méthode. Quant à la France, on sait que M. de Freycinet, après s’être longtemps opposé d’une manière absolue à une !
- action militaire de la Turquie, a fini par indiquer qu'u l’accepterait, lui aussi, dans de certaines conditions et sous de certaines garanties.
- La situation est donc parfaitement claire. L’Angleterre interviendra si la Turquie ne le fait pas, et tout revient en ce moment à savoir si le sultan cédera aux instances de la conférence et en particulier à celles de ses protecteurs germaniques, s’il consentira à faire exécuter lui-même au Caire le programme présenté par lord Dufferin. Le doute est permis et les paris sont ouverts. La Turquie joue gros jeu, et elle est condamnée à perdre de toutes manières. Laisser l’Angleterre débarquer des troupes en Egypte,c’est renoncer de fait à cette souveraineté proclamée si haut, et qu’on continuera sans doute à inscrire dans les actes publics, mais qui ne fera plus d’illusion à personne. D’un autre côté, intervenir soi-même, envoyer des troupes au Caire sur l’invitation d’une conférence internationale et pour y faire uue œuvre européenne, employer la force au nom des puissances infidèles contre des sujets et des croyants, il y aurait là, pour la Turquie, uue telle diminntio capüis qu’en vérité nous sentons fléchir par moments notre répugnance française a l’iniervenlion du sultan 1
- *
- 4 4
- Affaire® d’Egfypte. — Le a Temps » publie de son Correspondant particulier les dépêches suivantes :
- Alexandrie, 30 juin, 8 h. soir.
- J’apprends de bonne source que M. Siénkiewicz a déclaré au ministre des affaires étrangères que, si le gouvernement français entendait s’isoler de toute action de l’Angleterre qui*se produirait en vue de ia répression des troubles et du rétablissement de Tordre, il ne serait pas l’homme de la situation.
- La nouvelle de son rappel, qui a suivi de près cette déclaration, a donc été interprétée ici comme indiquant la résolution du gouvernement français de séparer son action de celle de l’Angleterre et de la Turquie et de se rapprocher des autres puissances.
- Alexandrie, 30 juin, 9 h.* soir.
- La Corrèze part avec 800 fugitifs presque dénués de ressources. Le Scamandre embarque pour la Syrie 500 catholiques syriens. Les vapeurs autrichiens et italiens continuent à embarquer leurs nationaux. L’Egypte sera bientôt complètement vide. La Banque ottomane même transporte ses caisses à bord d’un bâtiment spécial.
- La présence de 1,500 Bédouins autour d’Ismaïlia suscite des craintes pour le canal.
- Les pachas et beys turcs indigènes et les harems des riches commencent aussi à partir.
- Arabi est consterné par l’exode général. Il propose au conseil de séquestrer les biens des émigrants, particulièrement ceux d’Haïdar-Pacha, qui est parti sitôt après avoir témoigné contre un indigène qu’il avait tu massacrant trois Européens.
- Le consul de France a notifié la suspension des protêts, qui sont remplacés par des certificats de non-payement. Le câble sous-marin a été transporté à bord d’un navire anglais.
- Alexandrie, 29 juin.
- Au nombre des émigrants de cette semaine figurent les harems de Hussein-Pacha, frère du khédive, de Fahri-Pacba, ministre de la justice de l’ancien cabinet Riaz et Omar-Lutti, gouverneur d’Alexandrie.
- Au conseil d’aujourd’hui, Arabi a insinué qu’il pourrait être à propos de séquestrer les propriétés des réfugiés, c’est-à-dire, probablement, celles de? Turcs seuls. Les rues sont désertes, tout indigène doit produire un certificat d’emploi, sinon il est pris comme soldat.
- La Banque générale Sinadino et Ralli, le Crédit foncier, le Crédit lyonnais, la Banque impériale ottornanej les Messageries, diverses maisons de commerce, etc., etc., ont transféré leurs bureaux à bord des steamers Roydl-Standard, Mœdard, etc. Quelques employés et corre9* pondants de journaux tiennent encore, dans les bureaux
- p.422 - vue 423/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 423
- du télégraphe ; mais, en réalité, le centre de la ville est
- transféré au port.
- Le khédive a toujours la fièvre et un mal de gorge, cette dernière maladie n’est probablement que la conséquence naturelle de ses fatigues le jour de la réception. 4 Les bruits alarmants des "travaux de mine sous le ca-Dal de Suez sont exagérés, mais de grandes quantités de matières explosibles ont été transportées à Ismaïlia. En dépit des assertions contraires des ingénieurs compétents maintiennent que le canal pourrait facilement être rendu impraticable.
- Arabi, cette après-midi, a parlé aux troupes de l’arsenal. Il a dit que l’Europe avait souvent menacé d’une invasion mais sans effet, et que l'Angleterre seule n’avait pas de quoi les effrayer. Il semblait calme et confiant, mais les témoins assurent que l’attitude de l’armée n’avait guère de quoi le rassurer. Mon informateur arabe m’écrit qu’il avait l’air trop sérieux et que les soldats semblaient effrayés de l’idée qu’une invasion pourrait avoir lieu pour de bon et que les événements cesseraient alors d’être un jeu. Personnellement je ne crois pas à une opposition sérieuse pas plus que quiconque connaît ces soldats* mais, ils se sont beaucoup améliorés dans ces derniers temps et les conséquences d’un échec seraient tellement graves que ce serait folie de tenter quoi que ce soit d’une force irrésistible.
- On écrit de Londres à la Correspondance politique :
- Tout est dans le plus grand désarroi, quant aux affaires d’Egypte, et dans le cabinet il y a presque autant d’opinions que de ministres. Lord Granville tient avant tout à marcher avec la France ; lord Kimberley est pour une intervention turque, avec ou sans le consentement delà France. M. Chamberlain et sir Ch. Diike veulent une occupation anglaise, et M. Bright, comme toujours, repousse toute idée d’intervention. Quant à M. Gladstone, il tâche de réconcilier toutes ces opinions sans exprimer la sienne, et on peut dire que l’objet principal de sa politique, en Egypte comme ailleurs, est de maintenir l’accord des membres de son cabinet. Jusqu’à présent il y a réussi.
- On télégraphie de Berlin au Times :
- Ici les politiques impartiaux commencent à voir que l’Angleterre aujourd’hui se prépare à adopter justement la mênle politique que précédemment elle avait rejetée lorsqu’elle était proposée par la France ayant M. Gambetta pour organe; et qu’après tout la méthode de l’ex-nainistre pour résoudre la question que la conférence cherche maintenant à régler est celle qui a chance, d’être finalement adoptée. On Voit ici que la position respective des deux puissances est aujourd’hui exactement renversée, que l’Angleterre se prépare à Intervenir en Egypte et voudrait décider la France à participer à Faction, et il y a dans les cercles bien informés une forte tendance à croire que, si le successeur de M. Gambetta n’a pas déjà promis une coopération matérielle à lord Granville, il y sera néanmoins bientôt amené.
- S’il ne s’y résoud pas, on en conclura ici que le principal motif qui l’arrête est le désir d'éviter l’humiliation de paraître se ranger à la politique d’ùn rival qu’il avait précédemment condamnée.
- Le prince de Bismarck a clairement affirmé que si une intervention devenait, en somme, nécessaire, il regardait Faction de la Turquie comme la forme d’intervention qui soulevait le moins d’objections, et il a conseillé à la France et à l’Angleterre, si elles consultaient ieurs intérêts, de ne pas penser à une expédition combinée en Egypte, étant convaincu, disait-il, que ce pays deviendrait pour elles un second Schleswig-Holstein, dangereux aussi pour la paix de l'Europe ; mais il n’a jamais laissé entendre même à demi-mot qu’il s’opposerait à cette marche du jour où les deux puissances les plus intéressées dans te canal de .Suez seront résolument d'accord pour l’adopter.
- Le correspondant du Standard, à Berlin, télégraphie les renseignements suivants sur les résultats de la mission de Drigalsky-Pacha à Berlin,
- On a donné à comprendre à là mission ottomane que,
- malgré toutes les bonnes dispositions de l’Allemagne pour la Turquie, le prince de Bismarck considère, avant tout, comme un devoir de contribuer au maintien de la paix. Il trouve que ses efforts à ce sujet sont paralysés à un certain point par les objections obstinées de la Porte à l’œuvre de la conférence.
- C’est pourquoi, ajoute le correspondant du Standard, DrigaFky-Paeha a quitté Berlin fort désappointé.
- L'Italie termine ainsi un article dans lequel elle examine les intérêts différents des puissances réunies à la conférence :
- Au fond, ce protocole de désintéressement est une comédie. La vérité e?t que toutes les puissances, — sauf peut-être la Russie, et encore ! — ont des intérêts à faire prévaloir eu Egypte et entenient les faire triompher, si cela est possible.
- La Turquie qui. elle, n’a, du reste, fait aucune promesse, veut que la solution de la question égyptienne soit l’affirmation des droits qu’elle invoque. Elle nourrit même certainement l’espoir d’aller beaucoup plus loin. Son rêve est de ruiner complètement l’œuvre de Mehemet-Ali et de faire de l’Egypte une province turque.
- L’Angleterre a l’obligation de sauvegarder sa route vers les Indes et c’est là, pour elle, un intérêt vital. .
- La France désire maintenir son influence, sauvegarder la créance des Français porteurs de titres égyptiens et empêcher que de l’E*gypte Fou ne menace ses intérêts dans la Méditerranée et en Afrique.
- L’Italie a. elle aussi, des intérêts dans le bassin de la Méditerranée et, non moins que la France, elle doit désirer d’avoir pied en Egypte.
- L’Allemagne poursuit une œuvre de longue haleine et qui a un double objectif : l’affaiblissement de la France et la transformation de la puissance autrichienne. Elle cherche à réaliser son unité en poussant vers l’Orient la maison de Habsbourg, et, si elle réussit dans ce vaste projet, elle se trouvera pour ainsi dire maîtresse du continent européen. Mais, il loi faut faire une place à la Turquie dans le monde : l’Afrique et l’Asie, plutôt l’Afrique que l’Asie sera le lot de cette dernière, au cas où elle serait dépossédée de ses Etats en Europe.
- Puissance mahométane, elle aurait des chances d’arrêter l'essor de la France dans le nord, de l’Afrique ; elle se trouverait peut-être en lutte avec elle, ce qui ne saurait déplaire à M. de Bismarck. v
- L’Autriche, consciemment ou inconsciemment, suit l’Allemagne. On ne devine pas encore exactement jusqu’où elle ira, si elle entend se laisser reléguer en Orient et abandonner ses provinces allemandes'où bien entrer en lutte avec l’Allemagne le jour où, tenant l’Orient, grâce â elle, elle refusera de payer son écot en cédant les provinces que convoite le grand chancelier. En tous cas les intérêts qu’elle a en Egypte ne sont pas douteux, puisque ce pays doit jouer un rôle dans les événements futurs.
- On voit donc quelle valeur peut avoir le protocole de désintéressement.
- Il est possible, toutefois, qu’il soit respecté, mais ce sera alors provisoirement et parce que l’homme qui semblait diriger les événements jugera que la poire n’est pas mûre.
- * *
- SLe testament politique <le Gfifilimïtïl.
- — La lettre qui suit aurait été adressée, nous assure-t-on, à Sa Majesté Humbert Fr, roi d’Italie, par le général Garibaldi, la veille de sa mort. Un serviteur du générai défunt se serait chargé de la mettre en mains propres à Sa Majesté ; mais, par un concours de circonstances qu’il serait inutile de rapporter ici, elle aurait passé entre les mains d’une tierce personne qui en aurait pris copie, sans altérer sensiblement l’enveloppe oont elle était recouverte. Ce serait donc à une indiscrétion que nous devrions de connaître ce document, apocryphe, croyons-nous, mais que nous publions toutefois à titre de curiosité et sous toutes réserves :
- Sire, demain, dans quelques heures peut-être, j’aurai ceseé de vivre. Mon être retournera au néant, d’où il est
- p.423 - vue 424/836
-
-
-
- 424
- LE DEVOIR
- sorti, et il ne restera de moi qu’une poignée de cendres que le temps aura bientôt dispersée aux quatre vents de la terre. Je sens s’approcher le moment fatal, Sire, et, pareil à une lampe qui jette une suprême lueur avant de s’éteindre, mon esprit acquiert une lucidité extraordinaire. J’en profite, Sire, pour tenter auprès de vous un effort suprême en faveur de la cause à laquelle j’avais consacré toute ma vie : la liberté des peuples! le bonheur de ma chère patrie! ma patrie, qui n’aurait d’autres bornes que celles de la terre même; car je suis homme libre, Sire, et tous les hommes qui possèdent en eux le sentiment de la liberté sont mes compatriotes ; j’ai combattu, et je combattrais encore, si je le pouvais, tout aussi bien pour la liberté d’un nègre de l’Abyssinie que pour celle de mon plus cher camarade d’enfance ! .
- Cependant, Sire, cette idée de cosmopolitisme qui se présente à mon esprit sous une expression si simple est loin d’être comprise par la foule. Que dis-je? les rares individus mêmes qui la possèdent et la préconisent se trouvent forcés souvent de la répudier comme attentatoire aux droits particuliers de leurs nations respectives. Cela provient de ce que l’éducation politique des peuples se trouve encore dans l’enfance. Il me faut donc tenir à l’écart cette vaste conception et me limiter à ne considérer comme patrie que le pays qui m’a vu naître : l’Italie ! L'Italie, que j’ai vue dans mes jeunes ans divisée et le front courbé sous la domination étrangère ; l’Italie, que j’ai vue plus tard, unie et altière, disputer a ses ennemis séculaires, les papes et les Autrichiens, sa capitale et ses provinces; l’Italie, enfin, que je vois aujourd’hui puissante, sinon libre, marcher de pair avec ceux-là mêmes qui la qualifiaient jadis de Terre des morts !
- Nous avons beaucoup fait, Sire, pour notre patrie, mais il reste encore beaucoup à faire. Le clergé et la royauté sont encore des entraves qui empêchent l’élan national de se manifester dans toute son expansion. C’est un mort qui vous parle, Sire : — Oui, la royauté, oui, le clergé, oui, votre gouvernement sont la cause que nous abandonnons nos alliés naturels pour chercher à nous mettre sous la tutelle de cette race de Teutons qui a si souvent fait couler notre sang, le sang de nos pères, pour s’emparer des territoires bénis que la nature leur refuse.
- Si j’étais Humbert I", Sire, j’aurais convoqué d’urgence le Parlement; et là, en face de mes compatriotes, j’aurais abdiqué la royauté, j’aurais proclamé la République, et je me ferais plus grande gloire d’être simple citoyen d’Italie que roi des Italiens.
- Mais c’est de la démence, direz-vous, Sire. — Hélas ! que ne puis-je en un trait de plume vous retracer l’avenir tel qu’il m’apparaît en ce moment solennel où la vie quitte peu à peu ma triste dépouille. Vous verriez alors que ce qui vous paraît démence serait acte de sagesse, car votre dynastie, quelque sympathique qu’elle soit au peuple italien, est condamnée à subir le sort de celles qui ont voulu résister à l’élan populaire.
- Le peuple italien a soif de liberté; il veut la République, il la veut pour pouvoir franchement tendre la main à ses frères d’au delà des Alpes ; il la veut, parce que c’est par elle seule qu’il parviendra à former l’unité latine, sans laquelle Allemands, Autrichiens et Anglo-Saxons nous tiendront toujours sous le coup de leur prépondérance ; il la veut enfin, parce qu’elle est unique à pouvoir lutter avantageusement contre l’ennemi mortel et déclaré de la société humaine : le prêtre.
- Résister à l’élan de tout un peuple, c’est s’exposer, de propos délibéré, à une mort certaine, et tel sera le sort de votre gouvernement et de votre dynastie, Sire, si ma parole ne parvient pas à vous persuader.
- Je suis fatigué, Sire, les affres de la mort m’envahissent; j’entends dans le lointain le murmure des peuples latins qui se réveillent. Puisse ma mort être le signal de leur unité, et mon tombeau leur servir de rempart contre les influences étrangères.
- ALLEMAGNE
- M. de Bismarck, soutenant devant le Reichstag la né-
- cessité urgente d’établir le monopole du tabac, a laissé échapper cet aveu : c’est qu’à Berlin, sur 355,000 contribuable?, on a dû procéder à 93.000 exécutions. Maisl’él tabüssement du monopole n’aura point pour effet de créer de la richesse, il y aura déplacement, mais non point diminution d’impôt. Il n’y a qu’un moyen pour l’Allemagne de diminuer ses impôts, c’est de désarmer et pour désarmer, une seule chose à faire : se débarrasser de l’Alsace et do la Lorraine. Gomment? en les faisant libres.
- M. Bitter, ministre des finances, a donné pour la seconde fois sa démission, il désapprouve entièrement le système économique ôt financier de M. de Bismarck.Le Reichstag n’a point voulu se contenter de rejeter le monopole du tabac, il a tenu à voler, avant de s’ajourner, une proposition contraire en principe à toute élévation de l’impôt sur le tabac.Où diable veut-on que je prenne de l’argent? s'est écrié M. de Bismarck. — Désarmez lui répond-on. — Désarmer, comment est-ce possible en face des millions de baïonnettes tournées contre l’Allemagne? — Changez de politique, vous pourrez désarmer. — Bonne réponse, mais pour aller jusqu’au bout il faudrait ajouter : Rendez, non pas à la France, mais à elles-mêmes l’Alsace et la Lorraine. L’honneur sera sauf, le droit satisfait, le désarmement possible et les finances améliorées. En attendant on annonce une entrevue des empereurs d’Allemagne et d’Autriche à Gas-ting ou à Ischl; chacun d’eux amènera son ministre.On n’appellera ni l’empereur de Russie, ni le roi d’Italie; on ne se fie guère au Gzar, et le roi Humbert est trop nouveau venu, il fait encore antichambre.
- AUTRICHE-HONGRIE
- \
- Le 1er avril de cette année disparut a Tisza-Eszlar, en Hongrie, une jeune fille chrétienne de dix-huit ans, nommée Ester Solymossy. La Pâque juive tombait le 6 avril, et bientôt l’ancienne accusation portée contre les juifs de se servir du sang chrétien pour leurs pains azi-mes commença à se répandre. La mère d’Esther ne tarda pas à dire à qui voulait l’entendre que sa fille avait été victime de la communauté juive de Tisza-Eszlar.
- Le sacrificateur de la communauté, nommé Scharf, et sa femme furent incarcérés. Leur plus jeune fils, âgé de dix ans, arrêté également, raconta que le samedi précédent, à une heure de l’après-midi, après l’office du jour, les fidèles étant partis, il ne resta dans la synagogue que Scharf, quelques notables et un mendiant de galicien.
- Il vit alors son père appeler la jeune Esther au temple et refermer la porte derrière elle. Il avait regardé par le trou de la serrure et pu voir deux sacrificateurs étrangers égorger la jeune fille.
- L’instruction fit procéder à de nouvelles arrestations, mais on ne put mettre la main ni sur le mendiant galicien, ni sur les sacrificateurs étrangers.
- Entre temps, l’agitation populaire augmentait et gagnait les cercles parlementaires. M. Istoczy interpella le ministère à ce sujet, et M. Tisza, président du conseil, répondit que jamais le gouvernement ne permettrait qu’une agitation antisémitiqùe se produisit en Hongrie.
- Plusieurs fois, on prétendit avoir retrouvé Esther So-limossy, lorsque, le 14 juin, les journaux hongrois annoncèrent qu’on avait retiré de la Theisz un cadavre répondant au signalement de la victime. Il fut reconnu que ce cadavre portait bien les vêtements d’Esther,mais n’était point le corps de la jeune fille disparue. Le rabbin de Nyiregyhaza, Salomon Rosenberg, accusé et convaincu d’avoir fait enlever dans un amphithéâtre un cadavre qu’il avait affublé des vêtements d’Ester Soli-mossy, a été mis en état d’arrestation.
- Ce qui est certain, c’est que celte malheureuse jeune fille a disparu de chez sa mère depuis le 1er avril. Ce jour-là, elle a été vue, pour la dernière fois, dans les environs de la synagogue. Lia justice hongroise poursuit l’instruction de cette affaire obscure.
- p.424 - vue 425/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 425
- ' XJne erreur jndioiairo.- On lit dans VItalie :
- Un crime fut commis, il y a neuf ans, dans une nuit du mois dejuin.
- Un propriétaire de Mozzagrogna, près de Lanciona, Antonio Brighella, en retournant chez lui, fut tué.
- La justice arrêta un autre propriétaire de l’endroit. Angelo-Maria Zuccarini.
- Déclaré par le jury coupable d’assassinat par vengeance, il fut condamné aux travaux iorcés à perpétuité.
- Zuccarini, qui avait toujours protesté de son innocence, tenta de se briser la tête contre les barreaux de sa prison, il y aurait réussi si les carabiniers ne l'avaient retenu. Il fut enfermé dans le bagne de Santo-Stefano.
- Il y a quelques mois un colon de la famille Brighella mourut.
- Sa femme ne tarda pas à le suivre : mais avant de mourir elle déclara devant un magistrat, que Antonio Brighella avait été tué par son mari et le nommé Mala-testa, par mandat de Bernadino, frère de la victime.
- La justice refit le procès et condamna Malatesta et Bernardino Brighella à vingt ans de travaux forcés.
- Après neuf ans de souffrances indicibles, Zuccarini vient d’être rendu à sa famille.
- *
- * *
- Voici le texte de la pétition adressée, par les cordonniers de la Seine, au Conseil municipal de Paris :
- « Considérant qu’il est de tradition au conseil municipal de Paris de voter une somme de 50,000 francs pour le Grand Prix de Paris, et que ladite somme ne sert qu’à faciliter l’amusement d’une classe de la société qui par sa situation financière, n’a nullement besoin d’être’ encouragée pécuniairement.
- « Nous, cordonnerie de la Seine, nous avons l’honneur de demander au conseil municipal de Paris, à titre de subside a notre grève, la somme de 500,000 francs.
- « Le conseil municipal ne peut, vu les précédents, et sans partialité, nous refuser la somme que nous lui demandons.
- « Au cas où le conseil municipal répondrait à notre juste demande par une fin de non recevoir, son refus nous prouverait qu’il a plus de sollicitude pour les classes dirigeantes et la race chevaline que pour la classe ouvrière affamée.
- « En outre, la corporation s’engage, en cas de refus à ne plus payer de contributions.»
- Celte pétition a été renvoyée à ia commission des finances du conseil municipal.
- ÉTATS-UNIS
- , L assassin du président Garfield a été pendu le 30 juin. Voici quelques détails sur cette exécution.
- La dernière nuit du condamné a été très agitée, mais au matin il s’est endormi d’un sommeil de plomb. A onze heures on l’a réveillé. Il a pris un bain froid et a tantam*é ensilite ffu’on ^ venir un pasteur protes-
- En le voyant entrer, Guiteau s’écria :
- doûc> m011 ciier amL je voudrais bien savoir 11 échafaud est en bon état, car je ne me soucie pas a émouvoir la foule par une longue agonie.
- Après s’être entretenu quelques instants avec le passeur, Guiteau se promena un quart d’heure dans la cour tw* a ensul*e dans sa chambre pour écrire, h ht son testament, dont voici le principal passage :
- « Si plus tard une personne ou des personnes désirent honorer mes restes mortels, elles pourront le faire en misant éiever un monument sur lequel on grave-n1Qscriplion suivante : « Ci-gît le corps de Charles TphzV Palr\ote chrétien. Son âme est au ciel. » d3ru,ûô e^s a mes survivants de se servir de mon corps üans un but de spéculation. » P
- Ensuite le condamné écrivit une note dans laquelle ij
- se déclare très content des services du pasteur, et l’invite à le retrouver au ciel.
- De temps à autre, il cessait d’écrire, pour maudire le président et ses conseillers qui l’avaient poursuivi jusqu’à l’échafaud. Car son idée fixe était celle-ci : « M.Arthur n’aurait jamais, sans moi, était nommé président, et ses amis ne seraient pas au pouvoir; donc, ils ne peuvent me laisser mourir! »
- A midi vingt-cinq on vint le chercher pour le conduire avec l’échafaud, dressé au milieu de la cour de la prison. Etiviron cent cinquante personnes avaient reçu l’autorisation d’assister à l’exécution.
- Arrivé sur la plate-forme de l’écharaud, les bras attachés derrière le dos, Guiteau écouta en silence, et la tète penchée, la prière dite par le révérend Hicks; puis il se mit à lire lui-même, d’une voix forte et claire, le dixième chapitre de l’évangile selon saint Mathieu sur le livre que lui tendait le pasleur. Il prononça de même une longue prière, rédigée par lui le matin, dans laquelle il déclarait mourir volontiers, sa mission ayant été accomplie.
- Il ajoutait, avec force invocations au Tout-Puissant, que c’était pour avoir obéi à une inspiration divine,qu’il allait être maintenant assassiné, affirmant une fois de plus que, par son exécution, ia nation américaine attirerait bientôt sur elle le courroux céleste et que tous ses assassins,depuis le président Arthur jusqu’au bourreau, seraient punis en enfer.
- Ensuite Guiteau se laissa mettre la corde autour du cou et le bonnet noir.
- Pendant ce temps, il chantait avec exaltation des versets qu’il avait composés le matin môme.
- Au dernier « Alléluia », la trappe de l’échafaud céda sous les pieds du condamné, et le corps inanimé fut lancé dans le vide.
- *
- 4 4
- Un mariage sous un parapluie.
- Le Bulletin de Norwich raconte ce qui suit :
- Le révérend Weaver, de Montville (Conecticut), a reçu dimanche, la visite d’un jeune homme et d’une fille lui demandant de les unir par les liens de l’hyménée.
- Le permis de mariage que produisait le jeune couple avait été rédigé dans la commune voisine de Norwich. Le révérend dit aux deux fiancés que la cérémonie ne pouvait être célébrée sur le territoire de Montville.
- Craignant un retard, le futur pria le révérend de franchir avec lui et sa fiancée la démarcation voisine des communes de Montville et de Norwich, située à une petite distance, et de bénir leur mariage en plein vent.
- L8 ministre bénévole y consentit, accompagna le couple jusque sur le territoire de Norwich, et là, abrité sous le parapluie que portait la fille, il prononça la bénédiction nuptiale.
- Sans valoir la « feuille de bananier » sous laquelle s’abritaient Paul et Virginie, voilà un parapluie matrimonial qui ne manque pas d’originalité.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XXI (1)
- Les visiteurs & leurs opinions
- Parmi les personnes notables qu’attira le désir d’examiner par elles-mêmes si l’association était réellement la solution des difficultés sociales qui
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21.28 mai ; 4, 11, 18 25 juin et 2 juillet 1882.
- p.425 - vue 426/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 4*6
- désolaient le pays, il faut citer d’abord un grand fermier du voisinage. Celui là ne pouvait comprendre comment un vaste domaine de 375 hectares dont 160 environ étaient en culture, pouvait être entretenu en bon état sans l’autorité absolue d’un intendant, ou d’un directeur. Il se rendit donc à Rala-hine, et trouva justement sur la route, à quelque distance du domaine, un des associés travaillant seul, voici pourquoi :
- Le cours d’eau qui mettait en mouvement la machine à battre passait, à la sortie du lac, sous l’ancienne route de poste de Limerich à Ennis ; or, près du pont un éboulement s’était produit et la maçonnerie obstruait le cours du ruisseau.
- Le visiteur en question fut donc tout surpris de voir un des membres de la Société, debout au milieu de l’eau, réparant le mur. Et le dialogue sui-vant s’établit entre eux. :
- — Est-ce que vous dirigez tout seul votre travail ?
- — Oui, monsieur.
- — Où est votre intendant ?
- — Nous n’en avons pas.
- — Qui donc alors vous a envoyé ici ?
- — Le Comité.
- — Quel Comité ? Que sont les commissaires ?
- — Quelques-uns des membres, monsieur.
- — De quels membres parlez-vous ?
- — Des membres du « Nouveau système », les laboureurs et les manœuvres.
- Le grand fermier exprima plus tard l’étonnement qu’il avait ressenti à la vue de ce travailleur solitaire, si actif, exécutant le travail avec tant de perfection, sous l’unique influence de la nouvelle organisation sociale.
- N’était-ce pas, en effet, un spectacle merveilleux que celui de ces hommes enrôlés, peu de mois auparavant, dans l’insurrection et, convaincus des at-rentats les plus graves, et maintenant paisibles, industrieux, contents, se livrant aux travaux les plus rudes, sans aucun intendant pour les diriger ni les contraindre, et remplissant allègrement, chacun sa tâche, telle que l’ordonnait le Comité élu.
- L’association trouvait dans le public de nombreux contradicteurs. Le système ne peut rien valoir, disait certaines gens, puisque personne ne dirige, en maître, l’entreprise. Que voulez-vous attendre d’une Société composée d’individus ignorants, ivrognes et pour la plupart engagés autrefois dans la rébellion. En admettant que de telles gens ne passent point le temps à se quereller, ils ne feront certainement que des sottises, faute de savoir et d’expérience, ou bien probablement se voyant maîtres d’eux-mêmes, ils
- s’adonneront à la paresse, et réaliseront le paradis de l’insensé, en mangeant tout ce qu’ils possèdent
- D’autres critiques basaient leurs objections sur ce fait que le nouveau système n’était point en accord avec les règles établies de l’économie politique.
- Une des causes qui contribua au succès de l’association, a été mise en lumière par un des visiteurs M. John Finch, négociant de Liverpool, homme d’affaires habile et pratique, qui resta trois jours à Ralahine, examinant tout en détail, relevant des notes et compulsant les statuts et le contrat.M. Finch publia les résultats de sa visite, en quatorze lettres, dans un journal de Liverpool.
- L’admiration fervente de M. Finch était le résultat d’une investigation approfondie des arrangements sociaux de Ralahine. Ses affaires lui avaient fait parcourir, à plusieurs reprises, la Grande-Bretagne et l’Irlande. Il connaissait à fond le peuple, ses qualités et ses faiblesses, de sorte que son témoignage est des plus considérables et des plus impartiaux.
- Voici un des nombreux incidents rapportés par M. Finch.
- « Un paysan sensé, avec qui je causais à Ralahine « me disait, après avoir rappelé le sort fait à l’ou» a vrier sous la direction d'un intendant : « Autre» « fois nous n’avions aucun intérêt, ni à faire beau-« coup d’ouvrage, ni à perfectionner l’œuvre, ni à « suggérer des améliorations, puisque tous les bé-« néfiees et toutes les félicitations revenaient à un « contre-maître tyrannique, comme si le résultat « obtenu était uniquement dû à son attention et à « sa vigilance. Nous étions surveillés exactement « comme des machines qu’on tient en mouvement. « Aussi était-ce le lot de trois ou quatre parmi nous « de ne point perdre de vue l'intendant, et quand « il était éloigné, vous pouvez croire que nous « avions soin de ne point nous fatiguer au travail. « Maintenant, au contraire, notre devoir et notre « intérêt sont d’accord, aussi n’avons-nous aucun « besoin d’intendant. »
- M. Finch dit encore : « Il me paraît impossible « d’imaginer des arrangements plus aisés, plus pra-« tiques, plus économiques que ceux adoptés à Ra-« lahine. Combien mesquines, basses et mêprisa-« blés sont nos lois des pauvres et nos institutions « de charité, comparées à l’organisation simple, na-u turelle et rationnelle de Ralahine. »
- Appelé, en 1834, devant une commission de la Chambre des Communes, pour donner son avis sur les causes et les effets de l’ivrognerie, et les meilleurs remèdes préventifs à y appliquer, M. Finch dit :
- p.426 - vue 427/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 42Î
- « J’ai vu, l’an dernier, en Irlande, à Ralahine, u dans le comté de Clare, une institution agricole „ où l’on dansait généralement deux soirs par se-« maine, atout le moins une fois. J’assistai à l’une „ de ces danses et je vis les hommes de charrue et « les hommes de peine, avec leurs femmes et leurs « filles, sous la direction d’un musicien, passer très-« joyeusement la soirée, sans boire une seule goutte « d’une liqueur quelconque.
- « Les réglements et l’économie de cette institu-« tion sont excellents ; ils mettent en lumière de la « façon la plus évidente le vrai moyen d’écarter de « suite et pour toujours, l’ignorance, la mendicité,
- « le paupérisme, l’ivrognerie et les crimes qui dé-« soient à la fois l’Irlande et l’Angleterre, et cela « sans dépenses extraordinaires de capitaux, ni vio-« lations des lois existantes, soit de l’Eglise, soit de « l’Etat. Aussi suis-je déterminé â consacrer doré-« navant la plus forte part de mon existence à la « propagation de ces faits, qui sont de la plus haute « importance pour tous les propriétaires. »
- M. Fihdh dit encore :
- « Combien cette expérience sociale est de nature « à frapper l’esprit, surtout si l’on compare la situa*
- « tion des ouvriers de Ralahine à celle des misera-« blés paysans de la contrée. On trouve, en effet,ces « derniers sans travail, pendant les longs mois d’hi*
- « ver, et sans autre ressource, au cours de l’année,
- « que leurs pauvres gains qui montent à peine à « douze sous par jour ; et cette misérable somme « doit suffire à l’entretien, non-seulement du tra-* vailleur mais d’une famille presque toujours nom-« breuse. La femme et les enfants ne s’occupent « qu’à mendier, ou à soigner un petit carré de » pommes de terre; Oes pauvres gens sont couverts « d’ordures, et habillés de loques. Tous vivent et « dorment dans un même logis, sur un tas de paille,
- « pêle-mêle avec porcs, canards, poules, chiens,
- « chèvres, vaches ou ânes.
- « Le plus souvent, la misérable cabane, humide,
- « couverte de chaume oii de mottes de terre, n’a ni « fenêtre, ni cheminée. Neuf fois sur dix, il y a un « fumier devant la porte. Â peine trouve-t-on un « ustensile autre que la casserole dans laquelle on b fait cuire les pommes de terre. La famille y “ mange d’abord, les porcs achèvent les restes.
- « Si l’on compare le sort de ces infortunés â celui I “ des travailleurs de Ralahine ; si l’on considère “ surtout qüe cette association est la première étape “ âu sortir d’ühe telle misère, on sera en mesure “ d’évaluer Ralahine à sa juste valeur. »
- M- Finch raconté qu’il fut témoin pendant une de
- ses visites à l’association du règlement d’unê ôôïi*-testation.
- « Il n’est permis, « dit-il », de porter aucune af-« faire, aucun litige devant un magistrat ou un « homme de loi. Toutes les discussions sont réglées « par des arbitres choisis parmi les membres. Du-« rant mon séjour à Ralahine, un des associés dans « un moment de colère, adressa â l'un de ses collè-« gués une mauvaise parole, Une querelle entre les « deux hommes s’en suivit.
- « J’eus ainsi l’occasion de voir fonctionner le « Parlement de Ralahine. Vingt-neuf hommes et « dix-sept femmes s’assemblèrent. Le cas fut ex-« posé, discuté d’une façon sérieuse et approfondie, « et réglé par un avertissement donné â chacun des « perturbateurs d'avoir à s’abstenir d’une telle con-« duite à l’avenir. »
- La plupart des visiteurs étaient grandement satisfaits, et s’en allaient heureux de ce qu’ils avaient vu. L’Un d’eux, lord Wallscourt fut si favorablement impressionné qu’il réalisa sur son domaine de Galway une association analogue â celle de Ralahine, et obtint de bons résultats.
- Nous citerons également la visite de M. William Thompson, disciple de Jérémy Bentham. William Thompson avait écrit plusieurs ouvrages sur la répartition de la richesse et les principes d’économie sociale et politique. Il était partisan du principe de la coopération mutuelle et de l’association pour la production, la répartition et la consommation de la richesse. Il fut très satisfait de sa visite à Ralahine. M. Thompson possédait de grands domaines dans le comté de Cork et résolut d’y établir une association. Mais il mourut en 1833,avant d’avoir pu mener son projet â bonne fin ; cependant il en avait légué la charge â des exécuteurs testamentaires. Les héritiers attaquèrent le testament disant que c’était un acte de folie, et que la folie était prouvée par l’objet même du testament. Ils eurent gain de cause,contre toute justice.
- Î1 y eut des critiqueurs aussi parmi les visiteurs de Ralahine. Où se trouvèrent-ils ? Particulièrement dans cette classe de gens qui envoyent des missionnaires en Afrique, et qui laissent leurs compatriotes dans la plus grossière ignorance.
- Ceux là firent entendre que ce qu’on avait réalisé était bon, mais que c’était loin, bien loin, de ce qu’ils avaient imaginé. On avait pris les paysans au sein d’une insurrection qui défiait toutes les forces publiques : armées, clergé, magistrature, c’était vrai ; la paix et l’ordre étaient rétablies dans toute la province ; mais on avait fait cela sans obliger* le peuple à absorber la nourriture spirituelle que les
- p.427 - vue 428/836
-
-
-
- 428
- LE DEVOIR
- pieux contradicteurs rêvaient de lui faire ingurgiter : donc, l’œuvre n’était point ce qu’elle devait être. On avait réalisé ce qui importait le moins et laissé dans l’oubli le principal.
- M. Finch raconte à ce sujet l’anecdote suivante :
- Deux dames, l’une catholique et l’autre protestante, se trouvaient en visite à Ralahine. Après un examen minutieux de tous les arrangements, « Tout est très-bien, parfait », « s’écrièrent-elles », mais il y manque après tout la chose capitale, la chose unique et indispensable. »
- « Laquelle ? » demanda M. Vandeleur.
- « La religion » , s’écrièrent ensemble les deux dames.
- « Par qui la fera-t-on enseigner » ? reprit M. Vandeleur. « Les prêtres seront-ils catholiques ou protestants ? »
- Les deux dames se regardèrent.
- « Quand vous aurez, Mesdames, réglé ce point entre vous, nous verrons à faire enseigner des dogmes au peuple. »
- Ces pieuses personnes ne se rendaient pas compte que l’on n’eût fait que du désordre et que l’on eût rendu l’œuvre impossible, si l’on y avait mêlé des questions qui ne pouvaient soulever que la contradiction, la discorde et tous les éléments de perturbation.
- Pour conduire le peuple à son propre perfectionnement, il faut comprendre la nature de l’esprit humain, les lois qui gouvernent les sentiments et les sympathies, faire la part de toutes ces forces, et vivre avec elles.
- Le peuple irlandais est cordial, bon, généreux, industrieux, capable d’un grand progrès physique, intellectuel et moral. Qu’on laisse de côté ses préjugés religieux ; qu’on lui donne l’éducation, l’instruction, un travail qui lui assure confortablement la nourriture, le vêtement et le logement; et ce peuple deviendra le plus joyeux, le plus alerte, le plus vif d’esprit, le plus heureux de tous les peuples.
- Enfin,un des plus importants visiteurs fut Robert Owen. Robert Owen arriva brusquement à Ralahine sans avoir prévenu en quoi que ce soit de sa visite.
- Personne ne pouvait être plus intéressé que lui à un fait comme l’association agricole de Ralahine.
- C’était la tentative même de Robert Owen, en 1822-23, qui avait attiré pour la première fois l’attention de M. Vandeleur sur les principes de coopé-pération mutuelle, et sur les moyens d’améliorer le sort des classes laborieuses.
- Les travaux de M. Owen en faveur des ouvriers sont trop nombreux, et trop connus, du reste, pour être relatés ici. Assurément Robert Owen ne trouva
- pas dans l’association de Ralahine, la réalisation même de son idéal, mais quand il vit le milieu dans lequel on avait dû opérer, il fut très-heureux des succès obtenus. Consulté plus tard par M. Craig sur ce qu’il avait pensé de Ralahine, Robert Owen écrivit : « Après examen de vos procédés, et des ressources « dont vous disposiez ; vos arrangements pour pro-« duire et répartir les bénéfices, pour instruire, « perfectionner et gouverner la population, m’ont « paru excellents et conçus d’après le véritable « esprit de la coopération. J’ai vu chez vous les gens « plus heureux que ceux de n’importe quelle classe u en Irlande.
- « En outre, le propriétaire de Ralahine, loin « d’être en peine de l’avenir, m’a exprimé toute sa « sérénité, toute sa satisfaction d’avoir mis son « domaine aux mains des coopérateurs. Il m’a dit « qu’il avait le plus vif désir de voir les associés « marcher par cette voie à l’indépendance, considé-« rant que c’était un bonheur pour eux, comme « pour lui-même. »
- Nombre d’autres visiteurs marquants vinrent à Ralahine. L’attention du Gouvernement même commençait à se porter sur cette expérience sociale, quand arriva le malheur qui mit soudainement fin aux opérations.
- [A suivre.)
- LE MAGNÉTISME
- Examinant l’état physiologique le plus favorable à la production des phénomènes magnétiques, le docteur Teste dit que c’est surtout chez les sujets amaigris et débilités par une affection chronique qu’il est facile de déterminer ces phénomènes; mais il déclare formellement que l’on se tromperait si l’on pensait, comme paraissent le faire ies savants expérimentateurs de la Pitié et de la Salpétrière dont nous avons analysé les déductions, que les malades seuls ou les convalescents sont susceptibles de les produire. De nombreuses observations prouvent même qu'une parfaite santé n’est point un obstacle au somnambulisme artificiel.
- Notre auteur cite un cas qui démontre qu’une longue maladie ou même une maladie aigüe de nature nerveuse ou débilitante peut rendre magnétisable un sujet qui, auparavant, eût semblé ne pas l’être. L’explication que Ton pourrait donner de ce fait, d’après lui, serait infiniment simple : la douloureuse excitation du système nerveux pendant Ja durée des souffrances du malade augmente son impressionnabilité physique, et en même temps le mal, en usant
- p.428 - vue 429/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 429
- son énergie, affaiblit considérablement sa faculté de distance morale. Il en conclut en résumé qu’il n’est point indispensable d’être malade pour être magnétisé avec succès, mais que les maladies, surtout les maladies nerveuses favorisent singulièrement la puissance de l’action magnétique.
- A ce sujet, M. de E’ieurville dit qu’en géuéral pour pouvoir magnétiser il faut avoir une bonne santé, ce qui revient à dire du fluide vital en excès, et de la volonté pour pouvoir mettre et transmettre ce fluide vital; que les personnes malades, maladives,faibles, délicates, souffrantes peuvent en général être magnétisées, et qu’une personne très nerveuse sera parfois difficile à magnétiser, contrairement à ce que l’on aurait pu supposer tout d’abord.
- Quant aux conditions morales, il résulte des opinions émises par les divers auteurs qui se sont occupés de magnétisme que l’une des principales est qu’il existe une certaine sympathie morale entre le sujet et son magnétiseur, sympathie résultant surtout de la confiance inspirée par ce dernier. L’antipathie instinctive est, au dire du docteur Teste, un obstacle insurmontable aux opérations magnétiques. On peut quelquefois le surmonter en partie, mais les résultats que l’on obtient dans ce cas sont très-incomplets et insuffisants.
- Il prétend, au point de vue phrénologique, que les yolumes relatifs des masses cérébrales et des centres nerveux jouent également un rôle important ; mais les données sur les quelles il s’appuie pour émettre cette opinion conjecturale sont trop incertaines, de son propre aveu, pour que l’on puisse se hasarder sur ce terrain mouvant, « et appuyer une science qui naît, dit-il, sur les données d’une science née d’hier. »
- A propos de phrénologie, M. de Fleurviile prétend que les déductions de cette science sont confirmées par le somnambulisme, et il cite à l’appui de son dire le fait suivant :
- “ Une jeune femme très franche, très honnête, dit-était magnétisée et endormie par son mari, qui se Plaisait à lui faire donner des preuves matérielles de la réalité de la phrénologie.
- « Lorsque nous étions en petit comité, et nous connaissant tous, il magnétisait sur la tête de sa femme successivement, toutes les bosses qui correspondaient à l’amour maternel, l’amour conjugal, le v°l,le meurtre, l’orgueil, la vénération, la piété, etc., e^c- î et cette jeune femme, après un premier mouve-f^nt de honte, de pudeur ou d’hésitation, nous vo-iait avec une certaine adresse, surtout avec une grande rapidité nos montres, nos foulards, etc. ; ou en> armée d’une règle, en guise de poignard, elle
- fondait sur nous et nous aurait frappé si son mari ne l’eût arrêtée brusquement Je bras en l’air; ou bien elle cherchait un enfant pour l’accabler de caresses, etc., etc.
- » Bien entendu, nous nous prêtions de bonne grâce à toutes ces expériences faites pour nous instruire, et non pour nous tromper les uns les autres.
- Quoi qu’il en soit des rapports encore hypothétiques entre la phrénologie et le somnambulisme, une chose sur laquelle tous les auteurs s’accordent parfaitement c’est que les conditions de lieux, de témoins, d’entourage, etc., et leurs dispositions exercent une influence considérable sur les phénomènes magnétiques. « Les expériences magnétiques dit Teste, ne réussissent presque jamais devant de nombreux témoins. » « Les assistants, dit un autre auteur, paralysent, malgré eux, à leur insu et même involontairement le somnambule lorsqu’ils sont hostiles et antipathiques.. ou’simplement encore lorsqu’on doute de sa bonne foi ou de sa clairvoyance ! A plus forte raison lorsqu’on a intentionnellement et de parti-pris des dispositions hostiles contre ce somnambule. »
- C’est dans le calme, autant que possible,dans la solitude et dans des lieux qui n’inspirent ê l’âme ni émotion ni contrainte et où rien n’est de nature à captiver trop vivement l’attention qu’il faut opérer pour obtenir des résultats sérieux, et quant aux témoins, en restreindre le nombre autant que les circonstances le permettent. Il faut surtout qu’ils aient de la bienveillance, et la bonne foi de ne rien admettre ni rejeter à priori, comme le doit faire tout homme uniquement mù par le désir de s’instruire.
- Toute science nouvelle rencontre toujours inévitablement beaucoup de détracteurs et très peu d’adeptes. Parmi les premiers, on compte surtout les savants officiels, et ceux qui, l’étant à demi, croient devoir rester fermes dans un sceptisme inébranlable fort bien porté. Mais la grande majorité se compose d'hommes qui craignent par-dessus tout cette espèce de ridicule qui s'attache aux gens crédules, et qui pour éviter ce danger préfèrent tomber dans le ridicule bien autrement grave de la négation quand même, de la mauvaise foi qui résiste à toutes les preuves même des faits palpables, visibles, tangibles. Ceux-là n’ont admis l’électricité que lorsqu’elle a eu fonctionné officiellement, la locomotion à vapeur que lorsqu'un chemin de fer a transporté des voyageurs de Paris àSt-Germain,et l’invention de Daguerreque lorsque les portraits photographiques étaient étalés à tous les yeux. Pour eux tant que les règles d’une science n’ont point été fixées d’une façon pour ainsi
- p.429 - vue 430/836
-
-
-
- 4S0
- LE DEVOIR
- dire mathématique, cette science n’existe pas, comme si avant de pouvoir découvrir ses lois, il ne fallait pas avoir d’abord trouvé la science elle-même. Comment Volta, Franklin, Faraday et tant d’autres aura’ent-ils pu formuler définitivement les lois fondamentales des phénomènes électriques, s’ils avaient accueilli les premières expériences démontrant l’existence de l’électricité par cette incrédulité de parti-pris si fort en honneur chez les savants et demi-savants officiels ?
- En réalité, dans toute scienee qui naît, il y a un fonds incontestable de vérité, mêlée, avant que l’observation des faits et l’expérimentation n’en ait bien déterminé les lois, à beaucoup d’hypothèses et d’erreurs même, que l’étude consciencieuse seule peut faire discerner. Dès que la science est découverte, le véritable savant se met à en étudier avee soin les phénomènes et les faits, multipliant les expériences, les notant, les classant, et tirant de leur ensemble les déductions qui lui permettront d’en trouver à la longue toutes les règles et les lois. Mais ce n’est pas en niant les faits, que l’on atteint ce résultat, et si le comte de Ruolz se fut montré réellement sceptique pour la galvanoplastie, il n’eût pas doté l’industrie d’une des applications scientifiques les plus utiles et les plus merveilleuses.
- Le magnétisme animal que l’on bafoue encore aujourd'hui, plus d’un siècle après Menner, est-il ou non une scienee f Pas encore dans le sens officiel du mot, puisqu’on n’est pas encore parvenu à en fixer définitivement les lois. Mais l’électricité a eu elle aussi un temps oû ses lois étaient encore inconnues, et elle n’en existait pas moins alors, même comme science. Quelques faits bien constatés avaient trahi son existence. L’obseryation, l’expérience et l’étude ont fait le reste. Or, à moins de soutenir gratuitement que tous les hommes qui ont constaté des phénomènes magnétiques sont des imposteurs ou des illuminés, il faut bien admettre aussi que des faits positifs ont révélé l’existence de cette science encore au berceau, et c’est ce que fait malgré elle la science officielle, qui lui a donné les noms d’hypnotisme, de neuricité, etc. Donc au lieu de l’accueillir par la négation systématique, par la dérision sceptique et le parti-pris d’incrédulité, il y a beaucoup mieux à faire dans l’intérêt de l’humanité, c'est de l’étudier, d’en observer les faits, et d’en déduire logiquement les principes et les règles.
- Tous les auteurs s’accordent à affirmer que le magnétisme est le plus puissant auxiliaire de la médecine, qu’il peut même suppléer très avantageusement dans bien des cas, sinon dans tous, pour le soulagement et la guérison des maladies, Si cela est vrai, et
- jusqu’à preuve contraire, nul n’a le droit de le révoquer en doute, la connaissance de cette science n’of. frit-elle point d’autre avantage, elle mériterait b tous égards qu’on l’étudiât et que l’on travaillât à la développer et à la faire progresser. Soulager ies souffrances de ses semblables, guérir leurs maux rendre aux malades la santé, ce bien précieux sans lequel tous les autres ne sont rien, est la plus belle mission qu’un homme puisse se donner sur cette terre. Pour pouvoir la remplir, cette mission sublime, nul effort ne doit coûter, nulle peine ne doit rebuter, et nul ridicule encouru y faire obstacle.
- C’est dans cette pensée que nous avons entrepris cette étude que nous croyons utile au but que nous poursuivons dans « le Devoir », l’amélioration du sort de l’humanité en général,et des classes laborieuses plus particulièrement. La santé pour ces dernières surtout est un bien inestimable ;que l’on ne saurait trop aider à conserver, et en présence des nombreuses défaillances de l’art médical, de son insuffisance dans tant de cas, l’homme véritablement animé de l’amour de l’humanité n’a point le droit, à notre avis, de ne pas apporter sa quote-part d’observation et d’études à une science qui doit aider puissamment ceux qui ont charge de guérir les maladies des hommes. Cet auxiliaire contribuera à activer le progrès de la médecine,et à ce titre il a droit à tous les égards, à toute la sympathie, et à toute la reconnaissance de ceux qui voient autre chose dans l’existençe que leurs propres intérêts, et leur bien-être personnel.
- (4 suivre.)
- L'EAU SUCRÉE DE LA PORTIÈRE
- S’il ne manque pas de gens qui croient aux esprits frappeurs, ce n’est évidemment pas dans l’épicerie qu’il faut aller les chercher, et le jour où Ramonet entendit des craquements dans son arrière-boutique il ne songea pas à leur donner une cause surnaturelle.
- Qui pouvait donc causer ces bruits dont les oreilles de notre épicier et celles de ses garçons étaient chaque jour frappées ?
- Les harengs saurs... on ne pouvait guère s’arrêter à une pensée tapageuse de leur part ; le savon ssî généralement silencieux ,* le beurre salé ne pétille ue dans la poêle à frire ; les haricots ne font jamais e bruit,du moins en sac.
- Bref, voici la découverte que fit Ramonet, et nos® allons lui passer la parole pour raconter au tribun^ correctionnel l’histoire extraordinaire des craque* ments mystérieux.
- Disons tout de suite que la veuve Mouton, sa CQP' cierge, est prévenue de vol.
- L’Epicier.— Depuis longtemps je m’étais aperçu..?
- p.430 - vue 431/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 4SI
- La Portière. -- Du plaisir qu’on a d’être bossu. /Rires).
- M. Ie Président. — Àh ! tâchez d’avoir une autre
- atiiLuuo.
- La Portière. — Comme monsieur fait rire a ses dépens, par la société, dès qu’il ouvre la bouche...
- L’épicier.— Je m’étais aperçu que ça craquait dans mon arrière-boutique ; ni moi ni mes garçons ne comprenions rien. Voilà qu’un jour je m’aperçois que mes pains de sucre étaient tous penchés ; en ce moment-là, j’entends comme l’eau qui coule, et voilà un pain de sucre qui se casse en deux, cracl... Comme il ne faisait pas très clair, j’allume une bougie et je vois trois ou quatre pains de sucre fendus ; je me dis : c’est çà qui craquait, et croyant qu’il y avait de l'humidité,’j’enlève mes pains, et qu’est-ce que je vois derrière ?...
- L’abord que tout était mouillé, et puis une grande fente dans la cloison de planches qui sépare cet endroit d'un cabinet attenant à la loge.
- Je cours chez la concierge, je veux entrer dans son cabinet ; elle s’y oppose ; j’entre de force et je vois au-dessous de la fente, à laquelle était adaptée un morceau de gouttière, une terrine à moitié pleine d’eau et une seringue à côté ; je trompe mon doigt dans l’eau, je le suce : elle était sucrée, J’ai tout compris : cette femme arrosait mes pain3 de sucre avec l’instrument que vous savez, et l’eau retombait sucrée dans la terrine par le morceau de gouttière.
- M. le président à la prévenue. — C’est comme cela que vous sucriez votre café ?
- La prévenue. — Mon juge, prenez ma tête si je ne vous dis pas la vérité.
- M. le président, — Dites-la sans conditions.
- La prévenue.— Une loge que j’ai qu’il n’y a pas de l’eau à boire.
- M. le président.^ Mais si, puisque vous la sucrez,
- La prévenue, Un « rapia » de propriétaire, qui laisserait une femme d’âge crever d’insuffisance, et des locataires, qu’il n’y a pas un sou à espérer de la part de rats qu’il n’y a pas les pareils sur la calotte de la terre,
- M. le président. — Oui, enfin, vous invoquez la misère comme excuse ; le tribunal appréciera.
- La prévenue. — Et mes lévralgies, mon juge, des lévralgies que je n’en dors ni jour ni nuit, que le médecin, m’a dit î « Vous faut du café noir et des spiritueux. n Alors, monsieur, pensez» tous les jours du café et du kirschwasser, qui est mon spiritueux, les deux choses tutélaires à ma santé que, des fois, je n’ai même pas la force de tirer mon cordon.
- M. le président. — C’est bien, asseyez-vous.
- La prévenue. — Je demande à dire un mot»
- M. le président. — Quel mot ?
- La prévenue (solennellement).—Mon juge, jamais 1 au grand jamais, tout le monde peut le dire, dont j’ai des témoins si vous voulez, je n’ai été une femme qui est du bord de la démagogie, je suis connue pour...
- M. le président. — Oh 1 ceci n’a aucun rapport...
- La prévenue, = Pour mon opinion qui est pour 1 ordre et l’illustre M. Grévy.
- M. le Président, ^-Personne ne vous reproche vos opinions.
- La prévenue. — Sous ia Commune, je peux prouver que je les ai traités de propres à rien et de sou-lards.
- M. le président. — Taisez-vous en voilà assez.
- La prévenue. — Que j’ai manqué d’en être un otage et que sans la rentrée des troupes...
- M. le président. — C’est entendu.
- La prévenue, — J’étais fusillée, et je peux dire que sans mes lévralgies...
- Le tribunal la condamne à deux mois de prison.
- La prévenue. —MonsieurRamonet, que mes lévral^ gies retombent sur votre tête ! Que votre chandelle soit votre alimentation comme les Cosaques. Que vous périssiez dans un tonneau de mélasse la tête la première !
- M, le président. — Emmenez cette femme !
- La prévenue (sortant). — Que votre moutarde,vos cornichons...
- Ici sont interrompues les imprécations de la Ca-mille du cordon,
- DISTINCTION ENTRE LES ÉTOILES FIXES ET LES PLANÈTES
- Parmi les astres innombrables qui constellent notre firmament, il en est qui conservent sensiblement leurs distances angulaires, mais paraissent tourner en 24 heures sidérales autour d’un point nommé pôle ou monde,situé dans le voisinage de la dernière étoile de la queue de la petite Ourse. U en résulte que les figures nommées constellations ou astérismes qu’elles dessinent sur le ciel étoilé conservent toujours la même forme ; elles sont eomme fixées à une sphère matérielle de cristal tournant, en 24 heures sidérales, autour de l’axe du monde : c’est ce qui leur a valu le nom d’étoiles fixes.
- Ces astres sont infiniment éloignés de nous, car leur mouvement autour du pôle du Monde se présente toujours sous le même aspect, quelque soit le lieu du globe terrestre d’où on les observe ; il faut donc qu’ils soient à des distances infiniment grandes en comparaison desquelles le diamètre de notre planète est tout à fait insensible ; l’étoile fixe la plus rapprochée de nous et du centaure, Alpha, est à 8,000 milliards de lieues de nous. Notre soleil ne nous apparaît, vu de cette énorme distance, que comme une étoile de deuxième grandeur, en tout semblable à celles de la grande Ourse. Il est donc absolument impossible que les étoiles fixes empruntent leur lumière à notre soleil, elles brillent de leur propre lumière. Ce sont des soleils en tout semblables au nôtre et dont un grand nombre sont beaucoup plus grands, ce sont des foyers de chaleur et de lumière autour desquels gravitent probablement de nombreuses planètes habitées, que leur immense ] éloignement de nous ne permet pas de découvrir, S même en nous servant des télescopes les plus puis-| sants.
- j Indépendamment de ees astres qui conservent tou* I jours sensiblement les mêmes distances angulaires
- p.431 - vue 432/836
-
-
-
- 432
- LE DEVOIR
- et nous font voir les constellations dont la forme ne varie pas d’une manière appréciable; on en voit d’autres qui se déplacent par rapport aux étoiles fixes, ils paraissent se rapprocher d’une de ces dernières, l’atteindre, puis la dépasser en s’en éloignant, se rapprocher ensuite d’une autre étoile fixe; ce sont des astres errants sur la sphère céleste, ce qui leur a valu le nom de planètes d’un verbe grec qui signifie errer; le soleil et la lune ont aussi un mouvement propre par rapport aux étoiles fixes.
- Les planètes se distinguent donc déjà des étoiles fixes en ce qu’elles se déplacent par rapport à ces dernières, qui conservent toujours sensiblement les mêmes distances angulaires ;fd’autres caractères permettent aussi de distinguer ces deux classes d’astres.
- Vues à l’œil riu, les planètes n'ont pas de diamètre apparent sensible et ne nous apparaissent que comme des points brillants, mais dirigeons vers elles une lunette ou un télescope, elles nous apparaissent alors sous la forme d'un disque ayant un diamètre apparent d’autant plus grand que l’instrument a un pouvoir amplifiant plus considérable; le même télescope étant ainsi dirigé vers une étoile fixe, même vers Sirius qui est la plus brillante du ciel, ne nous la fait voir que sous l’aspect d’un point lumineux, d’un point mathématique absolument dépourvu d’étendue. Voilà un second caractère; les planètes vues dans une lunette ont un diamètre apparent très sensible, tandis que les étoiles fixes n’en ont jamais; d’où provient cette différence ? elle résulte de l’éloignement infiniment plus considérable des étoiles fixes; les planètes faisant partie de notre système solaire sont infiniment plus rapprochées de nous.
- A l’œil nu les étoiles fixes nous paraissent avoir un diamètre apparent aussi considérable que celui des planètes, cela résulte d’un phénomène d’optique nommé irradiation, en vertu duquel deux cercles ayant un même diamètre, mais l’un étant plus brillant que l’autre, nous paraît plus grand que ce dernier.
- Les lecteurs n'ont qu’à tracer sur une feuille de papier deux cercles égaux, laisser l’un des cercles blanc, noircir l’autre, le cercle blanc leur paraîtra plus grand en vertu de l’irradiation. Les étoiles fixes étant des foyers lumineux très intenses, nous paraissent avoir un diamètre plus considérable que celui qu’elles ont en réalité en vertu de l’irradiation ; il h’en est pas de même des planètes qui sont bien moins brillantes, vu que leur lumière est empruntée au soleil, et qu’elles ne brillent qu’en nous renvoyant par réflexion la lumière de l’astre éblouissant autour duquel chacune d’elles gravite comme notre terre.
- I Les lunettes diminuant les effets de l’irradiation, on | comprend donc comment il se fait que les étoiles fixes n’ont pas de diamètre apparent sensible dans les lunettes, tandis que les planètes sont très sensiblement grossies par ces instruments. C’est le 2e caractère qui sert à distinguer ces deux classes d’astres.
- Un troisième caractère est tiré de la scintillation. On nomme scintillation les variations continuelles d’éclat qu’éprouvent les étoiles fixes, variations accompagnées de changements de couleur, la scintillation se manifeste avec une grande intensité dans une lunette, surtout si on imprime des secousses à l’instrument comme le faisait le physicien Nicholson; on peut alors apercevoir un ruban brillant présentant plusieurs couleurs au même instant, en divers points. Ce phénomène est surtout remarquable pour Antarès, étoile la plus brillante de la constellation du Scorpion.
- La scintillation ne se produit que pour des astres absolument dépourvus de diamètre apparent sensible ; les grosses planètes ne scintillent pas, les plus petites peuvent présenter des traces de ce phénomène, la scintillation s’observe sur l’image très petite du soleil produite par réflexion sur une petite sphère. Si au lieu d’observer une étoile fixe avec une lunette mise au point de la vision distincte, on enfonce l’oculaire, au lieu d’une image très petite et nette, on voit une image trouble et dilatée de l’étoile, présentant une vive agitation et des changements de couleur.
- [Le Guetteur.) Henry Courtois.
- Souscription poux* l’érection d’une statue à Oarit>aldi
- DEUXIÈME LISTE
- M®9 Dallet.......... b fr.
- Un anonyme. ......... 1
- 6
- Montant de la liste précédente. . . 70
- Total. ... 76
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN j
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.432 - vue 433/836
-
-
-
- tLe numéro hliomadaire 20 c. DIMANCHE 16 JUILLET 1882.
- g* ANNÉE» TOME 6 — N° 201
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GÛDIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an ... . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ ABONNE
- A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs
- Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- vm. w m: mm
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- VAssociation et le Progrès. — Le Congrès d'Oxford. — Histoire de VAssociation agricole de Ralahine. — Faits politiques et sociaux. — L'Éducation romaine. Ce qui arrive quand les femmes votent. — Le Magnétisme. — Le comble de la défense. — Les femmes et la guerre. — Nouvelles du Familistère. — État-civil du Familistère. — Bibliothèque du Familistère. — Condamnation égalitaire.
- L’ASSOCIATION ET LE PROGRÈS
- Nous avons montré dans un précédent article que l’association était le seul moyen légitime et équitable de faire disparaître tous les écarts et les abus qu’entraîne le système actuel, et que, par conséquent le sort de l’agriculture et de l’industrie, ces deux sources fécondes de richesse nationale, n’est plus exposé aux vicissitudes des revers de fortune, des successions ou des partages de famille.
- Nous voulons compléter cette étude en montrant la vérité de la prétention émise par Fourier que l’association renferme la solution de presque toutes les difficultés de l’organisation sociale actuelle.
- L’association, qui est l’évolution naturelle et logique des sociétés qui reposent sur la subordination du travail au capital, peut seule effacer en principe ces restes de servitude perpétués, sous la forme du salaire, dans la société moderne, d’où l’esclavage et le servage ont disparu, parce que seule elle donne la véritable formule l'équitable répartition des fruits du travail de l’homme. Grâce à elle, chacun fournissant à l’œuvre commune sa plus large quote-part de concours possible, retire de cette collaboration la plus grande somme possible de rénumération, et l’équilibre est ainsi parfaitement établi dans la satisfaction des besoins de l’humanité en général et de chacun de ses membres en particulier. Elle impose et consacre les réformes garantissant l’existence du peuple qui comprennent la mutualité sous toutes ses formes, assurances, banques, comptoirs, coopération, enseignement, etc.
- Elle groupe tous les genres Y!e travaux, travail domestique, travail agricole, manufacturier, commercial, artistique, scientifique, littéraire et d’instruction, dans les meilleures conditions possibles, pour atteindre, par l’association de toutes les forces communales et l’union de toutes les branches de la production, le but suprême : l’amélioration du sort de l’humanité. Elle ne froisse aucun intérêt légiiime, ne porte atteinte à aucun droit réel, et elle est au contraire l’agent le plus actif et le plus puissant du progrès que seule elle peut développer.sur une aussi vaste échelle.
- Si notre siècle se vante d’être le siècle du progrès, et non pas sans raison dans une certaine mesure, a qui donc doit-il les magnifiques travaux sur lesquels il appuie cette prétention peu modeste en apparence ?
- p.433 - vue 434/836
-
-
-
- 484
- LE DEVOIR
- Si le monde entier est aujourd’hui sillonné dans tous les sens par les chemins de fer, si partout l’électricité semble avoir supprimé les distances pour la transmission de la pensée, si la vapeur a raison des fureurs de l’Océan pour transposer l’homme d’un bout de la terre à l’autre, si là où un isthme barrait la route d’un continent à un autre continent, d’un monde a un autre, un canal a pu être creusé, si de Douvres à Calais on peut franchir la distance sans se soumettre aux caprices de la Manche, n’est-cé point l’association des capitaux qui a rendu ces admirables progrès possibles? Sans elle aurait-on pu les réaliser? Si l’homme de nos jours a pu percer ou niveler des montagnes pour se frayer une route dans leurs flancs, si là ou la vague paresseuse venait caresser mollement le sahle de la plage, 11 a pu la repousser au loin et étendre lâ terre ferme à la place du flot pour y construire de splendides hôtels, c’est à l'association et à l’association g@ule qu’il a emprunté cette puissance, et aucun des grands progrès accomplis de nos jours ne l’a été sans son concours.
- La puissance d’action de l’association est telle qu’il n’èst pas une œuvre si gigantesque qu’elle soit, dont elle ne puisse venir à bout,et il semble difficile d’imaginer une entreprise utile, colossale ou même surhumaine,pourrions^nous ajouter, que l’association ne soit capable de mener à bien. Que de choses réputées impossibles ont été faites depuis un siècle grâce à cet inappréciable concours !
- Ce que l’association fournit le moyen d’accomplir dans ces grandes luttes de l’homme contre les obstacles en apparence les plus insurmontables que la nature oppose à ses efforts, le progrès, elle permet de le réaliser également dans la pratique ordinaire de la vie, lorsque l’homme sait l’appliquer sur ce champ plus restreint de son activité.
- Supposons avec Fourier, par exemple, une commune de cinq cents feux : les cinq cents chefs de famille qui la composent sont tous cultivateurs propriétaires de leur habitation et du petit champ qui l’entoure. Le voisinage d’un grand centre de population et la nature du sol leur a fait donner la préférence à la culture maraîchère, dont les produits sont pour eux d’un écoulement certain, facile et largement rémunérateur. Une vache, dont les pâturages communaux fournissent en grande partie la nourriture, s’ajoute à ces éléments de production, en permettant de porter tous les jours à la ville voisine le lait, le beurre ou le fromage fabriqué à la maison. Avec ces ressources, chaque famille isolée arrive à vivre sans trop de gêne, mais en joignant tout simplement les bouts à la fin de l’année, grâce à une stricte économie. Chaque ménage compte en moyenne
- ! trois personnes, dont un enfant, et la dépense annuelle dans chaque foyer s’élève à un millier de francs, si l’on veut.
- Chaque jour, pendant que l’homme travaille son champ, la ménagère s’en va perdre la plus grande partie de sa matinée à la ville pour y débiter son lait, son beurre, son fromage, ses œufs, etc. Au retour, elle allume son feu pour faire le repas de la famille, et ce n’est que dans l’après-midi qu’elle est libre pour vaquer aux autres travaux de la maison, ou •aider son homme dans ceux des champs. Il y a là beaucoup de temps perdu et des dépenses qu’il serait possible de réduire sensiblement.
- En effet, supposons ces cinq cents travailleurs associés; qu’arrivera-t-il? Au lieu d’avoir chacun un local incommode, mal installé, pour ses denrées, ils pourront n’en avoir qu’un assez vaste pour contenir tous les produits, bien construit et agencé dans les meilleures conditions pour le but auquel on le destine. Economie de loyer d’une part, et de sacrifices par suite de la diminution des pertes résultant du mauvais condition nement des locaux particuliers de l’autre. Au lieu de cinq cents cuisines fonctionnant à la fois, une pour chaque ménage, on peut n’en avoir que cinq, par exemple, chargées chacune de fournir à l’alimentation de cent familles ; économie de com-bustible, puisqu’on n’aura que la centième partiq.de feux à allumer dans ces conditions ; or si l’on évalue seulement à 0.20 centimes la dépense journalière de chaque famille de ce chef, ce qui représente une somme de cent francs, l’on aura donc gagné journellement au profit de la masse une somme de quatre-vingt-dix-neuf francs, ou soit pour l’année entière une somme de 36,135 francs, ce qui augmente le budget annuel de chaque foyer de 72 fr. 27 centimes.
- Au lieu de cinq cents ménagères faisant tous les jours le trajet de la ville pour y vendre leurs denrées, et perdant tous les jours trois heures pour cela, cinq d'entre elles pourront se charger de la vente de tous les produits. Economie de temps et de pas pour les quatre cent quatre-vingt-quinze autres qui resteront à la maison et s’y livreront à des occupations utiles. Admettons que la valeur de chacune de cès heures soit de 0,10 centimes; nous avons par jour et par ménage une différence de 0,30 centimes, ou soit pour l’ensemble 148 fr. 50. A la fin de l’année ce sera donc un bénéfice de fr. 54,102,50 qui, réparti entre la masse, ajoute aux ressources de chaque famille une somme annuelle de 108 fr. 20.
- Si nous voulions pousser plus avant l’énumération des économies que l’on pourrait réaliser de la sorte par le fait seul de l’association, énumération que le lecteur complétera facilement lui-même, nous arri-
- p.434 - vue 435/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 435
- serions à montrer que la production se trouverait naturellement accrue dans des proportions considérables, toutes choses d’ailleurs restant les mêmes. Mais l’association aurait dans la commune prise pour exemple une portée plus vaste encore; car elle permettrait de réaliser dans les procédés de culture une foule d’améliorations et de progrès, que l’individu livré à ses propres ressources ne peut pas opérer. Une machine coûteuse facilitant le travail et doublant le rendement qui est bien au -dessus de la portée des ressources d’un simple cultivateur peut être facilement acquise et employée par une association de cinq cents membres qui profiteraient tous ainsi de la plus-value que cette acquisition peut donner à leurs produits.Certains travaux d’ensemble indispensables pour amener un rendement meilleur peuvent être exécutés par l’association, tandis qu’ils sont impossibles à un seul.
- C’est ainsi qu’à un moment donné il ne serait pas difficile d’arriver, avec les mêmes éléments, à doubler au moins les ressources qu’on en tire, et cette évaluation d’une production doublée n’est certainement pas au-dessus de la vérité, mais bien plutôt au-dessous. Lorsqu’on pousse jusqu’à ses dernières limites le calcul des bénéfices que peut produire l’association, on est tout surpris de voir qu’elle n’ait pas encore été comprise, conçue et réalisée partout. Cela est surtout frappant aujourd’hui, avec les conquêtes de l’homme sur la matière pour en appliquer les forces à la production, car la substitution des forces de la matière aux forces vives de l’homme constitue un affranchissement, qui facilite encore dans une mesure très étendue l'action bienfaisante de l’association.
- L’association permet donc de réaliser des progrès impossibles en dehors d’elle, et elle procure le maximum de ressources que la nature peut offrir à l’homme. Elle donne à tous le droit aux instruments de travail, et facilite le libre exercice des facultés de chacun sur tout ce qui rentre dans ses aptitudes spéciales. Elle fait cesser l’injuste irrégularité dans la répartition des fruits du travail, qui engendre la scandaleuse richesse d une part, et la navrante misère de l’autre, et rétablit l’équilibre entre les besoins de chacun et ses ressources. Le travailleur n’est plus relégué au rang de salarié, ni le capitaliste institué maître absolu de la richesse créée par le travail, et tous deux reprennent la qualité légitime
- sociétaires dans une égalité juste et féconde, tout en profitant de cette richesse dans la proportion au concours qu’ils ont fourni pour sa création. Elle met dès lors un terme à cet antagonisme des classes, que
- la rénovation politique de la fin du dernier siècle n’a pas entièrement détruit, et qui est le plus grave des maux dont souffre la société.
- Enfin, le système de l’association complète l’œuvre de la révolution, en détruisant les sources du paupérisme, en multipliant les moyens de réalisation du progrès non seulement au point de vue économique, mais encore au point de vue moral, parce qu’avec la souffrance et la gêne, elle fait disparaître les principales causes de haine, de violence et de désordre au sein de l’humanité.
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Après la lecture du rapport dont nous avons donné le résumé, la parole est donnée à un visiteur Canadien, M. Rodwell-Fisher, présenté par M. Holyoake à l’Assemblée, comme un éminent écrivain et orateur et comme penseur.
- M. Rodwell Fisher déclare en commançant que dans les grandes démocraties d’audelà de l’Atlantique, le peuple n’a pas encore appris à se gouverner lui-même. Et non-seulement il n’est pas en état de se gouverner aux Etats-Ums et dans les colonies, mais c’est à peine si la situation des classes laborieuses Américaines et Canadiennes est un peu meilleure que dans la Grande-Bretagne. La raison en est qu’elles ne possèdent aucune instruction en matière de coopération ; or, sans cela, elles ne verront pas leur sort s’améliorer, quelle que soit la forme de gouvernement sous lequel elles vivent, république, autocratie, ou monarchie constitutionnelle. « Vous faites ici une œuvre immense », dit l’orateur, non-seulement en achetant vos marchandises meilleur marché et en capitalisant les économies réalisées de la sorte, mais encore en enseignant à la démocratie du pays à défendre ses propres intérêts et ceux du pays en général. C’est là la partie la plus importante de votre œuvre; mais je crois que tant que le travailleur n’est point associé, soit aux affaires de la nation dont il fait partie, soit à celles dans lesquelles il gagne son pain quotidien, il sera exploité par ceux qui se trouvent dans une situation meilleure que la sienne. Donc, pour que la coopération réussisse à l’avenir, il est essentiel que chacun ait un intérêt personnel et une part, si petite qu’elle soit, dans le gouvernement de son pays et dans les affaires dont il tire son gagne-pain. »
- L’orateur regrette d’avoir à constater qu’en ce qui concerne la pratique de la coopération, les pays nouveaux se trouvent dans une situation pire que
- p.435 - vue 436/836
-
-
-
- 436
- LE DEVOIR
- l'Angleterre, au point de vue d© l’agriculture. Le rapport dit que les tendances de cette dernière contrée sont dans le sens de l’acquisition de la terre par les riches, et d'une hostilité plus grande à l’égard de la coopération de la part des nouveaux acquéreurs que des anciens propriétaires. Lorsqu’un divorce aura été établi entre le gouvernement et la terre, les riches anglais se soucieront aussi peu d’acheter des propriétés que les colons américains qui n’y songent jamais: Dans les colonies, la possession de la terre ne confère aucun pouvoir politique, et c’est pour cela qu’elle n’offre aucun attrait à l’ambition. Quant à la propriété du paysan sur le continent, quelque bien que l’on en dise, je crois que ce n’est point un exemple à imiter, parce que la solution du problème se trouve uniquement dans la coopération agricole. Il est vrai qu’en France et en Italie, surtout dans les régions vinicoles et où l’on cultive l’olivier, le paysan-propriétaire a de grands avantages lé où il n’est point nécessaire d’employer les machines et l’outillage de l’exploitation en grand. Mais ici, il s’agit des céréales et de la grande culture, et dans ce cas l’exemple de l’émigrant anglais en Amérique est instructif au dernier point. Qr, que voyons-nous dans les colonies américaines ? L’émigrant Anglais ou Allemand et principalement l’Anglais, s’en va aux Etats-Unis et y obtient la possession d’une terre de 100 à 160 acres. Il y travaille dur,et le plus souvent à la fin de sa vie,il n’y a pas un acre de cette propriété qui ne soit engagé. Ainsi le paysan-propriétaire, même sur une assez vaste échelle, n’aboutit qu’à faire les affaires des prêteurs, qui sont bien les plus onéreux et les plus désagréables agents qui existent. Les fermiers américains, c’est triste à dire, n’ont encore rien fait coopérati-vement en ce qui concerne l’agriculture, et pourtant l’exemple de la production du beurre et des fromages,et les résultats qu’elledonne en Amérique est une preuve de ce que l’on peut faire par l’association.
- « Il me semble, » dit en terminant l’orateur » que l’agriculture est plus spécialement favorable à la coopération par la valeur du travail et la liberté avec laquelle on le peut accomplir. Pour en tirer le meilleur parti possible, il faut savoir faire usage des machines outils, charrues à vapeur, batteuses mécaniques etc. C’est pourquoi dans la ferme, plus encore que la manufacture, il est bon que le travailleur ait un intérêt personnel dans l’affaire et qu’il participe aux bénéfices de l’entreprise . »
- M. Greening prend à son tour la parole et dit qu’il aétudié pendant quinze ans cette question de l’agricul-tureet des chances qu’elle offre dans lacoopération, en sa qualité de directeur de l’Association agricole et hor-
- ticole. Il a été ainsi en rapport avec quelque chose comme quinze cents des agriculteurs les plus avancés de l’Angleterre, et il est arrivé à des conclusions analogues au sujet de la propriété du sol pour les paysans que celles exprimées en ce qui concerne le Canada. L’expérience démontre que le succès à l’avenir appartient aux grandes fermes, et non aux moyennes et aux petites, qui ne peuvent donner que des j résultats insuffisants. Les coopérateurs ont déjà | ouvert les yeux sur les tendances des temps modernes, j en ce qui concerne la production et la distribution, i et ils ont compris qu’il est impossible au travailleur, de lutter avec la bêche et la houe contre les charrues à vapeur et les machines agricoles.
- Pour réussir en agriculture en Angleterre, trois choses sont nécessaires savoir : un capital abondant, beaucoup d’intelligence et d’habileté, et une grande organisation, toutes choses impossibles à trouver dans des petites exploitations actuellement. Un banquier de Jersey, propriétaire d’une grande ferme écrivait le 19 mai dernier, que dans un champ d’un peu plus d’un acre Anglais, il a obtenu un rendement de 4,602 fr. en pommes de terre de Myalle plantées en Janvier et récoltées du 28 Avril au 16 Mai. Cela montre ce qu’il est possible de faire avec le capital et l’habileté, et combien il est Impossible à un simple travailleur agricole ayant un demi acre de terre de faire concurrence à des résultats pareils.
- M. Lloyd Jones dit que M. Greening est dans le vrai en es qui se rapporte aux fermes grandes et petites, et qu’il sait qu’un grand nombre d’hommes ont échoué en Angleterre parce que leurs fermes étaient trop grandes pour leur capital. Il croit que les coopérateurs trouveront profitable d’aborder les entreprises agricoles, non point en paysans propriétaires, ou en simples travailleurs, ou même en gros fermiers particuliers, mais en associés dans des fermes d’une bonne étendue.
- M. Jennings n’est pas tout à fait d’accord avec M. Greening, et remarque qu’un des côtés de la question paraît avoir échappé à ce dernier. « En Angleterre,dit* il, nous sommes dans une certaine mesure tributaires du Canada et de l’Amérique du Nord pour le beurre et le fromage, » et en conséquence il est d’avis que les fermiers anglais feraient mieux de diriger leurs efforts dans ce sens, plutôt que dans celui de l’emploi des charrues à vapeur et autres engins de grande culture. Si le système coopératif était appliqué à faire cesser ce tribut, ce serait un bienfait tout à la fois pour L’agriculteur et le consommateur. Mais pour le moment, ce qui manque surtout dans le pays c’est l’éducation des travailleurs agricoles et de ceux qui les emploient ; aussi serait-ce un gaspil-
- p.436 - vue 437/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 437
- ]age d’argent que l’achat de fermes aujourd’hui, et une illusion que d’espérer une production lucrative je la part de travailleurs ignorants. Ce n’est que lorsque les membres do la coopération auront acquis toutes les connaissances nécessaires,qu’ils pourront avec chance de réussite acheter des terres et opérer une révolution glorieuse dans la production agricole je ce pays.
- Après ce discours, sur la proposition de M. Lamb, l’assemblée décide à la majorité des voix que la discussion d^cette intéressante question sera renvoyée aux conférences de district, et vote des remerciements à M. Kitchin pour son remarquable rapport sur la coopération agricole.
- Le rapporteur en rendant grâces aux délégués pour l’accueil fait à son travail, déclare qu’à son avis la question de la petite propriété du paysan, considérée au point de vue de la production maraîchère, du lait, du beurre et du fromage n’a point encore dit son dernier mot. Ses réflexions à ce sujet sont accueillies par de.vigoureux applaudissements.
- L’ordre du jour appelle ensuite la discussion de la question non moins importante de l’éducation des coopérateurs. Deux rapports rédigés l’un par M. Ar nold Toynbee de Balliol Collège, et l’autre par M. B. Jones sont lus tout d’abord.
- Le premier peut se résumer comme suit :
- Tous les coopérateurs sont d’accord avec leur grand fondateur pour flétrir l’individualisme et le principe de la compétition ; mais j’ai remarqué tout récemment chez certains réformateurs sociaux une espèce de méfiance à l’égard du principe opposé de l’association, que les coopérateurs consièrent depuis si longtemps comme l’élément essentiel de la régénération définitive de notre système social. Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à cette disposition d’esprit, on ne peut point méconnaître son existence. L’examen attentif démontre que parmi les innombrables associations de notre époque, toutes ne sont pas également recommandables comme répondant aux besoins variés de l’homme dans l’état actuel de la Société. Il y en a qui sont inutiles et même ridicules, et leur nombre en est grand, si quelques-unes ont une portée réelle et une utilité sérieuse. Les sociétés de secours mutuels amassent pour secourir les malades; celles de construction facilitent au travailleur l’achat d’une habitation ; les trades-unions ont des visées plus étendues et semblent se rapprocher des corporations du ^oyen âge. Aux yeux de bien des gens les sociétés coopératives paraissent avoir une portée moindre et une signification plus étroite que les trades-unions. ! Leur but, l’épargne et la réduction des dépenses or- !
- | dinaires de la vie leur semble plus restreint et moins | intéressant ; mais pour celui qui approfondit davan-; tage le sujet, les sociétés coopératives, par l’idéal | qu’elles poursuivent, sont plus près en réalité des | corporations en question que les trades-unions, j ainsi que le démontre l'inscription qui figurait au j xvie siècle sur la bannière des gantiers de Perth,
- ; sur laquelle on lit : « L’honneur parfait d’un métier | ne consiste pas dans la richesse, mai s dans la valeur j morale de ceux qui l’exercent, et qui en retirent du | renom. « Cette devise s’applique mieux aux socié-tés coopératives qu’à toute autre association com-| merCiale moderne.
- Quelle est la mission des associations de coopération au milieu de cette foule de sociétés qui de tou* tes parts frappent nos yeux? Malgré leur large idéal elles n’ont point la prétention d’envelopper tout l’ensemble de l’existence humaine, et elles ne peuvent réclamer pour elles qu’une part dans l’éducation populaire. Cette part quelle est-elle? L’éducation élémentaire est fournie par l’Etat ; l’instruction secondaire est donnée par les établissements anciens réformés, et par les écoles secondaires nouvellement créées; et ce que l’on nomme l’éducation supérieure est l’affaire des collèges universitaires qui existent ou surgissent dans les grandes villes. Nul ne songe assurément à charger les coopérateurs de résoudre le problème sept fois brûlant de l’éducation religieuse, tâche qui doit être abandonnée exclusivement aux Eglises. L'éducation technique semblerait à première vue devoir être le lot des coopérateurs, mais les écoles professionnelles établies par les patrons eux-mêmes ou par le gouvernement pour chaque branche d’industrie spéciale, répondent mieux en réalité à ce desideratum que ne pourraient le faire des sociétés dont les membres ont des professions diverses.
- Quelle est donc la part de l’éducation laissée aux coopérateurs ? « Voici ma réponse à cette question » dit le rapporteur : « C’est l’éducation des citoyens. J’entends par là, l’éducation de chaque membre delà communauté, en ce qui concerne les rapports des citoyens entre eux, et envers la Société. Mais pourquoi les coopérateurs seraient-ils chargés plutôt que tout autre de cette part d’éducation? Parce que les coopérateurs s’ils restent fidèles à leur but avoué ont un besoin plus absolu de cette éducation que toute autre personne, et parce que si l’on examine l’origine du mouvement coopératif, l’on voit que cette partie de l’éducation est la plus en harmonie avec l’idéal qu’il poursuit.
- (.A suivre.)
- p.437 - vue 438/836
-
-
-
- 438
- LE DEVOIR
- mm m asirar m :w. mes
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE OE RALAH1NE
- CHAPITRE XXII (1)
- Les Equivalents de la richesse pour tous.
- C’est la coutume des savants officiels, des hommes versés dans la sagesse de l’économie politique, des gouvernants expérimentés, de condamner de haut le travailleur à la contrainte, de lancer l’anathème contre les infortunés qui, par défaut de prévoyance et de sobriété, n’ont pu réaliser des économies.
- Autrefois, c’était par l’emploi des armes que l’homme donnait libre carrière à ses instincts guerriers, aujourd’hui ces mêmes instincts se manifestent d’une autre façon, et les engins meurtriers ont fait place à l’outil, à la plume, au crédit, à l’or surtout.
- Les vaincus ne sont point qualifiés d’esclaves ; mais la concurrence pèse sur l’ouvrier de façon telle que le travail est en réalité l’esclave du capital, de ce capital qu’il a lui-même enfanté.
- L’industrie et le commerce tels qu’ils se pratiquent actuellement constituent un combat d homme à homme, une lutte où souvent le pire égoïste l’emporte. L’industriel et le commerçant exploitent le consommateur et ne reculent pas au besoin devant la falsification des denrées. Entre ces intérêts divers, le travailleur est sacrifié et ne jouit que d’une bien minime part des fruits de la civilisation.
- Le Génie répand avec prodigalité ses trésors sur nos sociétés, mais les joyaux de l’art sont à peine accessibles à une petite classe de capitalistes, et les fils du travail n’ont pour lot que la nudité d’un foyer qui n’a rien d'artistique.
- Le capitaliste éblouit le monde de la profusion de ses dépenses et de ses recherches luxueuses, tandis que les privations du producteur sont à peine mentionnées.
- Ce qui domine dans la fixation du taux des salaires, c’est la pensée de faire face à la concurrence intérieure et extérieure.
- L’art, la littérature, l’architecture, la science sont en honneur et les encouragements leur sont prodigués. Qui en profite, qui en jouit ?les oisifs.
- Cependant rien n’exerce une plus bienfaisante influence dans l’éducation que le culte de l’art, le culte du beau.
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9. 16, 23, 30 avril ; 7, 21, 28 mai; 4, 11, 18, 25 juin; 2 et 9 juillet 1882.
- Et les fils et Allés du travail sentent vibrer en eux les mêmes aspirations, les mêmes besoins que ceux qui animent les classes dirigeantes. Seulement de ces aspirations, de ces besoins, la satisfaction leur est interdite, parce qu’ils sont privés de la liberté vraie.
- La seule part qui soit faite à l’ouvrier et à l’ouvrière est contenue dans ces mots ; « Travaille, « travaille, sans trêve ni merci ; fais effort du dernier « de tes nerfs pour accroître nos bénéAces, mais ne « cherche pas pour toi-même les avantages de la « civilisation, les ressources de l’art, de la littérature, « de la science, ni l’espoir d’une parcelle de la di-« rection de ton labeur ou d’une participation « quelconque dans les bénéAces qui en résultent. »
- La science a beaucoup ajouté à la grandeur, aux progrès de l’industrie et du commerce ; mais elle n’a travaillé que bien indirectement à l’avènement du bonheur social. Cependant elle a préparé la voie à la liberté intellectuelle, en brisant hs chaînes du despotisme qui enserrait la pensée et la raison. On convient que la vérité et le savoir, autrefois lot d’un petit nombre, appartiennent à tout homme par droit de naissance. La conséquence logique de ce progrès, c’est l’adoption du principe d’association entre les hommes, tel qu’il était mis en pratique à Ralahine, pour le plus grand bien et le plus grand de chacun. Car les associations du capital et du travail peuvent seules mettre à la portée de tous les citoyens les Equivalents de la richesse et tous les éléments de bien-être et de progrès qui sont aujourd’hui le privilège d’un petit nombre.
- Organiser le bien-être pour tous, c’est là le grand problème de l’avenir. Et l’association peut seule donner au monde des producteurs les biens que M. Godin, le fondateur du Familistère de Guise, a désignés dans ce mot : « Les équivalents de la richesse »
- Mais il faut bien se persuader que la sociologie comprise ainsi est une science qui embrasse toutes les autres sciences. Des hommes qui ne seraient que de simples politiciens, de simples économistes, des sectaires ou de simples industriels ou commerçants seraient incapables de réaliser le plein développement de l’organisation sociale humaine.
- L’œuvre de Ralahine, si humble qu’elle soit, ne s’est élevée que par le travail et le dévouement. Son principal fondateur, M. Craig, mettait au-dessus de tout le service de l’humanité. R était prêt à donner sa vie pour cette cause.
- Un travail et un dévouement semblables combinés avec la connaissance de l’homme, de ses capacités et de ses besoins, réaliseront dans l’avenir des résul-[ tats bien plus remarquables encore.
- p.438 - vue 439/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 439
- La pratique de l’association implique la culture des* intelligences et une direction sociale éclairée.
- Les associés de Ralahine n’ont pas joui de tous les avantages que comportait l’organisation de leur société, parce que la masse manquait d’intelligence et d’instruction. Mais il a été clairement démontré que la suppression de toute contrainte, l’intervention de chacun des membres dans la direction du travail et dans le gouvernement de la Société,avaient développé en eux un esprit de virilité, d’indépendance, d’énergie,dont jusque-là on n’avait pas même soupçonné l’existence.
- On peut donc conclure que des organisateurs et des directeurs suffisamment en possession des principes inhérents à la science sociale pourraient, en peu de temps, grâce aux ressources toujours croissantes de la civilisation, instituer des associations analogues dans toute l’Irlande, et réaliser une transformation dont les résultats feraient de ce malheureux pays un séjour de paix, au lieu de l’enfer de douleurs que nous voyons aujourd’hui.
- CHAPITRE XXIII La première et dernière fêté
- L’association fonctionnait depuis deux ans. On était à la fin de la moisson. L’année avait été si prospère, grâce au zèle et aux efforts de tous les associés jeunes et vieux, que la proposition d’orner de fleurs la dernière gerbe avant de la transporter à la grange fut accueillie avec empressement.
- On se mit d’accord avec le Président ; et tout un cortège fut organisé. La musique venait en tête, précédant la dernière charretée de blé. Suivaient tous les associés, hommes, femmes et enfants. A la tête des associés le secrétaire, M. Craig, monté sur un poney portait un étendard de soie sur lequel étaient imprimés ces mots : « Chacun pour tous. »
- La procession lit le tour du domaine à la vive surprise et à la grande joie des gens de tout le voisinage, Combien, parmi les membres, fiers aujourd’hui de leurs beaux vêtements et de leurs économies, se rappelaient qu’ils étaient naguère dans les conditions de misère et de dénuement où ils voyaient les spectateurs attirés par la fête.
- Quand le cortège fut devant la maison de M, Vandeleur, celui-ci sortit ainsi que les membres de sa famille et plusieurs visiteurs.
- Dans un discours profondément senti, il exprima aux associés la satisfaction qu’il éprouvait à la vue des progrès réalisés en un temps si court. Il les félicita de l’harmonie qui régnait dans les arrangements sociaux, du confort manifeste, de la prospé-
- rité, de la satisfaction de chacun des membres, de toutes les mesures prises pour le parfait développement physique et moral des enfants.
- II rappela combien cette situation différait de celle qui existait avant la formation de la Société, et émit le vœu que d’autres propriétaires constituassent des associations analogues, si profitables à la fois aux travailleurs et aux possesseurs du sol.
- Enfin il félicita le comité élu de la direction qu’il avait su imprimer aux affaires, et suggéra qu’on devrait chercher à utiliser la chute d’eau dont le domaine était doué.
- (Pour répondre à ce dernier vœu il eut fallu que la Société disposât d’un plus grand nombre de capitaux, et pût installer quelque manufacture. C’était là un pas en avant trop prématuré encore. D’autres progrès dans le champ même des opérations agri -coles devaient être réalisés auparavant.)
- L’allocution du Président fut accueillie avec le plus ardent enthousiasme. Puis 1© cortège se dirigea vers la grande salle de conférence où des rafraîçhis-chissements étaient servis. Là, pour la première fois à Ralahine, les paysans goûtèrent du pain fait avec le blé récolté sur le sol même. L’art de faire le pain de farine était à cette époque un mystère et une nouveauté pour le peuple, jusque-là presque exclusivement nourri de lait et de pommes de terre.
- La soirée de ce jour fut consacrée aux chants et à la danse. La fête fut des plus joyeuses. On avait fait quelques tentatives pour introduire les danses anglaises; mais les coutumes irlandaises prévalaient toujours, surtout parmi les adultes.
- La population heureuse de cette fête vota des remerciements à Mme Craig pour avoir présidé à l’ornementation des salles, et surtout pour avoir enseigné à plusieurs l’art de faire le pain, chose dont la Société comprenait tous les avantages.
- Mentionnons les acclamations qui saluèrent dans cette soirée le chant qui avait pour titre : » Chacun pour tous », parce que ce fait est éminemment propre à faire comprendre, combien les sentiments populaires étaient transformés au sein de l’association. Ce peuple qui, autrefois, ne rêvait que destruction et massacre, n’avait plus de pensée que pour la bienveillance et la fraternité sociales.
- (A suivra.)
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- JLa crise égyptieaue, — La situation est des plus tendues à Alexandrie. L’amiral Seymour n’ayant pas trouvé satisfaisante la réponse de Bagheb-Pacpa à £on ultimatum, les consuls, sauf le consul anglais, so
- p.439 - vue 440/836
-
-
-
- 440
- LE DEVOIR
- sont réunis et ont décidé de demander à l’amiral de différer le bombardement, promettant d’employer en attendant leurs bons offices pour obtenir du gouvernement égyptien une réponse plus conciliante. L’amiral a répondu qu’il n’était plus possible de compter sur les protestations des chefs militaires ; mais que si les consuls pouvaient les amener à cesser complètement les travaux de fortification, il se rendrait à leur désir.
- Il y a peu d’espoir qu’Àrabi cède aux conseils de modération des consuls, et il est à craindre que les hostilités soient imminentes. La panique est extrême parmi les Européens restés en Egypte. Le correspondant du Standard, à Alexandrie télégraphie à ce journal qu’Arabi-Pacha a annoncé que les troupes égyptiennes cesseront d’être employées au maintien de l’ordre dans la ville dès que l’amiral Seymour aura notifié officiellement qu’il va commencer les hostilités. On peut s’attendre, dans ce cas, ajoute le correspondant, à voir la ville devenir le théâtre de luttes et livrée au pillage.
- Les derniers Européens se réfugient en toute hâte à bord des navires. M. de Vorges a télégraphié au consul de France au Caire de partir au plus vite avec les archives et le personnel de la légation. Cependant de ce que le consul général de France a pris part à la réunion des consuls et à la démarche conciliante auprès de Ragheb-Paeha, il faut en conclure que les navires français ne participeront pas au bombardement et se retireront, comme le bruit en a couru, avec les navires des autres puissances à Port-Saïd, pour protéger le canal de Suez.
- Pendant que les événements menacent de se précipiter à Alexandrie, les travaux de la conférence ont subi un moment d’arrêt à cause de l’insuffisance des instructions de quelques ambassadeurs. La conférence n’a accepté hier qu’a^ referendum le projet de note collective à adresser à la Porte pour l’inviter à intervenir en Egypte, c’est-à-dire que son approbation ne deviendra définitive qu’après la ratification des cabinets. Mais il y a tout lieu d’espérer que ce retard si grave dans les circonstances présentes ne sera que de courte durée et, déjà, l’on annonce que quelques réponses sont arrivées à Constantinople et, qu’entre autres le comte Corti a reçu par télégramme l’approbation de son gouvernement.
- Il importe que la conférence se hâte si elle veut arriver à un résultat utile. En présence de l’attitude prise par l’Angleterre, alors même que la Turquie serait en mesure d’envoyer immédiatement des troupes en Egypte, elle risquerait fort d’arriver trop tard.
- ¥ ¥
- Yoici la conclusion d’une lettre adressée de Paris à la Post, organe officieux delà chancellerie de Berlin :
- Aussi longtemps que la question orientale fut considérée comme une sorte de duel permanent entre la Russie et la Turquie, auquel l’Angleterre seule était intéressée, les autres puissances en ont regardé avec calme les phases successives. Mais la situation a complètement changé dans ces derniers temps. De nouveaux intérêts sont nés, et des intérêts anciens se sont beauceup développés. On voit aujourd’hui Constantinople avec de tout autres yeux.
- La route vers l’Est n’est plus le privilège exclusif d’une seule puissance. L’Italie prétend participer à la solution de la question orientale ; l’Autriche, appuyée sur l’Allemagne, marche â grands pas vers ces régions, où l’Europe et l’Asie se touchent, et la France est tenue de prouver au monde que la fierté et l’amour-propre national ne le cèdent pas sous la République au chauvinisme de l’époque impériale.
- En ce qui concerne la Russie et la Turquie, leurs relations ont subi une modification temporaire, mais seulement dans un sens qui menace sensiblement la situation actuelle de l’Angleterre. La Turquie n’est pas plus amie qu’il ne faut de l’Angleterre, et quoique l’histoire nous offre de nombreux exemples de réconciliations rapides et d’alliances qui les ont suivies, la Russie n’a cependant pas pris à l’égard de l’Angleterre la situation de la Turquie et n’est pas devenue son alliée.
- Il en résulte que l’Angleterre, si les événements actuels ne sont pas près de leur fin, sera peut-être forcée
- de faire seule la guerre à la Turquie. La France n’est évidemment pas "dispo-ée à renouveler l’alliance de la guerre de Crimée et à exposer son armée et ses finances dans une campagne hasardeuse.
- ANGLETERRE
- La Chambre des lords a adopté en première lecture le bill de prévention contre les crimes en Irlande.
- A la Chambre des communes, une discussion très-animée s’est élevée sur un amendement proposé par M. Treveylan, au nom du gouvernement et portant que les visites domiciliaires ne pourraient avoir lieu que dans la journée, excepté dans le cas où la police croirait à la réunion d’une société secrète.
- Sur l’opposition des conservateurs et d’un certain nombre de libéraux, M. Gladstone a déclaré que si cet amendement était rejeté, il aurait à se préoccuper de sa situation personnelle.
- L’amendement a néanmoins été rejeté par 207 voix contre 194; la majorité contre le gouvernement a donc été de 14 voix.
- M. Gladstone a déclaré alors que, dans les circonstances ordinaires, il demanderait à la Chambre de s’ajourner, mais que, vu la situation en Irlande et le caractère du bill, il désire que la discussion de ce bili continue ce soir.
- Bismarck Sc la France. — Nous recommandons à tous les esprits sérieux la lecture du remarquable article suivant, relatif aux affaires égyptiennes, et que nous empruntons au Temps :
- Il est des faits qui se dégagent peu à peu et qui, s’ils ne permettent pas les conjectures précises, servent du moins à limiter le champ dans lequel ces conjectures doivent s'exercer. De ce nombre, et en premier lieu, est l’attitude de l’Angleterre. Le gouvernement anglais,par les préparatifs qu’il fait et par la position qu’il a prise, annonce nettement son intention d’intervenir en Egypte si la Conférence ne trouve pas le moyen d’y rétablir autrement l’ordre et les garanties de l’ordre.
- Ces moyens, la Conférence s’étudie à les chercher depuis qu’elle est réunie, et elle n'a pas encore réussi à les trouver. La Conférence, — on ne saurait assez le répéter, parce que c’est là le fond des choses, — la Conférence personnifie la politique de M. de Bismarck. La majorité dans cette réunion diplomatique est constituée par la ligue des quatre, et les quatre sont naturellement et entièrement dirigés par le cabinet de Berlin. Or, l’intérêt du cabinet de Berlin dans l’affaire égyptienne est double. M. de Bismarck a pris la Turquie sous son patronage, il l’a fait dans des vues que nous avons expliquées et sur lesquelles nous n’avons pas à revenir, et il lui importe que son protégé ne reçoive pas, en Egypte, d’atteintes trop sensibles pour son pouvoir et son crédit. Mais M. de Bismarck a un autre souci en ce moment, et plus sérieux encore. Rien ne pouvait lui être plus importun que de voir l’Agleterre faire, d'une manière si inattendue et si éclatante, acte de résurrection politique. La grande préoccupation de M. de Bismarck est la réduction à l’impuissance de tous les Etats qu’il n’a pas réussi à subordonner directement à son action, mats en ce qui concerne l’Angleterre, il s’était habitué à ne pas en tenir compte. Il ne l’aimait pas, il redoutait ses doctrines libre-échangistes, il redoutait plus encore l’exemple donné au monde par ses institutions parlementaires, mais il se consolait par la pensée que l’Angleterre avait définitivement renoncé à jouer un rôle dans les affaires du continent. G est celte illusion que M. de Bismarck perd aujourd’hui, il se trouve en face d’un fait nouveau et fâcheux, d’un facteur négligé jusqu’ici et dont il ne lui sera plus permis désormais de faire abstraction. Il se demande si l’omnipotence absolue de l’Allemagne ne va pas trouver dans le réveil de TAn-gleterre un contre-poids capable de rétablir en quelque
- p.440 - vue 441/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 441
- mesure l’équilibre des forces de l’Europe. Tout cela est fort conjectural encore, tout cela est très prématuré sans doute, mais M. de Bismarck est de ceux qui voient les choses de loin. Quoi qu’il en soit, et pour revenir à notre sujet. M. de Bismarck et la Conférence avec luise voient, en ce moment, placés entre ces deux difficultés, la Turquie qui ne veut pas intervenir et l’Angleterre qui est prête à le faire, et qui, tout en ne s’opposant pas au concours des autres puissances, aimerait visiblement mieux agir seule. .
- Nous ne savons si la politique allemande a définitivement remncé à l’espoir de faire intervenir le sultan. On a eu beau tourner et retourner la question de toutes les manières, on n’est pas parvenu à surmonter les scrupules, si naturels, d’ailleurs, si légitimes,d’Abdul-Hamid et l’on ne voit pas, à vrai dire, comment ce souverain pourrait porter les armes contre des sujets dans l’intérêt des puissances étrangères, comment le chef des croyants pourrait verser le sang des fidèles pour complaire à des chrétiens. Il n’est donc pas probable, malgré des efforts qui ne paraissent pas entièrement abandonnés, que l’on parvienne à résoudre ce problème. C’est dire qu’on se verra ramené au second terme de l’alternative, à l’intervention de l’Angleterre. Mais c’est dire en même temps que tout l’effort de M. de Bismarck et de la majorité de la Conférence va se porter sur les moyens d’atténuer les effets de Faction de cette puissance. On travaillera à empêcher que le pouvoir et le prestige du sultan en Egypte ne reçoivent trop de dommage, et plus encore à empêcher *que l’Angleterre ne retire trop d’avantage du déploiement de forces et de l’énergie de résolutions dont elle fait preuve aujourd’hui. La tâche à laquelle M. de Bismarck s’applique en ce moment avec toutes les ressources de sa fertile intelligence, c’est de ne laisser agir l’Angleterre qu'au nom et avec le mandat de l’Europe, que dans la compagnie et avec le concours des autres puissances. Quand les cuirassés anglais seront accompagnés de navires français, italiens, grecs peut-être, on n’aura plus la Grande-Bretagne affirmant ses droits et réalisant sa politique dans la plénitude de sa liberté, on aura la Conférence faisant exécuter ses décrets par des mandataires. Tel est le but que le parti germanique poursuit passionnément dans la Conférence.
- L’Angleterre n’ignore pas ces dispositions, mais elle est forcée d’accepter la question dans ces termes. La position du gouvernement anglais, en face des tentatives de la politique germanique pour l’enchainer, est celle-ci : il préférerait agir seul, parce qu’il complairait ainsi à l’opinion, qui, chez nos voisins, regarde l’Egypte comme un intérêt principalement sinon exclusivement britannique ; le gouvernement anglais accepterait, cependant, et sans trop de répugnance,"le concours de la France, parce qu’il se sent lié par l’action commune exercée au Caire depuis quelques années, et, en général, par souci d’une alliance à laquelle l’Angleterre attache du prix. L’intervention anglo-française aurait, d’ > illeurs, cette signification, qu’elle serait l’œuvre des deux puissances privilégiées et qu’elle exclurait le reste de l’Europe. Quant à la coopération des italiens, de3 grecs, etc., aux opérations de la flotte anglaise,nos voisins ne pourraient pas, sans doute, la décliner si elle était recommandée par la Conférence, mais ils la regarderaient certainement comme inopportune et importune, et nous ne serions pas étonnés qu’ils cherchassent dans des incidents habilement ménagés un prétexte pour s’affranchir de cette
- RUSSIE
- L'Indépendance belge publie la dépêche suivante de -aint-Pétersbourg :
- .Ou vient de découvrir une imprimerie secrète au mi-Distère de la marine. La police a saisi neuf mille exem-Plaires^ d’une proclamation révolutionnaire, signée du nom d’un très-haut personnage.
- Aussitôt après cette découverte, le directeur du départent, M. Titchakoff, s’est brûlé la cervelle.
- L’Indépendance accompagne cette dépêche des commentaires suivants :
- Le très haut personnage auquel cette dépêche fait allusion ne serait autre que le grand-duc Nicolas Cons-tantinovitch, fils aîné du grand-duc Ganstanlin, qui est lui-même frère d’Alexandre II et oncle du czar actuel. Le coupable serait donc le propre cousin d’Alexandre III. Il est né le 14 février 1850 et vient à peine d’atteindre sa trente-deuxième année. Rappelons à ce propos que le père du prétendu coupable, le grand-duc Constantin, a récemment donné sa démission d’amiral général de la flotte, retraite à laquelle on a attribué le caractère d’une disgrâce. A la suite de sa démission, le grand-duc Constantin dut même s’éloigner d6 la capitale.
- Une dépêche de Moscou annonce que le général Michel Skobeleff est mort subitement à Moscou le 2 juillet, de la rupture d’un anévrisme. Son corps sera transporté à Riasan, aux frais de l’Etat.
- Le génénal Michel Skobeleff est né à Moscou en 1843. A l’âge de vingt ans, il entra au service militaire etfut incorporé dans un régiment de cavalerie. En 1868, il passa à l’état-major général, et, en 1869, fut envoyé au Caucase avec le gradé decapilaiae. En 1873,il fut investi du commandement d’un régiment de cosaques, dans le Turkes-tan,et prit partà la conquête de Khiva. Enî875, promu au grade de général, Skobeleff, à la tête d’un corps de 4,000 hommes, conquit la province du Khokand, et fut nommé gouverneur de cette province. Quelques années plus tard, il fut appelé à prendre une part active à la guerre turco-russe, et c’est sur les bords du Danube qu’il conuit sa réputation militaire. Sous les murs de Plewna,
- ans les Ba.kans,à la défense du passage de Chipka,tous les succès de l’armée russe sont dus, en partie à l’héroïsme du général Skobeleff et à la confiance illimitée qu’il inspirait aux soldats russes.
- Après la guerre turco russe, il fut appelé au commandement des troupes faisant partie de l’expédition esntre les Turcomans. Celte campagne aboutit à la prise de Geck-Tépé, qui ouvrit aux Russes la route de Merv.
- Pendant les deux dernières années, le général Skobeleff a été investi du commandement d’un corps de troupes dans l’arrondissement militaire de "Wilna.
- La sœur du général est l’épouse du prince Eugène de Leucbtenberg, comte de Beauharnais, neveu du défunt empereur Alexandre II et cousin de Napoléon III.
- ALLEMAGNE
- M. de Bismarck rêve la création d’un nouvel impôt, ce serait un droit de 10 pfennigs frappé sur les factures de toute marchandise importée. Autre rêve : présenter en une seule fois deux budgets, celui de 82-83, celui de 83-84, et par là démontrer la possibilité de n’assembler que tous les deux ans cet insupportable Reichstag. Il vient de le proroger et non pas de clore la session. Comprenez la différence : si la clôture eût été prononcée tous les projets de loi qui restent à voter eussent été enterrés, c’était un échec ; la prorogation sauve l’amour propre du grand Chancelier. Voilà le secret. — Liebknecht vient d’être condamné a deux mois de prison.
- * *
- MJsôre en IVnsse. — Nos lecteurs verront, par le document suivant, où en est réduit le peuple allemand :
- Les familles allemandes sont dans une situation bien misérable, s’il faut en croire les chiffres cités par M. de Bismarck et confirmés depuis par le Beichsanzeiger, journal officiel de l’empire allemand.
- Les impôts directs sont si lourds et si disproportionnés avec les ressources des populations que, du 1er avril 1879 au 31 mars 1880, on n’a point opéré moins de 3,304,065 saisies pour non-paiement des impôts.
- C’est sur le pauvre monde, naturellement, que tombe surtout cette sorte de malheur. Près de deux millions parmi ces malheureux (exactement 1,976,657) appartiennent à la dernière classe des contribuables.
- p.441 - vue 442/836
-
-
-
- 442
- LE DEVOIR
- La misère est si grande chez eux, que, dans la moitié des cas, la vente des meubles n’a pas suffi à payer l’impôt. Gela est arrivé dans 1 686,234 cas. D tns ce dernier nombre les contribuables de la dernière catégorie entrent pour 1,124,427.
- ♦ +
- Une singulière statistique à propos de l’armée allemande.
- Pendant l’année 1881, il y a eu 366 suicides, dont 31 d’officiers.
- Le plus grand nombre des suicidés appartient à la Bavière.
- La plupart des sous-officiers instructeurs sont des Prussiens, qui deviennent, par leur brutalité, la terreur des recrues.
- O beauté de la force !
- *
- * *
- Voici quelques détails sur l’extension du service téléphonique en Allemagne. Ce service a été installé le 1er août dernier à Francfurt-sur-le Mein, où l’on compte actuellement 80 kilomètres de fils; le 1er septembre, à Breslau, où l’on compte 187 kilomètres de fils; le 1er octobre, à Cologne, où il y en a 61, et à la même date à Mannheim, qui eu possède 124.
- L’office des postes a autorisé la création d’un réseau téléphonique dans les villes d’Altona, de Barnem, d’Ei-berfeld, de Hanovre, de Leipzig, de Magdebourg, de Dresde, de Brême, de Stettiu. de'Strasbourg, et, dans ces localités, les travaux d’iastallation sont déjà exécutés.
- A Hambourg, le nombre des abonnés au téléphone atteint le chiffre de 500, et à Berlin celui de 600, à Franc-fort-sur-le-Meiu, U est de 176, à Mannheim de 139, à Mulhouse de 109, à Cologne de 87, a Bieslau de 64 et à Strasbourg de 49. L’administration des postes de Bavière s’occupe de son côté, depuis quelques mois, de l’établissement des réseaux téléphoniques à Munich et dans d’autres villes de la Bavière,
- L’ÉDliCATIOS ROH.ilSE
- II
- Au moment où, après les grandes luttes intellectuelles de mon esprit, j’eus complètement rejeté les enseignements dogmatiques romains, j’allai trouver un de mes amis, prêtre comme moi et croyant convaincu. Je lui déclarai ma situation psychologique sous le rapport des croyances. Il fut affecté et pleura. Nous causâmes longtemps. « Une chose « m’étonne, lui dis-je, c’est que j’aie pu croire si « longtemps aux dogmes romains. Quelques-uns de « ces dogmes offrent de telles contradictions, que je « ne comprends pas comment une intelligence saine « et réfléchie peut les accepter. »
- — « Citez-moi, me répondit mon ami, un de ces « dogmes qui vous paraissent absurdes. »
- — « L’Eucharistie, si vous voulez, lui répartis-je, « avec la transubstantiation, avec la présence si-« multanée et entière du Christ dans tous les points « de l’espace où se trouve une partie sensible de « l’hostie. »
- Mon ami discuta longtemps, s’efforçant de me
- prouver que je devais humilier mon esprit devant l’église romaine, que bien des hommes plus intelli, gents que moi, un Bossuet, un Fénélon et tant d’au-très avaient cru à ces mystères.
- Je quittai mon ami, l’intelligence toujours bouleversée, n’ayant plus devant moi que la doctrine dQ doute. Car c’est l’une des immoralités de l’éducation romaine que de former l’intelligence par l’enseignement de fables absurdes ; « t lorsque la réflexion et la logique a discuté et rejeté ces fables, il ne reste plus rien à cet homme, qui a réfléchi et discuté que le doute intellectuel et moral avec toutes ses angoisses. Il lui faut alors se construire de nouvelles croyances; et ce n’est qu’au prix de labeurs intellectuels et moraux longs et difficiles que l’homme, déformé par le romanisme, se constitue une foi, et fixe les règles de sa conduite.
- Arrivé dans ma chambre, je réfléchis longtemps. Je faisais défiler devant moi les grands hommes qui ont üiustré notre globe depuis le troisième siècle de l’ère chrétienne. Je voyais en effet de grandes intelligences soumises à l’enseignement romain. Et aujourd’hui encore, parmi les quelques partisans convaincus de l’église romaine, on trouve certaines intelligences nobles, élevées et puissantes. Comment expliquer ce phénomène ? Par une corruption de l’intelligence, corruption qui a sa cause dans les principes et les habitudes que donne l’éducation cléricale.
- Rien de plus efficace pour la direction future de la vie que les influences de l’éducation et du milieu sur les jeunes intelligences et les jeunes cœurs. Prenez un Bossuet encore au berceau, transportez-ie sur les rives du Gange, à Bénarés, dans la ville sainte des Hindous, vous en ferez un fervent sectateur de Brahma. Prenez un Fénélon encore enfant,confiez-le aux lamas du Thibet. Ce Fénélon deviendra un moine Thibétin, fidèle aux rites bouddhistes des lamaseries.
- En général les croyances dépendent de l'éducation. Et ils sont bien rares les hommes qui, élevés dans des croyances absurdes,ont assez de force dans l’intelligence et dans la volonté, pour passer ces croyances au crible de la réflexion, et pour se tracer en même temps à eux-mêmes une règle du juste et du devoir.
- Pour ma part, je me suis livré longtemps au triste orgueil du mysticisme; j’ai cru fermement au péché originel, à la Vierge-Mère, à la Rédemption, à 1 Eucharistie, à la Messe, à la Salette et à Lourdes. J0 subissais alors les influences de mes éducateurs p^' miers. Et quand j’étais tenté de vouloir contrôler mes croyances en examinant toutes les raisons P&1'
- p.442 - vue 443/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 443
- losophiques et critiques qui en démontrent l’inanité, j’étais arrêté par la défense du dieu de l’église romaine qui ne veut pas qu’on s’expose au danger de perdre la foi.
- Certes je n’en veux pas à mes pauvres parents qui m’ont livré à des mains sacerdotales romaines. Pauvres parents ! ils m’aimaient, croyaient à l’église romaine et pensaient bien faire. Mais combien d’autres parents qui ne croient pas, qui savent l’absurdité des doctrines romaines, qui même déclament et agissent contre cet odieux système de domination intellectuelle et morale assez habile pour se faire appeler église catholique, et qui cependant livrent leurs enfants aux séminaires, aux jésuites, aux prêtres, aux frères et aux religieuses de tous costumes et de toutes couleurs ! J’appelle cela plus qu’une légèreté, plus qu’une lâcheté; à mes yeux, c’est un crime dans l’éducation. L’enfant assistera aux catéchismes romains. Il y apprendra qu'il y a un seul Dieu en trois personnes, que Dieu s’est fait homme, que les hommes naissent coupables d’un péché qu’ils n’ont pas commis, qu’il y a une Vierge-Mère, que des miracles se font dans les sanctuaires de la S.üette et de Lourdes, que le Christ est présent dans l’Eucharistie, et qu’on le reçoit dans la communion, qu’il faut se confesser et découvrir ses péchés au prêtre. Et lorsque cet enfant, devenu jeune homme, accompagnera son père dans la société, dans les visites, dans les ateliers, dans les cercles, dans les salons, il apprendra de la bouche même de son père que le catéchisme romain ne renferme que des sornettes,bonnes pour les enfants et les vieilles femmes. Mais alors ce jeune homme ne sera-t-il pas en droit de dire à son père: « Pourquoi m’avez-vous fait baptiser? Pour-« quoi avez-vous nourri mon intelligence des supers-« titions romaines ? »
- Non, un père n’a pas le droit de corrompre l’esprit de son fils. Si un père s’avisait de déformer le corps de son enfant, de lui arracher les yeux, de le rendre bancal, de lui couper une main, la société protesterait contre cet attentat. Lorsqu’un père libre penseur, (et tout homme qui ne signe pas le Syllabus est libre-penseur), livre ses enfants aux prêtres romains, il déforme les aptitudes intellectuelles et morales de ses enfants, il peut les atrophier pour toujours; il commet un attentat réel, d’autant plus coupable qu'il corrompt les intelligences et fait dévier les volontés du vrai chemin de la justice et du devoir.
- Or dans ces corruptions intellectuelles et morales savez-vous quel est le suprême du genre? Dans ces officines mystérieuses, où le regard profane ne pé- i hêtre jamais, où moines et moinesses dirigent et
- forment de tristes bataillons, savez-vous quelle est l’officine cléricale la plus dangereuse, la plus corrompue et la plus corruptrice ? C’est le grand séminaire. C’est là qu’on fait des victimes; c’est là qu’on tue les intelligences et qu’on énerve les volontés ; c’est là qu’on fabrique les corrupteurs ou les parias de l’humanité.
- Nous entrerons ensemble dans un grand séminaire. Nous analyserons son travail et nous verrons son influence délétère.
- Vienne bientôt le jour où les édifices affectés par l’Etat français à l’éducation des prêtres romains seront affectés à des usages utiles pour le bien- être physique, intellectuel et moral de la nation !
- Un ancien prêtre.
- CE QUI ARRIVE QUAND LES FEMMES VOTENT
- On sait qu’il y a treize ans, eri 1869, l’assemblée législative du Wyoming (Etats-Unis d’Amérique) a reconnu aux femmes avec le droit de suffrage le droit d’éligibilité politique. Nulle part ailleurs encore cette expérience n’a été faite. En voici les résultats recueillis et attestés par les documents publics.
- Deux ans après la mise en vigueur de la loi qui n’avaU passé qu’après une très vive opposition, en 1871, le Gouverneur de l’Etat, M. Campbell, dans le Message qu’il adressait à l’Assemblée législative, s’exprimait ainsi :
- « Il y a deux ans qu’en vertu des dispositions libérales de la nouvelle loi, les femmes ont commencé de voter et de remplir avec les hommes les fonctions de jurés et les autres charges publiques. Il n’y a que justice à dire que les femmes, accomplis' sant pour la première fois ces devoirs entièrement nouveaux, se sont en tout conduites avec autant de tact, de jugement et de bon sens que les hommes. Ce serait peut-être dépasser les conclusions autorisées par les faits que d’affirmer que cette expérience, faite dans un champ circonscrit, fournit déjà une démonstration indiscutable de la capacité qu’auraient les femmes de prendre part en tout temps et en toute circonstance au gouvernement, mais elle établit, au moins, une présomption qui leur est favorable, et elle leur donne le droit de demander qu’aussi longtemps que la loi continuera de ne produire que des résultats aussi heureux elle reste en vigueur. »
- Ainsi parla M. Campbell, et bien que la chambre eût quelque disposition à ne point partager son avis la loi fut maintenue et les femmes furent admises à un nouvel essai.
- p.443 - vue 444/836
-
-
-
- 444
- LE DEVOIR
- Deux nouvelles années se passèrent, et en 1875 le Gouverneur s’exprima ainsi :
- « Il y a maintenant quatre ans que nous faisons l'essai de la loi par laquelle la première assemblée du Territoire de Wyoming accorda aux femmes le droit de suffrage. J’ai eu déjà l’occasion de dire ma pensée sur la sagesse, sur l’utilité de cette mesure, et je suis d’opinion qu’elle n’a produit que de bons résultats. Deux années d’observation de plus des effets de ce système n’ont fait que me convaincre plus profondément qu’en l’introduisant sur notre Territoire nous avons fait une bonne chose, et que l’application de notre système de suffrage égal accordé aux deux sexes est un succès incontestable. »
- Pleinement d’accord cette fois avec le Gouverneur, l'assemblée législative s’abstint sagement de rien changer à la loi électorale, en ce qui concerne les femmes. »
- Environ deux ans plus tard, un autre chef du pouvoir exécutif, le général J. M.Thayer, précédemment sénateur des Etats-Unis, de grande expérience et très rompu aux affaires, faisait au peuple du Wyo-ming le compliment suivant :
- « Le suffrage des femmes fonctionne sur notre Territoire depuis six ans, et n’a cessé de gagner de plus en plus la confiance et la popularité. A mon avis, ses résultats ont été bienfaisants, et son influence est favorable aux intérêts les plus précieux de la communauté.»
- Enfin, sept ans plus tard, le 12 janvier 1882, un autre gouverneur, M. Jonh W. Hogt, exposait ainsi les résultats d’une expérience de treize ans :
- « Le Territoire du Wyoming est aujourd’hui le seul lieu du monde où les femmes jouissent de droits politiques en tout point égaux et identiques aux droits des hommes,et notre première assemblée, en votant cette loi, a fait une tentative courageuse en faveur de la raison et de la justice.si longtemps méconnues, aussi n’est-il pas étonnant que depuis ce moment les regards du monde entier soient tournés vers le Wyoming.
- Bien que nos adversaires s’obstinent à qualifier d’essai cette partie de notre Constitution, nous savons que nous n’en sommes plus à l’expérience. Sous l’empire de cette disposition, nous avons de meilleures lois, de meilleurs magistrats, de meilleures institutions et le niveau de notre condition sociale est plus élevé que partout ailleurs. Aucun des maux que l’on nous annonçait, tels que la perte de notre délicatesse originaire et le trouble de nos relations domestiques ne s’est montré. La grande majorité de nos femmes, et lesmeilleures, ont accepté le droit de
- suffrage comme un bienfait, et l’exercent comme un devoir patriotique. En un mot, après douze ans d’une heureuse expérience, l’institution du suffrage des femmes est si profondément enracinée, et si bien établie dans les esprits et dans les coeurs,qu’il ne s’élève personne pour protester contre elle et pour la mettre en question. Toutes ces raisons nous obligent à surveiller et à perfectionner notre état social de manière à faire du Wyoming une étoile qui serve de guide à ce grand mouvement commencé en faveur do la liberté humaine.*»
- Nous ne voulons rien ajouter aux témoignages qui viennent d’être placés sous les yeux du lecteur. Les sceptiques probablement n’en seront point touchés et continueront de rire et de secouer la tête quand on leur parlera des droits civils et politiques des femmes, mais quel esprit droit, quelle conscience impar-tiale pourrait méconnaître la valeur d’une expérience qui dure depuis treize ans ? Les femmes avaient pour elles le droit, la raison, la justice, elles ont maintenant le fait et l’histoire.
- (D’après le Women’s Journal).
- LE MAGNÉTISME
- Le docteur Teste dit que les phénomènes magnétiques présentent dans leur développement quatre phases différentes savoir :
- 1° Les signes précurseurs du sommeil;
- 2° Le sommeil;
- 3° Le somnambulisme ;
- 4° Le réveil.
- Les signes précurseurs du sommeil sont complexes et très variés suivant les sujets, et partant difficiles à décrire. Us dépendent en effet du tempérament ou de la constitution physique, des dispositions du moment, des circonstances et des témoins en ce qui concerne le sujet d’une part, comme du tempérament, de la disposition d’esprit, de la puissance magnétique et des procédés du magnétiseur. Dans ces conditions, l’on conçoit facilement combien doit être grande la variété de symptômes présentés à l’observation dans les divers cas. Ils changent non seulement avec la personne, mais même avec le moment chez le même individu, et c’est un fait bien constaté par l’expérience.
- Malgré cela, voici les traits généraux que l’on peut obseiwer le plus communément dans cette période du phénomène. La tête s’alourdit, non point de cette lourdeur de la pensée qui caractérise une légère congestion cérébrale, telle par exemple que celle que
- p.444 - vue 445/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 445
- déterminerait l’application d’un corps chaud sur le front, mais d’une sensation particulière et tout à fait sui generis dont on ne peut se bien rendre compte si l’on ne l’a pas éprouvée. La main de l’opérateur quoi-qu’étant elle-même à une température normale provoque, en s’appuyant ou même en s’approchant simplement du sommet de la tête, une vive sensation de chaleur ou de froid suivant les circonstances. La même sensation se manifeste à l’épigastre, lorsque le magnétiseur y touche, et suit le trajet des nerfs lorsqu’on fait des passes sur les membres. Chez les sujets très nerveux, il arrive parfois que c’est par un fourmillement bien accentué que cette impression se traduit, et que le membre en éprouve un trémoussement convulsif.
- Les paupières ont un clignotement tout particulier qui grandit à mesure que l’opération avance ; leur muscle orbiculaire se contracte assez fortement à plusieurs reprises, et quelques fois des larmes humectent les paupières avant qu’elles se ferment. Le globe oculaire exécute plusieurs mouvements, après lesquels il se convulse le plus souvent vers la voûte de l’orbite, ou vers sa paroi intérieure. Ce signe n’est pourtant pas constant, et assez fréquemment l’œil reste fixe ; mais dans ce cas la pupille se dilate, et le regard a quelque chose de vague et d’hébété. Quelquefois encore il y a strabisme.
- La contraction spasmodique des muscles de la face imprime à certaines physionomies un cachet indescriptible ; chez quelques sujets le tremblement convulsif des masseter fait claquer les dents l’une contre l’autre avec une incroyable rapidité.
- Le pouls est tantôt ralenti, tantôt accéléré, sans qu’il soit possible de préciser les circonstances dans lesquelles ces symptômes se produisent presque toujours accompagnés d’augmentation de chaleur à la peau.
- La respiration d’abord rendue plus lente devient haletante ensuite. La poitrine semble oppressée, et parfois un point douloureux se manifeste subitement à la région sous-sternale et persiste jusqu’au moment où le sommeil est arrivé. Des bâillements fréquents, prolongés, un malaise général et parfois une toux Nerveuse, mais plus souvent un rire nerveux invincible accompagnent ces accidents, qui ne cessent qu’avec cette phase préliminaire. Pendant toute sa durée on remarque le plus communément chez le sujet des soubresauts, des trésaillements que l’on Prendrait pour les effets inattendus de décharges électriques.
- , Il arrive que des somnambules n’éprouvent rien de tout cela,et qu’ils causent et plaisantent sans iamoin- / re émotion^yec leur magnétiseur, jusqu’à l’instant j
- où le sommeil vient clore leur paupière et leur fermer la bouche.
- M. Foissac raconte les expériences faites par la commission scientifiques de 1826, et il indique comme suit la manière dont s’endormait le sujet sur lequel les commissaires faisaient leurs observations, Paul Yillagrand.
- « Les premières passes, dit Foissac, excitaient son hilarité ; mais au bout de deux minutes sa figure devenait sérieuse et peignait l’étonnement. Tout le corps était agité de secousses partielles ou générales, ressemblant à celles que détermine l’action de l’électricité. Les paupières s’élevaient ets’abaissaient en suivant la direction de mes doigts avec une précision mécanique ; bientôt toute la tête participait à ce mouvement.
- » Si je m’éloignais, il s’avançait comme attiré par un aimant ; si ma main s’arrêtait à quelques pouces de distance de ses yeux, il reculait la tête d’un air effrayé ; si je faisais des passes avec les deux mains, il portait rapidement ses yeux de l’une à l’autre ; bientôt, il en saisissait une, me pinçait fortement les doigts, et les quittait presque aussitôt pour suivre le mouvement de l’autre.
- » Quelquefois il avançait sa figure vers ma main, et semblait pourtant craindre de la toucher ; il la flairait ; tout à coup, il ouvrait la bouche pour la saisir ; mais ses lèvres l’avaient à peine effleurée, qu’il se retirait avec effroi.
- Il nous arriva souvent à la Charité, de l’engager à se tenir Immobile pendant l’opération magnétique. Nous placions une montre devant lui, en l’invitant à nous prévenir lorsque la troisième minute serait écoulée ;il le promettait et fixait les yeux sur cette montre. Pendant là première minute, il restait tranquille ; mais à la seconde, ses yeux allaient avec rapidité de la montre à mes doigts, et de ceux-ci à la montre ; enfin, à la troisième, après de vains efforts, il semblait perdre le souvenir et la volonté, et ne s’occupait que de ma main. On avait beau lui rappeler sa promesse, le pincer, le tirer par les cheveux, il était insensible à tout.
- « Si je lui adressais la parole, il répétait à plusieurs reprises comme un écho fidèle, le dernier mot de ma phrase avec des inflexions de voix différentes effort bizarres ; mais à mesure que le sommeil s’emparait de lui, sa voix s’affaiblissait, il prononçait ce mot plus bas et moins distinctement, et enfin ses lèvres, ne pouvant plus émettre de sons, faisaient encore un mouvement pour articuler la première syllabe.
- « Lorsque je voulais arrêter cette pantomime amusante, il me suffisait de placer une mais sur l’épigastre du malade ,* aussitôt il baissait la tête
- p.445 - vue 446/836
-
-
-
- 446
- LE DEVOIR
- et ne tardait pas à pousser un long soupir, qui était le signe précurseur du somnambulisme. Si je lui demandais alors ce que le magnétisme lui faisait éprouver, il répondait qu’il voyait d’abord mes doigts multiples, lumineux et s’allongeant quelquefois de manière à lui faire croire qu’ils allaient lui crever lesyeux; qu’ensuite ses idées s’obscurcissaient : que sa vue était tout éblouie, et qu’il était sous l’empire d'une véritable fascination. A son réveil toutes ces circonstances étaient effacées de sa mémoire ; il répondait naturellement à nos questions, et croyait avoir obéi à l’injonction de se tenir tranquille. »
- Dans l’examen de ces signes précurseurs du sommeil magnétique, il ne faut point perdre de vue un seul instant:
- 1° Que ces signes n’ont rien de constant.
- 2° Qu’ils sont d’autant plus accentués, que le sujet sur lequel on opère est plus neuf, qu’il offre plus de résistance àl’action magnétique,etque le magnétiseur est obligé de déployer plus d’énergie et de volonté que de bienveillance.
- S9 Enfla que la durée de ces prodromes est subordonnée à la présence ou à l’absence de diverses conditions favorables à l’action magnétique.
- Avant de pousser plus avant notre étude par l’examen des faits que présente la phase de sommeil, qu’il nous soit permis de citer un cas donné par le à* Teste, à qui nous avons emprunté presque textuellement les indications qui précèdent, cas tendant à démontrer l’existence d’un fluide magnétique.
- Rosalie X. sur laquelle ces expériences ont été faites, est une jeune fille de 18 ans dont le système nerveux ne paraît pas trop développé, et dont le tempérament est sanguin. Sans des maux d’estomac dont elle souffre de temps en temps depuis l’âge de puberté, sa santé serait excellente; son éducation est celle d’une pauvre ouvrière uniquement occupée de faire vivre de son travail une mère vieille et infirme, jamais d’ailleurs elle n’est sortie de son pays, une province fort éloignée de Paris.
- Elle est endormie depuis quelques minutes. Un docteur incrédule, dans l’intention de s’assurer si l’action magnétique peut être réellement concentrée sur des objets inanimés, emmène le magnétiseur hors de la pièce et lui propose d’opérer sur une marche d’escalier. C’est la dixième qu’il choisit et qui en conséquence reçoit les passes magnétiques. Au moment de se retirer le magnétiseur désirant à son tour faire en même temps son expérience, déclare mentalement mettre une barrière audessus de la dixiéme marche, pour empêcher Rosalie de la franchir.
- Les choses ainsi préparées, le docteur reconduit le magnétiseur, qu’il ne quitte plus, auprès de la som- ?
- nambule toujours endormie. D’après le désir qu’il exprime, elle est réveillée sans attouchement par quelques gestes faits à distance. Ce n’est qu’aprèsun examen minutieux de l’état parfaitement normal de la jeune fille, que, sur l'ordre du sceptique, Rosalie prend un flambeau pour se retirer.
- Dans ce trajet, elle doit forcément passer par l’escalier dont une marche est magnétisée. Le docteur la devance, et quel n’est pas son étonnement, arrivé au bas de l’escalier, lorsqu’il aperçoit la jeune fille debout immobile sur la dixième marche.
- Rosalie, lui dit-il, que faites-vous donc là?
- Monsieur, je dors.
- Et qui est ce qui vous a endormie ainsi ?
- C’est la marche sur laquelle je suis ; il s’en échappe une vapeur chaude qui m’a monté aux jambes, et m’a endormie.
- Et bien, puisque vous dormez, allez donc vous coucher.
- Monsieur je ne puis, parce qu’il y a une barrière qui m’empêche de passer.
- {A suivre.)
- LE COMBLE DE Lk DÉFENSE !
- On parle souvent des effets oratoires, des larmes feintes, des trucs, pour employer le mot, auxquels ont recours nos avocats. Parions pourtant que, quelque dévoué qu’ils puissent être à leurs clients, et malgré tout leur désir de gagner leurs causes, aucun d’eux ne serait capable d’exécuter le tour de force que vient d’accomplir un de leurs confrères des Etats-Unis.
- Voici, en effet, ce que nous raconte un de nos amis qui arrive d’Amérique, à propos d’un procès qui a été jugé dernièrement dans l’état de Michigan, et qui a eu un grand retentissement, en raison des incidents que nous allons exposer à nos lecteurs.
- Une femme avait empoissonné son mari à l’aide d’un gâteau assaisonné du plus effroyable poison. L’homme était mort dans les deux heures qui avaient suivi l’absorption de la part de gâteau qui lui était réservée.
- Le coroner ayant reconnu la présence de poison dans le cadavre, la femme fut emprisonnée et le jour du jugement arriva.
- L’avocat chargé de la défendre — Me Van Arman, de Chicago — plaida la non-culpabilité de sa cliente, déclarant que le gâteau n’était pas empoisonné et qu’il allait en donner les preuves.
- La pièce de conviction se trouvant sous les yeux du jury, Me Van Arman se la fit apporter, et là, devant la cour, prit un morceau de ce gâteau et l’avala sans sourciller.
- Au même instant on lui apporta une dépêche qui lui annonçait la maladie subite de sa femme. Van Armau
- p.446 - vue 447/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 447
- cria le président de lui permettre de répondre à ce télégramme ; il sortit pendant cinq minutes et revint continuer sa plaidoirie : lorsqu’elle fut achevée, il s’assit tranquillement, attendant le résultat de l’examen du jury.
- Tous les assistants s’attendaient à voir l’avocat se tordre au bout de cinq minutes sous les étreintes du poison. Mais Van Arman ne sourcilla point • le verdict du jury fut lu ; il acquittait l’empoisonneuse.
- Que s’était-il passé ? Van Arman avait fait venir deux médecins avec un contre-poison pour lui être administré pendant qu’il allait répondre à la fausse dé pêche qu’il avait reçue ; il avait avalé la drogue préservatrice, avait rejeté le poison et était revenu s’asseoir à sa place.
- Il fut bien un peu malade des suites de son aventure, mais du moins il n’avait pas faibli, et nul ne s’était aperçu du malaise qu’il éprouvait.
- Lorsque la vérité fut connue, il était trop tard pour que la cour d’assises put revenir sur son verdict,
- Vous croyez peut-être que le défenseur fut poursuivi ou seulement blâmé pour son audacieuse tromperie ? Pas du tout; Toute la ville au contraire le proclama un grand et incomparable avocat.
- Très curieux n’est-ce pas ?
- Sifflet.
- LES FEMMES ET LA GUERRE
- On nous envoie, avec prière de l’insérer, l’adresse suivante :
- Paris, le 2 juillet 1882
- Adressée à Monsieur le Président du Conseil dés Ministres et à Messieurs les ministres.
- Déléguées auprès de vous,Monsieur le Président,par un groupe important de femmes appartenant à des classes différentes de la Société, nous avons l’honneur de venir vous exprimer en leur nom et au nôtre la douloureuse surprise qu’a fait naître chez les femmes la connaissance des dépêches contenues dans le livre jaune et échangées entre notre ministre des affaires étrangères et celui de la Grande-Bretagne.
- Nous frémissons à la pensée des dangers, dangers Th sont loin d’avoir disparu, qu'a fait courir à la paix une simple volonté personnelle, à la pensée de l’insécurité et de l’instabilité sociale auxquelles sont livrées nos destinées, Gelles de nos maris et de nos enfants.
- Impuissant es à empêcher les guerres, nous sommes forcées d’en subir toutes les horribles calamités.
- Permettez-nous donc, au nom de toutes les femmes et au nom du sentiment national à peu près unanime, vous conjurer de faire prévaloir la voie féconde et Pacifique de l’arbitrage en cas de conflit ou de différent, avec une nation quelconque. Sa bienfaisante a°tion qui a empêché déjà tant de guerres et de con-
- flits a ouvert une ère nouvelle aux sociétés modernes. La brance moins que toute autre nation, ne saurait rester en dehors. L’inlérèt de la patrie bien compris et les progrès moraux et matériels des nations sont à ce prix.
- Veuillez,Monsieur le Président et Messieurs les représentants de la nation, accorder à cette adresse et au désir légitime et anxieux qu’elle exprime, votre bienveillante et sérieuse attention, et agréer l’expression de notre entier dévouement à la patrie et de notre profond dévouement pour sa représentation.
- Pour les Membres,
- Mme Ve Griess-Traut.
- P. S. — Semblable adresse a été remise à M. le Président de la Chambre des députés.
- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- Un cruel accident, bien rare heureusement parmi nous, puisqu'il faut remonter à dix huit ans en arrière pour en retrouver un pareil, est venu attrister dans la matinée de lundi les travailleurs de l’Usine et les habitants du Familistère.
- L’ajusteur Darsonville, pressé d’ouvrage sans doute, et rendu un des premiers â l'atelier, où il était arrivé avant les mécaniciens chargés de mettre la force motrice en mouvement, voulut, pour gagner du temps, se charger de cette besogne à laquelle il n’était pas habitué, et de concert avec un de ses camarades d'atelier, il se mit en devoir d’installer une courroie sur la poulie. L’infortuné avait à peine commencé son œuvre, que son vêtement pris par l’arbre dans son mouvement de rotation entraîna le bras et le corps, arrachant le membre qui tomba à terre, et broyant le corps entre l’arbre de couche et le mur. Quoique rapidement dégagé, grâce à 1 inspiration d un des ouvriers témoins de la scène qui coupa la courroie, le malheureux ne survécut que fort peu à cet horrible accident. Agé de vingt trois ans à peine, Darsonville laisse une jeune veuve enceinte. Encore un des innombrables et obscurs martyrs du devoir et du travail ! Heureusement l’Association du Familistère saura veiller sur ceux qui survivent aux victimes, car c’est une des principales missions qu elle s’est données 1
- La nouvelle de ce malheur survenu avant six heures du matin â jeté un sombre voile de tristesse sur cette population d’ordinaire joyeuse, qui compatissait vivement aux douleurs de cette famille en pleurs.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- La 4 Juillet. ~ Erasme Buire, fils de Erasme Buire et de Devienne Maria.
- MARIAGE :
- Le 8 Juillet. — Lelong Jules, veuf de Lhenen Marguerite, et Bridoux Lucie.
- p.447 - vue 448/836
-
-
-
- 448
- LE DEVOIR
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- Mme Pauline Dupent, de l’Eure, offre aux habitants du Familistère, en témoignage de sympathie et pour soienniser, dit-elle, l’anniversaire du 14 juillet, les ouvrages suivants :
- Jeanne d’Arc, par Lamartine ;
- Kécits de Kahylie, par Emile Carrey.
- N >us remercions sincèrement la donatrice, au nom des habitants du Familistère.
- condamnation égalitaire
- Il est rare que, dans un pugilat à deux, il y ait victoire de part et d’autre ; généralement il y a un vaincu et un vainqueur ; on ne cite guère d’exemple contraire véritablement concluant, que celui des deux chiens qui se sont dévorés mutuellement, et dont on n’a retrouvé que les queues ; encore ce fait trouve-t-il de nombreux incrédules chez les savants.
- Quoi qu’il en soit, quand deux hommes se présentent devant la police correctionnelle, l’un comme victime de coups et blessures, l’autre comme auteur de ces avaries, et que celui-ci prétend avoir reçu autant qu’il a donné, l’égalité peut, jusqu’à un certain point, être admise, en présence de deux êtres parfaitement bien portants, et qui n’en sont qu’à calculer leurs mutuelles donations entre vifs, comme on dit au Palais dans un autre ordre d’idées.
- Ces deux lurons sont Loupy et Ducardon ; celui-là comme plaignant en premier, l’autre comme plaignant reconventionnellement.
- Loupy, qui manque de conduite et d’économie est venu à l’audience vêtu de façon à se faire interdire l’entrée du bal du Moulin-de-la-Galette et autres réunions distinguées, où une mise décente est plus de rigueur que la chorégraphie qui s’y exécute.
- Il a, notamment, un chapeau dont les renfoncements ont fait un accordéon silencieux, et une botte qui bâille comme un militaire sans le sou, au prêche qu’il avale faute de pouvoir avaler des petits verres.
- Au rebours, Ducardon, signalé dans son quartier comme homme d’ordre, a, pour paraître devant la magistrature de son pays, tire de l’armoire son trente et un. Gomme Loupy, il a des bottes, mais il peut les montrer hautement, et c’est même ce qu’il fait, aidé, pour cette exhibition, par un pantalon de coutil que les blanchissages successifs ont raccourci d’un bon travers de main, En revanche, si son pantalon est trop court, il s’est rattrappé sur le col de sa chemise, et on voit tout de suite un ouvrier laborieux.
- Mon président, dit Loupy, quoique je ne sois pas si bien mis que mossieu Ducardon, j’ai une âme noble et délicate, et je ne permets pas plus à personne qu’à autrui de vocifoirer des injures, en disant, comme mossieu Ducardon, que je ne suis pas trop honnête.
- M. le Président. — Ce n’est pas une injure, cela, si vous l'êtes assez.
- Ducardon. — Je conviens que mossieu Loupy l’est assez.
- Loupy (surpris). — Ah!... Bon, je veux bien; va pour moi ; mais mon père, mon pauvre père, que vous m’avez dit qu’il avait fait une vilaine fin, ce qui m’a enfoncé une flèche dans le cœur, aussi terrible que celle des sauvages carnivores qui les trempent dans le cure-oreiller, (probablement le curare), il est mort à Cayenne, c’est vrai, mais de la petite vérole.
- Ducardon. — C’est de la petite vérole que j’ai voulu dire : est-ce que vous appelez-ça une jolie fin ?
- Loupy. — Tu, tu, tu, vous retournez les choses...
- Ducardon. — Je retourne rien, puisque Q'avoue ce que vous dites vous-même.
- M. le président. — Expliquez-vous sur les couds (A Loupy). C’est vous qui avez frappé le premier? P '
- Loupy. — A ce que dit mossieu Ducardon, mais ce n’est pas une raison pour le croire parcequ’il est mieux mis que moi, car...
- M. le président. — Il ne s’agit pas de pela.
- Loupy. — Mon président je suis sûr de votre intégralité,mais un homme bien mis, ça en impose toujours' c'est connu ; le sûr et certain,c’est que les deux coups de poing sont partis si en même ternes,qu'avec un compas on ne pourrait mesurer la différence, ou même avec une table de Pythagore.
- Ducardon. — Oh! et qu’avant même de penser à rien j’ai eu le nez massacré, que le sang a tombé sur mà chemise que j’ai été tout de suite en mettre une autre.
- Loupy. — C’est simplement pour dire à ces messieurs que vous avez des chemises à changer, comme ça tout de suite.
- Ducardon. — Je dis ça à preuve.
- Loupy. — A preuve que vous faites votre poire parce-que vous avez du linge ; mais moi j’ai un certificat de médecin.
- Ducardon. — Moi aussi.
- Loupy (tirant un papier de sa poche).
- Ducardon (même jeu) Y’là le mien.
- Loupy. — Dont il est inscrit dessus que j’ai six (cherchant à lire) éch...., échy...., échym...,, c’est du latin.
- Ducardon. — Des chymoses..., j’en ai six aussi sur le mien.
- Loupy. — Et le nez (lisant) tum... tumé...
- Ducardon. — Tuméfié, ce qui veut dire coup de poing ; moi aussi j’ai ça.
- Loupy. — Possible, mais moi j’ai la note de l’herboriste ; la v’ia.
- Ducardon. — Y’ià la mienne.
- Loupy (lisant) douze sangsues.
- Ducardon (lisant) quatorze sangsues... j’en ai plus que vous des sangsues.
- Loupy. — Toujours pour faire de l’embarras ; manière de dire : j’ai le moyen d’avoir plus de 'sangsues que vous.
- Le tribunal met fin à ces preuves, en condamnant Loupy et Ducardon, chacun à 25 fr. d’amende.
- Loupy. — Vous v’ià bien avancé, mossieu Ducardon ?
- Ducardon. — Je m'en fiche j’ai le moyen de payer, moi.
- Loupy. — Moi, je m’en fiche bien plus ; j’ai pas le moyen.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’PIace, 36.
- p.448 - vue 449/836
-
-
-
- 'Lt numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 23 JUILLET 1882.
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- ON
- S’ ABONNE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 îr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- S’adresser à M. LETMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l'administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La politique de bombardement.— Le Congrès d’Oxford. — Faits politiques et sociaux. — Histoire de l'Association agricole de Ralahine. — Causerie anti-catholique et religieuse : La religion de l’avenir. — Bibliographie : Etienne Marcel. — Un drame de la vie réelle.
- LA POLITIQUE DE BOMBARDEMENT
- Un fait considérable est venu émouvoir le monde civilisé la semaine dernière, et l’un des législateurs pays qui l’a accompli n’a pas craint de le qualifier d'atrocité nationale. Ce fait est le bombardement des forts d’Alexandrie par l’Angleterre avant que les travaux de la Conférence fussent terminés, et qu’une °ision collective des puissances eût été prise. Quels que soient les motifs qui ont fait agir avec
- tant de précipitation l’Angleterre en cette circonstance, il est impossible de ne point considérer cet acte de violence comme extrêmement regrettable, parce que dans tous les cas l’emploi de la force, la guerre, est un moyen extrême auquel on ne doit recourir qu’à la dernière extrémité.
- Lorsqu’une horde de barbares envahit violemment un territoire, lorsque partout sur son passage elle répand le meurtre, le pillage, l’incendie, le viol, tous les attentats dont la brute humaine, la pire de toutes, est capable, on comprend que les citoyens s’arment et qu'ils aient recours à la guerre pour défendre leur patrie et leurs foyers menacés. Lorsqu’ils n’ont point d’autre alternative que de périr et do semer la mort à leur tour, on comprend qu’ils repoussent la violence et qu’ils fassent de la force l’arbitre de leur droit. Défendre sa vie et la vie des siens est le premier devoir des êtres, devoir sacré auquel tout le monde est soumis. La famille et la patrie, cette grande famille des peuples doivent être inviolables, et tous les hommes, sans exception sont tenus de faire respecter cette inviolabilité même par les armes. Dans ce cas, la guerre est une chose légitime, parce qu’elle n’est alors que l’exercice du droit imprescriptible de sa propre défense, mais elle ne l'est absolument que dans ce cas.
- Dans toute autre circonstance, comme elle porte atteinte au respect de la vie humaine qui est une des principales lois de la nature, elle ne se justifie pas, et à ce point de vue, il semble difficile de ne pas blâmer l’acte précipité de violence commis par l’Angleterre, parce qu’il peut entraîner des conséquences désastreuses pour le maintien de la paix en Europe. Les événements qui l’ont provoqué, insuffisamment
- p.449 - vue 450/836
-
-
-
- 450
- LE DEVOIR
- connus, donnent lieu à des appréciations contradictoires, et U n’est peut-être pas Inutile de remonter aux causes qui ont amené ee que l’on est convenu d’appeler la question Egyptienne, pour se mettre en état déjuger les faits en connaissance de cause, avec toute l’impartialité nécessaire.
- L’un des plus grands faits du siècle, le percement de l’Isthme do Suez, qui ouvrait une route nouvelle extrêmement précieuse à la civilisation et au commerce Européens, avait créé aux premières nations de cette partie du monde des intérêts sérieux en Egypte, dont le gouvernement diiapidateur et sans contrôle n’offrait point les garanties indispensables à la sauvegarde de ces intérêts collectifs d’une gravité considérable. Les nations intéressées crurent devoir prendre des précautions, et la France et l’Angleterre d’un commun accord réussirent à imposer leur contrôle souverain sur l’administration des finances de l’Egypte, qui se trouvait ainsi placée sous une tutelle de nature à amoindrir son prestige, comme gouvernement, et son indépendance, comme nation. Q’était peut- être pousser un peu loin la sollicitude pour le maintien de la neutralité du canal de Suez, seule question véritablement digne de l'intervention des deux puissances dans l’administration de l’Egypte. A cette considération de premier ordre, on eût le tort de lier celle des intérêts financiers particuliers engagés dans le pays et c’était un immixtion fâcheuse qui ne tarda pas à provoquer des mécontentements parmi le peuple.
- Ces sentiments ne firent que s’accentuer de plus en plus avec le temps, et à un moment donné, les Egyptiens aspiraient à se débarrasser de cette humiliante tutelle, pour reprendre la pleine possession de leur indépendance nationale. C’est comme toujours, ces aspirations légitimes de la nation que quelques ambitieux militaires ont cherché dans ces derniers temps à exploiter à leur profit, et de là la révolte des colonels Egyptiens sous la direction d’Arabi-Paeha, dont les v’sées ambitieuses ont attiré sur son pays les maux de la guerre.
- C’est ainsi que toujours l’ambition personnelle, la soif de domination et le despotisme sous quelque forme qu’il s’exerce engendrent les maux les plus cruels de l’humanité, et provoquent le désordre politique dont les résultats inévitables sont la guerre civile, la dévastation et le sacrifice de nombreuses victimes humaines. Honte éternelle à ces fléaux du genre humain que le militarisme fait éclore partout, et qui ont besoin du sang pour grandir, comme la plante a basoin d’eau pour croître et se développer.
- Dans cette situation, l’Europe fut appelée à délibérer sur les mesures à prendre pour réprimer cette insur-
- rection et rétablir l’ordre en Egypte, afin d’éviter l’effusion de sang que la guerre produit fatalement Une conférence est donc réunie à Constantinople dans ce but, tandis que les escadres Anglaise et Française sont envoyées en rade d’Alexandrie p0ur en imposer aux révoltés, et les empêcher d’agir avant la décision de l’Europe.
- Tout çela ne faisait point l’affaire des meneurs, quj n'avaient rien à gagner à cette marche pacifique des négociations, et qui avaient besoin du désordre de la lutte pour satisfaire leurs appétits, et se ménager ensuite le rôle de sauveurs et de pacificateurs rétablissant l’ordre, en cessant au moment propice de fomenter les troubles. C’est ce qui donna lieu au massacre des Européens, le II juin, qui engageait sérieusement la lutte.
- Telle est la série de faits qui a amené de la part de l’Angleterre le bombardement des forts d’Alexaa-drie. La conséquence immédiate de cet acte de violence a été l’élargissement des forçats auxquels la ville a été livrée, et qui, secondés par la soldatesque d’Arabi et la populace, ont tout pillé, tout saccagé, massacrant les Européens, incendiant les maisons et les monuments, si bien que vingt-quatre heures à peine après le bombardement des quartiers entiers n’étaient plus qu’un monceau de ruines. La violence engendre toujours la violence, et c’est pourquoi nous n’hésitons pas à dire que l’Angleterre a commis un acte répréhensible, en faisant usage de la force, sans attendre les résultats des délibérations de l’Europe. Les dépêches constatent que les derniers vestiges de la civilisation sont détruits sur les bords du Nil, et si une grande partie de la responsabilité en doit être attribuée aux fauteurs de désordre, qui ont profité du bombardement pour commettre leurs actes coupables de vandalisme, l’Angleterre, en leur en fournissant l’occasion, en a assumé de son côté une large part.
- S’il faut en croire les nouvelles transmises par le télégraphe, c’est assez généralement l’opinion des puissances Européennes, caron mande de Berlin que la conduite de l’Angleterre y est de plus en plus blâmée par les organes du chancelier allemand, que l’on craint que de très graves complications n’éclatent, et qu’un grand mouvement d’indignation se dessine dans toutes les capitales.
- Comment pourrait-il en être autrement aujourd’hui, alors que partout les intérêts de la civilisation dominent tous les autres, et que tout le mocda a compris que l’obstacle le plus insurmontable du progrès o’est la guerre, de quelque prétexte qu’elle se pare, et quel que soit le mobile qui la provoque ? La guerre est un des abus que nous ont légués les siè*
- p.450 - vue 451/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 451
- clés de barbarie, et la raison du plus fort, sur laquelle elle s’appuie, a cessé depuis longtemps de passer pour la meilleure de toutes aux yeux des peuples civilisés.
- Aujourd’hui le principe de liberté des peuples e-t reconnu supérieur à tous les autres ; or la liberté ne porte ses véritables fruits qu’au sein de la paix, qui seule procure le calme et la tranquillité indispensables aux progrès de la civilisation. Peu d’intérêts sont de nature à entrer en ligne de comparaison avec cet intérêt de premier ordre, et, par conséquent, tout ce qui peut troubler la paix est nuisible et. blâmable, lorsque ce n’est pas justifié par un intérêt au moins équivalent sinon supérieur à celui-là.
- Dans cet ordre d’idées, et nous plaçant à ce point de vue, sans rien préjuger des motifs de l’Angleterre, qui ne nous sont peut-être pas suffisamment connus, nous pensons qu’il a fallu pour légitimer cette conduite aux yeux d’un gouvernement aussi généralement prudent et circonspect que le gouvernement anglais, des raisons bien graves et d’un ordre bien élevé. Il est vrai que s’il en était ainsi, on a le droit d’être surpris qu’en présence de l’émotion que son acte a provoquée dans toute l’Europe, il n’ait pas senti le besoin de les faire connaître.
- Or ses explications à la Chambre des Communes ne révèlent rien qui puisse faire excuser cette violence hâtive et s’il faut juger de l’opinion dupe uple Anglais par les résolutions votées dans le dernier meeting des délégués des différents cercles et des associations d’ouvriers de Londres, cette opinion ne serait pas favorable à la conduite du gouvernement. Voici en effet le texte de ces résolutions :
- « 1° La conférence exprime la profonde indignation que lui inspire le bombardement des forts d’Alexandrie et proteste contre toute future intervention armée dans les affaires intérieures de l’Egypte.
- « 2° La conférenee pense qu’il n’existe aucune raison légitime pour une intervention dans les affaires Egyptiennes, et espère que le gouvernement rappellera la flotte aussitôt que possible, et cessera une lutte aussi inégale qu’injustifiable, qui a été engagée principalement dans l’intérêt des bonds-holders, et qui tend à déshonorer la nation et à détruire les as pirations naissantes du peuple Egyptien.»
- Sir W. Lawson, parlant en faveur de la première de ces résolutions, a dit que les ouvriers sont d’avis que l’honneur de l'Angleterre prime les intérêts Anglais.
- Pour nous, cette phrase légèrement modifiée résume parfaitement notre sentiment, car nous pensons que l’honneur de l’humanité prime tous les intérêts, et que l’honneur de l’humanité réside dans le
- respect de la vie humaine, dans la fraternité des hommes et dans la civilisation.
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Le rapporteur, M. Arnold Toynbee, rappelle ensuite les circonstances qui donnèrent naissance à la coopération, et dit qu’un simple coup d’œil jeté sur les principaux traits de la grande révolution industrielle accomplie depuis une centaine d’années suffit à rappeler la nature du problème que Robert Owen entreprit de résoudre. Le cadre de la vie industrielle au moyen-âge, aux allures lentes, venait d’être brusquement brisé sous les coups puissants de la machine à vapeur et de son évidente supériorité de force. Avec lui disparaissent comme un rêve les coutumes et les habitudes d’union sociale et d’affection individuelle qui avaient si étroitement liés ensemble, dans le calme de l’intérieur comme dans la forge et l’atelier, le patron et l’apprenti. L’industrie déménagea des maisons particulières dans les manufactures des cités; l'ouvrier qui travaillait dans l’usine se sépara du capitaliste qui en était propriétaire, et la lutte pour conquérir la richesse que l’outillage-machine promettait rompit les antiques liens de la confiance mutuelle, et donna à la concurrence l’aspect d’une nouvelle et terrible force.
- Parmi les maux innombrables que produisit cette période de confusion, Owen arrêta de préférence son attention sur deux principaux, savoir : l’isolement et la concurrence; et pour faire revivre les idées de fraternité, il proposa la formation de communautés complètes par elles-mêmes, avec propriété en commun, et basées sur le principe de l’association égale pour le développement de la vie morale. Les premiers essais ne furent pas couronnés de succès, mais le but du fondateur est encore celui que poursuivent les Sociétés coopératives de nos jours. Toutefois la tâche de ces derniers est plus difficile que celle d Owen, parce que tandis que celui-ci voulait que le3 hommes se retirassent du monde pour rétablir l’idée de la fraternité dans l’existence de petites communautés indépendantes, les coopérateurs laissent vivre leurs adhérents au milieu du monde, et cherchent surtout à en faire de bons citoyens membres de la communauté du peuple anglais. Owen aurait en réalité remplacé l’isolement des individus par l’isolement des groupes, ce qui était un mouvement de recul au lieu d’un pas en avant.
- Pour nous désormais le problème ne consiste pas
- p.451 - vue 452/836
-
-
-
- 452
- LE DEYOIR
- à rétablir l’union aux dépens de la vie nationale, ni à la produire au prix de l’indépendance, mais bien à concilier ensemble l’union et l’indépendance.
- Aujourd’hui, le travailleur n’est pas seulement indépendant, il a aussi sa part dans le gouvernement de l’Etat; et au moment même où cette responsabilité lui était imposée, il entrait dans des conditions d’existence industrielle qui paraissent devoir accroître son énergie et assoupir son intelligence. Une loi de développement politique l’a élevé de la condition de serf à celle de citoyens ; une loi de développement industriel l’a abaissé, par la division du travail, du rang d’homme à celui de machine. Telles sont les difficultés en fac8 desquelles nous nous trouvons, d’une part le caractère complexe du citoyen moderne, et de l’autre le mortel effet de la minutieuse subdivision du travail, et c’est ce qui rend l’éducation du citoyen indispensable.
- Les principaux objets dont doit s’occuper cette éducation portent spécialement sur trois points, savoir : 1° l’Education politique ; 2° l’Education industrielle; 3° l’Education hygiénique.
- En matière d’éducation politique il y a à examiner : 1° les institutions politiques centrales et locales existant en Angleterre ; 2° l’historique de ces institutions ; 3° l’historique des idées politiques, telles qu’elles sont exprimées dans les grands auteurs comme Burke ou de Tocqueville ; 4° les relations politiques de l'Angleterre avec les autres pays et avec ses colonies.
- Pour ce qui est de l’éducation industrielle, il y a lieu d’étudier : 1° le système industriel actuellement en vigueur en Angleterre, et les causes de la production et de la distribution de la richesse ; 2° l’histoire des institutions industrielles, les corporations du moyen-âge, la loi des patentes et les trades unions ; 3° l’historique de la condition matérielle des classes laborieuses ; 4° l’histoire des idées sociales et des plans de réforme sociale.
- Enfin en ce qui concerne l’éducation hygiénique, l’étude à faire porte sur les devoirs des citoyens pour empêcher le développement et la propagation des maladies.
- Ce système d’éducation ne se rapporte pas à l’individu, mais au citoyen, pour lui faire surtout connaître ses devoirs envers ses concitoyens et les conditions auxquelles son union avec eux est possible. L’aspiration de l’homme à remplir consciencieusement son devoir est insuffisante sans l’instruction qui lui en donne la connaissance parfaite, et qui lui enseigne le moyen de s’en acquitter. Or il semble que c’est seulement par des associations comme celles des coopérateurs que cette éducation du citoyen
- peut être répandue parmi les grandes masses du peuple travailleur. Ceux qui rêvent la reconstruction de la vie industrielle par l’union du capital et du travail reconnaîtront aisément que cette éducation est le préliminaire indispensable de la réalisation de leur plan.
- Si cette grande tâche doit être un jour remplie, si l’ouvrier doit exercer un jour utilement ses droits de citoyen en acquérant l’instruction nécessaire au bon fonctionnement de son pouvoir politique, c’est grâce aux Sociétés coopératives qui se chargeront de cette éducation qu’elle pourra produire ses résultats.
- Un autre rapport rédigé par M. Jones débute en rappelant que les coopérateurs ont reçu beaucoup d’éloges pour avoir consacré tant de temps, de travail et d’argent à l’éducation. La somme supposée consacrée à cela est de 2 1/2 des bénéfices nets; mais en réalité, l'on n’y a employé qu’un peu moins de 1/2 pour cent. Ainsi en 1880, la dépense de ce chef a été de 347,500 francs, tandis qu’à raison de 2 1/2 pour cent elle aurait dù être de 1.250.000 francs. Cela tient à ce que beaucoup de sociétés ne contribuent pas pour leur quote-part à l’œuvre commune. Çent environ seulement ont des bibliothèques ; 120 possèdent des salles de lecture; 9 ou 10 ont des écoles et 8 ou 9 des classes scientifiques, mais 679 sociétés ne font aucun prélèvement pour cet objet, peut-être parce qu’il est aujourd’hui reconnu que l’instruction primaire ou élémentaire est du domaine de l’Etat qui a le devoir de la donner libéralement à tous, et que pour bien des gens elle suffit aux besoins.
- Mais il est une seconde branche d'éducation, l’instruction technique ou spéciale, qui n’est pas moins essentielle que l’instruction primaire; c’est elle qui peut seule donner à chacun les notions indispensables pour bien faire son métier, et c’est pour cela que nos manufacturiers font tout ce qu’ils peuvent pour la procurer à leurs ouvriers, comprenant tout l’avantage qu’ils en peuvent retirer. Les coopérateurs ont autant besoin d’instruction technique, en matière de coopération, que qui que ce soit pour l’exercice’de sa profession. Ils ont besoin de connaître les principes et la pratique de la coopération, non-seulement pour celles de ses branches qui ont déjà été exploitées mais pour celles qui devront l’être à l'avenir, et à cet égard le témoignage du professeur Stuart à Glon-cester est concéluant. « Si la masse de vos membres, dit-il, n’est point suffisamment instruite sur toutes ces choses, il y a là un danger réel pour le mouvement coopératif; votre nombre devient un obstacle, vos possessions constituent un péril, et vos efforts dans la 'production continueront à échouer comme cela est arrivé trop souvent jusqu’à présent. L’édu-
- p.452 - vue 453/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 453
- cation est désirable pour tout le genre humain, mais c’est une question vitale pour les coopérateurs. »
- Ceux qui sont safisfaits des résultats obtenus doivent se persuader que pour que ces résultats durent et se perpétuent, il faut qu’ils soient développés par le progrès des efforts pour atteindre les sphères plus élevées de la coopération. Jusqu’à présent l’on n’a pas pu faire entrer en ligne décompté dans le budget domestique du travailleur les dividendes fournis par les affaires de la coopération ; il faut les rendre tellement certains et assurés, qu’iis puissent désormais compter dans les calculs des ressources du ménage.
- Il faut ou progresser ou se résigner à reculer, et pour avancer toujours, rien n’est plus utile que de toujours s’instruire.
- Tout ce qui a été fait dans ce sens, l’a été un peu à l’aventure et sans règles. On a créé le Coopérative News, fait des traités de coopération, et tenu des congrès, des conférences et des réunions publiques. Mais le journal tire à 25.000 exemplaires pour 600.000 familles de coopérateurs ou soit plus de 3 millions d’hommes, femmes ou enfants. Les traités n’ont été tirés qu’à 161.000 exemplaires ou soit un exemplaire pour chaque groupe de quatre familles, et la moyenne des membres qui assistaient aux Congrès ou autres réunions est d’environ quatre personnes par société.
- Le moyen de combler cette lacune serait de créer des cours de coopération, à proximité des magasins coopératifs, que pourraient suivre librement les membres et leurs enfants. Des professeurs de bonne volonté les feraient gratuitement, et au besoin l’on a assez de fonds pour pouvoir rétribuer les maîtres. Les cours commenceraient à l’automne pour finir au milieu du printemps. Les garçons et les filles seraient encouragés à les suivre par une foule de moyens, et ce serait pour eux un grand bienfait à l’heure où ils se lanceront dans le monde pour y gagner par eux-même leur subsistance. Des examens auraient lieu et des prix pourraient être décernés, sans que tout cela entraînât à de bien grands frais.
- Il appartient au Congrès d’exprimer son avis sur ces propositions en songeant que de ses décisions dépend l’avenir de l’action coopérative dans le pays. Le besoin d’un système d’éducation approprié aux circonstances est plus intense que jamais, puisqu’il est évident que le progrès intellectuel accompli n’est pas suffisant pour faire sentir aux coopérateurs le meilleur emploi à faire de leurs capitaux accumulés. Le développement de notre cerveau doit être en rapport avec celui de notre fortune que nous finissons par ne pas savoir employer utilement. Il est temps f de renoncer aux procédés anciens, qui font que chacun !
- ne vit que pour soi, et de se convaincre que le meilleur moyen de travailler dans son intérêt est de concourir de son mieux au bien de tous, et que dans cette voie l’argent que l’on dépense n’est jamais mal employé.
- La discussion renvoyée au mercredi, est soutenue par Mess. Lloyd Jones, Fennell, etGfrabtrée qui propose de renvoyer les deux rapports au Comité du Congrès, pour examiner à fond les voies et moyens, et rédiger un travail d’ensemble qui sera communiqué aux diverses sociétés, qui pourront mieux baser de la sorte leurs décisions au sujet de l’éducation coopérative. Cette motion est appuyée parla plupart des orateurs assez nombreux qui se succèdent à la tribune, et elle est votée par le Congrès.
- L’ordre du jour appelle ensuite la discussion de la question des revenus du Comité central, précédée de la lecture d’un rapport de M. John Allau.
- {A suivre).
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- /
- La fête nationale et l’inauguration de l’Xïôtel-tle-Ville. — Il est certain dit le « Temps », tout esprit de parli mis à part, et en considérant exclusivement le fait — que les fêtes publiques actuelles présentent un aspect différent de celui qu’elles avaient sous les régimes antérieurs. Depuis le commencement du siècle jusqu’en 1877, les fêtes nationales ont eu presque exclusivement un caractère officiel. On s’amusait par ordre. Toute l’ordonnance de la fête se trouvait réglée administrativement. C’était affaire des bureaux. La population se contentait d’accepter les plaisirs et les spectacles qu’on lui offrait, mâts de cocagne, revue, illuminations des édifices publics, joutes sur l’eau, feux d’artifice, etc..., mais sans prétendre à un autre rôle qu’à celui de simple spectateur. Nulle spontanéité,nulle initiative de sa paît.
- Les choses se passent, à cette heure, tout différemment. Depuis quelques années, depuis cette première fête si spontanément organisée par la population parisienne, sans distinction de classes, et qu’on a appelée la fête des drapeaux, les fêtes du 14 juillet sont devenues, à Paris et dans la plupart des communes grandes et petites de France, l’affaire des habitants. Le rôle et l’action de l’autorité se trouvent subordonnés à ceux des citoyens. Ce n’est plus le gouvernement qui règle les plaisirs publics, c’est le public lui-même qui devient l’acteur principal dans l’organisation de la fête nationale. C'est lâ un fait qui a sa valeur et sa signification. Cette modification dans le caractère des fêtes publiques
- p.453 - vue 454/836
-
-
-
- 454
- LE DEVOIR
- ne saurait être tenue pour indifférente. Elle constitue, dans une certaine mesure, un des indices de cette tendance des générations nouvelles à se dégager des lisières gouvernementales et à agir par elles-mêmes,qu’il s’agisse de leurs plaisirs ou de leurs affaires. Ce n’est point nous qui nous plaindrons de ce développement de l’esprit d’initiative chez les citoyens, esprit que les institutions républicaines ont précisément pour objet de favoriser et sans lequel un peuple ne parvient jamais à donner sa mesure,
- Une circonstance exceptionnelle, — Vinauguration du nouvel Hôtel-de-Ville, — a ajouté à la fête de cette année un attrait particulier. Cette inauguration,venant au moment où commençait la fête nationale, a marqué que des liens étroits lient les destinées du pays tout entier aux destinées de la capitale. En voyant s’asseoir à la table du banquet municipal toutes les notabilités du monde politique, les ambassadeurs, les maires des grandes villes de France,les représentants des municipalités étrangères, on a pu se rendre compte de la place considérable qu’occupe dans le mode la grande cité parisienne. Rien de ce qui touche à Paris ne laisse indifférent non seulement la France, mais l’Enrope. L’établissement d’un hôtel de ville à Paris semble ne constituer qu’un intérêt local, et il se trouve que, sans qu’on y fait effort, cet événement prend les proportions d’un intérêt général, d’un intérêt européen. Le chef de l’Etat, les ministres, toutes les sommités administratives dans les diverses branches de l’activité nationale : industrie, sciences, arts, etc..., les représentants des nations étrangères viennent attester, par leur présence à l’inauguration de notre édifice municipal, que Paris, malgré bien des fautes et des revers, n’a rien perdu de son attrait sur les esprits et de son empire moral sur le monde.
- *
- 4 4
- Affaires d’Egypte. — On écrit d’Alexandrie au « Temps » :
- Il est peu de personnes, parmi celles dont le jugement fit autorité, dont l’indépendance de situation et de caractère met l’impartialité hors de doute, qui se trompent le moindrement sur l’intime connexité qui existe entre les événements qui ont amené Arabi à la véritable dictature qu’il existe aujourd’hui, au nom de l’armée, et l’horrible tragédie du 11 juin. Si une enquête sérieuse était possible, la comparution de quelques-unes de ces personnes, dont je dois provisoirement taire les noms, établirait bien vite cette connexité. Voici, d’après les renseignements dont j’ai pu recueillir, dans plusieurs conversations confidentielles, la liaison des faits qui ont abouti à l’étrange formation du ministère Ragheb.
- La «journée » du 11 juin a été préméditée, discutée, combinée au Caire, entre Arabi-Pacha, les ex-colonels Toulba et Aly-Fehmy, l’agitateur Hassan Moussa-El-Assah, et le sinistre personnage Saïd-Bey Kandil, qu’A-rabi avait récemment envoyé à Alexandrie comme préfet de police. Voyant les démarches platoniques que les
- consuls faisaient auprès de lui, sous prétexte de Je rendre responsable de l’ordre public, Arabi a pensé qu’il y avait là une situation à exploiter, d’autant plus que certains consuls généraux disaient déjà que, en défini-tive, ils n’avaient pas à s’immiscer dans des questions de politique intérieure, et qu’il fallait aller au gouvernement de fait, à la force, c’est-à-dire à Arabi. Le plan soufflé à Arabi par Toulba était de forcer les consuls à accentuer cette situation, et par le moyen d’un émeute, d’une rixe, de transformer Arabi en sauveur de la patrie, en restaurateur de l’ordre public.
- Dans ce but, on a mis à profit les allocutions fanatiques qui se prononçaient dans les mosquées pour exciter à la haine de l’Européen, et les conférences incendiaires données par un journaliste, directeur du Taïf, dans des réunions privées. Les esprits ont été montés à point, et le mot d’ordre a été donné de se tenir prêt à une manifestation patriotique. Moussa-El-Assad, qui tenait les fils de l’intrigue, a été chargé de donner le signal du mouvement. Il a quitté le Caire, le dimanche 11 juin, par le train de huit heures; et, à une heure après midi, il était à Alexandrie. A trois heures, trois groupes d’une centaine d’Arabes devaient partir de trois points différents de la ville, se grossissant, sur leur route, de centaines de fanatiques qu’ils appelaient à « la guarre. » La première rixe a eu lieu rue des Sœurs. Là se place l’histoire du Maltais, qui aurait attaqué un Arabe et dont on a fait la cause première des massacres qui ont suivi. CeMaltais, injurié, menacé par quelques Arabes précédant la bande qui s’acheminait par la rue des Sœurs, sur la place des Consuls, a, en effet, grièvement blessé l’un d’eux. L’étincelle qui devait allumer l’incendie était partie. Mais la rixe a dégénéré en massacre, et l’on connaît ce qui en est résulté.
- *
- 4 4
- Les forts d’Alexandrie n’existent plus ; en quelques heures le canon des cuirassés anglais en a fait un tas de décombres. Certain que, contrairement aux engagements pris, les travaux de fortification continuaient, l’amiral Seymour, vingt-quatre heures après son ultimatum, a ouvert le feu. Aucun Européen ne restait à Alexandrie, tous les navires avaient quitté le port. L’Angleterre a fait savoir à toutes les puissances qu’elle entendait ne faire qu’un acte de défense, et non un acte d’intervention, aussi respectueuse après qu’elle l’était auparavant des décisions de la Conférence. La Conférence a dû inviter officiellement le Sultan à intervenir, mais au nom de l’Europe ou du moins de concert avec elle. Il est douteux que la destruction des forts décide Abdul-Hamid au rôle difficile et dur qu’on lui propose. Commandeur des Croyants, chef de l’islamisme, comment pourrait-il réprimer par les armes des Musulmans qui n’ont fait, après tout, que se soulever contre les infidèles ? S’il refuse, à quelles résolutions s’arrêtera la Conférence? On verra plus loin que toutes les Sociétés anglaises de la paix désapprouvent la moindre intervention dans la politique intérieure de l’Egypte, Intervenir
- p.454 - vue 455/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 455
- pour défendre le canal de Suez, oui, bien, mais intervenir dans l’intérêt des créanciers de l’ancien khédive, non pas. C’est que la dette s’élève au chiffre formidable de cent millions de livres sterling ; c’est qu’elle a pour origine le faste extravagant, les prodigalités, les débauches du khédive précédent ; e%est que le Contrôle financier anglais et français, créé pour tirer du peuple le paiement de cette usure formidable, dépense chaque année plus de quatre millions de francs pour le salaire de 1350 employés, tous étrangers ; c’est qu’il serait monstrueux de faire couler le sang pour maintenir ou restaurer cette machine effroyable. L’Egypte aux Egyptiens ! Nous avons été des premiers à poser cette maxime, et nous la répétons; mais où sont les Egyptiens, et qui les représente ? Quel est le vrai rôle d’Arabi ? Agent secret de M. de Bismarck? Fanatique sincère? Ambitieux égoïste? Soldat brouillon? Démocrate et patriote dévoué? Une chose paraît certaine, c’est qu’il a préparé, machiné, ordonné le massacre d’Alexandrie. Tout le bien que M. de Lesseps pourra dire de lui n’effacera point cette infamie. Trois points se détachent jusqu’ici dans cette triste question égyptienne : favoriser sincèrement, efficacement l'émancipation, du peuple ; réduire la dette, neutraliser le caaal de Suez.
- (Etats-Unis d'Europe),
- *
- * *
- Le Phare de la Loire résume en cinq lignes la politique que doit suivre la France :
- ff« Par la paix la France usera la guerre ; par la paix elle ruinera la fausse politique de Bismarck; par la paix elle délivrera l’Alsace et la Lorraine; par la paix elle prendra sa vraie revanche ; par la paix elle ralliera l’Europe. »
- ANGLETERRE
- La fièvre belliqueuse qui depuis trois semaines semble animer l'Angleterre n’a point tardé à faire naître une heureuse et légitime réaction. Quatre sociétés de la paix, la Peace Society, la Workmen's Pea.ce Association, VAntiaggression League et l'International ArUtrolion and Paece Association, se sont déclarées contre la politique d’intervention qui, suivant elles, a été la cause principale des troubles égyptiens.
- Voici l’excellente résolution que Y Internationale ArH-Iration and Peace Association vient d’adresser au comte Granville :
- « L’association, persuadée que les difficultés qui s’élè- ] vent actuellement en Egypte sont nées en grande partie ! de l’ingérence de l’étranger dans l’administration inté- j rieure de ce pays, et considérant que hors la protection ! de ses nationaux le seul intérêt légitime permanent que ] la Grande-Bretagne ait en Egypte est la protection du 1 canal de Suez, cette grande voie de communication inter- ‘ nationale, sans préjuger la décision que prendra la Gon- i férence touchant la crise immédiate, invite respeclueu- ] sement le gouvernement de Sa Majesté à faire des efforts '•
- pour assurer l’adoption définitive d’une politique (le non intervention dans l’administration intérieure del’Egypte, et l’institution des garanties qui maintiennent le canal de Suez à l’état de grande voie de communication ouuerte en tout temps à toutes les nations.
- Signé : Hodgson Pratt, président du Comité exécutif ; Aubrey, trésorier ; "William Philipps, E. Martin, Gel-dardt, Lewis Appleton, secrétaire.
- ITALIE
- De graves désordres ont eu lieu dimanche à Livourne lors de la commémoration en l’honneur de Garibaldi. Une couronne avec un rub m rouge portant une inscription « séditieuse » de laquelle les gendarmes ont essayé de s’emparer a été la cause d’une véritable lutte entre les popolani et la gendarmerie. Celle-ci ayant tiré avec ses revolvers à bout portant sur les membres du comité populaire, on riposta à coups de pierres. Les gendarmes firent usage de leurs sabres, mais ils furent forcés de reculer jusque devant leur caserne en relâchant leurs prisonniers. Beaucoup de blessés de part et d’autre et ensuite de nombreuses arrestations. Tout cela par le trop grand zèle de la police, si.l’on peut appeler zèle de telles violences. Il va s'en dire que le tort sers toujours du côté du côté du peuple jusqu’à ce qu’il apprenne à faire valoir sa volonté souveraine contre ceux qui foulent aux pieds ses droits inaliénables» A. U.
- * *
- L’empire allemand fournit à la turquie des instructeurs militaires ; la République française fournit à la Grèce des ingénieurs qui vont y organiser les travaux publics. Contraste éloquent. Qui a la meilleure part ? la Grèce ; et le plus beau rôle ? la France.
- «
- * ¥
- Le patriotisme épiscopal. — On sait que l’architecte départemental d’Angers, se retranchant derrière la circulaire de M. Freppel, a donné sa démission pour ne pas pavoiser l’évêché à l’occasion de la fête du 14 juillet.
- Le Patriote d’Angers raconte que jeudi soir, sur les cinq heures, des o avriers se sont mis à orner l’évêché de drapeaux tricolores en en garnissant la grille.
- M. Freppel arrivait précisément à ce moment de Paris.
- Le Patriote ajoute que l’évêque a tenu à protester; mais on a passé outre.
- La foule s’est amassée pendant ce temps devant le palais épiscopal.
- Le lendemain 14 juillet, on a apposé aux grilles de l’évêché des verres de couleur pour les illuminations du soir. L'Etoile, journal clérical d’Angers, annonce que l’évêque a fait signifier par huissier la sommation suivante à M. Devanlay, l’entrepreneur qui s’était chargé de décorer l’évêchô :
- L’an mil huit cent quatre-vingt-deux, le treize juillet, à ia requête de M. Charles-Emile Freppel, évêque d’An-
- p.455 - vue 456/836
-
-
-
- 456
- LE DEVOIR
- gers, demeurant dite ville, pour lequel domicile est élu en l’étude de Me Soudée, avoué près le tribunal civil de première instance d’Angers, demeurant dite ville, rue Desjardins.
- J’ai, Henri Paulin, huissier près le tribunal civil d’Angers, audiencier à la cour d’appel de cette ville, y demeurant, rue des Poèliers, 24, soussigné.
- Fait sommation à M. Devanlay, négociant, demeurant à Angers, rue Bodinier, en son domicile où étant, et parlant à la personne de son épouse ainsi déclarée,
- De :
- Attendu que plusieurs individus se disant ouvriers dudit sieur Devanlay, se sont permis ce jourd’hui, vers les six heures du soir, d’attacher à la grille du palais épiscopal des emblèmes et ornements divers ;
- Qu’ils ont fait ce travail sans obtenir au préalable l’assentiment de mon requérant ;
- Que ce fait constitue une atteinte aux droits que Mgr Freppel tient de la loi sur l’édifice affecté à sa demeure ;
- D’enlever immédiatement lesdits emblèmes et ornements, le requérant se réservant tous droits et action contre l’auteur dudit trouble ;
- Dont acte. Sous toutes réserves les plus expresses et les plus amples.
- A ce qu’il n’en ignore.
- Et j’ai, domicile et parlant comme ci-dçssus laissé copie du présent exploit sur une feuille de timbre spécial à soixante centimes.
- Paulin.
- Enfin une dépêche du Figaro annonce que l’évêque a assigné M. Devanlay devant le tribunal civil.
- M. Freppel a eu des imitateurs dans son département. Dans deux communes de Maine-et-Loire, les curés ont refusé de laisser pavoiser l’église.
- A Brissac, le maire ayant voulu apposer un drapeau sur le clocher, le curé a fait fermer l’église.
- Les sapeurs-pompiers ont été appelés; ils ont escaladé le clocher et y ont arboré les couleurs nationales. Les drapeaux qui avaient été apposés à l’extérieur du portail du presbytère ont été enlevés par les agents du curé.
- A Juigné-sur-Loire, le maire ayant manifesté l’intention d’orner la façade de l’église d’un drapeau, le curé s’est retranché derrière la circulaire de son évêque, M. Freppel. Nous détachons de sa réponse les lignes suivantes :
- Je regrette, monsieur le maire, que vous ne m’ayez pas fait plus tôt part de vos intentions. Je vous aurais fait connaître immédiatement les instructions de l’évêque. Du reste, comme la fête du 14 juillet est, à Juigné, renvoyée au dimanche 16 juillet, il n’y a pas péril en la demeure. Vous avez encore le temps d’écrire à l’évèché pour obtenir les modifications que vous désirez aux prescriptions épiscopales, et je m’empresserai de faire peur la fête de dimanche, tout ce qui sera marqué dans la réponse que vous aurez reçue. Pour éviter le plus léger | retard, vous pourriez aller vous-même formuler de vive !
- voix votre demande et rapporter la réponse écrite de l’évêché...
- Le maire de Juigné, dit le Patriote de l'Ouest, a répondu qu’il n’avait pas à subir le bon plaisir de M. Frep. pel, et qu’il réglerait sa conduite sur les instructions du ministre des cultes.
- DE
- L’ASSOCIATION AGRICOLE DE RALAHINE
- CHAPITRE XXIY (1)
- Dissolution en pleine prospérité
- Certes les espérances des associés étaient légitimes. Un heureux avenir leur semblait définitivement assuré. Mais ces rêves d’un jour furent brisés par une calamité soudaine et leurs cris de joie se changèrent en cris de douleur, quand ils lurent dans les journaux un fait annoncé en gros caractères :
- « Disparition de M. Vandeleur »
- Par une tendance déplorable et héréditaire, M. Vandeleur était joueur. Il ensevelit à Dublin dans ce qu’on appelle « dettes d'honneur » tout ce qu’il possédait ; puis n’entrevoyant aucun moyen d’éviter la honte et l’opprobre, il s’arrangea de façon à disparaître sans qu’on sût ce qu’il était devenu.
- La nouvelle de cette disparition arriva à Ralahine comme un coup de tonnerre. Au premier abord, les associés stupéfaits n’embrassaient point les conséquences de cette fuite. Mais bientôt la vérité se fit jour et l’on vit toute la population, même des hommes robustes, se lamenter avec désespoir. Ce peuple, enfant dans les manifestations de sa douleur, ne pouvait exprimer sa détresse que par des larmes, comme à la mort des aimés de la famille.
- Ces lamentations poussées par des groupes que la nuit ne put séparer, étaient des plus désespérantes, des plus cruelles à entendre. Dans l’état d’esprit où se trouvait M. Craig, avec toutes ses espérances brisées, tous ses efforts rendus sans objet, avec la responsabilité écrasante qu’il reconnaissait ^devoir prendre concernant le remboursement des bons de consommation restés aux mains des associés, les cris de tous ces pauvres gens lui jetaient l’agonie
- (1) Voir « le Devoir » des 2, 9, 16, 23, 30 avril; 7, 21, 28 mai; 4,11, 18, 23 juin;2, 9 et 16 juillet 1882.
- p.456 - vue 457/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 457
- dans le cœur. Il passa la nuit dans une angoisse profonde, et bien qu’il ne fût âgé que de 29 ans, le lendemain matin ses cheveux étaient tout gris.
- Le domaine était considérablement amélioré ; les champs étaient pleins de promesses de prospérité ; six bâtiments nouveaux avaient été édifiés ; et l’état intellectuel et moral de la population était parfait comme il a été dit. Mais de tous ces biens rien ne comptait plus : la coopération sociale à Ralahine avait vécu.
- Vainement les associés avaient acquitté toutes les charges prescrites par leur contrat avec M. Vande-leur; la législation anglaise était telle alors, que l’association de Ralahine n’avait point d’existence légale.
- , M. Vandeleur fut déclaré en faillite et les hommes de loi firent leur apparition sur le domaine. Ils ordonnèrent à M. Craig de leur remettre tous livres et documents quelconques appartenant à M. Vandeleur.
- M. Craig protesta contre ces agissements. Mais tout ce qu’il obtint fut qu’on prît acte de sa protestation. Les choses n’en suivirent pas moins leur cours. On dressa l’inventaire de tout ce qui constituait l’Association; pas un objet ne fut omis. Disons de suite que le fils de John Scott Vandeleur, Arthur Vandeleur, qui avait trois ans à l’époque de la disparition de son père, paya plus tard, lorsqu’il eut âge d’homme, toutes les dettes de John Scott Vandeleur.
- En attendant l’ancien état de choses était remis en vigueur à Ralahine.
- Grâce à l’association, aujourd’hui détruite, chacun des travailleurs avait épargné une certaine somme en bons de consommation, de sorte que les anciens associés n’étaient point absolument dénués de toute ressource.
- Ils avaient entre les mains à peu près la moitié de la somme mise en circulation, soit 625 francs. Malheureusement, la société de Ralahine avait émis des » bons à payer sur demande » sans avoir aucun dépôt de valeur réelle pour donner consistance à ces bons. C’était là une grosse faute et dont M. Craig sentit lourdement le poids. Au moment de la débâcle, il se produisit à sa caisse une sorte de course au remboursement des bons ; ses ressources personnelles furent vite épuisées et la panique s’empara alors des associés qui n’avaient pu échanger leurs bons de consommation.
- M. Craig était résolu à opérer ces remboursements au complet, afin de prévenir tout désappointement chez les anciens associés et toute récrimination contre le principe d’association.
- Pour rembourser l’intégralité des bons émis, il dut contracter un emprunt. Enfin l’opération fut complète. Pas un seul bon n’avait été perdu ou détruit.
- Les livres de la comptabilité étant en règle, M. Craig les remit au banquier à Limerick; et ne 'garda par devers lui que les pièces justificatives du travail qu’il avait accompli, ainsi que les notes et documents d’après lesquels il a pu retracer tout au long la présente histoire.
- Son œuvre étant terminée il se décida à quitter le domaine, où les procédés d’autrefois remis en vigueur suscitaient déjà les mômes causes de gaspillage et de révolte.
- Au moment du départ de M. Craig, le 23 novembre 1833, les anciens associés désireux d’exprimer leurs sentiments sur l’association et sur les bienfaits dont ils avaient joui, tinrent une assemblée générale dans laquelle fut adoptée et signée la déclaration suivante :
- « Nous, soussignés, membres de l’association « coopérative agricole de Ralahine, avons joui ces « deux dernières années du contentement, de la « paix et du bonheur, sous le régime des arrange-« ments pris entre M. Vandeleur et M. Craig.
- « Au début, nous avons fait opposition aux plans « proposés par ces messieurs, mais la mise en pra-« tique de ces plans amena bientôt l’amélioration de « notre condition, la satisfaction plus régulière de « nos besoins et la transformation complète de nos « sentiments.
- « Les pensées de jalousie, de haine et de ven-« geance qui nous animaient autrefois, firent place « à la confiance, à la bienveillance et à l’affection.
- « Les conférences données en vue de notre pro-« grès par M. le Président et par M. Craig ont « exercé sur nos esprits une bonne influence. Enfin « les opérations pratiques de la Société ont donné « d’excellents résultats, grâce à la sagesse des « règles statutaires dressées au début de la Soft ciété. »
- Si nous examinons ce qu’est aujourd’hui le Comté de Clare et le domaine de Ralahine, nous y trouvons la répétition des scènes d’autrefois, scènes qui désolent aujourd’hui encore la terre d’Irlande.
- Le Comté de Clare a été un des premiers où les mesures de rigueur furent de nouveau appliquées. A l’heure actuelle, 1881, on y relate plus de meurtres que dans aucune autre partie de l’Irlande.
- Si le lecteur veut bien se reporter aux conditions terribles qui existaient à Ralahine et dans tout le pays avant l’inauguration de l’Association, et les
- p.457 - vue 458/836
-
-
-
- 458
- LE DEVOIR
- comparer à la paix et au bien-être qui ont prévalu tant qu’a duré la Société, il pourra voir combien plus efficace serait la poursuite des avantages physiques et moraux d’une nouvelle organisation sociale, que la continuation de la guerre actuelle entre des intérêts opposés et des passions surexcitées.
- FIN
- 'wwecOOCPPeu—-
- CAUSERIE ANTICATHOLIQUE & RELIGIEUSE
- La Religion de l’avenir
- Avant de quitter la capitale, j’eus avec mon ami un dernier entretien ; nous abandonnâmes cette fois le terrain de la critique religieuse, pour nous livrer aux spéculations philosophiques, pouvant éclairer les problèmes encore si pleins d’ombre, touchant Dieu, l’âme et son immortalité.
- A mon arrivée, je trouvai Charles, sombre, taciturne, rêveur.
- Cela fait mal, me dit-il, de trop penser, surtout lorsqu’on est forcé de reconnaître que plus on pense, plus l’abîme se creuse, et plus l’on voit reculer les bornes qui vous séparent de cette chimère insaisissable qui s’appelle la vérité. Aujourd’hui, en matière religieuse, la masse , profondément ignorante est fanatique et croit aveuglément; si vous l’instruisez, demain elle sera sceptique et ne croira plus à rien. Cette alternative m’effraie, et parfois je me surprends à maudire la marche envahissante du progrès; et je me demande, en présence du ravage des doctrines matérialistes, lequel des deux est le poison : De la science ou de l’ignorance.
- Je sens que Dieu existe et que l’immortalité de l’âme est une vérité, j’ai la certitude que les étoiles qui brillent au firmament sont habitées comme notre terre, et que nous irons continuer notre destinée dans quelques-uns de ces mondes qui peuplent l’espace; j’ai une foi profonde dans ces grandes vérités, et pas de preuves à l’appui de cette thèse, c’est-à-dire pas de moyens possibles d’arrêter le torrent du matérialisme, pas de base pour édifier une nouvelle croyance sur les ruines du vieux catholicisme. Maudite soit la science, qui est impuissante à soulever le voile qui nous cache le secret de nos destinées futures ; maudit soit le progrès qui n'a pas fait avancer d’un pas les importantes questions qui ont trait à la paix des nations et au bonheur des humains, et qui n’a pas éclairé d’une lueur l’éternel problème de l’existence de l’àme et de son immortalité.
- J’arrêtai mon ami sur cette pente fatale de l’apathie et du découragement.
- Je reconnais avec vous, Charles, que les p]us beaux raisonnements seront impuissants à triompher de la fièvre du scepticisme qui dévore notre siècle, qu’il ne suffira pas de dire : Dieu existe, l’àme est immortelle, pour que ces grandes vérités pénètrent les masses et servent de fondement à une philosophie nouvelle; mais cet état de choses est loin de me désespérer. Tant mieux si l’homme ne croit plus aux erreurs du passé, tant mieux si le doute assiège son âme, et si la fièvre du scepticisme a ravagé son cœur; cela prouve qu’il a appris à raisonner, que la science a illuminé son intelligence, qu’il sait distinguer le bien d’avec le mal, le vrai d’avec le faux; le jour oâ nous aurons quelque chose do vrai, de positif à lui offrir, il l'acceptera avec empressement ; car si son esprit a eu le flair de distinguer l’erreur et de l’abandonner, il saura bien, le jour venu, reconnaître la vérité et l’accepter.
- — Je désire que vous disiez vrai; mais où trouverez-vous les preuves tangibles, irréfutables de ces grandes vérités, seules capables de servir de base à une religion nouvelle,et de donner une foi au monde. Vous vous servirez d’arguments plus ou moins captieux ; pour des questions de cette nature, les arguments sont sans valeur; les faits seuls peuvent engendrer la certitude. Quand vous établiriez de la façon la plus concluante que ces croyances furent celles de tous les grands génies de l’humanité, que Socrate croyait à l’immortalité, et Christ à la pluralité des existences ; quand vous prouveriez que depuis Confucius, le législateur religieux de la Chine, jusqu’à Victor Hugo, notre grand poète contemporain, tous les esprits supérieurs ont affirmé ces grandes vérités, et ont conservé jusqu'à leur dernier soupir une foi inébranlable dans la continuation de la vie au- delà de la tombe, vous n’auriez pas, malgré tous vos efforts, réussi à ébranler un seul matérialiste, et leur scepticisme railleur continuerait à vous déconcerter comme par le passé.
- Ecoutez le défi jeté par Littré à la face de tous les croyants, et dites-moi ce que vous avez à opposer à cette déclaration du père du matérialisme moderne.
- « Aussi curieux que nos adversaires des secrets d’outre-tombe et d’outre-monde, nous avons cherché et notre curiosité n’a jamais obtenu de résultats. Ce qui est au-delà des faits et des lois, le fond de l’espace sans bornes, l’enchaînement des causes sans termes, est absolument inaccessible à l’esprit humain. »
- — Votre raisonnement est inattaquable, et on ne passerait pas une pointe d'aiguille entre les trames
- p.458 - vue 459/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 450
- serrées de votre argumentation. Oui, le règne de la foi aveugle et de l’obscurantisme est passé, place au règne de la raison et du positivisme, qui préfère les doctrines désespérantes du néantisme à une foi qui n’est pas appuyée sur des preuves irréfutables. Je suis de votre avis, sans preuves on ne peut rien fonder, et les raisonnements les plus spécieux sur cette matière sont sans aucune valeur.
- je constate que vous avez une foi inébranlable en l'immortalité de l’âme et en la pluralité des existences; mais je constate également que vous êtes fortement convaincu qu’il n’y a pas de preuves autres que des arguments à donner de ces grandes vérités. Votre conviction à cet égard me parait si fortement fixée que je désespère d’arriver à la modifier autrement qu’en vous mettant sous les yeux quelques-unes de ces preuves que vous regardez comme impossibles à donner. Vous niez catégoriquement, c’est votre droit ; mais si pourtant, vous vous étiez trompé, si ces preuves, que vous ne soupçonnez pas, existaient; si cette âme, à laquelle vous, nature supérieure, vous croyez; mais que notre siècle nie, parce que nos savants dissecteurs ne l’ont jamais sentie frisonner sous la pointe de leur scalpel, je vous la montrais vivante, après la mort de son corps terrestre.
- Réfléchissez bien avant de vous prononcer, et calmez 1 impatience que vous avez de me répondre.
- — Persuadé à l’avance que ce que vous allez me dire est incapable d’éclairer d’une lueur cette mystérieuse question, ma réponse est toute prête.
- — Veuillez donc m’écouter avec attention, continuai-je sans me laisser déconcerter par cette réplique pleine d’assurance, quand vous m’aurez entendu, vous pourrez vous prononcer en connaissance de cause.
- Je désirerais savoir ce que vous pensez des relations étranges qui abondent dans l’iiistoire, racontant, les unes, des cas d’apparitions ; les autres, faisant le récit de bruits inexplicables, de coups frappés en dehors de toute intervention humaine ; comment expliquez vous les faits de double vue et de lucidité de nos somnambules, les rêves réalisés, les pressentiments et mille autres faits étranges étudiés aujour-hui par le Spiritisme moderne; tels que, l’écriture directe de Slade, et le merveilleux phénomène des tables tournantes, autour desquelles les esprits les Plus distingués de notre siècle, la spirituelle Mme de G-irardin, pour ne citer qu’un nom, n’ont point dédaigné de s’asseoir. Classez-vous tous ces faits, dont ^ plupart sont attestés par des témoins historiques j d une grande valeur, et d’autres par des contempo- j
- rains dignes de foi, au nombre des légendes ; les croyez-vous tous, ou l’œuvre d’hommes fourbes et menteurs, ou d’individus abusés par une imagination surexcitée et victimes de leur trop grande crédulité.
- Cette altercation à brûle-pourpoint déconcerta mon interlocuteur, et, contre mon attente, ce ne fut point un sourire railleur, accompagné d’une vive réplique qui l’accueillit, mais un examen sérieux, qui ne dura pas moins de dix minutes, pendant lesquelles nous gardâmes tous deux le plus profond silence.
- — Je ne les crois pas tous faux, se hasarda-t-il enfin à me répondre, mais je crois que les 3/4 au moins sont dus à l’une des deux causes que vous venez de signaler : La fourberie ou l’excès de crédulité.
- — Votre réponse me satisfait au-delà de mes espérances ; vous m’accordez qu’un quart de ces faits peuvent être dus à une intervention occulte, c’est beaucoup plus qu’il ne m’en faut pour établir mon argumentation ; car s’il est bien prouvé qu’un seul soit réel, authentique, la véracité d’un seul entraîne la possibilité de tous les autres. Dès lors qu’un seul fait s’est prodüit qui soit le résultat d’une force inconnue, il y a des lois qui les régissent et par conséquent une science à découvrir.
- Je veux avec vous, que ceux qui de nos jours se livrent à cette étude prennent souvent l’ombre pour la réalité, et présentent comme phénomènes d’outretombe des relations qui n’en ont nullement le caractère, ceci ne prouve rien contre l’existence des faits réels. Que les savants, moins dédaignenx, au lieu de nier systématiquement, se livrent donc à l’observation de ces phénomènes ; s’ils manquent de confiance dans les sociétés qui s’y livrent aujourd’hui, qu’ils les dérobent aux mains inexpérimentées qui n’ont pas encore pu découvrir les lois qui les régissent et qu’ils essaient de mieux faire ; s’ils s’abandonnent à ce travail sans parti-pris et s’ils y mettent la persévérance nécessaire, ils ne tarderont pas à être convaincus qu’il y a là les éléments d’une science inexplorée, et que les résultats de cette étude sont de nature à changer la face du monde.
- Je vais maintenant essayer de démontrer que le triomphe de la science des faits d’outre-tombe fera faire à la question sociale un b md prodigieux, et que le jour où les grandes vérités qu’eiie met à jour ne pourront plus être contestées, le rêve caressé par Fourier d’une humanité heureuse sera bien près de s’accomplir.
- En effet, s’il est prouvé que l’homme doive revivre et accomplir sur cette terre une série d’aller et re-
- p.459 - vue 460/836
-
-
-
- 460
- LE DEVOIR
- tour, s’il lui est nécessaire, pour atteindre le but de la vie, qui est la perfection, de tout connaître ; l’u-niversaiité des connaissances ne pouvant s’acquérir qu’à la condition de s’exercer à tous les travaux, de s’initier à tous les arts, de posséder toutes les sciences, il nous faudra nécessairement pour arriver à ce but passer par les conditions humaines les plus dissemblables, et parmi les mille étapes que nous aurons à parcourir, vivre tantôt dans le palais des rois, tantôt dans la mansarde de l’artiste, souvent dans le bouge où végète et soutire le prolétaire. En raison de cette loi, à laquelle nulle créature humaine n’a le pouvoir de se soustraire, n’avons-nous pas tous un intérêt immense à ce que les maladies, la misère, la guerre, et tous les autres fléaux qui accablent notre pauvre humanité, disparaissent au plus vite de sur notre planète ; n’avons~nous pas un intérêt capital à ce que le travail, qui seul peut transformer notre terre, aujourd’hui vallée de larmes, en un séjour de délices, soit glorifié, et à ce qu’ici-bas toutes les'pla-ces soient bonnes; et, lorsque nous manquons de nous conformer à la grande loi de solidarité qui doit unir tous les hommes, comment ne sentons-nous pas que nous forgeons des armes qui se retourneront fatalement un jour contre nous. L’homme convaincu de son immortalité, soit qu’il mène dans un palais une vie oisive et fastueuse, soit qu'il gagne en travaillant sans relâche le pain de sa famille, comprendra donc sans effort qu’il est de son intérêt individuel que la paix sociale règne sur la terre, que le travail y soit glorifié, et que tous, sans exception, y jouissent du bien-être minimum dù à toute créature humaine.
- Que sera la religion de l’avenir ?
- La religion de l’avenir glorifiera le travail, vénérera la science, qui est le chemin de la vérité, et se livrera à l’étude permanente des liens qui relient le monde terrestre avec celui d’outre-tombe, deux patries dont nous sommes les citoyens, et que nous sommes appelés à visiter alternativement. Etudier les lois qui régissent les communications entre ces deux mondes, c’est arrêter les progrès du matérialisme, qui est plutôt une protestation contre l’erreur qu’une doctrine pouvant tenir lieu de croyance religieuse, c’est rendre possible l’instauration d’une religion nouvelle sur les ruines du vieux Catholicisme, c’est préparer les voies de la religion de l’Avenir.
- Les hommes, qui dans un intérêt humanitaire se réunissent, se concertent, pour faire cesser la misère sur cette terre, en associant le capital avec le travail, font un acte de solidarité, et la solidarité est la plus belle des vertus religieuses, la religion
- étant le lien qui unit l’homme à Dieu et les hommes
- entre eux. Les savantsqui font progresser la science
- la vulgarisent et tâchent de faire servir ses mer* veilleuses découvertes au bien-être du genre humain sont de grands apôtres religieux, et je pressens qu’ils seront les prêtres futurs de l’humanité; car sans la science nous n’avons qu’une idée imparfaite de nos droits et de nos devoirs. Quant à ceux qui avec une persévérance à toute épreuve, se livrent à l’étude des phénomènes d’outre-tombe, et cherchent à démêler, en les observant attentivement, les lois qui les régissent, je les regarde comme les imitateurs et les préparateurs d’un mouvement religieux très-important, et j’attends avec anxiété, le jour ou s’étant rendus maîtres de ces phénomènes, jusqu’ici fugitifs, capricieux, inconstants, ils pourront les provoquer à volonté, et dire aux douteurs de toutes les écoles : Venez et observez.
- Ce jour-là, une révolution immense se produira dans les idées, et les négateurs, après s’être rendus compte de la vérité des faits se rangeront tous sous la bannière de la vérité nouvelle, qui, appuyée sur des preuves indéniables, pourra s’appeler le positivisme religieux.
- Je viens d’indiquer les trois sanctuaires où s’élaborera la nouvelle synthèse religieuse. Que sera le culte de la religion de l’avenir ?
- Le culte, c’est la forme, il ne précède pas la révélation, il la suit; en former une synthèse à l’avance me paraît imprudent et chimérique; le culte naîtra des besoins et des circonstances.
- Si la religion nouvelle marche toujours avec le progrès,si elle a toujours la recherche de la vérité comme but, l’amour de l’humanité comme guide ; si le temple où l’on veut apprendre les secrets de la création, reste toujours le temple de la raison et le sanctuaire de la science, elle durera autant que le monde, et sa domination s’étendra sur toutes les nations. Elle balaiera sur son passage toutes les vieilles théogonies qui dominent la terre et l’exploitent depuis des siècles. Les temples de l’Inde, les mosquées de l’Orient, et les églises qui couvrent toute la vieille Europe s’abîmeront dans un chaos universel au souffle de la vérité nouvelle, qui n’aura pas besoin de temples consacrés pour honorer le Dieu de la nature et étudier ses lois.
- Gloire à tous ceux qui ont étudié les lois de la création pour en déduire les lois qui doivent gouverner les hommes; gloire à tous les grands génies qui se consacrent au bonheur de l’humanité; gloire au Christ qui a aimé les hommes jusqu’à la mort, qui a glorifié la liberté, l’égalité et la fraternité ; gloire à Fourier, qui est venu poser les fondements d’une
- p.460 - vue 461/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 461
- gC}ence impérissable : La science de l'association, sans laquelle l’homme serait impuissant à détruire les plaies sociales qui rongent notre monde, et à transformer notre habitation terrienne en un séjour de bonheur; gloire à l’œuvre du Familistère de Guise qui, fondée sur le principe de l’association, du capital et du travail, offre l’exemple des garanties que la société toute entière doit introduire dans son sein pour réaliser l’émancipation des prolétaires et la paix sociale.
- Edmond Bourdain.
- BIBLIOGRAPHIE
- Éhienne MARCEL.
- Tel est le titre du nouveau volume d'éducation morale et civique que vient de publier Mme E. Garcin. (Librairie centrale des publications populaires, H. E. Martin,directeur, 45 rue des Saints-pères, Paris. 1 vol. Broché : lf.)
- Dès les premières pages, l’auteur nous fait assister à la naissance du Tiers-Etat. Après avoir montré le lugubre tableau des misères et des douleurs du peuple, du XIe au XIVe siècle, elle nous indique la création des premières communes. « En face du château-fort qui dit «. oppression, de la cathédrale qui dit obéissance, les « vilains devenus bourgeois élèvent, » dit-elle, « ce mo-« nument nouveau dans l’histoire, l’hôtel de ville qui » dit liberté. »
- Puis l’auteur passe à l’œuvre des Etats-Généraux réunis, en 1355, sous le règne du roi Jean II dit, bien à tort, Jean le Bon. « Les Etats avaient siégé un mois, » dit Mme Garcin, « et leur œuvre peut se résumer ainsi : « Partage de la souveraineté entre le roi et la nation. « Répartition de l’impôt, courbant la royauté elle-même « sous la loi commune. Administration des finances « commise, non à celui qui reçoit, mais aux délégués « de ceux qui payent. Milice nationale réunissant, sous « les drapeaux, tous les citoyens en état de porter les « armes. En un mot : condamnation des vieux abus et « privilèges, et premiers fondements jetés des sociétés « modernes. Gette œuvre que Lally-Tollendai, en 1816,
- * appelait la grande Charte des Français, il avait fallu,
- * répétons-le, trente jours pour l’accomplir. Gonsidé-
- * rons nos Assemblées contemporaines, et nous, fils du « XIXeni9 siècle, prêts à nous enorgueillir de nos pro-® §rès, inclinons-nous devant ces lutteurs d’il y a cinq
- * siècles, qui parlaient moins que nous, mais qui sa-
- * vaient agir. *
- Parmi les hommes qui dominèrent dans cette Assemblée, se trouvait Etienne Marcel, prévôt des marchands Paris. L’auteur indique les attributions étendues de Ce fonctionnaire choisi à l’élection.
- Hais à peine a-t-on le temps de songer aux réformes
- votées par les Etats généraux, car voici que s’ouvrent, entre la France et l’Angleterre, ces terribles luttes qui prendront dans l'histoire le nom de « guerre de cent ans » : « La honteuse déroute de Poitiers qui mit aux « mains des Anglais deux fois plus de captifs qu’ils « n’avaient de soldats ; » cette honteuse journée « où « les nobles Français d’aussi loin qu’ils voyaient les « Anglais, tendaient leurs épées en demandant grâce « et merci ; » l’indignation et le mépris de la masse du peuple en face de l’ignominie des ;hommes de guerre ; le royaume tombé aux mains du dauphin Charles de Normandie plus tard Charles V qui, le premier, avait donné à Poitiers l’exemple de la faite ; la remise par les Parisiens du soin de leur propre défense à (Etienne Marcel ; tous ces faits sont relatés, par l’auteur, avec le sentiment démocratique le plus pur,le plus profond, le plus élevé.
- Les Etats-Généraux sont convoqués une nouvelle fois, en 1356, par le dauphin Charles, sous l’impulsion d’Etienne Marcel. De ces Etats sort la Grande Ordonnance qui contient en 60 articles la réforme administrative, financière, judiciaire et militaire du pays, et qui est surtout l’œuvre d’Etienne Marcel et de son ami Robert Lecoq.
- La royauté et la noblesse sont écrasées des charges terribles, des monstrueux abus relevés contre elles, et des réformes radicales prêtes à être appliquées. Ce dauphin devenu Régent en l’absence du roi et cesjnobles qui n’ont point su tenir debout devant les Anglais, organisent la résistance contre les j ustes réclamations du Tiers-Etat parlant au nom du peuple. Toute arme leur est bonne contre Etienne Marcel et ses collègues. Le mensonge, la duplicité,la calomnie ; tout est employé pour égarer les Parisiens et des tourner contre leurs réels défenseurs.
- L’auteur fait admirablement ressortir la grandeur tragique de cette situation:
- Etienne Marcel concevant, embrassant toutes les réformes qui peuvent sauver Paris et la France, ayant fait voter ces réformes, puis obligé d’en différer l’exécution et de se défendre en public contre la calomnie tombée des lèvres du Régent que la foule par tradition respecte encore, alors même qu’elle écrase de son mépris tous les autres nobjes.
- Mais la voie sanglante s’ouvre bientôt hélas ! devant Etienne Marcel. « Il n’a cessé et ne cessera de faire » appel à l’autorité des Etats-Généraux, qui est l'auto-d rité légitime de la nation : on lui a répondu et on ne » cessera de lui répondre par le déni de toutes les lois, » par le mépris de tous les serments. C’est alors que » l’indignation lui monte au cerveau et le domine. Il » se laissa emporter, nous dit M. Henri Martin, par les » mœurs violentes d’un temps où l’on ne connaissait » pas le respect de la vie humaine. » A son tour, il ordonna des meurtres qu’il crut nécessaires à la défense du droit public.
- Vaincu un moment par la peur, le Régent n’en de-
- p.461 - vue 462/836
-
-
-
- 402
- LE DEVOIR
- meure pas moins irréconciliable et n’en continue pas moins contre Etienne Marcel, cette lutte qui est en réalité celle de la royauté et de la démocratie.
- Mais les maux déjà si graves de la nation se compliquent et s’aggravent encore. Le grand souffle de justice qui s’éveille en France n’agite pas seulement Paris ; il soulève du fond des provinces, l’homme de la glèbe, le pauvre serf, dont l’effroyable martyre dure depuis des siècles.
- Cet homme dont le seigneur disait : « Il est à moi, j’ai le droit de le bouillir et de le rôtir; » cet homme, le peuple, Jacques Bonhomme comme l’appelait la noblesse, soulevé par d’innénarables douleurs auxquelles se sont joints la peste noire, des guerres et des pillages incessants, la famine, etc, etc, cet homme se dresse à son tour. « Tous avaient frappé dessus dit Michelet » comme sur une bête tombée sous la charge : la bête » se releva enragée, et elle mordit. »
- « Armés de bâtons noueux, de cognées, de socles de » charrues, de ces instruments de travail qui n’étaient » pour eux que des instruments de servitude, » les Jacques attaquèrent les châteaux, les prirent et se montrèrent à leur tour sans pitié pour qui ne les avait jamais traités comme des êtres humains.
- Mme Garcin montre admirablement comment Etienne Marcel reconnaissant l’indentité du souffle de justice qui emporte et les Jacques et lui-même, s’unit à la Jacquerie, cherche à l’organiser, à faire respecter les femmes, les enfants, même les ennemis aux abois.
- Elle fait également ressortir le rôle double ' de Charles de Navarre, le gendre du roi, qui veut arriver au trône porté par le populaire et qui fait à Paris du libéralisme en conséquence ; mais qui juge très-bien aussi que la démocratie triomphante à la fois dans les campagnes et dans les villes, serait la chute de la royauté. Aussi ne se prête-t-il au mouvement libérateur que pour le trahir et l’arrêter quand il cessera de favoriser ses vues.
- Charles de Navarre court aux Jacques, les bat dans une première rencontre et tue leur principal chef. La déroute commence pour les paysans. Leur soulèvement qui n’avait duré que trois semaines donne lieu à une répression qui dura trois mois, répression durant laquelle les nobles commirent toutes les atrocités que pouvaient imaginer des gens implacables qui avaient eu peur et qui se retrouvaient les plus forts.
- - Etienne Marcel fit vainement appel à la pitié. Lui-même du reste, touchait au point où les événements allaient enrayer pour quatre siècles l’émancipation politique et sociale, et sceller cet arrêt de la mort du grand patriote.
- Il faut lire dans l’ouvrage de Mm8 Garcin le récit de ces événements, les efforts inouïs d’Etienne Marcel pour accomplir son œuvre malgré les obstacles insurmontables qu’on lui oppose, la traîtrise organisée contre lui par le Régent.
- Etienne Marcel est enfin frappé à mort par un garde
- obscur au milieu d’une collision, au moment où il vou-lait faire entrer Charles de Navarre dans Paris et le substituer au Régent, croyant trouver plus de garanties en faveur du peuple dans cette élévation d’un roi qui devrait le trône à un tribun populaire.
- Ici Mme Garcin cite ces paroles de Henri Martin :
- « Ainsi finit le grand Etienne Marcel. Il avait vou-« lu, le premier en France, fonder le gouvernement « libre, le gouvernement de la nation par elle-même • « il avait voulu substituer au gouvernement de ceux « qui commandaient par droit de naissance,le gouver-« nement des plus capables et des plus honnêtes, et « remplacer par le bon ordre et l’intérêt public, un « mélange insensé de tyrannie et d’anarchie. Il avait « voulu, non pas seulement l’avantage de la riche « bourgeoisie à laquelle il appartenait, mais le bien « de tout le peuple. Il était venu trop tôt. Paris l’avait « dignement secondé ; mais le reste de la France n’a-« vait pas été en état de s’élever au gouvernement li-« bre. Cinq siècles ont passé, et la France en est en-« core à lutter pour le conquérir. »
- L’esprit qui anime tout au long Mme Garcin se peint dans les paroles par lesquelles elle termine son volume et qui nous paraissent des plus propres à indiquer aux lecteurs toute la valeur du livre, au point de vue de l’éducation morale et civique si nécessaire aujourd’hui :
- « A nous à reprendre l’œuvre d’Etienne Marcel. A « nous, républicains, à abandonner à jamais les erre-« ments monarchiques. Nos rois avaient pour devise: « Tout pour le pouvoir et par le despotisme. » Que la « République inscrive sur son drapeau : « Tout pour « la France et par la Liberté. »
- UN DRAME DE LA VIE RÉELLE
- On l’a dit souvent : quelle que soit l’imagination d’un auteur, il n’inventera jamais, pour un roman ou pour un drame, d’aventures plus terribles et plus poignantes que celles qui arrivent dans la vie réelle.
- En voici une épouvantable preuvô :
- Au nombre des plus humbles employés d’une grande administration parisienne,se trouve un brave homme que, si vous voulez,nous appellerons Durand—ce nom ne compromettra personne. Ancien militaire, sobre travailleur, il est très estimé de ses chefs, et depuis six ans qu’il appartient au personnel, personne n’a jamais eu un reproche à lui faire.
- Malgré la modicité de son salaire — trois francs par jour, je crois, — Durand s’estimait très heureux. Il avait une compagne, bonne, courageuse, affectueuse, ardente au travail comme lui,et deux enfants
- p.462 - vue 463/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 463
- — un petit garçon de cinq ans et une petite fille de trois — qu’il chérissait.
- Il y a quelques mois, la ménagère tomba malade. Elle avait eu chaud puis froid; un rhume était survenu, et ce rhume avait dégénéré en fluxion de poitrine. D’abord, elle ne s’en inquiéta pas — dans le peuple on est dur au mal — mais il fallut se rendre à l’évidence et, précisément parce qu’on avait négligé de la soigner au début, la maladie prit un caractère des plus inquiétants.
- Le médecin et les remèdes coûtent cher. L’argent manqua vite à la maison. Durand eût voulu solliciter un secours. Mais il y avait un obstacle. La situation du ménage Durand n’était pas régulière. Comme beaucoup d’ouvriers parisiens, il avait rencontré une brave femme qui lui avait plu, et à laquelle il avait convenu» Ils s’étaient mis en ménage, chacun apportait en dot ses bras et son courage. Ils n’avaient point eu besoin de notaire pour dresser le contrat et, de même, ils n’avaient pas songé à demander la sanction du maire ni celle du curé. Bref, ils n’étaient pas mariés.
- On fit comprendre à Durand qu’il était indispensable, pour sa femme, pour ses enfants surtout, de régulariser sa situation.
- Il ne demandait pas mieux.
- Il s’empressa donc d’écrire à son pays — Amiens, je crois, pour avoir les pièces nécessaires. Il écrivit également à Lille pour avoir l’acte de naissance de sa femme.
- Il recommandait de se presser, car la maladie, loin de guérir, allait de plus en plus mal; c’était presque un mariage in extremis qu’il allait faire.
- Enfin, tous les papiers arrivèrent. Il courut les porter à la mairie, afin.de faire publier les bans. L’employé les prit avec cette mauvaise grâce particulière aux bureaucrates, et se mit à les examiner nonchalamment... Mais, à mesure qu’il lisait, sa figure changeait; il faisait des gestes d’étonnement, il avait des exclamations étranges.,, le pauvre Durand suivait ce manège avec un étonnement mêlé d’inquiétude. Enfin, l’employé posa les papiers sur son bureau et s’écria :
- •— C’est impossible, tout à fait impossible 1
- — Qaoi donc, monsieur? demanda Durand, interloqué .
- — Votre mariage, parbleu...
- — Et pourquoi donc, s’il vous plaît?
- — Pourquoi ? pourquoi ? Eh J sacrebleu paree qu’on ne peut pas vous marier avec votre sœur!.,.
- La foudre, tombant aux pieds de Durand, ne l’eût pas terrifié davantage !
- Sa sœur l Cette femme avec laquelle il vivait de-
- puis six ans, cette femme qu’il voulait épouser, la mère de ses enfants, c’était sa sœur!...
- Rien n’était plus vrai pourtant.
- Il y a, dans cette chose capitale, l’inscription d’une naissance sur les registres de l’état-civil, une particularité singulière ; c’est le peu de garanties exigées par ceux qui en sont chargés.
- Pour la démarche la plus simple, pour la constatation la plus anodine, on réclame un tas de formalités. Mais quand il s’agit de donner à un être humain un nom qu’il conservera toute sa vie, un nom qui peut le mettre en possession ou le priver d’un état, d’une fortune, on est aussi coulant que possible.
- Il suffit de trouver deux témoins complaisants, qui, neuf fois sur dix, sans connaître ni le père ni la mère du nouveau-né, certifient qu’il est bien le fils de M. un tel et de Mme une telle, mariés légitimement, etc., etc. Souvent même on prend tout bonnement le commissionnaire du coin, qui, pour une pièce de quarante sous, témoigne tout ce qu’on voudra.
- C’est par suite de cette facilité qu’était arrivé le drame.
- Mariée et séparée de son mari, sa mère avait quitté Amiens pour aller habiter le Nord d’où elle était originaire. Le père qui ne voulait pas qu’on parlât jamais d’elle, avait dit à l’enfant qu’elle était morte.
- A Lille elle avait rencontré un ouvrier filateur avec lequel elle avait vécu et dont on la croyait la femme. Devenue mère pour la seconde fois, elle avait fait inscrire l’enfant comme issue de son légitime mariage avec l’homme dont elle portait le nom.
- Aussi, quand, plus tard, Durand, sortant du service, avait rencontré sa sœur qui était femme de chambre dans une famille lilloise, rien n’avait pu lui faire soupçonner le lien d’étroite parenté qui l’unissait à elle.
- Mais les deux actes de naissance, portant pour la mère le même nom, mais les deux actes de décès prouvant que la mère du futur et celle de la future, n’avait été qu’une seule et même personne, levaient brutalement tous les voiles. Aucune illusion n’était plus possible...
- Quand on annonça l’épouvantable vérité à la malade. qui râlait sur son grabat, ce fut pour elle un coup terrible.
- Elle est morte deux jours pins tard.
- Et le pauvre homme reste seul, avec ses deux pau* vres petits enfants, qu’il n’ose regarder sans honte ; il reste sans courage et sans force, et pourtant il faut qu’il travaille pour leur donner du pain, à eux, innocents comme lui du crime de leur naissance, et
- p.463 - vue 464/836
-
-
-
- 464
- Lfî DEVOIR
- qui ne peuvent comprendre encore toute l’étendue du malheur qui les a frappés.
- Je le répète : ne croyez pas à une invention, qui du reste n’aurait pas grand mérite. Le fait s’est passé, il y a à peine quinze jours, à Paris, et si je ne donne ni nom ni adresse, c’est que je ne veux pas aggraver encore le coup sous lequel ce malheureux se débat, s’étiole et se meurt.
- Ils sont souvent terribles, aile/, les drames de la vie réelle.
- Georges Grison.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- EN VENTE
- MUTUALITÉ SOCIALE
- ET
- ASSOCIATION DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- OU EXTINCTION DU PAUPÉRISME
- Par la consécration du droit naturel des faibles au nécessaire et du droit des travailleurs à participer aux bénéfices de la production contenant les statuts de la Société du Familistère de Guise
- Far GODIN
- Broché avec la vue générale des établissements de l’Association. . . 5 fr. ; sans la vue 4 fr.
- DU MÊME AUTEUR
- SOLUTIONS SOCIALES, 1 volume de 655 pages, avec la vue générale du Familistère, les vues intérieures, plans et gravures, édition in-8, 10e édition grand in-18. . . 5 fr.
- Les ouvrages ci-dessus sont en vente a la librairie du Devoir ainsi que chez Guillaumin et G libraires, 11, rue Richelieu et à la librairie Ghio, 1, 3, 5,7 galerie d’Orléans, Palais-Royal, à Paris.
- DU MÊME AUTEUR à la Librairie du DEVOIR.:
- La Politique du travail et la Politique des privilèges, volume de 192 pages. . 0.40 c.
- La Souveraineté et les Droits du Peuple, volume de 192 pages.0.40 c.
- La Richesse au service du Peuple, volume de 192 pages........0.40 c.
- Les Socialistes et les Droits du travail, volume de 192 pages.r - -r 0.40 c.
- Histoire des Equitables Pionniers de Rochdale, de G. J. HOLYOAKE, résumé extrait et traduit de l’Anglais, par Marie MORET...............0.75 c.
- COLLECTION DU DEVOIR :
- 1er volume broché, 432 pages... 3 francs.
- 2e » » 464 ........ 3 »
- 3e » » 624 » 4 50
- 4e » » 832 t> 6 »»
- 5e » » 864 » 6 »»
- EN PRIME AUX ABONNÉS DU «DEVOIR»
- LU FILLE DE SON PERE, par Mme Marie Howland, volume de 650 pages au prix
- réduit de 1 fr. 50. „
- Ce dernier volume se vend également au prix de 3 fr. 50, chez Ghio, éditeur, 1, 3, 5, G
- Galerie d’Orléans, Palais-Royal, Paris. , , .
- Ces ouvrages sont envoyés franco contre mandats ou timbres-poste adresses au gerant
- du Devoir, à Guise (Aisne).
- p.464 - vue 465/836
-
-
-
- g® ANNEE, TOME 6 — N° 203 due numéro hebdomadaire 20 c. DIMANCHE 30 JUILLET 1882.
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau cle Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- TTNJL'*—
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m w 'M »
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n'est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La Guerre et le Progrès. — La Réforme orthographique. — Faits politiques et sociaux. — Le Congrès d'Oxford. — Le Grand Séminaire : Enseignement dogmatique. — Etat civil du Familistère. — Souscription Garibaldi. — Irish Land Corporation. — De la Misère et des moyens de la détruire. — Tribunaux.
- LA GUERRE & LE PROGRÈS
- Le bombardement des forts d’Alexandrie et les violences déplorables qui en ont été la conséquence ont été sévèrement blâmés par la presse de toutes les nations de l’Europe presqu’à l’unanimité, car très rares sont les journaux, si tant est qu'il y en ait, approuvant cette manifestation guerrière, qui est loin d’ailleurs d’avoir atteint le but que se propo-Paient sans doute ses auteurs.
- Cela tient à ce que depuis le commencement de ce siecle, les idées ont progressé ausem de l’humanité, et que les principes démocratiques gagnent de plus en plus du terrain parmi les nations civilisées.
- Si la plupart des gouvernements en sont encore à cette politique belliqueuse d égoïste autorité, qui met obstacle à l’émancipation des peuples, dès qu’elle peut compromettre leurs intérêts, les peuples eux-mêmes reconnaissent que la liberté est le souverain bien qui doit primer tous les autres, parce que seule elle favorise le développement du progrès humain et la marche de la civilisation. C’est par elle que l’industrie prospère, que le travail accomplit son oeuvre et que la richesse nationale augmente.
- Une démocratie industrielle ne peut pas être, par conséquent, partisan de la guerre qu’elle ne peut envisager d’un œil indifférent. Une Société constituée sur la base du droit et de la justice consacrés par le suffrage universel, expression de la souveraineté populaire, ne saurait à aucun point de vue admettre qu’un peuple puisse imposer sa prépondérance par la force et la violence, pas plus qu’elle n’approuvera que l’on emploie la force pour reprimer les aspirations d’un peuple opprimé vers l’indépendance.
- C’est pour cette raison que le monde souffre du maintien obstiné,chez toutes les nations de l’Europe, de nombreuses armées permanentes, et du fâcheux système de la paix armée, qui en se perpétuant, malgré les maux que cet état de choses entraîne à sa suite, finira .fatalement par provoquer un de ces cataclysmes terribles capables de détruire d’un seul coup le fruit de bien des siècles d’efforts et de travaux. C’est aussi pour cela que tout acte de violence commis par une puissance a son douloureux contre-coup dans lame de tous les patriotes sincèrement démocrates, car la démocratie est une des
- f
- p.465 - vue 466/836
-
-
-
- 466
- LÉ DEVOIR
- formes de la fraternité humaine qui rend tous les hommes solidaires les uns des autres.
- L’Angleterre prétend soutenir en Egypte des intérêts Européens, parce que l’Europe toute entière est intéressée, dans une mesure plus ou moins étendue, à la neutralité du canal de Suez l’une des grandes voies de la civilisation. Le moyen qu’elle a adopté pour protéger cette neutralité est-il le plus efficace pour atteindre ce but ? Les faits ne permettent pas de répondre affirmativement, et il est tout au moins permis d’en douter. Cet acte de violence a permis aux Egyptiens qui s’étaient mis à la tête du mouvement de lever le voile, et, sous prétexte de lutter contre l’envahisseur étranger, de transformer une insurrection coupable peut-être, mais intérieure, en une levée de boucliers patriotique et nationale. Au lieu d’une révolte partielle et peu dangereuse peut-être, c’est une guerre d’indépendance sinon une guerre sainte que l’on a réussi à provoquer. A la place d’un mouvement militaire, d’un simple pronunciamiento, c’est le peuple Egyptien tout entier que l’on a poussé à se soulever,
- Cela est d’autant plus regrettable, qu’en définitive ce peuple, à qui l’on fait payer en le pressurant de toutes façons les dettes contractées envers des financiers étrangers par l’ancien khédive, pour entretenir son luxe absurde et faire face à ses monstrueuses prodigalités, ce peuple, dis-je, peutne voir dans cette intervention d’une puissance créancière, qu’une tentative nouvelle de pression pour le recouvrement de ces impôts qui l’écrasent, et nul ne pourrait dire en effet que derrière cet intérêt Européen sérieux, que rien ne compromettait au point de motiver ce coup de force, il n’y a point et surtout ces honteux intérêts particuliers de capitalistes avides, plaçant usurairemeut leur argent chez un prodigue, qui promet tout ce que l’on veut, dès que le besoin d’argent le presse ?
- Ce n’est point pour des mobiles pareils qu’il est permis de sacrifier aussi facilement des vies humaines. La loi souveraine de la vie doit être obéie, et elle est faite en faveur du fellah le plus misérable, aussi bien qu’en faveur du plus somptueux potentat. La guerre qui n’est point provoquée par le soin de sa propre défense est un attentat coupable que rien ne saurait légitimer et faire absoudre. Toute agression est une injustice, et c’est avec raison que sir Wilfrid Lawson a dit, au sujet du bombardement opéré par l’Angleterre, que l’honneur d’une nation doit primer ses intérêts. Dans sa pensée, la Grande-Bretagne, en faisant acte de guerre, en vue
- | de ses seuls intérêts, a porté une atteinte grave à son honneur, et cette pensée est juste.
- La facilité avec laquelle cette puissance a eu recours à la force dans une circonstance où cette mesure était loin de paraître indispensable est un des déplorables résultats de l’entretien des armées permanentes, que le militarisme prédominant chez les nations les plus arriérés de l’Europe oblige les autres à conserver chez elles et malgré elles. L’on a sous la main une armée nombreuse qui coûte énormément, sans rendre le moindre service; on est naturellement porté à l’utiliser, et dans ces dispositions, on prend volontiers un prétexte très insuffisant pour une raison valable, et l’on agit en conséquence, sans se préoccuper assez de son honneur que l’on compromet, et des atrocités que la guerre provoque infailliblement. Et c’est ainsi que des nations civilisées sont entraînées à commettre des crimes de lèse-civilisation.
- C’est ce qui faisait dire à l’un des vétérans du Sénat italien, Térence Mamiani,peu favorable pourtant aux idées démocratiques, que le seul moyen d’éviter une révolution sociale violente qui fera disparaître la classe bourgeoise du sein de la Société, est la suppression des armées permanentes, qui absorbent la majeure partie des ressources de l'Etat, suppression qui permettrait d’employer ces ressources à assurer l’existence, le développement et le bien-être des classes laborieuses.
- « Tout homme », dit le sénateur Mamiani, « est intéressé, comme citoyen et comme soldat, au maintien de la tranquillité et de la paix à l’intérieur, et à la protection efficace des frontières de son pays contre les attaques de l’extérieur. Un exemple bien digne d’être imité par tous les gouvernements de l’Europe est celui de l’organisation militaire de la Suisse, qu’il serait bon d’étudier et que l’on aura probablement à appliquer partout. On peut en dire autant de l’Amérique depuis la guerre de sécession. C’est à l’absence d’armées permanentes, que la Suisse doit le développement de ses institutions et sa prospérité progressive, c’est à elle que l’Amérique est redevable du merveilleux accroissement de ses produits, et sa richesse toujours de plus en plus développée. »
- Mamiani qualifie de « monstrueux » le maintien des armées permanentes et cette politique qui condamne les nations à rester l’arme au bras, se considérant les unes les autres comme ennemies, et s’appauvrissant ainsi mutuellement jusqu’à la ruine, tandis que la raison, la logique et la saine morale conseillent l’adoption d’un code international euro-
- p.466 - vue 467/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 467
- 'en basé sur le respect de tous les droits, pour lettre un terme à ce déplorable état de choses.
- Le vieux conservateur italien faisant passer la raison avant le sentiment est donc obligé de reconnaître que seule la politique de justice et de paix, et nous pouvons ajouter de liberté, peut sauver désormais les gouvernements et les peuples.
- N’est-il pas souverainement affligeant de voir que pendant que les Nordenskiold, les Fîatters, les de Lesseps et tant d’autres consacrent leur vie à créer sans cesse de nouveaux moyens de communication entre les peuples, pour faciliter les progrès de la fraternité et de la solidarité entre les hommes, d’autres hommes, encore imbus des idées ténébreuses du passé,font appel à la violence et à la lutte homicide, pour perpétuer l’antagonisme des races, des religions et des intérêts ?
- Ce canal de Suez qui vient de servir de prétexte à une déclaration de guerre mal justifiée, voici ce qu’en dit celui à qui la civilisation en doit l’idée et l’exécution.
- ! gne en a possédé encore plus qu’elle, et qu’il ne lui en reste plus rien ?
- Non, le canon et le sabre peuvent détruire, mais fonder quelque chose de durable, jamais. La violence engendre la violence et tôt ou tard elle en est la victime. La France de 1870 a payé la dette contractée par Napoléon à léna, et il en sera toujours ainsi, tant que les nations n’auront pas su imposer à leurs gouvernements l’horreur de la guerre,et tant qu’elles ne les auront pas mis dans l’impossibilité de la déclarer et de la faire.
- De nos jours la force et la violence sont devenues un anachronisme, le chauvinisme n’a plus de raison d’être, et ce n’est plus sur les champs de bataille que l’homme doit aller chercher ses conquêtes, c’est dans le domaine de la nature, de la science, de la production, parce que c’est là seulement que les conquêtes sont utiles, durables et glorieuses.
- —-~^~’^«<sce0008iPOcgi,>-,r‘ —
- LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE
- « Ni les rivières, ni les montagnes, ni les forteresses, » dit M.de Lesseps, « n’ontjamais empêché les conquérants de faire battre les hommes pour agrandir leurs frontières; les frontières ont toujours été des champs de bataille. Les routes maritimes, les détroits naturels, au contraire, en facilitant les communications entre les besoins, leur ont inspiré des sentiments plus profonds de fraternité. La liberté des détroits naturels a été reconnue comme l’avait été la liberté des mers. La liberté du canal de Suez a été donnée aux navires du monde entier, non pas par des traités éphémères, que le plus fort peut violer à son gré, mais par la solidarité des intérêts universels. C’est ainsi que le canal de Panama deviendra, comme son aîné, une œuvre de paix universelle. »
- L’homme autorisé dont nous venons de citer le langage, a bien mieux compris les véritables intérêts des nations et les nations de l’humanité, que ^ gouvernants aveugles qui se persuadent encore c’est dans le chiffre de leurs soldats, dans le n°mbre et le calibre de leurs canons et dans la force de leurs flottes, que se trouve la raison de leur Puissance et de leur prestige. L’histoire est là pour-taut pour nous apprendre le peu de durée d’une domination et d’un pouvoir qui ne reposent que sur oos fragiles fondements ! Que reste-t-il donc aujour-
- hui des conquêtes du plus puissant capitaine des emps modernes ? Et l’Angleterre même, si fière de Ses noiûbreuses colonies, a-t-elle oublié que l’Espa-
- I
- La réforme orthographique,étudiée depuis longtemps déjà, en France, en Angleterre, en Hollande, en; Suisse, etc... prend un nouvel intérêt maintenant quoi l’instruction est rendue obligatoire pour tous les membres du corps social.
- ! C’est, en effet, dans une occasion analogue, après j que le principe de l’obligation fut voté en Angleterre^ ; qu’on se préoccupa* en ce pays de Fobstacle considérable qu’une orthographe* compliquée offre an j progrès.
- | Les maîtres, les maîtresses, les inspecteurs s’émut-srent des faits signalés par lës promoteurs du mouvement.
- Dest discussions s’établirent; des. pédants s’opposèrent à toute réforme, au nom de. l’histoire et de l’étymologie ; cependant des linguistes et les pro*-fesseurs; les plus distingués ,, étaient favorables à l’idée d’une réforme orthographique.
- Une Société fut constituée à Londres, pour étudier la question, éclairer le public par des. conférences, publications, etc... Cette Société voit aujourd’hui s’accroître constamment le nombre de ses adhérents. Ses études embrassent non-seulement la langue anglaise, mais tontes les autres langues.
- La réforme orthographique est une question de si haute importance pour l’instruction des masses, les communications internationales et le progrès en général, que nous croyons faire plaisir aux lecteurs du « Devoir » en puisant quelques indications sur le
- p.467 - vue 468/836
-
-
-
- 468
- LE DEVOIR
- sujet,dans les travaux de l’un des illustres membres de l’Association pour la réforme orthographique, M. Tito Pagliardini, professeur de littérature au collège de Saint-Paul à Londres.
- Dès 1874, M. Pagliardini, linguiste distingué, publia sur la question qui nous occupe un volume intitulé :
- Essai sur l’analogie des langues — Plaidoyer pour l'alphabet universel et la réforme orthographique.
- Il y disait :
- « Un alphabet universel ou international basé sur l’analyse des sons élémentaires de la voix humaine et cessant d’être assujetti à des caprices absurdes et arbitraires, devient d8 jour en jour aussi nécessaire que l’unité des poids et mesures.
- « L’adoption d’un tel alphabet diminuerait d’un tiers au moins les difficultés d’acquérir une langue nouvelle et, une fois la correction et'la vérité introduites dans l’orthographe, tout enfant, tout adulte, pourrait parfaitement apprendre à lire en une semaine.
- « Cette réforme est doublement importante à une époque où, partout l’Europe, s’éveille le besoin d’appeler le citoyen à l’exercice de ses droits naturels, < n le faisant participer, au moins par le suffrage, au gouvernement de l’Etat.
- « Propager l’instruction c’est moraliser la nation. Mais l’instruction, ne pourra devenir un fait réel et général tant que l’art de la lecture sera entouré de tant de difficultés, à la fois nuisibles et répulsives. Il est grand temps de laisser de côté, en fait d’orthographe, cette érudition étroite et fausse qui fait du savoir le privilège d’une minorité (au coût de tant de pleurs dans l’enfance), et d’adopter un système naturel et par conséquent facile.
- « Le peuple doit comprendre ses droits, afin de n’en pas faire un mauvais usage. Or, pour comprendre ses droits, il faut qu’il les étudie et qu’il se rende digne de les exercer en cultivant son esprit sans négliger aucun de ses devoirs.
- Pour le mettre en mesuro d’atteindre ce but, il faut quel’artde la lecture puisse être enseigné rapidement. En un mot, il faut démocraeiser l’art de la lecture. »......
- M. Pagliardini établit qu’une langue est composée de trois principes, savoir :
- 1° L’idiome, élément actif;
- 2° Le mot, élément passif;
- 3° La grammaire,élément régulateur ou neutre.
- Arrêtons-nous aux deux premiers qui rentrent plus spécialement dans notre sujet.
- « L'idiome, » dit l’auteur, « dans la signification spéciale que nous lui attribuons ici, est cet élément spirituel, indéfinissable quoique non indiscernable qui détermine le caractère d’une langue et qui ne peut être formulé par aucune règle classique.
- « L’idiome dans une langue est analogue à l’ànie dans l’homme ; c’est la force mobile qui agit sur les sons de la voix ou sur l’élément passif, matériel, et l’anime suivant les principes d’une logique naturelle et les sentiments ou passions qui prédominent dans la société. L’idiome.est une des principales manifestations du génie collectif d’une nation, et ne peut être bien saisi par les étrangers qu’après une longue et constante habitude.
- « C’estl’idiomequidonneaux mêmes mots desaccep. tions essentiellement différentes, selon les cas; c’est lui qui fait qu’une nation exprime en deux mots telle idée qu’une autre ne rendra qu’avec six ou huit.
- « C’est à l’idiome que sont dues en anglais les particularités de l’emploi du verbe to do et en français, les sens différents des expressions : grand homme et homme grand ; brave homme et homme brave ; honnête homme et homme honnête; etc... etc...
- « N’était l’idiome, il serait facile de rendre dans toutes les langues du monde l’idée exprimée dans une langue quelconque, en traduisant simplement le sens littéral des mots et en les groupant selon les règles de la grammaire. Mais ceux qui ont étudié les langues savent parfaitement que les traductions littérales ne présentent, généralement, à l’esprit qu’un vain assemblage de mots, sans connexion et souvent sans portée définie ; de sorte qu’une grammaire et un dictionnaire ne peuvent, en aucune façon, permettre à quelqu’un de comprendre, de parler et d’écrire correctement une langue étrangère.
- « Quelque chose de plus est requis, c’est-à-dire une profonde connaissance du génie de la langue, pour se diriger dans le choix d’expressions en apparence synonimes, et donner à la phrase ce tour qui assure la parfaite transmission de l’idée avec ses .accessoires, ses ombres et ses reliefs. Cette connaissance qui ne peut s'acquérir que par une étude attentive et une longue pratique est celle de l’idiome. A l’idiome appartient tout ce que grammaire et dictionnaire ne peuvent expliquer.
- <« Le mot. — Le principe passif ou matériel du langage, peut lui-même se décomposer en trois éléments, savoir :
- 1° Les sons élémentaires de la voix humaine ;
- 2° Les syllabes ou racines et leurs affixes ;
- 3° Les mots proprement dits.
- p.468 - vue 469/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 469
- « Les émissions élémentaires de la voix humaine forment une série comprenant 7 classes et 46 (ou
- 48) ordres, savoir : tes gutturales dont des types Les dentalles » »
- les labiales » »
- Les sifflantes » »
- sont G — K, au nombre de 41 D — T, » 4 f
- B — P » 4 j
- S — Z » 6 J
- 18
- Les liquides » » L — R » 8
- Les voyelles » » A — O » 16
- Les ambigües ou demi-voyelle H — J » 4
- Total 46"
- « Ce tableau offre seulement 46 sons élémentaires, mais nous avons des motifs de croire que ces sons doivent s’élever au nombre de 48.
- « Pour entreprendre la présente étude, nous eussions dû connaître 25 ou 30 langues ; n’en possédant que la moitié environ, nous n’avons pas été en mesure de déterminer d’une façon satisfaisante les deux sons manquants.
- « Nous supposons qu’ils existent dans quelques dialectes slaves et appartiennent aux sifflantes ou demi-voyelles, dont la série paraît incomplète. Quoiqu’il en soit, nous laissons à d’autres à compléter cette lacune. »
- L’auteur examine ensuite en détail les 48 sons élémentaires que peut formuler l’organe vocal humain. Puis il compare entre elles un certain nombre de langues européennes, et il établit que l’anglais possède 39 sons élémentaires, le français 35, l’allemand 32, le portugais 30, l’italien 29, l’espagnol et le suédois, chacun 28.
- Tous ces sons étant représentés en Europe par un alphabet de 25 lettres seulement, il en résulte la confusion et l’irrégularité orthographiques, dont la langue anglaise surtout offre le plus fâcheux exemple. Ainsi le son i peut-être représenté en anglais par onze combinaisons de lettres, tandis qu’en italien il l’est par le seul son i. Le son o, représenté en italien par la seule lettre o, peut-être représenté en français par quatre combinaisons de lettres, et en anglais par huit, etc., etc.
- Puis M. Pagliardi ni passe à
- La réforme orthographique par l'alphabet phonétique international. (A Suivre).
- FAITS POLITIQUES & SOCIAUX DE LA SEMAINE
- ©n Italie. — La Chambre des députés d’Italie est saisie d’un projet de caisse nationale de retraite pour les ouvriers âgés.
- Nous détachons de l’exposé des motifs les chiffres suivants relatifs au taux moyen des salaires ;
- Les salaires des ouvriers ruraux étaient en 1874, pour la Lombardie, de 1 fr. 66 par jour; ce prix moyen résul'e d’un maximum de 1 ir. 97 et d’un minimum de 1 fc. 20. Les terrassiers reçoivent en Piémont 2 fr.; en Ligurie 2 fr. 20; dans la Vénétie 1 fr. 80 ; dans l'Emilie 1 fr. 50 ; dans les Marches 1 fr. 10.
- L’exposé des motifs ne poursuit pas plus loin celte énumération. Mais, d’après des renseignement recueillis sur place, nous sommes autorisés à écrire que, dans beaucoup de provinces, le taux moyen des salaires est encore inférieur aux chiffres que nous venons de citer. Ainsi, dans le Napolitain,les salaires pour les terrassiers, les manouvriers et les scieurs de pierre ne dépassent pas 80 centimes ; dans certaines localités, ils s’abaissent à 70 centimes.
- Si l’on tient compte des chômages, on voit que ces salaires ne sont pas même suffisants pour préserver un homme de la faim ; on comprend alors que des milliers de travailleurs abandonnent tous les ans une terre qui ne les nourrit,piuspour venir offrir leur travail en France où ils trouveut des salaiies deux ou trois fois plus rémunérateurs.
- Les ouvriers des villes sont un peu mieux rétribués. La moyenne du salaire d’un manœuvre est 1 fr., 2 fr. 45 et 5 fr. Le salaire d’un maître maçon peut atteindre 5 fr. Les salaires des ouvriers cordonniers, serruriers, menuisiers, varient de o à 2 francs. Mais dans les manufactures, iis sont bien inférieurs ; certains filateurs de la province de Milan donnent un salaire qui n’atteint pas 2 fr. Et cependant, dans les villes et dans les grands centres ouvriers, le prix des choses nécessaires à la vie, sans être aussi élevé qu’en France, a subi depuis dix ans une augmentation considérable.
- *
- * *
- IL© Canal de Sue*. — Le correspondant du Times renseigne ce journal sur l’accord intervenu entre les cabinets de Paris et de Londres, relativement à la protection du canal de Suez. D’après ses informations, Suez, Ismaïlia et Port-Sdïi recevraient des garnisons anglaises ou françaises et des postes militaires, tenus par les forces des deux pays, seraient établis tout le long du canal. Le mode d occupation et de protection aurait été stipulé avec une entière précision, aüû d’éviter tout froissement et tout malentendu entre les puissances cooccupantes. Le correspondant parisien du Times relève le caractère particulier et purement officieux de cet arrangement. Lord Granville avait, le premier, comme on sait, proposé au cabinet français de coopérer à la protection du canal; mais M. de Freycinet, trouvant que la rédaction anglaise péchait par manque de limpidité, soumit à lord Granville un texte modifié, qui fut accepté par le chef du Foreigu Office. Cet accord, qui règle tous les détails de la coopération, n’a été revêtu d’aucune signature, en sorte qu’aucun des deux contractants ne se trouve irrévocablement lié; cette combinaison permettra donc au chef du cabinet fiançais de se présenter, comme il l’a promis, libre de tout engagement devant les Chambres.
- Le Times nous apprend également que le cabinet français a proposé au gouvernement britannique d’inviter l’Italie à joindre un contingent de ses troupes aux forces anglo-françaises qui se rendront en Egypte. L’échange de vues à ce sujet a été purement officieux, et ne parait pas avoir encore abouti à une résolution commune des deux cabinets.
- ¥ ¥
- Lu «situation en JSg-ypte. — Le Temps reçoit d’Alexandrie les renseignements suivants :
- Arabi a fait élever une digue qui coupe les eaux du canal qui alimente Alexandrie d'eau douce, et qui les déverse dans le lac Maréotis. Si les Anglais ne peuvent commencer leurs opérations contre Arabi, la ville deviendra bientôt inhabitable, par suite du manque d’eau.
- Retiré à 5 kilomètres d’Alexandrie, Arabi a autour de lui 6,000 hommes qu’on dit désorganisés* Il a envoyé
- p.469 - vue 470/836
-
-
-
- 470
- LE DEVOIR
- des délégués au Caire pour y pousser à une prise d’armes générale. Mais son autorité est contestée dans cette ville.
- Gomme l’occupation anglaise ne dépasse pas les portes d’Alexandrie, le parti militaire reprend courage. Il n’y a aucune garantie de sécurité pour les Européens. La situation est pire qu’après les massacres du 11 juin.
- Les Français sont démoralisés. Plusieurs d<entre eux, qui ont de grands intérêts en Egypte, ont déclaré au consul général qu’ils avaient l’intention de réclamer la protection américaine.La colonie si riche que nous avions ici est perdue.
- La question d’Egypte n’est plus une question politique, mais une question d’humanité. Les Européens qui sont rentrés dans la ville se retirent à bord des bâtiments.
- Le Times publie la dépêche suivante :
- Les massacres ont commencé au Caire, dans le quartier juif. Des massacres ont eu lieu également à Damiette, à Tookh Benta et à Calloub.
- A Tantah, tout le personnel du cadastre a été massacré.
- Omar-Lufti-Pacha, gouverneur d’Alexandrie, rentré du Caire a adressé au khédive un rapport daDS iequel il dit que, sur sa route, il a vu des Européens massacrés et leurs maisons pillées, à Damanhour, Tantah et Mihalla, où ont passé les troupes venant d’Alexandrie. Au Caire règne une panique générale. Les pillards vendent leur butin dans les rues. Arabi a convoqué au Caire tous les pachas, ulémas et notables, et leur a posé la question de savoir s’il était juste d’obéir aux ordres du khédive, et de cesser les préparatifs militaires, lorsqu’on voit que le khédive a vendu l’Egypte aux Anglais, a ordonné aux boulangeries militaires de cuire du pain pour les troupes anglaises, sans s’occuper de ses soldats à lui, et enfin a même envoyé des télégrammes au nom du gouvernement anglais.
- La réunion a eu lieu au ministère ne l’intérieur ; le ministre occuperait le fauteuil de président, mais c’était Mahmoud-Pacha-Baroudi qui dirigeait les débats. Le sheick Hassan-Edoul s’est levé pour recommander la proclamation de la guerre sainte; mais, à ia suite des instances du patriarche cophte, des avis plus modérés prirent le dessus, et la réunion a nommé un comité chargé de vérifier les accusations portées contre le khédive. Ce comité est composé de sept membres et a dû partir le 18 juillet du Caire pour Ismaïlia.
- *
- ¥ ¥
- Dans la hante Egypte. —- Un journal italien, la Gazzetta di Geneva, a reçu des correspondances de Khartoum témoignant du progrès de l’insurrection qui tend à soustraire les régions du haut Nil à la domination de l’Egypte. Les indigènes soulevés du Kordofan ont pris et brûlé un village tout près d’E-Obeïd, capitale de cette province. 50,000 kantars de gomme ont été brûlés.
- Tout le long du haut Nil, de Sennaar à Kartoum, les insurgés arrêtent les barques chargées de gomme, les coulent bas et tuent les mariniers, qui sont généralement de nationalité grecque.
- ALLEMAGNE
- On n’a pas oublié qu’une instruction fut ouverte il y a quelques mois, à Munich, contre un officier de landwehr bavarois, nommé Kreitmayr, qui était accusé d’avoir vendu des secrets militaires à un nommé Graillet, qui se disait officier de l’armée française. La Germania nous apporte aujourd’hui des détails sur cette affaire. Le prétendu baron de Graillet se nomme Jacob Guillaume Neeser; il est né à Amsterdam, le 6 décembre 1852 ; il a été naturalisé Français, et a été journaliste à Munich. Le crime de haute trahison, reproché aux accusés n’a pu être prouvé à l’instruction. Neeser et Kreitmayr comparaîtront simplement devant la police correctionnelle, sous la prévention d’escroquerie.
- M. de Puttkammer commence à manipuler la pâte électorale, en vue des élections du Landtag qui sont
- imminentes; M. de Puttkammer, expert en cette m tière, agit par tous les moyens avouables et inavouables"
- ANGLETERRE
- Les amis les plus dévoués de M. Gladstone n’ont point trouvé d’explication qui justifie ie bombardement d’A lexandrie. L’histoire aura peine à comprendre qUe u même homme qui n’hésita point à restituer l’Afghanis8 tan et à conclure la paix avec les Boërs victorieux ait donné froidement l’ordre de détruire Alexandrie. Cette destruction est un crime, cet ordre est dans une belle vie une tache ineffaçable. C’est,que la tradition du bombardement de Copenhague n’est pas encore éteinte en Angleterre,et qu’il y a deux façons de comprendre et de chanter le Bule Bntannia. La « gracieuse » reine, de sa main d’épouse et de mère, a dans les vingt-quatre heu-res félicité l’amiral Seymour de l’odieuse habileté qu’u a mise à l'accomplissement de sa besogne sinistre, et à bord de cette flotte qui vomissait la destruction il s’est trouvé des officiers pour noter la courbe des projectiles l’effet des obus, la force des explosions, afin de retirer de cette rare expérience des moyens de destruction encore plus terribles. M. Bright a simplement et noblement fait son devoir, il a quitté le ministère, ne voulant point être complice ni souiller sa conscience et déshonorer sa vieillesse x>ar la désertion de ses principes. MM. Gladstone, Chamberlain et Dilke n’en sont point probablement à regretter leur faute ni à s’apercevoir du piège tendu par le machiavélisme allemand. Berlin et Vienne avaient approuvé, applaudi même le bombardement, mais verbalement, de façon à pouvoir se reprendre et, la besogne faite, le drapeau britannique enfoncé dans le sang et dans les décombres, ils ont retiré leurs approbations équivoques, et laissé à l’Angleterre seuls la poids du méfait et la responsabilité du crime. La déception du grand-chancelier, c’est que la France ait éventé le traquenard,et que, sans rompre avec l’Angleterre, elle n’ait ni versé une goutte de sang ni déplacé une pierre. L’attitude prise et commandée par Bismarck n’est pas moins odieuse, et elle est plus coupable que le sang-froid brutal et ponctuel de Seymour. L’un des « reptiles * entretenus par le chancelier, la Gazette de Cologne, a, par ordre sans doute, dévoilé à demi le plan du grand homme : faire de l’Egypte un champ de lutte, de division, de haine, de carnage, au besoin, pousser l’Angleterre et la France à se jeter sur cette proie, à se la disputer, à se séparer, à s’isoler mutuellement, raviver leurs vieilles haines et, la chose faite, le dissolvant ayant agi, faire intervenir de haut la puissante Allemagne pour « trancher la question », et asseoir l’hégémonie de l’empire allemand sur la tête des nations européennes agenouillées. La question égyptienne n’est qu’un incident, et la vraie guerre est celle que prépare le génie malfaisant de Bismarck. Bismarck, c’est l’ennemi ! Si les gouvernements ne le sentent point, que les peuples jaloux de leur liberté, de leur prospérité, de leur paix, le sachent et se le disent.
- M. de Freycinet paraît avoir vu clairement le péril, et non moins clairement la marche à prendre pour l’éviter. La France n’a point trempé dans le bombardement. Elle laisse l’Angleterre faire seule la police des ruines amoncelées par ses canons, mais la France n’a point rompu son alliance avec l’Angleterre, et si les deux gouvernements sont sages, cette alliance ne sera pas même relâchée. Que la Turquie, qui a reçu enfin, en dépit des retards créés par l’Allemagne, la note collective des puissances, intervienne ou non, la France n’interviendra ni seule, ni avec l’Angleterre seule. Que l’Angleterre qui a sagement et habilement déclaré qu’elle ne dépasserait pas Alexandrie, que même en occupant la ville elle entendait agir dans un intérêt général de police et d’ordre européen, persévère loyalement que l’action commune des deux nations reste expressément limitée à la protection du Canal de Suez, qu’elles laissent à l’Europe, c’est-à-dire à la Conférence, le soin, la décision, la responsabilité, c’est ie programme
- p.470 - vue 471/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 471
- esquissé au nom de la France par M. de Freycinet, accepté par la Chambre française, et qui ratifié, nous l'espérons, et loyalement exécuté par l'Angleterre, préservera l'Europe des deux écueils sur lesquels on voudrait la faire échouer : une guerre générale, ou l’écrasement des nations applaties devant le césarisme allemand.
- (États-Unis d'Europe).
- ITALIE
- En Italie, la grève des laboureurs, des ouvriers des champs continue, et le gouvernement effaré ne paraît connaître d’autre remède que le fusil et la prison.
- AUTRICHE-HONGRIE
- L’Autriche-Hongrie n'annexe point encore la Bosnie et l’Herzégovine, mais elle y organise ouvertement toutes les branches de l’administration. Elle met à profit les préoccupations que soulève partout la question égyptienne.
- Le Tzar fait passer à l’étranger sa fortune personnelle, il veut assurer l’avenir de ses enfants. Il a peut-être lu les Rois en exil, de M. Daudet.
- La ^tolitique ci& Mb do 33i£rmabx*cl£. Les
- déclarations par M. Mâncini au sujet de l'imbroglio égyptien, les révélations non moins étonnantes du livre rouge, le sans-gêne de la Porte, l’audace d’Arabi-Pacha, les premiers actes de la Conférence, lès préparatifs militaires précipités de l’Angleterre prouvent que le prince de Bismarck, tenu en échec sur le terrain économique, battu dans sa politique intérieure, triomphe dans sa politique extérieure du divide et impera. En quoi consiste cette politique? Il l’a dit lui-même il y a quelques jours devant le Parlement avec la franchise brutale qui lui est habituelle : * Tous ses efforts depuis 1871 ont été concentrés sur un but unique : empêcher la formation d’une coalition de la Russie et de la France contre l’Allemagne ; opposer une coalition monarchique à toute tentative de rapprochement et d’action commune entre la France et l'Angleterre en Orient. » Voilà pourquoi il a détaché l’Italie de l’alliance occidentale, isolé la France en poussant celle-ci en Tunisie, au Maroc, la jetant ainsi là où il croyait qu’elle aurait du fil à retordre avec les Arabes. Quand il a vu qu’en Egypte la France et T Angleterre marchaient d’accord, ils’est mis en travers en en faisant agir la Turquie, poussant les Arabes contre les Européens, sacrifiant à la fois l’indépendance de l’Egypte et les intérêts financiers de l’Europe. Les massacres d’Alexandrie sont l’effet immédiat de cette politique infernale ; les armemeuts précipités, les dépenses folles, la méfiance, la jalousie, la discorde, la haine entre les nations, voilà les moyens. Tous les Etats européens sont victimes de cette politique à laquelle ils doivent leurs embarras financiers et leur ruine économique.
- N’admettant d’autres principes et d’autres moyens que la force et la ruse pour résoudre les conflits internationaux, inaccessible à tout sentiment généreux, méprisant la morale et le droit strict comme indignes d’un homme d’Etat, M. de Bismarck ne voit partout que des ennemis, des embûches, des conspirations ourdies contre FAllemagne, ou pour mieux dire contre l’Empire, car ce n’est point pour le peuple allemand qu’il travaille, c’est pour l’empire des Hohenzoliern.
- Sous l’influence de ces idées, M. de Bismarck voit les populations de race germanique qui occupent le centre de l'Europe sous la menace permanente d’une double invasion par les frontières de l’Est et par celles de l'Ouest. Là se trouve, pense-t-il, deux races hostiles, l’une, la race slave, parce que, nomade de tradition et de tempérament, elle ne connaît et ne respecte aucune limite, ni politique, ni naturelle ; l’autre, la race latine, parce qu’elle a des provinces perdues à reconquérir et une
- rosse revanche à prendre. « L’Allemagne, dit le grand hancelier, par son esprit national et par son organisation militaire, est de taille à tenir tète à chacun de ses deux adversaires naturels dans le cas où ils oseraient l’attaquer séparément ; mais il prévoit le cas où, par Teffet d’une alliance, toujours possible,des Slaves et des Latins, elle sé trouverait isolée entre ces deux lignes de baïonnettes dont la pointe est invariablement tournée vers le centre de l’Enrope. »
- Voilà le dernier mot de la politique de M, de Bismarck et le point de départ de la diplomatie allemande dans les affaires d’Europe, et par suite dans celles d’Orient qui est le tapis franc où se jouent des grosses parties européennes. De là l’intervention de 'l'Allemagne en 1878 pour arrêter la Russie dans sa marche vers Constantinople et pour annuler le traité de San-Stefano remplacé par le traité de Berlin, cette source inépuisable de conflits entre les puissances intéressées au démembrement de l’empire ottoman. S’approcher de l’Autriche même au risque de méconter l’Angleterre qui se rattrapera sur Chypre ; encourager, pousser la France à se jeter dans i’aventure tunisienne, voilà les ficelles de cette politique,
- Ce qui est étrange, c’est que tous les gouvernements européens aient donné et donnent dans le panneau. N’y a-t-il donc que des routiniers et des idiots dans la diplomatie européenne? Assurément on y trouve des hommes de talent, et je veux même croire des hommes de cœur, mais ce qui fait leur faiblesse c’est le manque de moralité, c’est qu’ils ne veulent jamais admettre que la meilleure politique c’est la franchise. Un diplomate qui irait par le grand chemin, qui dévoilerait naïvement tous les prétendus secrets de la diplomatie aurait un immense succès parce qu’il déjouerait tous les pièges, toutes les intrigues. Cette politique serait ia meilleure parce qu’elle se fonderait sur la justice et la vérité.
- Mais en définitive faut-il que l’Europe soit perpétuellement dupe et victime des jongleries d’un homme d’Etat cynique et hargneux? Non! Les Etats comme la France. l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Hollande, etc., qui ne veulent pas être entraînés dans un tourbillon, absorbés et ruinés, doivent se coaliser pacifiquement par traités d’arbitrage. Un jour viendra où les gouvernements de l’Europe occidentale ouvrant les yeux s’uniront d’un effort commun et imposeront à T Allemagne la paix et le désarmement.
- C’est, là la vraie, la seule politique qui puisse permettre aux peuples de l’Europe de s’entendre et de jouir en paix des fruits de leurs travaux.
- (.États-Unis d'Europe). A. U.
- s
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- M. John Allan, chargé de la rédaction du rapport sur les ressources du Comité central, commence son travail en rappelant les motifs qui ont amené l’institution de ce Comité. Les Sociétés naissantes avaient à lutter contre l'ignorance en fait d'affaires, et elles étaient isolées de tout conseil ami, privées de tout voisinage sympathique. Leur système d’organisation était tout à fait primitif, et chaque progrès réalisé par elles l’était au prix d’une expérience chèrement acquise, exposées qu’elles étaient sans cesse aux déceptions occasionnées par de faux amis, ët aux
- attaques d’ennemis avoués.Ses fonctionnaires étaient
- p.471 - vue 472/836
-
-
-
- 472
- LE DEVOIE
- souvent arrêtés net par des obstacles en apparence insurmontables, et il n’y avait pas la moindre cohésion entre les associations du même genre dans la même localité, qui se portaient plutôt ombrage les unes aux autres, travaillées qu’elles étaient par un misérable esprit d’envie et d’antagonisme. Le progrès de ces associations était donc constamment entravé par une foule d’empêchements qu’il fallait faire disparaître à tout prix, d’autant plus qu’à tout instant les actes du Parlement, tendant à régler la constitution des Sociétés coopératives,ajoutaient aux difficultés, et qu’il devenait urgent d’arriver à donner à cette législation une base meilleure, au moyen des faits d’expérience résultant d’une bonne organisation.
- Quiconque a accordé une attention même légère aux opérations des institutions établies sur le principe de l’Association, est convaincu que les succès obtenus par elles sont faibles, peu durables et dangereux, lorsqu’ils ne sont pas réglés et dirigés par un système démesures bien entendues et bien enchaînées les unes aux autres, émanant d’un conseil exécutif central bien composé, pour rendre son action immédiate suffisamment énergique, et son administration régulière. C’est là sans aucun doute un élément absolument essentiel de toute coopération, quelle que doive être son influence et quelles que soient ses ramifications.
- Le rapporteur cite à l’appui de ses assertions ce qui a eu lieu récemment pour la Société d’Halifax et pour celle de Leigh, dans des circonstances extrêmement difficiles, et les sommes incalculables qu’auraient extorquées les employés aux yeux de lynx de l’Inland Revenue aux Sociétés coopératives, pour leur impôt sur le revenu, sans le Comité central qui a exercé son influence d’une façon si puissante dans ces cas. Les collecteurs de cette taxe ont essayé maintes fois dans divers districts de forcer les Sociétés à payer des sommes énormes qui n’étaient point dues, mais toujours le Comité central et surtout son digne secrétaire général M. Vansittard-Neale les ont obligés soit à y renoncer, soit à rembourser ces sommes lorsqu’elles avaient été déjà perçues.
- A ce propos, le rapporteur déclare qu’il considère comme de son devoir de manifester hautement les sentiments de gratitude des coopérateurs à l’égard du secrétaire général du Comité M. Vansittard-Neale, pour les innombrables moyens employés par lui pour maintenir la concorde,la paix et le bon vouloir entre les Sociétés,pour assurer aux affaires la fidélité et les garanties de bonne foi,pour écarter les obstacles suscités par la mauvaise volonté et l’hostilité,qui retar* |
- dent les progrès, en un mot, pour l’immense bien accompli par lui et dont la récapitulation est impossible.
- Le besoin du Comité central se faisait sentir avant sa création, et son histoire atteste les innombrables services par lui rendus au mouvement coopératif et à sa propagation.Mais pour que son influence s'exerçât d’une manière aussi efficace, il était nécessaire qu’il pût disposer de ressources suffisantes pour pa-rer à toutes les éventualités. Aussi un bon nombre de Sociétés comprirent qu’elles devaient au moyen de souscriptions ou de cotisations alimenter régulièrement sa caisse, et le chiffre des souscripteurs est à celui des non souscripteurs dans la proportion de cinq à trois.
- Voici le tableau des sommes fournies annuellement à cet effet par les diverses Sociétés faisant partie de l’Union, au moyen de cotisations :
- Années Sociétés Membres Sommes
- 1874 357 187.443 34.364 fr. 35
- 1875 S65 199.150 37.388 » »
- 1876 385 219.748 38.904 55
- 1877 427 249.128 44.103 30
- 1878 449 246.414 48 475 30
- 1879 467 270.665 49.523 20
- 1880 509 293 948 54.756 55
- 1881 495 290.623 53.038 40
- 1882 504 330.613 60.391 65
- Ce tableau, dit le rapporteur, indique que l’accroissement de prospérité de la coopération n’est point ce qu’il devrait être, soit en rapport de l’augmentation numérique des membres, soit suivant l’urgente nécessité d’étennre et de conduire systématiquement les opérations de propagande. Beaucoup de coopérateurs sont convaincus que si la coopération doit atteindre une phase plus élevée de prospérité, ce sera uniquement grâce à la bienfaisante influence, à la sage direction et à la fraternelle direction du Comité central.
- Il est donc du devoir de l’association non seulement de l’aider de toutes façons, mais encore de chercher des moyens de créer des ressources propres venant en aide aux contributions ordinaires. Il semble que pour atteindre ce but, on devrait faire ce qui a été virtuellement accepté au Congrès d’IIalifa, c’est-à-dire que le journal Coopérative, News appartint entièrement à l Union |coopérative, de manière qu’il fut tout à la fois l’organe et la propriété de l’Association. On a souvent proposé de lier intimement l’existence du journal à celle du comité central, et de faire de ces deux éléments un seul tout.au point de vue de l’intérêt commercial, aussi hien qu’à celui du but à atteindre et des aspirations à satisfaire. Déjà il s’entraident mutuellement d’une façon
- p.472 - vue 473/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 473
- évidente, et la prospérité financière du journal est en partie l’œuvre du Comité, qui s’il avait à sa disposition, au lieu de ses maigres ressources, les profits toujours grossisant du Coopérative News pourrait étendre dans une large mesure le champ de son influence et de son action.
- Pour cela, naturellement, il faudra avoir le consentement des Actionnaires ; mais il y a bien des raisons d’espérer qu’il ne sera pas difficile à obtenir. Le nombre d’actions n’est point considérable; et l’on peut dire qu’elles ont été souscrites moins comme un placement que comme un encouragement et une aide, et comme le revenu en est limité à 5 p. 0/0, on acceptera volontiers un autre placement.
- Cette modification triplerait le nombre des intéressés propriétaires, et donnerait à la direction un caractère plus ample de représentation, tout en investissant le comité de moyens d’action plus puissants et plus étendus pour rallier les sociétés demeurées encore étrangères à l’union.
- M. Holyoake lit à son tour un rapport,dans lequel il constate d’abord que la coopération, simple aspiration théorique il n’y a pas encore bien longtemps, est aujourd’hui un état organisé dans l’Etat, un état nouveau gouverné d’après des principes inconnus à nos pères, qui ne viole aucune loi et ne por'te atteinte à aucun intérêt honnête. Cet état est celui dont les revenus sont les moins importants, puisque le revenu qui soutient le crédit public et l’existence sociale de ce nouveau mouvement est simplement de deux pences (0,20 c.) par an et par membre des sociétés faisant partie de l’union. Il atteint un total qui dépasse 2,000 livres sterling (50,000 francs) par an, et si chaque membre de toutes les sociétés confédérées souscrivait, il s’élèverait à près de 5,000 livres (125,000 fr.). Or les raisons pour souscrire sont nombreuses. Comme l’industrie coopérative est la seule qui profite de la publicité donnée à son principe et à sa méthode de distribution des bénéfices, il s’ensuit que l’argent qu’elle dépense en propagande est le mieux placé de tous les capitaux, et que cet emploi est le placement le plus avantageux qu’elle puisse faire. Les conditions auxquelles on peut devenir membre de l’association sont très simples et n’exigent pas de bien grandes formalités ,• or, comme chaque associé a les mêmes droits pour ce qui est de l’avis à donner sur la direction du mouvement, il s’ensuit qu'il est de la dernière importance que ses votes soient aussi éclairés que possible. En effet, le comité de direction le plus sage et le plus expérimenté ne peut pas marcher plus vite que la majorité de ses membres ne le permet, eu égard à son instruction, et c’est pourquoi il est indispensable que tous
- comprennent bien les îprincipes et les méthodes à appliquer. Le meilleur moyen pour atteindre ce but, c’est de fournir abondamment de l’argent au Comité chargé de faire prospérer le mouvement, afin qu’il puisse propager l’instruction chez les coopérateurs, et prendre toutes les mesures nécessaires pour obtenir ce résultat.
- Darwin, voyageant en Esprgne, arriva un soir dans une hôtellerie isolée et entra pour demander à dîner. Près de la cheminée de la cuisine était couché un chien qui se chauffait dans un coin. Que pouvez-vous me donner demande le savant à l’hôtesse. Je puis vous donner des œufs répond-elle. Le chien regarde à ces mots le voyageur avec intérêt. Interrogée de nouveau,la maîtresse de l'auberge dit qu’elle a aussi du jambon, et le chien regarde encore d’un air d’in-telligènce l’étranger. « Ne pouvez-vous pas me donner quelque chose de mieux ? » dit-il. Par sainte Anne, répond l’hôtesse, je puis vous donner un poulet. « A peine a-t-elle prononcé cette parole, le chien bondit et se sauve par la fenêtre ouverte. Le naturaliste surpris demande pourquoi le chien s’est échappé ainsi. » C’est qu’il tourne la broche, et qu’au mot de poulet, il a compris que c’était une corvée dont il était menacé.
- Il y a, dit M. Holyoake beaucoup de coopératcurs qui écouteront aussi avec plaisir l’énumération des avantages et des mérites de la coopération, mais qui aussitôt qu’on leur fait entendre le mot de souscription se sauveront comme le chien Pompée de l’hôtesse Espagnole. Pourtant si l’omveut que l’hôtell-erie coopérative fournisse en abondance œufs, jambon et poulets, ils faut que les souscripteurs tournent la broche, et il y a dans la broche coopérative cette différence avantageuse qu’elle produit elle-même, lorsqu’elle est bien tournée, ses poulets toujours savoureux.
- On ne demande pas de sacrifices héroïques aux membres, mais seulement huit farthings (0,19 cent.) par an à chacun, pour la continuité, la prospérité et l’extention du mouvement. Avec les deux pence (0,20 cent.) pleins, on aurait un excédent pour la création du collège coopératif dont M. Neale a suggéré l’idée à Christ-Chuch Hall.
- Sur la proposition de M. Lumb, l’assemblée vote l’impression et la distribution de ces rapports. Une très courte discussion s’engage ensuite entre un dé’é-gué et M. Nuttall, au sujet de la proposition de faire du Coopérative News la propriété de l’association, que ce dernier combat, sans donner lieu à aucune décision de la part de la réunion.
- La séance s’est terminée,avec elle le et Congrès par des Votes dé jremercîmeûts suivant rasage*
- p.473 - vue 474/836
-
-
-
- 474
- LH DEVOIR
- LE GRAND SÉMINAIRE
- Enseignement dogmatique et spirituel
- Dans chaque diocèse de France, ordinairement dans les villes épiscopales ou près de ces villes,il y a une maison fermée aux regards profanes, où vivent des hommes déjà mûrs et un grand nombre de jeunes gens. Les femmes ne pénètrent pas dans l’enceinte de cette maison. Tout ce qui ne porte point la soutane n’y entre qu’avec grand’peine ; et lorsque les laïques y sont admis, ils sont toujours accompagnés et soumis à une surveillance des plus actives.
- Un supérieur dirige cette maison.Des professeurs y enseignent les sciences ecclésiastiques et s’occupent en même temps, par la confession et la direction, à former leurs pénitents à une manière d'être et à un esprit particulier qu’ils appellent l’esprit ecclésiastique.
- A Saint-Cyr on fait des officiers pour l’armée ; à l’école navale des officiers de marine ; aux écoles polytechnique et centrale, des officiers et des ingénieurs. Dans les grands séminaires, on forme des prêtres ; on choisit et on enseigne des jeunes gens qui deviennent officiers dans l’armée de l’Eglise romaine.
- Quels sont ces jeunes gens? Ils sont de tout âge et de toutes conditions. Les uns, c’est le petit nombre, approchent de la trentaine ; iis pourraient être papas et ils le sont peut-être, chi lo sa ?
- Généralement ceux-ci sont peu intelligents, ils ont commencé un peu tard leurs études littéraires et la mémoire leur fait défaut avec la force d’esprit. Mais s’ils sont peu intelligents, par contre ils sont très-entêtés, sont doués d’une foi robuste, ne doutent jamais et sont faciles à prendre les décisions les plus importantes dans leurs conséquences. Les autres sont plus jeunes. Quelques-uns même n’ont que seize à dix-sept ans. Parmi ces derniers on trouve toutes sortes d’intelligences et de caractères.
- Les élèves d’un grand séminaire sont de toutes conditions, fils de nobles, de bourgeois, de paysans, de concierges, de bouchers, de maçons, de cordonniers, etc. ; tous s’y coudoient, tous y vivent ensemble, et, à quelques exceptions près, ils vivent tous en bonne fraternité, sans orgueil, sans morgue et sans hauteur. Ce sont de bons éléments dont on pourrait tirer parti pour le service de la Société.
- Mais Monsieur l’évêque est là avec le gérant et les ouvriers de sa fabrique à prêtres. La matière pre**
- mière, ce sont les élèves du séminaire. Cette matière est malléable. On va donc forger les corrupteurs ou les parias de l’humanité. On s’appliquc d’abord a'faire mourir en eux l’homme delà raison pour y mettre à la place Vhomme du fanatisme. Sermons sur l’enfer et le ciel, sur la mort et le jugement dernier, méditations, messes, prières, confessions générales, rien n’est épargné. Pendant huit jours, les élèves du séminaire se livrent à des lectures inutiles, à des méditations creuses et à des prières abrutissantes. Au bout de ce temps*là, leur système nerveux et surexcité, l’imagination religieuse n‘est plus dans son aplomb, le fanatisme gagne les intelligences ; les jeunes lévites sont préparés à recevoir la bonne semence et peuvent commencer l’étude des sciences romaines. Ils sont aptes à étudier la théologie dogmatique et morale, l’histoire ecclésiastique, le droit canon, la Bible et surtout les savantes leçons du jésuite Rodriguez sur les pratiques spirituelles de la perfection et de la sainteté.
- Le premier atelier du séminaire peut s’appeler l’atelier du dogme romain. Les problèmes religieux les plus importants et les plus difficiles y sont examinés et étudiés. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les tables d’une théologie dogmatique quelconque de la somme de Thomas d’Aquin, par exemple. Mais en même temps les questions les plus oiseuses, les plus absurdes et les plus saugrenues y sont posées sérieusement, discutées et résolues. Dans les problèmes sérieux et importants la solution est quelquefois vraie ; elle est ordinairement fausse, parce qu’elle est le résultat du fanatisme ; elle est toujours orgueilleuse, impérative et intolérante.
- A ce problème capital « y a-t-il une religion » ? la théologie répond om.Mais aussitôt elle entre dans l’ordre d’une religion positive, révélée par Dieu lui-même et confiée par Dieu à certains hommes privilégiés qui ont charge de la communiquer et de l’enseigner aux autres hommes. C’est l’ordre de la théocratie. La théocratie domine le dogme romain. Et c’est là qu’il faut voir une des causes de la durée des tyrannies monstrueuses des rois, des évêques et des seigneurs du moyen-âge, tyrannies que la morale romaine obligeait à respecter, sous peine d’une damnation éternelle, comme aujourd’hui elle voudrait obliger les hommes à reconnaître et à respecter les prétendus droits d’un grand nombre de riches opulents qui, contre toute justice, possèdent beaucoup plus que l’équivalent de leur travail ou du travail de leurs parents. Dès lors toute intelligence des droits et des devoirs des hommes est impossible.
- p.474 - vue 475/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 475
- Monsieur Godin a parfaitement décrit les caractères sociaux de la théocratie dans les paroles suivantes : a Mentant à son principe, la théocratie se donne « comme ayant la mission d’unir les hommes par « l'amour et la charité, lorsque, en réalité, elle les « divise par toutes sortes de convoitises et de « haines. » Aussi cherchez parmi les catholiques un vrai socialiste, il est introuvable. Tout catholique qui s’affirme socialiste est ou ignorant ou hypocrite. S’il a véritablement l’intelligence de la question sociale, s’il formule nettement et motive par des. raisons sérieuses les droits et les devoirs de tous, si en même temps il est partisan de Rome, des prêtres et de l’éducation romaine, soyez sûrs qu’il n’a pas approfondi la question religieuse et n’a pas vu l’incompatibilité de la théocratie et du socialisme. S’il a vu cette incompatibilité et qu’il s’affirme socialiste, c’est un hypocrite, un homme dangereux, un faux frère.
- Monsieur Craig, fondateur de l’association agricole de Ralahine, apprécie comme nous les tendances inévitables de la théocratie : « Les antipathies « de secte et les tendances théologiques empêchent les « hommes de se rendre compte des sublimes prin-« cipes de justice inhérents à la science de la « société. Ils oublient que le premier réformateur « social fut le grand maître lui-même, et que la « règle de vie qu’il a enseignée ne peut-être réalisée « pleinement que par une organisation des rapports « entre les hommes, entre la terre, le capital et le « travail qui assure à l’ouvrier tout le produit de « ses efforts. Un tel but ne peut-être atteint avec « justice pour tous et pour chacun que par l’esprit « et la pratique de la religion de Vhumanité. »
- Dès le commencement, la théologie romaine nie les droits de la raison et tue l’homme intellectuel « L’autorité religieuse seule, dit-elle, est le chemin « de la vérité ». Et Pie IX, sous l’influence des Antonellis ultramontains, a osé jeter à la raison humaine le défi suivant : « L’homme ne peut pas « embrasser la religion que sa raison lui montre « comme vraie ». A ce défi insultant de la théocratie, l’homme répondra toujours par la parole de Rousseau : « De quoi puis-je être coupable en ser-« vant Dieu selon les lumières qu’il donne à mon « esprit et selon les sentiments qu’il inspire à mon « cœur » ? Oui, la raison humaine vient de Dieu ; elle est la vie intellectuelle de l’homme ; elle est donc pour nous la lumière et le chemin du vrai et du beau.
- Mais il n’en est pas ainsi pour le pauvre élève du séminaire. A l’école de ses maîtres en théologie, il
- apprend à écouter seulement l’autorité et à mépriser la raison, à justifier toutes les tyrannies et à insulter la liberté humaine. Messieurs les évêques et leurs délégués, supérieurs ou professeurs des grands séminaires, sont donc bien coupables, puisqu’ils jettent dans l’esprit des jeunes gens qui leur sont confiés des préjugés absurdes et des théories dangereuses .
- Il est évident que l’humanité est perfectible et va instamment d’un état moins parfait à un état plus parfait. Le progrès est une loi de la vie. Un homme peut se dégrader, une société peut s’avilir; mais l’humanité marche toujours développant sa vie et agrandissant son bien-être. Or le dogme romain nie ce progrès. « Il n’y a point de progrès dans la reli-« gion, dit le Syllabus, car dès le principe la révéla-« tion du Christ est parfaite. » Pourtant, par une inconséquence des plus grossières, cela n’empêche pas que le Pape ne définisse de temps en temps une nouvelle croyance et n’impose quelque nouvelle pratique de jeûne, de prière ou d’aumône. Tel est l’orgueil de la doctrine romaine. Elle s’affirme la vérité, toute la vérité, la vérité complète et entière. Même, dans sa folie et dans sa cruauté, elle appelle toutes les malédictions et toutes les souffrances sur ceux qui lui refusent les caractères de la vérité et de la justice.
- Ecoutez encore la voix du Pape dans le Syllabus : « L’église romaine ne peut pas et ne doit pas se « réconcilier avec le progrès, le libéralisme et la « civilisation modernes. » Si l’église romaine ne doit pas se réconcilier avec le progrès moderne, elle doit être son ennemie. C’est là son devoir. Les jeunes gens dans les séminaires apprennent donc à mépriser le progrès moderne et à le combattre. Et on trouve des familles qui consentent à cette corruption intellectuelle et sociale de leurs enfants ; et le gouvernement de notre république est assez faible et assez idiot pour prêter main-forte à cette odieuse besogne en fournissant aux diocèses des édifices publics où s’accomplit, sous les yeux et la direction des évêques, cette œuvre de corruption à l’égard des jeunes gens qu’on forme au sacerdoce romain.
- Je ne continue pas à montrer la perversion de la théologie des séminaires. Cet exposé m’entraînerait trop loin et me forcerait à une critique philosophique et sociale des principes affirmés par l’église du du pape. Qu’il nous suffise maintenant de constater que le séminaire est une école d’immoralité intellectuelle et sociale, puisque les jeunes gens que la superstition y a jetés apprennent par dessus tout à mépriser les droits de la raison, les droits du peuple et les droits du progrès.
- p.475 - vue 476/836
-
-
-
- 776
- LE DEVOIR
- On ne forme pas les jeunes lévites seulement à la théologie et aux sciences qui s y rapportent, comme l’histoire ecclésiastique, le droit canon, etc, on s’attache surtout à faire en eux l’homme ecclésiastique, l’homme séparé des habitudes, de la vie et de la science du monde. Ce second travail consiste dans des pratiques diverses, lectures, méditations, examens de consciences et prières. Ces exercices, dits pieux, allument en quelque sorte comme un foyer de fanatisme qui sans cesse échauffe l'imagination, surexcite les tendances superstitieuses et mythologiques et fortifie 1 esprit dans les croyances romaines. Aussi lectures, méditations et prières ne décessent jamais. Dans les séminaires on donne seulement sept heures par jour au travail intellectuel et on ne craint pas de perdre cinq heures dans les travaux stupides qu’on appelle exercices de piété.
- De ce travail dit spirituel, principe et cause du fanatisme, résulte une quasi-impossibilité pour les élèves de réfléchir sainement sur les doctrines qui leur sont enseignées. Le Mahométan fidèle à sa foi et à sa religion croit fermement que Mahomet faisant un voyage au ciel a traversé la lune de part en part. Le séminariste fidèle aux exercices pieux admire avec naïveté l’étonnante organisation d’un Dieu qui est tout à la fois un seul et même Dieu et trois personnes divines parfaitement distinctes ; et jamais il ne lui vient à la pensée que la formule de la trinité romaine puisse offrir une impossibilité mathématique.
- Ne lui demandez pas non plus de critiques sur le dogme, la morale ou la Bible. L’église romaine enseigne; cela lui suffit, Jéhovah, le Dieu des juifs, fait massacrer par la tribu de Lévi vingt-trois mille Hébreux et se hâte après de faire son compliment aux massacreurs : « Vous avez aujourd’hui consacré « vos mains au Seigneur en tuant votre fils et votre « frère, aussi serez-vous bénis de Dieu. » Le pauvre séminariste tremble, il est vrai, devant ces ordres divins; mais pour lui le Dieu de la Bible est toujours le bon Dieu. Devant un homme sensé au contraire ce Jéhovah est un triste criminel puisqu’il aime la guerre et le sang et consacre ses lévites en leur faisant massacrer et leur fils et leur frère.
- Le séminariste lit sa Bible et se trouve devant le récit suivant : « Samson prend trois cents renards, « les attache deux à deux par la queue, y suspend « un flambeau et incendie les moissons des Philis— « tins, leurs vignes et leurs oliviers; il brise les « liens avec lesquels on l’avait attaché, saisit une « mâchoire d’âne et tue avec elle mille de ses enne-* mis. Epuisé et altéré par la fatigue d’un si rude
- « combat, il crie vers le Seigneur, qui lui ouvre une « des grosses dents de cette mâchoire et en fait sortir » un ruisseau d'eau, où Samson reprit ses forces. » Tout homme sensé et sans préjugés, après avoir lu ce récit, ferme le livre avec dégoût et s’écrie : « C’est assez de fables, passons aux choses sérieuses. » Le séminariste, qui idolâtre la bible et la regarde comme un livre divin, admire la force étonnante de Samson qui tue mille Philistins avec une mâchoire d’âne, et remercie la bonté de Jéhovah qui a bien voulu ouvrir une des grosses dents de cette mâchoire et en faire sortir un ruisseau d'eau pour désaltérer Samson.
- Quand le séminariste connaît toutes ces histoires saugrenues de la bible, quand il a sucé le romanisme jusqu’à l’extrémité des cheveux, quand il a fini par regretter les temps du Saint-Office, de l’Inquisition et des billets de Pâques, il est devenu un séminariste parfait et peut agiter la question sérieuse de sa vocation.
- Un ancien prêtre.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- naissances s
- Le 18 juillet. — Elia Emilia Gaudériaux, fille de Elie Gaudériaux fils et de Valleray Elise, morte le 23.
- Le 23 juillet. — Camille Charles Jean-Baptiste Dirson, fils de Jean-Baptiste Dirson et de Vassaux Euzébie.
- Souscription pour l’érection d’une statue à Oaribaldi
- Mme Boussuat, à Paris.................. 5 fr.
- Montant des listes précédentes. . . 76
- Total. ... 81 fr.
- —UCOCOOOOW1
- IRISH LAND CORPORATION
- Cette Société, de fondation assez récente1, a pour père un riche propriétaire irlandais, M. Kavanagh, dont le nom se trouve accolé à tout ce qui se crée dans le but de sauvegarder les privilèges du Landlor-disme et de combattre l’influence et l’action de la Landleague.
- L’ « Irish Land Corporation » prend place à côté des * defencer and Emergeney Comities * organisés
- p.476 - vue 477/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 477
- comme premier acte de résistance contre le mouvement de la ligue. La nouvelle association est à la fois politique et financière.Fondée par actions,elle compte déjà parmi ses adhérents et souscripteurs en Irlande» aussi bien que dans le Royaume-Uni, des personnages influents et de grands propriétaires.
- M. Kavanagh, dans son projet parfaitement élucidé du reste, s’atîaque de prime-abord au moyen, sinon le plus puissant, du moins un des plus puissants que la Landleague emploie contre les propriétaires, au boycottage, ou mise en interdit des fermes et terres dont les tenanciers ont été expulsés.
- M. Kavanagh a la prétention de prendre ainsi le taureau par les cornes, et il espère le terrasser. On espère toujours ce que l’on désire, mais en ce qui concerne M. Kavanagh comme en ce qui a trait à toutes les tentatives qui ont été faites jusqu’à ce jour pour avoir raison de la revendication irlandaise, nous croyons que la déception ne se fera pas attendre. Le mouvement qui agite la verte Erin a aujourd’hui le double caractère politique et social. Le manifeste du « No Rent », dont l’application se continue et qui vise particulièrement l’élément anglais, le prouve surabondamment. Les demi-remèdes contre le mal inventés par le gouvernement de Sa Majesté Britannique, les mesures de coercition contre l'agitation et ce qu’on nomme les crimes agraires, ont été tout simplement de l’huile bouillante versée sur un brasier. Nous croyons qu’il en sera de même de 1’ « Irish Land Corporation ».
- Le plan de M. Kavanagh, du reste, est loin d’obtenir l’approbation unanime des propriétaires purement irlandais qui, bien que opposés aux doctrines de la Landleague, ne se dissimulent pas les dangers qu’une pareille association peut, dans l’avenir et même dans le présent, avoir pour leur pays.
- Ce plan, en effet, substitue la « Land Corporation » aux tenanciers et aux fermiers dans tous les cas oh il y aura eu éviction pour défaut de payement et où la Landleague aura frappé d’interdit les fermes ou terres devenues vacantes par suite de cette éviction. La Société se charge dès lors de la culture de ces terres, en payant, à titre de fermage, une redevance au propriétaire. Puis, afin de mettre des fermes isolées ainsi que ceux qui les exploiteront en son nom, à l’abri des coups de la Landleague, la Compagnie se réserve la faculté d'étendre son cercle d’action sur tout le district rural environnant, pourvu que celui-ci soit la propriété du même landlord. Enfin prévoyant, d’après les dispositions de la population irlandaise, combien il serait difficile de trouver en Irlande des cultivateurs et des manœuvres qui, pour
- un motif ou pour un autre, consentiraient à se substituer à leurs malheureux compatriotes, M. Kavanagh fait pressentir la possibilité d’employer des bras étrangers, des cultivateurs venus du dehors.
- Or cette possibilité d’employer des bras étrangers, des cultivateurs venus du dehors, peut laisser parfaitement supposer une arrière-pensée dans le projet en question, et la presse nationaliste aussi bien que les chefs et adhérents de la Landleague n’ont pas été longs à l’entrevoir. Que les appels à la iésistance qui ont accueilli la création de la Land Coopération, soient, comme le prétendent les journaux dévoués au landlordisme, un effet des inquiétudes et de la consternation mal disséminées de la part des Land-ligueurs, ou bien qu’ils soient l’expression sincèredu patriotisme et de l’esprit de nationalité de la ligue et du parti nationaliste, il n’en est pas moins vrai que les protestations se sont fait jour avec un redoublement d’énergie. A la déclaration du M. Kavanagh qu’il aurait l'intention de remplacer les fermiers irlandais évincés par de loyaux fermiers amenés de différents pays, un cri d’alarme a répondu et l’on a vu dans cette substitution « une nouvelle plantation « semblable à celles opérées sous le règne de la reine « Elisabeth et sous le protectorat de Cromwel, des-« tinée à remplacer l’Irlandais dans sa propre pa-« trie, par l’élément saxon et écossais. »
- M. Kavanagh a bien essayé d’atténuer sa déclaration ainsi que plusieurs expressions malheureusement employées dans des lettres de lui publiés par la pr isse ; il n’a pu réussir à détruire l’impression produite,et les pétitions nombreuses qui se signent contre l’établissement et le fonctionnement de 1’ « Irish Land corporation » démontrent assez que le Landlordisme a fourni une arme de plus à ses adversaires nés.
- Annoncé avec moins de retentissement il y a un an ou 18 mois et affranchi de cette imprudente déclaration, ce projet eut pu, dit-on, réussir à établir des rapports moins tendus entre les Landlords et les tenanciers; mais actuellement, en présence de la sur-excitation des esprits et du redoublement de patriotisme local Viorne rule), et d’hostilité contre tout ce qui est anglais, il ne peut qu’échouer et peut-être même se retourner contre ceux qu’il avait l’intention de favoriser.
- C’est qu’on se demande (et les esprits les mieux prévenus en faveur du projet se font cette question), s’il n’y aurait pas un véritable danger pour un pays ayant relativement de peu d’étendue,dans lequel le sol n’est possédé que par un nombre comparativement très restreint de propriétaires, à laisser s’y établir
- p.477 - vue 478/836
-
-
-
- 478
- LE DEVOIR
- uüq compagnie puissante, disposant de nombreux capitaux et qui finirait, à la longue, par avoir entre les mains, directement ou indirectement, la plus grande partie de la propriété foncière. Et comme cette question n’est pas hors de propos, les nationalistes et les Landligueurs trouvent des alliés inattendus parmi un certain nombre de propriétaires leurs ennemis déclarés en toute autre circonstance. Ces propriétaires tout en admettant la bonne foi des explications fournis par les fondateurs de la Land corporation, fondateurs dont la plupart sont anglais, ce qui est déjà un tort aux yeux de bien des Irlandais ; tout en ne désirant pas leur prêter d’arrière pensée, ces propriétaires ne peuvent, de même que les home rulers,se dissimuler que par la force même des choses, par la pression des événements, l’élément Irlandais serait peu à peu repoussé et ferait place à des étrangers. Ils craignent qu’une fois entrée dans cette voie, la compagnie poursuivant un but politique, ne parvienne, en leur faisant des avantages pécuniaires d’une certaine importance, à persuader aux fermiers de lui céder leurs fermes, de s’expatrier, en même temps qu’elle favoriserait d’une autre part les émigrations.
- Enfin ces mêmes propriétaires envisagent encore cette question au point de vue religieux. Ils considèrent que dans l’introduction de l’élément étranger lequel sera forcément protestant, ce sera un coup fatal à la religion catholique, une menace tout au moins, et un moyen non avoué, détourné, pour faire gagner au protestantisme le terrain qu’il a perdu en Irlande. Or, connaissant les sentiments haineux et le mépris qui existent de catholiques à protestants, sentiments et mépris qu’un rien peut faire éclater, catholiques eux-mêmes, du reste, ils ont peur que cette introduction de l’élément étranger ne devienne le signal de luttes religieuses venant s’ajouter aux maux déjà trop grands qui accablent l’Irlande. Il va sans dire que le clergé catholique Irlandais dont l’influence est toujours très grande, est complètement opposé à la Land corporation,et qu’il ne se fait pas et continuera à ne pas se faire faute d’user de cette influence pour saper la nouvelle association, ennemi commun en présence duquel s’évanouiront aussi les divergences de vues qui tendaient à se manifester au sein de la ligue et du parti nationaliste.
- Si nous l’osions, nous pourrions donc dire que l’apparition du plan Kavanagh est un bien pour le séparatisme Irlandais,qu’il rapproche dans un intérêt commun, au moment où il paraissait vouloir se diviser, et où semble vouloir de nouveau entrer en scène un autre ennemi, le parti Orangiste.
- Il résulte, en effet, de renseignements venant de Belfort ou du nord de l’Irlande, que ce parti a l’intention de reprendre très prochainement un rôle actif dans la politique intérieure du pays, ainsi que dans les luttes qui pourront résulter de l’état actuel des choses. Solidement reconstitué, assure-t-on, il est prêt à toutes éventualités. La loge d’Armagh, dans son manifeste lancé dernièrement à la suite de quelques troubles sans importance survenus dans cette ville, invite les protestants de toutes sectes et de toutes opinions politiques à se préparer à une attaque imminente « des rebelles ». Le cabinet de Gladstone, que les « jaunes » taxent, de lâche est l’objet de leur haine particulière. Ils l’accusent même de connivence avec la parti séparatiste. Dévoués néanmoins à l’Angleterre, ils se déclarent prêts à la soutenir au prix de tous les sacrifices, dussent-ils même recourir à la force des armes.
- En somme, pour toutes les causes nouvelles dont nous venons de parler,et pour celles existantes déjà et que le Devoir a fait connaître à ses lecteurs, un sentiment de vague inquiétude se généralise à Dublin et dans toute l’Irlande. On se sent comme étant à la veille d’événements de la plus haute gravité et qui semblent s’accroître encore des affaires d’Egypte. L’odeur du sang versé à Alexandrie, la fumée de l’incendie qui a dévoré cette ville, se respirent jusqu’en Irlande. Des rumeurs alarmantes circulent, des faits dont quelques-uns sont considérables, mais dont le plus grand nombre emprunte de leur importance aux circonstances, une recrudescence de sentiments haineux dans la masse contre l’élément anglais, des allusions à une vengeance prochaine et à un avenir meilleur pour l’Irlande, tout cela porte à croire qu’une lutte suprême se prépare. La présence inaccoutumée à Dublin de certains étrangers aux figures menaçantes et dont les allures sont suspectes confirme encore à l’esprit de plus d’une personne la certitude d’une explosion prochaine,
- Le gouvernement anglais, lui-même, semble se préparer à toutes les éventualités. Les découvertes d’armes qu’il fait de temps à autre, la presque certitude par lui acquise que dans certains comtés et jusqu’en Angleterre, la population Irlandaise s’exerce la nuit à des évolutions militaires et au maniement des armes, l’impuissance de la police en présence de la complicité de la population, ne sont pas faits pour le rassurer. Il n’est pas jusqu’à l’ouverture de l’exposition de produits naturels qui doit avoir lieu au 15 août prochain, qai ne lui donne de l’inquiétude.
- On sait que c’est M. Dawson, le lord maire actuel de Dublin, qui a pris l’initiative de cette oeuvre. La
- p.478 - vue 479/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 479
- proposition, lorsqu’il l’a faite, en a été accueillie avec la plus grande faveur. Une Société à responsabilité limitée au capital de 30 mille livres, divisé en actions d’une livre chaque, pour couvrir les frais de cette entreprise, s’est immédiatement formée, et l’œuvre s’accomplit aujourd’hui en dehors de tout patronage royal. Le jour de l’ouverture de ladite exposition, sera aussi celui de l’inauguration d’une statue colossale d’O’Connel, qui doit être érigée au centre de la ville de Dublin. Des fêtes de tous genres ont été organisées pour ce jour,fêtes auxquelles sont conviés à prendre part tous les corps de métiers, outes les corporations, sociétés musicales, orphéo-niques et autres de l’Irlande. Un cortège immense sera formé de toutes ces sociétés qui, précédé de drapeaux et de bannières nationales, se rendra dans Sackville-street où la cérémonie doit avoir lieu. Il y aura, inutile de le dire, bien des discours prononcés, bien des cris d’enthousiasme poussés, bien des toasts portés au banquet qui suivra. Nous nous unirons de cœur à ceux qui seront en l’honneur de l’indépendance autonomique des peuples, et de leur union sous un drapeau unique, celui de la République universelle,
- C.-P. Maistre.
- DE LA MISÈRE & DES MOYENS DE LA DÉTRUIRE
- On nous écrit de Lausanne :
- Lausanne vient d’entendre une réédition des inepties économiques et sociales de l’école communiste française. Dans la grande salle de l’hôtel-de-ville,et devant un nombreux auditoire attiré par la nouveauté d’un débat qui devait être contradictoire, un citoyen cordonnier a débité, à perdre haleine, les vieux clichés du célèbre démolisseur : la propriété c'est le vol; les bourgeois sont des scélérats, des parasites gras et repus, qui sucent le sang des prolétaires, et autres aménités proudonhiennes.
- Of, pendant que ce Démosthène populaire dévidait sa philippique enflammée en présence de nombreux propriétaires et de bourgeois excellents travailleurs, au milieu desquels se trouvait l’illustre géographe de Clarens, M. Elisée Reclus, un journal arrivé le matin même à Lausanne, réfutait merveilleusement toutes les assertions communistes de l’orateur.
- Le Devoir du 2 juillet, revue hebdomadaire des Questions sociales, sous la direction de M, Godin, généreux fondateur du Familistère de Guise, réfutait ainsi à l’avance, les aberrations économiques du conférencier :
- « La communauté n'est conforme aux lois de la nature que lorsqu’elle s’applique à cette part de biens que la terre prodigue libéralement à tous les êtres sans distinction. Appliquée aux fruits du travail, elle constitue une injustice, parce que le produit du labeur de chacun ne doit en aucun cas, être la propriété de celui qui n’a concouru en rien à sa production. »
- « Mais il est raisonnable et juste que la Société,en s’emparant des biens naturels ou des forces de la nature, fournisse en échange, à tous ses membres, les moyens de vivre. »
- « Il faut que sous la protection des lois, dans chaque entreprise, la part due à la vie humaine soit réservée, et que les droits du travail, dans les bénéfices de la production, soient reconnus et établis. »
- « Telle est la réforme radicale qui seule peut détruire à jamais le paupérisme, car le mal évident de la Société actuelle provient de la répartition abusive de la richesse créée par le travail. »
- Le Devoir du 9 juillet répond encore plus explicitement aux utopies spoliatrices du compagnon révolutionnaire :
- * Pour rendre à la propriété du sol son véritable caractère de propriété communale, faut-il dépossé-der les propriétaires actuels? Ce serait une injustice, une criante spoliation. Car le capital qui leur a servi à payer leur droit de propriété du sol, représente le produit du travail économisé et accumulé, et comme tel, il constitue la plus légitime, la plus sacrée de toutes les propriétés personnelles. Les dépouiller de cette portion de terre serait un crime analogue à celui du bandit qui attend le voyageurau coin d’un bois, »
- « Le moyen de ne pas léser les intérêts des propriétaires, tout en faisant rentrer les biens par eux détenus, dans la collectivité nationale, ce moyen, dont l’idée première revient à Fourier, c’est I’æsso-dation de toutes les forces communales, du capital et du travail, de la production et de la consommation, de l'agriculture et de l'industrie. »
- L’auteur des deux livres remarquables intitulés, solutions sociales (1871), et mutualité sociale ou extinction du paupérisme (1880), M. Godin a éloquemment développé ces diverses affirmations de la théorie, Il y a même ajouté une démonstration visible et tangible qui devrait faire tomber toutes les objections, s’il n’y avait pas toujours des hommes qui ont de bons yeux pour ne rien voir, et de larges oreilles pour ne rien entendre.
- | Cette démonstration, plus éloquente que les plai-| doieries de cent célébrités oratoires, c’est le palais
- p.479 - vue 480/836
-
-
-
- 480
- LE DEVOIR
- social, c’est le temple de 1‘association du capital et du travail, c’est le Familistère de Guise.
- Personne plus que les amis et les disciples de M. Godin ne ressent de plus vives sympathies pour les souffrances physiques et morales des prolétaires, et n’éprouve un plus ardent désir de détruire la double misère qui fait la honte de notre siècle riche, savant et égoïste. Mais cette douleur d’une criante injustice sociale, no les entraîne point à en désirer une autre non moins criante, à l’exemple des niveleurs à outrance, et des égalitaires aigris par le malheur.
- Que les bourgeois intelligents méditent cette grave question de la justice sociale, d’abord par devoir, puis par intérêt. Que les prolétaires sérieux et travailleurs reconnaissent les droits acquis par le capital, c’est-à-dire par le travail accumulé, et l’entente ne tardera pas à se faire. Des mains qui allaient peut-être se teindre de sang, se presseront fraternellement, et ce qui allait devenir une misère universe’le, se transformera bientôt en prospérité générale.
- On assure que, par arrêté du ministre des affaires étrangères, M. Amédée Marteau a été chargé d’une mission d’études sur le fonctionnement des banques populaires en Allemagne et les résultats qu’elles ont donné ainsi que sur le système des assurances ouvrières.
- TRIBUNAUX
- LA NOSTALGIE DU MIROTON
- On s’habitue à tout, dit-on, même au veuvage.
- Il y a cependant une chose à laquelle les veufs ne euvent s’habituer, c’est à la cuisine de restaurant, e souvenir des plats que la « défunte » confectionnait de ses propres mains surnage toujours dans le cœur du conjoint resté seul. Et c’est cette nostalgie du miroton qui pousse fréquemment le veuf, habitué aux douceurs culinaires de la vie conjugale, à contracter un nouveau mariage. Lahaine desmenusde restaurant l’emporte ainsi parfois sur une sagesse chèrement acquise.
- Mme Dutilia, une grande connaisseuse du cœur, pardon! de... de l’estomac humain, a basé tout une industrie sur le besoin impérieux qui entraîne tout homme veuf vers la cuisine domestique. Ces temps derniers, elle a fait insérer dans le Petit Journal cette alléchante annonce : « Pension de veufs, tenue par la veuve Dutilia ; nourriture de ménage. »
- La perspective d'une nourriture de ménage, exempte de tout autre accessoire, a séduit naturellement nombre de veufs qui rechignaient, deux fois par jour, contre l’éternel menu de trente deux sous : « purée aux croûtons plat de viande, plat de légumes et dessert. » Aussi les clients sont accourus en foule chez la veuve Dutilia.
- Parmi eux, M. Francastor, un homme jeune encore, à constitution athlétique, mais dépérissant depuis le mois de mars dernier, époque à laquelle il a conduit à sa demeure dernière Mme Francastor, le modèle des épouses habiles dans l’art culinaire.
- En quelques semaines, grâce à la cuisine réconfortante de Mme Dutilia: «soupe à l’oseille, haricots, miroton, chou farci et omelette au lard » M. Francastor reprif le teint frais et plein de santé qu’il avait aux jours peureux où Mme Francastor présidait aux menus conjugaux.
- Un misérable moineau, un «pierrot», vient défaire crouler tout le bonheur de ce veuf en pâte.
- Eu effet, Mme Dutilia, pour se consoler de la mort de son mari, avec lequel, trente ans dorant, elle avait mené une vie très heureuse, a recueilli chez elle un oiseau, « Pierrot» sur lequel elle a reporté toutes ses affections domestiques. « Pierrot », comme l’on peut croire, régnait en maître au domicile de la veuve. Il buvait familièrement dans le verre des pensionnaires volait sur leurs épaules, faisait en un mot mille folies que les veufs toléraient, eu égard seulement à la cuisine de Mme Dutilia. «Pierrot» était un Vert-Vert au petit pied.
- Il y a quinze jours environ, les habitués de la pension Dutilia se trouvaient au grand complet dans la salle à manger de la veuve. On n’entendait que le bruit des fourchettes « Pierrot » volait ça et là, comme à son habitude, sur la tête des pensionnaires. Tout à coup, l’oiseau vint s’abattre sur l’assiette de M. Francastor,et y déposa une « incongruité ».
- Emporté par la colère, M. Franc istor saisit « Pierrot » par le cou et le fit, d’un coup de pouce, passer de vie à trépas.
- Mme Dutilia arriva trop tard à la rescousse ; son bien-aimé agonisait. Sans perdre une seconde, la veuve se précipita sur le meurtrier de « Pierrot », lui déchirale visage avec ses ongles, lui arracha une partie de sa barbe et plusieurs poignées de cheveux. En présence de ce carnage, les pensionnaires se décidèrent à abandonner momentanément leur fourchette, et à se porter ausecours de leur camarade, qu’ils retirèrent tout ensanglanté des mains de Mme Dutilia,
- Cette scène épique a eu hier son dénouement en police correctionnelle.
- Assise au banc des prévenus, Mme Dutilia était appelée à répondre de sa manière d’agir à l’égard de son pensionnaire. Loin de chercher à excuser son agression, la veuve, encore tout en larmes, a raconté au tribunal, avec force gestes indignés, l’acte de lâcheté inqualifiable que s’est permis M. Francastor.
- La prévenue. — Mon mognau, monsieur le juge, c’était ma seule consolation depuis la mort de mon pauvre cher défunt. On aurait dit la pauv’ bête qu’il le savait : toujours après moi à me bécoter, à me chérir comme si y n’avait pas été un animal.
- Le prés dent. — ’lout cela ne vous donnait pas le droit de déchirer le visage au plaignant, et de lui arracher les cheveux.
- La prévenue. — Vous croyez ? Mais, nom de d’là, j’aurais pas été une femme Voir mun pauv’ Pierrot martyrisé comme un chrétien ! Jamais, mon juge, vous qu’êtes un homme de la justice, vous n’auriez souffert ça.
- I ,e président. — Ainsi vous ne regrettez aucunement votre agression ?
- La prévenue. — Jamais ! que je serais prête à recommencer si ça pouvait y redonner la vie à ce pauv’ Pierrot. — En faisant ce qu’il a fait, y faisait son métier de bête.
- M. Francastor. — Quand on tient un restaurant pour les veufs madame, on 11e doit pas avoir d’animaux chez soi. Fallait le dire dans votre dernière annonce du Petit Journal, je ne serais pas venu m’assoir à votre table. J’aime la tranquillité et la propreté,moi.
- La prévenue. — V'ià-t-y pas, monsieur qui fait le dégoûté ! lien verra bien d’aubes. Je ne le recevrai plus a mon restaurant, et y sera obligé de se remarier* V’ià ce qu’il aura gagné à massacrer ce pauv’ Pierrot.
- Le tribunal se montre clément,et n’inflige à Mme Dutilia qu’une condamnation à 25 fr. d’amende et 25 fr. de dommages-intérêts.
- Mme Dutilia (en se retirant,) — C’est égal, y sera force de se remai ier. Et y verra ça alors !
- Le üirecteur-Gei ant : GüDIN SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.480 - vue 481/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 8. - n° 204, Le numéro hebdomadaire 20 c. _Dimanche 6 Août 1S82
- LE DEVOIR
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France Union postale
- Un an... . 10îr.»» Un an . . . . llfr.»»
- Six mois . . . 6 »» Autres pays
- Trois mois . . 3 »» Un an. . . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5 ,r .N euve-des-petits-Champ s Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- W m' @5?
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La guerre et la prospérité nationale. — La réforme orthographique. — Faits politiques et sociaux. — Le congrès d'Oxford. —Agitation générale contre Vexpédition d'Egypte. —L’amour et le mariage. — Extrait d’une lettre d’une femme qui craint la guerre. — Les palais d'évêques. — Etat-civii du Familistère. — Distinction entre les étoiles fixes et les planètes.
- AVIS
- Nous avons la satisfaction d’informer nos lecteurs que nous commencerons dans le prochain numéro du « Devoir » la publication d’Etudes philosophiques et religieuses dues à la plume de M. Pierre-Félix Courtépée, jurisconsulte.
- --«aeOUggæeBeB»"--
- La Guerre et la Prospérité Nationale
- Dans ce moment où l’Angleterre, imprudemment lancée dans une entreprise dont nul ne peut désormais prévoir les résultats, sollicite l’alliance active de la France, pour une intervention commune dont,
- suivant ses habitudes, elle tâchera de retirer tous les profits, en laissant à son alliée toutes les charges, on ne saurait trop insister sur les inconvénients, pour un pays, des guerres d’agression et d’invasion, et sur leur influence, sur les progrès du travail et par conséquent de la richesse nationale.
- Longtemps aux yeux des hommes abusés se méprenant sur les conditions de la véritable gloire, plus une nation était victorieuse et plus elle était prospère et grande, comme si la véritable prospérité consistait dans la pompe déployée par le triomphateur traînant enchaînés derrière son char de victoire les rois ses ennemis vaincus, tandis que les deux peuples, celui du vainqueur aussi bien que l’autre, grâce aux ravages de la conquête et de la guerre, meurent de dénument et de faim, et que d’innombrables familles pleurent leurs enfants, leurs frères ou leurs parents morts dans les combats.
- Jamais en France le peuple ne fut plus misérable, plus dénué de tout, que sous les règnes de ces prétendus grands souverains, tels que François Ier et Louis XIV, autour desquels la légende s’était plue à faire fumer d’épais nuages d’encens, pour masquer les souffrances du pays et les contorsions d’agonie des malheureux mourant de faim, après avoir été réduits à manger l’herbe des champs.
- L’Allemagne que le génie tortueux de son grand chancelier de fer a placée aujourd’hui si haut au premier rang des nations Européennes, l’Allemagne, malgré ses victoires et les nombreux milliards encaissés à la suite de ses guerres, est plus pauvre, plus misérable que jamais, et le peuple Allemand en est réduit à envier le sort de telle ou telle nation vaincue par ses armées, mais que les tributs exorbi-
- p.481 - vue 482/836
-
-
-
- 482
- LE DEVOIR
- tants n’ont point appauvrie, et qui crée sans cesse par son travail de nouvelles sources de richesses.
- Partout où la guerre règne, toute prospérité disparaît aussi bien pour le vainqueur que pour le vaincu, et il n’en pourrait être autrement, puisque la guerre détourne du travail tous les hommes valides, toutes les forces vives du pays, les deniers publics aussi bien que les travailleurs, contraints à quitter l’outil pour le fusil, et à déserter l’atelier pour le champ de bataille. Tout est détourné brusquement et violemment de sa voie pour être porté vers la lutte, c’est-à-dire la violence, la destruction, le pillage et la mort.
- Aussi est-ce avec raison qu’un ministre Anglais, récemment démissionnaire, M. Bright a pu dire ces magnifiques paroles, que l’on ne saurait trop reproduire, comme une leçon précieuse donnée de haut à tous les gouvernants présents et futurs.
- « Je crois, » de M. Bright, « qu’il n’y a de grandeur permanente pour une nation que celle qui est basée sur la moralité. Je ne me soucie pas de la grandeur et de la gloire militaire, mais je me soucie de la condition des gens au milieu desquels je vis. Les couronnes, les titres de noblesse, les mitres, les parades militaires, la pompe de la guerre, de grandes colonies, un immense empire sont à mes yeux des bulles d’air et sans valeur, auprès du bien-être, de la satisfaction, du bonheur de la plus grande partie du peuple. Les palais, les châteaux, les grands mo-muments, les majestueux hôtels de ville ne font pas une nation. La nation habite dans le petit logement; et si la lumière de votre constitution n’y brille pas, si la beauté de votre législation et l’excellence de la politique de vos hommes d’état ne sont pas imprimées dans les sentiments et dans la condition du peuple, c'est, soyez en convaincus, que le gouvernement ne connaît pas encore ses devoirs.
- « Je n’ai pas dit que l’Angleterre devait rester sans moyens de défense suffisants. Je sais que c’est le devoir de nos hommes d’état, agissant d’accord avec les opinions connues de 99 personnes sur cent dans le pays,d’avoir des remparts qui, en tout temps, avec toute l’efficacité possible, garantissent l’ordre dans l’intérieur et sur les frontières de notre patrie. Mais je répudierai et je dénoncerai la dépense de chaque shelling, l’enrôlement de chaque homme, l’armement de chaque bateau, qui n’aura d’autre objet que de nous entremettre dans les affaires des autres pays, et d’essayer d’étendre les frontières d’un empire qui est déjà assez grand pour satisfaire les plus grandes ambitions, et qui, je le crains, est beaucoup trop grand pour la capacité de gouvernement à laquelle un homme puisse atteindre.»
- La grandeur militaire est un fléau terrible pour un pays, un fléau le plus terrible de tous, parce qu’il enraye nécessairement tout progrès, paralyse l’agriculture, arrête le développement de l’industrie et du commerce, târit dans leur source tous les éléments de prospérité et de richesse nationales, et augmente par conséquent dans une immense proportion les causes de souffrance et de misère dans le peuple. Chez une nation militaire, le paupérisme existe et se développe nécessairement, parce que l’impôt du sang père de tout son poids sur la population qu’il décime, qu’il atteint, et qu’il frappe aux sources mêmes de la vie, sans retour et sans remède. Elle agrandit peut-être son territoire par la conquête, mais elle affaiblit sa puissance de production dans la même proportion, si bien qu’à un moment donné ce colosse aux pieds d’argile s’écroule fatalement en semant les ruines de toutes parts, comme s’écroula l’empire Romain devenu trop vaste, et comme s’écrouleront tous les empires fondés sur la gloire militaire et sur la conquête.
- Dans une nation, l’armée n’est qu’un parasite ruineux, utile seulement pour la défense du territoire de la patrie, et ne pouvant rendre de réels services que dans le cas où l’intégrité de ce territoire est menacé. Bonne pour la défense, elle est un danger pour l’attaque, que les charges qu’elle impose tendent à provoquer pour l’utiliser, et cala est si vrai, que toutes les fois qu’on est tenté de la mettre en mouvement, comme dansles circonstances actuelles, on invoque les prétextes pompeux à dénominations sonores et creuses, telles que l’influence nationale, la protection des nationaux, la sécurité d’une route maritime indispensable aux communications entre la mère-patrie et ses colonies, etc., etc.
- C’est avec ce prétexte de l’influence Française à maintenir dans le monde, que la France a fait toutes les guerres plus ou moins funestes, entreprises depuis le commencement du siècle, et qui ont eu pour résultat réel de lui faire perdre toute influence. La guerre de Crimée fut faite au profit de l’influence Anglaise ; l’occupation persistante de Rome a grandi l’influence Italienne ; l’expédition du Mexique a détruit l’influence Française en Amérique ; et la guerre Franco-Allemande a considérablement accru celle de l’Allemagne et plus spécialement de la Prusse, en Europe.
- Ainsi, vainqueurs ou vaincus, les Français n’ont rien gagné aux différentes guerres qu’ils ont faites, et ce ne serait point un malheur, si cette rude leçon leur a fait enfin comprendre que, suivant l’expression du ministre Anglais cité plus haut, les parades militaires, la pompe de la guerre, de grandes colo-
- p.482 - vue 483/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 483
- Dies, un immense empire sont des balles d’air sans j valeur» auprès du bien être, de la satisfaction et du bonheur de la plus grande partie du peuple.
- Certes, loin de nous la pensée de nier l’utilité de j l’influence Française dans le monde. Son action ci- j vilisatrice est plus vraie dans le sens du progrès que | celle des autres peuples à nos yeux. C’est la France j qui a fait triompher dans le monde moderne les j idées libérales qui forment aujourd’hui la base des j constitutions intérieures de la plupart des empires, j C’est grâce à son action toute-puissante, que le rè- j gne de la liberté a été inauguré enfin sur la terre, à j la place du principe d’autorité absolue, qui jusqu’à- j lors avait fait des peuples un troupeau conduit et j malmené par des rois, suivant leur bon plaisir. Mais nous soutenons que ce n'est point à l’aide de la guerre que ce résultat a été produit. Ses victoires ont pu y contribuer dans une large mesure, mais c’est surtout en raison des circonstances où elles ont été remportées, et par suite de ce que la violence était devenue alors nécessaire contre la violence aveugle s’armant contre elle, qui représentait les idées de la justice et du droit. Mais ce qui dans un moment troublé où le chaos moral est complet, est opportun et nécessaire, cesse de l’être lorsque l’ordre a été rétabli dans ce chaos et que l’état normal a reparu.
- La guerre, bonne pour détruire, fait disparaître dans un moment donné l’obstacle qui s’oppose à un progrès essentiel, mais elle ne peut réaliser elle-même aucun progrès. C’est pour cela que l’on ne doit y recourir que dans ces cas extrêmes où elle se justifie par les besoins de la défense de la civilisation. C’est un instrument bon tout au plus à débarrasser la route des ronces qui l’obstruent, mais qui ne peut servir en aucune façon à un défrichement du sol, utile à la culture.
- C’est pour cette raison que nulle prospérité n’est possible pour un pays en guerre. La prospérité nationale est le résultat de la productionde la richesse, et pour cette production, la condition indispensable, la condition sine quanon, c’est la paix. Sans la paix, Point de progrès dans l’Agriculture, dans l’Industrie, dans le commerce, dans les sciences et dans les arts, et sans le développement progressif et simultané de ees diverses branches du travail des peuples, point de production de richesse, point de prospérité possible. Au point de vue militaire aujourd’hui, la première nation du monde c'est l’Allemagne. Il n'en existe pas en revanche de moins prospère. Son commerce est nul ; son industrie morte, ses finances épuisées, et sa population réduite à la plus extrême misère, émigre et s’expatrie sans cesse, pour aller
- chercher sur d’autres terres le pain que la patrie ne peut plus lui donner. Tel est le fruit des pompes de la guerre, de la prépondérance du militarisme triomphant.
- Redoutons donc la guerre comme le pire ennemi de la prospérité des peuples ; sachons enfin comprendre que cette prétendue gloire que procure le succès des armes est une apparence vaine, comme les oripeaux qui parent d’un éclat trompeur et fugitif les trônes vermoulus des souverains, et apprécions mieux la véritable gloire qui consiste à hâter, par les utiles travaux de la paix, l’avènemet de l’èie prospère de la fraternité parmi les peuples, de la civilisation et du progrès. Dans ce sens l’œuvre accomplie par Ferdinand de Lesseps est infiniment plus glorieuse que celle des Napoléon ou des Bismarck.
- ———~
- LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE (0
- II
- Dans la plupart des langues, nous avons beaucoup plus de sons élémentaires que de signes pour représenter les sons. Néanmoins, par une étonnante bizarrerie, on trouve, dans une même langue, îjus-qu’à douze combinaisons pour représenter un même son.
- Outre cela, quand on passe d’une langue à une autre, l’usage fantaisiste de l’alphabet est encore plus évident. En effet, d’une part, les sons qui nous étaient familiers, sont déguisés sous des formes nouvelles, capricieuses et décevantes ; d’autre part, les signes auxquels depuis longtemps nous attachions un certain sens, en acquiérent un tout différent. Ce qui fait que la difficulté d’acquérir la prononciation d’une langue étrangère, consiste moins dans l’apprentissage de nouveaux sons (ceux-ci étant généralement en très-petit nombre), que dans l’obligation de désapprendre ce que nous savions déjà.
- « La plupart des nations », a dit Rousseau, « ont « pris l’alphabet les unes des autres, et représenté « par les mêmes caractères des voix et des articula-« lions très-différentes, ce qui fait que quelque « exacte que soit l’orthographe, on lit toujours « ridiculement une autre langue que la sienne, à « moins qu’on n’y soit extrêmement exercé. »
- « En outre, dans toutes les langues, excepté l'ita-lienne et, jusqu’à un certain point, la suédoise et la
- (1) Voir le Devoir du 30 juillet 1882.
- p.483 - vue 484/836
-
-
-
- 484
- LE DEVOIR
- danoise, nous trouvons la grande majorité des mots
- encombrés de lettres superflues qui, bien que formant souvent une part essentielle du mot primitif, devraient être supprimées dans 1 écriture comme on les supprime dans la prononciation.
- « Qu’est-ce en effet que l’écriture, sinon la représentation oculaire du langage humain ? Donc elle doit refléter toutes les modifications de ce langage.
- u Quand on aborde l’étude d’une langue étrangère, toute l’attention est forcément absorbée, et pour un temps très-long, un fastidieux travail de se rendre maître d’une ridicule orthographe. Aux difficultés naturelles de cet apprentissage, un bien plus grand nombre de difficultés artificielles est ainsi ajouté.
- « Comme l’a dit, avec tant d’autorité, le docteur Doherty dans sa grammaire anglaise : « Si « nous ne pouvons donner de base scientifique à « notre orthographe, nous pouvons du moins pro-« clamer qu’elle est excentrique sous tous les rap-« ports, et que ses premiers éléments sont de « remarquables spécimens d’une inimitable confu-« sion. »
- « Il n’est que trop vrai que l’orthographe anglaise se distingue par ses merveilleuses excentricités. Qui ne sait que l’infatigable Walker donne 285 règles et observations sur la prononciation des mots écrits, et qu’il a publié, en outre, un gros volume lequel n'est pas autre chose, dit il, qu’un dictionnaire de prononciation.
- « Quant aux régies orthographiques tirées soit de la phonétique soit de l’étymologie ou de l’histoire, l’anglais n’en connaît aucune ; c’est une tentative infructueuse de compromis entre les trois principes, où chacun à son tour est sacrifié aux deux autres.
- « Quand par hasard quelques règles apparaissent, elles sont soumises à des exceptions si nombreuses et si variées que nulle confiance ne peut leur être accordée.
- « Le français, bien qu’il soit plus strictement assujetti à des règles, fixes offre des anomalies à peu près équivalentes, tant ses règles sont fantaisistes et des moins scientifiques.
- « Les dérivations et l’historique du mot semblent avoir été le but principal des doctes académiciens français. A cette fantaisie savante et dont la réalisation du reste est impossible, est sacrifiée l’exactitude de la représentation écrite d’une langue constamment parlée par cinquante millions d’âmes, et plus ou moins étudiée par les gens instruits de toutes les nations civilisées. Le français est, en outre, encombré de lettres muettes et par conséquent superflues,
- qui devraient depuis longtemps avoir partagé le sort de la lettre S si longuement et si ardemment défendue, et qui pourtant a fini par disparaître des mots fête, arrêt, nôtre, état, chrétien, etc..., ou de la lettre l qui a de même été bannie des mots antre royaume, couteau, cou, soie, etc..
- « Comme exemple de la complexité de l’orthographe française, nous mentionnerons simplement qu’en 1861, M. Julien Blanc, de Paris, publia un ouvrage intitulé : « Enseignement méthodique de l’orthographe d'usage, sans le secours du grec et du latin ». Cet ouvrage, un chef-d’œuvre d’ingéniosité et de patience, est le résultat de 20 ans de travaux continus; il ne contient pas moins de 163 règles fondamentales, dont un grand nombre sont subdivisées en catégories et la plupart accompagnées d’exceptions innombrables. Règles , catégories, exceptions et exemples remplissent 285 pages finement imprimées ! Et il est affirmé en toute conscience, et donné comme un résultat presque miraculeux que, avec deux leçons d’une heure chacune par semaine, trois ans d'étude suffiront à un jeune français pour apprendre à orthographier sa langue maternelle !
- « Combien il serait meilleur, plus agréable et plus profitable de dépenser ces heures précieuses à l'étude des nobles pensées des grands hommes défunts, aux faits principaux de l’histoire des nations, aux sciences mathématiques, à s’assurer des lois par lesquelles Dieu gouverne cet univers ; ou, pour nous en tenir à l’étude seule des mots, combien il serait plus intéressant, plus intelligent, de faire l’analyse de leurs éléments, de leurs connexions, de leurs rapports, de leurs affinités avec les smots des autres langues !
- « Quel fond de poésie dans les métaphores dont les mots sont les formes abrégées ou elliptiques, quelle source de philosophie morale et sociale actuellement cachés à l’étudiant, faute de temps pour en aborder l’étude à l’école, lui seraient alors révélés !
- « La France, depuis une quarantaine d’années, a libéré ses écoles de la perte de temps occasionnée par un système confus des poids et mesures. En décrétant l’unité sur ce point, elle a permis l’acquisition et le développement d’une bien plus grande somme de connaissances dans les mathématiques et les sciences naturelles. Pourquoi les heures perdues au travail décourageant et fastidieux de l’étude d’une orthographe compliquée, ne seraient-elles point acquises de même, au profit de la littérature et des plus hautes branches de la philologie ?
- Qu’on ne suppose néanmoins pas que dans le
- p.484 - vue 485/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 485
- passé tandis que la langue française amalgamait graduellement les éléments variés dont elle est composée, adoucissait les rudes combinaisons de sons et s’assimilait des mots de provenance étrangère, il ne se soit pas trouvé beaucoup ddiommes clairvoyants, rationnels (et cela parmi les plus éminents et les plus savants), pour signaler qu’il était absurde de laisser au langage écrit l’immobilité de la mort, tandis que la langue parlée, dont l’écriture prétend être l’image, vivait de la vie de la nation et partageait sa croissance.
- « En 1531 le célèbre Jacques Dubois plus connu du monde savant sous son nom latin Sylvius, posa le premier la question. Il fut suivi de près par Louis Meigret qui dans son « Traité de la grammaire française » proposa que l’orthographe fût en stricte conformité avec la prononciation. Comme il arrive presque toujours pour les novateurs, Louis Meigret fut tourné en ridicule par ses contemporains. Néanmoins beaucoup des changements qu’il proposait ont été depuis sanctionnés par quantité d’auteurs et finalement par l’Académie.
- « Dans la même année, le poète et mathématicien, Jacques Péletier, proposa aussi une réforme orthographique.
- « L’érudit et pédant poète Ronsart « Dont la muse en français parla grec et latin » à ce que prétend Boileau, Ronsart lui-même écrivit ces mots : « Tu cuiteras toute orthographie « superflue, et ne mettras aucunes lettres en tels « mots, si tu ne les prononces en les lisant :
- « En 1562, le célèbre Ramus (Pierre de la Ramée) le même qui, pour ses vues progressives en toutes choses, tomba victime de la St-Barthélemy, publia sa « Gramère fransoeze », preuve convainquante si d’autres manquaient, que telle était au 16e siècle la prononciation de ces deux mots. Les ouvrages phonétiques sont d’une inestimable valeur pour l’histoire de la croissance et du développement d’une langue, et ils en auraient infiniment plus si leurs auteurs eussent adopté un système universel de représentation des sons. Ramus propose dans cet ouvrage la suppression des doubles consonnes (ho-neury persone, éfet, au lieu de honneur, personne, effet) ;
- l’omission des lettres muettes dans les mots Meme-, tête, pâte, au lieu de mesme, teste, paste, etc.
- Ramus,àsontourfuttourné en ridicule etpersécuté Pour ces propositions, autant que pour ses autres tentatives de réformes ; mais l’Académie n’en a pas ûaoins été obligée cl’adopter, depuis, plusieurs des suSgestions de Ramus.
- (A suivre).
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- IL-a situation en IDg^ypte. — La situation est très simple, en Egypte, très claire et très menaçante : la paix européenne est en grand péril.
- On a qualifié de crime et de faute le bombardement d’Alexandrie, mais l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie et la Russie, en refusant d’une façon si péremptoire l’offre que l’Angleterre et la. France" leur faisaient de concourir foutes ensemble à rétablir en Egypte l’ordre, la justice, la sécurité, le travail et la paix, ont commis un crime une fois plus grand. Elles ont trahi la civilisation. Elles ressuscitent la Sainte Alliance d’odieuse mémoire ; elles consprent contre la libert - des peuples, elles travaillent à préparer une guerre générale qui fera verser, si elle éclate, mille fois plus de sang que n’en a fait couler l'amiral Seymour.
- Maiuteuir la paix.empêcher la guerre,doit être à cette heure l’unique préoccupation de tous ceux qui ne se sont pas laissé embrigader par le Césarisme allemand.
- Alexandrie est en ruines, occupée par les Anglais, menacée de manquer d’eau, Arabi ayant dérivé daôs le lac Maréotis le canal qui amène l’eau douce. Hors d’Alexandrie Arabi est dictateur; il est maître du Caire. Son armée, dit-on,est forte de 30,000 hommes ; la guerre a commencé entre lui et les Anglais, il s’entend secrètement avec le sultan qui s’entend avec Bismarck. Le Khédive a mis Arabi hors la loi. Le canal do Suez est menacé. Port-Saïd est peut-être à cette heure au pouvoir d’Arabi. La Conférence à laquelle la Turquie n’a pris part, à la fin, que pour l’alourdir, la retarder, la faire avorter, perd le temps à entretenir avec les représentants du Sultan des discussions inutiles. Tel est l’état des choses.
- Si la situation de la France était pareille à celle de l’Angleterre, si la France n’avait le devoir sacré de délivrer i’Alsace-Lorraine, si la France était une puissance insulaire, si la France n’était pour le césarisme allemand l’objet permanent d’une guerre sourde mais incessante et implacable, le devoir de la France serait tout tracé : poursuivre de concert avec l’Angleterre la grande œuvre de la civilisation égyptienne, non-seulement protéger le canal de Suez,mais protéger aussi la formation, la croissance, le développement du peuple égyptien, mais à cette heure, en l’étal où sont les classes européennes, en présence de la cynique conspiration des « quatre ». le devoir de la France est simplement de s’abstenir, et provisoirement de ne débarquer, fût-ce pour la protection du canal, ni un régiment, ni une compagnie, ni un homme.
- Le devoir de l’Angleterre est d’accepter cette abstraction de la France sans en ressentir ni colère, ni mécontentement, ni ressentiment.
- Le devoir commun des deux peuples, c’est de rester alliés quand même, confiants quand même, sachant bien que ce concours impossible aujourd’hui, cette alliance qui ne doit se témoigner à cette heure par aucune action commune ne cesse point malgré l’apparence. Point de diplomatie entre l’Angleterre et la France, confiance entière et accord dans une politique de concorde et de paix.
- Le devoir des peuples qui ne veulent point s’inféoder à M. de Bismarck, le devoir de l’Espagne, de la Grèce, du Portugal, de l’Afrique, de la Hollande, du Danemarck, c’est d’être prêts à concourir quand le concours leur sera demandé au nom de la paix. Il n’est pas une seule de ces nations qui ne puisse assurer pour sa part la sécurité du canal de Suez. Il suffit à la plus faible de ces nations d’avoir une canonnière sur les lieux et de faire flotter son pavillon sur les eaux du canal. La France, sans qu’il y ait alliance ni aucun engagement positif entre elle et l’Angleterre, peut aisément "entretenir une force suffisante pour assurer de Port-Saïd à Suez la sécurité de son commerce. Ajoutons que cette protection de fait serait pour l’Angleterre un secours indirect mais très efficace.
- p.485 - vue 486/836
-
-
-
- 486
- LE DEVOIR
- La crise ministérielle. — M. de Freycinet est tombé I
- Il est tombé par sa propre faute.
- Il avait deux politiques à suivre : la politique de non-intervention, la politique d’intervention. M. de Freycinet pouvait sortir de là grand homme d'Etat, en posant la question nettement devant la Chambre.
- Pour soutenir des collègues qui ne le soutenaient pas, il n’a su adopter ni l’une ni l’autre politique. Il a voulu contenter tout le monde, et il a fini par se mettre tout le monde à dos.
- Et, cependant, on ne lui a pas marchandé l’appui.
- Il n’a pu ou n’a pas voulu être complètement libéral et complètement pacifique. C’est la cause de sa faiblesse et la cause de sa chute.
- Dans les circonstances actuelles, particulièrement graves pour la République, il faut une solution prompte et nette. Le pays ne peut pas vivre plusieurs jours au milieu d’une crise ouverte sur la question de paix ou de guerre, et, de plus, le vote de la Chambre est un vote pacifique. Il ne s’agit pas de laisser s’amortir les impressions de la Chambre; elle ne le supporterait pas, et le pays ne le supporterait pas davantage.
- Tels sont les deux éléments principaux de la situation actuelle.
- Politique de non-intervention ; crise qu’il faut résoudre rapidement.
- ITALIE
- On écrit de Rome aux « Etats-Unis d’Europe # :
- Les événements d’Egypte et surtout l’intervention isolée de l’Angleterre (avec le consentement tacite de l’Allemagne et le concours moral de la France, cette dernière condamnée à l'inaction par la crainte de l’Allemagne), ont produit une pénible impression sur notre monde officiel, qui voit avec raison dans cette nouvelle combinaison une tentative d’isoler l’Italie comme on a isolé la France. La leçon est d’autant plus dure que l’Italie paraissait résolue à ne pas séparer sa politique de celle de l’Allemagne et de l’Autriche. Or, tandis que ces deux puissances ont donné leur acquiescement au bombardement d’Alexandrie, notre ministre des affaires étrangères, M. Mancini, a formellement déclaré que l’assertion de M. Gladstone au parlement anglais était complètement inexacte en ce qui concerne le gouvernement italien. Il va sans dire que, s’il avait pu prévoir les événements qui se déroulent à l’extrémité orientale de la Méditerranée, il aurait probablement pris ses mesures pour prendre sa revanche contre la France et l’Angleterre, qui n’avaient pas voulu reconnaître à l’Italie les mêmes droits d’intervention qu’elles affichaient pour elles. Mais il n’en est pas moins vrai qu’à la Spezzia l’escadre navale est tout a fait sur le pied de guerre et que quatre navires cuirassés italiens stationnent à Port-Saïd, et quatre autres dans les eaux d’Alexandrie. Il est aussi positif qu’on a donné à Naples l’ordre de préparer soixante-dix mille rations pour l’escadre permanente en vue des éventualités. Gomme vous voyez, ce n’est pas la volonté qui manque à l’Italie pour intervenir en Egypte, mais la possibilité d’agir seule, liée comme elle l'est par ses engagements avec l’Allemagne et l’Autriche. C’est donc plus que jamais la politique du dvoide et imper a de M. de Bismarck qui triomphe en Italie comme en France. Il est évident que si les trois puissances de l'Europe occidentale avaient été unies, elles auraient déjoué les intrigues du grand-chancelier, et que les affaires d’Qrient auraient pris une tournure moins déplorable, que peut-être même on aurait prévenu les massacres d’Alexandrie et la ruine irréparable des intérêts européens en Egypte.
- *
- 4 4
- Les Travailleurs italiens ne pouvaient manquer de joindre leur protestationà celle des travailleurs de Franco et d’Angleterre. Le Gonsolato Operaio de Milan a voté par acclamation l’ordre du jour suivant :
- « L’assemblée des sociétés ouvrières du Gonsolato de Milan ;
- € Devant l’énorme crime qui s’accomplit en Egynip.
- « Elève un cri d’indignation et de protestation contrp la coupable initiative du gouvernement anglais,qui coin met un aussi grand outrage international, — et contré les gouvernements de l’Europe qui applaudissent à pi! niquité qui triomphe, ou restent calmes en présence de cet attentat ;
- « Invite les ouvriers et la démocratie italienne à se joindre à sa protestation, et à demander un arbitrage qui empêcherait l’oppression des faibles et résoudrait, suivant les principes de l’humanité et de la justice, les ques'-tions soulevées par cet acte de violence. »
- *
- 4 4
- Le gouvernement italien, en refusant d’intervenir avec la France et l’Angleterre, même pour protéger le canal de Suez, a creusé d’autant le précipice qui s’élargit entre le peuple et la dynastie. — Il s’en est fallu de peu que les cléricaux ne l’emportassent dans les élections municipales de Rome, heureusement les libéraux ont au dernier moment fait cesser entre eux toute division, et à ce prix ils ont été victorieux.
- ANGLETERRE
- Les journaux anglais publient une adresse à la reine, votée par les deux Chambres du Parlement du Canada. Dans cette adresse, le Parlement recommande à la reine de prendre en considération les justes réclamations du peuple irlandais et, d’user de clémence envers les Irlandais arrêtés et emprisonnés s®us la prévention de crimes politiques.
- Au nom de la reine, lord Kimberley a répondu à cette adresse que le Parlement du Canada ne doit s'occuper que des affaires de son pays, sans intervenir dans des questions qui sont du ressort du Parlement impérial, et du gouvernement de la reine.
- La question égyptienne n’empêche pas M. Gladslone de veiller à la question irlandaise. Le nouveau bill de coercition est promulgé et appliqué, la Chambre des Communes a déjà voté par 285 voix contre 117 le bill qui fait remise aux fermiers irlandais d’une partie des fermages arriérés.
- TURQUIE
- Dès qu’Abdul-Hamid a eu connaissance du débarquement des troupes anglaises placées sous le commandement du général Alison, il a fait donner l'ordre à Der-wisch-Pacha de rentrer immédiatement à Constantinople, ne voulant pas que son représentant direct parût sanctionner par sa présence l’occupation d’un point du territoire ottoman par une force étrangère. Le commissaire impérial et le personnel de la mission se sont embarqués mercredi sur le yacht l'Izzeddin, dont l’entrée dans le port est attendue d’un moment à l’autre.
- On signale toujours les fréquentes entrevues du sultan avec le ministre des Etats-Unis.
- RUSSIE
- U est curieux de suivre les déformations que subissent les idées populaires et d’observer les images fantastiques que revêtent les événements contemporains dans l’esprit de l’homme du peuple. La légende de Scobeiei est en train de se condenser en un recueil merveilleux d’apparitions. Dans un village près de Poltava, les paysans affirment l’avoir rencontré errant incognito pou se soustraire à des poursuites exercées contre lui pou des discours tenus « au loin®. Ailleurs, on l'a vu, un besace au dos, marchant dans la forêt. Un soldat, qui fait la campagne de Chipka, affirme avoir parlé au g ' néral, qui lui aurait recommandé le silence sur so apparition.
- 4 V
- p.486 - vue 487/836
-
-
-
- LBfDBVQIR
- 487
- Lès aumôniers et la liberté «le conscience. — Dans la maison centrale de Fontevrault, les détenus font maigre le vendredi. Lorsque par exception, une fête tombe un vendredi, il était d’usage de reporter la distribution de viande qui a lieu en pareil cas, au mardi. Cette année, le 14 juillet tomba, comme on sait, un vendredi. Le directeur parcourut, quelques jours avant; les réfectoires des détenus, et leur demanda s’ils voulaient faire gras ou maigre le vendredi 44 juillet.
- L’abbé Hébert, ayant appris cette démarche, écrivait dès le 12, au directeur, la protestation suivante :
- L’aumônier soussigné adresse à M. le directeur de la maison centrale de Fontevrault sa protestation contre la violation du règlement qui s’est faite hier, et qui se fera vendredi.
- Le règlement dit, en effet, que lès détenus sont obligés de suivre les exercices de leur culte. Or, parmi ces exercices du culte catholique (et tous les détenus sont déclarés tels ici), l’abstinence du vendredi a sa place, comme tous les autres commandements de Dieu et de l’Eglise.
- L’administration l’avait reconnu jusqu’ici, en distribuant la viande le mardi, lorsque le vendredi se trouvait jour de fête. Pour cacher cette violation sous un air de liberté de conscience, on a demandé hier ceux qui voulaient violer cet article du règlement ; mais on ne peut soumettre cet article du règlement au suffrage des détenus, pas plus que n’importe quel autre. Le directeur doit faire appliquer le règlement, et non le soumettre à l’approbation de ses détenus.
- Beaucoup, j’en suis sûr, auront opté pour le régime gras ; la cause en est dans la vie de dures privations qui leur est imposée et dans le respect humain, peut-être aussi dans la bienveillance de l’administration pour ceux-là,
- H. HÉBERT,
- Aumônier de la maison centrale de Fontevrault.
- Le directeur de la maison centrale transmit cette lettre à M. Goblet, qui révoqua M. l’abbé Hébert, le 25 juillet 1882.
- *
- ¥ ¥
- Le® longues -vies en France, — Le maréchal d’Estrées et la marquise de Luxembourg ont dépassé cent ans; le diplomate de Vignancourt est mort à 103 ans, dans l'exercice de ses fonctions ; un maître sellier atteignit en 1714 l’âge vérifié de 114 ans; Jacques Poney, doyen des chirurgiens de Paris, est mort à 103 ans, et opérait encore dans sa centième année; Fontenelle, sur l’âge duquel on a beaucoup discuté, paraît être décédé réellement à 100 ans passés ; Mabillon, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, atteignit 106 ans, et la marquise de Balestin, célèbre dans son temps par son esprit et ses petits vers satiriques, mourut à 117 ans, ainsi que le médecin François de Beaumont, mort en 1803 à Châteaubriant, et le nommé Pierre Huet, ancien soldat, qui, en 1822, assista, dans un fauteuil d’honneur, à l’inauguration de la statue de Louis XIV.
- En 1842 vivait encore à Paris, à l’âge bien authentique de 114 ans. M. Desquersonnières, ancien commissaire des armes, qui a pu vivre longtemps encore, car nous ignorons la date de sa mort.
- En 1873 est décédé, à cent ans passés, le comte de Waldeok, militaire diplomate, archéologue et artiste, dont nous nous souvenons d’avoir vu à l’exposition des Champs-Elysées, un tableau qui figurait au catalogue sous le titre de : Loisirs d'un centenaire.
- Nous ne saurions oublier le célèbre physicien Becquerel, de l’Académie des sciences, décédé le 20 janvier 1878, a cent ans et un jour.
- Mais l’âge le plus avancé paraît avoir été atteint, en France, par un Jurassien appelé Jacob, qui fut présenté à l’Assemblée nationale le 28 octobre 1789. Il avait alors 120 ans.
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- En commençant notre appréciation snr les discussions qui ont eu lieu au Congrès des coopérateurs tenu à Oxford, dont nous avons reproduit dans nos précédents numéros les rapports et les discours analysés rapidement, nous devons avant tout reconnaître que l’œuvre de la coopération en Angleterre marche toujours à grands pas, et que, dans la voie où elle est entrée, elle a réalisé d’immenses progrès.
- Le petit groupe d’hommes qui en 1844 se constituèrent en société, et fondèrent l’association des équitables pionniers de Rochdale.en ouvrant un petit magasin d’épicerie avec un capital de 28 livres sterling (700 fr.,) n’aurait certainement pas osé prédire que moins de quarante ans après, les héritiers de leurs idées, répandus par milliers dans toutes les parties du royaume uni, enverraient des représen tants en nombre dans cette aristocratique ville d’Oxford, célèbre par ses collèges et son université, délibérer sur l’extension des banques populaires et sur le principe de la coopération appliquée à l’agriculture. Le grain semé par eux a porté ses fruits, il est devenu un grand arbre dont les rameaux ombreux abritent des myriades d’êtres, auxquels il fournit les comodités et les facilités de la vie.
- Dans ces Congrès annuels des coopérateurs, plus d’un orateur remarquable a exalté les bienfaits de l’œuvre et de l’idée, son efficacité de panacée pour réparer les inégalités sociales et résoudre le vieux problème de l’accord à établir entre le capital et le travail. Le capitaliste doit peu à peu disparaître pour céder la place au travailleur s’élevant à son tour, poussé par cettj force toute puissante que donne l’union.
- Telle est la thèse soutenue par la majeure partie des coopérateurs anglais, thèse qui renferme assurément une certaine dose de vérité, mais qu’il serait inexact, de considérer comme vraie dans toute son étendue. C’est ce que fait ressortir lord Reay, le président du Congrès d’Oxford, dans son discours d’om-verture,lorsqu’il dit que ce serait une erreur d’attrh-buer au mouvement coopératif, les propriétés d’une panacée universelle. Il ne lui refuse pas le caractère d’une grande révolution sociale, tout en constatant néanmoins avec raison que son but en réalité est plutôt de stimuler et de récompenser le travail et l’épargne chez les individus, par U perspective de la possession du capital créé par cette épargne çollec • tive, que de concilier ensemble d’une manière satis-
- MacCQPppe
- p.487 - vue 488/836
-
-
-
- 488
- LE DEVOIR
- faisante les intérêts parallèles da capital et du tra*-vail.
- La différence entre l’idée qui a présidé au mouvement coopératif en Angleterre et celle qui inspire la plupart des socialistes des autres pays consiste en ce que la coopération cherche à atteindre son but par la voie des réformes et non au moyen d’une révolution par les seuls efforts combinés des participants eux-mêmes, et nullement par l’intervention à un degré quelconque de ce levier socialiste que l’on nomme l’Etat. Aussi voit-on les idées coopératives susciter chez certains socialistes des sentiments d’hostilité extrêmement accentués.
- Les banques de crédit et autres institutions coopératives de Schulze-Delitzsch trouvèrent un adversaire très déterminé dans la personne de Lassalle, et il est peu probable que les aspirations ardentes des sectaires collectivistes de nos jours s’accomo-dent des allures paisibles et lentes des coopérateurs anglais, qui, comme la fourmi, ne cherchent la fortune que dans la progressive accumulation de l'épargne individuelle. Quant à l’égalité de répartition des richesses entre tous, au nivellement des fortunes, il n’y songent même pas, et ils n’ont certainement pas tort.
- Mais si la coopération est un excellent instrument pour encourager et faire fructifier l'épargne individuelle en la capitalisant, comme le démontre son incontestable succès dans toutes les opérations commerciales et même dans celles de crédit, elle est insuffisante lorsqu’il s’agit de l’industrie, et la preuve en est dans son insuccès à peu près constant en matière de production. La coopération en Angleterre depuis ses débuts jusqu’à présent a surtout pris la forme de sociétés d’approvisionnements, soit en détail, soit en gros. D’innombrables associations se sont établies avec l’unique objet d’acheter pour leurs membres des articles de consommation au meilleur marché possible, afin d’éviter d’avoir à faire payer aux acheteurs les plus-values résultant des bénéfices prélevés par les intermédiaires, détaillants et autres,, C’est une excellente chose assurément, car cela produit des économies très appréciables, et une épargne aisément créée, mais c’est pour ainsi dire, le petit côté de l'entreprise, et il reste à faire le plus important, savoir: la production par l'associationdu capital et du travail.
- En Allemagne, la coopération s’est portée principalement et avec succès également sur l’organisation du crédit, grâce à laquelle, par un système bien compris de responsabilité mutuelle, le petit capitaliste,ou l’homme qui s’établit trouve les fonds nécessaires à son établissement, à un taux rénumérateur
- I sans être onéreux. IL en est de même en Italie, où I l’actif dévouement du professeur Francesco Vigano a créé en quelques années des centaines de banques populaires, qui fonctionnent avec succès, et rendent de très réels services aux classes laborieuses.
- Mais nulle part la corporation n’a réussi à organiser la production industrielle sur des bases aussi satisfaisantes que ses autres créations. Ce n’est point qu’elle n’en ait pas compris l’importance, et qu’elle n’en ait pas conçu la pensée.
- L’industrie, par son organisation actuelle, disent les coopérateurs, fait que le capitaliste prend à sa charge tous les risques, et, par contre, prélève la part du lion dans les profits ; les salaires des hommes qu’il emploie ne s’élèvent jamais au-dessus de ce qui est strictement nécessaire à leur subsistance. Il en résulte que le travailleur n’a point d’intérêt à son travail, point de stimulant qui l’empêche de rester indifférent à ses résultats. Et ils en concluent, en formulant leu1’ idéal, que le capital devra être fourni par les travailleurs eux-mêmes associés ensemble, de façon que les bénéfices soient répartis ensuite entre eux. Cela est juste, mais à la condition que la coopération ne perdra point de vue les principes sur lesquels elle a été fondée, et qu’elle travaillera toujours en vue de l’amélioration du sort des classes laborieuses,et non en vue d’avantages financiers que son organisation rend plus faciles à obtenir et à exploiter.
- Sans cela, ce plan ne serait guère pratique ailleurs que sur le papier, car si quelques Sociétés fondées sur cette base ont prospéré, combien d’autres ont échoué ? Celles, extrêmement rares d’ailleurs, qui ont réussi étaient composées d’hommes qui ont poussé le dévouement et l’abnégation jusqu’à l’ascétisme, pour ainsi dire, se privant même de nourriture pour arriver à leur but. Il est certain que de nos jours la majorité des manufactures exigent un capital considérable pour leur outillage, leurs machines', leurs matières premières et les risques énormes que les variations des marchés leur font courir, et cela sous peine de mort certaine. Or ces capitaux indispensables à la création et à l’existence des usines, ce n’est point la coopération qui pourra les fournir, tant qu’elle ne consacrera pas l’excédant considérable de capitaux qu’elle est parvenue à réunir à la création d’établissements de production,de vastes usines fondées sur le principe de l’association du capital et du travail, qui seule peut amener le résultat désiré en faveur des classes laborieuses.
- Prétendre éliminer le capital déjà existant, pour le remplacer par un capital à créer de toutes pièces et promptement, c’est vouloir une imposibilité ma-
- p.488 - vue 489/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 489
- térielle. Pour la production large et étendue, telle qu’il la faut aujourd’hui, le capital est aussi indispensable que le travail, et l’on ne peut pas plus se passer de l’un que de l’autre. Il faut donc, bon gré malgré, avoir recours à eux conjointement, et renoncer absolument à les séparer. Il faut comprendre que, sien matière de consommation, la coopération est une excellente chose, en matière de production industrielle, c-’est l’association du capital et du travail qui seule peut donner la solution du problème. Que la coopération y consacre donc ses capitaux, et elle aura ainsi complété son œuvre.
- Les banques coopératives pourront aider par leur extension le commerce et la petite industrie, nous n’en disconvenons pas, mais pour les grandes entreprises industrielles ou agricoles, elles seraient à notre avis insuffisantes, et il n’est point surprenant que le Congrès n’ait rien conclu en définitive sur cette question si importante pourtant de la coopération dans les exploitations agricoles.
- En parcourant attentivement le compte-rendu des délibérations de ce Congrès, on est frappé du petit nombre relatif de membres appartenant véritablement aux classes laborieuses, que compte en Angleterre l’association coopérative.Nous voyons en effet, par l’énumération qu’en fait le président du Congrès, que sur près d’un demi-million de membres, il y a 93,000 fermiers, 14 mille manufacturiers, propriétaires de mines ou entrepreneurs, 20,800 armateurs, hôteliers, etc. 26,800 médecins, professeurs ou autres, 40,000 commerçants, et près de 3,000 rentiers, de telle sorte qu’en réalité dans ce chiffre de 460,656 membres de la coopération, c’est à peine si 140,000, pas même un tiers, appartiennent à la catégorie des travailleurs proprement dits.
- Nous croyons voir dans ce fait une preuve et une explication de l'espèce de déviation que nous manis-festions le regret de constater dans la marche de la coopération anglaise. Cette institution, dont la raison d’être réside principalement dans la mission de rendre plus faciles, dans l’intérêt des travailleurs surtout, les rapports entre le capital et le travail, en vue de contribuer dans la plus large mesure possible à l’extinction du paupérisme au sein de la société, cette institution paraît tendre au contraire à devenir de plus en plus une entreprise financière et commerciale ordinaire, profitant exclusivement à ses coparticipants, poursuivant avant tout les bénéfices, et se livrant à des opérations de commerce ou de banque productives, sans se préoccuper d’autre chose que d’augmenter le plus possible le nombre d® ses adhérents. La présence dans les rangs de l’association d’un aussi grand nombre de personnes
- placées dans une situation aisée, ne semble-1—elle pas démontrer qu’en somme, la coopérât on finit par être considérée dans le pays comme une affaire sûre et bonne, dans laquelle on peut avantageusement placer son argent ?
- Nous constatons ce f at, sans aucune arrière pensée de blâme assurément; mais nous ne pouvons nous empêcher de regretter de ne pas voir la majorité des membres de la coopération prise dans les rangs des travailleurs, pour qui la coopération est plus utile, et dont la présence dans ses rangs lui donnerait un caractère plus conforme à l’idée qui a présidé à sa création. Faire faire des économies ou gagner de l’argent à des gens qui ont déjà des revenus suffisants, n’a jamais été le but que se sont proposé les fondateurs de la coopération en Angleterre. Si la présence au sein de l’association de cet élément étranger n'influait en rien sur sa manière d’être et sur la conduite de ses opérations, il n’y aurait rien à dire ; mais il est malheureusement à craindre que les choses ne se passent point de la sorte, l’expérience des deux dernières années semble l’indiquer, et ceia sera souverainement regrettable à notre avis.
- L’Agitation Générale contre l’Expédition d’Egypte.
- Les protestations arrivent de toutes parts ; l’agitation commencée en France et en Angleterre, s’étend déjà à l’Italie.
- Nous recevons à l’instant une communication adressée à la presse française par VAssociation internationale de l'arbitrage et delà paix en Angleterre. Elle se résume dans les propositions suivantes:
- Ni agrandissement, ni intervention dans les affaires intérieures de l’Egypte.
- Maintien, pour toutes les nations et sur le pied d’égalité, de la grande route maritime qu’offre au commerce le canal de Suez, sans que la navigation puisse jamais être interrompue par les jalousies ou les hostilités internationales.
- Proclamation par toutes les puissances du principe de neutralité, soit à l’égard des affaires intérieures de l’Egypte, soit en vue de préserver le canal et les vaisseaux qui y passent de tout dommage et de toute obstruction, soit de la part du peuple dont il traverse le territoire, soit de la part de toute autre puissance!
- p.489 - vue 490/836
-
-
-
- 490
- LE DEVOIR
- Que les journaux tant de France que d’Angleterre, se gardent d’accueillir avec trop de précipitation des rapports conçus dans un esprit de division ou mal fondés, et qui tendent à causer une grande irritation entre les deux nations. Rien ne serait plus grave que d’entretenir entre elles des ressentiments qui conduiraient bientôt à des mésintelligences sérieuses. Aucun antagonisme de politique ou d’intérêt ne pourra les diviser, tant que les peuples des deux pays obligeront leur gouvernement à respecter la neutralité envers l’administration des autres pays.
- Abandon des idées de conquête et d’agrandissement. Cette protestation est signée du président Hodgson Pratt, et des autres membres du bureau,
- La France, simultanément avec l’Angleterre, répandait les protestations suivantes, provoquées par les Sociétés de la paix.
- La Ligue de la paix et de la liberté résumait d’un mot l’appel à nos concitoyens : — Non intervention.
- La Société des Travailleurs amis de la paix adressait cet autre appel :
- « Citoyens,
- « Un grand danger menace en ce moment la République et la France.
- « On parle d’envoyer nos soldats en Egypte pour les associer à la violation du droit qu’a tout peuple de disposer de lui-même, violation entreprise par le gouvernement anglais sous l’influeQce de l’aristocratie militaire et financière.
- « Cette intervention inique a commencé par un crime : le bombardement d'Alexandrie, cause fatale des massacres et de l’incendie. Il importe que les travailleurs français fassent entendre leur voix et déclarent, en leur qualité de citoyens, qu’ils s’opposent formellement à tout acte qui rendrait la France complice de cet attentat.
- « Vous tiendrez à vous joindre à nous pour protester, une fois de plus, contre la politique d’après laquelle la force prime le droit, politique qui aurait pour effet certain de déshonorer la France aux yeux des peuples en même temps que de l’affaiblir, pour en faire, à un jour plus ou moins prochain, une proie plus facile.
- « Nous déjouerons ainsi les manœuvres de la faction néfaste qui, sous le couvert de la République, voudrait rétablir le régime césarien.
- « Nous ne serons pas seuls dans cette campagne ; à l’heure actuelle, les ouvriers anglais font entendre leur voix indignée. De même que, l’année dernière, ils se sont joints à nous pour protester contre l’entreprise tunisienne; nous devons, de notre côté,nous associer à eux pour flétrir le bombardement d’Alexandrie. »
- A la suite de cet appel, le secrétaire de la Ligue du tien public adressa, par l’intermédiaire des journaux républicains, la communication suivante aux Travailleurs amis de la paix :
- Citoyens,
- Dès 1859, la Ligue du bien public a écrit sur son
- drapeau : Guerre à la guerre {Si vis pacem, para justitiam),
- Aujourd’hui les Ligueurs du bien public, ralliés au principe de l’alliance des peuples, protestent énergiquement :
- En faveur de l’indépendance égyptienne;
- De la non intervention en Egypte, sous quelque forme et sous quelque prétexte que ce soit ;
- Et du rappel de l’expédition armée ;
- N’allons pas en Egypte comme en 1870 nous allions à Berlin.
- Les Ligueurs font appel à toutes les sociétés républicaines; point d’action isolée.
- Que la société des Travailleurs de la paix se joigne à nous pour organiser des meetings qui permettent à l’opinion publique de dire le dernier mot sur la question de paix ou de guerre.
- A la suite de cette communication, une entente se fit entre toutes les Sociétés de la paix de France, et rendez-vous fut pris entre leurs délégués pour l'organisation de meetings.
- Les femmes ont voulu n8 pas rester étrangères à ce mouvement. Deux adresses, s’inspirant de la même pensée, ont été rédigées. L’une d’elles nous semble conçue en vue de généraliser cet appel et de l’étendre à toutes les classes.
- Nous extrayons de Y Intransigeant la première de ces adresses :
- Appel aux mères.
- C’est avec de l’argent et vos enfants que l’on fait la guerre !
- Ce sera avec des mères et de l’argent que l’on maintiendra la paix.
- Répondez à l’appel du comité des troisième et quatrième arrondissements de la Ligue du bien public (1), envoyez votre obole !
- Avec ces fonds, les sociétés de la paix réunies provoqueront des meetings, afin que le peuple, dans ces assises, puisse se prononcer énergiquement contre la guerre.
- Venez à ces réunions et faites entendre votre voix; venez dire qu’il est temps enfin que vos fils instruits et humains vivent pour le progrès, et ne meurent plus pour étayer la masure pourrie du passé.
- Vos fils ont mieux à faire que d’être de la chair à canon !
- Suivent les signatures.
- L’autre appel, provoqué par les dames du groupe du 5e arrondissement de la Ligue du bien public, est ainsi conçu :
- « Appel aux mères.
- « C’est avec votre argent, avec vos enfants qu’on veut porter les armes contre l’indépendance du peuple égyptien.
- « Ce sera par les protestations des mères et avec leur obole que nous susciterons le mouvement national qui maintiendra la paix.
- « Souscrivez en masse à la Ligue du bien public ;
- (1) Envoyer les adhésions au comité de la Ligue du Bien publie des troisième et quatrième arrondissements, au docteur Chassaing, 30, rue Vieille^du^Temple.
- p.490 - vue 491/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 491
- il s’agit de provoquer dans tous les arrondissements de Paris, dans toutes les villes, des meetings de protestation qui se prononcent énergiquement contre une guerre injuste.
- « Et comme le dit l’appel des Ligueurs du bien public :
- « N’allons pas en Egypte comme, en 1870, nous allions à Berlin. »
- Cette guerre à la guerre, si bien commencée, s’étendra bientôt à tout le pays, et enfin le peuple, éclairé par une vaste agitation pacifique, imposera sa volonté qui se résume en deux mots : Justice et paix.
- Jacques Courrier.
- L’AMOUR & LE MARIAGE
- L’Amour ! Qu’est-ce que l’Amour ?
- Ali, si j’étais poète, quelle belle définition j’en donnerais !
- Si même, à défaut du langage des dieux, j’avais à ma disposition la palette de l’un de nos grands artistes, sous quelles brillantes couleurs je le peindrais I Mais hélas, je n’ai que ma vulgaire plume d’acier, laquelle trempée dans une encre que je voudrais plus sympathique, trace en caractères noirs sur du blanc.
- L’amour est un sentiment particulier qui tient à la fois du sens et de l’âme, et sous l’influence duquel a lieu l’union de l’homme et de la femme.
- Cette définition à laquelle son prosaïsme n’enlève rien de son exactitude, indique suffisamment que l’amour a sa base dans l’organisme, lequel, chez l’être humain, pour que son fonctionnement soit conforme au vœu de la création, exige une double satisfaction : satisfaction générique ou sensuelle, satisfaction ani-mique ou idéale.
- L’amour nait indépendamment de la volonté de celui qui l’éprouve. Sa naissance est spontanée, indélibérée, fatale pour ainsi dire. Tout lui sert de moyen : la jeunesse, la beauté, le talent, le son de la voix, la tournure, la démarche et l’on ne sait trop quelles sympathies secrètes dans les goûts, les opinions et la manière d’envisager les choses et les personnes.
- L’amour vrai, qui n’est pas toujours celui des romanciers et des poètes, doit être comme l’organisme, sa base, physiologique et idéal, ou en d’autres termes matériel et spirituel, charnel et intellectuel tout à la fois.
- Sans l’idéal, l’amour de l’homme pour la femme ne serait que de la luxure. Il ne différerait pas de
- cet appétit instinctif et brutal qui pousse le mâle de l’animal vers sa femelle, n’obéissant qu’au besoin qui l’aiguillonne, sans autre voix qui parle en lui, incapable par conséquent de se tromper ou d’abuser.
- Chez certaines natures, l’amour brutal ou matériel précède l’amour idéal. Chez d’autres, au contraire,, c’est celui-ci qui se fait jour avant celui-là. Le premier de ces phénomènes a lieu ordinairement chez ces jeunesses qui débordent de sève, de pléthore, quand elles sentent la nécessité de donner cours au trop plein de leur vigueur. La second se manifeste chez les personnes rêveuses, à l’imagination romanesque et qui vivent dans un monde de leur création au lieu de celui réel qu’elles habitent.
- L’homme qui n’aime que de l’amour brutal, aime en général toutes les femmes. Son amour est banal ; il se divise entre tant de cœurs que ce qu’il en donne à chacun se réduit presque à zéro.
- Celui qui aime de l’amour purement idéal, abstraction faite des sens, consacre son amour, se localise, si nous pouvons nous servir de cette expression, l’applique en un mot à telle femme de son choix qu’il revêt de toutes les qualités, et qu’il aime de toute la puissance de son âme.
- L’amour qui ne serait que brutal serait une dérogation aux- lois qui doivent régir l’homme dans la Société... il serait, nous le répétons, de la brutalité.
- L’amour qui ne serait qu’idéal ne répondrait qu’à une partie de ce qu’exige l'organisme humain; il conduirait, s’il se généralisait, à l’extinction de la race humaine.
- Toute déviation dans un sens comme dans l’autre serait fatale, pernicieuse, immorale. Elle constituerait une offense envers soi-même, envers le sexe, envers la Société.
- L’amour purement brutal engendre les Don Juan, les Lovelace, les Héliogabale et pis encore. Il s’absorbe dans la vie matérielle aux dépens de la vie morale.
- L’amour purement idéal, quand il est l’enfant du rêve, conduit au mysticisme. Il produit des folles comme Marie Alacoque dont on fait des saintes, ou des pouilleux comme, Labre auxquels on assigne pour demeure le séjour de la divinité.
- N’est pas saine une philosophie qui refuse de reconnaître les deux éléments de la nature humaine et de leur faire droit.
- Est fausse toute religion qui ordonne à l’homme de combattre per fas et nefas, la partie matérielle de lui-même en lui faisant violence.
- On ne combat bien le corps, qu’en lui donnant sa-
- p.491 - vue 492/836
-
-
-
- 492
- LE DEVOIR
- tisfaction dans les limites de la Raison. En lui déniant cette satisfaction, en amortissant la chair quand même, on abâtardit l’âme. En voulant rendre l’homme libre de tout, on le rend esclave de tout. En supprimant ce qui est son droit, on rend son devoir impossible.
- Religion et philosophie, pour être dans le vrai, ne doivent pas oublier qu’il y a dans l’homme de l’esprit et de la matière qui sont corrélatifs, du devoir et du droit qui s’engendrent mutuellement, de la liberté et des forces naturelles qui se font équilibre.
- Sacrifice les uns aux autres ou ceux-ci à ceux-là, c’est vouloir, au profit de sectaires, perpétuer les maux de l’humanité.
- Le Christianisme a dit : « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ; nous n’y trouvons rien à redire, mais à notre tour nous ajoutons : « Rendons à la chair la satisfaction qui lui est due, rendons à l’esprit les devoirs qu’il nous appartient de lui rendre. »
- Le Christianisme a dit : « Travaillez pour vous mortifier. »
- Nous disons, nous: « Travaillez pour vous vivifier. »
- La vertu n’est pas dans la mortification. La mortification n’est qu’un aveu de la faiblesse de l’homme, la confession de sa part qu’il se sent incapable, en restant homme dans toute l’acception du terme, de faire marcher de pair et son droit et son devoir.
- Nous lisons : « Il en sera de l’homme « vertueux comme d’un « arbre planté au bord « d’une eau courante et « qui donne son fruit dans « la saison : son feuillage « ne séchera pas, et toutes « ses œuvres seront pros-« pères. »
- Appliquant ce verset à la thèse que nous soutenons, nous disons que l’homme vertueux sera celui qui, sachant concilier la vie matérielle avec la vie morale, le droit avec le devoir, fera de l’amour, avec son double caractère, cette eau courante lui permettant de produire son fruit dans la saison, c’est-à-dire d’accomplir l’œuvre génératrice ; œuvre de conservation et de rajeunissement tout à la fois pour le grand arbre de l’humanité.
- Mais dans quelles conditions doit s’accomplir eette œuvre sous l’influence de l’amour?
- Ouvrons au lecteur toute notre pensée! Mettons-lui sous les yeux toutes les considérations que comporte un pareil sujet, et qu’il juge!
- Psaume ltr
- y. 3-4
- Et d'abord, comme profession de foi, disons tout de suite que nous croyons à la religion du cœur;
- Que tout amour sincère nous paraît respectable ;
- Que toute union à laquelle préside cet amour réciproque est, à nos yeux aussi sacrée que celle prononcée par l’autorité civile, doublée de la bénédiction de l’Eglise.
- Nous ne déverserons donc jamais le blâme sur qui, répugnant à l’idée du mariage, en dehors de toute suggestion libertine, et pour des causes que sa conscience apprécie, s’unira librement à la personne aimée.
- Nous connaissons, en effet, tels et tels qui, s’ils ne se font pas un point d'honneur de se passer pour leurs unions des deux cérémonies civile et religieuse, du moins les repoussent de toute la force de leur conscience, tant le contrat matrimonial dicté le plus souvent par de sordides intérêts ou des appétits plus sordides encore, leur paraît contraire à tout ce qu’il devrait être. Que ces gens-là se trompent par excès de délicatesse; c’est possible ! Mais cette erreur a nos sympathies. Que, en présence de la constitution sociale actuelle, ils se compromettent jusqu’à un certain point, eux et ceux qui peuvent naître de leur union, nous ne chercherons pas à le nier; mais nous le répétons, nous tenons pour respectables leurs scrupules et, à nos yeux, cet acte d’indépendance de leur part ne nous semble pas dépourvu d’un certain courage.
- D’un autre côté, nous ne critiquerons jamais non plus, ni ne chercherons à tourner en ridicule quiconque croira agir plus sagement en acceptant le mariage comme une modification à donner à son amour en vue de la Justice.
- Le mariage, institution humaine, modifiant l’amour, rayon divin, en vue de la Justice; cela peut paraître bizarre? Moins cependant qu’on ne le croirait à première vue. Développons notre pensée.
- [A suivre.) C.-P. Maistre.
- Nous extrayons les passages suivants d’une lettre qui nous a été communiquée de Mme V. Griess-Traut.
- Paris, 22 Juillet 1882.
- Dans la situation politique du jour, une volonté, un homme de fer, sans scrupule ni conscience, domine et gouverne la politique de l’Europe sans égard aux moyens à employer. Cet homme, ennemi acharné de la France pacifique et laborieuse, est admirablement outillé pour la guerre : armes perfectionnées, stratégie savante, généraux experts, discipline de fer, trésor en réserve, etc..., La guerre est son élément, il ne peut vivre sans elle. La paix, une paix prolongée, le miné-
- p.492 - vue 493/836
-
-
-
- f
- LE DEVOIR
- rait, le tuerait infailliblement ; alors qu’au contraire, elle rendrait la France forte et puissante.
- La France gagnerait en ascendant moral, bien au delà de ce qu’elle perdrait de ce lustre guerrier, si éphémère et si chèrement acheté. Choisir la guerre, c’est faire les affaires et le bonheur de M. de Bismarck. Choisir la paix, c’est le ruiner, le perdre.
- Voilà pourquoi, je repousse la guerre de toutes mes forces. La France n’en est plus à faire ses preuves de bravoure ; elle peut sans crainte d’être accusée de défaillance et de lâcheté, établir chez elle l'arbitrage. Il ne coûte ni sang, ni larmes, ni ruines, ni trésors. — La République helvétique désintéressée dans ces questions, a des hommes intègres qui ont réglé déjà des différends sérieux. Il n’est pas nécessaire de choisir des têtes couronnées, ou des ambitieux intéressés.
- Perpétuer la guerre, avec les progrès scientifiques ; l’outillage savant et meurtrier dont on dispose avec le rapprochement constant des peuples, c'est une folie barbare, un crime de lèse-humanité, de patrie. — La France généreuse ne peut être anti-humanitaire sans déchoir.
- Pour moi, j’adopte plus volontiers la devise de Térence, que le patriotisme de Brutus, parce que je crois que ma patrie ne peut être ni forte ni puissante si elle perd ses fils et ses trésors, et parce que je suis femme, créatrice et associée au Créateur et non Destructrice.
- LES PALAIS D’ÉVÊQUES
- M. Freppel, qui tient beaucoup à ce qu’on s’occupe de lui, vient de se livrer à une de ces frasques dont il est costumier.
- On se souvient qu’à la veille de la fête nationale, cet évêque avait enjoint à ses curés de résister aux municipalités qui voudraient illuminer ou pavoiser les édifices que l’Etat ou la commune mettent si naïvement à la disposition de ces messieurs. Il leur avait de plus ordonné de recourir à une action judiciaire au cas, facile à prévoir, où l’autorité locale ne tiendrait aucun compte de cette résistance.
- Mais, à part lui, le député-évêque, qui en est encore à restituer les 16,000 francs qu’il a pris en trop dans la caisse publique — s’était dit que, sans l’exemple, le précepte ne vaut et qu’il le ferait bien voir.
- Comme Pierre Petit, à qui je fais tous mes excuses de cet accolement désagréable, M. Freppel vient d’opérer lui-même.
- Ainsi qu’on n’en ignore — style d’huissier tout à fait de circonstance en l’espèce ce député cumu-
- 493
- lard est établi évêque à Angers, patrie de l’illustre Cumont.
- C’est là qu’il a « sa maison » joliette et passablement confortable, puisqu’elle est évaluée, chiffre exact, 337,000 francs.
- Le doux Jésus, dont M. Freppel exploite la mort tragique, n’avait, pour reposer sa tête, qu’une pauvre pierre des chemins. Que les temps sont changés !
- Or, la municipalité angevine — ces républicains n’écoutent même plus parole d’évêque, ce qui tendrait à démontrer que les temps rechangent — la municipalité fit pavoiser et illuminer ladite maison épiscopale ; la grande colère également épiscopale n’y put rien faire, et les joyeux drapeaux flottèrent gaiement toute la sainte journée populaire.
- Mais qui fut bien marri le jour suivant? Ce fut le décorateur qui avait exécuté les ordres du maire. Le flamine angevin, auquel le Jupiter tonnant qu’il représente ici-bas ne voulut sans doute pas prêter ses foudres pulvérisatrices, s’en courut chez un huissier, homme digne de le comprendre, et lui fit lancer contre l’industriel sacrilège, en guise d’éclair vengeur, un exploit griffonné conformément aux us, coutumes et impolitesses en usage dans ces officines.
- Alphonse Daudet écrivait ces jours-ci d’une plume passablement dédaigneuse : Les huissiers, je ne sais pas où c’est. M. Freppel n’est pas Daudet, chacun s’en doute.
- Ce qui naîtra de ces relations intimes de l’évêque et de l’huissier, nous l’ignorons totalement ; peut-être un joli jugement qui, considérant que... que... que... etc., et que l’audacieux décorateur a incongrûment souillé le « Palais de Monseiyneur » en y arborant le drapeau national, condamnera pour ces causes ledit décorateur à une forte amende et à de non moins forts dommages et intérêts.
- M. Freppel touchera encore de l’argent! pas national, cette fois.
- Alors, vous ne voulez pas, Messieurs les prélats, qu’on pavoise vos demeures aux glorieux anniversaires de la patrie française. A vos aises ! nous n’y contredisons point, et nous savons depuis longtemps que votre patrie n’est pas ici. Seulement en l’état actuel des choses, il s’élève une toute petite difficulté, à savoir que le peuple veut, lui, absolument, qu’on pavoise, en ces jours-là, les édifices qui lui appartiennent. Et, par vos protestations qui le froissent dans ce qu’il a de plus intime : l’amour de cette révolution qui l’a tiré de votre servage; par vos criail-leries irréfléchies vous venez lui rappeler, d’ailleurs très à propos pour nous qui voulons la séparation des Eglises et de l’Etat, que ces demeures, où vous
- p.493 - vue 494/836
-
-
-
- 494
- LE DEVOIR
- vous pavanez si orgueilleusement, comptent précisément au nombre de ces édifices, dont il est et seul et légitime propriétaire.
- Sans doute avant vous Tartufe a dit à Orgon : « La maison est à nous, c’est à vous d’en sortir. »
- Mais le peuple ne s’appelle pas Orgon, et il nous paraît être à la veille de s’en souvenir. Vous avez pu capter son héritage, mais non à perpétuité. Il a bien voulu vous loger, demain il peut ne plus le vouloir, et ce jour-lâ on pavoisera double les palais que vous déteniez, on n’a jamais su en vertu de quel titre.
- En vertu du Concordat, direz-vous. Ce Concordat, on l’abrogera et ce sera justice, et vous n’aurez plus qu’à chercher un logement comme tout le monde. On ne vous demande pas de coucher à la belle étoile ; mais les appartements ne manquent pas, ni à Angers ni ailleurs, et la bourse populaire aimerait seulement à ne plus avoir à payer votre terme.
- D’ailleurs en nos temps de Concordat, n’êtes-vous pas d’avis quevouspassezla mesure avec vos exploits d’huissiers? On a accepté de vous loger, mais à condition que tout au moins vous respectiez l’immeuble qu’on voulait bien vous permettre d’habiter ; et en tous cas il n’y a nulle part un engagement quelconque portant qu’on vous donnera des palais.
- Or vous avez des palais, comme en témoigne l’intéressant tableau dont je fais suivre le présent article; vous avez des palais, vous les prétendus ministres d’un Dieu pauvre, vous avez des palais quand un million de pauvres valant peut-être mieux vous n’ont pas un coin de mansarde où se réfugier la nuit.
- Vous avez des palais, quand nos malades sont vingt à se disputer un grabat d'hôpital.
- Tenez, ces temps derniers, il s’est produit ce fait : Des industriels sans entrailles, mais parfaits réactionnaires et allant à vos messes, s’étaient mis à maltraiter pour s’enrichir de leur travail, de malheureux aliénés que le gouvernement avait eu le fort de leur confier. — Oui, il y a comme cela des monarchistes qui exploitent la misère, ceux-là exploitaient la folie, et l’un de nos confrères a pu parler, sans exagération, de bagne des fous. Eh bien 1 cette honteuse exploitation ; le gouvernement la connaissait, il a dù en faire l’aveu, et aussi se reconnaître impuissant à la faire immédiatement cesser. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas de locaux où placer ces misérables qu’il lui fallait déplacer de l’asile de Clermont. Et vous avez des palais !
- Vous avez des palais, quand nos enfants n’ont pas d’écoles. Votre ignorance encombre les locaux où pourrait se répandre la semence féconde de la science et du travail.
- Vous avez des palais, quand nos vieux travailleurs, 1
- après soixante et des années de labeur, n’ont pas d’asiles où mourir en paix.
- Vous avez des palais, qui appartiennent à la nation, et lorsque la nation veut les orner de son drapeau, vous lui envoyez l’huissier !
- Revenons à la réalité des choses et des institutions; la République n’a pas été rétablie pour perpétuer les calembredaines de la monarchie, et M. Freppei n’a plus l’occasion de prêcher devant Madame Bonaparte dans la chapelle des Tuileries.
- Place à ceux qui souffrent, place aux enfants qui sont le progrès et le travail de l’avenir ; place aux vieillards qui sont les créateurs et les créanciers du présent.
- Que si l'on doit un logement à M. Freppei et à ses compères, on leur donne ce logement en attendant qu’on ne leur doive plus rien. Mais assez de palais comme cela. L’archevêque de Reims occupe un bâtiment qui représente un revenu de 54,000 francs. Dans ce pays on a un appartement très-confortable pour 600 francs, qu’on le lui prête. Ce sera plus que suffisant pour ces violettes inutilités fanfaronnes.
- (Séparation des Eglises et de l'Etat).
- Ernest Lesig-ne.
- TA.;fâ£ÆÆ.U
- Contenant l’évaluation officielle des palais de quelques archevêques et évêques de France.
- Palais d’Autun ..................... 150.000 fr.
- — de St-Jean de Maurienne..... 150.000
- — de Saint-Flour................. 152.000
- — de Laval....................... 180.000
- — du Puy ........................ 200.000
- — de Meaux....................... 250.000
- — de Moutiers.................... 300.000
- — de Rouen..................... 300.000
- — de Poitiers................... 300.000
- — de Bayonne ................... 300.000
- — de Nancy..................... 300.000
- — de M. Freppei.................. 337.000
- — de Cambrai..................... 465.000
- — d’Arles........................ 500.000
- — de Dijon...................... 500.000
- — d’Auch...................... 575 000
- — de Nîmes................... 575.000
- — de Blois....................... 590.580
- — de Beauvais.................... 600.000
- — de Lyon........................ 699.000
- — d’Aarras....................... 750,000
- — de Carcassonne................. 770.000
- — de Besançon.................... 800.000
- — de Paris...................... 800.000
- p.494 - vue 495/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 495
- palais de Rennes....................... 1.000.000
- — du Mans.......................... 1.000.000
- — d’Amiens....................... 1.010.000
- — de Nante......................... 1.190.000
- — de Reims......................... 1.687.500
- — de Luçon......................... 2.160.000
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAIS S ANGES :
- Le 26 Juillet — Emile Delzart, fils de Delzart Alfred et de Oaplot Marie.
- Le 31 — Adrienne-Gabrielle Basse, fille de Basse Désirée et de Leroux Julienne.
- Le 30 — Englebert-Marcel Piponnier, fils de Piponnier Etienne et de Montagne Marie.
- Distinction entre les étoiles fixes & les planètes
- (suite et fin)
- Le phénomène de la scintillation des étoiles parait dépendre de l’état de l’atmosphère : en effet, il est très faible et même nul dans les régions intertropicales par un temps sec et chaud ; il se manifeste surtout quand le temps change et quand il fait du vent ; la scintillation est beaucoup plus vive pour les étoiles situées près de l’horizon que pour celles qui sont près du Zenith, la lumière que nous envoient les premières ayant pour parvenir à nos yeux à traverser une bien plus grande épaisseur d’air atmosphérique que celle que nous envoient les dernières ; le phénomène de la scintillation des étoiles se manifeste surtout lorsque l'air ayant été sec pendant quelque temps, l'humidité vient à s'y répandre, c’est donc un présage de mauvais temps.
- On apprécie l’intensité de la scintillation des étoiles au moyen de scintillomètre imaginé par François Arago ; il consiste en une lunette astronomique dont l’ouverture de l’objectif est réduite par un diaphragme ; après avoir mis l’oculaire au point, on voit alors au lieu d’une image très petite et nette de l’étoile qu’on observe,une image trouble et amplifiée de cette étoile,au centre de laquelle on distingue un Point noir auquel succède bientôt un point brillant, Puis le point noir disparaît, puis le point brillant, et ainsi de suite. On cesse d’enfoncer l’oculaire au moment où le point noir se montre, pour juger de l’intensité de la scintillation ; il n’y a qu’à compter le nombre de disparitions et de réapparitions du point noir dans un temps donné. Sirius a donné à différen-
- tes époques 40, 23, 28, 30 disparitions en cinq minutes.
- Il résulte des observations de MM. Liander, Portai Rey que lorsqu’on observe au scintillomètre une étoile de première grandeur, on voit des ondulations allant d’un bord à l'autre de son disque amplifié ; ces ondulations indiquent la direction du vent qui règne dans les régions supérieures de l’atmosphère J Cette direction est intimement liée avec la hauteur barométrique et peut par conséquent servir à prédire avec une probabilité plus ou moins grande le temps qu’il feraaïans deux ou trois jours.
- Les astronomes Ticho-Brabé, Kepler, Galilée, croyaient que la scintillation était due à de véritables variations dans l’éclat et la couleur des étoiles; dans leur hypothèse, l’état de l’atmosphère n’influerait pas du tout sur le phénomène.
- D’autres savants, parmi lesquels on doit citer Alhezen, Huyghens, Newton, Saussure, attribuaient la scintillation à un déplacement des rayons lumineux résultant de l’agitation de l’air.
- François Arago attribuait la scintillation à l’interférence des rayons parallèles venant de l’étoile ; d’après lui, l’état de l'atmosphère changeant à tout moment sur quelque point du trajet des rayons, deux rayons parallèles traversant des portions d’air inégalement échauffées, inégalement échauffées, inégalement humides, surtout s’il fait du vent, peuvent interférer, ce qui explique les variations d’éclat de l’étoile, des changements de couleur résultant de ce que les rayons lumineux des diverses couleurs ont des longueurs d’ondes différentes; les plus longues correspondent auxrayons rouges, les moins réfran-gibles, les plus courtes aux rayons violets, les plus réfrangibles ; certains rayons colorés seront donc détruits par interférence, et les autres n’étant pas éteints feront paraître l’étoile colorée. Le phénomène de la scintillation est beaucoup plus sensible, si on se sert d’une lunette, l’objectif recevant un bien plus grand nombre de rayons.
- Considérons maintenant le cas d’un astre ayant un diamètre apparent sensible, chaque point de son disque se comportera comme le point mathématique détendu auquel on peut assimiler une étoile fixe ; il aura donc par interférence ses variations d'intensité et de couleur ; il scintillera, mais chacun des points du disque scintillant, leurs scintillations seront discordantes, tandis que l’un d’eux est rouge au maximum d’éclat, le point voisin présente la couleur verte complémentaire du rouge ; les scintillations des divers points du disque se contrarient donc mutuellement ; il en résulte que la scintillation du dis-
- p.495 - vue 496/836
-
-
-
- 496
- LE DEVOIR
- que est nulle ou très faible ; ce n’est qu’accidentelle-ment que les scintillations des divers points peuvent être concordantes ; il résulte de cette explication que le disque d’un astre ayant un diamètre, apparent sensible paraîtra calme et incoloré ; on pourra seulement observer de légères ondulations sur les bords du disque.
- Le troisième caractère distinctif qui sert à reconnaître au premier abord si un astre doit être rangé parmi les planètes ou parmi les étoiles fixes est donc celui-ci : les étoiles fixes scintillent en général, tandis que les planètes ne scintillent pas, ou ne présentent que des traces de scintillation.
- Enfin, un quatrième caractère peut servir à reconnaître si un astre appartient à l’une ou à l’autre de des deux catégories, les étoiles fixes étant des soleils qui, au spectroscope, donnent un spectre différent du spectre solaire et possèdent de raies spectrales caractéristiques de l’étoile fixe observée ; il n’en est pas de même des planètes qui, analysées au spectroscope, donnent toujours un spectre identique avec le spectre solaire et présentant les mêmes raies, ce qui prouve que ces astres sont des corps obscurs non lumineux par eux-mêmes, qui ne brillent qu’en réfléchissant à leur surface la lumière éblouissante du soleil.
- Du reste, les planètes inférieures plus rapprochées du soleil que la terre, Mercure et Vénus, présentent des phases complètes comme la lune, et on les voit tantôt présenter l’aspect d’un disque circulaire, tantôt celui d’un ovale, d’un demi-cercle, d’un croissant, tantôt devenir invisibles. Mars présente aussi des traces de phases. Jupiter et Saturne présentent derrière eux un cône d’ombre, et lorsque leurs satellites traversent ces cônes d’ombre, ils sont éclipsés ; tous ces faits prouvent suffisamment que les planètes sont obscures, et ne brilent que d’une lumière emprunté au soleil. Henry Courtois.
- Les admirables dessins de Victor Hugo assuraient d’avance le succès de la nouvelle édition des Travailleurs de la mer. Ce succès va grandissant à chaque livraison nouvelle. C’est la première fois qu’un livre est ainsi illustré par son auteur, — et quel auteur.
- Les séries 3 et 4, qui viennent de paraître, ne contiennent pas moins de douze dessins de Victor Hugo, dont cinq hors texte : la Maison visionnée , les Escaliers de Saint-Malo, la Jetée, la Vieille ville normande et la Proue de navire..
- Eugènes Hugues, éditeur, rue Thérèse, 8. Paris.
- Lire dans La Séparation des Eglises et de l’Etat du 23 juillet (bureaux, 25, rue Monsieur-le-Prince, à Paris; : La déclaration de 1682 Charles. Boysset. — Les Palais d’évêques : Ernest Lesigne. — L’Esprit des morts : Frédéric Morin. — Appels. — Membres de la Ligue. — De ci cle là : Sutter Laumann. — Le Monde clérical. — Le frère Léotade. — Nécrologie : Le Docteur Coudereau. — Chronique scientifique : Dr Jovignot. — Feuilleton: Pétition à la Chambre : Paul-Louis Courier.
- ENCOURAGEMENT DE L’INSTRUCTION ET DÉVELOPPEMENT DE L’ÉDUCATION
- REVUE MENSUELLE DES
- FÊTES D’ENFANTS
- DES DISTRIBUTIONS DE PRIX
- Des Peines et Récompenses scolaires
- DE L’ÉPARGNE SCOLAIRE
- DES MUSÉES SCOLAIRES, DES MUSÉES CANTONAUX,
- et de
- L'ÉDUCATION CIVIQUE
- FAIRE DES HOMMES
- Rédacteur en chef: Henri de Sabatier-Plantier Propagateur des Fêtes d’Enfants
- 2e ANNÉE. — N» 8. — 14 JUILLET 1882
- SOMMAIRE. — Le 14 juillet 1882. — Principales différences entre les Musées cantonaux et les Musées scolaires. —Les Fêtes d’Enfants en 1882, VI: Concours gymnastique de Saint Quentin; Excursion scolaires ; La Saint-Charlemagne dans l’Académie de Clermont-Ferrand [suite et fin). Discours'de M. Jules Ferry.
- ABONNEMENTS : France et Colonie 5 fr. Etranger 6 f. Le numéro ; 35 centimes.
- ON S’ABONNE:
- A PARIS : A la librairie Ch. Delagrave, 15,rue Soufflot.
- A la librairie Eug. Weil et G. Maurice, 169, i boulevard Saint-Germain.
- : Et au Bureau du journal, à Nevers, par Vézenobres ! (Gard).
- I On s’abonne également sans supplément de prix dans | tous les bureaux de posto.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.496 - vue 497/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. - n° 205. Le numéro heMomadaire 20 c. Dimanche 13 Août 1882
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . lOîr.u» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 41 îr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13 fr. 60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r,Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m. ~w m.
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Les peuples et les Gouvernements. — La réforme Orthographique. — Faits politiques et sociaux. — Vunité de la vie passée, présente et future — L'agriculture coopérative en Allemagne. — Magnétisme. — Bibliographie. — Bibliothèque du Familistère. — Etat-civil du Familistère. — Le Socialisme de M. de Bismarck. — La plus belle des trois.
- LES PEUPLES ET LES GOUVERNEMENTS
- Bans un précédent article nous disions que si les gouvernements en sont encore à la politique belliqueuse d’égoïste autorité, hostile à toute émancipation nationale de nature à compromettre leurs Jntérêts, les peuples eux-mêmes reconnaissent que L liberté est le premier de tous les biens, parce qu’elle seule favorise le développement du progrès humain et la marche de la civilisation. Désireux de posséder pleine et entière pour eux-mêmes, ils ont Parfaitement compris qu’un de leurs premiers devoirs
- était de la respecter religieusement chez les autres.
- Cette divergence si notable de vues entre les gouvernements et les peuples ne s'est jamais manifestée aussi ouvertement que dans les derniers événements dont nous venons d’être témoins, et elle s’accentue chaque jour davantage aux yeux de tous. Alors que le gouvernement anglais croit devoir entreprendre une guerre qui, sous le prétexte de protéger les intérêts anglais en Egypte, intérêts financiers principalement, peut provoquer une lutte , européenne, de toutes parts le peuple anglais proteste, et dans des meetings nombreux, se déclare opposé à toute intervention militaire dans ce pays, où l’exploitation de quelques porteurs de titres fait peser sur la population une charge accablante d’impôts, un tribut ruineux sans profit pour personne autre que quelques privilégiés peu intéressants. Dans une pétition couverte de milliers de signatures, il est dit que le libre passage du canal de Suez n’ayant jamais été menacé, les vies des sujets anglais et la sécurité de leurs biens n’ayant pas été en danger avant que la présence des flottes ne fut venue exaspérer le parti national égyptien, il eût été juste et équitable de laisser le peuple égyptien libre de régler lai-même ses destinées, et que les expériences tentées pour abattre les gouvernements populaires ou pour soutenir ceux qui ne le sont pas ayant toujours abouti à des désastres, il était à désirer qu’on ne les renouvelât point.
- Lorsque le gouvernement de la République française, se laissant entraîner par les excitations de l’Angleterre à se joindre à die dans cette intervention injuste autant qu’inopportune, sollicite du pays les moyens de la mener à bonne fin, la chambre qui
- p.497 - vue 498/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- représente le pays, bien inspirée cette fois, et se conformant aux aspirations de la nation, renverse le ministère en refusant les crédits demandés, et en affirmant de la sorte son blâme de l’intervention armée chez un peuple qui, fatigué du joug trop lourd de l’étranger, veut enfin vivre libre et se gouverner lui-même.
- Et ce n’est point seulement dans l’ordre purement politique que cette divergence de vues se manifeste entre les gouvernements et les peuples, elle se retrouve encore et avec plus d’intensité peut-être dans l’ordre économique. En Espagne le commerce refuse ouvertement le paiement d’impôts trop onéreux qui le ruinent, et que les avantages offerts comme compensation par l’administration publique ne justifient aucunement. En Italie, la misère qui sévit dans bien des provinces arrache au gouvernement l’institution enfin consentie du suffrage universel pour les élections legislatives, premier pas fait vers le régime du self-government. En Allemagne, le pseudo-socialisme de M. de Bismarck consistant à donner à l’Etat le monopole de la création et de l’administration des caisses populaires d’épargne, de retraite ou de secours mutuels est repoussé par la nation, comme n’offrant aucune des garanties de contrôle et de bonne administration qui en assurent le libre fonctionnement. En Irlande, le peuple est en état d’insurrection latente,pour ainsi dire contre son gouvernement, et en Russie la situation n’est pas beaucoup meilleure.
- Cela tient à bien des causes, mais la plus puissante de toutes, c’est que les gouvernement placent avant toute préoccupation, les questions politiques, tandis que pour les peuples, que la politique touche peu, la question essentielle, la question vitale c’est la question économique et sociale. Or, pour l’étude sérieuse et efficace des réformes et urgentes à accomplir au ein de la Société, pour leurs application prompte et effective, pour leur fonctionnement constant et régulier, la paix et la liberté sont indispensables. Les peuples le sentent; aussi sont-ils désormais d’ardents partisans de la liberté et de la paix.Le temps est déjà loin où il suffisait de crier d’une certaine façon: « à Berlin », pour enflammer d’un chauvinisme enthousiaste autant que ridicule les naïfs, et distraire les esprits des souffrances et des besoins quotidiens, en appelant leur attention sur les événements extérieurs, sur les péripéties énervantes de la guerre.
- Les gouvernements, peu soucieux en général du bien être des classes populaires, préfèrent, lorsque les plaintes de ces dernières atteignent un certain diapason, chercher dans la politique des diversions à ces préoccupations si légitimes, plutôt que de
- l recourir à l’application franche et sincère de mesures jj de réforme en rapport avec les besoins du moment,
- mesures qui en élargissant considérablement le champ des libertés publiques, restreindraient d’autant celui \ des abus administratifs et des attributions excessives | des gouvernants, et c’est ainsi que l’on voit de temps | à autre les nations embarquées dans des expéditions | militaires, dont le motif n’est pas plus clairement 1 défini que le but, témoins les campagnes du Mexique, | d’Italie sous l’empire, de Tunisie sous la République, j La grande phrase dont les gouvernants se servent I si pompeusement en gonflant leurs joues dans ces circonstances, la grandeur et le prestige de la France, est une note sonore autant que creuse dans l’orchestre parlementaire, mais sa signification est nulle. Rien ne donne plus de grandeur et plus de prestige à une nation que sa prospérité vraie, sa richesse résultant de son travail se développant au milieu d’institutions libérales et conformes au droit et à la justice. Dans le conflit franco-allemand, le fait d’avoir payé l’énorme rançon qu’on lui avait imposée à plus fait pour le prestige de la France, que les victoires faciles de la Prusse n’ont fait pour celui du nouvel Empire allemand, et ce dernier, tout victorieux qu’il soit, envie au vaincu sa puissance bien autrement féconde que celle que procure le glaive. La guerre a beau être menée victorieusement, en effet, elle appauvrit toujours et ruine fatalement le vainqueur aussi bien que le vaincu, tandis que le travail et la paix enrichissent infailliblement les peuples.
- C’est ce que les nations ont fini par bien sentir et comprendre, et voilà pourquoi il existe entre la plupart d’entre elles et leurs gouvernements un désaccord qui va s’accentuant chaque jour davantage. Pour les gouvernements qui suivent les inspirations des classes dirigeantes, satisfaites du régime social en vigueur, la question sociale est secondaire, tandis que la question politique prime toutes les autres. Pour la masse de la nation composée de travailleurs, la politique est peu de chose au contraire, et la subsistance, le bien-être, tout. Vivre est plus indispensable que briller au premier rang, et peu importe en somme aux membres des classes laborieuses que leur pays soit le premier dans le concert des nations^ s’ils manquent du nécessaire et s’ils souffrent de la misère et de la faim. C’est l’histoire de ce qui se passe actuellement en Allemagne, et c'est ce qui arrivera toujours aux nations qui mettent toute leur gloire dans le prétendu prestige militaire.
- Ce qui le démontre péremptoirement, c’est que lorsqu’après sa défaite, la France a eu à émettre des emprunts, ils ont été rapidement couverts trois,
- p.498 - vue 499/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 499
- quatre et même cinq fois, quelle que fat l’énormité de la somme, tandis que la Prusse victorieuse ne réussissait même pas à faire couvrir une fois ses emprunts bien moins considérables. Pourquoi cette différence ? C’est que le créditée prestige d’une nation ne reposent pas réellement sur ses succès militaires, sur ses prétendues gloires guerrières, mais bien sur le développement que ses institutions permettent au travail de source, la richesse de prendre. Un peuple de travailleurs sera toujours plus riche, plus estimé, plus considéré qu’un peuple de soldats, parce que les premiers créent la richesse, tandis que les derniers ne savent que la piller et détruire. A tous les points de vue il est donc mille fois préférable de vivre pour le travail que pour la guerre, pour prospérer que pour manquer du nécessaire.
- Est-il surprenant après cela que les peuples ne veuillent plus suivre leurs gouvernants,lorsque ceux-ci veulent les emmener en guerre? Quel profit retire en réalité de la guerre une nation ? Des ruines, des pertes cruelles dans les familles, des dépenses énormes complètement stériles dans la victoire, et des pertes non moins déchirantes, des ruines et des dépenses encore plus exhorbitantes et stériles dans la défaite. Et dans quel but le plus souvent ? Pour donner satisfaction à l’amour-propre de quelque souverain ou de quelque ministre, pour faire soi sant, justice de quelque tort le plus souvent récidi-proque, quand il n’est pas imaginaire, ou pour quel-qu’objet encore moins avouable et moins digne.
- Donc, pour que l’accord entre les gouvernements et les peuples se réalise et se maintienne d’une façon durable, il faut que les premiers renoncent à leurs errements passés, qu’ils se persuadent qu'en face de la Souveraineté nationale, seul principe aujourd’hui légitime, leur rôle consiste à s’inspirer purement et simplement des idées de la nation et à y conformer leur conduite. Jusqu'à présent ils se sont considérés comme les guides, les pilotes du pays, dont ils ne sont au contraire que les mandataires et les serviteurs. Us sont les exécuteurs des volontés du souverain, le peuple, rien de plus et rien de moins. Un homme d’esprit a dit que le meilleur gouvernement était celui qui gouvernait le moins, et il avait parfaitement raison. La loi souveraine des gouvernements est la volonté de la nation, et leur rôle par conséquent consiste à l’accomplir sans modification ni altération d’aucune sorte.
- Or avant toutes choses les peuples veulent la liberté et la paix pour pouvoir opérer à Taise les r'formes sociales, indispensables à leur bien-être,et développer leur prospérité par la production et le travail, sources uniques de la richesse. Les gouvernements
- sont donc tenus de travailler ardemment à maintenir par tous les moyens possibles la paix, à installer définitivement chez eux la liberté, et à aider de tous leurs efforts la réalisation des réformes et le développement de la production nationale. Hors de là, tout ce qu’ils pourront faire ne servira qu’à augmenter le désaccord existant entre le pays et eux, et à amener fatalement leur chute dans un temps plus ou moins éloigné. Au lieu demarcherensembledumême pas dans la voix féconde et salutaire du progrès social, iis perdront dans une lutte stérile et nuisible leurs efforts et leur temps au grand détriment des intérêts de tous.
- Paissent les gouvernements prendre enfin bientôt une vue plus saine et plus juste de leurs devoirs et de leurs droits, afin de faire cesser pour toujours ce désaccord déplorable que nous constatons, et que les récents événements ont montré si clairement au grand jour.
- LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE (>}
- III
- « Montaigne, ce profond penseur, ce savant, ce séduisant écrivain, qui parlait latin dès le berceau, mettait mal l’orthographe, et déclarait qu’il ne s’en préoccupait pas, laissant ce soin aux typographes,
- « Rambaud (1578) fut l’auteur d’un livre intitulé ; « La déclaration des abus que Von commet en écrivant et le moyen de les éviter et de représenter îiaïvement les paroles. »
- « En 1609, Robert Poisson publia un ouvrage intitulé : « Alfabet nouveau de la vrée et pure qrtografe frànçoise et modèle sus icelui en forme de dixionère, dédié au Roi de France et de Navarre, Henri IV, »
- « Vers Tan 1600, Arnault et Lancelot, deux des plus célèbres membres de la Société de Port-Royal publièrent,dans leur « Grammaire générale et raison-née », les excellentes règles qui suivent comme bases essentielles d’un système orthographique parfait :
- « 1° Que toute lettre ou signe indique un son; « c'est-à-dire qu'on N écrive rien qui ne doive être « prononcé.
- « 2° Que chaque son soit indiqué par un signe ; « c'est- à-dire que rien ne soit prononcé sans être écrit.
- « 3° Que tout signe ne représente qu'un seul son, « soit simple, soit double. (Exemple d'un son double : « %=gz ou ks).
- (1) Yoir le Devoir des 30 juillet et 6 août 1882.
- p.499 - vue 500/836
-
-
-
- 500
- LE DEVOIR
- « 4° Qu'un son quelconque ne soit jamais indiqué « par différents signes. »
- « Après avoir aussi clairement établi le grand clésidérata en orthographe, il est profondément regrettable de voir ces écrivains, si virils et si courageux dans leurs attaques contre les Jésuites, se prononcer avec pusillanimité, à la page suivante, en faveur du système même qu’ils venaient de condamner, et cela : « parce qu’il n’est pas facile » disent-ils, « d’amener toute une nation à changer les signes « auxquels elle est depuis longtemps accoutumée. « Exemple : l’empereur Claude ne put réussir à « introduire un son dont il désirait l’usage. »
- « Les savants de Port-Royal eussent pu ajouter qu’Auguste dont la pureté de style fut tant admirée, mettait, malgré cela, très-mal l’orthographe : « car, » disait Suétone : « Auguste partageait l’opinion de « ceux qui pensent qu’on doit écrire comme on « parle. » Mais Auguste lui-même victorieux de ses ennemis et tout puissant qu’il fut, ne put vaincre les préjugés des pédants de son temps.
- « La conclusion que nous venons de faire connaître était indigne des savants de Port-Royal, des auteurs de « VArt de bien penser. Ils eussent dû la laisser au révérend secrétaire de l’Académie française, l’abbé Régnier (1700) qui, au nom de l’Académie, condamna les tentatives faites pour faciliter aux enfants la lecture et l’écriture, et cela dans des termes plus remarquables par leur esprit de conservation que par leur bienveillance ou leur courtoisie. Les voici :
- « Que deviendraient les langues si leurs éléments « devaient être reformés à cause des difficultés que « les enfants peuvent avoir à se remémorer la valeur « de chaque signe, et les variations diverses qu’un « long usage y a introduites ? C’est aux enfants à « apprendre à lire comme leurs pères et grands « pères l’ont fait avant eux. Quant aux femmes qui « désirent se perfectionner en cultivant leur intelli-« gence, qu’elles fassent usage des moyens mis à la « portée de chacun pour la prononciation correcte « du langage. »
- « En dépit de l’Académie et de son digne porte-voix, beaucoup d’autres hommes éminents : Bossuet, Molière, le savant jésuite Buffier, (1731), l’avocat Ablancourt, etc, etc..frappés des inconséquences de l’ancienne orthographe, s’efforcèrent de rejeter les lettres muettes et incombrantes. Grâce à eux, dette devint dette; sçavoir, savoir; print, prit ; jeiclx, jeux; febvrier, février; traisner, traîner; feust, fut; etc...
- « La plupart de ces modifications ont à la longue, vaincu la puissante opposition de l’Académie, et
- obtenu leur mission dans le dictionnaire de ce corps savant; mais nombre d’autres innovations se sont vainement efforcées d’entrer dans le sanctuaire et se sont vues condamnées à ce qui ne sera, espérons-le, qu’un ostracisme momentané.
- « Nous avons vu que Rousseau était favorable à la réforce, voici maintenant un extrait de Voltaire : « L’orthographe de la plupart des livres français est « ridicule. Presque tous les imprimeurs ignorants « impriment Wisigoths, Westphalie, Wirtemberg, « Wétéravie, etc, etc. Ils ne savent pas que le dou-« ble V allemand, qu’on écrit ainsi W, est notre V, « consonne, et qu’en Allemagne on prononce Vété-« ravie, Virtemberg, Vestphalie, Visigoths, etc., « etc.
- « Pour l’orthographe purement française, l’ha-« bitude seule peut en supporter l’incongruité. « Emploi-e-roi-ent, octroi-e-roi-ent, qu’on prononce « octroiraient, employaient. Pa-on qu’on prononça « pan, fa-on qu’on prononce fan, La-on qu’on pro-« nonce Lan ; et cent autres barbaries pareilles font « dire :
- « Hodieque manent vestigia ruris. »
- « Hor. Lit. 2. Ep. 1.
- « Cela n’empêche pas que Racine, Boileau et « Quinault, ne charment l’oreille, et que Lafontaine « ne doive plaire à jamais.
- « Les Anglais sont bien plus inconséquents : ils » ont perverti toutes les voyelles ; ils les prononcent « autrement que toutes les autres nations. C’est en « orthographe qu’on peut dire d’eux avec Virgile :
- « Et penitus toto divisos orbe Britannos. »
- Egl. l.v. 67.
- « Cependant ils ont changé leur orthographe « depuis cent ans ; ils n’écrivent plus loveth, spea-« keth, maketh ; mais loves, speaks, makes. »
- « L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est « ressemblante, meilleure elle est. »
- Le passage suivant de son article sur la lettre A rentre aussi trop bien dans notre sujet pour que nous ne le citions pas.
- « Ne faut-il pas écrire comme on parle autant « qu’on peut ? N’est-ce pas une contradiction d’é-« crire oi et de prononcer ai? Nous disions autre-« fois je croyois, foctroyois, j'employois ; lorsqu’en-« fin on adoucit ces sons barbares, on ne songea « point à réformer les caractères,- et le langage dé-« mentit continuellement l’écriture.
- « Nous nous sommes défaits de cette mauvaise « habitude d’écrire le mot français comme on écrit « Saint-François. Il faut du temps pour réformer
- p.500 - vue 501/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 501
- « la manière d’écrire tous ces autres mots dans les-« quels les yeux trompent toujours les oreilles.
- « Pourquoi en ménageant nos oreilles, ne ména-« gez-vous pas aussi nos yeux.
- « Ne voyez-vous pas que vous m’embarrassez u beaucoup lorsque vous orthographiez d’une façon « et que vous prononcez d’une autre ?
- « Les plus belles langues, sans contredit, sont « celles où les mêmes syllabes portent toujours une « prononciation uniforme ; telle est la langue ita-« lienne. Elle n’est point hérissée de lettres qu’on « est obligé de supprimer ; c’est le grand vice de « l’anglais et du français. Les Italiens se sont dé-« faits de la lettre h au commencement des mots,
- « parce qu’elle n’y a aucun son, et de la lettre x en-« tièrement, parce qu’ils ne la prononcent plus ; u que ne les imitons-nous ? Avons-nous oublié que « l’écriture est la peinture de la voix ? »
- « Outre Voltaire et Rousseau, la plupart des hommes éminents du siècle dernier, furent favorables à un mode plus rationel d’orthographe. Mentionnons les deux célèbres grammairiens Dumarsais et Wailly et le moraliste Duclos, secrétaire de l’Académie. Ce dernier non-seulement défendit, mais appliqua (partiellement la réforme orthographique. On trouve dans quelques-uns de ses ouvrages certains mots avec des consonnes simples aü lieu de consonnes doubles ; ainsi : doner, dificile, pouvait, aprendre, au lieu de donner, difficile, pourrait, apprendre. On voit également ph et th remplacés par f et t et diverses autres améliorations, comme en témoigne le passage suivant :
- « C’est une vaine ostentation d’érudition qui a « gâté Yortografe ; ce sont des savans et non pas des « filosofes qui l’ont altérée ; le peuple n’y a aucune « part, h'ortografe des famés (femmes), que les sali vans trouvent si ridicule, est plus raisonahle que « la leur. »
- « Notre siècle,à son tour, a produit en France des avocats de la réforme orthographique : MM. Do-merge, Marie, Féline, etc..., etc...
- « L’Angleterre, elle aussi, a eu ses phonéticiens, Parmi les premiers, citons sir John Cheke, le tuteur d’Edward VI, qui, dès le xvi° siècle, méditait la réforme de l’orthographe anglaise. Au siècle suivant, Dr Gill, directeur du collège de Saint-Paul, construisit un alphabet phonétique de la langue anglaise ; son contemporain le savant évêque Wilkins, Benjamin Franklin, en Amérique, et autres furent également favorables à l’orthographe phonétique. Mais nul n’a autant fait de nos jours, pour cette cause, que MM. Pitman et Ellis cjtiij sortant
- des régions nuageuses de la théorie, entrèrent courageusement dans le domaine de la réalité, et, au prix d’un travail incessant, de lourds sacrifices pécuniaires, ont, le premier surtout, donné un corps et un nom à une si désirable [réforme.
- (A suivre.)
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- Xj» Turquie et l’Angleterre. — Qaand, l’automne dernier, trois colonels de l’armée égyptienne soulevèrent leurs régiments contre le pouvoir khédival pour une question d’avancement et de solde, nul ne prévoyait les vastes conséquences de ce mouvement militaire. La crise ouverte par le pronunciamiento du Caire excède de beaucoup les limites d’un litige restreint à l’Egypte. C’est la situation de l’Orient ottoman tout entier qui se trouve enjeu, avec cette aggravation qu’il ne s’agit pas, comme en 1854 et en i877, de la domination européenne de la Turquie, mais bien de la suprématie religieuse du calife sur l’islam entier, qui peut se fonder sur des bases indestructibles ou sombrer sans retour dans le conflit.
- L’appoint matériel et militaire que la Turquie peut apporter à l’Europe pour la répression de l’insurrection, militaire du Caire, est peu de chose en lui-même. Mais si le sultan intervient en maître en Egypte, s’il plante son étendard sur les ruines des forts d’Alexandrie et sur les palais du Caire, s’il fait camper ses troupes au pied des pyramides, il aura remporté un triomphe politique et moral incalculable. La figure du commandeur des croyants, dégagée des voiles de la diplomatie européenne, resplendira d’un éclat nouveau aux yeux des fidèles : Abd-ul-Hamid apparaîtra à l’islam comme le véritable lieutenant de Dieu sur la terre,comme l’homme prédestiné dont le bras victorieux manie le sabre du Prophète; l’hégémonie musulmane, chancelante sur ses hases, sera de nouveau fixée à Stamboul pour une longue série d’années ; et le schisme politique et religieux, qui germait sur les deux rives du golfe arabique, aurai été étouffé dans son berceau.
- Tous les efforts de l’Angleterre tendent visiblement à dépouiller l’action du sultan de ce caractère imposant et mystique. Ce n’est pas sans raison que le représentant de la Grande-Bretagne à la conférence insiste si vivement pour obtenir de la Porte une déclaration de rébellion contre Arabi préalable à toute opération militaire. En se rendant à cette exigence, en proscrivant, pour complaire aux infidèles, un homme en qui les sectateurs du Prophète, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’au fond de lTudo-Chine, révèrent un héros de l’islam, le sultan compromettrait irrémédiablement son caractère de chef religieux ; il descendrait de son trône spirituel au rang des potentats temporels dont la politique est guidée par des préoccupations d’ordre exclusivement terrestre.
- Tel est, si nous voyons j uste, le caractère de la partie serrée qui est engagée entre la Sublime Porte et le cabinet de Londres : l’importance de l’enjeu nous explique l’àpreté de la lutt r. M. Gladstone cherche à faire passer dans le domaine de la politique expérimentale son horreur intime de la barbarie turque. Pour la Porte, c’est une question de vie ou de mort qui se débat; il s’agit pour elle de rester à la tête du monde musulman et de conserver la direction du mouvement panislamite qu’Abd-ul-Hamid a su habilement fomenter à son profit pour réparer les désastres de la guerre russe, ou bien de rouler, paralysée et déconsidérée, jusqu'au fond d© l’abîme où l’a acculée 1© traité de San-Stefano;
- p.501 - vue 502/836
-
-
-
- B02
- LF DËVOIR
- La Turquie sait donc, à n’en point douter, que, si elle ne passe par les volontés du cabinet britannique, les canons qui ont réduit les forts d'Alexandrie en poudre seront tournés contre les cuirassés ottomans ; elle est dûment avertie qu’il ne lui reste d’autre alternative, si elle veut aller en Egypte, que d’y aller à titre de Subordonnée de l’Angleterre, ou de courir la chance d’une guerre avec la puissance britannique.
- On comprend que cette alternative fasse songer la Porte, à qui son principal protecteur n’a pas laissé ignorer le concours effectif qu’elle en pouvait attendre, quand il a déclaré que la question orientale tout entière ne valait pas, à ses yeux, les os d’un seul mousquetaire poméranien ; et l’on ne peut s’étonner beaucoup que Saïd ait demandé dû temps pour méditer sur cette perspective, en prévenant les ambassadeurs que la réunion de la conférence projetée pour aujourd’hui ne pourrait avoir lieu, « par suite de circonstances imprévues.
- ¥ *
- Ex* Egypte. — En Egypte le gâchis est complet; gâchis moral aussi profond que le' gâchis matériel. On sait moins que jamais ce que vaut, ou ne vaut point Arabi. Il est dictateur, ce poini est sûr, et comme tel il rançonne, il pille, il tue, il détruit, il confisque, il vole, mais pour le compte de qui tient-il la dictature ? Pour son compte ? Poür le compte du sultan qui l’a décoré, et qui fait mine de vouloir le combattre ? Agent de Bismarck? Prêt à tout livrer à quiconque, même aux Ang ais, si oii lui garantit la vie, des millions et un grade, à lui l'incendiaire et le meurtrier d’Alexandrie ! Pour achever la confusion, M. de Lesseps est au mieux avec cet homme, il reçoit de lui des lettres de remerciement, et délivre en son nom des sauf-conduits ! Une chose est certaine pourtant, et ii ne faut point que la France ni l’Angleterre l'oublient ; sous ses débris fumants, au fond de cette misère physique, intellectuelle et morale, dans cette boue sanglante il y a un peuple, un peuple naissant, le peuple Egyptien ; laborieux, paisible, dévoré depuis ra naissance par les gros financiers de France et d’Angleterre, un peuple dont les labeurs infinis, après avoir payé les débauches d’Ismaïl, ont grossi les richesses des Rothschild, à la fin, lève la tête, et, parmi toutes les incertitudes gui enveloppent le personnage peut-être infâme d’Arabi, cette hypothèse pourrait être vraie : Arabi sorti de ce peuple lui serait dévoué. Si l’Angleterre veut, non pas justifier le bombardement d’Aiexandrie mais le racheter, qu’elle se souvienne de ce peuple, qu’elle le soutienne, le fortifie, l’affranchisse et l’élève; pour cette œuvre elle aura le concours de la France et de quiconque a le sentiment dü droit et la volonté de la justice.
- *
- ¥ ¥
- 3Les ficelles du Chancelier allemand. —
- M. de Bismarck n’est point content ; ses meilleurs ficelles cassent. C’est au moment où il poussait enfin la Turquie à intervenir, que l’Angleterre déclare tout net qu’il est un peu. trop tard pour accepter après coup la note identique, et que si la Turquie qui se refusait si énergique-mene à toute intervention change d’avis, il faut, au moins, qu’avant de débarquer un seul homme elle s’explique à fond sur sa politique, et donne des garanties, l’Angleterre voulant régler d’elle-mème les conditions et le mode de Faction turque. Première ficelle cassée 1 Ce n’est point tout : il y a quinze jours à peine, M. de Bismarck rejetait et faisait rejeter dédaigneusement la proposition de la France et de l’Angleterre qui demandaient une coopération commune pour protéger le canal, et, lorsque la semaine passée, croyant jouer un maître coup, il a emphatiquement déclaré que finalement il se décidait pour la protection, voilà que par 450 voix Contre 75 la Chambre française refuse le crédit demandé, et renonce provisoirement à rien protéger ! Deuxième ficelle rompue ! Enfin la Russie à son tour, fnécontente de voir la Turquie intervenir peut-être, et l’Angleterre, elle, intervenir efficacement et pour de bon, a suspendu pendant cinq jours les délibérations de la
- conférence en retirant à son représentant des pouvoirs nue d’ailleurs elle vient de lui rendre. Troisième ficelle qui s’allonge et se détord avant de casser à son tour. L’Autriche et l’Italie restent fidèles, mais FAülrichê n’est qu’un complice, et l’Italie (l’Italie royale s’entend) un pur comparse. Le plus curieux, c’est que la France qui n’a point voulu bombarder, la France qui n’a même pas voulu faire semblant de protéger le canal de Suez, la France qui parait abandonner F Angleterre reste au mieux avec elle* et que cés deux peuples* que ne lie aucun traité ouvert ni secret, continuent de marcher d’accord et de s’entendre, chacun d’eux ayant confiance dans Fautre.
- Nous félicitons la Chambre française du vote par lequel en refusant les crédits elle a fait prendre à la France exactement la position que M. de Bismarck vient de quitter : position d’abstention volontaire, de surveillance, par conséquent de contrôle et de pleine liberté. Par ce vote, la Chambre a désavoué avec éclat la mauvaise politique qui a conduit la France eu Tunisie malgré elle et à son insu. Par ce vote, la rupture est faite, nous l’espérons, avec la politique de la guerre. Ce n’est point assèz, il faut sortir de la politique de la paix ce qüe contient celte politique ; le travail, la prospérité, la force, la dignité, l’iufiuence, la confiance et l’intluencé des autres peuples, la vraie revanche.
- *
- * ¥
- correspondants cle jonrnanx en Egypte. — Les Arigiais sont bien déterminés à laisser dans leur prochaine campagne la vérité sous ie boisseau.
- La censure des dépêchés par ies Anglais subsiste toujours, Toute dépêche, pour être expédiée, doit porter le visa du représentant de l’amiral anglais.
- Avant de partir, le général Garnet Wolséley â fait communiquer aux journaux le règlement qui sera imposé aux correspondants de journaux qui voudront suivre l’armée expéditionnaire d’Egypte.
- On est frappé des dispositions draconiennes de ce règlement, qui dépasse en rigueur celui imposé en 1877 par les autorités militaires russes aux journalistes qüi ont suivi la guerre en Bulgarie.
- Entre autres, tous les correspondants sont soumis à là loi martiale.
- Il est interdit au correspondant d’écrire dans un autre journal que celui pour lequel il est officiellement accrédité.
- Les correspondants doivent être, autant que possible, d’anciens officiers.
- Un colonel d’état-major sera chargé de la eénsüre de toutes les dépêches et lettres qui, pour le cas où leur envoi serait jugé préjudiciable, seront rigoureusement refusées.
- Il est interdit de se servir de chiffres ; les seules langues employées doivent être l’anglais, l’allemand et le français.
- Que méditent donc les Anglais pour prendre d’avance autant de précautions ?
- ¥ ¥
- Sentinelle, prenez garde à votis I Les
- journaux belges nous ont fait savoir que la famille grahd-ducàle qui possède le Luxembourg met en vente les propriétés privées qu’elle a gardées dans ce pays. Qu’est-ce à dire sinon que M. de Bismarck s’apprêtait et s’apprête encore, peüt-être, à passer sa large main sur la neutralité du Luxembourg, et à l’annexer toüt simplement, au risque, et peut-être avec le dessein de renouveler la querelle qüi faillit faire éclater en 1867 et la guerre de 1870. Si la querellé renaît c’eSt par un arbitrage tfù’ff faudra la résoudre.
- Un personnage officiel à l’ambassade de France, en Allemagne, a transmis, il y a deux jours, le chant militaire d’ôutre-Rhin,qui së répète én ce moment dans toutes les caserves de Berlin,
- p.502 - vue 503/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 503
- En voici la traduction :
- « — Les hussards chantent, la poudre gronde; nous suivrons tous le général Wrède, qui, pour nous, a déjà gagné mainte bataille...
- & « — Frères, si nous n’avons pas un sou, entrons en France; nous trouverons de l’argent là-bas.
- « — Frères, si nous n’avons pas de souliers, allons en France pieds nus; là-bas, on trouve à se vêtir et à se chausser.
- « — Frères, si nous n’avons pas de vin à boire, il y en a en France ; allons là-bas, nous défoncerons les tonneaux des Français !
- « — Frères, ne craignez pas de tirer ni de frapper. Toujours en avant ! Toujours contre la France et les Français. 4.
- a -L Les hussards chantent, etc., etc. »
- AUTRICHE-HONGRIE
- On sait que T Autriche-Hongrie met à profit les distractions que donne à l’Europe la question égyptienne pour achever sournoisement l’annexion de la Bosnie et de l’ITerzégovine, mais ce qu’on ne sait point, parce qu’eu Autriche et en Hongrie les journaux sont soumis à la censure la plus rigoureuse, c’est que l’insurrection n’a pas cessé. Les patriotes suivent une nouvelle tactique, c’est de n’agir que par bandes de 60 à 100 hommes et de n’attaquer jamais que des postes autrichiens moins nombreux. De cette façon chaque attaque est une petite victoire. Les bandes * se recrutent incessamment de Russes et de Serbes, et elles sont toujours assurées de trouver un refuge dans la montagne.
- NORWEGE
- Un petit peuple, la Norwège, passe tranquillement, pacifiquement, de la monarchie à la République. Nous avons dit, il y a quelques semaines, un mot des impolitesses dont faisaient échange la Chambre et le roi. Les choses s’aggravent. La Chambre, et derrière la Chambre, le peuplé veut retirer au roi le droit de Veto qui est à peu près la seule force que la Constitution ait laissée à là royauté ; dé plus on se sépare de la Suède, à laquelle la Norwège est Unie malgré elle depuis 1814. Le roi résisté, niais, il faut lui rendre justice, rien n’indique qu’il veuille recourir à la violence. Les deux chefs du parti républicain sont M. Sverdrax, président de la Chambre et M. Biverson. Celui-ci a tenu récemment une assemblée de 3,000 paysans qui a conclu à la suppression pacifique de la royauté et à la proclamation de la République. Bon exemple que donne Ja Norwège.
- ITALIE
- Rien à dire de la pauvre Italie. M. Mancini la tient strictement appliquée à suivre la consigne allemande. Pas un mot, pas un geste qui ne soit l’exécution d’un ordre. Rome est muette et soumise à Berlin.
- SL’entretiexs. d’une Reine. — Il est bon de
- Savoir ce que coûte l’entretien d’une Reine. Sa « gracieuse » majesté Victoria, Reine d’Angleterre et Impératrice des Indes, possède deux cent cinquante millions placés à intérêt composé : elle a ensuite Osborne, Bal-moral et le duché de Lancaster qui rapporte à lui seul quinze cent mille francs de bonnes rentes.
- La reine touche sur la liste civile 30,000 fr. par jour, elle possède comme habitation les palais de Windsor, de Bnckhingham. Six navires de plaisance sont à sa disposition, parmi lesquels le yacht Victoria, and Albert, ancré pendant onze mois de l’année dans la rade de Portsmouth.
- * *
- XTa diplomate féminin. — Le gouvernement
- de la République de Costa-Rica vient d’accréditer en qualité de ministre plénipotentiaire auprès du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, Mme Béatrice d’A-labama. Ce n’est point la première fois qu’une femme aura joué le rôle d’agent diplomatique, mais c’est la première fois qu’elle eu aura été chargée officiellement. C’est un grand et louable progrès.
- CHINE
- Le journal chinois Sechen-Pao, de Sanghaï, assure que le gouvernement chinois a protesté à Paris contre la déclaration de guerre de la France à l’empereur d’An-natn.
- La Chine së prétend suzeraine d’Annam, dont elle veut, à ce titre, sauvegarder l’intégrité territoriale.
- MADAGASCAR
- Le Nouveau Salazien, journal qui paraît à l’île de la Réunion, nous apporte les informations suivantes sur la situation à Madagascar :
- La reine des Hovas a décrété une loi punissant de dix ans de fers tout Malgache qui vend des terres à un vasaha quelconque. Cette loi, contraire à tous les traités conclus jusqu’à présent par les nations civilisées qui ont des représentants à Madagascar (France, Angleterre, Allemagne, Etats-Unis, etc.), a provoqué une protestation de la part de M. Baudais, consul de France, commissaire de la République, et du capitaine Le Timbre, commandant de la station navale dans la mer des Indes.
- Indépendamment de cela, à la suite des insultes auxquelles était sans cesse exposé le pavillon français à Tananarive, M. Campan, chancelier du consulat, F*a fait amener. Des menaces de mort affichées à la porte de la maison consulaire ont déterminé le départ du chancelier pour Tamatave, à la suite d’un ordre donné par M. Baudais. Au moment de son départ il a informé les citoyens français qu’en l’absence à Tananarive d’un re-présr ntant étrauger auquel aurait pu être confié le soin de les protéger, le gouvernement malgache avait été rendu responsable de tout attentat contre leurs personnes et leurs propriétés.
- Dans les eaux malgaches se trouve actuellement un bâtiment de la marine française, le Forfaits On attendait l’arrivée d’un second navire, le Bruat.
- Voici comment s’exprime Une feuille locale, The Madagascar Times, au sujet de la situation actuelle : « Que la France accoure au secours de ses enfants menacés dans leur vie et dans leurs biens ; que l'on sache bien à Paris que si M. Baudais et M. Le Timbre sont désavoués par indifférence pour les intérêts qu’ils ont cru défendre avec tant d’énergie et de patience, c’en est fait pour jamais de l'influence française à Madagascar, ce pays qui, depuis bien longtemps, a reçu le surnom de France orientale. »
- *
- * *
- Deux prisonniers. — Lord Spencer, le vice-roi d’Irlande, est aussi à plaindre que le czar qui s’enferme par prudence dans son château. On pourrait même dire que ces deux personnages sont les hommes les plus malheureux de la tôfre. Ils mènent la vie de prisonniers d’Etat et osent à peine se montrer en publié.
- En effet, à Dublin, tous les visiteurs qui viennent àu palais du vice-roi sont sévèrement surveillés. Dés agents à cheval font la garde autour du parc Dés agents sècrels sont cachés dans les broussailles et les soldats gardent les entrées.
- Si lé iord lieutenant va dans la ville, il he doit pas, pour sa sécurité, prendre deux jours de suite le ffiêtüe chemin. La voiture est alors entourée dé dragons et deux qui ont Thonneur dangereux de l’aécompâgner sont priés de prendre âvôc eux un revolvëfo
- On ajoute qüe lord Speücër a perdu sa hônnê humeur d’autrefois. Gela se croit sans peine.
- Plaignons le czar et le vice-roi.
- p.503 - vue 504/836
-
-
-
- 504
- LE DEVOIR
- La TJnivcrs;il peace union. — Oû sait que la Universal peace union de Philadelphie a tenu cette année son assemblée générale à Washington les 28 et 29 mai et que la National arbitration League of United States a ouvert le lendemain sa première session.
- Voici les déclarations votées que nos amis intitulent d’un mot plus énergique : « Convictions. »
- 1° La substitution de l'arbitrage au système militaire est commandée par la raison et par une nécessité impérieuse.
- Il faut préparer cette substitution dans les familles,en supprimant les jouets et jeux militaires, dans les écoles en formant des premiers élèves de chaque classe un Comité chargé de juger les différends qui naissent entre les écoliers; en instituant dans les collèges et dans les universités des professeurs d’arbitrage ; en introduisant l’usage de l’arbitrage dans les affaires ; en créant dans le gouvernement un département de la paix; en faisant adopter par le Congrès l’acte suivant :
- Tout président des Etats-Unis instituera une Commission d’arbitrage international chargée de négocier avecles Puissances étrangères l’établissement d’un Bureau international , devant lequel les gouvernements qui donneront leur adhésion videront leurs différends par voie d’arbitrage sans jamais recourir à la guerre.
- Cette Commission sera composée de cinq citoyens des Etats-Unis d’une compétence spéciale qui resteront en exercice pendant le temps que fixera le Président, et qui seront tenus de présenter leur rapport au plus tard à l’expiration de leurs fonctions.
- Une somme de 50,000 dollars par an sera d’ores et déjà affectée à la rétribution et aux dépenses de la Commission.
- 2° L’appel fait par notre gouvernement pour la tenue en novembre prochain d’un Congrès américain de la paix ne peut que fortifier son influence, et nous invitons énergiquement le Sénat et la Chambre des représentants à encourager cette pacifique initiative par une prompte et généreuse adhésion, en étendant s’il est possible l’invitation à toutes les nations du globe.
- 3° Un désarmement universel et simultané pratiqué sur la terre entière émanciperait le genre humain de la tyrannie militaire, et trouverait dans la raison et dans la philanthropie des forces suffisantes pour vider tous les différends.
- 4° Les écoles et les établissements militaires, l’usage des armes meurtrières, la glorification des guerriers entretiennent notre confiance dans la force brutale, autorisent le meurtre et répandent l’esprit de guerre.
- 5° La vie humaine est inviolable et sacrée, et la perpétration d'aucun crime par un ou plusieurs coupables ne peut conférer aucun droit à aucune personne ni à aucun corps, sous quelque prétexte de légalité que ce soit, de priver les coupables de la vie, ni autoriser personne à commettre un crime pareil sous la garantie de la loi. La guerre et la peine de mort sont des crimes, et il n’y a point d’autorité qui puisse en faire des actes légitimes.
- 6° Le droit pour les Indiens est le même que pour les autres hommes, le même que pour les Américains. La paix avec eux peut être assurée par l’observation do la première et de la plus grande maxime de notre République, à savoir « que tous les hommes sont égaux », ce qui doit leur assurer la bonne foi dans les traités, des droits pareils, les mêmes ressources, l’éducation, le droit de cité et la protection contre la corruption et la mauvaise foi des blancs.
- 7° Nous nous unissons aux Sociétés européennes de la paix pour réclamer l’arbitrage en faveur de la Bosnie et de l’Herzégovine, et la neutralisation du futur canal de Panama.
- 8° L’Eglise n’est point digne de sa haute mission tant qu’elle ne condamnera point la guerre, et qu’elle ne tiendra point le militarisme pour un crime contre les peuples et pour une institution absolument anti-ehré-tienhei
- ft
- * 4
- Le comité exécutif de Y International arbitration and peace association adresse aux amis de la paix en France un appel dont nous nous empressons de reproduire les passages principaux. « Il les invite à unir leurs efforts à ceux de la Société pour faire triompher le principe de non intervention dans les affaires égyptiennes, et pour préserver en même temps le canal de Suez et les navires qui traversent ce canal de tout dommage et de tout embarras, tant de la part du peuple sur le territoire duquel le canal est établi, que de la part de toute autre puissance. Us peuvent être convaincus qu’il n’existe dans la niasse du peuple anglais aucun désir d’agrandissement territorial ni d’ingérence dans les affaires du peuple égyptien. Tout ce que souhaite le peuple anglais, c’est dé maintenir, d’accord avec les autres nations, la grande voie commerciale du canal de Suez ouverte aux navires de tous les peuples, et garantie contre toute hostilité toute interruption. Le Comité invite les Français à exercer leur influence pour étouffer entre l’Angleterre et la France tout germe de méfiance ou de jalousie. Tout différend sérieux entre les deux peuples serait une atteinte à la cause de la civilisation et du progrès. La politique étrangère doit avoir pour fondements lé respect des droits d’autrui et la renonciation à toute idée de conquête et d’agrandissement... »
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective
- Je crois à la vie passée, présente et future. Je crois que ce qui est contient le résumé de ce qui fut... et le germe de ce qui sera. Je crois que le passé et l’avenir de ma vie sont en moi et constituent ma vie présente.
- Enfantin. La vie éternelle.
- Hier n’est plus, aujourd’hui passe, demain se montre et se survivra. Il portera la marque des jours précédents.Préparons donc au temps fugitif le futur éternel.
- Socrate disait à ses juges : « Athéniens, je vous estime et je vous honore; toutefois j’obéirai plutôt à Dieu qu’à des hommes. Vous m’offririez en vain de me renvoyer absous à la condition que je cesserai de philosopher, car jusqu’à ma dernière heure je dois tenir,à chacun de ceux que je rencontrerai, mon langage ordinaire : oh ! mon ami, comment ne rougis-tu point de ta manière de vivre : Amasser des richesses, acquérir du crédit et des honneurs, voilà ce qui t’occupe, tandis qu’oublieux de ton âme tu ne songes point à la perfectionner. »
- Rappelons-nous ce conseil que donnait à ses concitoyens le plus sage des Urées et nous ne regretterons pas le temps employé à la lecture de quelques pages ayant pour sujet l’âme humaine ainsi que ses facultés de progrès et d’amélioration. Nul ne saurait trouver mauvais qu’un de ses semblables tente de lui exposer les faits fournissant, à son avis, la preuve d’une vie antérieure à la naissance du corps. Chacun admettra qu’on essaie de lui montrer que cette préexistence de notre individualité explique . séule là vie présente produite par «elle qui fati e*
- p.504 - vue 505/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 505
- produisant celle qui sera. Personne ne blâmera le désir de persuader aux antres que la croyance à la vie future étant insuffisante pour une bonne direction de la vie, accepter une continuité d’existence dont le passé, le présent et l’avenir ne sont que des phases diverses, c’est pour l’homme posséder,avec la raison d’être de sa situation actuelle, la véritable règle de sa conduite.
- Croyants et raisonneurs. On juge d’abord,
- ON CROIT ENSUITE.
- I
- J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez les porter présentement.
- Quand le consolateur sera venu il vous ensëignera toute la vérité, car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir.
- S. Jean, chap. x, v. 12 et 13.
- Ne marchez jamais aveuglément: réfléchissez, et quand vous aurez bien étudié, il vous sera permis de croire.
- X...
- Je vois, je sais, je crois.
- Corneille, Polyeucte.
- Nulle secte n’est dépourvue de légendes et. chacune d’elles proclame des faits qu’elle dit surnaturels, sauf à les entendre contester par les sectes rivales. Ici se montre nécessaire l’intervention de l’intelligence humaine.Elle doit apprécier les faits extérieurs, base de la conviction, en eux-mêmes et dans leurs circonstances. Leur reconnaître un caractère extra-humain, c’est se déterminer par un raisonnement vrai ou faux. Cette conclusion dépend de la réponse faite à cette série de questions : comment les faits ont-ils été produits, émanent-ils d’un pouvoir supérieur, et ne peuvent-ils avoir été accomplis que par la toute-puissance? Loin que l’intelligence soit destituée de son exercice, tout en sollicite la mise en action.
- Ces faits exceptionnels et merveilleux sur lesquels la foi se fonde et s’appuient les religions, s’établissent tous et exclusivement par des témoignages humains. Ce sont des hommes qui disent que Dieu s’est affirmé devant eux. C’est à eux à prouver ce qu’ils attestent, et à convaincre ceux qui nient.
- Comment et sous quelle forme Dieu s’est-il présenté? une apparition s’est elle rendue visible? une voix a-t-elle été entendue ? ce sont des hommes qui ont dit, voilà Dieu. C’est un de nous qui a dit : la voix arrivée à mon oreille est celle de Dieu, le langage qui a frappé mes sens est le Verbe divin. Mais ces premiers témoins ont dû s’assurer de la présence ^ Dieu, Ces hommes auxquels il à daigné g’adregssr
- ont été mis en demeure de deviner sous une forme quelconque le créateur infini. Si simples qu’ils fussent, ils n’ont pas admis que toute parole entendue dans l’espace, que tout son venant à retentir dans l’air leur portait un ordre indiscutable. Ils ont jugé selon leurs connaissances et leurs facultés. Quelle investigation essentielle a été faite, quel élément d’enquête avons-nous? Vous qui croyez à des êtres malfaisants, ne craignez-vous pas leurs embûches? A quel signe discernerez-vous les accents du Roi des cieux, comment le distinguer8z-vous du langage qui pourrait appartenir à des créatures perverties. Ceux qui selon vous sont capables de tromper les hommes ne leur en ont-ils pas imposé et par les formes dont il se sont revêtus et par les discours qu’ils ont proférés.
- Ainsi dès le début pour tout croyant le choix, dès le premier pas le discernement, c'est-à-dire Vœuvre de l'intelligence et de la raison. Etendez au grand nombre,limitez à quelques-uns le droit défaire l’examen et de prendre une détermination, il faudra toujours que des hommes apprécient pour accepter d’abord et prescrire ensuite ; mais ce jugement porté une fois est toujours sujet à révision,car le secours que Dieu peut apporter à la faiblesse de ses créatures a pu être immédiatement compromis par l'infirmité intellectuelle de ceux qui ont délibéré. Il n'en saurait être autrement : l’homme n’est pas une machine dont on dirige la marche, c’est un être intelligent et libre auquel on peut conseiller une direction, mais qui ne saurait échapper à sa loi qui est de tracer lui-même et de frayer la route qu’il entend suivre.
- Admettons-le toutefois : on ne s’est pas trompé : Dieu aparlé ; mais où est la charte originale et sacrée sur laquelle sont écrits les enseignements qu'il a donnés. Nul ne la montrera. Ce sont des hommes qui ont entendu ce qui a été dit, Vont retenu selon leur mémoire et traduit selon qu'ils Vont compris. C’est ainsi que le sens primitif a été tout d’abord faussé etfque le précepte a été transmis avec les altérations successives ajoutées par la tradition,comme par chaque transport dans une langue nouvelle.
- Des motifs de discussion existent donc encore, la source étant supposée incontestable,et c’est là qu’est surtout la difficulté. Si pour attester une origine extrahumaine des témoignages suffisent, d’aussi faibles garants ne sauraient déterminer l'auteur du commandement. Ils sont en tous cas impuissants à certifier la fidélité du texte dans lequel il est reproduit.
- Que la provenance constatée, si cela est possible, nous rende serupuleutè sur la condamnation du
- p.505 - vue 506/836
-
-
-
- 506
- LE DEVOIR
- libellé, aussi bien que sur le choix de la vérité 'purement humaine que nous substituerons au texte humanisé et faussé par l’ignorance, les passions ou la crédulité des premiers confidents, mais qu'elle ne nous enchaîne pas à tout jamais à des impossibilités scientifiquement démontrées.
- A ces causes de controverses n’y en a-t-il pas d’autres à joindre ? N’y a-t-il eu que des témoins véridiques, que des messagers autorisés, n’y a-t-il eu aucun mélange de vrai et de faux dans les paroles des oracles les plus accrédités, ne s’est-il pas trouvé de faux prophètes qui aient essayé de se faire accepter comme parlant au nom de Dieu? N’y en a-t-il pas qui aient réussi? Toutes les sectes rêvèrent des envoyés divins que réprouvent les sectes rivales, et nous ne saurions être tenus d’accepter comme l’écho de la voix de Dieu, celle de quiconque prétend parler en son nom.
- Ces causes si multiples d'erreur mettent sans cesse l'homme en demeure de recourir à sa raison pour qu'elle apprécie en même temps que son auteur le conseil qui le guide réellement vers le but désigné par son créateur et son père aux efforts de sa nature progressive.
- Prenons les exemples les plus éclatants que nous offrent les traditions recueillies dans les livres saints de l’antiquité, et nous verrons partout que l’homme a dû examiner, comprendre et retenir. Ainsi partout apparaîtront avec le témoignage humain le contrôle qu'il rend indispensable, et nulle part nous ne ren • contrerons l'intelligence destituée de l'accomplissement de son rôle. La nécessité que subirent les premiers croyants s’impose à plus forte raison à leurs successeurs.
- Au début du livre de la genèse se trouve le récit de la création. Admettons qu’un dialogue ait eu lieu entre un peuple ou un homme et une voix venant de l’espace, G'est une mémoire humaine qui a été dépositaire de ce dialogue, retenu par elle selon le sens dont l’intelligence a été frappée. Bien plus tard une transcription fut faite, mais impuissante à reproduire le texte primitif, elle a retracé ce que la tradition en avait fait ? Quel rapport y a-t-il entre la relation telle que nous la possédons aujourd’hui et ce qui s’est passé il y a des milliers d’années. Il est impossible de l’établir, ce qu’il y a de certain c’est que l’on ne saurait accepter comme auihentique un récit que les hommes d’autrefois ne purent conserver dans sa pureté native. Il est livré à la controverse qui en peut faire ressortir les erreurs.
- Que la terre ait été créée au commencement de tous les temps, c’est ce qu’il serait puéril de soutenir, mais plus sa création est ancienne, plus invraisem-
- | blable est sa mise immédiate dans l’état où. elle se ! trouve. Nous ne voyons rien se produire de la sorte, et tout se fait au contraire par des modifications lentes et successives.
- Quoi qu’il en soit, il n’est pas possible de prétendre que la terre soit l’objet essentiel de la création, celui auquel tout se rapporte. La lumière n’a pas été séparée des ténèbres afin qu’elle éclaire la terve, elle n’alterne pas aveG eux pour constituer le jour, et leur laisser la nuit. Une voûte solide, le firmament, ne sépare pas les eaux supérieures de celles de la terre : le soleil et la lune ne sont pas faits pour produire le jour et ia nuit par l’inégalité de leur éclat et par leurs mouvements réglés, puisque c’est la terre qui, en tournant sur elle-même, s’avance incessamment partie dans la lumière et partie dans l’ombre. Les étoiles n’ont pas été placées au ciel pour briller au-dessus de nos têtes. Il y a dans tout cela une foule d’erreurs démontrées que l’ignorance des premiers hommes excuse, mais qui grâce à l’origine miraculeuse qui leur était attribuée n’ont que trop longtemps arrêté les recherches des savants.
- L’intervention de l’ignorance humaine est donc incontestable et c’est à la raison qu’il appartient d’examiner et de se faire entendre de nouveau.
- L’origine de ce récit de la création n’est attestée par aucun document, et libre à nous de décider ce qu’il y a de vérité dans la tradition qui nous a été laissée de cette poétique fiction.
- Adam aurait raconté à ses enfants qu’après sa faute il avait conversé avec une voix qui lui ayant reproché sa désobéissance avait prononcé sa sentence d’exclusion du paradis.
- Ici nous sommes en pleine légende.
- Qu’il y ait une faute originelle, celle de l’ignorance, cela est vrai ; les misères de tous et la suite de l’histoire des hommes le prouvent. Examinez surtout les faits et gestes des plus grands génies et vous verrez que la plupart touchent par un point quelconque d’infériorité morale à ce qu’il y a de plus bas dans l’humanité.
- | Mais s’il faut admettre cet abaissement antérieur | reprochable à chacun de nous, faut-il croire qu’il y | a eu un Adam et une manifestation divine ? nulle-i .ment.
- I Acceptons qu’il y ait eu de premiers groupes hu-! mains, cela n’a rien de déraisonnable puisqu’il faut I bien que l’humanité terrestre ait commencé à un moment quelconque.
- A ces prenrers parents, une voix explique le rôle de régénération qu’ils étaient venus subir en cette terre.
- Adam a pu supposer que cette voix était celle de
- p.506 - vue 507/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 607
- Dieu, ü lui était impossible de le savoir pertinemment et par Suite de l’affirmer. Quelle autre voix, direz-vous, a-t-il pu entendre? Si vous ne voulez pas que ce soit celle du remords parlant à sa conscience, pourquoi ne supposez-vous pas que ce fut celle du démon continuant l’œuvre commencée pour s’emparer de la direction des hommes et s’en faire des serviteurs.
- Pourquoi ne pas se livrer à toute autre supposition, car c’est par pure hypothèse qu’Adam dit : Dieu m’a parlé.
- Les livres de l’antiquité sont pleins de récits d’audition de voix, venant de l’espace et conversant avec des hommes et pareille conclusion n’en a jamais été tirée.
- Adam a préféré admettre que Dieu lui parlait, vous le préférez aussi : jugement de part et d’autre. Mais comment ces choix, le sien et le vôtre sont-ils dirigés ? par la raison et l’intelligence : cela suffit, et encore ici, la croyance a pour seul gqide la raison et pour seule base le motif que lui fournit l’intelligence.
- Quoique nous fassions, nous ne saurions l'abdiquer. Dieu ne le veut pas : il ne nous a donné qu’elle pour tout moyen de choisir entre les inspirations de notre conscience, et les suggestions de nos désirs matériels. Nous ne saurions rejeter sur qui ou sur quoi que ce soit une responsabilité qui nous incombe tout entière.
- C’est à vous de rechercher la vérité. N’est-elle pas qu’Adam personnifiant l’humanité est réellement entaché du mal de l’ignorance et qu’il a parlé d’une faute personnelle à lui comme à tous les autres ; qu’Eve à ce titre est également coupable, que tous leurs enfants le sont de même qu’eux ; n’est-elle pas que le genre humain se refusant par orgueil à reconnaître cet état préexistant de culpabilité de chacun de nous ; il a fallu, afin de faire accepter une déchéance qui est une réalité trop apparente pour être niée, inventer une fable voilant ce que la sottise de chacun lui défendait d’avouer ? Il est temps de rejeter tout mensonge et tout subterfuge et d’accepter la vérité dans sa douloureuse étendue.
- (A suivre). P. P. Côurtépée.
- L’agriculture coopérative en Allemagne
- M. John Rae a publié dans le Contemporary Review un article très intéressant sur la coopération agricole en Allemagne, dans lequel il rend compte de ^ois expériences faites en Allemagne durant ces
- trente dernières années. Nous traduisons dans le Cooperative News l’analyse de cet article,
- Le premier système expérimenté est celui de M. J. H. Von Thuenen, l’éminent économiste qui fonda en 1848 son établissement, actuellement dirigé par son petit-fils. Ce système consiste à payer aux travailleurs leur salaire au taux courant, au propriétaire une somme fixe (d’abord 20,625 et depuis 1873, 22,500) et sur le surplus du produit 1/2 pour cent à tous ceux qui ont concouru dans la propriété au travail de la production à quelque titre que ce soit. Cette quotité a varié depuis 6 fr. jusqu’à 193.75. Toutefois elle n’est point remise au titulaire, mais portée simplement à son crédit à la Caisse d’épargne, et il peut faire l’usage qu’il lui plaît des intérêts de cette somme seulement. Ce n’est qu’à l’âge de soixante ans qu’il entre en pleine possession du capital. Les résultats donnés par la mise en pratique de ce système ont été, nous dit-on, excellents. Il a eu pour effet d’attacher le travailleur à la propriété; d’assurer sa vieillesse contre le besoin ; de diminuer le nombre des pauvres ; et il a établi des relations meilleures et plus cordiales entre les ouvriers et le propriétaire. Quelques-uns des travailleurs ont à leur crédit à la Caisse d’épargne jusqu’à 1,875 francs,réunis en moins de vingt années depuis la mise en œuvre du système.
- Herr. J. Neumann, auteur de la seconde expérience, peu satisfait des résultats de l’Association industrielle, ne trouve point qu’elle produise d’amélioration bien sensible dans la condition intellectuelle et morale des hommes, ni dans leur activité et leur application au travail. Il donne aux travailleurs 8 p. 0/0 sur les bénéfices nets, après déduction du prix du fermage, de l’intérêt de l’argent et des déboursés ; mais le travailleur est tenu de placer à la Caisse d’épargne un tiers, (avant 1869 c’était deux tiers) de sa part, et il en touchait à cinquante-cinq ans les intérêts et à soixante ans le capital. Ghaque travailleur reçoit en moyenne de la sorte 56 fr. 25, c’est-à-dire environ 50 fr. de moins par an que dans la ferme de M. Von Thuenen. En 1866, il essaya d’établir une sorte de colonie coopérative agricole, et lorsque quelques membres de l’Association se retirèrent, les membres restant voulurent les remplacer par des hommes à gages. La colonie devait être formée de quatre familles, mais on ne put en trouver qus trois disposées à entrer dans l’entreprise.
- La troisième expérience est celle de Herr Jahnke de Bredow dans le Brandebourg. En 1872 il passa un traité avec cinq familles, pour exploiter avec lui sa ferme en partageant les bénéfices. Il devait toucher comme directeur des émoluments annuels de 1,125 fr. La moyenne des bénéfices des trois années 1872-75
- p.507 - vue 508/836
-
-
-
- 508
- LE DEVOIR
- fut de 12,825 fr. dont le propriétaire touchait la moitié, et chacun des cinq travailleurs le dixième, ce qui,ajouté au salaire s’élevant à 625 fr. leur formait un revenu annuel de 1,925 fr. Dans le Brandebourg les gages ordinaires d’un agriculteur sont de 800 fr. et le salaire le plus élevé est de 825 fr. (d’après un rapport publié en 1875), ce qui ne représente pas même la moitié de ce que gagnent les ouvriers de Herr Jahnke. Le bétail y était aussi beaucoup mieux soigné et tous les travaux de la ferme mieux exécutés. Pour donner une idée de l’économie réalisée pendant les cinq années de durée de l’expérience, là où auparavant il fallait douze jattes pour le lait, on n’en eût qu’une à acheter, c’est-à-dire qu’il y eut onze jattes de moins cassées. Auparavant on employait quatorze ouvriers dans la ferme ; sous le régime de l’Association, il y eut une plus grande somme de travail exécutée par les dix travailleurs que par les quatorze employés antérieurement.
- Il y a lieu de faire remarquer que sur ce point, l’auteur de l’article en question n’est pas parfaitement clair ; voilà les cinq travailleurs devenus dix ; et comme un des articles du contrat portait que tout ouvrier extra, employé par eux, devait être payé par eux, il semble qu’il y ait une réduction à faire de ce chef aux 1,925 fr. pour avoir le chiffre exact des gains annuels de ces travailleurs. Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître que cette expérience paraît avoir pleinement réussi, et c’est ce qui rend plus regrettable la vente faite de sa propriété par M. Jahnke en 1875 moyennant 142,500 fr. (25,000 fr. de plus qu’il n’en eut obtenu cinq ans auparavant), par suite de l’impopularité que lui avait attirée parmi ses voisins son entreprise. On a de la peine à croire qu’un homme qui avait mis en pratique ce plan pour fournir à ses ouvriers les moyens d’améliorer les conditions de leur existence, ait pu y renoncer pour un motif aussi insignifiant, alors surtout que,depuis,son système a été adopté dans trois autres propriétés dans le Brandebourg, ou il est devenu populaire chez les petits propriétaires.
- En somme ces trois expériences sont plutôt des essais de coopération agricole, que de véritable association, mais les résultats fournis par elles, tout incomplets qu’ils soient, démontrent que l’association du capital et du travail est au moins aussi féconde en résultats, et d’une application plus aisée aux entreprises agricoles.
- LE MAGNÉTISME
- Avant de pousser plus avant notre étude des conditions normales de la pratique du magnétisme, nous voulons consigner ici un fait tout récent,observé par le docteur Dumontpallier à la Pitié, et qui a fait l’objet d’une intéressante communication à la société de biologie, dont le docteur Jovignot rend compte en ces termes :
- Il y a quelques jours, M. Dumontpallier commençait sa visite à l’hôpital, le matin à l’heure habituelle, vers huitheures. En passant auprès d’une jeune malade hystérique, Maria C..., il la vit plongée dans un proftmd sommeil. Attribuant cet état à la fatigue qui avait pu lui être occasionnée par l’agitation délirante de l’une de ses voisines de salle, il se garda bien de la déranger.
- Mais vers onze heures, au moment de quitter la salle, il jeta un coup d’œil vers la malade Maria C... Elle dormait toujours. De plus, son attitude n’avait pas varié. La tête et les mains avaient conservé la même position.
- Supposant que ce sommeil pouvait bien n’être pas naturel.il s’approcha et chercha à réveiller la malade.
- Il fit en différentes parties du corps des piqûres qui ne déterminèrent aucun mouvement; les membres soulevés retombèrent inertes sur le plan du lit.Diverses autres constatations permirent de reconnaître que la malade était plongée dans un sommeil léthargique perticulier.
- Pour la réveiller, on fit ce qui avait déjà réussi en pareil cas, et on projeta de le lumière sur les paupières abattues de la malade. Au bout de quelques instants elle ouvrit les yeux, mais elle avait perdu l’usage de la parole, et fit comprendre qu’elle voulait écrire.
- Alors elle fit savoir que vers le milieu de lanuit,sa voisine, affectée de délire, s’était penchée sur son lit. Cette vision l’avait effrayée, et aussitôt elle s’était sentie paralysée de tout le corps. Incapable de faire le moindre mouvement, elle entendait cependant tout ce qui se faisait autour d’elle, et attendait avec impatience l'arrivée du médecin à l’hôpital pour la réveiller et la tirer de cet état.
- Aussi fut-elle en proie à une vive terreur, quand elle le vit passer près de son lit sans qu’il s’arrêtât. Elle eut peur d’être tenue pour morte et ensevelie vivante. Elle n’avait en effet aucun moyen de faire comprendre qu’elle n’était pas morte. Elle ne pouvait remuer les lèvres ni lalangue, elle ne pouvait ouvrir les yeux, ses membres étaient inertes et pourtant elle entendait tout ce qui se disait autour d’elle *
- p.508 - vue 509/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 509
- Cet état de léthargie et d’impaissance, déterminé par la frayeur, rappelle certaines observations de mort apparente, qui ont eu les plus graves conséquences .
- Il avait tous les caractère de léthargie ordinaire qu’on peut provoquer chez certains malades par divers procédés, mais il en différait par la conservation de l'ouïe et de la mémoire.
- Une fois sortie de cette léthargie, la malade n’était pas encore complètement guérie. Dans les jours qui ont suivi la crise, la malade a présenté plusieurs phénomènes nerveux qui démontrent l’indépendance fonctionnelle de chaque moitié du cerveau. Rien n’était d’ailleurs plus facile que de la remettre en léthargie : il suffisait de projeter un rayon de lumière sur l’œil droit ; ce même rayon n’avait aucune action sur l’œil gauche.
- Mais aussi on ne produisait la léthargie que dans la moitié droite du corps. Après l’avoir réveillée par l’action de la lumière sur l’œil droit, on pouvait constater qu’elle ne voyait pas de l’œil gauche, et qu’elle avait perdu la sensibilité dans la moitié gauche du corps. Au contraire, la vue distincte était conservée par l’œil droit, et la sensibilité pour la moitié droite du corps.
- Le lendemain l’état de la malade était changé. Des plaques métalliques appliquées sur le front du côté gauche avaient ramené la vue et la sensibilité à gauche, mais l’avaient fait perdre à droite. Le cerveau droit se trouvait donc dans l’état où la veille se trouvait le cerveau gauche.
- Dans les deux cas, il n’y avait donc qu’une moitié du cerveau qui fonctionnât. Cette indépendance fonctionnelle des deux cerveaux est bien faite pour jeter l’émoi parmi les psychologues qui. veulent que l’âme soit une. Une moitié d’un cerveau fonctionnant, et l’autre moitié non n’est peut-être pas une chose absolument nouvelle, mais jusqu’ici on n’y prenait pas garde.
- Cette observation de M. Dumontpallier vient de recevoir sa confirmation dans une thèse du docteur Descourtès, laquelle a pour but de démontrer qu’il Peut exister un dédoublement fonctionnel dans les actes célébraux, ce qui revient à dire qu’un seul cerveau peut, chez le même individu, représenter deux conscience différentes, deux personnes, au sens Psychologique des mots.
- Ces diverses études sont intéressantes à plus d’un titre. Peut-être donneront-elles quelques jour l’explication scientifique de phénomènes encore tenus par certains comme miraculeux, peut-être même fournir-°üt-ils la raison souvent cherchée enfin des revi-
- rements subits trop souvent constatés ne fut-ce, par exemple, que dans le monde politique.
- (Dr Jovignot.)
- BIBLIOGRAPHIE
- L’annuaire des musées cantonaux et de s autres institutions cantonales patriotiques d'initiative privée, pour 1882. vient de paraître.
- Cette publication en est à sa 3° année. Elle se vend au prix de 3 fr. chez l’auteur, M. Edmond Groult, à Lisieux (Calvados).
- « Le Devoir » a, dès l’origine, appelé l’attention de ses lecteurs sur l’œuvre excellente de M. Edmond Groult, le fondateur des musées cantonaux.
- L’annuaire contient les renseignements pratiques les plus utiles à connaître pour organiser les musées cantonaux. Il donne également de précieuses indications sur les fêtes d’enfants qui ont été inaugurées,enun certain nombre de villes, pendant l’année 1881.
- Nous en recommandons la lecture à toutes les personnes qui s’intéressent à l’éducation publique et qui approuvent de cœur le but que M. Groult se donne dans cet épigraphe de son Annuaire :
- Moraliser par l'instruction ;
- Charmer par les arts ;
- Enrichir par les sciences.
- «nffldgQOOPQnrwn
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- Nous avons reçu de Mme J. F. Arnaud, de Paris, un excellent livre intitulé :
- «La révolution économique et sociale » par J. F. Arnaud.
- Cet ouvrage est empreint des sentiments les plus élevés ; nous remercions sincèrement la donatrice.
- Nous prions également M. Démétrius Goubareff de Baulieu (Alpes-Maritimes) de recevoir nos remerciements pour son interressante brochure :
- «La force morale»
- Enfin MM. Tourasse et Piche, de Pau (Basses-Pyré-nees), nous envoient un livret de la
- Société d'assurance mutuelle en cas de maladie
- qu’ils ont fondée le 18 Mai dernier, envoi aussi instructif qu’intéressant et pour lequel nous leur offrons nos remerciements sincères.
- •-------—(Fyr—tr----
- ETAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- MARIAGE :
- Le 5 Août 1882 — entre Lachaussée Sidonie et Lemaire Emile, employé.
- p.509 - vue 510/836
-
-
-
- 510
- LE DEVOIR
- LE SOCIALISME DE M. DE BISMARCK
- Partout, dans toutes les questions sociales, nous trouvons deux systèmes en présence. Dans l’un, l’initiative individuelle résout toutes les questions ; l’Etat ou la commune n’intervient que pour assurer l’éxécution des contrats, concilier certains intérêts opposés, garantir la sécurité individuelle et collective, et ne prend un caractère de protection qu’en-vers les enfants mineurs, les aliénés et les vieillards incapables de subvenir à leurs besoins.
- Dans l’autre, toutes les initiatives individuelles doivent faire place à l’action de l'Etat ou de l’administration. C’est lui qui doit prévoir pour les citoyens. C’est lui qui doit se charger de tous leurs approvisionnements, régler le taux de leurs denrées et même la nature de leurs denrées. Pour accomplir toutes ces besognes, il leur prend le plus de droits possible et le plus d’argent possible. C’est ce qu’on appelle le socialisme d’Etat, le communisme ou le collectivisme.
- De ces trois formes du système, l’une est timide et inconséquente, les autres sont logiques. La première veut bien tenir quelques comptes des résistances de la nature humaine; les autres les méprisent ; toutes, en réalité, ne sont que des nuances diverses du même système.
- En Allemagne, ce sont les doctrines du socialisme d’Etat qui dominent, à la fois chez les ouvriers socialistes, chez les professeurs officiels et à la tête du gouvernement. Cependant les ouvriers socialistes détestent le gouvernement ; le gouvernement les traite en ennemis ; maisgouvernement et socialistes s’entendent sur ce point, c’est que l’administration ou le gouvernement peut tout faire.
- On comprend difficilement que les ouvriers socialistes arrivent à cette conclusion, puisqu’ils trouvent actuellement que le gouvernement — qui les pourchasse, supprime leurs journaux et emprisonne leurs personnes, — fait mal tout ce qu’il fait. Il est vrai qn’ils se disent que quand ils seront au pouvoir, dont ils sont si loin, ils feront tout bien. C’est une illusion fréquente, mais fréquemment démentie par la réalité.
- En attendant, le gouvernement allemand jouit de l’avantage incontestable qu’il a d’être au pouvoir pour multiplier les projets de loi. Il est vrai qu’ils n’ont pas tous un sort heureux ; mais comme, en France, le même courant qui entraîne M. de Bismarck n’est pas sans exercer une certaine action, il n’est pas mauvais d’indiquer le caractère de ses projets.
- Le 27 janvier 1881, eut lieu pour la première fois la réunion du conseil économique de l’Empire aile-mand. Le premier projet que lui soumit M. de Bismarck fut un projet de loi sur l’assurance obligatoire pour les ouvriers. Avec la franchise cynique qui lui est habituelle, il ne cacha point que ce n’était pas uniquement par philanthropie que cette idée lui était venue : il voudrait battre les socialistes ouvriers par leurs propres armes. M. Liebknecht ne s’en montra pas très ému, et lorsque la question se présenta devant le Reichstag, il déclara au nom de ses amis qu’il voterait la loi, en disant : Ce n'est pas nous qui sommes allés au chancelier : c’est lui qui est venu à nous.
- Cependant la loi subit de telles modifications au Reichstag,que le chancelier la retira.
- Le premier article du projet primitif énumérait les industries soumises à cette loi. Les 2/3 de la prime devaient être payés par l’industriel ; le troisième tiers par l’assistance publique. Mais l’article 10 autorisait le patron à déduire les deux premiers tiers du salaire des ouvriers. Diverses modifications, relativement à i la quotité, furent adoptées par le Conseil général et le Reichstag. Pour les ouvriers dont le revenu annuel ne dépasse pas 750 marks, toute la prime devait être payée par l’employeur. Le prince de Bismarck accepta cette combinaison, mais M. de Boetticher, ministre d’Etat, fut obligé de convenir que si le patron prélevait cette somme sur son capital d’exploitation, son. industrie pourrait dans certains cas être compromise et que, s’il la récupérait à l’aide d’une diminution de salaires, la loi allait directement contre son but. De toutes manières, que l’on fasse payer par l’ouvrier ou que le patron reprenne, par un abaissement du prix de son travail, la somme qu'il aura versée, l’Etat reprend d’une main ce qu’il lui donne de l’autre.
- Mais l’Etat y contribue pour une part ? Oui, mais comme ce n’est pas avec ses propres ressources, puisqu’il n’en a pas, c’est avec l’argent des contribuables. On prend aux uns pour donner aux autres. C’est l’histoire de tous les protectionnismes, qui ont comme conséquence forcée l’organisation des mendicités.
- M. Richter disait : « En faisant contribuer l’Etat au payement de la prime, on se propose de mettre la main sur l’ouvrier, de s’emparer de sa personne. Si cela continue, non-seulement nous reculerons au-delà de 1848, au-delà même de 1808, mais nous retournerons au temps de Frédéric-Guillaume I", au temps où l’on capturait des recrues la nuit, et canne du caporal gouvernait le pays tout entier. *
- p.510 - vue 511/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 511
- M. de Bismarck répondait avec mansuétude : — C’est du christianisme pratique /
- Cependant le projet n’aboutit pas ; mais M. de Bismarck a présenté cette année un nouveau projet de loi au conseil économique.
- D’après ce projet, serait assuré d’offlce tout ouvrier ou tout employé dont le salaire ne dépassera pas annuellement 2,000 marks (2,500 fr.) dans les mines, salines, carrières, chantiers de construction ou dans les exploitations agricoles qui se font au moyen de machines.
- « En aucun cas, l’assuré ne sera astreint à une cotisation quelconque. »
- Tout entrepreneur d’une des industries ci-dessus désignées sera tenu de faire partie d’une corporation. Tant que l’industrie ne pourra se suffire, l’Etat fournira une partie des fonds nécessaires-
- La disposition par laquelle il est prescrit que l’assuré ne sera jamais astreint à une cotisation quelconque n’a pas de sanction, et c’est la négation des lois économiques. M. de Bismarck voudra-t-il imposer un minimum au taux des salaires? Il y est conduit forcément s’il veut éviter que, dans certains moments, le patron ne réduise le salaire proportionnellement à la prime des assurances.
- M. Riehter repoussait le projet antérieur comme représentant l’embrigadement des ouvriers : celui-ci constitue l’embrigadement des patrons, et l’un suivra l’autre.
- — Voilà un homme blessé, parce qu’il appartient à une de ces industries meurtrières comme un champ de bataille. Le gouvernement allemand a fait faire une enquête, comprenant 93,554 exploitations, composant 1,615,253 hommes et 342,295 femmes, au total 1,957,548 personnes. 651 hommes et 11 femmes, en tout 662 pers onnes sont mortes par suite d’accidents ; 122 hommes et 1 femme, en tout 123, sont devenus totalement incapables, et 410 hommes, 27 femmes, en tout 437, ont éprouvé une incapacité partielle de travailler, total 560 personnes ; 27,644 hommes et 708 femmes, au total 28,352 ont subi une incapacité temporaire de travail. Le nombre de tous les accidents constatés s’élève à 29,574.
- Mais cette enquête ne comprend que les quatre mois d’août à novembre. Il faut donc multiplier par trois pour avoir le nombre total : soit 1,986 accidents ayant occasionné la mort, 1,680 ayant entraîné une incapacité absolue de travail, et 85,056 une incapacité temporaire, soit au total 88,722 accidents, ce qui, par mille ouvriers, donne une proportion de 453.
- Mais la moitié des accidents mortels ou autres se sont produits dans les mines, tanneries ou chantiers
- de construction, et cependantle nombre des ouvriers employés à ces travaux n’atteint pas le quart du nombre total des ouvriers sur qui a porté cette enquête. Cela donne donc un chiffre de 8 0/0 pour ces industries.
- Que deviennent les ouvriers qui y sont occupés lorsque l’accident les a rendus incapables de travailler ? Ils sont à la charge de la Société, soit comme mendiants implorant la charité privée, soit comme pauvres reconous par l’Assistance publique.
- De toutes manières, dans ce cas, c’est la Société qui supporte tout entière les charges résultant des risques d’une industrie spéciale, quand ce serait cette industrie qui devrait les supporter.
- LA PLUS BELLE DES TROIS
- Il y a bien soixante ans environ, mourut dans la haute Hongrie un vieil original de juge, qui avait trouvé un moyen singulier de faire parler de lui longtemps après sa mort.
- Il avait trois nièces : Hermine, Joséphine et Agnès, qui, de son vivant, étaient toutes les trois renommées pour leur splendide beauté. Chacune d’elles venait souvent voir l’oncle, et terminait invariablement sa visite par cette question :
- — N’est-ce pas, mon cher oncle, que si jamais vous mourez, c’est à moi que vous laisserez votre maison à plusieurs étages ?
- — Certainement, ma fillette, tu peux y compter, — répondait invariablement le brave homme à celle des trois qui lui parlait, et il riait sous cape à ces questions réitérées, qui n’avaient pas le don de le fâcher, malgré leur caractère égoïste. On aurait même juré que l’idée de la mort lui souriait presque, tellement il était content de faire une bonne plaisanterie, dont il comptait sans doute bien rire encore dans l’autre monde.
- Lorsqu’on ouvrit son testament, on y trouva un article ainsi conçu : « Je laisse ma maison à deux étages k la plus belle de mes nièces. »
- Allez donc être exécuteur testamentaire en présence d’une cause pareille !
- Le jugement de Paris occasionna, comme chacun sait, une guerre de dix ans, et cependant il ne s’agissait que d’une pomme que s’étaient disputée trois déesses : que serait-il donc arrivé s’il s’était agi d’une maison à deux étages ?
- Il faut .avouer qu’ici la question de droit était aussi épineuse que nouvelle ;
- Quelle était la plus belle des trois demoiselles ?
- Faire la preuve par témoin, il n’y fallait pas songer ; chacune des trois prétendantes eût pu produire des centaines d’adorateurs, de poursuivants, de danseurs, de troubadours, de soupirants et autres ornements des villes de garnison.
- Tout le monde connaissait la taille syelte d’Hermine,
- p.511 - vue 512/836
-
-
-
- 512
- LE DEVOIR
- ses magnifiques nattes noires comme l’aile du corbeau ; ses yeux resplendissants. Tout le monde connaissait aussi le frais visage de Joséphine ; les boucles soyeuses de ses beaux cheveux blonds ; et ses mains si mignonnes. Tout le monde connaissait encore l’opulente forêt de cheveux châtains d’Agnès ; les fossettes de ses joues; les deux rangées de perles qui garnissaient sa bouche ; et pardessus tout son sourire enchanteur.
- Mais de là à donner la palme à l’une d’elles, il y avait un abîme : elles étaient si belles toutes trois ! Il ne restait donc qu’à confier aux avocats le soin de batailler pour démontrer quelle était la plus belle.
- *
- 4
- Cette nouvelle guerre de Troie commença donc avec de l'encie et du papier timbré. Mais quelle preuve devait fournir les concurrentes ? Sur quels arguments pouvait se baser l’avocat ? La preuve directe étant impossible, il fallait tourner la question : il ne s’agissait
- as pour lui de prouver que sa cliente était la plus
- elle, mais bien que les deux autres étaient plus laides qu’elle.
- Ah ! le charmant et délicieux procès ! Comme les artifices de toilette les plus innocents ou les plus mystérieux venaient s’étaler au grand jour !
- L’avocat d’Hermine commença par insinuer que Joséphine se mettait du rouge sur la figure : l’accusateur fut confondu ; l’expertise ordonnée par le juge démontra que Joséphine avait le visage naturellement rosé, et que son teint n’empruntait rien aux fards.
- Oh ! alors on ne se ménagea plus, et les ripostes ne se firent pas attendre. Hermine fut accusée d’avoir la taille mal faite et de porter un corset pour la redresser ; le corset fut reconnu superflu. Puis vint le tour d’Agnès, véhémentement soupçonnée de boiter du pied droit, ce qui l’obligeait à porter une talonnette dans son soulier : on alla même jusqu’à prétendre que son chignon ne lui appartenait pas entièrement. Que n’imagine-t-on pas ?
- Tout cela faisait perdre beaucoup de temps : mais les artifices des avocats venaient encore prolonger la situation. Au moment où l’on allait statuer sur une question importante, l’avocat de Joséphine demandait une remise, sa cliente était atteinte d’une fluxion à la joue qui l’empêchait presque d’ouvrir la bouche. Une autre fois, la remise était sollicitée par l’avocat d’Hermine, qu’un rhume de cerveau privait de l’usage de la parole.
- Après les attaques physiques vinrent les attaques morales contre les trois beautés. L’une était sarcastique, l’autre ingrate, la troisième mal élevée ; celle-ci entêtée, celle-là venimeuse; et une femme peut-elle être jolie lorsque sa beauté est atténuée par la morgue ou par un mauvais caractère ?
- Puis vint le défilé des témoins : Sarah, Catherine, Annette, Julie, Glaire, et encore beaucoup d’autres servantes, cuisinières ou femmes de chambres renvoyées, vinrent démontrer que les adversaires étaient affreuses pendant dix-huit heures de la journée ; qu’elles passaient leur temps chez elles à tracasser les pauvres domestiques ; et que celui qui les regarderait à ce moment serait saisi d’horreur. D’autre part, Elisabeth et Nathalie citées à décharge par l’une ou l’autre des plaidéuses, affirmèrent sous serment que celle en faveur de laquelle elles témoignaient était toujours, même chez elle, la plus adorable des beautés.
- Le procès continua de la sorte pendant six ans, sans avancer de l’épaisseur d’un cheveu, tant que par-ci par-là une dent tombée dans le plateau de la balance du juge le faisait pencher un peu plus. Enfin le juge remontra lui-même aux parties adverses qu’il vaudrait mieux pour elles vivre désormais en paix en concluant un bon arrangement.
- Pensée excellente à coup sûr !
- Il pst facile de conseiller aux Anglais de vivre en
- bonne intelligence avec les Hindous. Il est encore facile de conseiller au prince de Monténégro de reconnaître le sultan comme son suzerain. Il serait, au besoin, facile de conseiller aux rédacteurs de trois journaux de modes de faire l’une des feuilles meilleures que les deux autres.
- Mais conseiller à deux demoiselles sur trois de reconnaître que la troisième est plus belle qu’elles deux ! Pour espérer arriver à un pareil résultat, il faut être doué d'une présomption à toute épreuve. Dans l’espèce, tous les conseils furent inutiles : les trois dames continuèrent la guerre commencée, et cela d’une façon d’autant plus acerbe qu’il devenait chaque jour plus facile de prouver le contre et plus difficile de prouver le pour.
- Naturellement, cette^disproportion ne fit qu’augmenter avec les années. Le procès dura 28 ans, la question de savoir quelle était la plus belle restant toujours pendante : la preuve devenait de plus en plus difficile.
- Pendant ce temps, personne ne s’était occupé de soigner la maison, objet du litige ; personne n’avait pris garde aux intérêts qui y étaient attachés, et les revenus annuels passaient en frais de procédure. Un beau jour, les créanciers, fatigués de voir leur! capital se grossir des intérêts accumulés, obtinrent la vente par licitation de la maison : le prix qu’on en obtint suffit à peine à les désintéresser. Et de ce fameux procès il ne resta rien en litige que l’éternelle question de savoir qui était la plus belle des trois concurrentes.
- Cependant nos trois demoiselles commençaient à friser la cinquantaine, si même l’une ou l’autre ne l’avait pas encore atteinte : le temps et les soucis continuels avaient singulièrement nui à leur beauté. Elles étaient encore demoiselles, habitaient toujours la même maison, et à chaque heure du jour ori pouvait de la rue, les entendre crier et se quereller entre elles.
- Lorsque la licitation de la maison fut terminée, toutes trois allèrent trouver le juge, pour lui demander ce qu’il pensait du procès, et s’il ne fallait pas le faire remettre au rôle.
- •— Certainement, — dit cet homme intègre, — il faut reprendre le procès ; seulement la questien (fondamentale devra être modifiée, et on aura maintenant à se demander : « Quelle est la plus laide des trois ? »
- Autant que j’ai pu le savoir, le procès ne fut jamais remis au rôle.
- (Le Guetteur.) Fordeta Ismeretlen.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.512 - vue 513/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. — n° 206. Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 20 Août 1882
- I * MUAIR
- LEi VJEi w VUv
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ ABONNE
- A PARIS
- 5,r.N euve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- •"‘wjLor—
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- Le journal « LE DEVOIR » gratuitement à titre d’essai.
- est envoyé
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La paix et le désarmement des peuples. — Gare de Guise. — La Réforme orthographique. — Faits politiques et sociaux. — Les Invalides du Travail devant la Société d'économie politique. — L’unité de la vie passée, présente et future. — Le Congrès d'Oxford. — Bibliothèque du Familistère. — Le Certificat d’études au Familistère. — Un coup de foudre.
- La Paix et le Désarmement des Peuples
- Les succès militaires sont-ils nécessaires pour établir la grandeur et le prestige d’une nation ? En consultant l’histoire de de ces dernières années, on se convainc facilement que non, car si nous prenons toute les nations victorieuses depuis le commencement du siècle, nous voyons que plus leurs succès militaires ont été grands, et moins elles ont acquis de prestige. Si jamais peuple a eû une période prolongée de victoires, c’est assurément k peuple Français durant le Directoire, le Consulat et l’Empire. Par toute la terre, pour ainsi dire, ses
- soldats avaient promené son drapeau triomphant, et ils en étaient venus à faire ou à défaire les rois à leur gré. Il faut remonter aux temps de Charlemagne, peut-être, pour retrouver des succès analogues et une puissance militaire semblable. Et pourtant à la fin de cette période de victoires, lorsque la restauration ramena les Bourbons et les émigrés dans les fourgons ennemis, la France était tombée plus bas que jamais, plus déchue, plus avilie qu’aux plus mauvais jours de son histoire. Epuisée d’hommes et d’argent, ruinée, replacée sous le joug avilissant de maîtres imposés par l’étranger, jamais elle ne fut plus déconsidérée, plus méprisée, plus dépourvue de prestige.
- Quel prestige ont retiré ensuite l’Autriche de ses victoires contre les Italiens, l’Angleterre et la France de leur guerre de Crimée, cette dernière de ses expéditions d’Italie, ou du Méxique, la Prusse et les autres Etats allemands de leurs victoires en Autriche et en France, et enfin la Russie de sa dernière guerre contre les Turcs ? Aucun certainement, et tout démontre au contraire que plus une de ces nations a remporté de succès, et plus elle a réellement perdu non-seulement en richesse et en prospérité, mais encore et surtout en considération. Vaincue à Sadowa, l’Autriche a été mieux vue de l’Europe après sa défaite qu’avant. Abandonnée de l’Europe presque toute entière à l’époque de la guerre de Crimée, la Turquie depuis ses revers de la dernière guerre, a conquis les sympathies des nations qui lui étaient les plus indifférentes jusque là, et la victorieuse Allemagne depuis 1870 est devenue pour toute l’Europe un objet de méfiance, nous ne voulons pas dire de haine.
- p.513 - vue 514/836
-
-
-
- 514
- LE DEVOIR
- II est donc tout à fait faux de prétendre que la grandeur et le prestige d’une nation sont en proportion de ses guerres et de ses victoires. La nation la plus vantée, la plus admirée des temps modernes est sans contredit les Etats-Unis d’Amérique. Or, c’est le peuple qui a le moins fait la guerre, et qui a le moins de dispositions pour la faire, puisqu’il n’a point à proprement parler d’armée permanente. Après les Etats-Unis, la nation qui a le plus de puissance et de prestige c’est l’Angleterre, et elle a eu bien moins de guerres que les autres nations de l’Europe. Leur grandeur, leur prestige ont leur raison d’être dans leur supériorité au point de vue de la production industrielle, du commerce, du travail utile en un mot, que la paix prolongée a permis de développer chez eux de toutes façons.
- L’instruction qui peu à peu se propage et s’étend au sein des masses a fait comprendre cette vérité à bien des gens ; [aussi voyons-nous depuis quelque temps se multiplier partout les sociétés pacifiques dont le but est de répandre l’idée de l’abolition de la guerre et du maintien constant de la paix, en subtituant aux luttes armées, les arbitrages internationaux, plus sensés, plus raisonnables, plus justes et plus efficaces. L’intervention en Egypte et le bombardement d’Alexandrie ont provoqué de toutes parts les protestations de ces sociétés. Ainsi nous voyons en Angleterre la Peace Society, la Working men Peace association, VArbitration and Peace society, et VArbitration and Peace association, en France, la Société des Travailleurs Amis de la Paix et de la Ligue de la Paix couvrir de milliers de signatures des adresses aux ministres des affaires étrangères de leurs pays respectifs, dans le but d’empêcher toute intervention armée inutile, puisqu’une conférence des puissances de l’Europe s’était réunie dans le dessein de régler pacifiquement le différend.
- La Peace Union de Philadelphie a délégué auprès du Président de la République américaine une députation pour le prier d’envoyer à son représentant à Paris, M. Morton, des instructions en vue de démarches à faire pour la conclusion d’un traité d’arbitrage entre les deux nations. Déjà le gouvernement des Etats-Unis a fait aux gouvernements de toutes les autres Républiques américaines une proposition pour la création d’un Congrès international, destiné à prévenir les guerres du genre de celle qui tout récemment a épuisé les ressources du Chili, du Pérou et de la Bolivie. Le Herald of Peace de Londres'annonce que le ministre des affaires étrangères du Venezuela, M. Seijas, a répondu que cette proposition méritait d’être accueillie avec enthousiasme
- par toutes les Républiques Hispano-Américaines comme conforme à leurs désirs et au plan formé par Bolivar de la réunion d’un Congrès à Panama • plan qu’appuya très énergiquement le Président des Etats-Unis de cette époque John Quincey Adams.
- Cette idée de l’arbitrage international pour le règlement de tous les différends qui peuvent surgir entre les nations est si logique et si naturelle, que l’on s’étonne véritablement qu’elle n’ait pas encore été généralement adoptée d’une manière définitive, surtout si l’on considère qu’elle n’est pas nouvelle, et qu’elle a déjà pour elle non-seulement l’appui du raisonnement et du bon sens, mais encore celui de l’expérience. Appliquée maintes fois déjà, elle a donné les résultats les plus satisfaisants, et elle a réussi à éviter de nombreuses guerres, avec leurs maux incalculables, à bien des peuples.
- Le Messenger o f Peace de l’Ohio donne la liste des arbitrages internationaux qui ont# eu lieu depuis moins d’un siècle. Elle n’en comprend pas moins de 31 dans l’espace de 87 années, qui tous ont abouti au maintien de la paix menacée, et au rétablissement delà bonne harmonie entre les peuples. Nous en reproduisons la nomenclature, dans la pensée d’être utile à cette cause si digne de la sympathie de tous les hommes de cœur.
- Arbitrages.
- 1 en 1794 entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
- 2 1803 la France et les Etats-Unis. •
- 3 1818 les Etats-Unis et l’Espagne.
- 4 1826 la Grand-Bretagne et les Etats-Unis.
- 5 1834 la Belgique et la Hollande.
- 6 1835 la France et l’Angleterre.
- 7 1838 l’Angleterre et les Etats-Unis.
- 8 1850 les Etats-Unis et le Portugal.
- 9 1853 les Etats-Unis et l’Angleterre,
- lü 1855 » »
- 11 1858 les Etats-Unis et le Chili.
- 12 1859 le Paraguay et les Etats-Unis.
- 13 1863 l’Angleterre et le Brésil.
- 14 1860 le Canada, Costa Rieca et les Etats-Unis.
- 15 1863 le Pérou et les Etats-Unis.
- 16 4864 l’Angleterre et les Etats-Unis.
- 17 1864 les Etats-Unis et l’Equateur.
- 18 1867 la France et la Prusse.
- 19 1867 la Turquie et la Grèce.
- 20 1867 l’Angleterre et l’Espagne.
- 21 1871 » et les Etats-Unis.
- 22 1874 l’Italiô et la Suisse.
- 23 1875 le Portugal et l’Angleterre. ,
- 24 1876 la Chine et le Japon.
- 25 1877 la Perse et l’Afghanistan.
- 26 1879 les Etats-Unis et l'Espagne.
- 27 1879 l’Angleterre et le Nicaragua.
- p.514 - vue 515/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 515
- 28 en 1880 les Etats-Unis et la France.
- 29 1881 » et Gosta-Rica.
- 30 1881 la France et le Nicaragua.
- 31 1881 le Chili et la Colombie.
- On voit d’après cette liste, que l’Angleterre, la France, l’Espagne, l'Italie, la Belgique, la Hollande, le Portugal, la Prusse, la Turquie, la Grèce et la Suisse en Europe, les Etats-Unis, le Brésil, le Chili, le Pérou, le Canada, Costa Rica, la Colombie, Equateur, le Paraguay, et Nicaragna en Amérique, et la Chine, le Japon, la Perse et l’Afghanistan en Asie, ont déjà eu recours à l’arbitrage international pour le réglement de litiges survenus entre eux, et qu’ils s’en sont bien trouvés. On se demande comment ils n’ont pas continué toujours à faire usage de cet excellent moyen, lorsque l’occasion s’en est présentée.
- Que de désastres, que de ruines, que de malheurs on eût évité de la sorte ? Le bilan de la guerre des cent dernières années solderait par un total de quatre ou cinq millions de cadavres et plus de quatre vingt milliards de dettes publiques, sans compter les incendies, les pillages, les épidémies, les viols, les crimes et les infamies de toute sorte qui ont souillé le passage des armées. Et tout cela pourquoi ? Que sont devenus ces vastes empires fondés par la guerre ? Qu’est-îl resté des conquêtes des grands capitaines soit de l’antiquité, Cyrus, Alexandre, César, Charlemagne, Gengiskhan, Tamerlan, etc., soit des temps modernes, Charles Quint, Charles XII, Frédéric-le-Grand, Napoléon ?
- Qui est-ce qui a si souvent transformé de riches et fertiles contrées, des empires peuplés et florissant en déserts couverts de ruines, où règne désormais la solitude et la mort ? Qui est-ce qui a mis partout la barbarie à la place de la civilisation, la misère à la place de l’abondance, la stérilité à la place de la fertilité, la douleur à place de la joie et de la tranquillité ? N’est-ce point le glaive et sa funeste influence ?
- Et sans compter ces maux irréparables, ces destructions, ces anéantissements irrémédiables, même eu pleine paix, quel mai ne fait point à une nation la nécessité où elle se trouve de rester armée, d’entretenir à grands frais ces légions de célibataires jeunes, robustes, oisifs que l’on nomme l’armée permanente, triste école de désœuvrement et de vice, qui prend partout la fleur de la jeunesse masculine pour atrophier chez elle le sens moral, l’abâtardir et la corrompre dans les loisirs pernicieux des villes de garnison, et lui inspirer le goût de i immorale et énervante oisiveté, sans autre résul-
- tat réel que de ruiner le pays par des dépenses excessives autant qu’inutiles.
- En France, le budget de la guerre s’élève à 580 millions, un demi-milliard de plus que le budget de l’Instruction publique ! Cinq cent quatre-vingt millions dépensés annuellement en pure perte ! N’est-ce pas déplorable que des nations soi-disant civilisées, qui ont dans l’arbitrage international un moyen facile, commode et sûr d’éviter à tout jamais le guerre, persistent ainsi à repousser le désarmement, pour se ruiner à maintenir chez elles une armée permanente ?
- Hommes d’Etat qui présidez aux destinées des peuples, ouvrez donc enfin les yeux sur leurs véritables intérêts, sur leur véritable gloire et sur leur grandeur réelle ! Sachez comprendre que la guerre ne peut rien créer d’utile, de glorieux, de bon, et renoncez-y à tout jamais. Désarmez, désarmez partout, inaugurez définitivement en tous lieux le règne de la paix, et vous ne tarderez pas alors à voir votre pays renaître au travail, à la prospérité, à la vie.
- GARE DE GUISE
- C’est une date à enregistrer que celle qui fixe la gare de Guise dans l’emplacement le plus contraire aux véritables intérêts présents de la ville et de son développement futur,et cela grâce aux antipathies que rencontre dans l’administration cette ville au fond trop démocratique pour plaire à l’esprit réactionnaire.
- Non-seulement l’autorité départementale se complaît à paralyser la ville dans ses services publics, à ne rien lui laisser obtenir de l’administration des ponts-et-chaussées pour l’amélioration de ses rues, objet pour lequel depuis plusieurs années des fonds votés attendent leur emploi, mais il appartenait encore à cette administration de faire adopter par les Commissions et par le Conseil général, le projet de gare le plus hostile qu'il fût possible d’imaginer pour se placer en opposition avec l’administration municipale et avec les vœux de la majorité de la population.
- A l’enquête, le maire, les adjoints, treize conseillers municipaux, parmi lesquels se trouve le conseiller général, protestent contre tout ce que renferme de contraire aux intérêts de la ville le projet présenté par l’administration.
- Douze dires motivés du Conseil municipal, des principaux établissements industriels et de notables commerçants demandent la seule gare qui puisse
- p.515 - vue 516/836
-
-
-
- 516
- LE DEVOIR
- convenir aux véritables intérêts de la ville. M. De-zaux, propriétaire de la manufacture de cuirs, la Compagnie de l'usine à gaz et la Société Godin et C®, faisant entre eux trois fois plus de transports que tout le reste de la ville et de la contrée, sont au rang des protestataires.
- Qu’importe ; satisfaction sera donnée à la minorité représentée par six conseillers municipaux et 320 signataires d’un seul dire qui ne contient aucun motif sérieux.
- Il est vrai que 81 de ces derniers signataires ont cherché à se multiplier en signant une deuxième fois des dires sans portée.
- Bien leur en a pris, puisqu’ils auront leur gare de prédilection. La commission d’enquête a adopté le projet de M. l’ingénieur en chef.
- Cette commission, composée de personnes intéressées les unes à la Compagnie du chemin de fer de Saint-Quentin à Guise, les autres en grande majorité au projet de la ligne de l’Etat qui leur accorde des avantages dont elles doivent reconnaissance à M. l’ingénieur en chef, cette commission n’a pu voter contre le projet.
- Donc la gare sera placée dans l’endroit le plus excentrique qu’il était possible de choisir.
- La ligne ira passer en souterrain avec un allongement de 1150 mètres, ou bien elle traversera la ville ; dans tous les cas, elle ne desservira pas la partie vraiment industrielle, celle où se fait la presque totalité des transports. Cela se conçoit : ces transports ont lieu pour le compte d’une population républicaine et démocrate.
- Le projet a un autre mérite ; il est la violation de l’engagement pris devant le Conseil général d’établir le chemin de fer avec un seul passage à niveau. Or il aura deux passages à niveau, mais ne nous plaignons pas trop ; il peut bien arriver qu’on reconnaisse que le projet de M. l’Ingénieur en chef est trop peu réalisable et qu’on se décide à passer à travers la ville.
- Car il est inouï qu’ayant à établir un chemin de fer dans une vallée bien ouverte, où la voie peut passer à découvert presque en ligne droite, sans aucune difficulté d’exécution et avec grand avantage pour la ville et l’industrie, un ingénieur ait eu l’idée d’allonger la ligne de 1.150 mètres pour aller passer en souterrain, puis à flanc de coteau escarpé, avec une rampe au maximum à la sortie de la gare, sur 2,300 mètres de longueur.
- Voilà un petit échantillon des beautés que renferment les études de ce chemin de fer. Nous en suivrons, à partir de maintenant, les détails remarqua-
- bles et nous démontrerons comment sont employés les millions de l’Etat, l’argent des contribuables dans le département de l’Aisne.
- Vainement M. Godin a cherché à faire la lumière dans cette question. Depuis que sous le gouvernement du 24 Mai, l’administration a fait de l’établissement de cette voie ferrée une affaire d’attaque politique, M. Godin a été impuissant à convaincre le Conseil général.
- Quelques intérêts privés proté gés par l’administration ont fait obstacle au triomphe de l’intérêt public,
- La ville de Guise, la commune de Lesquielles-Saint-Germain, la bonne construction de la ligne et les avantages du trafic, sont et resteront sacrifiés.
- Une dernière sanction du Conseil général et le tour sera accompli.
- LÀ RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE (Q
- IV
- « Rien n8 serait plus facile que de construire un alphabet universel également applicable à toutes les langues, sans même augmenter considérablement le nombre des signes déjà existants. De même qu’un morceau de musique peut être lu par les musiciens de tous pays, en raison du simple mode de notation musicale universellement adopté ; ou de même qu’une formule algébrique, pour un motif analogue, est comprise de tous les mathématiciens ; ainsi les difficultés si préjudiciables au développement normal de la jeunesse, causées par notre système orthographique ridicule, capricieux et pédantesque, seraient écartées par l’usage d’un « alphabet international et invariable » dans lequel chaque signe représenterait un son unique pour toutes les langues du monde. Les ouvrages imprimés en langue étrangère pourraient d’emblée, en tant que prononciation, être lus même par ceux qui ne comprendraient pas la langue, presque aussi correctement que s’ils lisaient leur langue maternelle.
- « Nous disons presque, car toute tentative d’indiquer par un signe la prononciation exacte d’une langue étrangère sera reconnue vaine. Toute langue, tout dialecte même, a son accent tonique particulier, son intonation, ses inflextions vocales ; et ces particularités qui, avec l’idiome, constituent l’individualité de chaque langue, ne peuvent être acquises que par une longue et constante pratique.
- (1) Voir le Devoir des 30 Juillet, 6 et 13 Août 1882.
- p.516 - vue 517/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 517
- « Mais de même que dans la photographie, bien que le soleil ne reproduise pas dans la chambre obscure les riches couleurs de la nature ou de l’art, nous nous contentons de la correction des lignes et des variétés de lumière et d’ombre ; ainsi dans le mot écrit une ressemblance correcte avec le mot parlé est seule nécessaire. Les distinctions délicates de son, les quantités, l’accentuation, les inflexions vocales qui constituent pour ainsi dire, le coloris delà parole, ne s’acquièrent que par l’entremise de l’oreille. C’est la mission du professeur d’attirer l’attention des étudiants sur ces particularités nationales ; mais, pour le reste, faisons que la peine du maîtreet celle de l’élève ne soient point centuplées par les formes pédantes et les nombreuses anomalies d’une irrégularité orthographique sans utilité aucune.
- « Quelle complication inextricable existerait non-seulement dans les branches les plus hautes des mathématiques mais dans les plus simples opérations arithmétiques elles-mêmes, si le monde civilisé n'eût adopté un système unique de chiffres, si les signes et symboles choisis par les inventeurs de l’algèbre n’eussent été les mêmes partout.
- « Enfla les avantages innombrables qui sont dérivés d'une nouvelle et systématique nomenclature des sciences naturelles, nomenclature qui a constitué pour ainsi dire une sorte de langage scientifique unitaire et rendu compréhensibles à toutes les nations les théories et découvertes de l’une d’elles, ces avantages sont trop évidents pour ne pas démontrer d'une manière frappante les bénéfices qui résulteraient d’un simple et uniforme [système orthographique.
- « Avant de passer à l’examen de l’alphabet universel qui écarterait toutes les difficultés que nous venons de signaler, racontons comment dès notre enfance, notre attention fut attirée sur la nécessité d’un système international de représentation des sons de la parole.
- « Nous étions à la recherche de notions définies sur le mécanisme du langage ; imaginant que nous saisirions peut-être plus aisément ces notions dans les langues informes et non écrites des tribus sauvages, nous parcourûmes les relations de voyages qui contiennent des vocabulaires, afin d’établir des comparaisons entre ces vocabulaires mêmes. Bien vite nous nous aperçûmes qu'il était presque impossible de comparer entre eux,avec quelque utilité, les langages figurés par des voyageurs de nations différentes ; les mêmes mots étant représentés par des combinaisons de lettres trè3 diverses et ambi-
- guës, selon que le voyageur était anglais, français, italien, allemand, espagnol ou danois.
- « Donnons, pour exemple, les extraits suivants d’un vocabulaire du dialecte Miami, dans lesquels les mêmes mots sont donnés par Volney et par des
- voyageurs anglais.
- Orthographe Orthographe Sens
- française anglaise du mot
- Kêlah Calaugh Vous
- Àouéloua Awalewaug Eux
- Pollané Pullawneh Huit
- Nichoué Neshsway Deux
- Kêlêla-Nénéh Kalelaugh-Nennaugh Votre Agoz-Chimouâlé Augosshirnwaley Leur sœur
- « Si nous ajoutions à ce tableau les mêmes mots figurés par un allemand, un italien, un espagnol, un danois, un russe, etc., le lecteur admettrait difficilement leur identité.
- « Comparez de même les vocabulaires donnés par le capitaine Cook et autres voyageurs anglais, avec ceux donnés par des voyageurs d’autres nations. Ce manque de base phonétique rend à peu près inutiles les collections de Pallas, Hervas et Adelung qai, autrement, auraient une inappréciable valeur.
- « Ces embarras se présentent non seulement dans les vocabulaires relevés par des hommes de différentes nations, mais dans ceux mêmes relevés par les voyageurs d’une seule nationalité. Car en l’absence de base fixe, chacun fait usage de signes arbitraires qui n’ont de sens défini que pour leur auteur.
- « Chaque voyageur crée de cette façon un système à lui, souvent très différent du système d’autrui ; ce qui a pour conséquence d’infirmer la valeur physiologique de ces sortes de recherches.
- « Au contraire, si nous possédions un alphabet international dont chaque lettre représenterait un son unique et défini, les nombreux vocabulaires de l’Océanie, de l’Afrique et de l’Amérique auraient été notés régulièrement, en caractères compréhensibles par les voyageurs de toutes nations. Chacun aurait pu les prononcer et ils eussent servi de base aux plus utiles comparaisons philologiques. »
- M. Pagliardini donne ensuite le tableau d’un alphabet international, comprenant les 46 ou 48 sons élémentaires que peut émettre la voix humaine. Chaque son dans cet alphabet est représenté strictement par un signe unique.
- L’auteur ajoute :
- « Bien que l’alphabet intégral doive comprendre 48 lettres, chaque langue possédera son alphabet spécial correspondant aux sons qui la constituent. Ainsi, comme nous l’avons déjà indiqué, l’alphabet anglais possédera 39 lettres, le français 35, l’italien 29, l’allemand 32, etc...
- p.517 - vue 518/836
-
-
-
- 518
- LE DEVOIR
- « Chaque langue offrira, aussi distinctement à l’œil qu’à l’oreille, son caractère propre. Une page d'imprimerie sera le reflet fidèle de la physionomie du langage parlé. L’italien sera remarquable à la vue par l’absence presque absolue de toute lettre aspirée et l’abondance des liquides et voyelles. L’allemand et l’anglais seront distingués par la présence de plusieurs lettres aspirées et de beaucoup de lettres sifflantes ; tandis que le français et le portugais abonderont en nasales et auront fort peu de lettres aspirées . »
- Passant aux nombreuses objections soulevées par le projet de réforme orthographique, M. Pagliardini continue :
- « Les critiqueurs peuvent être répartis en trois classes :
- « 1° Les Conservateurs qui se font un point d’honneur de résister à tout changement quelque désirable qu’il puisse être. A leur incessante résistance sont dus les maux qui accompagnent presque partout l’inÉroduction des inventions, mêmes les plus utiles à l’humanité* Nous nous attendons toujours à voir ces personnes accoutrées du vêtement des premiers hommes et se nourrissant des fruits du chêne. Mais point du tout. Par une étrange contradiction elles sont très-empressées à jouir des conforts que les progrès de l’industrie mettent à la portée de chacun. Cependant elles n’en continuent pas moins leur guerre au progrès; et disent que le système orthographique dont firent usage d’illustres écrivains pour transmettre et perpétuer leurs pensées, est bien assez bon pour nous; etc.... etc.
- « Ces intéressants critiqueurs sont alliés de près à ces individus éclairés qui condamnaient la locomotive comme une invention impie, par ce motif qu'elle empiétait sur les attributions du Créateur, lequel évidemment avait créé les bœufs, les chevaux et les ânes pour opérer tous les travaux de tractions.
- « 2° Les timides et les indolents„ Ceux-là plus excusables, si ce n’est plus raisonnables que les premiers, se rappelant les travaux, les punitions, les pleurs qui ont accompagné leur initiation à l’art de la lecture et surtout à celui de l’orthographe, s’exclament avec effroi : « Voudriez-vous donc nous renvoyer à l’Ecole ? Mais c’est nous donner un nouveau langage à apprendre ! » Vaines appréhensions causées par la paresse. Il ne s’agit point du tout d’un nouveau langage.....La modification projetée n’at-
- teindra que votre ancien ennemi, votre premier tortionnaire, l’orthographe. Nous voulons uniquement substituer un portrait fidèle du langage parlé à l’informe et grotesque caricature qui en a tenu lieu jusqu’ici.
- « 3° Les étymologistes. Ceux-ci c’est avec un respectueux effroi que nous devons les aborder et en rassemblant tout notre courage pour faire face à la formidable batterie d’érudition dirigée contre nous.
- Considérant les mots écrits, non comme les vivants représentatifs d’une langue vivante, mais comme les descendants de mots anciens et par conséquent nobles ; ces étymologistes estiment les mots, non pour leur valeur intrinsèque, mais parce qu’ils portent en eux le témoignage de leur origine grecque, latine, etc.... Les étymogistes s’opposent donc à tout rejet des lettres muettes comme à toute modification quelconque.
- « Mais les avantages considérables qui ressortiraient de la fidèle représentation écrite du langage parlé doivent-ils être sacrifiés aux jouissances intellectuelles d’une petite minorité de citoyens ? La lecture et l’orthographe, ces arts d’une importance vitale, doivent-ils demeurer hérissés de difficultés pour des millions d’individus, dans le seul but de donner à quelques savants la satisfaction de décider au premier coup d’œil si certains mots viennent du latin ou du grec ?
- » Nous ne le pensons pas.
- « En outre, il faut remarquer que les étymologistes ne perdraient rien en réalité au changement proposé. Les bibliothèques publiques et privées contiendront toujours un nombre suffisant de dictionnaires, de manuscrits anciens et d’éditions curieuses qui continueront à faire les délices du philologue. Loin de diminuer la valeur de tels documents, la réforme orthographique aura pour conséquence d’en augmenter le prix, on s’enorgueillira de posséder des livres imprimés selon l’ancien système, et ces raretés n’en auront que plus de valeur. (4 Suivre).
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- Rien de bien nouveau en Egypte ni à Constantinople. La lenteur que met la Turquie à embarquer des troupes qui ne dépasseront probablement point l’île de Crête, la menace que fait l’Angleterre de ne laisser ces troupes débarquer que si la Turquie proclame Arabi rebelle, et accepte de subordonner son action militaire à l’action anglaise, l’indifférence que la conférence met à voir cette lutte entre deux de ses membres, tout semble indiquer quelque dessous de cartes. Nous félicitons plus que jamais la France d’avoir eu la sagesse de s’abstenir.
- Malheureusement quelques mots de la déclaration que le nouveau ministère vient de lire à la Chambre et au Sénat laissent entrevoir comme un regret de cette abstention, et ceux qui remarquent que sur les sept députés qui font partie du Cabinet cinq ont voté les crédits refusés à M. de Freycinet ont quelque sujet d’être inquiets. C’est à M. Duclerc, nommé à la fois ministre des affaires étrangères et président du Conseil, de faire disparaître
- p.518 - vue 519/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 519
- ces craintes par la netteté de sa politique. M. Duelerc est un vieux républicain, ancien rédacteur du Bon sens et du National, ami de Garnier-Pagès dont il fut en 1848 le sous-secrétaire d’Etat et, plus tard, le successeur au ministère des finances; aujourd’hui, sénateur inamovible; il est en fonds pour comprendre et pratiquer la politique de la paix et de la liberté. Il convient de l’attendre et de le juger à l’œuvre.
- *
- 4 4
- JL,es scrupules immoraux des cléricaux. —• Les paroles suivantes qui sont celles d’un évêque, de l’évêque de Namur, cité par la Flandre libérale, donneront l’idée de la corruption inconsciente à laquelle des méditations incessantes sur la concupiscence de la chair peuvent amener ceux qui s’y livrent même par devoir. Il s’agit du scandale!!! que peut donner une institutrice qui en se mariant s’expose à devenir mère.
- « A Storck, écrit le prélat, l’institutrice s’étant mariée, M. le curé a cru devoir s’abstenir de visiter sa classe, afin de ne pas froisser l'opinion publique. Le peuple des campagnes, qui juge souvent sainement les choses, n’admêt pas qu’une jeune institutrice qui se marie puisse rester en fonctions. Les parents tiennent, avec raison, à ce que leurs enfants demeurent le plus longtemps possible dans l’ignorance du mal ! Or, il ne leur est pas difficile de comprendre que la présence de cette personne, en certaines circonstances, constitue un véritable danger à cet égard. Si la même chose passe inaperçue dans la famille, par suite du respect naturel de l’enfant pour sa mère, il n’en est plus de même lorsqu’il s’agit d’une autre femme... »
- *
- 4 4
- Meeting- pour la suppression du bud« get de» culte®. — Un g, and meeting a eu lieu vendredi dernier, salle Rivoli, rue Saint-Antoine. Vingt-six groupes de la Libre-Pensée de Paris et de la banlieue avaient adhéré à ce meeting, et y avaient envoyé des délégués; ce sont ceux des troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième, dixième, douzième, treizième, quatorzième, quinzième, dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième et vingtième arrondissements de Paris,’ceux de Yincennes, de la rive gauche, de Montreuil, de Clichy, de Saint-Denis, de Boulogne, d’Asnières, de Gentilly, de Gharenton, de Nogent, de Nice, de Saint-Pierre-lès-Caiais.
- Le citoyen Albert Petrot prend le premier la parole. La guerre que nous fait le clergé, dit-il, est entretenue par l’argent que nous lui donnons. Les prêtres en effet ne se servent des sommes immenses qui leur sont distribuées chaque année que pour combattre la République et détruire les plus saines notions de justice et de mo-
- L’orateur termine en demandant qu’il soit pris dans cette réunion des résolutions pratiques qui portent avec elles leurs effets immédiats. Il faut obtenir à tout prix la suppression du budget des cultes et la séparation des Eglises et de l’Etat.
- Le citoyen Fournier dit qu’il ne nous faut pas du clergé national que nous a préconisé M. Gambetta. Ge clergé ne serait autre chose qu’un moyen d’action, comme le clergé concordataire créé par Bonaparte ne fut entre ses mains qu’un levier pour arriver à asservir la France.
- Le citoyen Manier réclame le retour du clergé au droit commun, surtout en ce qui concerne le service militaire.
- Le citoyen Chassaing montre qu’il est d’un intérêt majeur pour la République de séparer les Eglises de l’Etat. Il demande que les électeurs forcent leurs députés à soutenir cette mesure qu’ils leur ont promise.
- Le citoyen Petrot, se plaçant au point de vue juridique, montre que le clergé n’a aucun droit pour réclamer ce budget exorbitant.
- Le citoyen Brugère fait observer avec raison que le jour oh ce budget sera supprimé, le clergé sera condamné à disparaître.
- L’assemblée consultée, adopte à l’unanimité, aux cris de vive la République ! l’ordre du jour suivant :
- < Les citoyens réunis, au nombre de 800, dans un meeting public tenu, le 28 juillet 4882, à la salle Rivoli.
- « Invitent les membres républicains de la Chambre et du Sénat à supprimer le budget des effiles, à déclarer les Eglises séparées de l’Etat, et au cas où. la majorité voterait le budget, à rejeter l’ensemble du budget.
- « Us décident que la copie de cet ordre du jour sera adressé, sous pli recommandé, aux présidents des groupes républicains de la Chambre et du Sénat, pour eu donner connaissance à leurs groupes.
- « Ils confient la sanction de la présente délibération aux électeurs qui ont envoyé ces représentants siéger à la Chambre et au Sénat. »
- L’assemblée décide en outre :
- 1. Qu’une copie de cet ordre du jour sera envoyée à tous les députés de la Seine.
- 2. Qu’une commission, composée du comité d’organisation, sera chargée de se rendre auprès des députés qui ont accepté, dans leur mandat, l’abrogation du Concordat, pour les mettre en demeure d’accomplir leur promesse.
- ANGLETERRE
- L’Angleterre ressent les premiers contre-coups de l’état de guerre où elle est entrée. L’impôt sur le revenu a été augmenté de 1 0/0, M. Gladstone a déclaré que cette augmentation ne suffirait pas, et qu’il serait forcé de demander d'autres ressources à une aggravation des droits de consommation. Mauvais son de cloche ! — Voici que la police irlandaise, elle aussi, menace de se mettre en grève, si on ne lui accorde point un salaire plus élevé. Les lords ont voté le bill qui fait remise aux fermiers irlandais d’une portion des fermages arriérés, mais en rendant nécessaire le consentement préalable des propriétaires, ce qui est détruire la loi.
- ITALIE
- L’Italie, qui certes n’a point besoin d’augmenter ses dépenses, paraît avoir reçu de M. de Bismarck l’invitation, pour ne point dire l’ordre, d’accroître ses forces militaires, et de se tenir prête ; on rappelle les officiers de la réserve. Les élections municipales ont été bien meilleures qu’on ne l’espérait, partout les cléricaux ont été mis en minorité. La démocratie se prépare sans relâche aux grandes élections. Le Gonsolato Operaio de Milan tient chaque semaine des conférences préparatoires que la police a fait mine de vouloir troubler. Les travailleurs italiens prennent à tâche d’imiter les travailleurs anglais qui sont devenus une puissance politique. Ils veulent se faire représenter au parlement par des ouvriers véritables et non plus par des avocats. Ils ont raison.
- *
- ' ¥ 4
- ULa popularité du Tzar. — Les journaux russes racontent comme preuve de la sécurité dont jouit le Tzar qu’il a pu faire dans le parc de Peterhof une grande promenade en voiture, accompagné du prince de Danemarck, sans avoir de gardes ni d’escorte.
- ÉTATS-UNIS :
- Huit femmes propriétaires de biens-fonds ont donné leur vote, dernièrement, dans une petite ville d’Ontario sur une question municipale. C’est la première fois que des femmes aient exercé ce droit dans Ontario.
- Elles auraient bien pu le faire auparavant, puisque le statut d'Ontario ne fait pas de distinction de sexe pour l’exercice du privilège de voter dans les affaires municipales. +
- 4-. *
- L’Etat de Maryland vient de faire, une loi qui punit des verges ou de la prison tout mari qui bat oü mal-
- p.519 - vue 520/836
-
-
-
- 520
- LE DEVOIR
- traite sa femme. La peine des verges ne peut excéder quarante coups, ni la prison un an. Les deux châtiments peuvent même être cumulés, le tout suivant l'appréciation des juges. La peine des verges, ajoute le New-Yor& Herald, n’est pas seulement la mieux appropriée à la faute, l’expérience a prouvé qu’en pareil cas elle est la plus efficace.
- *
- ¥ ♦
- Il n’y a que l’abeille qui produise le miel ; on le reiire aussi d’un autre insecte d’Amérique, la fourmi à miel myrmecocistus melliger. Jusqu’à ce jour, la fourmi à miel avait été imparfaitement étudiée ; on ne connaissait guère les régions qu’elle habite et ces moeurs singulières. Un entomologiste américain, le révérend docteur Mac Cook, a eu l’idée d’aller examiner sur les lieux mêmes ces insectes extraordinaires.
- Etant parti pour le Nouveau-Mexique, où ont été découvertes les premières fourmis à miel, le révérend s’arrêta dans le Colorado, à Manitou, endroit situé à l’entrée du « Jardin-des-Dieux », où il se trouva en présence d’un nid des fournis qu’il cherchait. Il ne continua pas son voyage et fit à Manitou même pendant plusieurs semaines toute une série d’observations qu’il vient de résumer dans le dernier numéro du Recueil de l'Académie des sciences naturelles de Philadelphie.
- D’après les observations de l’entomologiste américain, les fourmis à miel ont l’abdomen gonflé, en forme et de la grosseur d’un petit grain de raisin, qui sert de réservoir pour emmagasiner le sucre ou le miel.
- La contrée connue sous le nom de Jardin-des-Dieux est à 6,180 pieds au-dessus du niveau de la mer. Elle embrasse un espace d’environ 2 milles de long sur 1 de large, et est traversée par des chaînes de montagnes qui sont couronnées au sommet par des rochers de grès, dont les formes bizarres, ayant souvent l’aspect de divinités ou d’idoles païennes ont sans doute suggéré le nom qui a été donné à la région.
- Le sol, tout en haut, là où le rocher n’est pas exposé, est un lourd gravier, sur lequel poussent des touffes d’herbe et çà et là quelques pins et cèdres peu élevés, tandis que ‘dans les vallons croissent des héliantes sauvages, des roses et de nombreux fourrés de chênes rabougris. Tout le long de ces montagnes, à leur cime et sur leurs pentes à Test et au sud-est on rencontre des nids de fourmis à miel.
- L’architecture extérieure de ces nids ressemble à une petite levée ou digue de gravier. La plus grande de celles qu’a visitées le révérend Mac Cook mesurait autour de la base trente-deux pouces, et avait environ trois pouces et demi de haut. La porte est une simple ouverture en forme d’entonnoir, percée au centre de la levée. D’abord perpendiculaire, elle se continue ensuite en une pente légère, qui s’abaisse à un angle plus ou moins abrupte et mène à une série de galeries et de chambres.
- Tandis que les planchers et les murs sont tout-à-fait unis, les voûtes ou toits sont laissés en terre et en cailloux. Les galeries et les chambres sont divisées en étages. La chambre de la reine est un appartement presque circulaire, de quatre pouces de diamètre.
- Les chambres à miel, de grandeur variable, sont généralement ovales, de quatre à cinq ou six pouces en longueur sur trois ou quatre pouces en largeur. Elles ont des toits voûtés ; les côtés ont d’un demi à trois quarts de pouce de hauteur, et vont en augmentant jusqu’à un pouce et demi au centre.
- Une étude attentive semble prouver que les fourmis à miel sont des insectes nocturnes, et que leur miel est fourni par la sève sucrée de la noix de galle, produite par une espèce de cynips sur les branches du quercus undulata.
- Le miel des fourmis a un goût agréable ; il est légèrement acide en ôté, par suite d’un reste d’acide formique.
- C’est une solution presque pure de sucre de fruit, mais qui ne donne aucune trace de cristallisation.
- Les Mexicains et les Indiens mandent du miel de fourmi, qu’ils regardent comme une friandise.
- Les Mexicains pressent l’insecte pour en extraire le miel. Us en font aussi une liqueur alcoolique. Il faut environ 960 fourmis à.miel pour produire une livre de miel.
- ALLEMAGNE
- En Allemagne on déploie une grande activité électorale. MM. Beningsen et Hœnel ont prononcé ces jours-ci des discours très énergiques, invitant toute? les frac-ttons du parti national et du parti progressiste à se rallier et à s’unir contre les conservateurs cléricaux. M. de Bismarck voudrait bien obtenir de l’empereur la dissolution du Conseil municipal de Berlin, mais le vieux Guillaume se plaît aux acclamations du peuple, et repousse une mesure qui mécontenterait les Berlinois. Le Chancelier se dédommage sur les Chambres de commerce ; il vient d’en dissoudre sept ou huit coupables de n’avoir point voulu déguiser dans leurs rapports la détresse du commerce et la misère du peuple. —Le bombardement d’Alexandrie a eu son contre-coup immédiat à Berlin. Trois jours après la nouvelle, on faisait une immense commande de torpilles.
- L’impôt dont M. de Bismarck a frappé les opérations de bourse n’a point fourni ce qu’il en attendait. Le produit en était évalué à 15 millions de marks (18 millions sept cent mille francs). Mis en vigueur le 1er octobre 1881, il n’a produit que 3,215,835 marks pendant le premier trimestre, et seulement 9,114,816 pendant le premier semestre 1882. Si la recette ne se relève point l’impôt ne donnera pour l’année entière que 4 millions, de marks au lieu de 15, soit 12,500,000 francs au lieu de 18,700,000.
- * ¥
- Une carieuse histoire. — Les Alpes racontent un fait des plus curieux qui s’est passé dans un des principaux hôtels d’Annecy.
- Un manufacturier de passage prend place, pour dîner, au milieu des convives déjà nombreux qui entourent la table, et reste soudain bouche béante à l’entrée d’un monsieur bien mis et d’une dame élégante qui s’asseoient près de lui. Il reconnaît, dans ce monsieur, le curé de sa paroisse, voyageant incognito avec une de ses pénitentes, femme d’un de ses meilleurs amis. Notre voyageur est si surpris qu’il oublie de causer avec ses voisins. Le dîner s’achève sans qu’une parole s’échange entre le dernier venu et ses nouvelles connaissances.
- Les voisins de droite et de face l’invitent à sortir avec eux.
- — Merci, messieurs, répond-il ; je suis à vous dans cinq minutes, au café du théâtre.
- A peine la porte s’est-elle refermée sur le dernier sortant que le manufacturier s’inclinant devant sa voisine lui dit :
- — Madame, si vous ne réintégrez pas immédiatement le domicile conjugal, je télégraphie de ce pas à votre mari. Quant à vous, monsieur le curé, vous voudrez bien vous tenir à ma disposition jusqu’à ce que je vous autorise à parler.
- Le lendemain à 6 heures, la dame prenait le train. Quant au curé, il s’est docilement mis à la disposition de l’ami de la dame qui le menaçait du dépôt d’une plainte au parquet et s’est laissé enfermer à double tour dans sa chambre jusqu’après le départ de celle-ci.
- PÉROU
- Gomment le peuple fait-il pour vivre en ce moment ? nous écrit-on de Lima. Voilà qui est un problème. Le sol (cinq francs) en papier-monnaie représente une valeur effective au plus de 0,30 centimes. Une seule pomme de terre coûte un sol en papier. La viande n’apparaît que sur les tables de quelques privilégiés. Quant aux spéculateurs qui ont confiance dans l’avenir du Pérou, ils ont une belle occasion de faire rapidement fortune. Une pièce de vingt dollars en or, s’échange contre 350 sols en papier. Or, le dollar et le$o/, en temps normal, ont la même valeur. Il n’est plus, vous le voyez, l’heureux temps où le mot Pérou signifiait le nec plus ultra de la richesse.
- p.520 - vue 521/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 521
- Les Invalides dn travail devant la Société d'Économie politique
- Dans sa séance du 5 juillet dernier, la Société d’Économie politique s’est occupée de la question des Invalides du travail. Plusieurs orateurs MM. Frédéric Passy, Achille Mercier, Alphonse Courtois, Georges Renaud et autres ont pris la parole contre le projet de Caisse des Invalides du travail, un seul a parlé en sa faveur, c’est M. Charles Limousin. Nous analysons très rapidement d’après le Journal des Economistes les deux principaux discours, celui de M. F. Passy et celui de M. Ch. Limousin.
- Pour M. Fréd. Passy, la Chambre, en adoptant d’enthousiasme l’idée assurément très sympathique, mais irréalisable de cette création, ne s’est pas suffisamment rendu compte de ce qu’elle veut, et surtout de ce qu’elle peut, et elle a été quelque peu dupe des mots. Louis XIV, en instituant l’hôtel des Invalides de la guerre, obéissait à ce besoin de faste et de grandeur qui était dans ses habitudes et dans les goûts de ses contemporains. Mais on peut se demander s’il n’eut pas mieux fait, au point de vue de l’humanité comme à celui de l’économie, d’allouer à ses vieux soldats de modestes pensions, en leur laissant finir leurs jours dans leurs villages ? L’orateur pense qu'aujourd’ui si l’hôtel des Invalides n’existait pas, celui qui l’inventerait mériterait d’être envoyé à Charenton. Mais enfin c’est pour la société entière que les soldats vont affronter les risques et les dangers de la guerre, et comme c’est elle qu’ils servent, lorsqu’ils ont subi un dommage, l’équité exige qu’il leur en soit tenu compte.
- En est-il de même des travailleurs, demande M.F. Passy. Dans les professions diverses, dans lesquelles nous usons notre vie, est-ce pour la société où pour nous que nous travaillons ? Sans doute, toute existence laborieuse contribue au bien général, et en ce sens tous les honnêtes gens sont des serviteurs publics. Mais ce qu’on poursuit avant tout et uniquement c’est son intérêt personnel ; on travaille pour soi, pour sa famille, pour acquérir la fortune, l’aisance ou tout simplement sa subsistance. Rien n’est plus respectable, mais rien n’est moins fait pour constituer vis-à-vis de l’Etat, une créance proprement dite. L’Etat nous doit, dit l’orateur, la sécurité, la liberté, la justice à tous ; il ne nous doit pas du travail pendant là période d’activité, et des rentes après.
- D’ailleurs qu’entend-on par les invalides du travail, et au profit de qui réclame-t-on une dotation ? Quels sont, une fois l’institution créée, ceux qui en pour-
- ront bénéficier et à quels avantages pourront-ils prétendre ? S’agira-t-il de ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne peuvent plus travailler ? Sérieusement, dit M. Passy, c’est tout le monde ; car il n’est personne qui, à un âge ou à un autre, ne soit plus ou moins atteint par les infirmités ou par les accidents. En ce cas, c’est toute la société française à pensionner ; c’est en d’autres termes un impôt nouveau frappé sur tous les contribuables, en vue d’un service public nouveau. Est-ce là ce que l’on ' veut, et croit-on que ce fut un moyen bien certain d’accroître l’aisance et la satisfaction générale ?
- Si c’est un petit nombre à choisir dens la foule, alors ce sont des privilégiés, des favorisés. Et pourquoi ceux-ci plutôt que ceux-là ? Préférera-t-on les ouvriers des villes ? Ceux des campagnes valent-ils moins, où bien ont-ils moins de peine à vivre? Songe-t-on spécialement aux travailleurs des ateliers et des usines ? Mais en quoi le copiste atteint dans la crampe des écrivains, le peintre dont la main tremble, le photographe dont la vue s’est altérée, ou la couturière que ses pratiques abandonnent, sont-ils moins intéressants que le maçon où le mécanicien, que le charretier ou le fileur ? Quoi qu6 l’on fasse, si l’on exclut les uns au profit des autres, à quoi aura-t-on abouti, sinon à faire porter à ceux-là double charge pour en exonérer ceux-ci ?
- M. Passy rappelle ensuite que s’il y a des ouvriers qui travaillent dur, et qui ne s’accordent guère de douceurs, il y en a qui pouvant gagner dix, vingt francs par jour (les appointements d’un sous-chef ou d’un chef de bureau), dit-il, travaillent deux ou trois jours par semaine, et qui, le reste du temps sont au café, mangent des huîtres et courent les spectacles et les concerts. Est-ce ceux-ci que l’on a en vue, ou ceux-là? Et étant admis qu’il faudra choisir, qui sera chargé du choix ? Autant de difficultés insolubles, suivant l’orateur, qui jetteraient dans la société, avec de nouvelles charges et de nouvelles gênes, de nouvelles causes de mécontentement, de jalousie, et de révolte. Et l’on atteindra ce qu’il y a de plus précieux pour la société dans l’homme, le sentiment de la prévoyance et de la responsabilité. M. Passy y voit la déchéance morale de la nation, la misère décrétée et l’institution d’une aristocratie à rebours, la pire de toutes.
- Il cite le mot de Franklin : « Si quelqu’un vous dit qu’on peut s’enrichir autrement que par le travail et l’économie, ne l’écoutez pas, c’est un empoisonneur », et il termine en déclarant que l’Etat doit, par des facilités données à la prévoyance, Caisses d’Epar-gne, de retraite, de secours et autres, encourager
- p.521 - vue 522/836
-
-
-
- 522
- LE DEVOIR
- l'effort personnel, mais non se substituer à lui en aucun cas.
- M. Ch. Limousin répond que cette question de la retraite des vieux travailleurs n’est qu’une des faces de la question de l’intervention de l’Etat dans le domaine économique. Cette intervention, contrairement à l’opinion de la plupart des économistes, l’orateur ne la repousse pas ; la science ne la condamne pas, et c’est se faire une idée inexacte de la science que de prétendre le contraire.
- Si l’on dit qu’il a été observé que l’intervention de l’autorité sociale dans les phénomènes économiques nuit toujours à la production et empêche une équitable répartition, je répondrai, dit M. Limousin, que cette observation a été mal faite. Il y a des interventions qui donnent d’excellents résultats.
- La véritable opinion scientifique est que l’intervention de la puissance publique dans les phénomènes économiques modifie ces phénomènes. Or cette modification peut être nuisible, comme dans le cas de la protection des industriels contre leurs concurrents de l’étranger, ou bonne, comme dans le cas de la protection des femmes et des enfants employés dans l’industrie, ou encore dans celui des prescriptions hygiéniques pour les ateliers ou les mines.
- En ce qui concerne le cas spécial de la Caisse des retraites pour les invalides du travail, il y à a se demander si l’intervention produirait de bons ou de mauvais résultats. Pour bien examiner cette question, il faut la bien poser. L’examen doit donc porter sur le système d’après lequel on imposerait tous les Français, pour faire des rentes à tous les Français.
- Avec ce système, il ne s’agit pas d’un acte de charité accompli par un être de raison qui s’appelle l’Etat au profit de certains individus qualifiés d’ouvriers, il s’agit simplement d’une obligation imposée à tous les membres d’une Société, de payer une prime d’assurance en vue d’un risque. C’est quelque chose d’équivalent à la contribution que l’on nous oblige de payer pour la sécurité, l’éclairage et le balayage des rues.
- Cette obligation dépasse-t-elle les droits que l’on doit attribuer à l’autorité sociale dans un pays civilisé ? Pour le savoir, il faut se demander quelle est la condition qui permet de reconnaître que l’Etat reste dans la mesure de ses attributions légitimes. Or cette condition est double, et elle consiste en ceci : 1° Le service public ou l’obligation créée doit être indispensable; 2° l’Etat seul, c’est-à-dire la Société obligatoire doit pouvoir l’établir.
- L’assurance contre le dénument dans la vieillesse remplit-elle ces conditions ? M. Limousin le croit. Il est incontestable qu’il est nécessaire plus que né-
- cessaire, indispensable qu’aucun individu ne meure de faim. Tout être humain complet, c’est-à-dire ayant du cœur, le sent. Si en sortant de cette réunion, dit-il, nous rencontrions sur le boulevard un malheureux n’ayant pas à manger, tous nous fouillerions dans notre poche, et nous donnerions à ce malheureux de quoi se substanter, non seulement immédiatement, mais pendant quelques jours, et nous agirions ainsi, lors même que nous saurions positivement que ce misérable souffre par sa faute.
- Que l’on consulte tout le monde, ajoute-t-il, et l’on verra que quatre-vingt dix-neuf personnes sur cent pensent que la Société ne peut pas laisser mou-rir un de ses membres de faim.. L’histoire nous apprend que ce sentiment a été éprouvé à toutes les époques. C’est parce qu’elles ont affirmé cette obligation, que les religions, toutes les religions ont conquis les peuples, et exercé une si forte influence sur eux. Beaucoup d’établissements hospitaliers de notre temps remontent fort loin dans l’histoire, et à toutes les époques, leur création et leur entretien ont été à la charge de l’impôt, aussi bien qu’à celle de la charité privée.
- L’on a dit déjà, comme on le répète aujourd’hui, que c’était à la prévoyance individuelle des intéressés à pourvoir au pain de leurs vieux jours. M. Limousin répond : Et ceux qui n’auront pas pu, qui même n’auront pas voulu épargner, qu’en ferez-vous? Les laisserez-vous mourir d’inanition? C’est la question qu’il faut résoudre.
- On objecte que Ton prélèvera sur ceux qui ont été prévoyants au profit de ceux qui ont été imprévoyants. C’est ce qui se fait, mais ce que Ton devrait faire, c’est prélever sur les individus virils en pleine puissance de production, prévoyants ou non, un impôt qui permettra plus tard de leur payer une pension alimentaire, et il n’y a rien dans ce prélèvement qui dépasse les attributions légitimes de l’autorité sociale.
- M. Limousin réfute ensuite l’objection tirée du fait que la certitude d’une pension empêche les pauvres gens d’être prévoyants et d’épargner, en démontrant qu’il n’y a pas au contraire d’épargneurs plus décidés, que les travailleurs des administrations qui assurent une pension de retraite à leur personnel. C’est Tin-sécurité du lendemain, les accidents de la vie qui amènent souvent la disparition des ép argnes péniblement amassées, qui sont les pires facteurs de l’imprévoyance.
- Il fait justice des exagérations qui se sont glissées dans l’appréciation du gain quotidien des ouvriers. Le gain moyen du travailleur parisien est de 4,99, pour les hommes, et 2 fr. pour les femmes. Or quel-
- p.522 - vue 523/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 523
- que malthusien qu'on puisse être, le chiffre de deux enfants par ménage ouvrier ne peut paraître excessif, et ces ressources sont à peine suffisantes pour vivre, et à plus forte raison pour épargner dans ces conditions.
- On a créé ou augmenté des impôts qui ont pesé principalement sur la classe pauvre, et qu’elle a payés pour réparer les folies des politiciens à la suite de la guerre de 1870-71. Comment les a-t-elle payés ? En rognant sur son nécesaire ?. Pourquoi ne ferait-elle pas à son profit ce qu’elle a fait pour payer les sottises de ses gouvernants ? Il faudrait deux milliards et demi pour assurer une pension à chacun des quatre millions de vieillards âgés de plus de soixante ans. Le jour oh l’on aura aboli ces abominables armées permanentes, on disposera d’environ un milliard par an, et l’on aura rendu à la pro duction cinq cent mille travailleurs, qui [donneront des excédents de revenus, qu’on pourra également appliquer au service de la pension des vieillards. A cela on peut ajouter d’autres resources faciles à créer dès qu’on aura réalisé les réformes sociales qui s’imposent, et l’on aura atteint le but sans secousse et sans perturbations.
- En résumé M. Limousin soutient que le législateur a le droit d’organiser un service obligatoire d’assurance sur la vie ; que non-seulement il en a le droit, mais que c’est son devoir, et qu’en le faisant, il n’offensera en aucune manière la science économique.
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l’immortalité individuelle et collective(1)
- I (Suite)
- Noé entendant une voix juge que c’est celle de Dieu et se mettant à l’œuvre pourpbéir à l’ordre qui lui est donné, il bâtit l’arche ou se réfugieront avec les siens et lui, les animaux qui survivront au déluge.
- Ne semble-t-il pas d’après ce récit que le créateur avait besoin que Noé ne se montrât pas infidèle comme les autres hommes? La chair pouvait cependant périr sans qu’il lut difficile à qui l’avait faite de rétablir son œuvre.
- Evidemment la légende fourmille d’erreurs. Gomment les animaux ont-ils été rassemblés ; comment l’arche avec les dimensions données a-t-elle pu contenir tout ce qu’eût été insuffisante à renfermer une flotte plus nombreuse que celles réunies de toutes
- (1) Voir « le Devoir » du 13 août 1882.
- les nations coalisées, et comment cet embarquement eut-il pu s’exécuter en aussi peu de jours ?
- Que reste-t-il de vérité, et cela est-il intéressant à connaître. Il n’y a de trop réel que des catastrophes | diluviennes et la méchanceté humaine. Celle-ci a toujours été trop apparente pour jamais être mise } en doute ; mais comment et dans quelles circons-| tances la mémoire des premiers événements a-t-elle î été rappelée? Il y avait là un moyen énergique de ] frapper les esprits des hommes et de les ramener par 1 la terreur d’un châtiment semblable et immédiat;
- ! mais rien n’atteste une origine supérieure et l’intervention divine ne saurait être supposée en pareille occurrence.
- Dieu serait encore intervenu personnellement lors de la construction de la tour de Babel. Irrité de ce dessein plein d’orgueil, il serait en quelque sorte descendu vers la terre pour y voir la ville et la tour que bâtissaient les enfants d’Adam. L’expression suffit pour établir la fausseté du récit, car le narrateur emprunte les termes dont il se sert aux idées des temps primitifs d’après lesquelles la terre est en bas et plate tandis que la voûte du ciel est au-dessus. L’immixtion de l’ignorance de l’homme en fait d’astronomie est manifeste, et les progrès de la science en cela comme pour le reste, peuvent modifier ee que le défaut de savoir a vicié.
- Dieu apparaît à Abraham et lui ordonne de quitter son pays pour aller dans la terre de Chanaan. Le fils de Tharé a la conviction d’avoir vu Dieu lui-même et de se conformer à ses ordres; mais comment le connaissait-il et à quel signe l’a-t-il reconnu? Il n’a pu que le supposer à raison de la conformité de ses propres pensées avec les discours qu’il entendit et les ordres qu’il reçut. Et en effet, d’une part il n’a pas suffi que cet interlocuteur visible se dît le Diau créateur de toutes choses pour qu’il fût cru sur parole, et d’autre part si le même interlocuteur eut tenu à Abraham des propos que celui-ci eut jugés insensés, il n’eut pas eu la naïveté de les accepter aveuglément.
- La raison est donc également ici le guide de la foi d‘Abraham, et s’il a usé de son intelligence, pourquoi abdiquerions-nous la nôtre; mais il n'en a pas seulement usé pour admettre ou rejeter Vindividualité de celui avec lequel il s'entretenait, il s’en est encore servi pour comprendre, retenir et rapporter ce qui s’est passé entre son Dieu et lui.
- De plus s’il ne s’est trompé ni sur un point, ni sur l’autre nous devrons admettre qu’il y a certainement eu, de la part de ses descendants, altération de ce discours prêté au Seigneur disant qu’il maudira ceux qui maudiront Abraham. Une semblable pensée est
- p.523 - vue 524/836
-
-
-
- 524
- LE DEVOIR
- toute humaine et presque barbare. Que dire de cette autre prétention que la terre de Chanaan sera peuplée par les descendants d’Abraham aussi nombreux que les grains de poussière de la terre. L'ambition a fait cette légende et l’histoire lui a donné un démenti. Comment d’abord admettre que dans un motif quelconque, et même sans prétexte, et par le simple effet d’un caprice, un peuple soit autorisé à en exterminer un autre pour se substituer à lui. En second lieu ne voyons-nous pas les juifs actuellement peu nombreux disséminés depuis des siècles. Cette race a perdu la motte de terre qu’elle devait à la force, et parmi ses enfants quelques-uns seulement ont trouvé des frères qui leur ont, au prix de leur nationalité, donné une nouvelle patrie.
- Ou que soit l'erreur, qu'elle vienne de l'origine ou de la transcription dans le texte qui nous reste, nulle instruction ne saurait sortir de ces entretiens tels que nous les avens, tout pleins qu'ils sont, de la convoitise du bien d'autrui.
- Lors de l’expulsion d’Agar ce n’est plus Dieu lui-même qui apparaît, agit et parle : c’est un messager; Agar croit que c’est Dieu, tandis que la légende veut que ce soit un simple envoyé. Pourquoi cette divergence ; c'est Agar qui a vu, c’est à elle qu’il faudrait s'en fier, et cependant ce n’est pas son témoignage qui prévaut. D’où cela vient-il ? C’est que dans l’impuissance ou l’on était de connaître l’image de Dieu et sa forme empruntée, l’on a jugé sans doute que l’intervention d’une créature suffisait, soit à raison du caractère du colloque, soit à cause de l’interlocutrice, une esclave égyptienne.
- L'humanité domine ici tellement qu'il y a bien peu de place pour une entremise supérieure quelconque preuve de plus que l'homme et son intelligence. sont toujours les acteurs nécessaires.
- La différence établie entre Isaac et Ismaël fils du même père tient à des préjugés humains et ne saurait être acceptée comme ayant un autre caractère. Pour un si puissant personnage et un père, Abraham est bien dur envers cet enfant qu'il renvoie avec un peu de pain et d'eau. Il n’a pas reçu de leçons de bienfaisance et de charité, ou il n’en a guère profité.
- En présence du buisson ardent et qui ne se consume pas, Moïse se dit en face de Dieu. Il n’en sait rien : il le suppose à raison de l'effet qu’il reporte à une cause puissante. Il ne fait pas acte de foi, il juge que Dieu est là. Un dialogue s'établit entre la voix entendue et Moïse. Il ne se rend pas tout d’abord, il veut s’éclairer avant d’admettre ce qui lui est dit. Il objecte qu’on ne le croira pas, et il demande qu’en signe de sa mission, des prodiges suscep-
- tibles de convaincre s’accomplissent devant ceux auxquels il est envoyé. Il réclame de plus le don de la parole. Moïse opère des prodiges devant Pharaon mais les magiciens de la Cour les reproduisent, et il perd un moyen de convaincre sur lequel il a compté. Pourquoi malgré cela Moïse persiste-t-il et croire? c'est qu'après examen et appréciation de ce qu’il a vu et fait, il est arrivé à une opinion raisonnée. Pourquoi la même étude ne nous conduirait-elle pas à une opinion contraire à la sienne.
- Les faits qui précèdent sont ceux à propos desquels est affirmée le plus ouvertement l’intervention directe de la divinité. Si, pour ce qui les concerne, l'intelligence et la raison humaine accomplissent un rôle, c'est qu'elles ont une action nécessaire, et il devient impossible de contester qu'il en doive être à plus forte raison de même, quand surgit le devoir de contrôler la mission et la véracité d'un homme qui prétend au titre de prophète et de messager.
- Inutile donc de poursuivre cette étude : c’en est assez pour que l’on soit autorisé à conclure que nul ne pouvant savoir de qui émane le conseil, l’avis ou l’ordre qu’il a reçu, nul n’est admis à prétendre qu’un ordre direct de Dieu lui est parvenu qu’autant qu’il a apprécié ce qui lui a été présenté, et qu’ainsi les hommes à l’exemple de l'intermédiaire discutant avec son Dieu, ont toujours à discuter, avec ceux qui prétendent les diriger en vertu d’un mandat divin, et la preuve de leur mission, et le mérite de leur enseignement.
- Pour les prophètes modernes comme pour ceux des temps anciens, «,1’homme est également destitué de tout moyen de savoir pertinemment à qui attribuer la voix qui leur a parlé, et il y a lieu pour lui d’examiner ce qui leur a été dit et s’ils ont bien retenu et complètement compris ce qu’ils ont entendu.
- La raison reste donc toujours le guide unique de la conviction. En faisant l'homme intelligent et libre, Dieu s'est retiré le pouvoir de diriger celui qui ne veut pas obéir, comme celui de le décharger d'une responsabilité inhérente à sa nature.
- Nous avons rejeté les légendes nombreuses que nous ont laissées les Grecs et les Romains, et dans lesquelles leurs dieux et demi-dieux, ainsi que leurs héros, se communiquaient incessamment aux hommes. Nous avons bien fait parce que la raison moderne a condamné les conclusions que l’on avait prétendu tirer de ce mélange des êtres attachés à la terre et de ceux qui l’avaient antérieurement quittée.
- Mais la question est-elle épuisée, ou devra-t-elle être reprise ?
- Si les uns disent avec Abner :
- « L’arche sainte est muette et ne rend plus d’oracles. »
- p.524 - vue 525/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 525
- d’autres répondent avec Joad :
- « Et quel temps fut jamais si fertile en miracles?
- « Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir?
- « Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
- « Peuple ingrat? Quoi! toujours les plus grandes merveilles « Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ?
- « Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours « Des prodiges fameux accomplis en nos jours?
- « Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,
- « Un Dieu, tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps ;
- « 11 peut, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire,
- « Et son peuple est toujours présent à sa mémoire. »
- Quoi qu’il en soit, les enseignements étant appropriés à l’état des esprits et des civilisations, il n’est permis à personne d’imposer aux générations actuelles, ce qui dit aux générations primitives a été transmis aux suivantes par leurs devancières, non dans son texte, mais tel qu’il a été compris, retenu, traduit et commenté par une succession de témoins. Il ne faut pas que ces enseignements, obscurcis par une longue suite de siècles, empêchent de reconnaître et comprendre les faits qui étant mis sous nos yeux ou frappant nos oreilles, doivent leur être préférés. Les Gentils ont devancé les juifs venus les premiers, il est possible qu’à leur tour, ceux-ci s’arrêtent et que d’autres les laissent en arrière.
- En tous cas nous avons les faits permanents du monde sur lesquels nous pouvons expérimenter.Nous ne saurions nous égarer en raisonnant d’après eux, étant bien convenu que l’examen des faits en tous genres scrupuleusement appréciés, et l’application de la raison à ces faits doivent seuls nous conduire à la connaissance de Dieu, ainsi que de sa volonté directrice.
- (A suivre). P. P. Courtépée.
- LE CONGRÈS D’OXFORD
- Notre compte-rendu du Congrès d’Oxford, dans le-quelnous avons prispar erreur l’énumérationfaitepar lord Reay des professions des membres de la coopération comme s’appliquant aux sociétés anglaises, tandis qu’elle se rapporte aux Banques populaires d'Allemagne, nous a valu de la part de notre ami M. Vansittart-Neale, secrétaire général du Comité central de la coopération en Angleterre, une communication précieuse, qui nous permet de rectifier les chiffres erronés que nous avons donnés, en indiquant pour l’Angleterre ce qui appartient en réalité à l’Allemagne.
- « La véritable statistique des sociétés de consommations anglaises, nou3 écrit M. Vansittart-Neale, ©st bien différente, comme vous le démontreront les tables dont je vous envoie un exemplaire, des ventes, dividendes et revenus des membres de 30 de nos
- sociétés ouvrières les plus considérables. Ces tables ont été dressées il y a près de trois ans, d’après les réponses faites par les sociétés à un questionnaire que je leur avais adressé, en vue d’une enquête parlementaire sur la coopération, qui avait lieu en ce moment. En les parcourant, vous vous apercevrez combien est petit le nombre de membres de ces sociétés appartenant à des classes assez riches pour figurer parmi les contribuables de Yincome-tax (impôt foncier.) »
- Les tables dont il s’agit donnent le détail suivant :
- Sociétés de moins de 2,000|;membres : 3 dont 2 dans le comté de Durham et 1 dans le Northumberland avec 3,882 membres.
- il dans le Cumberland 4 dans le cté de Durham 1 dans id. de Gloucester 1 dans le Lancastle 1 dans le cté de Woreester 1 dans id. de York
- Soc. de 3 à (2 dans le id. de Derby 5000 m. : \ 2 dans le Lancastre J 25568 membres
- 6 dont ( 2 dans le Yorkshire
- Soc. de plus (5 dans le Lancastre de 5000 11 dansleLeieestershire membres:) 1 dansle Nottinghamhire 11 dont 14 dans le Yorkshire
- >89904 membres
- 24018 membres
- Quant à la composition de ces sociétés, au point de vue de la profession de leurs membres, nous voyons par exemple dans celle de Barnsley, comptant 5262 adhérents, les chiffres suivants : 3,300 mineurs ; 500 forgerons; 700 apprentis de manufactures et 700 travailleurs ordinaires. Dans celle de Leicester composée de 6411 membres on compte : 3000 tisserands au métier; 2000 tisseurs d’élastiques pour chaussures ; 1411 garçons de magasin, charpentiers, maçons et ouvriers divers.
- Le salaire moyen de ces membres est de 20 à 40 shellings (25 à 50 fr.) par semaine, et il n’y a pas plus de 2 membres sur 1000 environ, qui possèdent un revenu de 150 livres (3750 fr.) par an. On comprend que cette dernière indication ne peut être donnée qu’en passant en revue chaque société, car à ce sujet les résultats varient beaucoup. Nous donnons une moyenne très largement calculée, et partant très approximative.
- Enfin les 30 sociétés que comprend le document dont il s’agit comptent un total de 143,372 membres. Le montant des ventes pour l’année s’élève chez elles à 3,911,490 livres sterling (ou soit 97,787,250 fr.) ce qui donne une moyenne de 68 fr. 20 par membre.
- M. Vansittart-Neale ajoute que l’espèce de déviation que nous avions le regret de constater dans la marche de la coopération en Angleterre ne s’explique pas par laprésence dans les rangs de l’association d’un aussi grand nombre de personnes placées dans une
- p.525 - vue 526/836
-
-
-
- 520
- LE DEVOIR
- situation aisée. « Malheureusement non, hélas ! » s’écrie-t-il avec un accent peiné que l’on comprend lorsqu’on connaît son dévouement ardent à cette noble cause, « malheureusement non hélas ! Cette maladie a une racine bien plus profonde dans ce « chacun pour soi » que vous rencontrez parmi vos ouvriers en France et qui se manifeste non moins fortement parmi nos ouvriers anglais, qui d’ordinaire ne voient dans la coopération qu’un moyen d’épargne dont ils bénéficient individuellement, et qui, tout en se glorifiant de leur propre sagesse, ne montrent aucune envie d’employer leurs capitaux pour donner à leurs collègues une position supérieure à celles qu’ils occupent eux-mêmes, quoiqu’il soit évident, pour qui veut réfléchir un instant,que pour arriver à élever la masse, il faut commencer par élever les individus......C’est navrant, mais c’est vrai.................. Je dois me résigner à
- travailler pour un bonheur qui s’éloigne toujours et que je ne verrai jamais. »
- Nous n’ajouterons rien à ces appréciations de l’homme le plus compétent et le plus dévoué à la cause de la coopération en Angleterre, car tout commentaire affaiblirait et amoindrirait leur incontestable valeur et leur vérité.
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- Un de nos abonnés, M. J. Cranstoun, de Lucerne, (Suisse) nous a fait le plaisir de nous adresser la « Thèse pour le doctorat en médecine » présentée,le 8 juillet 1880,par Mme Algernon Kingsford, de Londres. Cette thèse qui traite de
- « LS alimentation végétale chez l'homme », a vivement excité l’attention du monde médical et surtout celle des. partisans du végétarisme qui y ont trouvé de précieux arguments et de précieuses démonstrations en faveur de leur cause.
- Nous remercions sincèrement M. Cranstoun au nom des habitants du Familistère.
- Nous remercions également M. Alfred Migrenne qui a fait don à la Bibliothèque du Familistère de son petit opuscule intitulé : «Fruits amers».
- Le Certificat d’études au Familistère
- Nos fidèles lecteurs, qui s’intéressent si vivement aux progrès réalisés constamment au sein de l’Association apprendront, nous en sommes persuadés, avec satisfaction, le résultat obtenu cette année par les élèves des écoles du Familistère^ l’examen pour le certificat d’études, qui a eu lieu lundi 14 août.
- Dix enfants, garçons et filles par égales portions, étaient présentés par le nouveau directeur des études,
- si compétent et si dévoué à son œuvre, après une courte préparation de quelques mois, car il ne faut pas oublier qu’il n’a pris la direction des cours que depuis le mois de janvier dernier. Mais il a su justifier pleinement le choix du fondateur du Familistère, car, sur dix élèves présentés, nous avons à constater dix admissions avec témoignage public de satisfaction, de la part des examinateurs, à l’habile instituteur, membre de îa Société scientifique de Toulouse et lauréat de celle des sciences, lettres et arts de Montauban, à qui ce résultat est dû.
- C’est un début aussi brillant que possible dans cette voie féconde,pour les écoles du Familistère, qui jusqu’à présent n’avaient présenté personne à cet examen public. Cette année, le nombre total des concurrents du canton était de 49 élèves, sur lesquels il y en a 42 d’admis. Dans ce dernier chiffre, les élèves du Familistère figurent dans la première moitié, et si l’on songe qu’au nombre des concurrents, on comptait des jeunes gens de 17 ans, tandis que pas un des candidats du Familistère ne dépasse quatorze ans, l’on est obligé de reconnaître que le succès obtenu ne laisse rien à désirer. Le premier élève du Familistère admis, âgé de treize ans et trois mois, a obtenu 66 points, et figure le troisième sur la liste d’ensemble, le premier de cetté liste ayant 67 points 1/4 et le deuxième 67. C’est entre 54 et 66 que se comptent les points obtenus par les élèves de l’Association, et le chiffre exigible est, comme on sait, de 40. Le deuxième lauréat de cet examen est une fille, âgée de 13 ans onze mois, qui a obtenu 64 points 1/2. Voici au surplus la liste exacte des places.
- Familistère. ' Noms. Points. Place au Concours
- général.
- 1er Fortis Emile 66 3®
- 2® Philip Marguerite 64 1/2 6®
- 3® Preix Emilia, et Ha -
- mel Ernestine 61 3/4 8° (ex cequo)
- 4e . Griviler Eugène 61 1/4 10®
- 5® Chevyer Jules 60 13®
- 6® Champenois Blanche 59 1/2 14®
- 7® Casseleux Lucie 57 1/2 16®
- 8® Sarrazin Ernest 56 3/4 20®
- 9® Lerloup Léonard 54 25e
- On ne saurait refuser au professeur qui, par ses efforts persévérants et éclairés a pu ménager ce résultat, un-témoignage mérité de satisfaction et de reconnaissace, aussi les examinateurs n’y ont-ils point manqué, en proclamant publiquement le nom de M. G-asc, et en lui manifestant de la façon la plus éclatante leur sympathie et leur contentement. Nous croyons être l’interprète des habitants du Familistère en général, et des parents des candidats plus particulièrement, en joignant notre voix à celle des examinateurs,et en remerciant dans le « Devoir » le digne professeur de ses efforts, et en le félicitant de son succès.
- p.526 - vue 527/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 527
- UN COUP DE FOUDRE
- 1
- Marguerite ne dormait pas... Que cette nuit lui paraissait longue... La peur ne semble-t-elle pas éterniser les heures ! Pourquoi avait-elle consenti à ce voyage de son mari?... Il devait revenir le lendemain, il est vrai ; mais, jusque-là, quelle mortelle attente ! — Elle était seule dans une de ces maisons isolées qui dominent Courbevoie.
- « C’était à en devenir folle ! A quoi bon, pour un peude gain, s’exposer ainsi... La tranquillité n’est-elle pas un des premiers biens de la vie ! S’il ne m’arrive rien de fâcheux pendant cette absence, continuait la jeune femme, non, oh ! non, il ne me laissera plus jamais seule pendant la nuit !
- « Pierre m’a bien remis un révolver chargé, mais saurais-je m’en servir... Aurais-je le cœur d’en faire usage en cas de besoin ? »
- Marguerite avait depuis longtemps éteint sa lumière ; de plus en plus agité, elle se leva et, s’accoudant à l’appui de la fenêtre, ses yeux explorèrent les environs à travers les persiennes fermées.
- La lune éclairait la campagne.
- Ne se trompait-elle pas !...
- Etait-ce un effet de sa frayeur... Il lui sembla distinguer une ombre se faufilant à travers la haie de clôture : le cœur lui battait... Elle eut un vertige. Voulant dominer sa terreur, elle rouvrit les yeux.
- Hélas! non... elle ne s’était pas trompée! La forme noice pénétra dans la petite cour et se dirigea du côté de l’habitation ; regardant à droite, à gauche, comme pour s’orienter.
- Maintenant Marguerite distinguait parfaitement : c’était un homme... très grand... Qu’allâit-elle faire en un pareil danger ?
- Le malfaiteur, — car c’en était un pour sûr, — avançait toujours... il était bien près, maintenant !
- Enfin il se posa devant la façade ayant l’air d’étudier les moyens de s'introduire dans la maison.
- Alors, la jeune femme affolée, saisissant l’arme qu’elle avait sous la main, ouvrit brusquement les persiennes et lâcha la détente.
- On cri retentit, puis... plus rien !
- «Je l’ai tué... gémit-elle. » Elle se laissa tomber sur le carreau, et, s'appuyant sa tête dans ses mains, des sanglots s’échappèrent de sa poitrine.
- Il fallait se rendre compte, cependant, elle devait envisager les suites de son action.
- Quand Marguerite sortit de sa stupeur, elle était glacée. Le jour commençait à poindre ; un léger brouillard montait des prairies. — Enhardie par la clarté, elle plongea ses regards dans la cour; l’homme était toujours là étendu.
- Qu’allait-elle devenir... passerait-elle devant lui pour appeler à son aide ?... Et s’il n’était pas mort ?... Alors il pourr ait se venger... la tuer peut être?
- Elle regardait toujours.
- Il lui sembla que l’homme frappé s’agitait...
- Elle rapprocha doucement les persiennes et observa. L’inconnu essayait de se soulever ; il gémissait ; il parvint à se mettre sur les genoux et se traîna plus près de la fenêtre ; puis une voix faible appela « Marguerite ! »
- Cette voix... elle la connaissait, oh ! oui... elle lui était bien chère, autrefois ?
- La jeune lemme s’élança dans l’escalier, défit vivement les fermetures, et se précipitant vers le blessé : ^Antoine... est-ce bien toi, mon pauvre ami? s écria-t-elle.
- — Oui, c’est moi ! je ne mourrai donc pas sans t'avoir retrouvée !
- — Et dire que j’ai mis en cet état ? As-tu bien du mal... dis vite... où souffres-tu ?...
- — Ce n’est rien, rassure-toi ! C’est ma faute si, trop pressé de te revoir, au lieu d’attendre le grand jour, je me suis présenté comme un voleur! mais tu ne sais donc pas que je suis gracié ?
- — Hélas ! je ne sais rien de toi depuis bien longtemps; et, démon côté, j’ai bien des choses à t’apprendre, dit Marguerite avec l’accent d’une tristesse profonde .
- 11
- Dès que Marguerite eut installé son hôte dans un pauvre fauteuil, le seul du logis, et pendant qu’elle lui préparait un bouillon, Antoine se mit à parcourir rapidement la pièce de ses regards inquiets.
- — Catherine ? interrogea-t-il.
- — Ah ! Catherine... et un flot de larmes s’échappa des yeux de la pauvre femme.
- Alors, se dirigeant vers la muraille, elle détacha une photographie qu’elle remit au blessé. C'était le portrait d’un enfant de trois à quatre ans. On l’avait étendue, toute vêtue de blanc, sur sa couchette. Pour qui voyait ces yeux fermés, ces traits rigides, il était évident qu’elle dormait d’un sommeil dont elle ne devait jamais s’éveiller.
- — Morte ? interrogea le jeune homme.
- — Morte ! répéta la mère comme un faible écho.
- Ils restèrent longtemps silencieux; Marguerite
- continuait à pleurer.
- Il est des instants où le chagrin devient si aigu que la raison fléchirait si on ne cherchait à détourner la pensée douloureuse.
- Et le cousin Pierre ? demanda le nouveau venu pour faire diversion au supplice qu’il endurait.
- — Pierre va bien... il va entrer dans quelques heures...
- En disant ces mots la jeune femme détournait la tête pour cacher la rougeur qui couvrait son front.
- — Rentrer,.. il demeure donc ici ?
- — Ah ! c’est vrai... tu ne sais pas... non tu ne peux pas savoir... mon pauvre Antoine... je te disais il y a un instant, j’ai encore bien des choses à t’apprendre... et des choses bien pénibles, va !... je voudrais attendre pour te dire tout cela... te laisser au moins quelques heures de tranquillité... mais ça ne se peut pas... il faut que tu saches tout avant l’arrivée de Pierre et il sera de retour vers midi.
- — Parle... parle vite ! qu’y a-t-il encore ?
- Marguerite se leva — aussi solennellement qu'elle
- l’avait fait lorsqu’elle était allé décrocher l’image de la petite morte.
- — Elle ouvrit un tiroir, en sortit un papier contenu dans une large enveloppe et le tendant à Antoine ;
- — Lis ! dit-elle.
- — C’est un acte de décès... Le mien ? s’écria le voyageur. Si je n’étais pas si triste à cause de Catherine, je t’assure, Marguerite, que, loin de m’en tourmenter, j’en rirais de bon cœur : tu te croyais donc veuve, ma chère petite femme ? Ah ! mais je me rappelle... C’est mon pauvre diable d'homonyme qui est mort là-bas !
- — Hélas ! mon ami, tu n’en rirais pas si tu savais... mon Dieu, mon Dieu ! comment lui avouer cela ? gémissait Marguerite désespérée.
- Antoine pâlit... il se leva et, pressentant la vérité.
- — Parle, dit-il à la jeune femme, dis tout, mais dis vite ! Ah ! j’étouffe !... et arrachant sa cravate,
- p.527 - vue 528/836
-
-
-
- 52S
- LE DEVOIR
- il la lança déchirée, à quelques pas de lui.
- Marguerite cachait son visage dans ses mains et ne répondait pas.
- — Parle... mais parle donc ! répétait le gracié.
- — Il le faut bien ! commença la pauvre femme d’une voix entrecoupée par les larmes. Tu sais dans quelle misère nous étions au moment de ton arrestation — trente sous par jour que tu gagnais comme garde national, c’était la famine ! — Après ton départ, ce fut pis encore, pas d’économies... pas d’ouvrage puisque tous nos voisins avaient quitté le pays ! J’étais parvenue à gagner quelques sous en vendant des journaux ; mais la maladie de l’enfant me força d’abandonner ce petit commerce.
- Tant que j’ai eu de l’espoir, j’ai eu du courage ; il me fallait si peu de chose pour vivre ? je recommencerais à travailler dès que Catherine serait guérie... et puis je pensais que tu te ferais aimer, là-bas, et que tu reviendrais bientôt; mais le malheur était sur nous I Quelques jours après celui où la pauvre enfant s’endormit pour toujours, je reçus le papier que tu viens de lire.
- — J’ai écrit, cependant depuis la date de ce papier !
- — Eh bien l rien ne m’est parvenu, c’est à n’y pas croire !
- — Je m’étais confié à des camarades qui tentaient l'aventure, ils auront péri dans la traversée.
- —• Brisée par le chagrin, je fis une longue maladie, c'était la fièvre typhoïde : les médecins pensaient que je n’en reviendrais pas. Ah ! pourquoi m’a-t-on guérie ?
- Pendant longtemps j’eus le cerveau malade, bien malade ; celui qui me soignait croyait que je resterais folle...
- —- Qui donc te soignait ?
- — Ton cousin Pierre î A force d’attentions, de bonté, il parvint à me ramener à la santé; la raison revint peu à peu. Un jour il me dit :
- « — Marguerite, vous savez que j’aimais votre mari comme un frère, si je ne vous avais soignée pour l’affection que j’ai pour vous, je l’aurais fait en souvenir du pauvre Antoine. Maintenant que vous voilà guérie, qu’allez-vous faire ?
- « — Je vendrai des journaux ou je me remettrai au balayage.
- « — Vous n’avez plus de force pour ces métiers-là. Croyez-moi, continua-t-il, il n’y a qu’une chose à faire : dites oui de confiance !
- « — Expliquez-vous ?
- « — Vous voilà veuve, sans enfants, sans fortune, parents, sans autre appui que moi! Voulez-vous être ma femme ? »
- — Et tu as consenti ?
- — Pouvais-je faire autrement ?
- — Tue-moi, si tu me trouves coupable ! s’écria la jeune femme en lui saisissant le bras.
- — Coupable! oh 1 non, ma pauvre enfant... il n’y a de coupable que l’exil ; mais je suis bien malheureux !
- <— Tu me pardonnes ?
- — Je n’ai pas à te pardonner!...
- — Qu’allons-nous faire?
- — Je trouverai bien un moyen d’arranger les choses... seulement, ça semble difficile au premier moment!... laisse-moi le temps d’y penser.
- Il se leva, mais il chancelait.
- — L’air est bien lourd ici, dit-il, je veux respirer au dehors... je vais sortir, la marche me calmera... embrasse-moi, Marguerite... adieu, je reviendrai bientôt.
- Il s'arrêta pendant quelques secondes dans un silence froid, profond... et comme assiégé par des pensées sinistres ; puis, résolument il se retourna :
- — Te rend-il toujours heureuse ? demanda-t-il d’une voix brève.
- — Toujours.
- Bien !... et sur ce mot il s’éloigna.
- La jeune femme n’osait le retenir. Elle craignait de voir en présence Antoine et Pierre.
- — Antoine qu’elle avait tant aimé, qu'elle aimait encore... Pierre, si généreux, si dévoué.
- Marguerite comprenait plus que jamais l’horreur de sa position. Antoine venait de se montrer, bien hon, bien juste ; mais ne cachait-il pas sa colère... ne méditait-il pas une vengeance ? et, n’eùt-il aucune arrière-pensée, comment résoudre une situation si compliquée ?
- 111
- Antoine, faisant appel à toute son énergie, descendit les pentes qui conduisent du côté de Paris. L’état de surexcitation où il se trouvait allégeait ses pas. Il marchait avec une grande vitesse. Il ne tarda pas à dépasser les fortifications. Il franchit l’avenue de la Grande-Armée et se dirigea vers la barrière de l’Etoile ; il voulait embrasser d’an coup d’œil ce Paris, si grand et si beau, oùil avait vécu ses années heureuses.
- La porte qui donne accès à l'Arc-de-Triomphe était ouverte ; il monta rapidement l’escalier.
- 11 regarda longtemps du côté de Passy... C’est là qu’il était né ; il apercevait l’école où il allait avec le cousin Pierre. Ah ! ce Pierre... s’il pouvait l’oublier !
- Il se tourna vers Montmartre .* Là, il avait combattu. .. là, on l’avait arrêté quand son parti avait succombé...
- Les Batignolies.. • il y allait en apprentissage : il y avait connu Marguerite... c’est là aussi qu’il s’était marié.
- Tournant un dernier regard vers Courbevoie, il vit dans le lointain le cimetière où dormait Catherine... et plus près, le coin isolé où s’élevait la maison maudite.
- Après ce retour sur son passé, Antoine s’assit. A ce moment, il était calme en apparence, mais il avait l’immobilité qui présage les grandes résolutions décisives. « La grâce est venue trop tard ! » se dit-il. Il jeta un coup d’œil autour de lui, il était seul et libre.
- Il se rapprocha du parapet, encore incertain peut-être?
- Une fois encore ses regards embrassèrent l’immense variété du panorama; l’éblouissement lui revenait... alors il se pencha, pris par cet attrait des gouffres qui saisit d’autant plus que rien ne rattache à la vie...
- Des passants, voyant un homme en danger, envoyèrent des agents en toute hâte ; mais lorsqu’ils eurent atteint le but de leur rapide ascension, la plate-forme était vide.
- Un rassemblement considérable s’était formé au pied du monument. On relevait un homme sans vie.
- Rien ne pouvait établir l’identité d’Antoine il fut conduit à la morgue, cette station lugubre des suicides inconnus. L. de la Madelène.
- Le Directeur-Gérant : GODIN SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place* 30.
- p.528 - vue 529/836
-
-
-
- 0e Année, Tonte 6. --- 11° 207. numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 27 Août 1882
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 îr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- 'W m' fl§B
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l'administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Le Catholicisme et le Socialisme. —* La Réforme orthographique. — Faits politiques et sociaux. \— L'organisation du Travail. — V Unité de la vie passée, présente et future. — Question de paix et d’arbitrage. — Pétition contre le Sacré-Cœur. —. Outrage à la France. — Ligue internationale de la Paix et de la Liberté. — Préfecture de VAisne. — France et Allemagne. — Variété.
- Le Catholicisme & le Socialisme
- I
- Bans la guerre acharnée que les catholiques ont déclarée à la République et à la démocratie, iis ont et recours à toutes les armes que l’arsenal romain Pouvait leur fournir, mais ces armes, émoussées par hn long usage et tout à,fait impuissantes contre un adversaire fortement cuirassé et à l’abri de leurs coups, n’ont pas servi à grand’ehose entre leurs ^ains, et force leur a été d’essayer d’apprendre à employer des armes plus modernes et plus efficaces. Convaincus pur l’expérience des siècles que c’est par
- le peuple, par la main-mise sur les masses ignorantes et partant dociles, que l’on étaye solidement sa domination, ils ont cherché d’abord à reconquérir la classe ouvrière, et ils ont fondé les cercles catholiques ouvriers, Là, réunissant le soir les travailleurs, iis espéraient les attirer à eux par toute sorte d’appeaux brillants et trompeurs, comme le chasseur attira l’alouette, pour s'en rendre maître et s’en nourrir. D’amélioration du sort de ces travailleurs? en leur facilitant les moyens d’existence et en augmentant leur bien-être, il n’est nullement question dans l’organisation de cercles catholiques ; ce que l’on recherche uniquement, c’est inculquer à ces hommes les idées catholiques, avec leurs préceptes d’un autre âge, leurs dogmes abracadabrants et leurs ineptes pratiques, pour les dominer plus complètement, et les faire servir à l'exercice plenier de la puissance cléricale. C’est ce que dans leur langage ils appellent la réforme chrétienne d’une population.
- Les cercles catholiques ouvriers n’ayant eu qu’un succès fort médiocre, on a essayé de liguer les capitaux contre la République, et il est sorti de cette magnifique idée la fameuse banque de l’Union, dont l’écroulement a provoqué la terrible crise pour laquelle on a emprunté un nom nouveau à la langue Autrichienne, le Krach, et qui a porté un coup mortel à la Compagnie des agents de change de Lyon, et de Paris aussi dans une certaine mesure, tout en ruinant quantité de familles bien pensantes au point de vue catholique.
- A peine remis de cette secousse violente, les catholiques anti-républicains cherchent à former une nouvelle coalition, celle du travail et de l’industrie.
- p.529 - vue 530/836
-
-
-
- 530
- LÉ DEVOIR
- Le travail, par une loi fatale de progrès, va s’émancipant chaque jour davantage, et grâce à l’exemple donné au Familistère de Guise, la solution du problème social par l’association du Capital et du Travail s’impose de plus en plus ; il est impossible à quiconque observe attentivement ce mouvement de ne point s’en rendre compte ; aussi les cléricaux, constatation faite du phénomène, ont-ils résolu de catholiciser le travail, et de reconstituer par ce moyen quelque chose d’analogue aux Jurandes et maîtrises du moyen-âge, par l’organisation de ce qu’ils nommeront les ateliers ehrétiens. Ne pouvant plus endiguer le torrent qui les emporterait infailliblement, ils voudraient le suivre et le maîtriser même, en profitant largement de sa poussée.
- C’est assez habile, comme conception, si cela laisse à désirer au point de vue pratique. Leur plan consiste à prendre des enfants en bas âge, à les nourrir* amplement de la saine doctrine, à les évangéliser afin qu’ils puissent évangéliser les autres à leur tour, et à en faire des contre-maîtres, des chefs d’atelier chrétiens avant tout. On tranformerait ainsi petit à petit l’usine en une vaste Jésuitière, remplie de religieux laïques, constituant une sorte de tiers-ordre comme il en existe dans la Société mondaine des catholiques.
- Ce plan n’est point un projet en l’air* une utopie irréalisable. Il existe quelque part aux environs de Reims, dans une localité appelée le Val des Bois une filature organisée sur ces bases, et constituée en corporation chrétienne. Tous les ouvriers en sont membres de quelque confrérie catholique, suivant leur âge, et l’on y voit des confrères du Sacré-Cœur, des confrères de Saint-Joseph, patrons des ouvriers, de Saint-François d’Assise, de Saint-Pierre, de Saint-Vincent de Paul, de Saint-Louis de Gonzague. Pour les femmes il y a les congrégations de Notre-Dame de l’Usine, de Sainte-Philomène, du Sacré-Cœur, des Saints-Anges Gardiens et d’autres peut-être encore dont les noms nous échappent.
- A propos de Notre-Dame de l’Usine, il paraît qu’un incendie éclata dans l’établissement le 13 septembre 1874, et que, contre toute attente, le fléau dévastateur s’arrêta à une statue de la Vierge adossée à la muraille du grand bâtiment incendié ^les dentelles en papier qui ornaient la console restèrent intactes. C’est en souvenir de ce fait, que, le 28 août 1875, lors de la bénédiction de l’usine relevée, une statue fut bénite sous le nom de N. D. de l’usine. « Placée avec honneur à la chapelle », dit M. Léon Harmel, à qui nous empruntons ces détails, « Elle est l’objet de la plus tendre dévotion. Mais on a tenu à ce que l’atelier fut protégé par sa présence, et la statue de I
- N. D. de l’Usine domine la grande salle des ateliers neufs. »
- Pour cette organisation éminemment utile, dont il a été fortement question au Congrès catholique récemment tenu à Autun, sous la présinence de l’évêque, l’argent est indispensable ,* aussi y a-t-on décidé la création d’une Caisse, qui sera alimentée par des banques populaires, surveillées et administrées par des conseils de paroisse. De plus, on fera entrer dans la coalition le plus possible de propriétaires d’immeubles dans les grandes villes manufacturières. Pour ceux-ci, le mot d’ordre sera d’exclure de leurs maisons toute personne suspecte de libre-pensée. De même que dans les ateliers on ne demandera plus : Êtes-vous mécanicien habile, ajusteur entendu, filateur expérimenté, mais bien : Êtes-vous bon catholique? Recevez-vous souvent les sacrements ? de même pour louer un appartement, on ne s’informera plus si le futur locataire est un homme rangé, tranquille et solvable, mais tout simplement : S’il fait régulièrement ses pâques, et s’il dit ses grâces à ses repas.
- Si le plan réussit, on ne tardera pas à avoir christianisé sérieusement les manufactures,. Comme dans l’Usine du Val des Bois, trois frères des écoles chrétiennes habiteront dans rétablissement, et auront charge des associations pieuses d’hommes et des classes pour les enfants; sept filles de la Charité se partageront les services de l’orphelinat, des congrégations de filles, de l’asile, des classes et de la surveillance de la maison. Les travailleurs y seront d’autant mieux vus qu’ils communieront plus souvent, et celui qui, dans les huit cents hosties qui y sont actuellement distribuées tous les mois, arriverait à compter personnellement pour autant de communions qu’il y a de journées, serait assurément le plus considéré, le plus choyé, le plus comblé de faveurs et de distinctions.
- Dans ces conditions, à l’usine en question, il y a des associations d’ouvriers pour se livrer ensemble et en commun à des pratiques religieuses parfaitement inutiles à tous les points de vue, mais d’association en vue de faire participer le travailleur aux bénéfices, et d’améliorer ainsi équitablement son sort, il n’en est même pas question.il y a des caisses de secours mutuels, comme dans toutes les grandes exploitations industrielles, mais uniquement alimentées par les cotisations de leurs membres, et peut-être par quelques dons facultatifs du chef de maison ; il y a une assurance contre les accidents contractée avec la compagnie « la Royale Belge » sur la base de la totalisation des salaires et appointements mensuels des personnes assurées, sur la-
- p.530 - vue 531/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 631
- quelle somme, la Compagnie prélève une prime de 1 fr. 80 par 1,000. Il y a aussi une caisse d’épargne scolaire.
- Si à ces indications, nous ajoutons que le chef de cet établissement qui serait certainement, en cas de succès de la coalition nouvellement formée, le modèle de toutes les usines christianisées, est ennemi des logements construits comme des casernes avec escaliers et corridors communs, qu’il a remplacés par des maisons isolées, indépendantes les unes des autres, avec des jardins y attenant, nous aurons exposé sommairement, mais d’une façon à peu près complète, le plan d’organisation sociale dos ennemis catholiques de la République.
- C’est là la mesure exacte de leur socialisme, et sa véritable portée. Eu égard à l’énormité des efforts que cette entreprise exigera, l’on peut affirmer hautement que le résultat en sera mince, et ce sera plus que jamais le cas de se rappeler la montagne en travail enfantant la souris de la fable. Avec une pareille organisation des ateliers, l’ouvrier, un peu plus abruti, apprendra peut-être à se résigner davantage à son sort toujours injustement malheureux, mais moralement et matériellement il n’y gagnera absolument rien. Il y perdra au contraire en élévation d’idées et de sentiments, en noblesse d’aspirations et en émulation féconde.
- Et l’on voudra bien remarquer que nous parlons de ces projets sans nous appesantir aucunement sur ce fait, que!la”plupart des œuvres si pompeusement désignées sous Ile nom d’œuvres de charité chrétienne n’ont de religieux que l’étiquette, et que ce que l’on se propose en réalité c’est de faire de la propagande dans la classe laborieuse, pour y trouver des électeurs qui; fassent sortir des urnes les noms des candidatsfchers à la politique du trône et de l’autel Qu’est-ce en effet que ces banques popu-aires ouvertes aux travailleurs chrétiens? Qu’est-ce que ces cercles catholiques ouvriers où l’on cherche à attirerp’ouvrier? sinon des moyens de développer l’influence du cléricalisme, en grossissant le nombre des malheureux enrôlés sous la bannière de la réaction monarchico-catholique.
- Heureusement pour la Société, ces entreprises anti-libérales et anti-sociales ne produisent que des effets insignifiants, et le rapport du secrétaire général des œuvres catholiques ouvrières au Congrès d’Autun nous apprend que, depuis un an, cette association a expédié 1,450 lettres et 7,500 documents ou livres de propagande, abondante semence qui a produit une maigre récolte de six cents adhérents!
- Pour quiconque réfléchit et observe, cela n’a rien
- le surprenant, carie temps n’est plus où l'ouvrier ignorant n’avait aucune notion de ses droits réels et de ses véritables intérêts, et où, par suite, il était une proie facile pour les loups cerviers de l’Inquisition catholique, et des faux philanthropes de toutes des sectes ou écoles.
- Quelques esprits bien intentionnés et plus pourvus de bon vouloir que de logique ont prétendu qu’il était possible de concilier les principes du catholicisme avec les réformes sociales aujourd'hui reconnues indispensables et inévitables. C’est une erreur considérable, que nous considérons comme un devoir de signaler et de combattre. Il est matériellement impossible à un véritable catholique dé faire du socialisme pratique où même d’admettre les principes du socialisme, sans abjurer complètement sa foi, sans renoncer pour jamais au catholicisme. Le point de départ de l’un est diamétralement opposé et contraire à celui de l’autre, ainsi qu’il est aisé de s’en convaincre par un examen consciencieux des deux doctrines. C’est à cet examen que nous voulons nous livrer.
- (A suivre).
- LA RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE (*)
- V
- « La seule objection qui ait pour nous un semblant de raison est la suivante : Si le mot écrit est l’exacte représentation du mot parlé, il y aura confusion inextricable entre les homonymes.
- « On peut répondre à cela .' 1° Qu’en Italie et en Espagne nulle confusion ne s’élève entre les homonymes, bien que ceux-ci aient une même orthographe; 2° Que chez nous-mêmes, la confusion ne se produit pas dans le langage parlé, où il semble qu’elle devrait le plus facilement avoir lieu. Quelle nécessité alors de faire pour l’œil ce qu’on ne fait pas pour l’oreille ? 3® Enfin nombre d’homonymes existent déjà, sans distinction aucune, en français comme en anglais. La France en compte environ 300. Du reste si quelque distinction était jugée nécessaire, un signe non phonétique pourrait être employé dans l’écriture, afin de spécifier le sens de l’un de ces mots.
- « Comme dernière considération qui peut avoir son intérêt à une époque où le grand problème semble être de produire le plus possible dans le plus court espace de temps, il est bon d’observer qu’avec | un parfait système phonétique un sixième environ
- (1) Voir le Devoir des 30 Juillet, 6, 13, et 20 Août 1882.
- p.531 - vue 532/836
-
-
-
- 532
- LE DEVOIR
- des lettres est supprimé. Quelle économie de temps pour l’écriture, l’imprimerie, la télégraphie, etc... !
- « L’art de relever la parole n’a point jusqu’ici beaucoup progressé. Nous n’écrivons guère plus vite que ne le faisaient nos aïeux, bien que nous ayons opéré d’immenses progrès dans les autres branches de connaissances. Avec l’orthographe phonétique, l’écrivain ferait en cinq jours le travail qu’il accomplit aujourd’hui en six. Sur trente ans, ce serait une économie de cinq ans de travail. Avec ce système, enfin, il y aurait un volume de moins sur six dans les rayons encombrés de nos bibliothèques. »
- Depuis la publication de l’ouvrage dont nous venons de donner des extraits, M. Pagliardini n’a point cessé de travailler pour la Réforme orthographique.
- L’association qui s’est formée à Londres pour la défense de cette idée, comme nous l’avons dit au début de cette étude, s’est réunie en assemblée générale le 24 janvier dernier. Dans cette assemblée, M. Pagliardini se signala de nouveau par un discours dont nous extrayons les passages suivants :
- « La question principale qui se pose à nous est celle-ci :
- « Etant donnée la quantité de dialectes et la diversité des prononciations, est-il possible de réaliser un système phonétique d’orthographe qui soit la représentation stricte de la parole ?
- « Au seul point de vue de la théorie, je répondrais par l’affirmative. Mais quand la théorie s’appuie sur la pratique, on est plus fort encore pour répondre à toutes les objections.
- « Deux nations, l’Italie et l’Espagne, qui jouissaient d’une littérature riche et variée alors que la France' et l’Angleterre en étaient à peine à l’étude de leurs propres alphabets, ont depuis longtemps résolu le problème d’une façon satisfaisante.
- « Cependant l’Italie et l’Espagne, contiennent des provinces où existent des dialectes essentiellement différents de la langue nationale. Car, ces provinces ont pendant des générations constitué des Etats indépendants, quelques-uns pourvus de villes capitales et de cours qui devenaient même des centres d’arts et de sciences.
- « En conséquence, les dialectes locaux atteignaient un degré de culture qui leur infusaient une vitalité particulière. Néanmoins la langue nationale a continué d’être orthographiée phonétiquement, d’une façon presque absolue et les oeuvres, poésie ou prose, écrites dans les divers dialectes, sont de leur côté reproduites phonétiquement, autant que le permet l’inçomplet alphabet romain. Par l’addition
- de très-peu de nouvelles lettres, tous les dialectes écrits, depuis le Piémont jusqu’à Venise et la Sicile seraient rendus parfaitement phonétiques.
- « Mais, dira-t-on, avec un système parfait d’orthographe phonétique, il n’est pas moins difficile, que toutes les provinces d’un même pays donnent une même prononciation à un même signe, quand on voit attribuer aujourd’hui tant de sons différents à de mêmes lettres. Nous répondons que cette difficulté devrait être vaincue dans les écoles par des professeurs bien préparés, qui enseigneraient à l’élève le nom exact de chaque lettre, de sorte que la vue du signe alphabétique éveillerait toujours un son spécial, comme la vue des deux plus communs animaux domestiqués suggère, les sons : chien, chat.
- « Quant aux adultes pour qui seuls la difficulté est sérieuse, et qu’il n’est du reste pas obligatoire d’initier au nouveau système, une série de mots connus contenant les sons attachés à chaque lettre, suffirait à leur initiation.
- « Une autre objection faite au système est celle-ci :
- « Le langage parlé, se modifiant sans cesse, comment fera-t-on pour que l’orthographe en soit toujours la représentation phonétique exacte ?
- « C’est encore l’Italie qui nous fournira la réponse. Depuis environ 500 ans, l’italien est à peu près phonétiquement orthographié. La langue parlée a subi certainement des modifications durant ces cinq siècles, mais beaucoup moins que l’anglais et le français dans le même laps de temps, peut être justement à cause de ce fait que son orthographe est phonétique.
- « Ces modifications graduelles de certains mots ont été généralement accompagnées de modifications orthographiques, et, celles-ci s’accomplissant suivant les principes admis, nulle ambiguïté n’en résultait.
- « Des milliers de mots nouveaux depuis la Révolution française, ont été empruntés par l’Italie aux langues française et anglaise ; mais immédiatement ces mots étaient italianisés dans leurs formes et, en conséquence, prononcés correctement par tous les Italiens qui parlent ou écrivent la langue nationale. Ainsi les mots français : début., coupé, solidarité ont été adoptés sous une forme qui ne prête à aucune méprise, soit : débutto, cupé, soliderata.
- « Et les mots anglais : wagon, tender, tunnel grain, « run off the rails » ont été italianisés comme suit : vagone, tender, tunnel, treno, diragliare, de sorte que si le Tasse ou Machiavel revenaient en ce monde, ils pourraient demander ce que signifient ces bar-
- p.532 - vue 533/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 533
- barismes, mais ils les prononceraient correctement à première vue.
- « Cette perfection ne sera jamais atteinte par l’anglais actuel qui comprend 40 sons et ne dispose que de 23 lettres effectives empruntées à Rome.
- « Je conclurai par une seule observation.
- « Pourquoi ne pas imiter les anciens Grecs qui, ayant emprunté un alphabet étranger et trouvant cet alphabet insuffisant pour leur langue, n’hésitèrent pas à l’enrichir de nouvelles lettres nécessaires ?
- « L'introduction d’un alphabet complet représentant tous les sons possibles, peut être une difficulté; mais il en a été de même de toutes les innovations. Ce qui est difficile n’est point impossible et ne doit pas faire reculer les véritables amis du progrès. »
- Avant d’abandonner la question signalons une idée pratique proposée à M. Pagliardini par le fondateur du Familistère :
- « Il me semble » dit M. Godin, « qu’une invention est à faire pour que la réforme orthographique, telle que vous la proposez, soit bientôt acceptée par toutes les nations civilisées. Cette invention consisterait à perfectionner le phonographe, de façon à en faire un instrument donnant avec netteté et pureté tous les sons émis par la voix humaine. On aurait là une sorte de diapason, un guide invariable de la prononciation universelle. Ainsi disparaîtraient les difficultés réelles qu’on éprouvera pour donner en tous pays une même prononciation aux signes adoptés. »
- FIN
- ————
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- IL» politique «le AE. «le I3»! «mardi. — L’abstenu ou de la France et l'inertie de la Turquie, en rendant à l’Angleterre la liberté qu’elle attendait, ont, du même coup, profondément modifié toutes les données de la politique de M. de Bismarck. L’heureux chancelier est à la veille de voir échouer les combinaisons qu’il avait formées en vue de l’extension de l’influence allemande dans la Méditerranée et surtout en Orient. Il avait rêvé de rejeter l’empire ottoman en Asie et en Afrique et de l’y constituer vigoureusement, afin d’avoir un allié de plus contre la Russie et 3a Frauce. Pour atteindre ce but il fallait détruire l’œuvre de Méhémet-Ali, rendre l’Egypte aux Turcs, et rétablir le khalifat de Bagdad, du Bosphore au golfe de Gabôs. Pour cette œuvre, l’Allemagne avait le concours assuré de l’Autriche, de l’Italie et de la Russie. L’Autriche ne pouvait qu’approuver une politique qui lui ouvrait la route de Salo-nique. L’Italie, par jalousie contre la France, la Russie pour contenir l’Angleterre en Orient, étaient disposées à livrer l’Egypte à la Turquie. Le ministère Gladstone lui-même était, au début, favorable à une intervention turque, à la condition que cette intervention fût temporaire et ne travaillât qu’à consolider le contrôle britannique. L’Angleterre y voyait une diminution d’influence our la France en Orient, et comme elle estime que ous sommes payés par la-Tunisie, elle pensait que la urquie, réinstallée au Caire, un protectorat anglo-turc
- substituerait sans lutte au protectorat anglo-français*
- Ces dispositions de l’Angleterre étaient même la meilleure carte du jeu de M. de Bismarck. La répugnance des hommes d’Etat anglais pour une action commune avec la France le garantissait contre une intervention anglo-française, et il savait d’autre part qu’il n’avait pas à redouter une intervention isolée de la France, puissance continentale, aux frontières ouvertes, et en conséquence obligée à la prudence.
- Le refus définitif de la France de participer à une action commune sans mandat de l’Europe a renversé tout ce pot au lait. L’Angleterre, débarrassée de son allié, seul obstacle qui retardait son ambition, a mis le camp sur Alexandrie et ne s’arrêtera évidemment qu’au Caire. M. de Bismarck n’avait point prévu ce coup. Puissant contre la France, il est absolument désarmé contre nos voisins insulaires, etil se voit maintenant dans la situation la plus singulière du monde. Depuis six mois, toute sa diplomatie s’est usée à relever le fantôme turc, il a convoqué toute l’Europe à cette besogne impossible, et aujourd’hui son fantôme ballotte inerte dans ses bras, incapable de vivre et d’étendre la main vers cette riche Egypte qu’on lui offre. L’Angleterre s’apprête à faire du khédive un nouveau rajah et l’Allemagne non seulement ne peut rien contre ce projet, mais elle est obligée d’applaudir pour cacher sa défaite sous une apparence de désintéressement généreux. Elle applaudit à la ruine de cet empire ottoman qu’elle avait rêvé de transformer en forteresse contre la France et la Russie. Elle applaudit à la destruction de ce concert européen, sur lequel elle avait formé tant d’espérances, et qui se disperse aux quatre coins du vieux continent. La Russie s’isole en regardant du côté de l’Asie Mineure, et en se demandant si elle ne répondra pas à l’occupation de l’Egypte par l’occupation de l’Arménie turque et de l’Anatolie. L’Italie se rapprocherait volontiers de la France et de l’Angleterre si on lui laissait prendre une partie de cette Tripolitaine qu’elle trouvait « trop verte » il y a deux ans. Quant à la France, pourquoi blâmerait-elle l’Angleterre d’accomplir une mission à laquelle elle a renoncé ? Si elle a des intérêts à défendre sur les bords du Nil, elle préfère certainement avoir à traiter avec M. Gladstone et les diplomates anglais qu’avec Abd-ul-Hamid et ses protecteurs allemands.
- Quelle sera la fin de cette aventure?Il n’est encore au pouvoir de personne de le dire, mais, à l’heure qu’il est, deux résultats semblent cependant acquis : la puissance ottomane est pour longtemps détruite en Afrique, ce dont la France n’a qu’à se louer; la coalition des quatre uissances formée par les mains de M. de Bismarck est
- peu près dissoute, ce dont la France ne saurait se plaindre.
- XJ n attentat contre la civilisation. —
- Pendant que la Turquie en est encore à débattre les termes de ia convention militaire qui doit régler l’action commune de ses troupes et des troupes anglaises, les Anglais autorisés par le Khédive occupent militairement le canal do Suez, et croisent dans les eaux égyptiennes pour empêcher le débarquement des troupes turques, aussi longtemps que le Sultan n’aura point formellement accepté les conditions sous lesquelles l’Angleterre admet le concours de ces troupes.
- Bien plus, au mépris des lois les plus élémentaires du droit international, ils ont interdit l’accès du canal à tous les navires grands et petits, menaçant d’employer même la force contre eux, si l’on contrevenait à leurs ordres. Plus que jamais la force prime le droit chez les nations soi-disant civilisées.
- La neutralité du canal est donc violée, le eanal devient le théâtre, et peut-être l’instrument d’une guerre. M. de Lesseps fait noblement son devoir, il proteste, et il s’est trouvé un journal anglais pour proposer d’enlever cet importun dangereux et de le renvoyer à Marseille par le premier paquebot. Personne encore n’a fait remarquer que c’est probablement à l’énergie, à l'activité, au dévouement, à l’influence de cet importun que l’on doit qu’Arabi et ses Bédouins n’aient point détruit le canal avant que les Anglais Paient occupé.
- p.533 - vue 534/836
-
-
-
- 534
- LE DEVOIR
- A va toi déclaré retoelle. — Voici le texte de la proclamation turque déclarant Arabi-Bey rebelle, telle qu’elle a été soumise par la Porte à lord Dufferin :
- Vous savez tous qu’il a plu à S. M. I. le sultan de conférer la vice-royauté d’Egypte à S. A, Méhémed Tewfik-Paeha, selon les privilèges garantis par les fir-mans impériaux ; vous savez que S. A, étant le représentant direct de l’autorité impériale dans l’adminis- j tration des affaires égyptiennes il faut que ses ordres j soient obéis. !
- Tout acte tendant à se soustraire à ces ordres entraîne ‘ une lourde responsabilité; or, Arabi-Bey, contraire- j ment aux dispositions explicites de la loi civile et sa- j crée, a attaqué criminellement les prérogatives et les ! attributions de l’administration, provoqué l’intervention ; étrangère, ébranlé le crédit du pays et fait des prépara- 5 tifs militaires en présence des vaisseaux de guerre de ; S. M. britannique, qui est un ancien ami de l’empire. I
- I! a osé désobéir à l’ordre de notre souverain enjoi- \ gnant de cesser les susdits préparatifs ; il a osé assiéger | à deux reprises la résidence de S. A. le khédive, et persisté dans ses actes sans écouter les sages admonestations qui lui ont été données, conformément à la loi sacrée et aux nécessités de la situation, par une commission impériale envoyée sur les lieux et composée de LL. EE, Derwisch-Pacha, Lebib-Effendi, Ahmed Essad-Efîendi et Kadu-Efïendi.
- En même temps, Arabi, en constituant de sa propre autorité une administration en Egypte, s’est déclaré ennemi des autorités locales légalement constituées et a violé les principes du pays concernant les étrangers, principes qui sont au nombre des attributions du gouvernement impérial ottoman (sic).
- Il a eu la présomption de faire opposition avec ses attributions élevées et a ainsi troublé le peuple égyptien ainsi qu’un certain nombre de personnes qui ignorent la véritable situation des choses.
- Considérant que S. A. le khédive est un des plus hauts dignitaires de l’Empire et qu’il jouit de la confiance de S. M. impériale, il est indispensable de maintenir intacts son rang et son prestige, et de défendre son autorité, ainsi que ses privilèges, dont il a été investi par les stipulations des firmans impériaux.
- Cependant, malgré les crimes énumérés ci-dessus, crimes qui sont de nature à attirer sur sa personne les châtiments les plus sévères et qui constituent la violation flagrante de la volonté impériale du sultan, dès qu’Arabi-Bey en eut appelé au khédive et imploré par l’entreprise de S. A. le pardon et la clémence de S. M. impériale, témoignant en môme temps de son repentir et de sa loyauté apparente, il fut l’objet de nombreuses faveurs; bientôt après, cependant, il avait de nouveau oublié ces faveurs, persistant dans sa conduite répréhensible et illégale, soulevant l’étendard de la révolte.
- En conséquence, Arabi-Bey est considéré comme rebelle aux yeux du gouvernement impérial.
- A cette occasion, il est utile de faire savoir à tout le monde que le gouvernement est résolu et tient à cœur de maintenir l’influence et les privilèges de S. A. le khédive.
- La présente proclamation impériale a été rédigée en conséquence, afin que tout le monde se soumette à ce décret suprême.
- ¥ *
- On n’a peut-être point remarqué qu’au risque de déroger quelque peu à la doctrine de Monroë, des navires américains ont paru, et sont encore dans les eaux d’Alexandrie, de Port-Saïd et de Suez, où ils sont venus, c’était leur droit et leur devoir, protéger leurs consuls et leurs nationaux. Pourquoi donc les Américains ne prendraient-ils point leur part de droits et de charges dans l’organisation de la neutralité du canal? La sécurité et la liberté du canal ne seront vraiment assurées, et mises comme elles doivent l'être hors de toute chance de guerre, que lorsque sa neutralisation, étant positivement garantie par tous les peuples civilisés, quiconque la violera sera réputé forban et pirate. Le dernier protocole de la Conférence constate que toutes les puissances
- ont en principe reconnu la nécessité d’une protection collective, c’est un germe précieux qu’il faut cultiver.
- ANGLETERRE
- Bien que M. de Salisbury ait sagement retiré son amendement, et que le biîl des arrérages, légèrement modifié, ait été voté par les Lords à une grande majorité, les choses d’Irlande ne sont peut-être pas aussi prospères que M. Gladstone l’annonçait il y a huit jours à Mansion-bouse. La police a cessé de vouloir faire grève, mais on a découvert une nouvelle société secrète. Cependant l’exposition de Dublin s’est ouverte, et la statue du grand agitateur O’Gonnel a été inaugurée cette semaine sans qu’aucun trouble se soit produit.
- M. Gray, ancien maire de Dublin, membre du parlement pour le comté de Carlow et l’un des home-rulers les plus en vue de l’Irlande, a été conduit à la prison entre deux escouades de hussards qui avaient mis le sabre au clair.
- M. Gray remplit à Dublin les fonctions de haut-sheriff dans la capitale de l’Irlande.
- Le juge Lawson avait condamné le magistrat municipal à six mois de prison pour un article qu’il avait publié dans le journal le Freeman.
- L’article incriminé accusait un jury irlandais de s’ètre livré à l’ivrognerie et d’avoir, étant en état d’ébriété, condamné nu malheureux à la peine capitale. Que des Irlandais soient surpris en état d’ivresse, il n’y a U rien que de naturel; mais le directeur du Freeman, que sa qualité de membre du parlement devrait garantir, a commis, en dénonçant le fait, le crime de manquer au respect dû à une co*ur de justice.
- De 1 à vient son incarcération, qui s’est faite avec un éclat inaccoutumé même à Dublin, où l’on a vu depuis un an tant d’étranges emprisonnements. Le fait pourrait exciter les esprits prompts à s’échauffer ; mais, le public irlandais a bien pris la chose, parce que le début de l’affaire avait son côté comique dans l’ébriété du jury trouvé en faute par M. Gray, qui avait dénoncé le fait comme c’était son devoir de le faire.
- Les attentats agraires se multiplient de nouveau depuis quelques jours. La Pall Mali Gazette annonce qu’un fermier de Pomeroy, nommé Daly, a reçu mardi un coup de fusil en rentrant de Donaghwore, et est dans un état désespéré. Un individu nommé Watt, suspecté d'être l’auteur de cet attentat, a été arrêté. Le même jour, trois coups de fusil ont été tirés sur un maréchal-ferrant boycotté, de Beenaskey, nommé Hallassy, pendant qu'il se rendait à la masse à Killavillip. Le lord-lieutenant a ordonné hier la mise en liberté des cinquante suspects arrêtés à Langhrea et dans les environs après l’assassinat de M. Blake agent de lord Clanri-carde.
- Au moment même où avait lieu cet élargissement, considéré comme un acte de conciliation, on apprenait à Dublin la nouvelle d’un crime agraire plus épouvantable que tous ceux dont il a été question jusqu’ici.
- Une famille entière, comprenant le père, la mère, une fille et la grand’mère, a été assassinée avant-hier soir à coups de fusil, à Mullaghadruma, comté de Mayo, par des membres de la Ligue agraire. Deux domestiques ont été également blessés.
- D’après un document parlementaire, le nombre des personnes qui, le 31 juillet, étaient emprisonnées en Irlande en vertu de la loi de coercition s’élevait à 170, dont suspectes d’assassinats ou de tentatives d’assassinat; les autres sont accusées d’excitation au meurtre, de coups et blessures, de réunions illégales, de menaces par lettres et affiches, d intimidation'ou d’incendie volontaire.
- ITALIE
- On écrit de Rome aux Etats-Unis d'Europe :
- On a passé en revue tous les forts de nos côtes maritimes et oo a mis en place des canons partout où le besoin s’en fait sentir : les torts qui barrent les Alpes
- p.534 - vue 535/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 635
- sont garnis et prêts à repousser les attaques du dehors ; les compagnies « Alpines » sont sur le pied de guerre; dans les chantiers et les arsenaux on travaille'activement à fabriquer des armes et des munitions. A la Spezia, à Venise, à Gênes, les ouvriers appelés de tous les côtés suffisent à peine à la besogne ; la flotte est armée et les vapeurs prêts à chauffer; l’armée de terre elle aussi est prête à marcher... comme si nous étions à la veille d’une guerre. Et pourtant chacun se demande pourquoi ce déploiement d’armes et d’armées? Pourquoi gaspiller les millions à des préparatifs militaires qui n’ont peut-être d’autre but que de « faire parade de puissance >> — comme fît autrefois l’Espagne — pour faire voir à l’Allemagne que l’Italie est digne d’être admise dans le concert des puissances germaniques ? Pourquoi eacore cette alliance avec les ennemis de la liberté et du progrès? Parce que les meneurs de la politique italienne nous ont gratifié d’une dynastie qui ne rêve qu’au retour du bon vieux temps où « l’Etat c’était le roi. »
- Temps perdu que de répéter à ces sourds volontaires qu’il y a une besogne plus urgente à faire, celle de pourvoir à la situation horrible de la Sardaigne dévorée par la disette et la famine- Le correspondant sarde de la Gazietta piemont? se et un collaborateur envoyé exprès par M. Rourd, directeur de ce journal, nous font des peintures navrantes de la misère qui règne dans l’île.
- Il y a bientôt deux ans qu’il n’est point tombé de pluie en Sardaigne, les récoltes y sont perdues, les pâturages grillés, les arbres desséchés, le bétail abattg faute de fourrage et les pauvres gens manquent des choses les plus indispensables, offrant le spectacle lamentable d’un peuple affamé qui fait appel à la pitié d’un gouvernement insensible et sourd. Ce ne sont pas les feuilles républicaines qui exagèrent, ce sont les feuilles ministérielles qui contiennent le récit écœurant de la misère affreuse qui règne dans cette généreuse Sardaigne si mal récompensée, lors ds la première révolution, d’avoir sauvé la dynastie d’un naufrage inévitable.
- Les Sardes sont bien revenus aujourd’hui de leur idolâtrie pom la maison de Savoie, qui n’a pas même aimé^ le pays d’ou elle est issue, puisqu’elle Fa vendu avec ses habitants, jadis ses meilleurs défenseurs.
- On craint une révolte dans l île, et pour tout secours aux affamés on leur envoie des soldats. Les paysans de la vallée de Pô qui avaient tait grève et réclamaient un peu plus de pain pour le travail excessif qu’on exige d’eux, ont été garottés, emprisonnés et dernièrement condamnés à faire des années et des mois d'emprisonnement. Malheur à ceux qui nous ont légué la monarchie, s’ils vivent assez longtemps pour voir le jour où le peuple italien reprendra sa liberté.
- *
- * *
- Une loi violée. *— Un de nos correspondants nous signalait dernièrement tout ce qu’avait de ridicule la distribution de prix d’instruction religieuse, dans les lycées et collèges, en notre temps de laïcisation générale. Au moins dans le cas signalé, il s’agissait d’un collège, la légalité était-elle respectée ? Mais que penser de la violation de la loi si formelle sur l’instruction primaire laïque, violation dont la responsabilité remonte jusqu’au ministre de la marine, Faudra! Jauriguiberry.
- M. Jauréguiberry qui a pour devoir strict de faire exécuter les lois, oublie que les écoles de la marine sont et doivent Ure neutres.
- Il n’en paraît guère, ainsi, qu’on peut le voir par le compte-rendu de la distribution' des prix à bord de F Austerlitz, vaisseau-école des mousses.
- L’instruction religieuse tient la place d’honneur dans celte distribution ; six prix et six accessits ont été décernés.
- Si les ministres traitent ainsi les lois qu’eux-mêmes ont fait adopter par le parlement, à qui faudra-t-il s’adresser pour les faire respecter ?
- *
- ¥ *
- jBéraïsKtte. — Il y a trois jours, le train rapide de
- la ligne du Gothard arrivait à toute vitesse prêt à s’engouffrer dans la gueule béante du Tunnel. Au même instant, un rocher se détache de la montagne, roule, bondit, tombe à demi sur la voie. Le garde-ligne accourt, mais que faire ? A tout hasard il plante son drapeau, signal d’arrêt, se jette sur l’énorme pierre et se glisse entre les rails pour la soulever, elle est bien lourde, trop lourde pour les forces d’un homme ; le mécanicien a bien vu le drapeau, l’homme et le rocher, il siffle, il renverse la vapeur, mais le train lancé avance, avance toujours. Des pieds, des mains, des reins, le pauvre garde-ligne s’arcboute, d ux fois ii soulève la pierre, deux fois elle retombe... Enfin par un effort suprême il la rejette hors du rail, et le train passe comme un éclair. Point d’accident ! Une catastrophe énorme est évitée ! mais du sang rougit la voie, des lambeaux de vêtements et de chair,
- des morceaux de cervelle retient attachés au rail.le
- train est sauvé, mais le sauveur est écrasé ? Qui nourrira sa femme et ses enfants ?
- ALLEMAGNE
- L’approche des élections réveille en Allemagne les passions anti-sémitiques. Le pasteur de la cour, M. Stœc-ker, reprend ses prédications furibondes. La brouille renaît aussi entre ie Vatican et FEtat. L’évêque de Bres-lau, ceiui-là même qui fut reçu ii y a quelques semaines avec tant d’honneurs, ayant rappelé à sou clergé les dispositions canoniques qui interdisent à tout prêtre d'exercer le saint ministère sans avoir été agréé par le pape, et ce, à peine d’excommunication, un curé nommé Storga a publiquement répondu au mandement de Fé-vêque en l’invitant à désavouer ses paroles, faute de quoi il le déférerait aux tribunaux devant lesquels les lois de mai qui ne sont pas encore abrogées rendent la condamnation certaine. Un symptôme plus grave, c’est la vigueur avec laquelle pour la première fois le peuple de Berlin a sérieusement repoussé la police qui voulait empêcher l’ovation faite à dix ouvriers socialistes expulsés en vertu de l’état de siège.
- &
- - * *
- Plusieurs journaux allemands annoncent que le nouveau Landtag, dont les membres seront élus au mois d’octobre, ne sera pas convoqué dans le courant de cette année.
- Le Reichsbote recommande vivement, en vue des prochaines élections, l’union des conservateurs avec le centre, sur les bases du programme électoral suivant :
- Maintien des prérogatives royales ; maintien du caractère chrétien de FEtat dans la société, l’école, dans la famille (abolition du mariage civil, exil des juifs) ;
- Fin du Kulturkampf par la révision des lois de mai ;
- Acceptation des réformes économiques proposées par l’Etat ;
- Protection de la classe ouvrière et agricole ;
- Réforme du crédit agricole;
- Abolition du colportage et du commerce à domicile (concernant le bétail, les objets manufacturés, Feau-de-vie, etc.) ;
- Réunion des métiers en corporations ;
- Etablissement de nouveaux canaux et voies d’intérêt local ;
- Protection du travail et des productions nationales ;
- Abolition du travail le dimanche,
- La Gazette de VAllemagne du Nord reproduit ce programme sans commentaires.
- RUSSIE
- Les manifestations anti-allemandes sont actuellement à Fordre du jour en Russie. Le fait suivant prouve que les idées du général Skobeleff sont partagées par une grande partie de la population de ce pays.
- Aux concerts qui ont eu lieu à Saint-Pétersbourg dans le jardin d’été impérial, le public réclame tous les
- p.535 - vue 536/836
-
-
-
- 536
- LE DEVOIR
- soirs et bisse toujours un morceau de musique intitulé : la Marche de Sholeleff, qu’il affectionne particulièrement.
- Un de ces derniers soirs, le chef d'orchestre, qui est Allemand, a refusé de jouer le morceau une seconde fois, malgré les instances du public. Un tumulte indescriptible s’en est suivi. Les musiciens ont été hués et le cri de : « A bas les Allemands ! » a retenti de tous côtés.
- Dans son désir de rétablir l’ordre, la police a fait éteindre toutes les lumières électriques qui éclairaient le jardin. Cette mesure n’a fait qu’augmenter la confusion. Le public a profité de l’obscurité pour attaquer les Allemands qui se trouvaient dans le jardin et des rixes violentes ont eu lieu. Quoique la police ait fait quelques arrestations, la population allemande de Sâint-Pétersbourg a été cependant fort impressionnée par cet incident.
- L'organisation du Travail
- On lit dans la North American Review :
- C’est chose difficile pour deux hommes occupant des positions différentes et se mouvant dans des sphères séparées de la vie, de voir les choses du même œii et de concevoir la même opinion de leur valeur. Il n’est donc nullement surprenant qu’il y ait des opinions si contradictoires au sujet des conditions actuelles du capital et du travail. Celle du plus grand nombre, sincère sans doute, est que les hommes et les femmes qui travaillent ne le font point sans protester, et qu’ils n’attendent que l’occasion de prendre à la gorge ceux qui les emploient, pour les dépouiller de tout ce qu’ils possèdent. D’autre part, le travailleur considère souvent son patron comme un ennemi qui lui accorde strictement de quoi vivre, afin de pouvoir tirer profit de son travail.
- Ces deux opinions sont admises aujourd’hui par bien des gens; elles sont le résultat du procédé adopté actuellement pour régler les différends entre le capital et le travail. Quelques esprits éclairés soutiennent que les intérêts du capital et ceux du travail sont identiques ; mais il est évident que la majorité des intéressés n’est point de cet avis, car sans cela les opinions analysées plus haut ne prévaudraient pas comme elles le font. Ce que l’on envisage comme une lutte entre le capital et le travail n’est pas autre chose qu’un manque de confiance réciproque. Si chacun des deux intéressés se donnait la peine de réfléchir sérieusement à la condition ou au bien-être de l’autre, les deux tiers des griefs que l’on entend constamment formuler cesseraient d’exister.
- Tant que l’un paiera le moins possible pour acheter le travail de l’autre, et tant que celui qui vend son travail en voudra obtenir le plus haut prix possible, ce sera entreprendre une tache difficile que de vouloir les convaincre de l’identité absolue de leurs
- intérêts; car en examinant la question à ce point de vue, ces intérêts ne sont point en effet identiques. Les hommes ayant un capital, le produit du travail à placer, forment entre eux des sociétés, et consolident leur argent de façon à tirer le plus de profit possible de leur placement. Il croit que dans l’union gît la force, et qu’en les combinant ensemble, ils arrivent à mieux, protéger leurs intérêts.
- Les travailleurs prenant cette conduite des capitalistes pour modèle de la leur, forment entre eux des associations pour tirer le plus de profit possible du placement de leur capital à eux, qui est le travail.
- Mais le capital des premiers est la création de l’homme, tandis que celui des seconds est la création de Dieu, et, par conséquent, il a droit à plus de respect et de considération que l’autre, puisque le capital n’existerait pas si le travail ne l’avait créé.
- Or le travail s’est jusqu’à présent trouvé placé en seconde ligne dans l’estime des hommes, comme chose secondaire, si bien que pour lui faire reprendre son rang et lui rendre toute sa valeur, les travailleurs ont dû se grouper et former diverses associa-rions, sous dès noms différents pour exploiter en commun leur industrie. L’histoire des trade-unions nous ferait remonter trop haut, et nous entraînerait au-delà des limites de cette étude. Ce que nous voulons examiner c’est leur but et leur système d’organisation.
- Le but des trade-unions est de protéger ses membres contre l’exploitation d’injustes et cupides patrons. Pris individuellement, les travailleurs sont faibles et lorsque chacun reste isolé, il poursuit sa carrière tristement, sans rien accomplir d’utile pour lui-même ou pour ses collègues; mais,si unis ensemble par les liens de la confraternité, ils joignent leurs efforts, ils deviennent forts comme le câble dont chaque filament, quoique faible et insignifiant par lui-même, acquiert par son entrelacement avec les filaments voisins une puissance qui lui permet de soulever des poids ou de produire des forces énormes.
- Chacune de ces associations a pu imposer ses règlements pour le travail des enfants, le taux des salaires, le nombre d'heures de travail, et enfin pour l’institution des caisses de secours ou d’assurance contre la maladie, les accidents ou le chômage. Mais la rapide introduction dans les manufactures des machines qui économisent la main-d’œuvre, et la division du travail en spécialités, résultant de l’énorme extension donnée aux grands établissements industriels, ont souvent jeté la perturbation dans les conditions du travail, et rendu plus difficile l’emploi de certaines professions de travailleurs. Plus souvent encore ces innovations ont eu pour résultat un
- p.536 - vue 537/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 537
- abaissement des salaires, et dans ces circonstances, jusqu’à présent les travailleurs avaient recours à la grève. Or tandis que chaque trade-union ne regardait pas au-delà de son enceinte et ne songeait nullement à s'allier avec d’autres pour parer aux éventualités de ce genre créées par la loi de l’offre et de la demande, les patrons plus avisés s’étaient entendus ensemble, et lorsqu’éclatait la grève, ils savaient comment y remédier. Tandis que les grévistes discutaient sur les meilleurs moyens à adopter pour soutenir la grève, les patrons s’occupaient de faire voter des lois restrictives de la liberté des grèves et les punissant comme un délit. De là toutes ces dispositions législatives qui fourmillent dans les constitutions des Etats, et qui toutes sont prises en faveur du capital, quelques-unes inspirées uniquement par la pensée de prévenir les grèves, mais dont pas une ne s’est préoccupé de parer aux causes qui produisent les grèves.
- Si l’Etat a le droit d'édicter des lois pour la protection du capital du riche, il a certainement aussi celui d’en promulguer pour protéger la source de tout capital, le travail. Or, dans leur empressement à complaire aux capitalistes, nos législateurs leur ont quelquefois fait du tort autant qu’au travail. Ainsi il est des dispositions légales qui frappent sévèrement les mécaniciens ou chauffeurs des chemins de fer de Pensylvanie, qui se mettant en grève, peuvent arrêter le service des trains, mais qui ne prévoient point le cas où cette interruption de service serait le résultat de quelque négligence ou de quelque mauvais vouloir de la Compagnie elle-même, quoique dans ce cas le préjudice doive être le même pour le public.
- En réalité la grève ne peut rien modifier au système d’apprentissage, aux injustices techniques et aux délais dans l’administration de la justice, aux effets de la loi de l’offre et de la demande, car si elle coupe dans leur racine les éléments de l’offre, elle affaiblit également ceux de la demande, en empêchant les gens sans emploi de consommer faute de ressources. Une grève ne peut pas abroger les lois injustes, et si elle peut arriver à provoquer une augmentation de salaire, c’est une victoire éphémère, car à la première occasion elle ne manquera pas d’être suivie d’une réduction nouvelle. La grève ne peut donc produire aucun bien durable.
- La cause des nombreux démêlés entre le capital et le travail réside toute entière dans le système actuel des salaires. Otez le travail, et le capital ne pourra plus exister. Si vous enlevez le capital ou une partie du capital, le travail pourra en créer d’autres ; le
- travail n’est donc pas, par conséquent, aussi dépendant du capital que celui-ci l’est du travail. Il n’est pas un homme sensé qui consentit à placer son argent dans une entreprise, s’il n’avait point la certitude qu’il pourra employer le travail à faire marcher ses affaires. Ils sont donc forcés de marcher ensemble, et ils doivent par conséquent former entre eux une association, dans laquelle l’un apporte son argent, et l’autre son intelligence et ses bras.
- Si le travailleur était admis dans le conseil des patrons, et s’il lui était alloué un tant pour cent sur les bénéfices de l’exploitation industrielle, si en un mot il y avait plus de cordialité et plus d’équité dans leurs rapports, les grèves deviendraient extrêmement rares, si elles ne disparaissaient pas complètement. L’ouvrier est aussi intéressé aux succès de l’entreprise que l’entrepreneur lui-même; et si au lieu de s’évertuer par tous les moyens possibles à ramener lts salaires au taux le plus bas possible, le patron savait se contenter d’une part raisonnable dans les bénéfices, et s’il tenait à ses ouvriers ce langage : « Nous allons faire ensemble nos affaires ; tout ce que nous réaliserons au-delà d’une certaine somme, représentant les frais et charges de l’enrte-prise, sera considéré comme bénéfice ; j’ai droit à un tant pour cent sur ce chiffre, et vous avez droit au reste. Si les affaires baissent les profits seront moindres, mais vous serez toujours tenus au courant de la marche des affaires. Il est donc de votre intérêt que nous prospérions et je vous accorderai toujours par conséquent ma plus entière confiance. » Si le chef d’établissement, disons-nous se conduisait de la sorte, s’il considérait les hommes qu’il emploie comme ses égaux au point de vue de la valeur morale, et qu’il les traitât comme tels, on n’aurait plus que très peu de griefs réciproques à enregistrer.
- Pour arriver à cette organisation logique et juste du travail, il faut que tous les intéressés aient bien compris la portée de leurs droits et de leurs devoirs, et qu’ils aient une notion bien claire de l’étroite corrélation existant entre leurs intérêts et leurs devoirs réciproques. Ce résultat sera obtenu par l’instruction d’une part, et par de sages réformes dans la législation de l’autre. Il faut dans l’intérêt de tous que les lois soient enfin basées sur ce principe de toute équité : « Au travail tous ses droits, au capital tous les siens ; point de lois spéciales ni de privilèges en faveur de l’un ou de l’autre, mais justice égale, stricte et complète pour tous.
- T. V. Powderly.
- p.537 - vue 538/836
-
-
-
- 538
- LE DEVOIR
- L'Unité de la vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective(1)
- Diea, l’homme & le moinde
- « Je pensai, dit Descartes, qu’il fallait que je,.. rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne me resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fut entièrement indub'table... Je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de nos songes. Mais aussitôt après je pris garde que pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose, et, remarquant que cette vérité : Je pense donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier princide de la philosophie que je cherchais.
- Puis examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse, mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n’étais point, et qu’au contraire de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avais imaginé eut été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été, je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle; en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu’elle est.
- Après cela je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine, car puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n'y a rien du tout en ceci, je pense donc je suis, qui m’assurera que je dis la vérité, si non que je vois très clairement que, pour penser il faut être, je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale que
- (1) Voir « le Devoir » des 13 et 20 août 1882.
- les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes vraies, mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement.
- En suite de quoi, faisant réflexion sur ce que je doutais, et que, par conséquent, mon être n’était pas tout parfait, car je voyais clairement que c’était une plus grande perfection de connaître que de douter, je m’avisai de chercher d’où j’avais appris à penser à quelque chose de plus parfait que je n’étais, et je connus évidemment que ce devait être de quelque nature qui fût en effet plus parfaite. Pour ce qui est des pensées que j’avais de plusieurs autres choses hors de moi, comme du ciel, de la terre, dé la lumière, de la chaleur, et de mille autres, je n’étais point tant en peine de savoir d’où elles venaient, à cause que ne remarquant rien en elles qui me semblât les rendre supérieures à moi, je pouvais croire que, si elles étaient vraies c’étaient des dépendances de ma nature, autant qu’elle avait quelque perfection ; et si elles ne l’étaient pas, que je les tenais du néant, c’est-à-dire qu’elles étaient en moi pour ce que j’avais du défaut, mais ce ne pouvait être le même, de l’idée d’un être plus parfait que le mien ; car de la tenir du néant c’était chose manifestement impossible. Et pour ce qu’il n’y a pas moins de répu-pugnance que le plus parfait soit une suite et une dépendance du moins parfait, qu’il y en a que de rien procède quelque chose, je ne la pouvais tenir non plus de moi-même : de façon qu’il restait qu’elle eût été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus parfaite que je n’étais, et même qui eût en soi toutes les perfections dont je pouvais avoir quelque idée, c’est-à-dire pour m’expliquer en un mot qui fût Dieu.
- A quoi j’ajoutai que puisque je connaissais quelques perfections que je n’avais point, je n’étais pas le seul être qui existât, mais qu’il fallait de nécessité qu'il y en eût quelque autre plus parfait, duquel je dépendisse et duquel j’eusse acquis tout ce que j’avais : car si j’eusse été seul et indépendant de tout autre, en sorte que j’eusse eu de moi-même tout ce peu que je participais de l’être parfait, j’eusse pu avoir de moi, par même raison tout le surplus que je connaissais me manquer, et ainsi être moi-même, infini, éternel, immuable, tout connaissant, tout puissant, et enfin avoir toutes les perfections que je pouvais remarquer être en Dieu. Car, suivant les raisonnements que je viens de faire, pour connaître la nature de Dieu autant que la mienne en était capable, je n’avais qu’à considérer de toutes les choses dont je trouvais en moi quelque idée, si c’était perfection on non de les posséder, et j’étais assuré
- p.538 - vue 539/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 539
- qu’aucune de celles qui marquaient quelque imperfection n’était en lui, mais que toutes les autres y étaient; comme je voyais que le doute, l’inconstance, la tristesse et choses semblables n’y pouvaient être, vaque j’eusse été moi-même bien aise d’en être exempt- Puis outre cela, j’avais des idées de plusieurs choses sensibles et corporelles, car quoique je supposasse que je rêvais et que tout ce que je voyais ou imaginais était faux, je ne pouvais nier toutefois que les idées n’en fussent réellement en ma pensée. Mais pour ce que j’avais déjà connu en moi très clairement que la nature intelligente est distincte de la corporelle, considérant que toute composition témoigne de la dépendance, et que la dépendance est manifestement un défaut, je jugeais de là que ce ne pouvait être une perfection en Dieu d’être composé de ces deux natures, et que par conséquent il ne l’était pas; mais que s’il y avait quelques corps dans le monde ou bien quelques intelligences ou autres natures qui ne fussent point toutes parfaites, leur être devait dépendre de sa puissance, en telle sorte qu’elles ne pouvaient subsister sans lui un seul moment.
- Je voulus chercher un instant d’autres vérités, et m’étant proposé l'objet des géomètres. •je parcourus quelques-unes de leurs plus simples démonstrations, et ayant pris garde que cette grande certitude que tout le monde leur attribue n’est fondée que sur ce qu’on les conçoit évidemment, suivant la règle que j’ai tantôt dite, je pris garde aussi qu’il n’y avait rien du tout en elles qui m’assurât de l’existence de leur objet... Au lieu que, revenant examiner l’idée que j'avais d’un être parfait, je trouvais que l’existence y était comprise... et que par con séquent, il est au moins aussi certain que Dieu qui est cet être si parfait, est, ou existe, qu’aucune démonstration de géométrie le saurait être.
- Mais ce qui fait qu’il y en a plusieurs qui se persuadent qu’il y a de la difficulté à le connaître, et même à connaître ce que c’est que leur âme, c’est qu’ils n’élèvent jamais leur esprit au delà des choses sensibles, et qu’ils sont tellement accoutumés à ne rien considérer qu’en l’imaginant, qui est une faJçon de penser particulière pour les choses matérielles, que tout ce qui n’est pas imaginable leur semble n’ê-tre pas intelligible.
- Ce qui est assez manifeste de ce que même les philosophes tiennent pour maxiiqe dans les écoles, qu’il û’y a rien dans l’entendement, qui n’ait été premièrement dans le sens, où toutefois il est certain que les 1(!ées de Dieu et de l’âme n’ont jamais été ; et il me semble que ceux qui veulent user de leur imagination pour les comprendre font tout de même que si, Pour i§s soqg ou sentir les odeurs, ils voulaient
- ï se servir de leurs yeux ; sinon qu’il y a encore cette différence que le sens de la vue ne nous assure pas mieux de la vérité de ces objets que font ceux de l’odorat et de l’ouïe ; au lieu que ni notre imagination ni nos sens ne nous sauraient jamais assurer d’aucune chose si notre entendement n’y intervient.
- Enfin s’il y a encore des hommes qui ne soient pas assez persuadés de l’existence de Dieu et de leur âme par les raisons que j’ai apportées, je veux bien qu’ils sachent que toutes les autres choses dont ils se pensent peut-être plus assurés comme d’avoir un un corps, et qu’il y a des astres et une terre, et choses semblables sont moins certaines... Et que les meilleurs esprits étudient tant qu’il leur plaira, je ne crois pas qu’ils puissent donner aucune raison qui soit suffisante pour ôter ce doute, s’ils ne présupposent l’existence de Dieu. Car premièrement cela même que j’ai tantôt pris pour une règle à savoir que les choses que nous concevons très clairement et très distinctement sont toutes vraies, n’est assuré qu’à cause que Dieu est ou existe, et qu’il est un être parfait, et que tout ce qui est en nous vient de lui ; d’où il suit que nos idées ou notions étant des choses réelles et qui viennent de Dieu, en tout ce en quoi elles sont claires et distinctes,ne peuvent
- en cela êire que vraies.... mais si nous ne savions
- point que tout ce qui est en nous de réel et de vrai vient d’un être parfait et infini, pour claires et distinctes que fussent nos idéés, nous n’aurions aucune raison qui nous assurât qu’elles eussent la perfection d’être vraies. »
- L’homme se recueille, et regardant en lui-même, il se comprend comme un être pensant. Il se connaît âme, son corps étant un accessoire indifférent à l’individualité consciente. Il trouve en lui des pensées qu’il n’a pu se donner, et il reporte ces pensées à un auteur supérieur à lui. Il connaît Dieu le principe de toute vérité.
- L’homme agit au dehors, les êtres et les choses lui résistent ou appuient son action, il connaît le monde et ses habitants. Il aperçoit l’ordre et l’harmonie qui régnent en toutes choses, il y trouve la preuve d’une intelligence supérieure et d’une volonté directrice. Dieu lui apparaît une seconde fois. Il voit en lui l’auteur et le conservateur de tous les êtres, et de toutes les choses.
- On lit dans un des plus anciens livres de i’Inde :
- « Celui qui nie pour l’ensemble, une cause supérieure et nécessaire, n’a pas le droit d’assigner une cause à un fait particulier. Si vous dites l’univers existe parce qu’ii exite, il est inutile de rien chercher au-delà, l’homme ne vit plus qu’avec des faits, et rien ne
- l’assure de l’invariabilité des lois de la nature. »
- (4 suivre), P. P. Cotjrtépée.
- p.539 - vue 540/836
-
-
-
- 540
- LE DEVOIR
- Question de paix et d’arbitrage
- De suite après la Révolution de 1848, deux vaillants amis de la paix, Henri Richard, secrétaire de la Peace Society, et l’ex-forgeron américain, notre regretté ami Elihu Burritt, vinrent à Paris, espérant y provoquer un congrès de la paix. — Ils s’adressèrent aux libres-échangistes parisiens qui tenaient depuis quelques années leurs meetings salle Montesquieu et qui venaient de créer au bazar Bonne-Nouvelle le club de la Liberté du travail. Ils leur proposèrent d’unir leurs efforts aux leurs afin d’appeler au sein de la République naissante les amis de la justice et de la paix du monde entier.
- Le gouvernement provisoire avait d’autres chiens à fouetter que de s'occuper de nos quakers (ceci se passait un peu avant les journées de juin), on ne put donc arriver à organiser le congrès à Paris cette an-née-là et les amis de la paix français, les d’Harcourt, Bastiat, Joseph Garnier, de Molinari, Denis Potonié, Riglet, Paillottet, Hip. Passy, Horace Say, Guillau-main, Michel Chevalier, Blanqui aîné et consorts, donnèrent rendez-vous à leurs deux amis anglais et américain à Bruxelles, où le congrès transporta ses pénates cette année-là.
- Les congrès de la paix se continuèrent alors, jusqu’à ce que Napoléon III vint dire à Bordeaux : L’Empire c’est la paix ! Il prouva ce qu’il avançait... par les guerres d’Italie, de Crimée, du Mexique et d’Allemagne !
- Les amis de la paix se séparèrent quand l’Empire naquit, après s’être réunis à Paris (1849), à Francfort (1850), et à Londres, où une députation de Français et d’Anglais termina la campagne en allant faire une série de meetings dans les principales villes d’Angleterre.
- Il était question de visiter aussi les grands centres français, mais on ne le put; l’empereur futur avait parlé lorsqu’il rêvait le sceptre, comme il est dit plus haut, et le gouvernement impérial jugea que cela suffisait!... Hélas, c’est ainsi que l’Alsace et la Lorraine ont perdu leur indépendance. Avec la liberté de réunion en France, avec le meeting en plein air de ce côté de la Manche comme de l’autre, Bismarck eût été impuissant et l’Allemagne qui subit nos impulsions quoiqu’elle en dise serait peut-être libre et heureuse à l’heure actuelle ! — Et nous?... nous n’aurions plus à craindre d’ennemi dangereux à l’extérieur .
- Il n’est jamais trop tard pour reprendre l’œuvre interrompue, pour travailler à la paix du monde, à
- l’œuvre donc, oyez plus loin, amis lecteurs, ce que nous écrivent les derniers amis de la paix entrés en lice. iasB
- Les Cobden, les Bright, les Prince-Smith, les Arri*. vabène, les de Cormenin, les Hugo, les Lamartine les Wolowski, et tant d’autres, ainsi que les ligueurs libres-échangistes déjà nommés, en faisant les congrès d’alors, n’attaquèrent pas la question pratique ou fort peu; c’est à peine s’ils prononcèrent le mot d’arbitrage ; ils se contentèrent de rester dans les nuages philanthropico-humanitaires que soulevait dans leur esprit l’horreur de la guerre; ils firent pour ainsi dire une guerre de partisans à la guerre, à la tuerie en masse, à ces duels où ce sont les témoins qui s’entretuent et où les belligérants, une fois la querelle vidée, vont déjeuner bras dessus bras dessous, en se promettant bien dans leur for intérieur de prendre leur revanche quand leur chair à canon aura eu le temps de se refaire. Aussi il faut voir comme l’empereur Guillaume est loin d’être Malthusien ! Toujours il est parrain du septième fils de toute famille prussienne.
- Mais revenons à notre sujet :
- Aujourd’hui, les amis de la justice, de la liberté et de la paix comprennent qu’il faut prendre le monstre de la guerre par les cornes et iis préconisent l’arbitrage. Depuis 1867 l’excellent petit journal de M. Lemonnier et de ses amis crie sur tous les tons, à qui veut l’entendre : Arbitrage et Etats-Unis d’Europe ; la Société des Amis de la paix, la Société des Travailleurs amis de la paix, la Ligue du Bien public, et bien d’autres Associations de progressistes et de républicains encore font chorus, voilà pour la France.
- Disons maintenant ce qui se passe chez nos voisins. Le terrain étant préparé, en France, nous ne doutons pas que leur appel ci-après ne soit entendu. Laissons-leur la parole.
- Nous recevons la lettre suivante que n ms nous contentons de reproduire :
- Arbitrage international
- CONFÉRENCE PROJETÉE A BRUXELLES
- International arbitration and Peace Association, Offices: 38, Parliament Street
- London, June, 1882.
- Monsieur,
- J’ai l’honneur de vous annoncer que cette Société se propose de réunir une Conférence générale a Bruxelles vers la fin de l’automne prochain, dans le but de travailler à la cause de l’Arbitrage et de la Paix internationaux. M. Charles Buis, bourgmestre
- p.540 - vue 541/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 541
- de Bruxelles, nous a donné l’assurance de toute sa sympathie et de son concours énergique dans notre entreprise. Il consent à présider notre Conférence et il met a notre disposition une salle dans un des pa* lais communaux.
- Buis est aussi’d’avis que la troisième semaine d’octobre serait le temps le plus.convenable pour la Conférence projetée.
- L’une des questions principales dont s’occupera la Conférence sera la considération des meilleurs moyens d’établir de pareilles associations dans les différents Etats de l’Europe afin de les grouper ensemble dans une grande Fédération internationale. C’est de la part de la Société déjà établie dans la Grande-Bretagne et l’Irlande que le secrétaire sous-gjcmé a mission de vous prier de vouloir bien attacher vos réponses aux questions ci-jointes et les renvoyer aussitôt que possible.
- j’ai l’honneur d’être, avec une parfaite considération,
- Monsieur,
- Votre très humble serviteur,
- E. M. Geldart, Secrétaire pour l'étranger.
- Que nos lecteurs-amis répondent à cet appel, soyons nombreux et ardents en octobre à Bruxelles et faisons entendre alors le cri commun à la tribune, pour que la presse le répète en toute langue et en toute nation :
- Plus de guerre ! Arbitrage international i 1
- Jacques Courrier.
- —----------------------
- Nous recevons la lettre suivante à laquelle nous ne saurions refuser un accueil favorable :
- La Séparation des Églises et de l’État
- ORGANE DE LA LIGDE NATIONALE
- 25, Rue Monsieur-le-Prince, PARIS
- Monsieur le Rédacteur en chef,
- Le journal La Séparation des Églises et de l’État, organe de la Ligue nationale, prend l’initiative d’un pétitionnement général ayant pour objet l’abrogation de ia loi de 1873, qui a décrété d’utilité publique la contruction de l’église de la butte Montmartre. vouant ainsi la France au Sacré-Cœur, et, par suite, la démolition ou la désaffectation de cette église.
- Faisant appel à votre bonne confraternité comme à vos sentiments républicains, nous vous prions d’annoncer ce pétitionnement :
- PÉTITION CONTRE LE SACRÉ-CŒUR
- Attendu que l’Eglise dite du Sacré-Cœur ne saurait, de par la loi, appartenir à aucun membre du clergé, et qu’elle est par conséquent une pro-
- priété d'Etat, dont l’Etat peut disposer à sa convenance.
- Attendu que Y Assemblée de Malheur, en décrétant d’utilité publique cette construction, a voulu perpétuer le défi alors porté par la réaction monarchique et cléricale à la France républicaine.
- Attendu que les promoteurs de cette entreprise ont aggravé l’outrage en la dénommant « Œuvre du vœu national. »
- Attendu que la Nation, qui s’est « vouée » d’elle-même à la civilisation républicaine, ne veut pas plus longtemps paraître complice de ceux qui ont eu l’impudence de la vouer au culte barbare et dégradant du prétendu Sacré-Cœur.
- Les soussignés invitent énergiquement les Chambres à abroger d’urgence la loi de 1873 qui a déclaré d’utilité publique l’église du Sacré-Cœur, et les pouvoirs publics à prendre toutes mesures propres à assurer la suspension des travaux en cours, et la désaffectation des constructions déjà exécutées.
- NOTA : Les listes de pétition sont en dépôt au bureau du journal La Séparation des Eglises et de l’Etat. On est prié de renvoyer celles qui auront reçu des signatures à son adresse, où elles sont centralisées.
- OUTRAGE A LA FRANCE
- On lit sous ce titre dans « La séparation des églises et de l’État » :
- Ils ont eu l’infamie de prétendre souffleter la France et la sottise de croire que la France ne relèverait pas le gant.
- Parce que la puissante nation n’était plus que la grande blessée, ils ont cessé d’avoir peur, et se sont dit qu’il y avait là une proie de bonne prise.
- Tablant sur les désastres publics, ces dignes rejetons des émigrés de Coblentz ont tenté de ressaisir, en un jour de malheur, tout ce qu’ils avaient dù restituer de privilèges, d’usurpations et de biens mal acquis.
- S’imaginant que la patrie de progrès agonisait, ils ont essayé, ces mirmidons, de tuer aussi son œuvre : ia Révolution !
- Et non contents de s’acharner sur la lionne terrassée, de la dépouiller de ses conquêtes de tout un siècle, ils ont eu l’idée de basse vengeance d’ajouter à ses défaites leurs lourds sarcasmes ; de lui faire souffrir cette suprême douleur: leur injure.
- Ils l’ont déclarée pécheresse, lui ont infligé une pénitence, comme ils font à leur moribonds, et ils
- p.541 - vue 542/836
-
-
-
- 542
- LE DEVOIR
- ont décidé qa’en souvenir de cette pénitence, il serait élevé, au plus hilut sommet de la ville des lumières, un monument de ténèbres, une église expiatoire.
- Ils ont consacré la France à une folle : Marie Ala-coque, et ont élevé, en haine de la civilisation, un temple à la plus dégoûtante des conceptions, au culte d’un viscère sanglant, au Sacré Cœur.
- Le Sacré-Cœur, c’est le coup de pied de l’âne des cléricaux.
- Or la lionne n’est pas morte ; les travailleurs républicains, ses fils, ont pansé ses plaies ; elle s’est relevée plus ferme et plus haute que jamais, et d’un simple regard de mépris, elle a fait rentrer dans leurs trous tous ces hommes de nuit, ces nains, ces hobereaux, ces pygmées, qui s’étaient mis à grouiller autour d’elle et sur elle.
- Il lui a suffi d’un tressaillement de dégoût, et tous ces parasites sont à jamais retombés par terre, aplatis et rampants comme on les avait toujours connus.
- Cependant le nettoyage n’est point complet encore; il est resté une trace de leur passage, cette église expiatoire du Sacré-Cœur, cet outrage à la scjence, à la civilisation, à Paris, à la France.
- Ils avaient tant laissé à faire derrière eux que, pendant quelques années, on n’a pas songé à arrêter leur travail de termites, et qu’on les a laissés fouiller et refouiller cette pauvre butte Montmartre qui n’en pouvait mais, et qui, aujourd’hui, minée de toutes parts, est devenue un danger permanent pour les citoyens si républicains de ce quartier.
- Montmartre s’effondrant, qu’est-ce que cela peut faire aux cléricaux, pourvu que leur bâtisse^s’élève.
- Elle ne s’élèvera pas.
- L’attenttion populaire s’est enfin portée sur ce point, le danger a rappelé l’injure ; Montmartre tout entier a protesté contre l’un et contre l’autre, la Chambre s’est émue, et unecommission a été nommée pour examiner s’il n’y avait pas lieu d’abroger la loi qui a déclar d’utilité publique cette insulte à la patrie.
- L’Assemblée de malheur avait dit : Utilité publique : un cri s’élève en ce moment de toute part qui dit : Outrage public.
- Outrage au quartier qui a été choisi dans une pensée de fol orgueil, à la ville devant laquelle ces pierres s’élèvent comme une menace et un défi, au pays tout entier, auquel cette bâtisse rappellerait sans cesse l’invasion prussienne, qui seule a permis l’invasion légitimiste de l’Assemblée de Versailles et les criminelles tentatives des flétris du 16 mai.
- Il faut que ce cri devienne clameur, et si haute et si retentissante, qu’il n’y ait pas* de sourds qui ne
- l’entendent et ne soient contraints d'obéir, pas même les sourds du Sénat.
- Il faut que les citoyens affirment leur volonté d’en finir avec ce monument de honte et d’iniquité, que par pétitionnement, réunions, conférences, résolutions prises en commun, ils informent leurs représentants de cette volonté fermement exprimée, et qu’ils fassent entendre bien clairement à ce qu’on nomme les pouvoirs publics, ce dernier argument des démocraties souveraines :
- Je veux.
- C’est ce pétitionnement, ce sont ces réunions, ces conférences, que le journal la « Séparation des Églises et de l'État » s’apprête à organiser.
- Dès demain, tous les citoyens disposés à protester avec nous contre l’outrage à la France qui soulève notre indignation, trouveront dans ses bureaux des feuilles de pétition, et il ne faudra s’arrêter dans ce mouvement d’agitation, que le jour où la butte Montmartre aura été restituée aux habitants de Montmartre, et où Paris et la France auront fait disparaître jusqu’au souvenir de cet insolent défi jeté à la face de la Société moderne.
- Ligue internationale de la Paix et de la Liberté
- Genève, le , 1882. M
- La Ligue internationale de la paix et de la liberté a l’honneur de vous inviter à l’assemblée générale qu’elle ouvrira le 10 Septembre prochain, à Genève, quai des Bergues, n° 1.
- ORDRE DU JOUR:
- Neutralisation du Canal de Suez.
- Neutralisation du Canal de Panama.
- s Au nom et par délégation du Comité Central,
- Ch. Lemonnier, Président.
- î^ï&ÉF’EOTUJEŒ: I>E L’AISNE
- AVIS s
- Un examen pour l’admission aux emplois d’Agents-Voyers cantonaux et auxiliaires, dans le département de l’Aisne, sera ouvert le 9 octobre prochain, à 9 heures du matin à Laon, en l’hôtel de la Préfecture.
- Les candidats devront être âgés pour l’emploi d’A-gent-Voyer auxiliaire, de 18 ans au moins et de 25 ans au plus, et, pour l’emploi d’Agent-Voyer cantonal de 21 ans au moins et de 35 ans au plus ; toutefois, les candidats à ce dernier emploi âgés de 18 à 21 ans, seront admis, sur leur demande, à en subir l’examen,
- p.542 - vue 543/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 543
- mais en cas de succès, ils ne seront pas pourvus d’un | emploi avant l’accomplissement de leur majorité.
- Les candidats pourront prendre connaissance, chez M. l’Agent-Voyer en chef, chez MM. les Agents-Voyers d’arrondissement et cantonaux où dans les mairies des communes du département de l’Aisne, de l’arrêté préfectoral du 8 août 1882 contenant les conditions à remplir pour être admis à l’examen et le programme des connaissances exigées pour l’admission à chacun des emplois précités.
- Cet arrêté est inséré au recueil des actes adminis-tifs de la Préfecture.
- Le Préfet de l’Aisne.
- Signé: SÉBLINE.
- Pour copie conforme :
- Le Secrétaire général,
- DUCAUROY.
- FRANCE ET ALLEMAGNE
- Plusieurs journaux prussiens de la frontière se livrent en ce moment à des parallèles sur la situation de la France et de l’Allemagne. Nos crises ministérielles, la politique de recueillement que nous nous sommes imposée, leur paraissent sans doute un signe profond de décadence, et ils invitent les populations annexées à comparer la situation des deux Etats et à reconnaître combien elles doivent être heureuses et fières de faire partie de la monarchie prussienne. Pour se donner une apparence d’impartialité, elles citent les articles de la presse française qui peuvent plus ou moins justement servir à leur démonstration.
- Si la presse allemande de Metz ou de Strasbourg veut entamer une polémique loyale à ce sujet, nous sommes volontiers disposés à lui donner la réplique. Nous convenons, sans difficulté, que nos partis politiques sont fort divisés, que nos crises ministérielles sont beaucoup trop fréquentes et que nous tenons dans le concert européen un rôle modeste et effacé. Nous convenons encore que ce n’est point là un état idéal ; mais nous demanderons, à notre tour, aux feuilles prussiennes si l’Allemagne est aussi fière et aussi heureuse qu’elles veulent bien le dire, et s’il est prudent de leur part de comparer son sort à celui de la France. Les peuples n’ont point à rechercher que des satisfactions de vanité ; leur bonheur ne se compose pas uniquement de bulletins de victoire et <3e succès diplomatiques. La libérté, le travail, de bonnes finances ont leur prix, et quand une grande nation jouit d'institutions libres, voit son industrie et son commerce prospérer, ses charges diminuer au lieu de s’accroître, il nous semble que son sort n’est
- pas bien à dédaigner. Quelle est, à ce triple point de vue, la situation de la France et celle de l’Allemagne ?
- La République française assure à tous ses citoyens la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté des élections. Toutes les opinions peuvent se manifester librement, même les plus déraisonnables. Pas un acte, pas une parole des gouvernants n’échappent au contrôle de l’esprit public. Jamais Parlement n’a été plus loyalement élu, plus libre dans l’exercice de ses prérogatives, jamais nation n’a été aussi maîtresse de ses destinées.
- L’empire d’Allemagne, par contre, assure à tous ses concitoyens la prison et l’amende s’ils publient un article désagréable à M. de Bismarck, ou s’ils attaquent avec un peu d’ardeur les théories économiques du chancelier. Des membres du parlement sont mis en prison pour délits politiques. Quant aux élections, nos amis d’Alsace-Lorraine savent comment elles se font. La liberté de conscience elle-même est souvent en péril, et les israélites ont été, il n’y a pas un an, l’objet de manifestations hostiles et violentes qui rappellent les scènes du moyen-âge. Tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains de M. de Bismarck, qui pourrait, comme il l’a lait jadis, se passer de la sanction législative pour le budget si cela entrait dans ses vues présentes. C’est en réalité, derrière un paravent d’institutions parlementaires, l’absolutisme le plus parfait avec toute sa grandeur apparente et tous ses périls réels.
- La République française a payé cinq millards au roi de Prusse et cinq milliards dépensés chez elle en frais de guerre. En moins dedix'ans les Français ont acquitté cette dette énorme et ils ont commencé à réduire les impôts nouveaux qu’ils avaient dû établir. En moins de cinq ans, des taxes pesant sur le commerce, l’industrie ou l’agriculture et rapportant plus de quatre cents millions de francs ont été supprimées. Et pendant qu’on supprimait ces quatre cents millions d'impôts, on portait le budget de l’instruction publique à cent millions, on dépensait plus d’un milliard en travaux publics. Rarement la nation a été aussi prospère, les impôts rentrent d’avance, la consommation s’accroît sans cesse et, signe évident de richesse, jamais l'initiative privée n’a été aussi généreuse, aussi prodigue d’argent pour toutes les œuvres utiles.
- L’Empire d’Allemagne a reçu cinq millards de francs, il s’est annexé des populations françaises riches et laborieuses, et non seulement son budget n’est pas en équilibre, non seulement il n’a pas supprimé un seul de ses impôts qui l’écrasent, mais M. de Bismarck n’a d'autre préoccupation que d’éta-
- p.543 - vue 544/836
-
-
-
- 544
- LE DEVOIR
- blir de nouvelles taxes pesant particulièrement sur les classes laborieuses, parce que ce sont les taxes les plus productives. Dans les provinces de la Baltique la misère est grande et le travail peu rémunérateur, rémigration prend des proportions effrayantes et préoccupe le gouvernement. M. de Bismarck est obligé de préparer des lois et règlements pour empêcher ses heureux sujets de fuir le bonheur et la gloire qu’il leur a procurés.
- La République française, il est encore vrai, n’a pas le moindre bulletin de victoire à célébrer et sa diplomatie se tient sur la défensive, plus préoccupée d’assurer la paix que de remporter des triomphes. La France est toujours la vaincue de 1870. Cependant elle a reconstitué une armée, sinon parfaite, du moins nombreuse et bien équipée, elle a rempli ses arsenaux et ses parcs d’artillerie, et elle est considérée au dehors comme assez forte pour qu’on redoute désormais de l’attaquer. On dit qu’elle est isolée. Pour l’offensive certainement, mais en cas d’attaque il est permis de croire qu’elle trouverait immédiatement un concours qui lui a fait défaut jadis. Enfin elle supporte sans plaintes et avec espérance les sacrifices que lui impose sa sécurité, elle est même prête à les augmenter pour assurer la tâche qui lui incombe dans l’avenir.
- Non, plus nous réfléchissons et, sans aucun sentiment d’orgueil ni d’optimisme, plus nous croyons que la France peut sans regret comparer sa situation à celle de ses voisins. La façade de notre République laisse peut-être à désirer, elle n’a point la grandeur des empires victorieux et silencieux, il s’y fait peut-être un peu trop de bruit ; mais les habitants de la maison travaillent, vivent bien et économisent, ils ne doivent rien à personne, ils vont et viennent, parlent et écrivent librement. N’en déplaise à la Metzer Zeitung et au Journal de Saarbruch, cela vaut bien quelque chose.
- Un témoin, ténébreux
- Si l’on peut reprocher à un garde-champêtre, que nous allons entendre, quelque obscurité dans ses explications, données de vives voix, on ne saurait lui refuser une grande précision dans ses procès-verbaux,et c’est l’important.
- Voici donc comment il parle, après quoi, ce qu’il a écrit nous apprendra peut-être ce que parler veut dire :
- Ayant aperçu le sieur ici présent, ayant des choux qu’il avait arrachés avec ses mains, qui appartenaient à Jacques Finot, cultivateur, dont ayant constaté antérieurement la veille emportant des oignons clandestins, je le conduisis chez M. le maire, dont il reconnut avoir volé les carottes, dont j’ai saisi le choux comme pièce à conviction.
- M. le Président. — Ce n’est pas bien clair.
- Le prévenu. — Ce vieux fonctionnaire ne sait
- même pas ce qu’il m’accuse ; car messieurs, qu’est-ce que j’ai volé ! C’est~il des choux, des carottes ou des oignons ? Qu’il le dise 1
- Le garde-champêtre. — Du moment que le délinquant attaque d’incompétence ma déclaration verbeuse, je vais préciser dans les circonstances de la cause, qui est écrite dans mon procès-verbal officiel. (Le témoin lit) :
- Etant en tournée et me trouvant sur la route départementale n® 17, je vis le délinquant possessif de deux choux; ayant reconnu le soussigné comme étant voleur de nation de végétations d’autrui, pour l’avoir remarqué la veille en détention d’oignons suspects je lui ai questionné sur les deux choux, comme suit:
- Demande. — Je vous ai vu sortir hier d’une pièce de terre ensemencée, du nommé Finot Jacques, avec un panier qui en était rempli ?
- Réponse. — Oui, monsieur Grenu, c’est vrai.
- Demande. — Etes-vous son domestique ou son serviteur à son service.
- Réponse. — Oui, monsieur Grenu, je suis son serviteur.
- Demande. — C’est faux.
- Réponse, — Vous en êtes un autre !
- Demande. — Aujourd’hui, je vous retrouve dans le même cas semblable des oignons d’hier, seulement c’est des choux.
- Réponse. — Mossieur Grenu...
- M. le président. — Enfin a-t-il avoué?
- Le garde-champêtre. — 11 a avoué sans affirmer et que même il a voulu corrompre mes fonctions qui est consigné également dans mon procès-verbal, ainsi qu’il suit, pour acheter ma confiance :
- Réponse. — Mossieur Grenu, c’est vrai que j’ai volé des oignons au détritus du nommé Finot Jacques.
- Demande. — Suivez-moi chez mossieur le maire.
- Réponse. — Mossieur Grenu, êtes-vous susceptible de l’humanité pour un père de famille ?
- Demande. — C’est en proportion qu’elle est compatible avec mes fonctions.
- Réponse. — Mossieu Grenu, voulez-vous accepter une pièce de 4 francs, ni vu ni connu.
- Demande. — Votre corruption de fonctionnaire est encore pire.
- Sur ce, le délinquant à mon refus honorable, m’a envoyé un nuage de coups de poing.
- Le prévenu. — Un nuage, non ; trois uniques.
- Le garde-champêtre. —• Le sieur, ici présent, a déjà eu un procès d’avoir fraudé avec l’octroi, en passant un lièvre qu’il avait mis dans une peau de lapin, si bien arrangé que sa mère ne l’aurait pas reconnu, sauf le bout des pattes de lapin.
- M. le Président au prévenu. — Qu’avez-vous à dire ?
- Le prévenu. — j’ai à dire que ce vieux fonctionnaire ne sait pas ce qu'il dit et qu’il abuse de son éducation pour écrire contre moi beaucoup de choses que je ne pourrais pas y répondre si bien que lui; voilà mon caractère.
- Le Tribunal condamne le prévenu à quatre mois de prison.
- En entendant cette condamnation, il se met à pleurer.
- Peut-être a-t-il gardé un oignon ? __________________________Jules Moineaux.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.544 - vue 545/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 8. — n° 208. "Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 3 Septembre 1882
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . lOîr. »» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.6Q
- ON S’ABONNE
- A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- JZÊk. 'W' JC
- Le journal a LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Discours prononcé à la distribution des prix des écoles Communales de Guise, par M. Godin. — Le Catholicisme et le Socialisme. — Faits politiques et Sociaux. — L'unité de la vie passée, etc. ~~ La Loi, agent de moralisation. — Appel aux travailleurs. — Bibliothèque du Familistère. — Société protectrice des animaux. — Union démocratique de propagande anticléricale.— Statuts de la ligue nationale.
- LES ÉCOLES PRIMAIRES
- Discours prononcé par M. GODIN, à la distribution des Récompenses aux lauréats du concours cantonal et des écoles de Guise.
- Chers élèves, Mesdames et Messieurs,
- Le gouvernement de la République a fait de ^instruction publique une des plus grandes préoccupations du pays. Les mesures prises pour doter la France d’une vaste organisation scolaire porteront Bientôt leurs fruits.
- Nous pouvons voir déjà les résultats remarquables de l’émulation qui s’est produite depuis quelques années dans nos écoles, sous l’influence de l’opinion publique et de l’administration de l’enseignement.
- Les concours cantonaux dont nous sommes appelés aujourd’hui à distribuer les récompenses en sont un bol exemple. Malgré cela, chers élèves, il est probable que c’est la dernière fois que nous nous réunissons en leur nom. L’arrêté gouvernemental du 27 juillet dernier nous fait pressentir que les concours cantonaux seront supprimés. Il y a lieu de penser que les concours pour les certificats d’études seront seuls maintenus et remplaceront les concours cantonaux.
- Par cet arrêté du 27 juillet, le gouvernement, posant les règles d’une véritable organisation pratique des écoles et de l’enseignement primaire, a voulu se ménager les moyens d’en poursuivre la direction. Espérons qu’en établissant ainsi l’unité d’action, le gouvernement saura, en outre, continuer à utiliser toutes les bonnes volontés du pays pour compléter son œuvre.
- Arrêtons-nous un instant aux conséquences de cet arrêté.
- L’enseignement primaire est divisé en trois cours : cours élémentaire, cours moyen et cours supérieur.
- Une classe enfantine précède ces cours. Iis sont terminés par un cours complémentaire d’enseignement primaire supérieur, auquel ont droit d’admission les élèves qui ont obtenu le certificat d’études.
- Bien que. l’arrêté prévoie ce que sera la direction des écoles ayant un seul maître ou deux et trois maîtres, on peut dès maintenant se rendre compte de ce que devraient être les écoles bien organisées suivant le chiffre de population des communes.
- p.545 - vue 546/836
-
-
-
- 546
- LE DEVOIR
- Une commune de 600 habitants, chiffre qui permet l’établissement d’un groupe scolaire complet, représente pour l’école maternelle, à 5 °/0 de la population, 30 enfants, Une galle sera nécessaire pour ces enfants,
- La population scolaire de 7 à 13 ans est, pour une telle population de 84 enfants soit, pour les trois cours la division suivante :
- 32 au cours élémentaire,
- 30 au cours moyen,
- 22 au cours supérieur.
- Ces conditions seraient excellentes pour un enseignement bien suivi de la part des maîtres. Dès lors on voit que 600 habitants exigent dans un avenir prochain un groupe scolaire de quatre classes.
- Avec une population de 800 habitants, on a 48 enfants à l’école maternelle et 112 enfants de 7 à 13 ans*
- On peut supposer la répartition suivante :
- 48 enfants à l’école maternelle,-
- 42 » au cours élémentaire,
- 38 » au cours moyen,
- 32 » au cours supérieur.
- Ce sont déjà des classes.chargées et qui permettraient de dédoubler un cours.
- Si l’on élève ces calculs à 1,000 habitants, on trouve 50 enfants à l’école maternelle et 140 pour la population scolaire, répartis ainsi :
- 50 à l’école maternelle,
- 54 au cours élémentaire,
- 48 au cours moyen,
- 38 au cours supérieur.
- Ici les classes dépassent le nombre convenable à une bonne direction. Les maîtres seraient surchargés d’élèves. Il serait nécessaire de créer une ou deux classes en plus.
- Il y a de tout ceci un enseignement à tirer. C’est que la bonne organisation des cours exige des écoles mixtes de filles et de garçons, jusqu’à ce qu’on arrive à une population de 1,200 habitants au moins ; et qu’à ce chiffre de population, si l’on sépare complètement les sexes, ce sera encore au détriment de la bonne répartition des élèves, et par conséquent de l’enseignement.
- Il serait sans doute avantageux de confier les écoles maternelles et le cours élémentaire aux institutrices ; les cours moyen et supérieurs aux instituteurs, sauf à faire donner par les institutrices des leçons spéciales aux jeunes filles faisant partie de ces cours.
- Il ne faut pas perdre de vue que dès que les deux sexes prendront part aux mêmes cours, on pourra
- \ avec 1’enseignement obligatoire, constituer des cours I comprenant les enfants dans l’ordre suivant ;
- Ecoles enfantines, élèves de 5 à 7 ans;
- Cours élémentaire, » 7 à 9 ans ;
- î Cours moyen, » 9 à 11 ans;
- ) Cours supérieur, » 11 à 13 ans ;
- j Cours complémentaire supérieur, de 13 à 14 ans.
- 1 Une population de 600 habitants permettrait déjà ’ de constituer des classes séparées ayant des profes-! seurs dont le degré de savoir pédagogique serait pro-| portionné à l’avancement des élèves. Mais à 1,200 | habitants, la chose est bien plus complète. Avec cette ; organisation des cours, les promotions se font d’une façon régulière et d’après examen. Les écoliers ne passent d’un cours à un autre plus élevé qu’après avoir fait preuve des capacités voulues.
- Si l’on maintient l’unité du groupe scolaire au delà de 1,200 habitants, l’ensejgnement s’améliore encore, parce que le chiffre de la population permet de doubler les classes et de composer les cours comme suit :
- Ecoles maternelles, deux classes :
- 5 à 6 ans,
- 6 à 7 ans.
- Cours élémentaire, deux classes :
- lre année. — 7 à 8 ans,
- 2e année. — 8 à 9 ans,
- Cours moyeu, deux classes :
- 3e année, — 9 à 10 ans,
- 4e année. — 10 à 11 ans.
- Cours supérieur, deux classes :
- 5e année. — 11 à 12 ans,
- 6e année. — 12 à 13 ans.
- Cours complémentaire d'enseignement supérieur ï 13 à 14 ans.
- C’est ainsi, messieurs les instituteurs, que l’arrêté fait entrevoir l’organisation de l’école primaire. Au Familistère, l’enseignement et les écoles sont établis sur ce plan. C’est un exemple à consulter. Nous considérons d’autant plus comme devoir de mettre le visiteur au courant de l’institution, que nous avons le bonheur d’être en accord avec les vues du gouvernement.
- J’ai donc l’honneur d’inviter chacun de vous à me demander à voir nos écoles quand vous en aurez le loisir.
- Indépendamment delà disposition des classes, vous examinerez le mobilier; vous apprécierez, par ce qui existe au sein d’une population de 1,200 personnes, ce que sera dans quelques années l’instruction gratuite et obligatoire étendue à toute la France.
- L’étranger nous a devancés dans.cette bonne organisation des classes. Les choses se passent comme je viens de le dire dans les pays d’Europe où les éco*
- p.546 - vue 547/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 547
- les sont bien organisées, où l’enseignement se fait bien. En opérant autrement on maintient la confusion des âges et des cours ; on ne peut arriver à une bonne organisation des écoles primaires.
- Je ne saurais trop attirer l’attention sur ce point que le mouvement actuel dans la construction des écoles, tout admirable qu’il soit, manque de prévoyance dans la conception des plans et que longtemps encore l'instruction publique souffrira d’une organisation imparfaite dans l’ensemble des classes.
- Çeei m’amène à donner quelques explications sur la construction et l’établissement des groupes scolaires.
- Mais au risque de n’être pas absolument compris, je ne puis me mettre au point de vue où se placent les municipalités qui construisent au jour le jour, sans données statistiques sur les réels besoins de leurs communes et qui, allant au plus pressé, agrandissent leurs écoles pour répondre aux besoins du moment, sans se rendre compte de ce que les écoles devront être lorsque le service de l’instruction obligatoire sera réellement constitué.
- „ L’arrêté du gouvernement s’inspirant de ce qui a été fait de mieux dans l’enseignement primaire, pose des règles dont j’ai à montrer les conséquences pratiques bien comprises.
- Il est acquis déjà pour chacun que si l’on suppose un groupe scolaire dont les salles de classes soient reliées entre elles, on peut établir des classes bien divisées, suivant l’âge et le degré de savoir des élèves.
- Un tel groupe scolaire permet de confier chaque classe à un professeur donnant un enseignement en parfait rapport avec le savoir de l’élève. L’inspection des classes est facile : un instituteur capable peut imprimer à l’ensemble du groupe une bonne direction et veiller à son maintien.
- Les classes d’école disséminées tombent au contraire dans les inconvénients des écoles de hameau; la direction en est imparfaite ; c’est l’école à peu près à l'état primitif. Le progrès des élèves y est lent et difficile, par suite de la réunion dans une même classe des divers âges de l’enfance, et de l’obligation pour le maître d’appliquer simultanément différents programmes.
- Quoi qu’il en soit il est un ensemble de données principales qui peuvent servir de règles pour la dimension des salles de classes, règles trop peu observées jusqu’ici.
- Pour des motifs qu’il serait trop long de développer ici, nous supposons le mobilier scolaire composé de tables-pupitres construites chacune pour deux élèves.
- Quatre tables forment front en face du maître
- et contiennent par conséquent 8 élèves; 4 rangs de tables placées les unes derrière les autres contiennent 32 élèves.
- 5 rangées en contiennent 40.
- 6 » » » 48.
- Les tables sont séparées les unes des autres par des allées : une centrale, deux contre les murs et deux intermédiaires.
- De cette façon le professeur peut aller près de chacun de ses élèves; chaque élève peut quitter sa place sans déranger le moins du monde ses voisins; et les tables peuvent constamment être appropriées à la taille des élèves.
- Dans les écoles mixtes, un des côtés de la classe, à partir de l’allée centrale, est affecté aux filles, l’autre aux garçons.
- Les dimensions des salle de classes varient suivant l’âge des élèves, carie mobilier doit être proportionné à la taille des écoliers et, par conséquent, plus petit pour des enfants de 7 à 8 ans que pour des élèves de 14 ans.
- La classe élémentaire peut avoir
- en largeur.................... 8 mètres
- la classe moyenne.................8 m. 50
- la classe supérieure. , . . . , , 9 m.»»
- Les profondeurs perpendiculaires à l’estrade du professeur sontjes suivantes :
- Classe élémentaire
- pour 32 élèves. ........ 7 mètres
- » 40 »........................... 7 m. 90
- » 48 8 m- 80
- Classe moyennne
- pour 32 élèves..........................7 m. 25
- » 4Ô ».............................8 m. 20
- » 48 . 9 m. 16
- Classe supérieure pour 32 élèves. .
- » 40 » .
- » 48 » .
- 7 m. 50
- 8 m. 50
- 9 m. 50
- Pardonnez-moi d’avoir abordé devant vous une question aussi aride que celle de dimensions et mesures, au lieu d’avoir parlé à votre cœur, en mettant en lumière la grandeur et les bienfaits de l’instruction. Mais il est tellement opportun d’attirer l’attention des pouvoirs sur le défaut de prévoyance dans les travaux qui se préparent et s’exécutent pour l’édification des écoles, qu’il m’a semblé de première importance de traiter la question devant vous. Ce qu’on fait maintenant sera bientôt insuffisant et n’aura pas été conçu au point de vue d’une rationnelle application des vues si larges et si bien formulées par l’arrêté du gouvernement, en date du 27 juillet dernier. Il est donc nécessaire que toutes les
- p.547 - vue 548/836
-
-
-
- 548
- LE DEVOIR
- études de plans d’école soient reprises et méditées au point de vue de l'application de cet arrêté.
- Ne pensez pas que j’aie la prétention que les communes doivent réaliser le groupe scolaire immédiatement comme je viens de vous l’indiquer. Non, telle n’est pas mon opinion. Mais il conviendrait qu’en installant une école, chaque commune se rendît bien compte de ses besoins futurs, qu’elle se ménageât les moyens d'agrandissement nécessaire, que les classes nouvelles fussent édifiées dans les proportions voulues, et conçues de façon à s’harmoniser avec les développements ultérieurs qui devrontcom-pléter le groupe scolaire. Ce but peut être atteint avec un plan d’ensemble dans lequel auront été prévus ces développement^.
- Jusqu’ici on marchait un peu à tâtons, souvent dans des vues fort différentes. Chaque commune élevait ses écoles sans règles ni principes.
- Il n’en doit plus être ainsi après l’arrêté du 27 juillet qui fixe les conditions d’existence des cours et des clasées, d’une façon sanctionnée par l’expérience et la pratique. Nous devons nous empresser de mettre ces indications à profit.
- C’est là, messieurs les instituteurs, un sujet digne de vos méditations. Bien que vous ayez à vous servir des écoles telles qu’on les met à votre disposition, il est bon que vous usiez de votre sage influence pour améliorer les groupes scolaires, en attirant l’attention des municipalités sur ce qui est bon et bien. Etudiez donc cette question, et faites comprendre dans toutes vos communes l’heureuse influence que doit exercer un groupe scolaire bien conçu.
- Le Catholicisme et le Socialisme •
- h
- Le point de départ du Catholicisme est la foi, celui du socialisme est la raison humaine ; le catholique doit croire tandis que le socialiste doit examiner ; l’un est tenu d’admettre tout ce qu’il plaît au chef infaillible de l’Eglise de lui présenter comme dogme, comme article de foi ; l’autre n’accorde créance qu’à ce que sa raison lui démontre vrai ; pour le premier la doctrine de l’Eglise est le critérium suprême de vérité ; pour l’autre c’est l’étude, l’observation des faits, l’expérience.
- De même, le but de l’existence de l’homme sur la terre est tout-à-fait différent pour le catholique et pour le socialiste. Le catholique affirme que le
- but de l’homme sur la terre doit être uniquement de travailler à préparer son salut dans l’autre vie ; et il conforme naturellement sa conduite à cette doctrine. Ce salut ne peut être obtenu qu’au moyen du renoncement et du sacrifice.
- « Sacrifice et renoncement, » dit M. Charles Perin, professeur à l’Université catholique de Louvain, dans son livre « Les Lois de la Société chétienne », sacrifice et renoncement sont les premiers mots de toute langue chrétienne et de toute langue religieuse. Point de religion sans sacrifice, et point de sacrifice sans renoncement.
- « Le sacrifice que doivent à Dieu tous les êtres qui ont reçu de lui la liberté, c’est l’offrande d’eux-mêmes. Il faut qu’üs rapportent leur vie au maître souverain de tout ce qui vit ; qu’ils renoncent à vivre en eux-mêmes et par eux-mêmes, afin de vivre en Dieu et pour Dieu. Tel est le sacrifice en son essence. C’est par l’abandon de soi-même à Dieu, que l’être libre accomplit la fonction sainte en laquelle tout culte se résume.
- « Le Sacrifice est donc la loi naturelle de toute liberté créée. L’homme ne peut légitimement rapporter toutes choses à lui-même, vu qu’il n’existe pas pour lui-même. Deux choses concourent à établir l’équilibre de la création morale ; d’abord, l’activité propre des individus, avec le désir de bonheur qui est inhérent à chacun d’eux ; puis, l’obligation où tous sont de chercher leur bonheur au centre infini de toutes choses, en soumettant, par le sacrifice, leur volonté propre à la volonté de celui qui est leur cause, leur fin et leur souverain maître.
- « Mourir à soi-même est la perfection de la liberté, et le dernier mot de la vertu chrétienne. L’homme vertueux est l’homme libre par excellence, car sa liberté est dans la perfection de l’ordre. »
- Ainsi, le chrétien pour remplir le but de sa vie, doit abdiquer toute indépendance, toute initiative, toute liberté, et vivre en Dieu, mourir à soi-même, afin d’acquérir le salut, la vie éternelle.
- Ainsi comprise, la mission de l’homme sur la terre est une annihilation complète, une espèce de Nirvana terrestre, dans lequel l’homme s’absorbe dans la contemplation de Dieu, vivant en lui, et pour lui. Dès lors plus d’activité féconde, plus de progrès à poursuivre, plus de solidarité, plus de fraternité au sein de l’humanité, tous les efforts de l’individu devant tendre à l’oeuvre personnelle de son salut.
- Dans un pareil système, le principe d’autorité est nécessairement prépondérant, et cette autorité est souveraine et absolue comme émanant directement de Dieu * Le libre arbitre de l’homme est plutôt un
- p.548 - vue 549/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 549
- mot qu’une chose, car l’homme ne peut choisir j d’autre voie que celle qui lui est tracée par le re- { présentant de la divinité, sous peine de damnation, sous peine, par conséquent, de manquer complètement son but. Cela explique l’union intime qui n’a cessé d’exister entre le trône et l’autel, la toute puissance de ce dernier, et ses revendications de suprématie même sur les souverains absolus de droit divin.
- L’autorité spirituelle de l’Eglise et l’autorité temporelle des rois s’exercent par délégation divine, et elles font sentir leur action sur la raison humaine, qui ne peut se mouvoir en dehors des étroites limites qu’elles lui ont tracées, en vertu de leur infaillibilité souveraine et immuable.
- Donc pour le catholique véritable, le devoir consiste à sacrifier complètement sa raison pour la soumettre au joug de la foi aveugle, à renoncer à son libre-arbitre pour suivre au pied de la lettre les préceptes de la doctrine religieuse, à abdiquer toute aspiration vers le progrès pour s’en tenir strictement aux immuables lois d’un système soi-disant révélé. C’est par l’abdication de sa volonté, par l’abnégation uniquement que l’homme peut arriver au bien.
- Il en résulte naturellement, que pour le catholique l’idéal de la perfection dans cette vie, c’est l’existence monastique, la plus inutile de toutes, puisqu’elle ne contribue en rien au bien commun, et qu’elle ne rend absolument aucun service à la société.
- Tout autres sont les affirmations et la conduite du socialiste. Pour lui, le but de l’homme sur la terre, c’est aussi le bien, mais compris d’une toute autre façon. Considérant la vie universelle comme le tout suprême, c’est au progrès de la vie en général, et à celui de la vie humaine en particulier qu’il se croit rigoureusement tenu de travailler. C’est ce que tous les sages de tous les temps, depuis Socrate et Platon, ont entendu, lorsqu’ils enseignaient que l’homme doit chercher le bonheur, non dans le renoncement à soi-même, mais dans la possession paisible et souveraine de soi-même. Aristote place même le bonheur dans la pleine et régulière expansion de la personnalité humaine.
- C’est en travaillant de toutes ses forces au progrès de la vie, que l’homme travaille à sa propre perfection, à son développement intellectuel et moral. Guidé par les lumières de la raison humaine, ce flambeau de l’intelligence qui est en lui une émanation directe de la divinité, il concourt à l’œuvre grandiose de la nature, en la complétant, la perfectionnant, la suppléant au besoin. Ainsi, son existence est rendue utile à l’humanité, en même
- temps qu’à lui-même, et il remplit de la sorte pleinement sa mission de progrès et de perfectionnement ici bas.
- Le socialiste n’abdique pas plus sa liberté que sa raison, et c’est au contraire dans le plein exercice de sa liberté qu’il trouve le moyen de rendre son œuvre efficace et complète. Pour lui le principe de liberté n’est point subordonné au principe d’autorité, car il en est au contraire la source véritable. C’est la volonté générale qui constitue la souveraineté, et dans toute société, le souverain c’est la société elle-même, être collectif qui ne peut jamais aliéner ce droit absolu, inné en lui, et qui ne peut que le déléguer purement et simplement dans certaines limites et conditions. Inaliénable et indivisible dans le peuple lui-même, la souveraineté ne peut dans aucun cas appartenir sans conditions à personne.
- Il est clair, par conséquent, que le socialiste ne peut point admettre l’infaillibilité d’un pontife en matière de foi, puisqu’il ne fait nul sacrifice de sa raison à personne, ni le droit divin d’un monarque en matière de gouvernement, puisqu’il entend vivre dans le plein exercice de sa liberté et de sa souveraineté.
- C’est dans l’accord parfait des lois humaines avec les lois de la vie que le véritable socialiste fait consister la justice dans les sociétés ; il faut que la législation sociale favorise le plus possible la libre expansion des besoins de l’homme, et qu’elle facilite les moyens de leur donner pleine et entière satisfaction. Il ne demande donc â l’individu aucun sacrifice, aucun renoncement, bien opposé en cela aux idées catholiques qui font résider le bien et le bonheur de l’homme dans le renoncement et le sacrifice.
- Rien ne lui paraît plus respectable au monde que la vie d’abord et la liberté des citoyens ensuite. Il proclame hautement la liberté de pensée, la liberté de conscience, la liberté politique, et la liberté civile, et il entend en laisser à tous le plein exercice. Le catholique au contraire condamne et proscrit rigoureusement la liberté de conscience, et il entend l’anéantir dans un assujetissement ridicule, à des croyances puériles et saugrenues.
- Le socialiste admet le progrès constant et incessant de la raison humaine, et il a foi dans son avenir au point d’espérer la voir atteindre la perfection ; le catholique place dans l’immutabilité du dogme, le summum des notions humaines en fait de doctrine religieuse, et il repousse l’autorité de la raison en matière de philosophie ou de morale.
- Enfin en ce qui touche à l'économie sociale,
- p.549 - vue 550/836
-
-
-
- 550
- LE DEVOIR
- l’idéal du catholique c’est la charité comme moyen d’éteindre le paupérisme, avec l’organisation des ateliers de production industrielle en corporations chrétiennes, comme moyen de moralisation du peuple des travailleurs. L’usine du Val des Bois, dont nous avons à larges traits esquissé l’ensemble, est le type de cette organisation.
- Le socialiste au contraire ne voit d’autre moyen d’arriver à l’extinction radicale du paupérisme, que dans la réhabilitation du travail dans ses rapports avec le capital, et, par l’association de ces deux éléments de production, dans une répartition plus -équitable et plus rationnelle des bénéfices résultant de leur collaboration, d’une part, et de l’autre, dans l’organisation complète et intelligente de la mutualité nationale sur des bases larges et solides.
- A la place de la charité, de l’aumône qui avilit et humilie, le socialisme place la fraternité qui encourage, la solidarité qui fortifie, la mutualité qui élève, et il remplace ainsi un prétendu bienfait par une rétribution légitime et juste. Là où le catholicisme semble faire une concession, le socialisme ne fait que sanctionner un droit méconnu jusqu’à ce jour, mais certain, indiscutable et imprescriptible, le droit de tous à l’existence, le véritable droit divin celui-là.
- C’est qu’au lieu de cette divinité si fortement entachée d’anthropomorphisme qui est le dieu des juifs et des catholiques, produit d’une soi-disant révélation céleste qui ne soutient pas l’examen, le socialiste cherche Dieu dans ses œuvres, dans les admirables lois de la nature, dans l’ensemble des faits de l’univers qui le révèlent d’une façon bien plus claire et plus intelligible aux yeux, non de la foi, mais de la saine raison, et que, s’éclairant du flambeau de la science, il sait le voir dans ces myriades de mondes, radieux soleils, astres étincelants qui remplissent l’espace, et qui, suivant la parole véritablement inspirée cette fois du psal-miste, racontent à pleine voix la gloire de Dieu et la grandeur de ses œuvres. Cœli enarrant gloriam dei, et opéra mannum ejus annuntiat firmamentum.
- {A Suivre).
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- La situation en Egypte. — Il y a quelques semaines seulement que le fléau de la guerre a commencé de frapper l’Egypte, et c’est par centaines de millions que l’on peut chiffrer les pertes, les dévastations, sans parler des dépenses improductives d’armements qui plus ou moins se font par toute l’Europe en vue des événements. Voici maintenant que l’administration té-
- légraphique informe le public qu’elle ne peut plus répondre de la remise aux destinataires des télégrammes expédiés pour l’Asie et pour 1 Afrique, et qui ordinairement passent en transit par 1 Egypte. Gette seule incertitude est une ruine.
- L’armée anglaise s’est définitivement emparée du canal de Suez et de ses dépendances. Suez, Ismaïlia, Port-Saïd sont occupés. Les établissements et les bureaux de la Compagnie sont sous la main militaire. Pendant deux jours le canal, fermé aux navires de commerce, n’a été ouvert qu’aux vaisseaux de guerre. Instrument de paix, il est devenu instrument de guerre. Sir Garnett Wolse-ley en a fait la base de ses opérations contre Arabi. Celui-ci, en coupant les canaux qui envoient l’eau douce à Ismaïlia, et d’Ismaïlia à Suez et à Port-Saïd, ne ferait, militairement parlant, qu’user d’une revanche légitime, et s’il avait, il y a quinze jours en quelques heures de nuit, comme il est possible de le faire, obstrué sur deux ou trois points le canal, et mis en interdiction le commerce et la navigation, il n’aurait rien fait après tout que prendre l’avance sur les Anglais.
- M. de Lesseps a fait courageusement, hardiment son devoir : il a protesté depuis la première minute jusqu’à la dernière, la force brutale seule l’a rendu non point muet, mais impuissant, il a dû accepter un moins vivendi grâce auquel le transit par le canal est rétabli.
- Ces faits démontrent que la neutralité du canal de Suez ne sera qu’un vain mot, tant qu’elle ne sera écrite que dans l’acte de concession, et qu’elle n’aura d’autre sanction que la garantie isolée d’un gouvernement impuissant.
- Tous les partisans du droit, de la justice et de la paix ont protesté contre l’intervention violente de l’Angleterre. La grande armée des travailleurs anglais a protesté, les démocraties italienne et française ont protesté; dans le sein même du parlement anglais, des voix éloquentes, parmi lesquelles celles de MM. Wilfrid Lawsem et Henry Richard, ont protesté; M. Bright, qui était ministre, a donné sa démission. L’Europe, le monde ont flétri le bombardement d’Alexandrie, que les cabinets allemand et autrichien seuls avaient osé le premier jour appuyer d’une approbation qu’ils ont retirée le lendemain, nous-mêmes nous avons blâmé hautement, et nous blâmons encore M. Gladstone d’avoir pris les voies de la guerre.
- M. de Bismarck a fait savoir à M. Duclerc que sa pensée était de rétablir en Egypte le statu qno ante. Nous ignorons la réponse de M. Duclerc, mais nous remarquons que le statu quo ante comprendrait le maintien du contrôle anglo-français au profit des créanciers de l’ancien khédive. Or c’est ce contrôle qui a suscité les premiers troubles en Egypte. Maintenir la dette et le contrôle ce serait une iniquité et une imprudence. Contrôle et dette doivent disparaître. Cette dette est personnelle à l’ancien khédive, c’est done à lui et non au peuple égyptien que doivent s’adresser les créanciers. Ni la France, ni l’Angleterre, ni aucune puissance n’ont à se mêler davantage de cette sale affaire.
- *
- ¥ ¥
- Les Anglais et l’Egypte. — Pour quiconque connaît l’Egypte et les Egyptiens, il est évident que le bombardement d’Alexandrie, de même que la destruction d’Aboukir par les anglais, a été dirigé non contre Arabi et ses troupes, mais bien contre l'Europe entière, et surtout contre la France. Si depuis le percement de l’isthme de Suez quelqu’un en Egypte, a fait obtacle aux projets d’acaparement de l’Angleterre, ce ne sont point les indigènes, mais bien les opulentes colonies européennes enracinées dans le pays, L’Angleterre a encouragé sous maiû, cette révolution qui leur offrait un prétexte d’intervention longtemps cherché, elle n’a pas hésité en cette occasion, à renouveler ce qu’elle fit autrefois pour Copenhague, elle a bombardé Alexandrie en pleine paix.
- L’Angleterre veut assurer sa route de l’Inde ; elle pos-
- Isède déjà depuis longtemps Gibraltar et Malte, c’est-à-dire les deux points les plus importants de la Méditerranée ; rien d’étonnant à ce qu’elle veuille occuper l’isthme
- p.550 - vue 551/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 551
- de Suez, d’ailleurs elle garde l’entrée de la mer rouge grâce à Àdeu et à l’ile Périm. C’est pour cela que dans fa derrière guerre d'Orient, elle se fit concéder par la porte L’île de Chypre d’où elle pouvait aisément et de plus près surveiller l’Egypte. Eu outre les anglais ne seraient pas fâchés parla même occasion de mettre la main sur un des plus riches et des plus fertiles pays qui existent et qu'ils convoitent depuis longtemps.
- Toutefois, avant d’en arriver là, il leur faudra vaincre Arabi et peut-être ne sera-ce pas aussi facile qu’on le pense, car c’est un peuple combattant pour sa liberté et son indépendance qu’il s’agit de dompter. D’ailleurs, les Egyptiens ont l’appui moral de tous les honnêtes gens : quoi de plus légitime en effet que leurs aspirations ! il n’est pas besoin de le démontrer ici ; tout le monde le comprend, et ceux-là seuls le nient, qui ont intérêt à les étouffer. Aussi espérons-nous fermement que, une fois de plus, la bonne foi aura le dessus sur la lâcheté et l’égoïsme britanniques, et qu’enfin le peuple Egyptien sera délivré de cette tourbe d’exploiteurs qui se sont abattus sur son sol.
- La défaite seule des anglais peut sauver les intérêts européens en Egypte, et permettre aux colonies européennes de se rencontrer telles qu’elles étaient auparavant, faisons donc tous des vœux pour le succès des armes de ces prétendus insurgés.
- (Journal-de Choisy), H. de Falcona.
- *
- * *
- Les avantages die la paix. — Un journal allemand se félicite de ce que, de l’aveu même du Times, le plus gros bâtiment de guerre anglais, Vin-flexible, se serait servi de poudre allemande dans le bombardement d’Alexandrie. Il y a de quoi être fier en effet !
- Sous le titre : Heureuse réaction, le même journal met en parallèle les avantages dont jouissait la petite ville de Huningue lorsqu’elle était encore ville de garnison, et celle dont elle jouit actuellement comme ville de fabrique. « Petit à petit, dit-il, ce qui paraissait un malheur pour la ville s’est tourné à son profit: de nombreuses fabriques se sont créées, et chacun trouve un emploi lucratif de ses forces et de son travail. Une seule chose est encore à déplorer, c’est l’inutilité des immenses casernes restées vides jusqu’à ce jour ; il est à désirer que la ville trouve une manière de les utiliser dans un but industriel. »
- RUSSIE
- En Russie, le Tzar n’ose fixer la date de son couronnement, et l’on assemble dans le Caucase 78,000 hommes.
- Toute l’Europe a les yeux sur l’Egypte et sur le canal de Suez. La Russie et l’Autriche jettent un regard de côté sur le Bosphore et sur Constantinople.
- *
- * ¥
- Le nouveau tsar Alexandre III a fait inscrire parmi les titres impériaux celui de souverain du Turkestan, récemment conquis, et ajouté aux armes de l’empire la monocorne, emblème de la préfecture d’Asie de l’empire byzantin.
- *
- * *
- On annonee de Moscou que les fouilles pratiquées au Kremlin, pour la recherche des mines, se poursuivent sans interruption, et que l’on a découvert plusieurs chemins souterrains, entièrement construits en maçonnerie, dont on ne soupçonnait aucunement Texistence, et qui conduisent d’un*couvent vers plusieurs points du Kremlin. On croit que les chemins datent du règne d’Ivan le Terrible, et qu’ils ont été les témoins muets des effroyables exécutions faites à cette époque reculée.
- Une dépêche de Saint-Pétersbourg annonce que la grève de Narva (Russie d’Europe), provoquée par les nihilistes, continue.
- Plus de 5,000 ouvriers ont quitté le travail.
- Il se confirme que la garnison a été attaquée et battue.
- On continue à envoyer des troupes de Cronstadt.
- La foire de Nijni-Novgorod, malgré la proclamation de l’état de siège pendant toute la durée de la foire, ne s’est pas passée sans désordres. Des troubles ont éclaté le 14.
- Un hôtel a dû être fermé par l’ordre de la police.
- Une proclamation nihiliste a été affichée cette semaine sur les murs de Saint-Pétersbourg.
- ITALIE
- Eu Italie, les paysans continuent à mourir de faim et de-pellagre. C’est aux électeurs à user de la nouvelle loi, pour créer par un parlement nouveau un gouvernement nouveau.
- AUTRICHE-HONGRIE
- Les journaux viennois publient un communiqué de la police concernant une tentative de vol commise, le 4 juillet, au préjudice du cordonnier Merstallinger, de Vienne.
- Il est dit, dans ce communiqué, que les journaux révolutionnaires de l’étranger excitent depuis longtemps les classes ouvrières à détruire les institutions gouvernementales, et que, subissant l’influence indubitable de ces journaux, les ouvriers de Vienne ont formé un parti représentant les tendances anarchistes du socialiste Most.
- On a trouvé, dans la petite ville de Muhlausen (Bohême), des menaces contre les juifs affichées aux coins des rues et portant : « Les juifs sont sommés de quitter la ville avant le 15 de ce mois, faute de quoi il leur ar* rivera malheur. » Le 15, lorsque la gendarmerie se rendit à la synagogue, elle trouva les fenêtres de cet édifice brisées.
- Grand procès socialiste en Autriche : 81 accusés.
- ALLEMAGNE
- La Gazette de l'Allemagne du Nord revient sur le discours prononcé par M.Paul Bert au Trocadéro, le 6 août, et déclare que la soi-disant proclamation du prince Frédéric-Charles, lue par le conférencier, est une invention mensongère.
- La Gazette attaque vivement à cette occasion M. Paul Bert et M. Gambetta.
- Il est exact que M. Paul Bert a fait erreur en attribuant au prince Frédéric-Charles la proclamation dont il a lu le texte au Trocadéro. Cette proclamation n’en est pas moins un document historique. Seulement, elle date de 1815 et passe pour être l’œuvre du feld-maréchal Blücher, qui, d’après les historiens de l’époque, l’aurait adressée à ses soldats au début de la campagne des Cent-Jours.
- La Gazette de Cologne assure que la tension entre le gouvernement et le clergé catholique relativement à la question des mariages mixtes a ranimé d’une manière inattendue le Kulturkampf, et que l’empereur profitera de son prochain voyage en Silésie, où le nouveau conflit a pris naissance, pour exprimer publiquement son mécontentement. En attendant, M. de Schlœzer a de fréquentes conférences avec M. de Bismarck à Varzin. L’ambassadeur prussien auprès du Vatican sera reçu de nouveau en audience demain, lundi, à Babelsberg par l’empereur. L’attitude de l’évêque de Breslau,qui a provoqué les sujets de mésintelligence entre le centre et les conservateurs, empêchera probablement la fusion
- p.551 - vue 552/836
-
-
-
- 552
- LE DEVOIR
- projetée de ces deux groupes, et semble de nature à faire ajourner tout compromis avec le Saint-Siège.
- La Gazette de VAllemagne du Nord fait un tableau navrant du sort réservé en Amérique à tous les émigrés allemands qui ne sont pas munis de ressources suffisantes pour pouvoir se rapatrier après des tentatives infructueuses d’établissement dans un pays considéré cependant en Allemagne comme la terre promise :
- Des milliers d’émigrés, dit la feuille officieuse, sont errants, sans argent, sans pain, sans travail, et maintenant sans patrie. La faim et le chagrin sont imprimés sur leurs faces. Plusieurs ont acquis des terres" qu’ils ont défrichées, mais ils les abandonnent, n’ayant pas les moyens de payer l’intérêt et l’amortissement de leur dette. Ils se trouvent alors dans une détresse affreuse, et se prennent à regretter vivement leur ancienne patrie.
- Le gouvernement allemand a ordonné d’établir la statistique des personnes qui ont émigré dans les six premiers mois de l’année, afin de connaître le nom des familles, des individus et des localités des émigrants, ainsi que les causes individuelles de l’ômigration. Ces indications devront être fournies avant le 1er septembre.
- COSTA-RICA
- TJïî T>el exemple à suivre. — Tomas Guardia, président de la république de Costa-Rica, est mort à San-José le S juillet dernier. Gomme il sentait que la rapide diminution de ses forces ne lui laissait plus l’activité nécessaire pour gouverner, il avait spontanément, par décret du 17 juin précédent, désigné pour président temporaire Don Saturnino Lizado, et pour commandant provisoire des forces militaires le général Don Prospero Feudez. Tomas Guardia fut un grand homme et un grand homme de bien. Il a transformé Cosca-Riea, il a mis ce petit pa3's dans la voie d’une prospérité certaine si ses successeurs suivent les traditions qu’il a ouvertes et développent selon les mêmes principes, les germes qu’il a semés et cultivés. Ecoles primaires, secondaires et supérieures, législation civile, commerciale et pénale, finances, agriculture, commerce, il n’est pas une seule branche de l’administration qu’il n’ait renouvelée, développée, mise en état de prospérer. Il laisse achevé aux deux tiers un chemin de fer interocéanique qui, exécuté avec les seules ressources d’un pays petit et pauvre, deviendra dans peu d’années l’instrument d’une prospérité sans limite. Tomas Guardia est probablement le seul directeur d’Etat qui ait jusqu’ici sérieusement appliqué les principes de la paix et de la liberté. Un fait que nous avons cité en son temps, mais qu’il convient de rappeler sur se tombe, c’est qu’il a organisé de telle façon le service militaire et le service scolaire de Costa-Rica que, les deux services étant assurés, la république compte plus d’instituteurs que de soldats. Puissent ses successeurs ne point déroger !
- * * -
- Les iroiss embarrassante même aprèn leur mort. — On sait qu’il existe à Boulacq, sur les bords du Nil, un musée fondé par Mariette, et dont le directeur est aujourd’hui un autre savant français, M. Maspero. Il contient les précieux témoignages de la civilisation égyptienne, et c’est une collection d’un prix inestimable pour l’histoire, la science et l’art. On a été fort inquiet sur le sort de ce musée, qui se trouve au centre des opérations de la guerre anglo-égyptienne. Le conservateur, M. Mastero, a tenu bon jusqu’au dernier moment, mais il a été obligé à la fin de revenir en France, etde confier la garde du musée à deux employés jndiganes dignes de confiance.
- M. Marius Yacbon raconte dans la France un incident assez comique qui a signalé le départ de M. Maspero :
- Avant de partir, M. Maspero- a pu, en outre, installer au musée de Boulacq les momies de Pharaons, que le plus piquant et le plus inattendu des hasards lui a permis de découvrir l’année dernière à Tbèbes, Suivent la tradition que* dans les circonstances les plus tragiques
- et les plus douloureuses, il se glisse toujours jdes inci dents qui, parleur côté comique, burlesque, provoquent le sourire et interrompent un instant les larmes je transport de ces momies a donné iieu, paraît-il, à une aventure vraiment fort plaisante.
- M. Maspero en était à la momie d’un roi Merenra Soigneusement empaquetée, ficelée, surveillée d’afil leurs d’un œil filial par le savant directeur du musée" elle ôtait arrivée à dos d’âae, à très bon port dans lâ gare de Bedotschin ; la première étape, la plus dangereuse d’ailleurs, s’était accomplie heureusement.
- A la gare, M. Maspero présente la momie royale aux bagages après avoir naturellement, au préalable, inscrit sur l’enveloppe la mention : très fragile. Oh ! philosophie des bagages égyptiens !
- Le receveur réclame " la déclaration de la nature du colis ; le taux de transport est établi là-bas, en Egypte « ad valorem » et non d’après le poids et les dimensions. Embarras de M. Maspero, qui tient à faire voyager Merenra incognito, par mesure de prudence. Le contrôleur insiste, et la déclaration d’une momie est faite. On consulte le tableau des tarifs ; la Compagnie n’a point prévu le transport d’une momie; que faire? M. Maspero discute longuement avec les employés; les uns et les autres cherchent, mais en vain, dans quelle catégorie d’objets ils pourraient bien classer la momie.
- Le train va partir. Aux environs de Memphis, les trains sont moins fréquents que sur la ligne de Paris à Asnières ; M. Maspero se soucie médiocrement de coucher là en compagnie de sa momie. Enfin, après de longs débats, on en réfère au chef de gare. Celui-ci joint la sagacité d’un Salomon aux qualités d’un employé supérieur d’une Compagnie de chemins de fer, l’urbanité et la rapidité des conceptions.
- — Qu’avez-vous là-dedans? dit-il à M. Maspero.
- — Un vieux roi, répond le directeur du musée de Doulacq.
- Roi ! réplique le chef de gare, qu’on lui donne un billet de première classe !
- Et voilà le pharaon Merenra installé religieusement par les employés de la gare sur les coussins d’un wagon de première classe, aux côtés de M. Maspero.
- Notre compatriote était heureux d’une solution aussi galante et aussi imprévue. Arrivé à la gare du Caire, la momie descend de wagon en compagnie de son Christophe Colomb, l’un traînant l’autre, a la stupéfaction générale.
- Les employés de l’octroi interviennent à ia barrière.
- — Vous n’avez rien à déclarer? demande l’un d’eux à M. Maspero.
- — Une momie de roi, répondit-il.
- Le respect des souverains est beaucoup diminué au Gaire, paraît-il, depuis que Tewfilk-Pacha a abandonné si piteusement la capitale de sa vice-royauté, pour aller s’abriter derrière les canons de l’armée anglaise. La déclaration n’a point le même succès qu’à Bedrolscbin ; elle trouve les gabelous égyptiens à cheval sur les règlements. Ils veulent absolument faire payer au Pharaon embaumé un droit d’octroi. Nouvelles discussions. Le tarif ne mentionne point le prix de l’entrée d’une momie. Enfin M. Maspero a l’inspiration de proposer déclasser son compagnon de voyage dans... les poissons salés! Ce qui est aussitôt accepté.
- Un Pharaon, un membre de la XIXme dynastie, le prédécesseur de Tboutmès III, qui fut l’aïeul du grand Sesostris, considéré comme un vulgaire morceau de morue desséchée ! ! !
- « Vanitas vanitaium Omnia vanitas. »
- Enfin après tant de mésaventures, Menrenra repose aujourd’hui paisiblement dans la musée de Boulacq, aux côtés de ses antiques confrères. Puisse-t-il désormais ne point voir de nouveau troubler son sommeil de sept ou huit mille ans par quelques obus du général Wolseley. Des morts aussi augustes et aussi vieux ont bien droit à un éternel repos. Mais il n’en est pas moins vrai que les rois même morts sont embarrassants*
- p.552 - vue 553/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 553
- L'Unité de ia vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective(1>
- 13lit de la, vie
- III
- Le but de la vie de l’homme est le développement de l’imparfait vers le parfait, vers Dieu. Tels étant notre destinée et notre avenir la vie doit s’accomplir dans ses conditions présentes, afin de permettre l’acquisition progressive des connaissances que nous sommes venus chercher en ce monde et la conquête de la vie plus facile, en attendant la vie réelle et complète due à ceux qui auront acquis toute l’intelligence et toutes les vertus dont la créature est capable.
- C’est au même résultat que l’on est conduit en appréciant la vie dans sa seule actualité. Autour de nous tout est transition, perfectionnement et continuité. La vie humaine impossible au dehors de la société a pour but la vie sociale, et celle-ci tend à l’amélioration des sociétés. Mais il est sensible que celles-ci ne sauraient se modifier que par le changement des individus qui les composent, qu’autant que les sociétaires accroissent leur connaissances et appliquent des principes de moralité. Le but de la vie individuelle apparaît dès lors comme le moyen d’éducation des êtres intelligents, marchant à la découverte et à la pratique du bien, comme le moyen à l’aide duquel ils dirigent les choses dans un intérêt commun, vers un but marqué par le beau et le vrai, sous l’impulsion de la science.
- La vie corporelle de chacun a pour objet l’avancement de chaque être humain, comme la vie collective a pour objet le travail en commun et l’avancement de la civilisation.
- Dans ce système la mort ne saurait donc produire qu’une halte dans la vie corporelle, un changement de forme dans l’existence intellectuelle. Etudions le but de la vie isolée comme celui de la vie sociale et nous croirons non seulement à la vie future, mais à l’unité de la vie; c’est-à-dire à la vie commencée dans le passé, continuant par le présent et devant être suivie d’un avenir sans fin.
- Nous pouvons ne pas avoir conscience de notre identité dans la vie nouvelle, sans que cela empêche la continuité de la vie développée d’après un mode nouveau qu’elle aurait disposé. La perpétuation de l’ancienne individualité dans la vie nouvelle paraît interrompue par la mort, mais elle ne saurait l’être en réalité car le monde actuel si plein de vices et de misères ne saurait être que la suite, l'héritage, la
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20 et 27 août 1882.
- f liquidation, et la mise en meilleur ordre du monde ! qui l'a immédiatement précédé. La réflexion conduit à accepter comme des vérités démontrées ces allégations, que des êtres du passé se sont repré-lentés sous la forme des êtres actuels, et que loin de trouver un obstacle dans la fin des corps, la répétition des existences individuelles possède avec la mort apparente, sa voie nécessaire.
- La vie future a pour trait d’union avec la vie passée, la vie présente dans laquelle l’une se poursuit et l’autre se prépare. Toutes deux sont liées dans le vivant, toutes deux représentent confondus dans chacun de nous, hier et demain. Ces enfants qui nous semblent prodigieux, par leur facilité pour comprendre et retenir, ces hommes dont la puissance intellectuelle nous confond, sont ceux qui ayant le plus souvent ou le plus utilement recommencé la vie ont le plus acquis par leur travail. L’antériorité de la vie que démontrent les différences intellectuelles, non moins que les souffrances auxquelles personne n’échappe, est rendue plus évidente encore par les différences morales, c’est-à-dire, le nom seul l’indique, par la diversité que révèle l'amélioration progressive des mœurs ou habitudes individuelles et sociales.
- Arrivés à l’individualité nous ne saurions retourner au néant. Il faut que nous discernions la loi morale par l’intelligence et que nous la suivions par la volonté. Chaque génération de ceux que nous disons nos ancêtres vit au milieu de nous et par nous. Si cela n’était pas, comment s’accomplirait le progrès, et pourquoi les derniers venus profiteraient-ils du travail de leurs prédécesseurs, sans efforts et sans autre peine que celle d'être nés après eux.
- L’avancement successif des individus constituant par leur co-existence les agglomérations sociales est le seul moyen de réaliser le progrès général. Celui-ci n’est que la conséquence de l’amélioration intellectuelle et morale de l’individu : impossible sans cette cause, il n’apparaît qu’autant qu’elle s’est elle-même produite.
- Le corps étant mort, l’être intelligent s tir vit avec ses incultes Sc sa conscience.
- IV
- Telle science prouve que le corps de l’homme n’est pas autre que celui de l’animal. Telle autre démontre que le principe intelligent en vertu duquel l’homme se conduit n’est pas identique à celui qui fait mouvoir et agir l’animal, et qu’il possède d’autres facultés que ce dernier.
- Donc, suivant la science, l’âme raisonnable est l’hôte et non le dérivé du corps : elle en est indépendante.
- Un homme est mort, son corps est anéanti* Vous ne
- p.553 - vue 554/836
-
-
-
- 654
- LE DEVOIR
- le voyez plus en tant qu’individualité vivant de la vie sensible : vous n’apercevez pas l'âme; mais elle vit: elle se recueille, et bientôt elle reprendra son œuvre au point où elle l’a laissée. Il faut que le travail commencé soit accompli tout entier, et ce n’est pas pour ce qu’elle a pu faire dans une vie de quelques jours qu’elle a été créée et réunie à un corps humain.
- Enfants nous vivons à côté de nos pères et nous profitons de leurs exemples, ainsi que de leurs leçons. Nous ajoutons leurs connaissances aux nôtres. Il faut qu’eux-mêmes à leur retour profitent de nos travaux auxquels ils joindront le fruit de nouveaux labeurs, et qu’ilyaitentre les générations un échange réciproque et continu d’exemples et de bienfaits. Il y a une œuvre collective aussi bien qu’une œuvre individuelle à accomplir : l’une et l’autre doivent être exécutées.
- Jugez impartialement et avec rigueur toutes ces âmes qui partent, et sauf à l’égard d’un très petit nombre la sentence sera que pour chacune d’elles, comme pour le monde, le résultat de la vie est imperceptible. Dès lors, et le but utile de l’existence ne pouvant être nié, il y aura nécessité de conclure du peu de succès de la vie présente, que la besogne est à reprendre, et que la carrière doit se réouvrir pour une nouvelle tentative.
- La raison d’être du culte des morts et la pensée que l’ame survit. — Uommnnion dans la mort. - JEg-alité»
- y
- Dis plutôt, répondit-il, celui-là vit qui s’est échappé des liens du corps ou il était emprisonné : ce que vous appelez la vie dans votre langage, c’est la mort.
- Cicéron De la République, liv, 6.
- J’ai toujours regardé comme impie la mise à nu et la dissection des momies des Egyptiens. Comment cette foi consolante et invincible de tant de générations accumulées n’a-t elle pas désarmé la sotte curiosité européenne ? Nous respectons les morts d’hier,mais les morts ont-ils un âge ?
- Gérard de Nerval. Voyage en Orient. L’hommage instinctif qui dans tous les temps et chez tous les peuples, est accordé aux morts et une conséquence directe de l’intaition que chacun a de leur survivance. Ce salut des passants au convoi d’un inconnu n’aurait pas de sens, s’il ne s’adressait à un vivant qui rentre dans la patrie des âmes. Pour la plupart nous sommes très religieusement attachés au souvenir des parents et des amis qui nous ont quittés. C’est afin de garder notre amour à ces êtres eux-mêmes que nous portons notre vénération sur ce qui les rappelle. Vous qui avez un culte si profond
- et si tendre pour la tombe de votre enfant est pour celle de votre mère, rendez-nous compte de votre croyance : c’est à l’âme de cet enfant, c’est à l’âme de cette mère que vous portez vos vœux.
- Se sachant immortel l’homme n’a jamais eu de culte réel pour les restes de la chair, c’est-à-dire de ce qui même pendant la vie n’est qu’un vêtement périssable et changeant. Il l’a toujours adressé à l’âme survivante sans jamais le rendre à ce résidu informe que contient le tombeau. L’humanité a refusé de suivre ces rares vivants qui ont le malheur de croire vivre entre deux néants, cette infime minorité pensant que ce qui fut n’est plus : elle a toujours voulu montrer que pour elle il y avait persistance de la vie. Sa croyance la conduira plus loin, car elle renferme cette réalité que ce qui sera est déjà et que la vie présente étant unie à la vie passée comme à la vie future, le départ n’est que le prélude du retour.
- L’etfroi causé par la sépulture dans l’intérieur des villes, les craintes que soulève l’extension considérable des lieux qui lui sont consacrés, le délabrement des tombes après deux ou trois générations, ainsi que la faveur des projets d’incinération, tout annonce que l’humanité est prête à formuler hautement sa conclusion. Elle n’entend ni substituer une urne à un tombeau, ou admettre un lien d'affection entre le survivant et une chose qui n’ayant rien de vivant renferme moins l’être chéri dont le départ vous afflige que ne le contiennent la maison qu’il a bâtie, et le champ qu’il a cultivé, ou que ne le rappellent l’enfant qui lui succède, et les êtres auxquels il s’est attaché.
- Il n’y a qu’un véritable culte des morts, c’est celui fondé sur la pensée que le vivant parti de la terre peut se rapprocher de celui qui l’habite encore. Gardons-nous de dire qu’il soit permis de profaner le corps. Il faut au contraire en vue de celui qui l’animait et dont il fut la représentation visible, le mettre | à l’abri de toute souillure même ultérieure. On n’en I tolère pas le séjour prolongé dans la maison mor-| tuaire par respect pour celui qui vient de disparaître. | C’est ce dernier sentiment qui bientôt inspirera seul tous les actes des vivants à l’égard du cadavre. Il sera livré à la terre d’où il est sorti, pour qu’il s’y anéantisse à i’abri de toute recherche dans la suite des âges.
- L’humanité réclame le même traitement pour tous les morts, non pareequ’il est aujourd’hui le sort des pauvres,mais parce que devant la cessation de la vie corporelle, tous les vivants doivent communier dans le sentiment de l’égalité des hommes : les distinctions séculières ne sauraient servir à caractériser i’indi-
- p.554 - vue 555/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 555
- vidualité de celui qui sort de notre monde, et le spectacle de l’interruption du mode actuel de la vie doit éteindre en nous toute pensée de ces différences terrestres désormais sans objet.
- Il faut la sépulture uniforme pour tous, mais à la condition de la rendre aussi décente que possible. Reconnaissons d’abord que la mort nous égalise, il nous sera plus facile d’admettre dans la vie, que nous sommes égaux et frères. Quand personne ne songe à aller chercher sous la pierre celui qui n’y git point, chacun peut venir au lieu de la sépulture commune s’inspirer du sentiment de fraternité qui doit unir tous les membres de la famille humaine. Enterrons nos morts sous des plantations qui deviendraient séculaires. Ils seront de la sorte à l’abri de tout outrage, et la terre de laquelle nous vient notre corps l’aura repris tout entier, avant que nos successeurs aient à utiliser le terrain où l’œuvre complète de la destruction se serait accomplie. Critiquer cette formation de bois sacrés de la mort, ce serait méconnaître la pensée de pieux respect qui fait demander leur établissement.
- Si ce n’est assez, reprenons l’usage antique et bordons nos promenades et nos routes de monuments élevés par la piété du public ou des familles et destinés à raviver le souvenir de ceux qui ont mérité la reconnaissance du pays ou celle de leurs parents.
- [A suivre). P. P. Courtépée.
- ijeccCQOOPw.
- La loi agent de moralisation
- Quelques hommes politiques et certains économistes prétendent que les lois ne sont que l’expression exacte de la moyenne de sens moral qui règne dans le peuple, et que celles qui sont supérieures à cette moyenne sont inefficaces et inapplicables dans la pratique. Nous avons entendu soutenir cette thèse à la tribune et dans la presse, et nous la croyons spécieuse et erronée.
- Cette opinion, en effet, est en contradiction formelle avec les principes de la réforme morale et du progrès social.
- Toute bonne loi renferme des principes de conduite qui porteut naturellement le peuple à s’améliorer moralement, et par conséquent on peut dire avec assurance que les bonnes lois sont essentiellement éducatrices. Elles peuvent n’être que répressives de délits et de crimes, mais pour employer ainsi la forme négative, elles n’en enseignent pas moins explicitement l’honnêteté, l’honneur et la justice.
- Les lois doivent être faites en vue de rendre le
- plus parfaites possible les conditions d’existence de l’association politique qu’on nomme la nation. Or quelle est la fin de l’association politique? La conservation et la prospérité de ses membres. Tout ce qui peut porter atteinte aux droits et aux intérêts de la communauté doit donc être empêché,et tout ce qui au contraire facilite l’exercice de ces droits et sauvegarde ces intérêts doit être facilité et encouragé. Le premier devoir, le devoir le plus essentiel de ceux qui ont charge de faire les lois est de ne rien négliger pour faire disparaître, par des règles judicieusement établies,tout ce qui peut nuire aux intérêts publics ou privés, et pour développer tout ce qui leur sert utilement :
- Le bien-être de chaque citoyen est intimement lié à celui de la communauté, on pourrait même dire qu’ils sont identiques, par conséquent il est du devoir du législateur, aussi bien que de chaque citoyen d’ailleurs, de travailler toujours en vue de les étendre et de les développer. Les lois les meilleures seront toujours celles qui atteindront le mieux ce but.
- L’homme est organisé pour croître et progresser,et pour arriver à une condition morale et intellectuelle supérieure à celle dans laquelle il vit comme membre de la Société, et il a par conséquent, en vertu de son organisation même, un droit incontestable à la somme d’instruction, d’activité et de concours qui peut faciliter cette croissance. De ce droit primordial découle celui d’exiger des gouvernants toutes les institutions propres à seconder le développement intellectuel et moral des individus. Toute loi qui remplira ces conditions sera donc une bonne loi, et le meilleur agent de moralisation du peuple en même temps.
- Imaginons un pays mille fois heureux dont la législation claire, précise, peu compliquée, formée d’un petit nombre de lois ne prêtant nullement à interprétation ni à équivoque, puisse se résumer dans la grande et noble maxime : Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fît, et ne leur faites jamais ce que vous ne voudriez pas qu'il vous fut fait, et supposons que dans ce pays imaginaire on transporte tout à coup un sauvage dépourvu de toute notion de morale politique et sociale. Qu’on lui dise, pour lui indiquer la conduite qu’il doit tenir, que la loi défend de faire à autrui ce que Ton ne voudrait pas avoir à supporter soi-même, et qu’elle ordonne de faire aux autres tout ce que l’on serait aise d’éprouver, et cet homme s’efforcera de se pénétrer de ce sentiment, afin d’éviter tout ce qui est défendu de la sorte, et de faire tout ce qui est ordonné. Par ce travail auquel son esprit se livrera, il
- p.555 - vue 556/836
-
-
-
- 556
- LE DEVOIR
- aura gagné en moralisation en quelques heures, quelques jours peut-être, plus qu’il ne l’aurait fait à l’aide d’une éducation ordinaire plus longue et moins efficace.
- On peut donc dire avec raison que la loi est un agent efficace de moralisation, à la condition qu’elle soit bonne, c’est-à-dire conforme à la loi suprême de toute Société, la conservation et la prospérité de ses membres. Lorsque sous un prétexte ou sous un autre des législateurs édistent des dispositions légales subversives de tout principe d’ordre et de conservation sociale, nuisibles au développement du progrès, et contraires aux intérêts des citoyens, ils trahissent leur pays, ils violent les lois naturelles, et commettent la pire de toutes les injustices.
- C’est pour cela qu’il est urgent, dans une démocratie, de ne confier les fonctions législatives qu’aux plus dignes par leur élévation morale et leur honnêteté politique, qui, dégagés de tout mobile bas et méprisable d’intérêt personnel ou de passions malsaines, ne prennent jamais pour guide de leurs actes que le bien du pays, non pas le bien apparent, ce que l’on appelle à tort aujourd’hui sa gloire, fruit des conquêtes et des guerres, mais le bien réel qui constitue sa véritable prospérité au sein de la paix et du travail.
- « Quelle est la fin de l’association politique ? » demande J.-J. Rousseau dans son « Contrat social: » « C’est la conservation et la prospérité de ses membres. Et quel est le signe le plus sûr qu’ils se conservent et prospèrent? C’est leur nombre et leur population. Toutes choses d’ailleurs égales, le gouvernement sous lequel, sans moyens étrangers, sans naturalisation, sans colonie, les citoyens peuplent et multiplient davantage est infailliblement le meilleur ; celui sous lequel un peuple diminue et dépérit est la pire.
- « Quand, malgré son éclat, un pays se dépeuple, il n’est pas vrai que tout aille bien ; et il ne suffit pas qu’un poète ait cent mille livres de rente, pour que son siècle soit le meilleur de tous. Il faut moins regarder au repos apparent et à la tranquillité des chefs, qu’au bien-être des nations entières, et surtout des Etats les plus nombreux. La grêle désole quelques cantons, mais elle fait rarement disette. Les émeutes, les guerres civiles effarouchent beaucoup les chefs, mais elles ne font pas les vrais malheurs des peuples qui peuvent même avoir du relâche, tandis qu’on dispute à qui les tyrannisera. C’est de leur état permanent que naissent leurs prospérités ou leurs calamités réelles ; quand tout reste écrasé sous le joug, c’est alors que tout dépérit, c’est alors que les chefs,
- détruisant à leur aise, prétendent avoir fait régner la paix partout où ils ont fait la solitude. »
- C’est donc parmi les hommes les plus dévoués à
- leur pays, qu’il faut toujours chercher les législateurs
- d’une nation. Ce ne sont pas les plus éloquents, les
- plus retors, les plus habiles qui sont les meilleurs
- pour remplir ces fonctions; et si rarement ils y font
- du bien,trop souvent ils y font beaucoup de mal.
- *>
- L’auteur de « VEsprit des Lois » dit, avec raison que « la vertu, dans une république, est une chose très simple ; c’est l’amour de la république, c’est un sentiment, et non une suite de connaissances ; le dernier homme de l’Etat peut avoir ce sentiment, comme le premier. Quand le peuple a une fois de bonnes maximes, il s’y tient plus longtemps que ce que l’on appelle les honnêtes gens. Il est rare que la corruption commence par lui. Souvent il a tiré de la médiocrité de ses lumières un attachement plus fort pour ce qui est établi.
- « L’amour de la patrie, ajoute Montesquieu, conduit à la bonté des mœurs, et la bonté des mœurs mène à l’amour de la patrie. »
- La masse du peuple est partout attachée au sol natal, et portée naturellement vers le bien. C'est du reste un sentiment propre à la nature humaine, sauf quelques rares exceptions, qui sont dans l’ordre moral ce que sont les monstres dans l’ordre physique. Elle obéit à la loi de nature qui entraîne tous les êtres vers le progrès, et tout ce qui peut lui faciliter les moyens d’y marcher sans entraves est naturellement favorablement accueillie par elle. De bons guides éclairés et animés de l’amour de l’humanité, une législation qui favorise ces tendances et les développe par l’éducation, un gouvernement marchant à sa tète dans cette voie sont ce qui lui a toujours fait défaut jusqu’à présent, et ce qui a constamment entravé sa marche.
- Dans le domaine de la morale politique, le pouvoir législatif ne doit pas se placer à la remorque du peuple, mais le devancer constamment et lui montrer la route. Comment la société avancerait-elle et comment pourrait-elle s’élever plus haut sur l’échelle de la civilisation, si elle n’y est pas aidée par la loi elle-même qui a pour mission de guider l’opinion publique dans la bonne direction? Lorsque les droits et les devoirs sont bien définis, soigneusement indiqués, et sincèrement protégés par les lois, il règne dans le pays un sentiment profond de sécurité, infiniment favorable au développement du sens moral et au progrès des mœurs de la nation, et qui est rendu impossible lorsqu’on s’en tient purement et simplement à la théorie que les lois ne doivent être que l’expres»
- p.556 - vue 557/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 557
- sion exacte du sens moral populaire, sous peine de devenir inapplicables.
- Que Messieurs les législateurs se pénètrent bien de cette idée qu’ils doivent toujours marcher en tête du pays et non derrière lui, qu’ils la fassent passer par la pratique dans les faits, et qu'ils la traduisent en bonnes lois claires, simples, précises et conformes aux. besoins du progrès social, et ils verront si le niveau moral de la nation ne se ressentira pas rapi-. dement de cette heureuse influence.
- g me Congrès Socialiste National Ouvrier de France
- SÉANT A BORDEAUX EN 1882
- [ COMMISSION D’ORGANISATION
- APPEL AUX TRAVAILLEURS
- Citoyennes et Citoyens,
- Les Membres de la Commission d’organisation du 6m® CONGRÈS SOCIALISTE NATIONAL OUVRIER DE FRANCE, croient urgent de vous rappeler que le 6W0 Congrès doit avoir lieu à Bordeaux le 3 septembre prochain.
- A cet effet, il porte à votre connaissance les décisions prises au Congrès national de Paris, tenu le 27 novembre 1881, Salon des Familles, à Saint-Mandé, et des résolutions prises le 5 décembre 1881, salle Pétrelle, 24, qui sont de faire tout ce qui leur sera humainement possible pour faire cesser la scission antérieure. La Commission fait appel à toutes les Sociétés d’ouvriers et d’ouvrières, tels que : Chambres Syndicales, Groupes Ouvriers, Associations ouvrières, Cercles d’Etudes, Sociétés Coopératives de production et de consommation, de Crédit, Caisses de Retraites, Secours Mutuels, composées exclusivement d’ouvriers.
- Les conditions d’admission sont :
- 1° Existence des groupes depuis trois mois ;
- 2° Que ces groupes possèdent des Statuts imprimées ;
- 3° Les groupes au-dessous de 25 membres pourront nommer un délégué, et au-dessus, deux délégués, qui seront admis à se faire représenter par des mandataires munis des Statuts de leurs groupes respectifs.
- Les questions à l’étude pour ce congrès sont les suivantes :
- Première question. — Capital et Travail.
- Deuxième question. — De l'émancipation des <leux sexes au point de vue politique et social.
- Troisième question. — Des conseils de Prud'hommes et Commissions mixtes.
- Quatrième question. — Représentation des Prolétaires à tous les corps élus avec rétribution par jeton de présence.
- Cinquième question. — Création d'Orphelinats laïques et professionnels des enfants des deux sexes.
- C’est dans ces conditions, Citoyennes et Citoyens, que nous vous invitons à vous mettre résolûment à l’œuvre pour la nomination de vos délégués, car l’heure est proche où les travailleurs doivent s’unir dans ces grandes assises du travail. Nous espérons que votre concours ne nous fera pas défaut.
- Les délégués sont priés de faire parvenir au Siège, rue Saint-Bruno, 111, les questions qu’ils devront traiter et seront invités à s’y rendre le 3 septembre, à deux heures de l’après-midi, pour la vérification de leurs pouvoirs.
- Les groupes qui participeront au dit Congrès, et qui trouveraient quelque question utile à traiter, non mentionnée sur le programme, sont priés d’aviser la Commission dans le plus bref délai.
- ORDRE DES SÉANCES DU CONGRÈS :
- Dimanche 3 septembre, à huit heures et demie du soir. — Séance publique.
- Ouverture du congrès et lecture des rapports de la Commission.
- Lundi 4 septembre. — Première question.
- Mardi 5 septembre. — Fin de la première question.
- Mercredi 6 septembre. — Deuxième question.
- Jeudi 7 septembre. — Fin de la deuxième question.
- Vendredi 8 septembre. — Troisième question.
- Samedi 7 septembre. — Fin de la troisième question.
- Dimanche 10 septembre. — Quatrième question.
- Lundi 11 septembre. — Cinquième question.
- Mardi 12 septembre. — Résolution.
- Nota. — Prière à tous les groupes de nous faire savoir si l’on peut compter sur leur concours dans le plus bref délai.
- Prière de donner aux délégués un mandat en double expédition et y joindre un extrait du procès-verbal de la séance dans laquelle les mandataires auront été élus.
- Prière à tous les groupes qui adhéreront de nous faire parvenir les fonds qui nous seront destinés le plus promptement possible, les charges étant très-lourdes pour l’organisation.
- Les adhésions seront reçues jusqu'au 25 août 1882.
- p.557 - vue 558/836
-
-
-
- 558
- LE DEVOIR
- Pour tous renseignements, veuillez vous adresser au Secrétaire général, à la correspondance, au citoyen Dréan, rue Saint-Bruno, 111, Bordeaux.
- Pour l’envoi des fonds, veuillez les adresser au citoyen COURTADE, trésorier général, rue de la Trésorerie, 106, à Bordeaux.
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- M. Bayen, imprimeur à La Fère (Aisne), a fait don à notre Bibliothèque des ouvrages suivants :
- Lice Chansonnière, 52® année ;
- Fausse alerte, par F. Aehard ;
- Les Kermeylo, opérette ;
- Le Chameau à trois Bosses, opérette,
- Nous offrons à M. Bayen nos vifs remerciements.
- Société protectrice des animaux de Nancy
- Samedi 19 août 1882, les membres de la Société protectrice des animaux, habitant Nancy et les environs, réunis à rHôtel-de-Ville de Nancy, se sont constitués en Comité régional. Ce Comité régional a pour but d’affirmer l’existence de la Société dans nos départements de l’Est, en travaillant à son extension et en assurant son fonctionnement régulier.
- M. Pâté, a indiqué à grands traits le but de la Société et les services qu’elle est appelée à rendre surtout, comme acheminement à une Société protectrice de la vie humaine,
- On a procédé ensuite à l’élection des membres du bureau.
- Pour les adhésions, s’adresser chez le Secrétaire, M. Louis, 22, rue Jean-Lamour, à Nancy.
- Union démocratique de propagande anti-cléricale
- LIGUE FRATERNELLE DU TRAVAIL
- Chers Concitoyens,
- Organisée sous les auspices et par les soins de l'Union démocratique de propagande anti-cléricale, la Ligue fraternelle du travail a pour but de. faciliter d’une façon pratique et matériellement utile les relations des nombreux libres-penseurs répandus sur le territoire français.
- Elle répond non-seulement à des besoins souvent exprimés, mais encore elle doit soutenir la lutte engagée par le monde clérical, contre la conscience des travailleurs.
- Aux propriétaires industriels et chefs de maisons catholiques, qui s’unissent pour réduire la libre-pensée en cherchant à affamer ses adeptes les moins fortunés, il est indispensable d’opposer r Union des démocrates convaincus, qui, eux aussi, sauront se passer des services des Jésuites indélicats, toujours prêts à recevoir de toutes mains.
- Il faut que les libres-penseurs puissent enfin secouer le joug religieux,et c’est aux industriels, commerçants et propriétaires républicains que nous faisons appel pour organiser promptement et sérieusement l’oeuvre nouvelle annexée à notre société de propagande.
- Les membres de 1 ’ Union démocratique de propagande anti-cléricale ont toujours été les premiers, toutes les fois qu’il s’est agi de faire acte d’initiative contre nos ennemis.
- Cette fois encore, c’est sur leur appui que nous comptons pour donner la vie à cette Ligue fraternelle du travail.
- Concours pécuniaire et concours personnel. En effet, il nous faut non-seulement un certain capital pour organiser et assurer les premiers mois d’existence de l’œuvre, mais encore le dévouement de nos coopérateurs ordinaires,qui voudront bien nous aider à former par quartiers et par villes, les groupes correspondant au siège principal.
- Nous ouvrons donc à partir de ce jour une souscription spéciale, destinée au fonctionnement de la Ligue fraternelle du travail, persuadés que l’élan avec lequel notre idée fera son chemin parmi tous nos amis, nous permettra de commencer nos opérations à partir du 1er octobre prochain. Les listes de souscriptions seront publiées dans la Semaine anti-cléricale,
- Nous prions aussi ceux de nos Sociétaires des départements qui peuvent accepter d’être nos correspondants dans leur localité, de nous faire connaître leur volonté.
- Les membres de Paris seront convoqués spécialement et par quartiers pour se partager le travail.
- Comptant sur le concours dévoué de votre générosité et de vos lumières, nous vous prions, chers citoyens, d’agréer nos plus fraternelles salutations.
- Les membres de l’Union démocratique de propagande anti-cléricale, délégués par l’organisation de la Ligue fraternelle du travail.
- Maria Deraismes , Beauquier , Laisant, Letellier, A.-S. Morin, E. de Pompery, Ed. Thiaudière.
- Nota. — Prière d’adresser les lettres et mandats à M. A. Cinqualbre, administrateur général de l'Union démocratique de propagande anti-cléricale, 48, rue Monsieur-le-Prince.
- Lipe Fraternelle dn Travail
- 1° Un employé spécial se tient chaque jour au siège
- de VUnion démocratique de propagande anti-cléricale &e
- p.558 - vue 559/836
-
-
-
- LÉ DEVOIR
- 55§
- 10 à 4 heures pour recevoir les demandes et offres d’embloi de libres-penseurs.
- 2» Les libres-penseurs n’appartenant à aucun groupe, devront fournir des renseignements suffisants sur leur moralité, lesquels seront contrôlés dans le plus bref délai par des commissaires nommés à cet effet.
- 3° Les libres-penseurs faisant partie d’un groupe adhérent, pourront justifier de leur identité en fournissant une pièce signée du président et du secrétaire et portant le cachet dudit groupe.
- 4° La liste des emplois offerts ou demandés sera insérée tous les samedis dans la Semaine anti-cléricale, mais les noms des demandeurs ne seront donnés qu’au bureau de la ligue.
- 5° La ligue établira dans chaque ville de province des correspondants chargés de recommander les libres-penseurs quittant leur localité,et de fournir les renseignements utiles à ceux qui viendront y habiter.
- 6° Elle indiquera aux libres-penseurs ayant à voyager, les maisons dans lesquelles ils pourront trouver les conditions les meilleures comme tenue et confort. Les commerçants ainsi recommandés devront fournir aux commissaires-enquêteurs des références absolument sérieuses.
- 7° Une liste sera dressée des commerçants qui, à Paris, voudront faire des avantages spéciaux aux libres-penseurs. Ces industriels seront soumis à l’enquête comme ci-dessus, et leurs noms ne seront livrés qu’aux demandeurs donnant dçs garanties sérieuses au point de vue moral.
- En ce qui concerne les transactions à faire, il est entendu que la ligue reste absolument en dehors des conditions imposées, et qu’elle ne répond en rien de la solvabilité des clients fournis.
- 8° La ligue est composée des membrés perpétuels et actifs de Y Union démocratique de propagande anticléricale, de membres fondateurs et de tous les donateurs qui voudront, pour une somme quelconque, adhérer à l’oeuvre.
- 9° Les membres fondateurs versent une cotisation annuelle de dix francs payable d’avance ; il font partie de droit de Y Union démocratique de propagande anticléricale, et prennent part à toutes assemblées générales. Ils reçoivent un diplôme constatant leur souscription, ont le service régulier de la Semaine anti-cléricale leur donnant tous les documents concernant la Société,et c’est parmi eux que sont choisis les délégués et membres correspondants chargés des enquêtes et des fonctions indiquées dans les art. 6 et 7.
- 10° Les membres fondateurs peuvent se libérer définitivement des cotisations à venir par une somme de cent francs versée en une seule fois au moment de l’inscription.
- il0 Les dons sont reçus à partir de cinquante centimes, il est délivré un reçu et les noms des membres donateurs sont insérés dans la Semaine anti-cléricale à moins de défense spéciale.
- 12° Tous les groupes adhérents à la ligue recevront chaque semaine, pour être affichée à leur siège social, la liste des emplois offerts ou demandés.
- 13° Les services de la ligue étant payés par les cotisations et dons de ses membres sont absolument gratuits pour les libres-penseurs qui ont recours à ses bons offices.
- Il n’est rien demandé soit pour l’inscription, soit pour l’insertion, soit pour toute autre opération se rapportant aux demandes d’emplois et de renseignements qui font le but de sa fondation.
- STATUTS DE LA LIGUE NATIONALE
- POUR LA.
- Séparation des Églises et de l’État
- Le droit moderne compte au nombre de ses principes fondamentaux ;
- 1° La liberté de conscience, et, par suite, la neutralité obsolue des pouvoirs publics en matière de doctrines ou croyances philosophiques et religieuses ;
- 2° L'égalité de tous les citoyens devant la loi.
- A l’heure présente, cependant, ces deux grands principes sont manifestement violés :
- Parles dispositions législatives et les textes administratifs s’y rapportant, qui consacrent cinq cultes reconnus par l'État ;
- Par l’obligation imposée aux contribuables de subvenir à l'entretien de cultes auxquels iis ne participent nullement ;
- Par les privilèges accordés aux différents clergés, touchant principalement le service militaire, les réunions, les associations, les biens de mainmorte, la jouissance de propriétés publiques.
- Alors que le triomphe du droit moderne est rendu possible chez nous par la fondation définitive de la République, si la France républicaine conservait ces institutions de la réaction monarchique, ne semble^ rait-elle pas faillir à sa mission de progrès et de civilisation ?
- Il ne faut pas que cela soit; et cela ne saurait cesser d’être que par l’ensemble des mesures connues sous le nom de Séparation des Églises et de l'État.
- Déjà, un nombre considérable d’électeurs ont manifesté, par leurs votes réitérés, de leur inébranlable attachement à ces idées de liberté et de justice égale pour tous. Ce nombre s’accroît tous les jours, et, s’il arrive qu’un effort d’ensemble se produise, si les citoyens dès aujourd'hui convaincus s’unissent pour répandre leur conviction, s’ils entreprennent d’éclairer l’opinion publique que s’efforcent d’égarer ceux qui visent des abus actuels, s’ils opposent organisation à organisation, si leur propagande sait être incessante et pénétrer jusque dans les moindres hameaux, bientôt, de par lar volonté du suffrage universel, la séparation des Églises et de l’Écat sera un fait accompli. Car le suffrage universel est d’essence libérale et égalitaire, et il lui suffit de reconnaître la voie du progrès et de la civilisation, pour qu’il s’y engage résolument, et pour que devant lui toute résistance s’anéantisse.
- p.559 - vue 560/836
-
-
-
- 560
- LE DEVOIR
- En conséquence :
- Artique 1er. — Il est constitué :
- Une Ligue nationale pour la Séparation des Eglises et de l’État.
- Art 2, — Cette Ligue poursuit, par toutes voies de propagande active et permanente.
- 1° L’abrogation des lois et réglements concordataires ou autres, établissant un lien spécial entre les Églises et l'État. <
- 2° La suppression du budget des cultes.
- 3° L'abolition des privilèges dont jouissent les membres des clergés, notamment en ce qui touche le services militaire, les réunions, les associations.
- 4° La suppression des biens de mainmorte.
- 5° La restitution à leurs ayants droit des propriétés publiques.
- 6° Et généralement, la suppression de toute disposition législative ou administrative quelconque, constituant pour un culte quelconque une situation privilégiée.
- Art 3. — Est membre participant de la Ligue, toute personne de l’un ou de l’autre sexe qui, acceptant les présents statuts, verse une souscription volontaire quelconque.
- Art. 4. — Les membres participants se groupent par communes ou ensemble de communes, en Sociétés de propagande, qui se réunissent sur la convocation de leur bureau, qu’elles composent à leur convenance.
- Art. 5. — Ces sociétés élisent annuellement, pour faire partie de VAssemblée générale, un délégué par cinquante membres ou fraction de cinquante. Leur secrétaire est chargé de se tenir en rapport permanent avec le Comité exécutif de la Ligue.
- Art. 6. — Les sociétés de propagande peuvent se grouper transitoirement par canton, arrondissement ou département, en vue d’une action commune.
- Art. 7. — VAssemblée générale, prévue par l’art. 5, se réunit au moins deux fois par an, sur la convocation du comité exécutif.
- Elles se composent de délégués régulièrement élus, conformément aux règles établies par l’art. 5. Elle nomme son bureau.
- Art. 8. — L’Assemblée générale prend toutes résolutions intéressant la Ligue, nomme le comité exécutif, accepte et modifie les statuts.
- Les délégués ont droit de vote par correspondance.
- Art. 9. — Le comité exécutif se compose de trente membres, dont un président, deux vice-présidents, un secrétaire général trésorier, tous élus chaque année par l’Assemblée générale. Iis sont toujours rééligibles.
- Art. 10. — Ce comité se réunit sur la convocation dé son bureau avec lequel ses membres restent en communication aussi fréquente que possible. Il exécute les résolutions de l’Assemblée générale à laquelle il rend compte de son mandat. 11 décide de l’emploi des fonds. Directement ou par des commissions spéciales, il veille aux publications, rédige les appels et proclamations, organise les réunions, les conférences et prend, en général, toutes les mesures propres à assurer le triomphe du programme de la Ligue.
- Art. 11. — Une commission spéciale, composée de trois membres du comité, s’assure, par un contrôle permanent, de la régularité dans le maniement des fonds confiés au bureau.
- Art. 12. — En cas de démission ou décès d’un de ses membres, le Comité exécutif est complété lors
- de la première réunion de l’Assemblée générale. S’il s’agit d’un membre du bureau, le Comité délègue provisoirement, jusqu’à cette prochaine réunion, un de ses membres à la fonction vacante.
- Art. 13. — Le bureau peut toujours convoquer aux réunions du Comité exécutif un nombre quelconque de membres de la Ligue, qui ont alors voix consultative. Les décisions du Comité sont prises à la majorité des membres présents.
- Une curieuse anecdote. — Bernardotte qui, de fils d'hôtelier devint maréchal de France, roi de Suède et de Norwège, Bernardotte, enfin, n’avait jamais voulu se faire saigner, bien que son médecin, disciple du docteur Broussais, lui eût dit plusieurs fois que c’était nécessaire à sa santé.
- Un jour, cependant, que Bernardotte se trouvait très souffrant, le médecin déclara que, s’il ne se laissait pas saigner, il ne répondait pas de sa vie. « Je veux bien, dit alors le monarque ; mais auparavant, jurez-moi que vous ne direz à personne ce qu© vous allez voir sur mon bras. »
- Le docteur, très intrigué, fit le serment demandé Bernardotte alors retroussa la manche de sa chemise et laissa voir au disciple^ d'Esculape un tatouage représentant un bonnet phrygien avec cette devise au-dessous : « Mort aux rois ! »
- Lorsque le simple soldat avait gravé sur son bras cette apostrophe régicide, il ne se doutait guère qu’un jour il deviendrait roi lui-même.
- —— wsaBQQOas——
- — G,que c'est, sergent, les Gipeciens ?
- — Les Gipeciens ? C’est dans la Gypre, un pays cocasse. C'est là ousque les pyramides vous contemplent et ousque les pékins ont les fez sur la tête.
- — Pas possible !
- — G’comme j’vous l’dis. Même qu’y en a qu’on appelle momies, qui vivent depuis deux mille ans, et. quelquefois plus, entourés de bandelettes romati-ques.
- — Comment s’quy se mouchent alors ?
- — S'mouchent pas, p’rbleu. C’est des pays chauds ousqu’y a pas de rhume.
- Même que c’est des malins qui sont tout l’temps couchés dans des sacrés cophages ousqu’y a leurs noms dessus pour qu'ils n’oublient pas. D'puis l’temps, v’comprenez ! Mais l’s'trangers n’savent pas c’t’ortographe là, paremment qu’c’est la commode. Pour lors, on n’sait jamais c’mment ils s’nomment v’sentez bien. C'pour ça qu’généralemen' et presque toujours on les appelle des hérogriffes. Pas plus malin qu’ça.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.560 - vue 561/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. - n° 209. jLe numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 10 Septembre 1882
- PEWÛIE
- -*•> y?; •
- SUONS SOCIALES
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M GODIN Directeur-Gérant } Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par Fenvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- Franco
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.6Q
- on S’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la , ; Librairie des sciences psychologiques^
- m w têl wm
- - t -
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- ij; •!*' : - -
- cantonal et des écoles de la ville. Il me paraît utile d’y revenir aujourd’hui pour compléter ma pensée et pour constater comment depuis longtemps le Familistère est entré dans la voie adoptée aujourd’hui par le gouvernement. '
- Je trouve à cette discussion le mérite de faire ressortir les moyens d’application et les côtés pratiques, rationnels et prolitables des mesures nouvellement prescrites. ; ; d,
- SOMMAIRE
- Discours de M. Godin à la distribution des prix du hamilisière. — La Fête de VEnfance au Familistère.—Faits politiques et sociaux. —Le Catholicisme et le Socialisme. — U Unité de la vie présente et future. — Les Femmes à l œuvre devant le suffrage. — Ecoles laïques libres. — Avis du Ministère des Postes et Télégraphes. — La Phi losophie de l'Avenir. —Etat Civil du Familistère. — Les terreurs du Czar. — Misère. — Variété. v
- •- M . : '
- —11 1 1 - —~7-
- LES ÉCOLES PRIMAIRES
- Fête de l’Enfance au Familistère Discours de M. GODIN
- Pour la première fois en France, le gouvernement, par arrêté en date du 27 juillet 1882, fixe d’une façon régulière le mode d’organisation de Renseignement dans les écoles.
- J’ai déjà abordé ce sujet dans la séance de distribution des récompenses aux élèves du concours
- Le Familistère est un typé de comparaison qui nous montre comment la population scolaire se répartit et quelles divisions on en peut faire au point de vue de l’éducation et de l’instruction. !-fK- • >r
- L’examen de ce qui existe au Familistère nous servira donc pour interpréter utilement ce qui peüt être fait dans les villages en vue d’une bonne organisation des écoles. .
- j j . >
- Le Familistère compte maintenant 0une population de 1,225 personnes. Il représente^ par^.çonsé-quent une commune d’un. ordre au-dessus de la moyenne et nous pouvons le prendre avec avantage comme base de nos comparaisons,., ^ .......r^
- L’enfance, de la naissance à 14 ans, comprend :
- Filles, ., . • • - .. v 185,
- Garçons...............187
- ainsi répartis : -d;
- Enfants de la naissance à 2 ans : à domicile . . . _ . 27
- fréquentant la nourricerie. . 39
- Cette institution est confiée aux
- j 372 élèves.
- ), Sg .-! •
- 66 ^enfants
- _ u
- soins de cinq dames : une directrice et quatre surveillantes. Le lavage et l’entretien du linge font l’objet d’un service spécial.
- fcX • w.:.-
- p.561 - vue 562/836
-
-
-
- 562
- LB DEVOIR
- Enfants de 2 à 4 ans
- à domicile................... 13 (
- fréquentant la salle maternelle J ûnr„ntc,
- du premier âge, sous la direc- ) amants
- tion d’une maîtresse. . . 50 ^ _____
- Ensemble : 129 »
- C’est 129 enfants au-dessous de l’âge compris dans l’arrêté du 27 juillet 1882. A ces enfants l’institution du Familistère assure les soins et l’éducation.
- Il est facile de concevoir que le Familistère soit en avant des mesures prescrites par l’arrêté du gouvernement. C’est là un fait inhérent à l’habitation unitaire. La nourricerie et la salle de la basse-enfance seraient peu fréquentées dans le village,où les parents seraient obligés de porter leurs enfants à de grandes distances, pour les confier aux soins de personnes plus ou moins connues et surveillées. La peine et les incertitudes qui en résulteraient conduiraient à garder les enfants au logis.
- Au contraire, dans le Familistère, les salles destinées aux soins de l’enfance,à l’éducation et à l’instruction, sont une dépendance de la demeure, une dépendance du palais. Tous les logements étant rapprochés,c’est peu de dérangement pour les mères de porter leurs enfants à la salle aux berceaux; les petits enfants sachant marcher sont bientôt en état de se rendre d’eux-mêmes ou guidés par leurs frères ou sœurs à leurs salles respectives. C’est pourquoi la salle aux berceaux et la salle des exercices et jeux des petits enfants sont aussi fréquentées.
- Poursuivons l'examen des institutions. Nous arrivons à peu près au premier âge visé par l’arrêté du 27 juillet pour les salles maternelles. Nous avons ci-dessus une première salle maternelle faisant suite à la nourricerie du Familistère. Deux autres divisions ont chacune une salle distincte et reçoivent les enfants dans l’ordre suivant :
- Deuxième salle maternelle sous la conduite d’une institutrice comprenant :
- De 4 à 5 ans 1/2................ 48 enfants.
- Troisième salle maternelle sous la direction de la maîtresse institutrice comprenant :
- De 5 ans 1/2 à 7 ans..............45 enfants
- Ensemble. . . 93
- C’est 93 enfants que renferment ces deux classes enfantines prévues par l’arrêté du gouvernement.
- On voit donc qu'une population de 1200 personnes environ possède 222 enfants au-dessous de 7 ans. Pour 129 au moins d’entre eux le législateur n’a encore rien prévu; il ne donne de garanties à l’enfance qu’à partir de l’âge de 5 ans. Mais au-dessous de cet âge combien de petits malheureux sont privés
- des soins et de l’attention nécessaires parce que la mère ne peut les leur accorder, obligée qu’elle est de travailler pour donner à la famille un complément indispensable à sa subsistance. De ces soins l’enfant en bas-âge n’est jamais privé un seul instant au Familistère, car la mère dès qu’elle est empêchée par ses occupations, confie son enfant aux bonnes gardiennes qui la remplacent avec intelligence et bonne volonté.
- Revenons à l’application de l’arrêté du gouvernement. Il fixe à 7 ans l’entrée des élèves dans les Cours. C’est à cet âge aussi que les écoles enfantines du Familistère livrent les élèves aux cours des écoles primaires dans la proportion de 25 enfants environ, chaque année.
- L’arrêté prescrit trois cours dans les Ecoles primaires pour les élèves de 7 à 13 ans. C’est ce qui a été établi dès les débuts au Familistère, en répartis-sant les âges de deux ans en deux ans ; on a ainsi des classes de 7 à 9, de 9 à 11, et de 11 à 13 ans, comprenant chacune environ 40 enfants et ayant chacune son professeur.
- Mais cela ne pouvait être obtenu que par une tolérance de l’administration, la loi défendant les écoles mixtes dans les villes pourvues d’écoles spéciales de filles. Ce cas démontre combien l'arrêté rend nécessaire l'abrogation de cette disposition erronée de la loi.
- En effet dans les communes ordinaires, en composant les classes de filles et de garçons on peut donner à un même professeur les enfants à peu près d’un même âge ou d’un même savoir ; tandis que si l’on sépare les sexes on est obligé de confondre dans les classes les enfants de 7 à 13 ans, pour avoir le même nombre d’élèves. Dès lors l’enseignement est laborieux pour le maître obligé de faire la leçon à des groupes de forces différentes ; la classe n’a pas de tranquillité; la discipline est difficile : pendant que le maître s’occupe des uns, les autres font du désordre ; il n’y a ni attention ni calme dans la classe.
- Au contraire, lorsque le professeur est en face d’élèves à peu près de même âge et de même force, dont l’instruction a été suivie de manière à les tenir à peu près au même degré d’avancement, une leçon inscrite au tableau, en vue de toute la classe, sert à tous les élèves ; elle est aussitôt résolue par chacun d'eux ; la correction s’en fait de la même manière d’une façon générale. Tous les écoliers profitent à la fois d’un même enseignement, le maître peut donc obtenir de bien plus grands résultats puisqu’il consacre à la classe tout entière, les efforts qu’en d’autres conditions il éparpillerait entre chaque
- p.562 - vue 563/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 563
- groupe. La discipline est facile ; elle se fait presque d’elle-même par l’attention soutenue que les élèves apportent aux leçons.
- Voulant dès les débuts du Familistère organiser en autant de classes distinctes les trois cours prescrits aujourd’hui, je vis que je n’atteindrais mon but qu’en faisant entrer ensemble chaque année les élèves, filles et garçons, sortant de l’école maternelle, dans le premier cours des écoles primaires et en opérant pareille promotion d'un cours à l’autre vers les degrés supérieurs. Cela entraînait déjà l’ouverture de trois salles de classes, par conséquent l’entretien de trois professeurs. Si l’on avait été obligé de séparer les sexes, il eut fallu doubler les classes et les maîtres, et se livrer à des frais disproportionnés avec le nombre des écoliers.
- Si l’on veut pour un instant supposer l’organisation de trois cours dans une même salle d’école, on conçoit d’après ce que je viens de dire la confusion qui résulterait de divers enseignements professés par plusieurs maîtres dans une même classe ; et si ces cours sont faits par un seul maître, celui-ci est donc obligé de donner trois leçons pour une, de négliger tels élèves pendant qu’il s’occupe de tels autres. Nulle bonne école n’est possible dans ces conditions. Qu’on suppose à la tête de telles classes un instituteur de mérite, en état de bien faire le cours supérieur, ne conçoit* on pas combien il lui sera désagréable de négliger les plus hautes facultés, pour faire un enseignement qu'il voit ne profiter presque à personne. Il y a bien de quoi décourager le meilleur des maîtres.
- Chaque cours devra donc avoir forcément et bientôt son professeur particulier. Dès lors, il faudra s’attacher à faire de chacun d’eux une classe séparée et composée autant que possible d’élèves possédant un même degré de savoir.
- Lorsque le nombre des enfants le permet, il est bon de commencer par doubler le nombre de classes - dans les cours supérieurs. C’est ce qui est fait maintenant au Familistère. Les écoles divisées autrefois en 3 classes : 7 à 9 ans, 9 à 11, 11 à. 13 comprennent maintenant :
- Cours élémentaire
- ire et 2e année, 7 à 9 ans. ... 36 élèves
- Promotion annuelle au cours moyen des élèves les plus capables.
- Cours moyen
- 3e et 4® année, 9 à 11 ans. ... 34 »
- Promotion annuelle des plus capables au cours supérieur.
- Cours supérieur
- 5« et 6» année, 11 à 13 ans ... 32 »
- Cours supérieur doublé
- Elèves d’une seule année, 13 à 14 ans 28 »
- Cours complémentaire supérieur
- Pour les élèves distingués, 13 à 14 ans................................20 »
- On voit par cet exposé qu’une population de 1,200 personnes ne peut constituer ses cours qu’avec 36 élèves au maximum par classe et encore à la condition d’avoir des classes mixtes, c’est-à-dire composées de filles et de garçons. Autrement il faut faire plusieurs cours dans une même classe et tomber dans les inconvénients d’un enseignement mal fait et d’écoles mal tenues, comme je viens de l’établir.
- Depuis sa fondation l’instruction de l'enfance au Familistère s’est trouvée par nécessité en contradiction avec la loi, ce qui lui a valu de graves embarras sous le gouvernement de l’ordre moral du 24 Mai. Les hommes d’alors étaient arrivés au pouvoir pour y reprendre une à une toutes les mauvaises inspirations de l’Empire et, à ce titre, les écoles mixtes servaient de prétexte de persécution contre les républicains.
- Aujourd’hui les mesures prises par le gouvernement mettent en lumière la nécessité des écoles mixtes et leur raison d’être dans les communes rurales Il serait donc à propos de voir à quelle cause est due l’apparence de faveur dont a joui la création des écoles spéciales de filles sous le règne de Napoléon III.
- Personne n’ignore quelle était la dévotion de l’impératrice. On sait quelle influence, quel ascendant les Jésuites avaient par son intermédiaire dans les décisions du gouvernement. Or, vers le temps où florissaient les tableaux vivants à la Cour, il advint que l’Impératrice fut prise d’un saint zèle de pudeur contre les écoles mixtes. Les Jésuites avaient vu dans une lutte contre ces institutions un moyen d’organiser les écoles congréganistes séparées de filles et d’accaparer ainsi l’instruction publique de la femme en attendant celle de l’homme. Le plan fut mis à exécution. Des mesures générales furent ordonnées en France, La création d’écoles de filles fut décidée partout où cela était possible, et l’on essaya de généraliser l’idée d’établir dans les communes, véritablement incapables d’avoir une école spéciale de filles, des refends en bois pour séparer les filles des garçons dans l’école communale même.
- Le confessionnal aidait à la prise en considération des écoles spéciales de filles, les conseils du prêtre ne faisaient pas défaut à ce sujet;
- p.563 - vue 564/836
-
-
-
- 564
- LE DEVOIR
- d’autre part la vanité humaine était flattée. Avoir au village une école de filles à l’instar des pensionnats de grandes demoiselles ! Cela était bien joli aux yeux des mères et des parents qui généralement ne voient dans l’instruction des enfants qu’une satisfaction de vanité et ne comprennent guère les conditions d’une instruction bien ou mal faite.
- Voilà comment sous le patronage de l’impératrice, les Jésuites sont parvenus à développer en France les écoles congréganistes de filles d’abord et de garçons ensuite, écoles dans lesquelles on a depuis 30 ans tenu autant que possible sous le joug de l’ignorance la génération nouvelle.
- Maintenant que le pli en est pris, il y a même de graves républicains qui font chorus pour la séparation des sexes et les écoles spéciales de filles.
- Je dois pourtant dire que je n’ai pas vu de plus ardents défenseurs des écoles de filles que les anciens libertins. Les hommes dépravés sont portés naturellement à voir la dépravation partout et peu disposés à croire à la pureté et à l’élévation des sentiments.
- Combien pourtant il paraît inconséquent de sacrifier une bonne organisation de nos écoles publiques à cette apparence de fausse pudeur. Quoi ! ce serait à l’école, devant un maître ou une maîtresse sortis de nos écoles normales et dressés à l’éducation et à l’instruction publiques que vous éprouveriez le besoin de séparer vos filles de vos garçons ! C’est devant le maître ou la maîtresse que vous exprimeriez des doutes et des craintes sur la bonne tenue, la décence et les mœurs des enfants ! Si de pareilles pensées ont été possibles, il faut qu’elles disparaissent, il faut qu’à l’avenir les professeurs donnent non-seulement des garanties de capacité et de savoir mais aussi des garanties de caractère et de moralité. Car c’est à l’école que doit se tremper le caractère des enfants ; et c’est à l’école mixte que peut s’ap prendre en particulier le respect que les sexes se doivent l’un à l’autre.
- Bien que je pense que l’école la plus saine et la meilleure est celle où l’instruction serait commune aux deux sexes, il n’est pas moins vrai qu’on peut, concevoir, des écoles séparées de filles et de garçons à partir de l’âge de 12 ans et constituer, si on le veut, ces classes séparées dans le groupe scolaire.
- Mais je demanderai toujours pourquoi cette séparation en classe quand, à la campagne, après la sortie des écoles communales, les enfants se rencontrent et se voient librement partout, en tous lieux. Il y a
- dans ces craintes un vice profond qui a besoin de remède. Certainement, c’est affaire d’habitude et de préjugés.
- Ce qu'il faut aujourd’hui, c’est que les Ecoles normales donnent des instituteurs et des institutrices de premier mérite. Pour cela, il faut veiller au recrutement de ces écoles, faire que l’élévation et la bonté de caractère deviennent des titres à l’admission, autant que les facultés intellectuelles ; il faut enfin que ceux qui sont chargés de l’éducation et de l’instruction de nos enfants soient des âmes d’élite, qui sachent tout à la fois former le cœur et l’esprit des élèves et faire d’eux des citoyens dignes, honnêtes, instruits et capables.
- Le corps enseignant doit devenir un jour le plus honoré et le plus honorable de la société.
- --===g3^ga0CS@ss3s=^--
- La Fête de l’Enfance an Familistère
- i
- Ce que l’on honore le plus, ce que l’on prise par dessus tout au Familistère, c’est le Travail. Le travail est la grande mission de l’homme, son besoin le plus réel, parce qu’il est le puissant levier à l’aide duquel il surmonte les obwtacles que la nature lui oppose, pour produire tout ce qui est indispensable à l’existence des sociétés, aussi bien que des individus. C’est par lui que l’homme s’élève, accroit sa puissance et pourvoit abondamment à ses besoins, non seulement physiques mais intellectuels et moraux, et qu’il marche d’un pas rapide et sûr vers la perfection et le progrès, son suprême but.
- C’est pour rendre hommage à cet élément essentiel et fécond de la vie qu’ont été instituées les fêtes du Familistère. L’une d’elles en porte le nom, l’autre, celle dont nous avons à rendre compte aujourd’hui, la Fête de l'enfance est destinée' à glorifier le travail intellectuel préparatoire de l’enfant qui, par l’étude, s’instruit et développe son intelligence, afin de devenir un homme utile à son tour.
- Aujourd’hui la valeur réelle de l’homme se traduit nécessairement par son degré d’utilité au sein de la société, si bien que désormais l’on peut dire que l’homme véritablement grand, c’est l’homme utile. Riche ou pauvre, prince ou paysan, si l’homme sait rendre des services par son intelligence, ses aptitudes, ses travaux, ses découvertes, il aura de la valeur, sinon, non. Un Montmorency, un Courtenay oisif et partant inutile, ne vaut pas le moindre ? contre-maître de fabrique, qui par son travail pro-
- p.564 - vue 565/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 565
- duit de quoi accroître les ressources industrielles du pays.
- Autrefois la valeur de l’homme se mesurait à sa force musculaire, à sa bravoure et à son élan dans la bataille, et le travail méconnu était réputé avilissant. Mais entre Lycurgue qui le proscrivait à Sparte, pour en faire le lot ignominieux des ilotes et des esclaves, et Solon qui l’impose au peuple d’Athenes, et qui édicte des peines contre les citoyens oisifs, l’hésitation n’est pas possible, ni le choix douteux. Un travailleur rendant des services par son industrie et son labeur au sein de la paix est de beaucoup pLus noble, plus grand, plus méritant que tous ces hobereux illettrés de la féodalité, qui ne savaient même pas ce qu’un enfant de six ans rougirait aujourd’hui d’ignorer.
- L’instruction est l’auxiliaire le plus utile du travail, puisqu’elle prépare convenablement le travailleur pour la lutte future de la vie. On ne saurait donc trop l’encourager, la développer, l’étendre, par tous les moyens possibles, et la fêter par des récompenses solennelles, est un des meilleurs, parce qu’il stimule puissamment l’enfant.
- C’est le sentiment qui a dicté l’institution au Familistère de cette fête, pour laquelle les habitants font des préparatifs plusieurs jours à l’avance. Chaque famille invite pour la circonstance des parents ou des amis, et tous les foyers sont en liesse ce jour-là. Si, comme cette année, l’après midi de la veille est attristée par quelques ondées diluviennes intermittentes, plus d’une maman est inquiète et tremble pour la fraîche toilette toute blanche que sa fillette doit porter le lendemain.
- Aussi, le matin de bonne heure, le premier soin est d’interroger le ciel qui se montre cette fois sombre et menaçant, semblant promettre pour l’après-midi des ondées non moins abondantes que celles de la veille, et qui tient en effet ces promesses. Heureusement, la pluie a attendu pour tomber que le défilé du cortège eût eu lieu, et c’est dans une des éclaircies que la sortie du cortège au retour a pu se faire. Mais n’anticipons point sur les faits.
- Pendant toute la matinée, les enfants, et les parents aussi, vont et viennent affairés dans les galeries, les escaliers, les cours, et l’animation est grande dans ce vaste palais des travailleurs. C’est un dernier ruban qui manque pour compléter la toilette, un de ces mille riens avec lesquels les mères de famille savent en général si bien parer leurs enfants, un accessoire en apparence insignifiant, tuais sans lequel l’œuvre serait inachevée.
- II
- Enfin l’heure fixée pour la cérémonie est proche. Dans la cour de l’aile gauche se sont réunis les divers conseils et comités de l’Association, le personnel des services de l’usine et du Familistère, la musique, les pompiers et les archers.
- A deux heures et demie, ces différents groupes se rendent en ordre, musique en tête dans la cour du pavillon central, où les enfants des écoles rangés en demi cercle ont derrière eux les pompiers et les archers, et devant eux au centre du demi-cercle les membres du conseil de gérance et du conseil de surveillance, ceux des comités des caisses mutuelles, et tous les membres asssociés, enfin la société philharmonique du Familistère, bannière en tête.
- L’administrateur-gérant ayant pris place en tête du conseil, le cortège se met en marche vers le théâtre dans l’ordre suivant :
- Sapeurs pompiers, tambours et clairons, les enfants par classes et par divisions, bannières en tête suivis immédiatement par le corps de musique.
- Vient ensuite l’administrateur-gérant, suivi de tout son personnel, et des archers fermant la marche.
- Pendant ce temps-là, la foule qui se pressait impatiente sur les marches du théâtre longtemps avant l’ouverture des portes, en a envahi les galeries, et à l’entrée du corlége dans la salle tout est plein depuis la partie disponible du parterre jusqu’aux combles.
- Chaque membre du cortège ayant pris place, le gérant et les conseils, sur la scène, les autres au parterre relié à la scène par un large escalier dont les rampes sont formées de massifs de feuillage et de fleurs, l’orchestre placé dans le fond de la scène exécute une ouverture pleine de saveur et de charme que l’assistance aussi nombreuse que possible applaudit avec chaleur. Les enfants exécutent ensuite un chœur de circonstance, et après une figure de quadrille joué avec entrain, les enfants chantent la fable « le Renard et le Corbeau » dont la musique est charmante, et qu’ils rendent avec une précision extrêmement remarquable, observant les nuances, et donnant à chaque mouvement son cachet particulier ; aussi ce morceau est-il applaudi.
- Une jeune et charmante fillette de blanc vêtue, Palmyre Poulain, s’avance alors sur le bord de la scène, et récite avec un accent de vérité touchant et une pureté de diction étonnante, une petite poésie intitulée : « L'Enfant aveugle » qui émeut toute l’assistance. Puis un des lauréats du concours cantonal, Chevyer Jules, provoque avec « le Bonnet dé
- p.565 - vue 566/836
-
-
-
- 566
- LE DEVOIR
- Coton » les francs éclats de rire de l'auditoire, et après lui, un de ses compagnons de triomphe, Eugène Griviler récite avec beaucoup de sentiment et de feu, aux applaudissements répétés de tous ceux qui l’écoutent, quelques strophes énergiques en l’honneur de « la Liberté. »
- M. Godin prononce ensuite le substantiel discours sur l’éducation scolaire et sur les écoles que nos lecteurs ont lu en tête du journal, discours écouté avec un vif intérêt qui n’a pas faibli un seul instant. Lorsqu’à la fin, il annonce que le Conseil d’administration a décidé d’accorder un certificat d’épargne de cent francs à chacun des élèves qui ont obtenu le certificat d’études au concours cantonal,nous ne savons ce qu’il fallait admirer le plus du sentiment de bonheur que sa physionomie d’ordinaire si peu démonstrative trahissait clairement, ou de celui d’admiration approbative que l’on remarquait sur tous les visages -dans l’assistance.
- La grande âme du fondateur était évidemment heureuse de remettre ce témoignage si libéral de satisfaction à ces enfants qui sont l’avenir et l’espoir de son admirable fondation. Il fait donc l’appel des élèves qui ont mérité cette récompense, dont les noms suivent, et à chacun d’eux il remet un titre provisoire de cent francs qui sera échangé contre un bon d’épargne de même somme :
- Fortis Emile, Philippe Marguerite, Proix Emilia, Hamel Ernestine, Griviler Eugène, Chevyer Jules, Champenois Blanche, Casseleux Lucie, Sarrazin Ernest, et Lerloup Léonard.
- En somme, cette cérémonie de la distribution des prix a été fort touchante ; et l’on en est sorti véritablement charmé, touché, l’âme Rouverte aux meilleurs sentiments, et nous ne craignons pas d’affirmer qu’à ce point de vue de pareilles journées sont bonnes, parcequ’elles ont une fportée moralisatrice réelle. Combien de petits cœurs ce spectacle a fait battre, et combien parmi eux il aura rempli d’émulation pour l’avenir ! Plus d’un des lauréats de l’année prochaine aura dû son émulation et son zèle à l’espérance que la distribution des prix de cette année aura fait naître.
- La journée toujours pluvieuse s’est terminée par le bal dans la grande cour centrale ou toute la jeunesse du Familistère et de la ville ne manque jamais de se presser et de s’ébattre.
- III
- Le lendemain, au lever du jour, le ciel est radieux; quelques légers nuages d'une blancheur d’ouate,et tenus comme des flocons de soie le zèbrent par places, plus épais et plus denses à l’horizon,
- mais sans rien enlever à l’éclat de la matinée réchauffé par un brillant soleil d’automne. Les préparatifs pour les jeux se font de tous côtés, et lorsque l’heure arrive chacun est à son poste, acteurs et spectateurs.
- A dix heures, sur la place du Familistère, les garçons, les yeux bandés, un bâton à la main, s’efforcent à qui mieux mieux d’atteindre une bouteille en bois posée sur un poteau, pour la jeter par terre. Les concurrents sont nombreux, mais les vainqueurs sont rares, car dans le nombre bien peu marchent droit dans leur cécité subite, et c’est au milieu des rires qu’on voit les uns appuyant à droite, les autres à gauche, et la plupart frappant dans le vide lorsqu’ils ne menacent pas quelqu’as-sistant des premiers rangs, malgré les cris poussés par la foule pour les remettre dans la voie droite. 8 prix sont accordés variant de 0.75 c. à 3 francs.
- En même temps dans la cour de l’aile droite les filles se disputent 7 prix, le premier de 1 fr. 75 c. et le dernier de 0.25 c. au jeu d’anneaux qui consiste, comme on sait, à lancer un grand anneau fixé à une longue corde de façon à ce qu’il se fixe dans un crochet disposé au bout de la trajectoire sur une planche fixe.
- A onze heures, c’est pour les garçons un carrousel dans la cour de l’aile gauche avec quatre prix en deux sections, le premier de six francs et le second de quatre et pour les filles, dans la cour centrale, jeu des ciseaux, dans lequel l’enfant, les yeux bandés et armé de ciseaux, va trancher un ruban fixé à quelques mètres du point de départ. Treize prix variant de 2 fr. à 0.25 c. sont disputés dans ce tournoi paisible.
- Dans l’après-midi à trois heures, représentation au théâtre, dont le programme porte : « Une leçon de Botanique», scène peu intéressante, jouée exclusivement par les filles, pour qui décidément le nouveau directeur des études éprouve une préférence marquée, et « Les quatre prunes ou Vesprit court les rues » joué par deux garçons, Sarrazin (Ernest) et Emile Fortis, qui provoquent les rires de l’assistance, ainsi que leur camarade Eugène Griviler dans l’amusante scène de « Y Avocat des Ecoliers. »
- Un bal aussi animé que celui de la veille clôt la fête, qui cette année a emprunté un cachet nouveau au magnifique succès obtenu au concours cantonal par les élèves du Familistère, dont pas un n’a échoué à l’examen pour le certificat d’études. Nous sommes heureux de constater ce magnifique triomphe dont nous avons déjà fait part à nos lecteurs, et, comme pour les membres de l’association, un progrès réalisé n’est que l’avant-coureur d’un progrès nouveau
- p.566 - vue 567/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 667
- plus important encore, nous avons la conviction que l’année prochaine dépassera en résultats celle qui vient de finir, pour être à son tour dépassée par celle qui la suivra.
- C’est à provoquer, à entretenir et à accroître dans l’âme des enfants l’émulation nécessaire pour cela que la Fête de l’Enfance sert merveilleusement, et à ce point de vue son utilité est si peu contestable, que partout on en institue maintenant, ainsi que l’a bien fait remarquer dans son discours le fondateur du Familistère.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- ITALIE
- Le gouvernement du roi continue, selon son système, sans tambours ni trompettes la chasse aux socialistes. D’habitude il commence par saisir à tort et à travers leurs journaux dont il emprisonne les rédacteurs et les gérants; puis viennent Vammonizione, le domicilecoalto, les condamnations et les menaces administratives les mettant hors de la loi, à la merci de la police qui les traque comme bêtes fauves. Devant ces « arguments ad hominem » les malheureux sont obligés de s’enfuir, de gagner la frontière s’ils le peuvent, et d’aller chercher à l’étranger un asile et les moyens d’existence que malheureusement ils ne trouvent pas toujours, car la haine bourgeoise et policière du gouvernement italien les poursuit partout. Vous vous rappelez ce malheureux Danesi, ce pauvre boiteux marchant avec des béquilles, dont le gouvernement italien obtint du gouvernement suisse l’expulsion comme étant un facinoroso, un régicide scélérat et criminel. Vous n’avez pas oublié non plus comment le socialiste Amilcare Gipriani, après avoir échappé au régime meurtrier de la Nouvelle-Calédonie, tomba dans un guet-apens de la police italienne. Expulsé de France, il vint à Genève où il fut entouré d’amis douteux parmi quelques bons. Cipriani était un enthousiaste, un homme d’action ; on lui fit croire que la révolution sociale était imminente en Italie et que ses compatriotes le réclamaient comme chef pour les conduire aux barricades. Gipriani se rendit incognito à Rimini où il fut immédiatement arrêté, et comme les amnisties intervenues empêchaient qu’il pût être condamné pour des faits politiques, on déterra une vieille affaire dans laquelle il s’était défendu contre des agresseurs et des assassins, et on le fit ainsi condamner aux travaux forcés à perpétuité.
- Aujourd’hui, c’est le tour de Tito Zanardelli, frappé d’un arrêté d’expulsion du ministre de l’intérieur français sur l’avis du préfet de police, M. Camescasse, qui, lui aussi, se range du côté du manche et donne tort à ceux qui ne pensent pas comme le gouvernement. La police italienne n’est certainement pas étrangère à cette expulsion d’un citoyen républicain par un gouvernement républicain. Je ne sais ce que M. Zanardelli a fait pour que l’hospitalité française lui soit refusée. Avait-il violé les lois de la République, avait-il provoqué à une insurrection contre le gouvernement établi en France? Non. Il avait simplement, dans une réunion privée, composée en très grande majorité d’Italiens, exprimé cette opinion que l’Italie devait, elle aussi, répudier le régime monarchique et devenir une république. C’est ainsi que certains fonctionnaires de la République française comprennent leur devoir, et qui plus est les véritables intérêts de la France-
- (Etats-Unis d'Europe*)
- DANEMARK
- Le roi de Danemark vient de ratifier les projets de loi adoptés par l’Alting de l’ile d’Islande, entre autres celui qui accorde aux femmes islandaises le droit d’élection pour le conseil municipal et le conseil presbytérial, et qui avait été adopté à l’unanimité par les deux Chambres du Parlement.
- *
- ¥ ¥
- Neutralité du canal de Suez. — Les événements d’Egypte donnent un intérêt nouveau aux résolutions prises en 1879 par l’Institut de droit international à la suite d’un rapport présenté par Sir Travers Twiss. Yoici ces résolutions :
- I. Il est de l’intérêt général de toutes les nations que le maintien et l’usage du canal de Suez pour les communications de toute espèce soient, autant que possible, protégés par le droit des gens conventionnel ;
- II. Dans ce but, il est à désirer que les Etats se concertent, à l’effet d’éviter autant que possible toute mesure par laquelle le canal et ses dépendances pourraient être endommagés ou mis en danger, même en cas de guerre.
- III. Si une puissance vieut à endommager les travaux du canal, elle sera obligée de plein droit, à réparer aussi promptement que possible le dommage causé, et à rétablir la pleine liberté de la navigation du canal.
- HONGRIE
- L’anniversaire de la naissance de Kossuth a été célébré le 28 août à Buda-Pesth et dans toute la Hongrie par de nombreux banquets. Des télégrammes ont été adressés de toutes les pajTs, sans distinction d’opinion politique, au héros de la révolution hongroise.
- RUSSIE
- Une vive polémique vient de s’engager dans la presse russe contre les Allemands.
- Le Strana (le pays a recommencé,la semaine dernière, les attaques qui ont eu tant de retentissement l’année dernière. Le Petersiourg-skaia Viedomosti lui a emboitô le pas, et la Novoia Tremia parait toute disposée à faire chorus avec eux. Le langage des diverses feuilles que nous venons de citer n’est plus de nature à faire croire aux sympathies de la Russie pour l’Allemagne. A les entendre, les Russes sont les ennemis naturels des Allemands, au point de vue ethnographique. «Nous n’avons ajouté que le Petersbourg-skaia Viedomosti, qu’une alliée naturelle, la France, que nous avons toujours ignorée et que nous ignorons encore à l’heure qu’il est. « Cette polémique, dont on ne doit évidemment pas exagérer la portée, est assez intéressante à signaler.
- *
- « «
- On télégraphie de Saint-Pétersbourg au Nord :
- « La nouvelle que le couronnement de l’empereür aurait lieu au commencement de septembre est fausse.
- ALLEMAGNE
- La question de la succession de Brunswick revient sur le tapis. M. Windhorst, chef des ultramontains allemands et ancien ministre du feu roi déchu, Georges du Hanovre, a eu une conférence avec le duc de Brunswick, lequel aurait envoyé un aide-de-camp auprès du duc de Cumberland, le dernier des guelfes hanovriens, qui réside à Cmünden,où il se considère comme en exil. On se rappelle que lors du débat relatif au fonds des Reptiles dans la dernière session du Parlement prussien M. Windhorst avait exprimé la conviction que le due de Cumberland accepterait un compromis avec la cour de Berlin. Le chef des ultramontains aurait pris l’initiative d’une démarche pour faire aboutir ce compromis.
- p.567 - vue 568/836
-
-
-
- 568
- LE DEVOIR
- La presse Russe «&> l’Angleterre. — La
- Russie ne voit pas sans impatience le succès de l’Angleterre en Egypte. Une partie de la presse russe commence à murmurer et à proférer de sourdes menaces.
- Il n’y a guère, dans le monde, dit la Réforme, de rivalité plus formidable que celle de la Russie et de l’Angleterre. Ces deux puissances ont des champs de bataille toujours prêts en Orient et en Asie. La Russie, qu’elle veuille s’étendre à l’est ou au midi, trouve cet éternel obstacle : l’Angleterre. C’est l’Anglais qui crie plus fort que'tout autre en Russie : Tu n’iras pas à Constantinople ! C’est encore l’Anglais que le Russe, allant vers l’Aighanistan, la Perse ou l’Inde, rencontre en travers de son chemin.
- Lors du traité de San-Stefano, qui consacrait les victoires de la Rassie en Turquie, l’Angleterre déclara qu’elle ne tolérerait pas l’exécution d’un acte diplomatique nuisible aux intérêts de l’Europe en général et aux intérêts britanniques en particulier : de la, le congrès et le traité de Berlin.
- Aujourd’hui, si la Russie déclarait qu’elle ne permettra, dans aucun cas, à l’Angleterre de s’emparer de l’E -gypte et du canal de Suez, ce serait de bonne guerre, et elle ne ferait que rendre la pareille à son ambitieuse rivale.
- « En 1878, dit le Novosti, l’Angleterre a arrêté la marche victorieuse de la Russie. Il faut que 11 Russie paye, en 1882, 1 Angleterre de la même monnaie. »
- Les journaux russes considèrent comme peu sincère l’apparent appui donné par l’Allemagne à l’Angleterre.
- Nous ne croyons pas que le Eoreign-Ofïice ait la naïveté d’accepter cet appui en toute confiance, sans arrière-pensées d’aucune sorte. M. de Bismarck s’est écrié, dans un moment de boutade, que la question d’O-rient ne mériterait pas qu’oq sacrifiât les os d’un grenadier poméranien ; au strict point de vue allemand, il n’avait pas tort.
- Mais nul n’ignore que le grand chancelier ne déteste pas de pousser ses voisins à des entreprises, quitte à leur enlever le fruit de leurs victoires. Au jour de la moisson, 1 Angleterre pourrait bien s’en apercevoir, après la Russie.
- Dans le monde slave et germanique, le cabinet de Londres ne saurait donc raisonnablement chercher des alliés solides, dévoués, à l’abri du soupçon. La perspicacité de nos voisins ne s’y est, d’ailleurs, pas trompée. L’Angleterre, lorsqu’elle aura besoin d’une alliance effective, tournera sans doute de préférence ses regards vers la France.
- En dépit de diplomates à courte vue ou de politiciens aveuglés par l'esprit de parti, l’alliance anglo-française est la vraie politique extérieure de la France aussi bien que de l’Angleterre. Ni l’une ni l’autre de ces deux nations n’a de sympathies sûres dans l’Europe centrale ou orientale : leur prospérité commerciale, leur expansion colonisatrice, leur brillante civilisation... voilà, contre elles, assez de motifs de convoitise et de haine. Eutre elles, il y a communauté de dangers, en quelque sorte, sans qu’il y ait antagonisme d’intérêts : l’alliance est naturellement indiquée.
- ANGLETERRE
- Nous avons fait remarquer plus d’une fois que la Land -League irlandaise, formée dans l’intérêt exclusif des • fermiers, ne faisait rien pour améliorer le sort des jour- j naliers, des manouvriers, des vrais paysans qui, placés au-dessous des fermiers, sur le dernier degré de l’échelle j des exploitations, portent le poids de tout l’édifice, pa- ’ reils à ces cariatides dont la brutalité de l’art romain ai- i mait à faire plier les énormes têtes sous les lourds enta- : blements. Nous sommes satisfait d’apprendre que les \ ouvriers et les paysans irlandais lèvent la tête à leur tour, et qu’ils viennent de fonder à Dublin la Ligue irlandaise des Travailleurs des campagnes et des villes. i| M. Parnell et ses amis prennent généreusement la tête j de ce mouvement. Nouvelle besogne pour M. Gladstone. j
- ¥ * I
- On mande de Limerick qu’environ 60 poiieemen ont donné leur démission à la suite de la révocation de cinq de leurs camarades qui avaient refusé d’accepter leur changement de résidence.
- D’autres démissions sont attendues à Limerick et dans d’autres villes, à moins que les cinq agents ne soient réintégrés dans leur emploi.
- CHILI
- La situation du Chili, bien loin de s’améliorer, ne fait que s’aggraver chaque jour.,
- Les Chiliens avaient laissé dans les villes de l’intérieur lesquelles sont distantes entre elles de 12 à 25 milles environ, de faibles garnisons variant de 70 à 100 hommes.
- Les Indiens ont envahi les villes, ont massacré les garnisons chiliennes, après quoi iis ont brûlé et pillé ces villes.
- Les Chiliens ont naturellement usé de représailles.
- A Lima, capitale du Pérou, le commerce est mort et un télégramme de Santiago arrivé hier nous apprend que le gouvernement chilien a décidé de déporter 100 des principaux citoyens de Lima dans l’île de Juan Fernandez.
- Il espère par ce moyen amener lé Pérou à traiter de la paix.
- On craint qu’une émeute n’éclate à Lima. La garde nationale des étrangers se prépare à défendre les propriétés étrangères.
- On attend d’un jour à l’autre un renfort de 4,000 Chiliens pour augmenter la garnison, qui n’est actuellement que de 3,000 hommes.
- CHINE
- On mande de Hong-Kong que la station de missionnaires français à Peshun (Chine), près de la rivière de l'Amoor, à 7C0 milles de New-Chuang, a été attaquée par la populace. Le Père Souraux et un domestique auraient été tués, et plusieurs autres blessés.
- *
- * *
- JL» diffamation.. — On parlait diffamation devant un avocat; et chacun s’émerveillait de celte protection bizarre que la loi, en interdisant la preuve de faits diffamatoire donne parfois aux coquins. Au moment de se séparer, le jurisconsulte dit en forme de conclusion :
- » Certain journaliste appelé en duel pour fait d’insolence répondait fièrement : « Je ne me bats pas : un duel ne prouve rieu. »
- » Ce qui prouve moins encore, c’est un procès de diffamation.
- » Le duel, n’en déplaise à l’auteur de la maxime ci-dessus, ie due! prouve tout ce qu’il prétend prouver, à savoir que celui qui se bat n’est pas un lâche. Et c’est souvent générosité chez un homme de cœur, de demander ou d’offrir une réparation à un malheureux perdu d’estime, sinon pour le relever, au moins pour l’empêcher davantage dans le mépris public. C’est une perche qu’on lui tend : à lui de la saisir, ou s’il préfère la boue, de la repousser.
- » Mais l’action en diffamation, mais la condamnation pour diffamation ?
- » Que prouve-t-elle ?
- » Que vous, monsieur, qui m’appelez en justice, vous aves été insulté ? Eh 1 qui le nie ?
- » Ce qu’il vous serait intéressant d’établir, c’est que l’insulte était calomnie.
- » Ce qu’il me serait, à moi, doux de prouver, c’est que l’insulte était vérité.
- » Or vous savez bien que l’un n’est pas toujours possible, et que malheureusement la loi m’interdit l’autre.
- » Laissez donc dormir cette loi, vous tous qui avez l’honneur de tenir une plume : ne répondez par elle que quand on vous attaquera par elle : c’est l’arme des imbéciles et des poltrons, l’arme de ceux qui n’ont ni cœur ni esprit* »
- p.568 - vue 569/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 569
- Le Catholicisme & le Socialisme
- III
- Un des principes fondamentaux du catholicisme est l’exclusivisme. L’Eglise déclare formellement que hors de son sein il n’y a point de salut, et cette formule est rigoureuse,et doit être prise absolument au pied de la lettre sans la moindre exception ni réserve. L'homme habitant une île sauvage qui n’a jamais entendu parler de la religion catholique, et qui par conséquent n’en a pas la moindre idée, ne sera pas plus sauvé, si à l’heure de la mort il n’a point reçu le baptême,que nous tous, nés catholiques, qui parvenus à l’âge de raison avons volontairement et sciemment abandonné ses dogmes menteurs et ses ridicules observances. Que l’on ne croie pas que nous exagérions; les pères de l’Eglise les plus débonnaires, frappés eux-mêmes de l’odieux de cette doctrine, lorsqu’elle s’applique à des êtres de bonne volonté au cœur droit, à la conscience pure, qui ont toute leur vie pratiqué le bien et évité le mal, n’ont rien trouvé de mieux, pour en atténuer la rigueur, que d’afBrmer que Dieu fera en sorte, avant qu’ils meurent, de les éclairer, et de leur faire connaître la religion qui doit les sauver par un moyen ou par un autre.
- Partant de ce principe, le catholicisme cherche avant tout à faire des prosélytes et à répandre par toute la terre la saine doctrine. Fidèles à la recommandation du Christ qui avait dit : « Allez enseigner à toutes les nations,» les apôtres se répandirent dans les différentes parties du globe, et ils allaient annonçant la bonne nouvelle,cette doctrine morale de paix et de fraternité qui était l’enseignement véritable du grand crucifié du Golgotha, et scellant noblement de leur sang leurs prédications peu dogmatiques et qui constituaient un progrès moral incontestable à cette époque. Ils enseignaient timidement encore, il est vrai, cet exclusivisme qui depuis a pris des allures si farouches, mais on ne saurait leur en faire un crime, car la doctrine qu’ils professaient était réellement salutaire.
- Mais combien cette doctrine dégénéra entre les mains de leurs successeurs, surtout, à partir du moment où le catholicisme fut installé sur le trône impérial avec Constantin! Ce ne fut plus une simple croix à la main et par la persuasion que l’on chercha à propager l’enseignement religieux; ce fut la main armée du glaive et par la violence que l’on se fît un devoir de l’imposer. Aux prédications de Jean qui disait à ses auditeurs : « Mes petits enfants aimez-vous les uns les autres, » succédèrent les massacres
- | auxquels présidaient les Cyrille d’Alexandrie,faisant écorcher vive avec des coquillages l’illustre Hypathie, les Dominique, digne compagnon du féroce Simon de Montfort dévastant des provinces entières, les auto-da-fé de l’inquisition dévorant des millions d’innocentes victimes humaines, y compris la plus illustre héroïne de l’humanité, la noble Jeanne d’Arc,la Saint Barthélemy, cette page honteuse et indélébile de l’histoire ecclésiastique de France, les dragonnades des Cevennes,la révocation de ledit de Nantes,gigantesques atrocités commises au nom du doux réformateur de Galilée, qui répétait sans cesse à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres ; » et « si quelqu’un vous frappe sur une joue, tendez lui l’autre ; » » si l’on vous enlève votre manteau, donnez aussi votre tunique; » « qui frappe avec l’épée périra par l’épée, » etc.
- Ainsi ce prosélytisme qui était dicté au fondateur du christianisme par un immense amour de l’humanité pour laquelle il devait être un bienfait inappréciable, en lui facilitant les voies du progrès par la fraternité et la charité, ce prosélytisme changea complètement de mobile dans l’âme des papes et de leurs séides, les moines de Dominique et de Loyola, et devint an moyen de domination tyrannique non seu-| lement sur les hommes, mais sur les empires. Le fer et le feu, les tortures les plus inouïes, les confiscations, tout ce que l’imagination secondée par le fanatisme le plus cruel peut inventer de supplices, fut mis en œuvre pour cette conquête violente des âmes, que l’Eglise voulait avant tout soumettre de gré ou de force à sa domination, et aussi, cette doctrine qui dans la pensée de son fondateur devait faire le bonheur de l’humanité, ne tarda pas à la plonger dans la plus horrible infortune. On a appelé avec raison le moyen-âge, la période des ténèbres ; en effet, jamais dans aucun temps l’humanité n’était tombée si bas dans le cloaque de l’abjection et de l’ignorance.
- A la civilisation romaine entièrement disparue avait succédé le monachisme, avec ses vues étroites et son infécond ascétisme.
- L’Europe était comme une vaste forêt infestée de brigands nombreux, barons féodaux qui vivaient de rapines et de meurtres. La force seule constituait la base du droit, et l’humanité avait été transformée pour ainsi dire en un immense troupeau que quelques bandits puissants, rois, seigneurs ou évêques, exploitaient à leur gré sans merci ni pitié. Les trésors littéraires et scientifiques de l’antiquité étaient détruits partout avec les bibliothèques par d ignorants prélats fanatiques, et les rares chefs-d’œuvre de l’esprit humain qui survivaient à ces destructions générales étaient effacés par d’ineptes copistes, qui en
- p.569 - vue 570/836
-
-
-
- 5T0
- LE DEVOIR
- employaient les feuillets à copier leurs textes idiots de litanies ou autres prières lithurgiques. Partout l’église papale avait étendu un voile sombre qui privait les intelligences de cette lumière sacrée de l’esprit, qui est aussi indispensable à la vie de l’âme,que les rayons du soleil à la vie des plantes sur la surface du globe.
- Là où le Christ avait voulu répandre la lumière, l’Eglise Catholique propagea les ténèbres ; là où il avait désiré faire régner la paix et l’amour, l’Eglise imposa la guerre et la haine ; là où il avait entendu gagner les cœurs par la persuasion et l’aménité, elle s’efforça de les dompter par la contrainte et les supplices; là enfin où il avait cherché à faire de tous les hommes des frères, enfants d’un même père, Dieu, l’Eglise les transforma en bêtes féroces acharnées les unes contre les autres. Le père catholique poursuivait à outrance son fils hérétique; les liens du sang, les affections de famille, tout était éteint dans ces âmes faaatiques et sauvages, et il n’est point d’atrocité révoltante, d’attentat criminel qui n’ait été commis par les catholiques, au nom de la religion et de la foi du Christ.
- Et malgré ces méconnaissances évidentes et coupables de l’idée du fondateur du Christianisme, l'Eglise prétend encore être la dépositaire fidèle de sa doctrine, et elle proclame son chef vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Si l’humble fils du charpentier de Nazareth qui sur la croix priait encore pour ses bourreaux,revenait aujourd’hui dans ce monde sublunaire, comme il chasserait à coups de fouet tous ces usurpateurs, papes, cardinaux, évêques, prêtres et moines, qui ont rendu odieuse et ridicule une religion qu’il avait créée sublime et humanitaire î Comme il désavouerait ces ministres d’un culte qui a complètement dénaturé ses enseignements et ses préceptes ! L’homme qui recommandait de se retirer, pour prier, dans une retraite isolée où l’âme put s’élever à Dieu, de quel œil verrait-il ces pompes théâtrales des temples catholiques, où l’or, les pierres précieuses se marient au bruit des foules, pour éblouir les yeux et assourdir l’oreille, en multipliant les distractions si nuisibles au recueillement qu’exige la prière ? L’homme qui se faisait gloire de n’avoir pas même une pierre où reposer sa tête, de quel œil verrait-il ces palais somptueux qu’habitent ses ministres, et ces procès intentés par un évêque à son gouvernement, pour avoir pavoisé le sien de drapeaux le jour de la fête nationale ? Nous défions les catholiques d’affirmer que le Christ revenu sur la terre approuverait toutes ces choses.
- Ce que le Christ voulait, en fondant sa religion, c’était rendre l’humanité meilleure, lui enseigner les
- moyens d’atteindre le perfectionnement moral qui est le but de l’existence humaine ici-bas, et la conduire ainsi au bonheur relatif, fruit de la paix, du travail et de la fraternité. C’est ce même but que poursuit aujourd’hui le socialisme, plus en communion d’idées avec le Christ que l’Eglise Catholique, et ce programme sublime, il l’appliquera certainement, lorsque l’influence du clergé si fortement entamée déjà aura complètement cessé de se faire sentir.
- C’est là ce que voulait le Christ. Ce que l’Eglise a fait c’est, au contraire détruire au sein de l’humanité les nobles aspirations, les sentiments élevés,les tendances libérales vers l’émancipation et le progrès. Loin de perfectionner la nature humaine, elle en a comprimé le développement normal par d’énervantes entraves; loin de l’améliorer, elle l’a pervertie par des croyances qui sont une insulte à la sagesse et à la justice de Dieu, dont ils ont rapetissé l’idée en la frappant d’anthropomorphisme, et en lui prêtant des compromissions indignes d’un être qui se respecte. Comment en effet est-il possible d’admettre en saine morale qu’un homme souillé de crimes puisse être admis par Dieu à une réconciliation complète à l’aide de quelques formules vaines dans le sacrement de pénitence ? Et ce que l’on trouverait absurde chez l’homme, on veut le faire accepter comme rationel de la part de l'Etre omniscient et sage par excellence!
- Est*ce que tout cela ne démontre pas déjà toute l’incompatibilité si radicale, si absolue, si inéluctable qui existe entre les idées des catholiques et celles des socialistes? Est-ce qu’il ne ressort pas de ces différences si complètes, qu’une alliance quelle qu’elle soit entre ces deux extrêmes si opposés est matériellement impossible? Nous avons dit que le point de départ de ces deux systèmes sociaux était diamétralement opposé. Nous avons montré que leur but diffère essentiellement, et,dans cette situation, il nous semble bien difficile, pour ne pas dire impossible,que l'on puisse conserver à cet égard le moindre doute.
- Dans tous les cas, si par impossible, il pouvait régner encore quelqu’illusion de ce genre dans les esprits bien intentionnés, (nous ne nous adressons pas, bien entendu, à ceux dont le parti est pris et le siège fait, qui ferment volontairement les yeux pour ne pas voirie jour), il nous reste encore à faire l’étude comparée des moyens employés parles deux antagonistes,pour achever la démonstration de notre thèse. Qu-il nous suffise de dire en terminant, que nous considérons le Christ comme le premier fondateur du socialisme, tel qu’à notre sens, il doit être enteadu et appliqué, et que si la chose était possible, ce qui n’est pas, l’Eglise, qui avait reçu de lui une mission
- p.570 - vue 571/836
-
-
-
- LB DEyOIR
- 571
- sociale qu’elle n’a nullement comprise, trouverait dans une alliance intime avec le socialisme, en renonçant à toutes ses puérilités dogmatiques et morales, la seule chance de salut qui puisse lui être offerte aujourd’hui.
- [A suivre.)
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l’immortalité individuelle et collective(1>
- La vie extra-terrestre n’admet
- ni l’enfance, ni la virilité, ni la
- vieillesse.
- VI
- L’enfance, l’âge mûr, la vieillesse, c’est-à-dire la croissance, l’équilibre et le déclin, ces phases d’une existence corporelle sont très dissemblables, à tel point qu’elles paraissent appartenir à des individualités différentes, et néanmoins'elles sont étroitement et impérieusement fondues dans notre individualité distincte de toute autre.
- Ces géants qui ont rempli la terre du bruit de leurs noms lurent enfants. Se figure-t-on un grand homme accablé par l’âge et arrivant à la débilité sénile ? Est-ce toujours lui ? Eh bien entre cette personnalité de l’enfant qui s’ignorait et celle du vieillard qui s’est oublié, laquelle choisissez-vous, laquelle voulez-vous absolument conserver pour la retrouver dans la vie future ? ni l’une ni l’autre certainement. Il y a aussi l’époque de la virilité, celle où la vie est dans toute sa puissance ; voilà sans doute le point auquel vous voudriez arrêter la vie à perpétuer. Il vous siérait qu’on demeurât éternellement jeune et fort, intelligent, et reconnu tel, mais ; cette époque moyenne ne saurait subsister sans qu’il y ait, en même temps, conservation de ce qui aurait été enfance et vieillesse. Comment improviser l’avenir de ceux qui ne furent qu’enfants, comment ressaisir en arrière la forme évanouie de ceux qui furent vieillards; il ne se peut donc pas que l’être qui persiste ait rien à faire avec les accidents du corps. C’est qu’effectivement celui-ci ne constitue pas la substance de la vie humaine. Il en est l'extérieur. La vie est toute dans l’âme, et celle-ci disparue à nos sens vit intacte, ni enfant, ni homme, ni vieillard, prête à recommencer en temps opportun nne vie terrestre. Ne faut-il pas qu’elle poursuive sa marche vers l’état supérieur qui est son but, et prenne sa part de l’œuvre collective que doit accom-
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août et 3 septembre 1882.
- plir notre humanité perfectible parce que chacun de nous avance par l’exemple, comme. par son travail propre.
- Nous connaissons un monde peuplé d’êtres que nous isolous et séparons de la vie réelle, jouant un rôle en dehors du monde vivant quoi qu’exerçant sur lui une influence mystérieuse et occulte, mais positive. Ces êtres que nous rappellent à tous les réminiscences de la vie extra-terrestre, et qui sont pour certains les apparitions des légendes et des histoires prennent selon les époques, dans les créations de l’art des figures convenues et revêtent des formes reçues et comprises de tous.
- Pour beaucoup d’entre nous, aujourd’hui génies, anges et démons représentent des allégories et de poétiques fictions,et lorsqu’ils parlent d’eux-mêmes et de leur existence future, beaucoup ne sauraient préciser sous quelle forme leur être se montrera. Pour eux l’ancienne croyance est anéantie sans être remplacée.
- Dans un prochain avenir le monde invisible sera conçu par tous comme uniquement composé d’êtres humains se trouvant à tous les états d’avancement ou d’infériorité et pouvant se distinguer par l’apparence de quelqu’une des formes qui les ont caractérisés parmi les hommes corporels, et spécialement de la dernière. Ceux qui agissent sur les vivants, ce sont d’autres vivants qui existent parfaitement et que l’on ne saurait fuir. Quant à ceux qui vous tourmentent il faut les écarter et les éloigner de soi tant par l’énergie de la volonté, que par l’application au travail. Ce sont ceux qui ont mal vécu sur terre et que leurs vices continuent de dévorer; mais il y a près d’eux des êtres que les vertus enflamment. Ils vivent les uns et les autres à côté des hommes. Si la terre est une habitation indigne des plus élevés, elle est le séjour naturel des autres. Hier ils étaient nos compagnons et demain ils revivront parmi nous.
- La mort nous laisse nos pensées, nos sentiments «& nos goûts
- VII
- Travaillez, non çour avoir la nourriture qui périt, mais afin de vous approprier celle qui demeure pendant la vie éternelle.
- Saint Jean, chap. 6, v. 26.
- La persistance de notre être emporte pour un temps celle de nos idées et le souvenir de nos actes : hélas ! il faut que nous acceptions la survie momentanée de ce que nous voudrions oublier dès la vie présente. Les idées que nous avons lors du départ, nous les avons le lendemain, et nous ne saurions les quitter immédiatement. Nous restons dans l’état de peu de
- p.571 - vue 572/836
-
-
-
- 572
- LE DEVOIE
- science et de sagesse qui est le nôtre ; notre volonté seule peut le changer.
- La mort a modifié la forme et non la personne. Quelle clarté soudaine nous aurait donc permis de tout connaître au sortir de la chair, et à quoi bon le passage dans une grossière enveloppe s’il suffisait d’en sortir pour tout savoir et tout comprendre, Jamais la science ne vient sans peine, il faut l'acquérir par son travail.
- On n’emporte que la récolte faite. On n’est orné que de l’impérissable. Les connaissances intellectuelles et les habitudes vertueuses restent dans notre substance modelée selon la pratique du vrai et du bien qu; nous a été familière. De même l’ignorance, les vices et la dépravation persistent en ceux qui s’y sont abandonnés.
- On se retrouve ce que l’on s’est fait.
- Et ces enfants qui n’ont rien pu faire, ces adultes qui n’ont rien voulu faire, et ceux qui ont mal fait, il n’y a point de rôle possible pour eux dans la vie future incorporelle : ce qu’ils n’ont pas opéré, la tâche qu’ils n’ont pas accomplie reste donc à leur charge pour une autre vie, terrestre comme celle qu’ils ont laissé perdre.
- Le remords et labonne conscience VIII
- On croit au tourment du remords : on le ressent trop profondément pour en douter.
- Dans ses songes et dans ses veilles le coupable voit du sang et des victimes. Rien de cela n’est devant ses yeux. Où donc est-il ce passé terrible qui lui rend le présent si sombre et si lugubre ? dans son imagination, c’est-à-dire en lui-même tout cela est en. lui. Le crime qu’il a commis s’est gravé et exécuté dans son cœur, et au moment de sa mort il sent bien quoiqu’on lui dise qu'il paraîtra devant la justice de Dieu portant en lui son forfait. Le remords est le commencement de la peine comme le repentir est le préliminaire de la réhabilitation : il est une réalité vivante en nous.
- Il en est de même des joies de notre conscience satisfaite, nous nous sentons meilleurs, nous nous trouvons ravivés et presque ressuscités dans une bonne action.
- Doux et glorieux souvenirs, cuisants regrets, poignants remords vous persistez au même titre, si les uns sont notre ciel, les autres sont notre enfer. Vous commencez notre récompense et notre peine, heureux quand les derniers disparaissent pour ne nous laisser que le désir et l’habitude du bien. Alors seulement ceux d’entre nous auxquels notre père
- aura pardonné leur ingratitude pourront entrer dans les demeures qui leur auront été préparées, et se réunir à ceux de nos frères dont aucune souillure n’aura terni le passé.
- Les femmes à l’œuvre devant le suffrage
- Il y a 12 ans que les femmes exercent le droit de suffrage municipal en Angleterre et en Amérique. Et toujours avec les meilleurs résultats désirables.Malgré les quolibets dont on l’accable chez nous, il fait tout doucement son chemin et tend à s’acclimater petit à petit en Europe, où, pratiquement il fait ses preuves chez nos voisins, les praticiens par excellence.
- Voici l’île d’Islande perdue dans les glaces et les neiges à l’extrême N. O. du Continent,qui,à son tour, accorde le suffrage municipal aux femmes. Il y a un an, c’était la Croatie. Il y a 18 mois c’était l’île de Man. La situation de cette île dépendante de la Grande-Bretagne dont elle n’est séparée que par quelques heures de traversée, donne à ce droit de suffrage^ la fois politique et municipal des femmes accordé pour la première fois, en Europe,une importance considérable, que l'on a trop laissé passer inaperçue, étant donnés les cataclysmes sociaux prédits par les clairvoyants. Eh bien! l’événement n’a pas justifié les prédictions sinistres. Le vote municipal et même le vote politique ont été exercés par les femmes et cela n’a pas empêché la terre d’exécuter comme à son ordinaire son mouvement diurne ou journalier, ni sa rotation autour du soleil, ni les mères de soigner leurs bébés, ni les maris d’avoir des chaussettes aux pieds, ni le dîner quotidien de la table. Bien plus les femmes ont exercé une influence moralisatrice marquée et remarquée sur les suffrages. Elles ont impitoyablement éliminé les candidats véreux. Ceux dont la vie privée immorale ne saurait promettre la moralité dans le maniement des affaires publiques.
- Cette considération qui a une portée immense, n’exerce généralement qu’une minime influence sur l’esprit de la plupart des hommes, candidats et électeurs. Non que la nature les ait créés moins purs ou moins moraux que les femmes; mais parce que l’indulgence des lois en matière de moralité à l’égard des hommes a, en partie, oblitéré leur sens moral. Ceux qui échappent à cette contagion, en nombre assez grand, je l’espère, sont des natures d’élite, qui ont le sentiment de la justice et de la droiture inné.
- L’exclusion d’une moitié de l’humanité de la par-
- p.572 - vue 573/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 573
- ticipation à la direction de la chose publique, celle (jes deux moitiés reconnue pour la plus morale, la plus pacifique, la plus apte à l’administration des deniers de la communauté privée, ne peut, évidemment produire que ce que le tempérament de l’autre moitié, en possession du monopole, comporte.
- L’exercice du suffrage n’est pas un droit abstrait. C’est un droit qui correspond à des résultats parfaitement palpables, et d'autant plus assimilable aux femmes qu’il leur fournirait les moyens, d’exercer une action légitime dans la sphère qui leur est tracée, comme ménagères, comme épouses ou comme mères de fait ou en expectative.
- L’administration municipale est-elle autre chose que la gestion des intérêts de la commune, car des ménages réunis, l’encaissement et la dépense d’une partie de ses recettes, la surveillance des approvisionnements de toute nature ? Tout cela a le plus grand intérêt pour la ménagère. Sa compétence et son droit à en connaître, sont évidents. Passons maintenant au vote politique des femmes, cet épouvantail des apôtres du statu quo. Le rôle politique des femmes c’est la paix. C’est l’adoption définitive de l’arbitrage. C’est l’abolition des armées permanentes et des vices qu’elles nécessitent et engendrent. C’est le fils laissé à la mère et à la patrie. C’est la discontinuation de la sélection des plus sains et des plus robustes enlevés à la propagation de l’espèce et confiée aux chétifs et aux estropiés.
- Voilà ce qu’amènerait le suffrage des femmes au bout d’un temps très court.
- Quand l’humanité dans son intégralité entière, marchera à la conquête de la liberté et du progrès avec tous les membres de sa grande famille, elle n’aura plus à redouter ces terribles secousses qui détruisent, en quelques heures, l’œuvre d’un demi siècle de travaux et de pénibles efforts.
- Qui oserait dire que la femme est moins apte à voter que ne l’a été le nègre affranchi après la guerre de sécession?
- Bête de somme la veille — il est devenu électeur le lendemain !
- V. Griesstraut.
- Les Ecoles laïques libres
- Gloire au IIIe arrondissement de Paris, il a compas la question de la régénération sociale, et nous souhaitons de tous nos vœux que tous les arrondissements de Paris marchent bientôt dans la même voie du progrès, et forment partout d’aussi excellentes écoles laïques libres que les siennes.
- C’est par l’enseignement que nous réformerons le genre humain. En chimie, si l’on met du plomb dans un creuset, on aura beau chauffer on n’en fera pas de l’or ; en science sociale, on ne fera de bonnes sociétés qu’en formant de bons citoyens, par l’enseignement : ne désespérons donc pas de l’avenir si nous savons sagement éduquer nos enfants, et consolons-nous des déceptions du présent en pensant aux espérances de l’avenir.
- Epurons les atomes pour avoir un tout homogène et ne nous étonnons pas, ainsi que nous le disions tout à l’heure, que le plomb reste plomb dans le creuset.
- Nous l’avouons, toutes nos aspirations se tournent vers l’enseignement : Enseignement sain et rationnel de l’enfance et de la jeunesse et enseignement mutuel des hommes par la parole et par la plume, par la propagande !
- Nous regrettons que la place nous manque pour rendre compte plus complètement de la fête des écoles du IIIe arrondissement à la. fondation desquelles nous sommes fier d’avoir participé, et faute de mieux nous nous contenterons pour aujourd’hui de raconter ce qui suit :
- Le cit. Albert Pétrot, après s’être félicité d’avoir été choisi pour porter la parole au nom de la commission scolaire, a dit que les Ecoles laïques libres du III9 arrondissement, ne sont pas simplement des établissements d'instruction proprement dite ; on y donne Véducation démocratique et républicaine, ce qui est plus.
- Le nombre est trop rare de ceux qui pratiquent la devise agis comme tu penses. C’est pour l’accroître que nous enseignons ici aux enfants l’amour de la Vérité, de la Justice, de la Liberté. Au lieu des vacances données aux fêtes catholiques, les vacances des Ecoles du 3° sont aux grandes dates démocratiques, 21 janvier, 24 février, 18 mars, 14 juillet, 10 août. On apprend ainsi aux enfants à se rappeler les glorieux anniversaires.
- Toute la question n’est pas de savoir si le professeur sera un clérical revêtu d’une robe noire, ou un autre clérical habillé en bourgeois. L’enseignement officiel est aussi incapable que l’enseignement congréganiste de faire des républicains, des citoyens : même laïcisé, il est basé sur la croyance en Dieu. Les livres, les programmes sont les mêmes qu’autre-fois. Nous ne nous bornons pas à ce rôle passif, négatif, de n’être pas cléricaux; nous sommes anti-, cléricaux.
- Nous voulons que les garçons venant de nos écoles soient de solides défenseurs de la République, que
- p.573 - vue 574/836
-
-
-
- 574
- LE DEVOIR
- nos jeunes filles soient également des épouses et des mères républicaines.
- Après avoir rappelé les brillants succès universitaires remportés par les Ecoles libres du 3», l’orateur adresse quelques mots particulièrement aux enfants, pour les encourager au travail, à l’assiduité, à la persévérance : car nous sommes à une époque où l’on ne peut se passer de l’instruction, elle est indispensable, car elle sert à la fois l’avantage de celui qui l’acquiert et l’intérêt général de la patrie.
- Edmond Potonié.
- MMJOOOOCCXttig»’—1 —
- Ministère des Postes et des Télégraphes
- A partir du 16 septembre la commune de Brancourt actuellement desservie par le bureau de Bohain, sera desservie par Montbrehain.
- La philosophie de l'avenir
- Sommaire du n° 85 : Profession de foi socialiste (manuscrit inédit), Colins. — Serment judiciaire, Frédéric Borde. — Lettres aux hommes de mouvement, sur le progrès (manuscrit inédit), Louis de Potter.
- Prix du numéro 1 fr.; abonnement postal: un an, 12 fr., 6 mois,6 fr., 3 mois 3 fr.—Chez Jules Delaporte, 108, rue Mouffeiard, Paris.
- i— -----------------—
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE
- Le 29 août, — Jules-Léon Brancourt, fils de Brancourt Arthur et de Langlet Estelle.
- MARIAGE
- Le 2 septembre. — Entre Gardet Adôlina et Dupla-quet Jules, employé.
- DÉCÈS
- Le 29 août. — Camille-Charles-Jean-Baptiste Dirson, âgé de 1 mois.
- Le 2 septembre. — Edwige Germain, âgée de 11 mois.
- LES TERREURS DU CZAR
- A la veille du couronnement de l’empereur de Russie, on ne lira pas sans intérêt les détails suivants -du supplice moral auquel les complots nihilistes condamnent le maître absolu du vaste empire du Nord.
- — Dieu tient la vie des souverains sous sa sauve-
- garde éternelle, dit le vieux pope. Le czar a foi en Dieu !
- — Il pleurait cependant !
- — Il est homme.
- Je n’insistai pas. Ivan N,.., le chapelain de Gat-china, est un de ces illuminés si nombreux aujourd’hui encore au sein de la nation russe. Son fanatisme en fait l’idolâtre serviteur du trône, qui, dans l’église grecque se confond avec l’autel.
- Il reprit :
- — Alexandre avait faim ; mais il souffrait en stoï. que. Ses larmes venaient de l’âme : les sens n’y avaient aucune part. Il me dit avec un accent de tristesse languissante :
- — Eh bien î Ivan, comment vont mes fidèles Finlandais ?
- — Leur état n’a guère varié : ils éprouvent toujours les mêmes douleurs d'entrailles. Mais le docteur semble moins inquiet.
- Le czar se renversa dans son fauteuil et, les mains croisées sur son front, s’absorba dans une méditation qui ne fut interrompue que par l’arrivée du médecin. Il se leva, au bruit de l’entrée du praticien.
- — Empoisonnés ? fit il.
- — Nod, sire. L’accident est sans gravité. Il n’y a là, d’ailleurs, qu’une simple méprise. Le lait analysé au laboratoire a été mêlé fortuitement à celui des gardes.
- — Savez-vous bien, docteur, que ce luxe de précautions m’est singulièrement odieux, et que, si je ne craignais pas pour la vie de l’impératrice et des princes, je ferais disparaître tout ce tyrannique appareil.
- On vint annoncer que le déjeuner était servi.
- Il pouvait être onze heures. Le czar n’avait encore rien pu prendre.
- — Ivan, me dit-il, puisque le danger est conjuré, votrë ministère est désormais sans objet. Néanmoins, restez ici jusqu’à mon retour.
- Il sortit.
- Vous ignorez sans doute, reprit le pope, que toute substance alimentaire qui entre au palais est soumise à une analyse chimique, dans le laboratoire de sûreté dirigé par un chimiste danois, aidé de trois préparateurs allemands.
- Chaque jour, dès six heures du matin, le premier déjeuner est essayé par trois gardes de corps.
- — Les mêmes mets, réchauffés, sont servis deux heures plus tard sur la table impériale.
- Avant de faire prévenir le czar que tout est prêt pour son repas, le majordome du palais prend l’avis du médecin, lequel soumet à un diagnostic minutieux les convives qui ont essayé les plats.
- Ce jour-là le déjeuner de huit heures a dû être
- p.574 - vue 575/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 575
- retardé jusqu’à onze heures, parce que les Finlandais avaient éprouvé des symptômes d’empoisonnement.
- Jamais je n’ai vu le czar plus douloureusement affecté. Il a contremandé sa promenade habituelle avec ses sosies.
- — Ses sosies ? avez-vous dit.
- — Vous ne savez peut-être pas, reprit le chapelain, que l’empereur sort toujours en compagnie de trois officiers de sa taille, offrant les mêmes traits, ayant la même coupe de barbe et de cheveux, et vêtus d’un costume entièrement pareil au sien. La ressemblance est si parfaite, que l’impératrice s’y est méprise quelquefois.
- Après le tardif déjeuner dont je viens de parler, l’empereur rentra dans son cabinet. Je m’étais endormi. Il s’assit à son secrétaire et reprit la lecture d’un roman français, sa distraction favorite.
- Quand je m’éveillai, j’allai me jeter à ses pieds, tout confus et lui demander pardon de mon inconvenance. Il me releva avec bonté.
- — Je sais, dit-il, que vous avez passé la nuit auprès des criminels exécutés ce matin. La nature a repris ses droits. Maintenant asseyez-vous là et causons.
- Il m’interrogea sur les derniers instants des condamnés auxquels j’avais prêté mon saint ministère. Un seul avait manifesté du repentir. Il s’était confessé. Cet affidé des nihilistes, nommé Zdenko, avait rempli auprès du czar les fonctions de valet de chambre.
- Ici l’empereur s’écria :
- — Zdenko était la perfidie même !
- — Mais son repentir a été profond, sire, et la miséricorde divine est infinie.
- — Vous a-t-il fait des révélations ?
- — Oui, sire. J’ai reçu sa confession générale.
- — Donnez-m’en le détail.
- Ces paroles me surprirent. J’éprouvai une certaine angoisse. Néanmoins, maîtrisant mon trouble, je dis à l’empereur, avec toutes les apparences du calme :
- — Sire, est-ce le chef de l’Etat parlant en homme, ou le chef de l’Eglise interprétant la volonté de Dieu?
- — L’un et l’autre, fit le czar avec humeur.
- Je m’inclinai. Il ne m’est pas permis de vous répéter ce que je dis alors au chef de l’Eglise russe. Mais quand j’eus fini, il fit appeler un de ces aides de camp auquel il donna des ordres à voix basse. L’officier sortit.
- — Le misérable qui vous a fait cette épouvantable confession, reprit l’empereur, est le fils d’un homme fiue mon père a tiré de l’obscurité, enrichi, anobli.
- Moi, j’ai continué au fils les faveurs accordées au père. Ah 1 laissez-moi douter de la vérité de cette dernière révélation. C’était peut-être l’effet d’une orgueilleuse bravade. Quoi! ces engins de mort sous la couchette de mon fils, le compagnon de jeux du sien.
- On vint lui remetre une dépêche. Il la parcourut rapidement. Comme il en achevait la lecture, l’aide de camp reparut.
- Ce czar échangea à l’écart quelques paroles avec cet officier. Puis il revint à son secrétaire. Je remarquai que ses lèvres avaient pris tout à coup une pâleur livide. Il prit la dépêche et la donna à son aide de camp.
- — Vous porterez cela à l’impératrice, dit-il.
- Alors se tournant vers moi.
- — On m’annonce que tout est prêt pour mon couronnement. Mon couronnement ! il est accompli désormais. Je porte au front le sanglant diadème du roi des Juifs : j’ai aussi ma couronne d’épines.
- Tel est le fragment qu’on m’a communiqué, et dont j’ai cru devoir reproduire textuellement la teneur étrange. Le lecteur concluera. Pour ma part,je crois à la véracité de mon correspondant. J’estime aussi que le couronnement de Moscou est une vaine cérémonie qu’a précédé le sacre de la fatalité. Alexandre a déjà revêtu une pourpre aux brûlants reflets. Comme la robe de Nessus, elle possède une vertu terrible. En outre, le czar l’a dit avec raison : il a sa couronne d’épines. J’ajouterai qu’il tient aussi le sceptre de roseau.
- Quoiqu’on en puisse dire, cette effroyable destinée éveille la commisération ; elle rappelle ces beaux vers de Victor Hugo :
- Frères, plaignez le Czar né dans sa loi barbare,
- Des hommes et de Dieu son pouvoir le sépare.
- Son aveugle regard ne s’ouvre pas au ciel.
- Sa couronne fatale et toujours chancelante Porte à chaque fleuron une tête sanglante,
- Et peut-être il n’est pas cruel 1
- {Electeur libre). Ory Ginnhall.
- MISÈRE
- C’était une bien brave femme que la pauvre mère Jeanne, et tout le monde l’aimait dans le pays. Son mari était mort depuis longtemps lui laissant la pauvreté et un enfant qu’elle avait nourri eorame elle avait pu.> Le petit Pierre avait grandi ne mangeant pas toujours son saoûl, couchant sur la dure, travaillant du matin au soir comme on travaille dans la montagne; mais aussi ne respirant pas cet air em-
- p.575 - vue 576/836
-
-
-
- 576
- LE DEVOIR
- pesté et épais qui étiole la jeunesse dans nos grandes villes. Mais hélas ! un jour il fallut partir, et il alla, là-bas sur la mer, bien loin , la pauvre vieille mère ne savait pas bien où. Elle resta seule dans la cabane ouverte à tous les vents, versant toutes les larmes de ses yeux en songeant à son existence désormais si triste et si solitaire.
- Un jour d’hiver, la vieille Jeanne tomba malade; il gelait à pierre fendre, et dans la chaumière pas un morceau de bois, certes elle ne fut pas abandonnée ; tous les voisins vinrent à son aide,lui apportant l’un du bois,l’autre de la nourriture, et tous se relayaient pour la soigner.
- Mais sa pauvre cabane ne lui appartenait pas, elle lui était louée par un de ces hommes comme il y en a tant malheureusement, et qui sans souci pour les autres ne songent qu’à leur propre bonheur. Aussi se montra-t-il inflexible; la vue de cette femme de soixante ans, malade, manquant de tout ne put l’émouvoir ; il ne se laissa toucher ni par ses prières ni par ses larmes, et,un,matin de décembre la mère Jeanne, pâle, les joues creusées par la souffrance, chancelante,à peine vêtue, sortais de sa maison et allait tomber épuisée devant la porte d’un voisin.
- Parmi tous ces pauvres montagnards, ce ne fut qu’un cri d’indignation contre le barbare propriétaire qui, possesseur de riches métairies, n’avait que faire des quelques sous que lui devait cette malheureuse. On s’empressa autour de la pauvre vieille, chacun offrit son lit, mais déjà glacée par le froid, la malade ne devait pas en revenir, et le soir même elle expirait.
- Quelqu’un écrivit à Pierre le Marin ce qui s’était passé, mais celui-ci ne répondit pas.
- Depuis longtemps déjà la vieille Jeanne reposait au cimetière sous une humble croix de bois noir, et on commençait d’oublier tout ce qui s’était passé pendant le grand hiver, lorsqu’un jour on ramena le cadavre de Durieu, le propriétaire de la cabane maudite, celui qui avait jeté dehors la mère Jeanne et l’avait tuée. On avait trouvé son cadavre dans le bois de la Pinède, percé de trois coups de couteaux.
- Deux mois après Pierre le Marin était condamné aux travaux forcés à perpétuité,
- Les lois humaines ont de bien grandes inconséquences, et souvent celles qui sont faites pour punir le crime, frappent l’innocence et protègent la scélératesse. Quel était le vrai coupable, était-ce le fils qui pour venger sa mère frappait de trois coups de couteau un homme justement abhorré de tout le pays, ou bien ce misérable qui pour quelques écus jetait une femme malade dans la neige, et réduisait petit-
- j à-petit une foule de familles à la misère la plus sombre? Notre société a de ces anomalies terribles.
- Iis sont plus, nombreux qu’on ne croit, ceux qui s’enrichissent ainsi aux dépens de la misère des autres, et qui, pour quelques sous sacrifient sans honte et sans remords le bien-être et la vie de leurs semblables. En recherchant bien on trouverait plus d’un Durieu dans le monde politique et financier; bien des riches festoyent aujourd’hui, dont les amusements sont payés par les flots de larmes, et qui lorsqu’on leur parle de la misère dont ils sont cause répondent comme ce propriétaire français qui, l’an-dernier, disait dans une orgie à Naples : Bah ! qu’ils crèvent de faim, ces ouvriers ! moi quand j’ai assez bu et assez mangé je jette le reste par la fenêtre.
- (Journal de Choisy). A.-M. Jouve.
- Jusqu’à présent les catholiques avaient adoré la Vierge en bloc, voici maintenant qu’ils la détaillent.
- Une société s’est formée pour « l’adoration des membres de la vierge. »
- On fait partie de cette société en versant cinq francs par an — ce qui n’est vraiment pas cher — et on a alors la joie de réciter la prière que voici :
- Salutation aux membres de la Vierge
- Je vous salue, ô Vierge,- mère de Dieu vivant... etc.
- Je «alue vos yeux très purs et innocents qui ont toujours été fixement arrêtés sur celui que les anges désirent ardemment de regarder.
- Je salue votre sainte bouche qui a eu le privilège singulier de donner tant de baisers à celui qui est notre paix-.. etc.
- Je vous salue, ' bras sacrés qui avez si souvent porté celui qui soutient toutes choses.
- Je salue votre chaste sein qui a fourni la nourriture à celui qui est le pain du ciel et donne la vie au monde.
- Je salue vos très pures entrailles, qui ont été l’arche d’honneur où Dieu a reposé, qui a logé neuf mois celui que le ciel et la terre ne peut contenir.
- Je salue vos mains bénies qui ont eu l’honneur d’envelopper de langes celui qui couvre le ciel de nuages.
- Je salue...
- Permettez que je m’arrête ; on salue successivement les saints pieds et les vénérables genoux ; puis le cœur, puis l’âme (je ne savais pas que l’âme fût un membre).
- Maintenant, une observation. Cette salutation comprend seulement douze articles ; franchement, les sociétaires feront bien de ne pas s’arrêter en si beau chemin.
- ie Directeur-Gérant : GODIN _______
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Piace, 36-
- p.576 - vue 577/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. -n° 210. "Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 17 Septembre 1882
- JU£i ëJrMmW wM
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. , . . 13 fr. 60
- on s’abonne A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- 'W JE
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4° numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Le Catholicisme et le Socialisme. — De l'Egalité sociale. — Faits politiques et sociaux. — Union des Chambres Syndicales ouvrières de France: Manifeste. — Congrès Socialiste. — L’unité de la vie passée, présente et future. — Le Magnétisme. — La démission d’un pasteur. — Aux ouvriers. — La Charité. —Etat-Civil. — Une loterie sans pareille. — Le Paupérisme.
- Le Catholicisme & le Socialisme
- IV
- Les catholiques disent : « Le but vrai et la fin suprême de toute vie humaine sont au-dessus de cette terre. C’est pourquoi l’on ne peut traiter de la cité terrestre sans considérer d’abord la cité de Dieu.
- “ L’homme ne tire pas de lui-même sa félicité; il faut qu’il aille la chercher en Dieu.L’Etre qui existe de soi-même peut seul trouver en soi-même sa fin et le bonheur qui accompagne la possession de cette
- fin. C’est en se renonçant lui-même pour se donner à Dieu, par un amour sans bornes et sans réserves, que l’homme trouve la perfection et le bien. »
- D’après les catholiques, par conséquent, la vie terrestre, l’existence sur cette planète, qu'ils nomment une vallée de larmes, est une sorte de lieu d’épreuves, de purgatoire, pour employer leur langage, où l’homme doit se résigner à tous les maux qui peuvent l’accabler,en expiation d’une prétendue faute originelle, dont il porte la peine, et plus ces maux sont cruels et étendus, plus son mérite est grand à les endurer, en en rapportant les souffrances à Dieu, et à la suprême expiation à laquelle elles sont destinées.
- C’est dans cette résignation passive à sa destinée, dans laquelle les catholiques sont bien surpassés par les Musulmans,qu’ils font consister la plus haute vertu humaine, et la soumission à la prétendue volonté de Dieu constitue un des degrés les plus éminents de la perfection chrétienne. Dans de pareilles dispositions, il n’est pas surprenant que l’on ait exalté comme le summum de la vertu, les aspirations extravagantes de quelques hallucinés, comme l’hystérique Ste-Thérèse de Jésus, qui non contents des souffrances ordinaires de la vie, aspiraient à en ressentir de plus vives encore, et qui se livraient à toute sorte de macérations, en s’écriant : « Souffrir ou mourir. »
- De là l’institution de ces ordres monastiques, comme celui des Carmélites, dont les membres passent leur vie entière dans la contemplation et les pratiques de la mortification, inutiles aux autres et à eux-mêmes, comme les faquirs Indous, qui leur sont bien supérieurs, car non contents de se morti-
- p.577 - vue 578/836
-
-
-
- 578
- LE DEVOIR
- fier plus durement encore que les religieux ou religieuses catholiques, ils se soumettent à d’horribles mutilations volontaires, qui font douter de leur raison.
- La résignation,la soumission aveugle à la volonté de Dieu exprimée par une prétendue révélation que l’Eglise interprète souverainement et d’une manière infaillible, tels sont les moyens que le catholicisme emploie pour perfectionner l’âme humaine et la conduire à sa fin.
- Le socialisme vrai, le socialisme pratique tient un langage tout différent.
- « L’homme, dit-il, est le collaborateur de la divinité sur la terre, et il tire le degré plus ou moins élevé de félicité qu’il peut atteindre ici-bas de la somme plus ou moins utile de concours qu’il fournit à cette collaboration. Son but, sa mission sont le soutien, le développement et le progrès de la vie, par le travail incessant, qui vient en aide à l’oeuvre de la nature, en la complétant et en la perfectionnant, pour la satisfaction des besoins de chacun et de tous. »
- Sans repousser la perspective d’une vie future, récompense ou châtiment de l’existence terrestre actuelle, le socialiste ne croit pas que ce soit par une abnégation passive que l’on puisse mériter cette récompense, mais au contraire par un labeur actif et soutenu, ayant pour but l’amélioration des conditions de la vie pour chaque individu et pour la Société toute entière.
- Il ne définit pas cette existence future qu’il ne connaît pas, parce qu’il n’a point, pour le guider dans cette connaissance, la foi du chrétien en une révélation divine, qui à ses yeux n’a jamais existé, et encore moins en une interprétation soi-disant infaillible, et dont le premier tort est de se mettre en contradiction flagrante avec les données les plus certaines et les plus incontestables.de la raison.
- Guidé par cette dernière, il pressent la vie ultra-terrestre, et jugeant de l'auteur de toutes choses par ses oeuvres, par les lois de la nature qu’il a observées et constatées, il sent que ces lois ne sont pas variables ni différentes pour les diverses espèces d’êtres, mais fixes, constantes et les mêmes pour tous. Il comprend que la loi suprême, c’est la loi de la vie, et que tout doit concourir fatalement à la conservation, au développement, au progrès et à la perfection de la vie. C’est donc en mettant toute l’activité dont il est capable au service de cette oeuvre providentielle qu’il acquerra le mérite nécessaire à son avancement moral, et qu’il se rendra digne de la récompense promise,
- Mais tandis qu^le catholique ne voit d’autre but que cette récompense hypothétique en somme qu’il appelle le ciel, le socialiste ne la considère que comme la conséquence naturelle de son utilité ici-bas, et comme son utilité ne peut résulter que des services qu’il aura rendus par son travail à l’œuvre à laquelle il est appelé à concourir, c’est cette utilité qui est pour lui le véritable but de l’existence, sa mission réelle sur la terre.
- Pour accomplir efficacement son œuvre, l’homme a besoin d’associer ses efforts à ceux de ses semblables, et de ce besoin sont nées les sociétés, associations des individus en un seul corps formé de l’ensemble des familles d’un même pays, ayant les mêmes intérêts, les mêmes besoins et des ressources naturelles communes.
- Toute société est par conséquent une réunion d’êtres libres dont les forces tendent en commun à un but déterminé, le développement et la conservation de la vie.C’est par la concorde des intelligences et des volontés que la Société réalise le bien de tous les individus qui la composent, et qu’elle assure en même temps sa conservation et son propre perfectionnement.
- La Société a donc pour devoir essentiel, pour mission première, de mettre les individus à même d’accomplir par leurs forces propres et libres la destinée à laquelle ils sont appelés. De leur côté, les membres de la Société ont pour devoir de lui prêter leur concours en vue de l’accomplissement du rôle qui lui est assigné dans le mouvement général de l’humanité.
- Tous pour çhacun et chacun pour tous, dit le Socialiste, tandis que le Catholique égoïste dit : Chacun pour soi et Dieu pour tous. C’est pour cela que le Catholicisme a fait de la Société humaine, une réunion d’égoïstes où le plus fort domine le plus faible, où le puissant exploite sans pitié son inférieur, et où, en un mot, les droits des uns sont méconnus et les devoirs des autres négligés. C’est pour cela que le Socialisme veut rétablir l’équilibre rompu de la sorte au sein des Sociétés, en restituant à ceux qui en sont privés le libre exercice de leurs droits, et en rappelant les autres à l’accomplissement de leurs devoirs.
- Ce dernier, reconnaissant que l’auteur suprême de la vie a formé tous les hommes égaux devant la nature, veut maintenir cette égalité dans la Société, en attribuant à tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. Or le droit primordial de l’homme, c’est le droit de vivre, et pour qu’il puisse l’exercer pleinement, il faut qu’il en ait non-seulement la liberté, mais encore la faculté. Donner à tous, et aussi lar-
- p.578 - vue 579/836
-
-
-
- LE DEVOIE
- 579
- o-ement aux uns qu’aux autres, les moyens de vivre, voilà, suivant la doctrine sociale, le premier devoir de la Société, devoir corrélatif du droit de tous à la vie. De son côté chaque homme a le devoir de concourir par son travail à l’œuvre commune, afin de fournir à la Société le moyen de remplir ses obligations. Tel est le rôle de l’homme dans la nature, sa part de collaboration dans le monde.
- En somme on le voit, les catholiques considérant la vie ici-bas, comme un passage, comme un exil dont la prolongation est un mal, ne sont nullement portés par leur croyance à en améliorer les conditions, puisqu’au contraire ils pensent que plus ces conditions sont pénibles et dures, et plus elles leur promettent un bonheur mérité dans l’autre vie ; les socialistes au contraire ne voient d’autre but, d’autre mission pour l’homme que de travailler de toutes ses forces à améliorer les conditions de l’existence au profit de l’humanité, de telle sorte que pour atteindre pleinement ce but et remplir cette mission, il faut parvenir à substituer partout l’aisance à la misère, éteindre le paupérisme au sein des sociétés humaines; afin que tous puissent concourir sans entraves au progrès physique, intellectuel et moral de l’humanité.
- Dans ces conditions, avec un point de départ, un but et des moyens diamétralement opposés, comment serait-il possible à ces deux adversaires d’établir les bases d’une conciliation qui leur permette de marcher la main dans la main dans la voie du progrès? Aucune illusion n’est possible à ce sujet. Vouloir concilier ensemble le Catholicisme et le Socialisme, ce serait vouloir faire servir l’eau à alimenter le feu, tenter de transmettre le fluide électrique au moyen d’un fil de verre, essayer de faire remonter le fleuve à sa source des montagnes, ou s’efforcer de faire fraterniser ensemble le loup et l’agneau.
- Le Socialisme a le progrès en vue, et le Catholicisme le considère comme son irréconciliable en-ftemi ; le Socialisme veut la liberté, et le Catholicisme la proscrit à jamais. Le Socialisme proclame L Souveraineté de la raison, et le Catholicisme l’asservit au joug de la foi aveugle ; le Socialisme lait dériver le principe d’autorité du libre arbitre de 1 homme, et le Catholicisme le place au dessus delà liberté humaine, comme émanant directement de Hieu. Le Socialisme n’admettant que la Souveraineté <lu peuple, ne peut reconnaître d’autre forme de gouvernement que la forme républicaine, et le Catholique plaçant la Souveraineté en Dieu, ne peut comprendre d’autre forme gouvernementale que la \
- forme monarchique, dans laquelle Dieu délègue sa Souveraineté à un homme ou à une famille.
- Il existe donc beaucoup trop de divergences d’opinions entre les deux doctrines pour qu’un accord puisse jamais se faire entre elles. Le Catholicisme d’ailleurs est ou prétend être immuable, non-seulement dans ses dogmes mais encore dans ses décisions ordinaires, et il est trop absolu dans ses préceptes, pour qu’il y ait possibilité d’espérer de sa part la moindre concession aux idées du temps ou aux progrès de la Science. La parole fameuse d’un général d’ordre religieux : « Sint ut sunt, aut non sint », exprime admirablement la pensée Catholique, car aux yeux de l’Eglise, il faut que la religion soit telle qu’elle est, ou qu’elle ne soit pas.
- Le Pape infaillible l’a déclaré dans le Syllabus : « l’Eglise ne peut pas admettre que le Souverain Pontife puisse et doive se reconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne. » Le catholicisme restera donc tel qu’il a toujours été, et si à une époque, où l’humanité encore ignorante ne connaissait point, faute d’initiation, les vérités indispensables, son avènement fut un progrès, aujourd’hui la marche en avant de la civilisation a mis entre le Catholicisme et la Société humaine une distance énorme, et creusé entre eux un abîme infranchissable. C’est pour cela qu’à toute ouverture qui lui sera faite, dans un but de conciliation, l’Eglise répondra invariablement : « Non possumus. »
- DE LÉGALITÉ SOCIALE
- M. Hodgson Pratt adresse au journal anglais « House ancl Home » l’intéressante lettre sur l'égalité des classes et l’injustice des distinctions de classes, dont nous donnons ci-dessous la traduction, d’après le texte publié par le « Cooperative News ».
- « Il serait peut-être utile de placer la discussion sur l’Egalité sociale sur un terrain quelque peu différant de celui sur lequel on la place ordinairement. Dans une controverse, les hommes ne s’entendent jamais lorsqu’ils ne prennent pas pour point de départ ies premiers principes acceptés par tous. Que l’on parte de prémisses communes sur lesquelles tout je monde doit être d’accord, et que l’on avance pas à pas jusqu’à ce qu’une divergence se produise dans les idées, l’on verra clairement alors en quoi et pourquoi l’on est en désaccord, et l’on aura quelque chance d’aboutir à un résultat utile dans la discussion.
- La question qui forme la base réelle de toute dis-
- p.579 - vue 580/836
-
-
-
- 580
- LE DEVOIR
- sertation sur l’Egalité sociale peut se formuler ainsi : « Quel doit être le but principal de toute société humaine ? Quel est le principe qui peut assurer le mieux le bonheur de chacun et de tous ? »
- « Le but principal des Sociétés, à mon sens, est que chaque individu ait la plus grande somme possible de bien-être compatible avec le bien-être des autres. Le meilleur moyen d’atteindre ce but consiste à fournir également à chaque homme, autant que possible, la facilité de développer les facultés que Dieu lui a données; à assurer à chacun les résultats les plus complets possibles de son travail; à mettre chacun à même de jouir du genre d’existence le plus conforme à ses besoins et à ses goàts ; et enfin à permettre aux plus capables, aux plus vertueux et aux plus utiles d’exercer une influence plus grande sur les affaires de la communauté.
- « Or, si tel est l’idéal d’une société humaine, il s’ensuit que les accidents de naissance ou de fortune ne doivent compter pour rien dans l’estime et la part de puissance à accorder à un membre de la société en comparaison d’un autre. Au contraire, octroyer l’estime et l’influence aux hommes, en raison de leur rang ou de leur richesse, c’est aller précisément contre le but, le plus grand bien du plus grand nombre, et le bien-être complet de la communauté tout entière. Les intérêts de chacun doivent être identiques avec les intérêts de tous. Or les intérêts de tous et de chacun exigent que chacun, dans la mesure de ses forces, fasse tout ce qu’il pourra et aussi bien que possible, pour lui-même et pour la société. Par conséquent, cette identité d’intérêts se manifestera par la faculté accordée à tous de développer leur puissance d’action, de façon à ce qu’ils puissent produire chacun autant que possible, soit de travail manuel, soit de travail de l’esprit, au profit de lui-même et de tous. Si de deux Etats ayant la même superficie et le même chiffre de population, l’un possède dix fois plus de producteurs (de choses ou d’idées) que l’autre, le premier jouira d’une prospérité véritable et d’un bonheur de beaucoup supérieurs à la prospérité et au bonheur de l’autre.
- « Supposons encore que dans une communauté, les hommes les meilleurs et les plus utiles aient le pouvoir et l’influence, au point de vue social et au point de vue politique, la justice et le bien-être y seront le mieux assurés à tous. Mais s’il dépend uniquement des accidents de la richesse ou de la naissance qu’un homme ait la faculté d'exercer son pouvoir pour le mieux, ou de diriger la société et l’Etat, combien cet état de choses peut être nuisible, dans certains cas, pour tout le monde? Or c’est précisément ce qui a lieu lorsque les règles sociales tiennent éloignées de la
- | direction des affaires les hommes de mérite et de | valeur, lorsqu’ils appartiennent aux classes infé, | rieures, et qu’elles accordent une prépondérance izn-l méritée aux autres parce qu’ils figurent dans les î rangs de l’aristocratie. N’y a-t-il point là double | dommage ? Non seulement des centaines d’hommes | qui, s’ils étaient plus en vue, pourraient rendre de i grands services à la chose publique en sont empê- chés, mais encore des centaines d’autres qui sont in-| capables d’en rendre sont investis d’un pouvoir et d’une influence, qu’ils ne savent point utiliser pour le bien de tous. N’étaient ces distinctions de classes et ce respect injustifiable pour la fortune et la naissance, on verrait plus souvent admis dans les Associations personnelles, au sein du Parlement, dans les fonctions publiques, à la tète des Cercles et des grandes entreprises, des hommes mieux doués de savoir, d’aptitudes, et de hautes qualités morales, qui en sont aujourd’hui exclus uniquement par l’exclusivisme des castes. En un mot lorsque nous choisissons un ami, un collègue, un membre du Parlement ou de tout autre corps public, nous ne devrions pas demander ce que faisait son grand-père ni combien de livres il a à dépenser par an, mais bien ce qu’il est au point de vue de l’intelligence et du caractère. C’est là la conduite que nous dictent la morale, le bon sens, et la saine politique.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- L’Enigme égyptienne. — Nous n’avons point encore cette semaine le mot de l’énigme égyptienne, et quand l’aurons-nous ? Le sphinx garde son secret. Yoici les Anglais arrêtés dans leur marche sur le Caire; fis se sont fortifiés à Gassassine. Ils sont trente-cinq mille et demandent du renfort. Ils font venir au milieu des sables un « petit » train de siège qui pèse 2,000 tonnes : 36 pièces d’artillerie spéciale, des obusier- à feux courbes, de ceux qui en 1871 ont rendu aux Allemands « de si bons services. » En attendant, les grands chevaux noirs des Life Guards maigrissent sur le sol égyptien, mangeant leur pleine ration d’avoine anglaise. L’insolation décime les régiments, et le choléra qui vient de Bombay et qui tue 300 personnes par jour à Manille, arrive par Aden et Suez et menace.
- Et cependant le demi-cercle des lignes d’Arabi s’allonge, se fortifie, s’épaissit; les Bédouins accourent; il en descend de la Haute-Egypte ; il en vient de la Tripo-litaine. Par hasard les Anglais ont trouvé, pas très loin, entre les monticules de sable un camp de 10,000 hommes dont iis ne soupçonnaient pas l’existence. On s’aperçoit à la fin que ce parti national dont on faisait raillerie ou mépris existe, et Ton commence à se demander si au lieu de ce ramassis de barbares dont M. Gambetta voulait emphatiquement avoir raison par ia courbache, on n’a point devant soi un peuple? Un peuple qui veut être libre, et se débarrasser des oppresseurs et des voleurs . Ce qui est d’ores et déjà certain, c’est que les dilapidations insensées du khédive Ismaïl, les pratiques ébo11" tées du Grand Syndicat, de la Banque anglo*égyptien6*
- p.580 - vue 581/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 581
- du Crédit foncier français, des bondholders anglais ont tout fait pour susciter un vrai parti national. Ecraser uD peuple naissant, est-ce donc la mission deM. Gladstone et de ses amis ? Œuvre de tories peut-être, mais non point de libéraux ! Les soldats anglais sont-ils pour faire besogne de recors ? Et ce fameux drapeau impérial des Indes ne sera-t-il que l’enseigne de l’usure ? Est-ce trop présumer de l’homme qui a si noblement offert la paix aux Boërs victorieux un instant, et si habilement évacué l’Afghanistan, que d’espérer que sa préoccupation est aujourd’hui de relever ce peuple que lord geymour a bombardé, d’étonner l’Europe par un revirement inattendu, et de pacifier l’Egypte par la justice au lieu d’y rétablir dans le sang le règne des Shylock et le coffre-fort des usuriers ? Gela lui serait facile aujourd’hui que la victoire remportée à Tel-el-Kebir, dont tous les journaux parlent si haut, lui permet de sauvegarder l’amour-propre national et de se retirer triomphant.
- A la fin, la fameuse convention militaire est signée; signée aussi la proclamation qui déclare Arabi rebelle et Tewick-pacha légitime. 4,000 soldats turcs commandés par Dervish-pacha et par Barker-pacha vont débarquer en Egypte et coopérer avec l’armée anglaise. Complication nouvelle plutôt que secours et dénouement.
- RUSSIE
- IL’attentât d’Isora. — Un journal publie le récit suivant de la tentive d’exécution contre le czar dont les journaux ont parlé :
- A la fin d’une revue passée par l’empereur, une compagnie du génie avait jeté un pont sur un ravin afin d’abréger le chemin que devait suivre l’empereur pour rentrer. La compagnie du génie passa tout entière, puis deux ou trois hommes se détachèrent, sous le prétexte d’assujettir un des pilliers de la nouvelle construction. Ils se retirèrent en déclarant que le czar pouvait passer. C'est ce que fit ce dernier, suivi d’un brillant état-major.
- Mais à peine avait-il franchi le pont, que l’édifice de bois s’écroula comme un château de cartes, en entraînant dans sa débâcle le grand-duc Michel, le général Kostandi, le général Wannowski et plusieurs chevaliers gardes. Le grand-duc a eu deux côtés enfoncées et les autres officiers ont été plus ou moins sérieusement contusionnés.
- Plus de quarante hommes gisaient au fond du ravin.
- Tous les officiers généraux arrivèrent et poussèrent des cris de joie lorsqu’ils aperçurent l’empereur sain et sauf.
- Alexandre III, très pâle, salua plusieurs fois, et rentra au plus vite en ayant soiu de recommander au cocher un chemin détourné, qu’aucun souverain n’avait encore pris pour rentrer à Peterhof.
- A sept heures, l’empereur était auprès de l’impératrice et de ses enfants.
- Des avis reçus de Moscou avant-hier disent que les murs de la ville sont couverts d’affiches ainsi libellées :
- « Chers compatriotes,
- « Nous avions voulu faire coïncider la mort du tyran avec son couronnement. Mais ce tyran est trop lâche pour oser affronter la colère de son peuple." Sous des prétextes nombreux, il recule indéfiniment l’époque de cette cérémonie, et retarde ainsi l’heure de l’expiation. IL faut donc agir sans plus attendre, et frapper sans merci celui qui nous opprime. »
- Ces affiches, posées pendant la nuit dans la ville sacrée, ont été lues par une grande partie de la population et ont produit une très vive impression. L’empereur lui-même en a trouvé une au rideau de son lit. L’impératrice a aussi reçu ce papier. Il était collé à la glace de sa psyché.
- Soixante-quatorze arrestations ont été faites à la suite de l’accident d’Isora. Parmi les inculpés figurent un ofïï-cl®Let plusieurs soldats.
- L’impératrice s’est trouvée mal en apprenant le dan-ger auquel l’empereur venait d’échapper. Depuis elle est atteinte d’une sorte de tremblement nerveux.
- Ou croit à une répression très sévère.
- La nouvelle de cet attentat a été accueillie sans étonnement par la population ; mais elle a mis fin à la fausse sécurité qui commençait à s’emparer des propriétaires et des commerçants.
- ANGLETERRE
- Le Pall Mail Gazette annonce que le lord-maire de Dublin, M. Dawson, a convoqué jeudi le conseil municipal, afin de lui proposer de signer une pétition demandant au lord-lieulenant de commuer la peine de mort prononcée contre Francis Haynes.
- Eu exposant le but de la réunion, M. Dawson a déclaré qu’il ne sympathise nullement avec les meurtriers.
- Le vicaire général Pope, tout en protestant vivement contre les nombreux assassinats agraires qui ont ensanglanté l’Irlande, et en réprouvant lès attentats qui ont été commis dans le pays, a parlé en faveur de la commutation de peine “parce que, suivant lui, les preuves contre Haynes sont insuffisantes.
- La proposition du lord-maire a été adoptée à l’unanimité. et une députation du conseil a été chargée de remettre la pétition au vice-roi.
- Par ordre de lord Spencer, un certain nombre de personnes emprisonnées en vertu de la loi de coercition, ont été mises en liberté.
- ITALIE
- On écrit aux « Etats-Unis d’Europe » :
- Le gouvernement italien s’aperçoit un peu tard, mieux vaut tard que jamais, qu’il a fait*fausss route en s’aplatissant devant l’empire allemand, et en s’humiliant à Vienne jusqu’à faire endosser par le roi l’uniforme de celui des régiments autrichiens qui a le plus fait couler de sang italien. On se retourne vers la France. La politique du gouvernement français est de bien accueillir ce revirement, la politique des deux peuples est d’en profiter. La démocratie italienne et la démocratie française se sont rendu trop de services pour ne point se pardonner leurs torts. Leur union intime appuyée sur la démocratie anglaise doit devenir le centre de la politique libérale européenne ; elle doit rallier les peuples, et faire contre-poids à l’alliance des empereurs. Mazziniens, garibaldiens, socialistes, républicains, démocrates, toutes les nuances du parti libéral italien s’unissent en vue des élections générales. M. Matteolmbriani publie à Naples, avec le concours des démocrates les plus éminents, A. Saffi, F. Campanella, A. Mario, Pantans, Parbone, Nar-ratone, Cavalotti et vingt autres, un nouveau journal, Pro Patria, qui entame vigoureusement la campagne électorale; nos amis du Secolo ne s’y épargnent point; partout les sociétés ouvrières s’émeuvent, se concentrent et s’entendent, oa comprend que l’enjeu de la partie électorale c’est à la fois la paix et la liberté, le bien-être du peuple et son affranchissement.
- Parce que le peuple de nos campagnes se presse autour des clochers, adore les images et prie les innombrables saints qui décorent les parois et les autels des églises, les étrangers s’imaginent que les Italiens sont un peuple très religieux et très catholique. Erreur! Les Italiens sont et resteront payens, ils aiment les statues, les peintures, la musique, le chant, les parades du culte religieux, mais ils les aiment en artistes. L’infaillibilité du pape, le dogme de l’immaculée conception et tous les canons et préceptes de l’Eglise sont pour lui des « balivernes » comme les appelait un curé de ma connaissance. On pourrait supprimer le budget des cultes, ven ire les biens des diocèses, renvoyer à Malte, à Avignon ou à Jérusalem le pape, les prélats et et les évêques du Vatican, sans que personne y trouve à redire, pourvu qu’on conserve l’Eglise, c’est-à-dire le théâtre du paysan, avec ses décors, ses images, ses cloches, ses orgues, ses chants, ses lumières. L’église est le lieu où le paysan prie, où il pleure* où il s’amuse, car ces spectacles sont
- p.581 - vue 582/836
-
-
-
- 582
- LÉ DEVOIR
- d’autant plus attrayants pour lui qu’il n’a pour habitation que d’ignobles tanières, et devant ses yeux que des objets de tristesse et de dégoût. Après tout, qui sont-ils ceux qui ont hué les ultramontains tessinois àSt-Stresa? des pêcheurs, des laboureurs, nés paysans! Notez bien, que St-Stresa est un tout petit village de frontière, très peu peuplé, très éloigné des villes et, par conséquent, peu éclairé, quoique pourtant pas du tout clérical.
- A Gôme, l’autre soir, des « pèlerins » ont voulu faire une seconde édition de l’équipée de Saint-Stresa. La foule indignée les a obligés a déguerpir au plus vite, et, sans l’intervention de la police, ils auraient peut-être appris à leurs dépens qu’on ne froisse pas impunément le sentiment de tout un peuple. Le peuple italien a certainement des défauts dus surtout à l’influence néfaste de plusieurs siècles d’esclavage politique, mais qu’on veuille bien le reconnaître, c’est le peuple le moins clérical de l’Europe. Pour légitimer la persécution contre les socialistes dont je vous ai signalé les excès dans ma précédente correspondance, la police a imaginé un complot contre la très précieuse vie de notre bien-aimé souverain Humbert Ier. L’attentat devait avoir lieu à son passage en Emilie, en Toscane, ou en Ombrie ; mais les grandes manœuvres seront bientôt closes sans qu’il se soit produit le moindre incident. Le roi « s’amuse » en Piémont et ailleurs, sans que les socialistes italiens aient pu le rejoindre, tandis que la police les fait empoigner môme a Paris. Peut-être n’ont-ils pu retrouver parmi les fous politiques un second Passanante. Certes, si les régicides n’existaient pas la police les inventerait. A force d’en répandre l’idée par de fausses alertes, la police finit par acclimater le régicide en plein xix® siècle ! Messieurs de la police, pas trop de zèle. A. U.
- ÉTATS-UNIS
- Une dépêche de Panama annonce qu’un fort tremblement de terre s’est produit hier dans cette ville. Un grand nombre de maisons et d’édifices, notamment la cathédrale, ont été endommagés.
- Les pertes s’élèvent à plusieurs centaines de mille dollars. Quelques personnes ont été tuées
- Les communications parle chemin de fer et par le télégraphe sont coupées entre Aspinwal et Panama. Tous les ponts sont détruits.
- ALLEMAGNE
- Le peuple allemand a fêté mollement l’anniversaire de la bataille de Sedan. Les drapeaux étaient rares même à Berlin, et beaucoup de magasins |et ateliers se sont ouverts. Les Allemands commencent-ils à reconnaître la vanité des glorieuses tueries ? Font-ils le compte de ce que leur coûte depuis douze ans la nécessité de se tenir en état de mettre en dix jours un million six cent mille soldats en ligne ? Notons que les Reptiles qui avaient reçu l’ordre il y a quinze jours de chauffer l’esprit public et de pousser k l’euthousiasme, ont trouvé ces jours-ci sur leur pupitre un nouvel air à chanter : « Fêter l’anniversaire de Sedan ce n’est point fêter la défaite des Français, c’est célébrer l’unification de l’Allemagne. » Naturellement toutes les serinettes ont exécuté d’ensemble la nouvelle ritournelle. N’ayant pu jeter les Français dans le traquenard égyptien, on voudrait les endormir, MM. de Bismarck et de Moltke sont si pacifiques !
- Léon XIII est digne de faire la partie de Bismarck, autant que Bismarck d’être le partenaire de Léon XIIL L’évêque de Breslau, celui-là même qu’oD a rétabli sur son siège avant tant d’honneurs et au milieu de tant de carillons, ne se borne plus à excommunier les prêtres qui exercent leur ministère sans avoir été agréés par le Vatican, il déclare nul tout mariage mixte, c’est-à-dire béni par un pasteur protestant, après avoir ôté consacré par un prêtre catholique. De tels mariages, déclare»t*iî,
- ne sont qu’un concubinage, et les enfants qui en sont nés sont des bâtards. Jugez du scandale et du trouble que cette doctrine jette"dans la conscience de quantité de braves gens ! Le roi et la reine de Bavière sont eux-mêmes déclarés en concubinage, et leurs enfants atteints de bâtardise. A ce coup, le vieux Guillaume s’est ému l’impératrice en est malade, et M. Sehœllzer qui repart précipitamment pour Rome y a gagné de monter dans une voiture de l’empereur, et d’être invité deux fois à la table impéiiale. On prétend et on croit par ces faveurs insignes accroître son crédit auprès de la curie romaine Le Kulturkampf va-t-il renaître?
- * *
- Repaeité cléricale. — Nous lisons dans le Républicain de Nogent-le-Rotrou:
- Un fait fort intéressant s'est passé il y a quelques semaines dans une petite commune du canton de No-gent-le Rotrou.
- Il s’agissait de la cérémonie religieuse d’un mariage projeté depuis longtemps entre les enfants de deux cultivateurs très honorablement connus dans la contrée.
- Le mariage devait avoir lieu le 6 juin; on était au 13 mai, il n’y avait guère de temps à perdre pour s'entendre avec M. le curé sur les différentes conditions ôt formalités à remplir pour ne pas subir de retard.
- Les parents des jeunes fiancés allèrent trouver M. le curé, et après lui avoir indiqué la date qu’ils avaient choisie, lui demandèrent le prix que coûterait la cérémonie.
- M. le curé leur déclara qu’il ne pouvait pas établir de prix, ne possédant pas tous les éléments nécessaires d’appréciation ou n’ayant pas présents à l’esprit tous les détails des frais, il ajouta qu’ils n’avaient pas à se préoccuper de la dépense, qu’il compterait tout cela au plus juste et dans les prix doux.
- L’un des parents, le père du jeune homme,ne se paya pas de ces bonnes paroles, il insista el déclara qu’il tenait à connaître le prix de la cérémonie.
- M. le curé parut réfléchir un moment; et de son ton le plus grave,le plus solennel,il expliqua que les jeunes gens ôtant parents, il leur fallait une dispense du pape; que les difficultés et les irais de correspondance étaient considérables, que les formalités demanderaient un assez long délai et coûteraient assez cher, qu’il leur faudrait payer un droit sur la dot des enfants et aussi sur les successions qu’ils étaient appelés à recueillir dans l’avenir.
- Grand étonnement des parents, qui refusèrent d’admettre la nécessité d’une dispense. M. le curé leur démontra avec toute l’éloquence que donne l’espoir d’une bonne aubaine, que cela était absolument indispensable.
- Bref, après de nouveaux pourparlers, M. le curé, auquel on n’avait pas cru devoir communiquer le contrat, se décida à indiquer des chiffres. Il fit une évaluation fantaisiste de la dot des futurs époux et de leur fortune à venir.
- Il parla de 40 à 50,000 fr. pour la dot et de 200,000 a 300,000 fr. pour la fortune à venir : en somme un chiffre assez respectable s’élevant à plus de 300,000 fr. sur lequel on devrait pour dispense un droit de 1 fr. 50 par
- mille.
- La vessie de Saint-Médard tombant aux pieds du curé, n’aurait pas produit plus de stupéfaction chez nos honorables interlocuteurs.
- Enfin l’étonnement passé, l’un des parents, celui qui avait déjà discuté les conditions, répondit à M. le curé qu’il avait la libert4.de faire telle évaluation qui lui convenait ; mais que lui, père de famille et cultivateur, connaissant le prix de i’argeut et la difficulté qu’on aà>e gagner par le travail, il avait aussi le droit ce se passer des services du culte, lorsqu’ils devenaient trop onéreux ; et il déclara à M. le curé, que la date du mariage civil ne serait pas changée, et que s’il ne modifiait pas ses prétentions, on ajournerait le mariage religieux.
- Grand émoi de M. le curé et aussi du père de la ma-
- p.582 - vue 583/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 583
- riée. Celui-ci était marguillier, et n’oâait pas déplaire à son curé, il déclara qu’il préférait payer...
- Enfin M. le curé finit par réduire ses prétentions et la dispense marchandée fut consentie au prix de 35 fr.
- La cérémonie religieuse eut lieu et nos honorables pères de famille reconnurent en maugréant que les prix des dispenses pour les mariages religieux,c’était comme les petits pois et les asperges, ça se marchandait.
- jV. B. — Les pères de famille ont un moyen bien simple d’échapper aux exigences du prêtre, c’est de se" passer de son ministère et de se marier civilement.
- Union des Chambres syndicales onvrières
- DE FRANCE
- Siège social : 38, rue de Saintonge
- mm; :rw m jes m® rac* jsa
- Aux Syndicats Ouvriers
- Le 25 novembre 1881, Y Union des Chambres syndicales ouvrières de France, faisait un appel à tous les Syndicats ouvriers, les invitant à se joindre à elle pour rappeler au Sénat que le projet de loi sur la reconnaissance légale des Chambres syndicales, déjà voté depuis longtemps par la Chambre des Députés, dormait complètement oublié dans les cartons.
- Deux cents Chambres syndicales environ répondirent à son appel, prouvant ainsi combien le vote de ce projet de loi leur importait.
- Aujourd’hui que, par son vote, le Sénat vient de se laisser entraîner à des mesures restrictives contre les Syndicats professionnels, nous faisons de nouveau appel aux Travailleurs, les invitant à se joindre à nous pour rappeler à nos élus de la Chambre haute, qu’en mutilant ce projet de loi, et notamment par le rejet de l’article 5, qui autorisait les unions de Syndicats, une grave atteinte a été portée aux légitimes aspirations de tous les prolétaires soucieux de leurs intérêts, et désireux d’arriver par des moyens pratiques et légaux à obtenir les réformes attendues depuis si longtemps.
- Ce déni de justicô jeté à la face des Travailleurs, conséquence directe de l’effarement qui s’est emparé de ceux qui n’ont vu dans l’organisation du travail qu’une force révolutionnaire mise à sa disposition, est l’œuvre d’un sentiment complètement érroné, et nos Sénateurs s’en seraient assurés s’ils s’étaient inspirés de l’élément vraiment ouvrier en le consul* tant,
- Les Travailleurs condamnés à l’isolement n'ont cherché à se rapprocher, à se grouper, que pour défendre leurs intérêts communs, se secourir mutuellement contre le chômage et la maladie, et s’assurer l'existence pour leurs vieux jours.
- 1? Union des Chambres syndicales ouvrières de France qui, depuis sa fondation, par son programme, ses tendances et les aspirations pratiques dont elle n’a cessé de se départir, en s'efforçant d être un auxiliaire de concorde et d’union sur le terrain des Justes revendications des Travailleurs, a considéré comme un devoir qui s’imposait à elle de repousser modifications apportées par la Sénat au projet âê
- loi sur ies Syndicats professionnels, et d’inviter nos législateurs à le maintenir tel qu’il a été primitivement voté.
- Nous faisons donc un presssant et chaleureux appel à tous les groupes de Travailleurs, pour qu’ils se joignent à nous, en envoyant leur adhésion à ce Manifeste, qui sera communiqué dès leur rentrée, aux Sénateurs et aux Députés*
- Adresser les adhésions au Secrétaire de Y Union des Chambres syndicales ouvrières de France, le Citoyen Martel, 38, rue de Saintonge, Paris.
- POUR LE CONSEIL DE l’üNION !
- La Commission :
- Marty, bijoutier; Martel, scieur à la mécanique; Veyssier, peintre ; Bausan, comptable ; Lemée,. jardinier ; Jouvidoux, ornemaniste.
- POUR LA COMMISSION EXÉCUTIVE :
- Le Secrétaire, Y. Martel.
- « Le Siècle » et d’autres journaux publient un manifeste adressé au sixième congrès socialiste ouvrier de Bordeaux, par le groupe des ouvriers républicains progressistes du 17e arrondissement, revêtu des signatures de MM. Blancheron, président ; Desjardins, Pot, Rolland, Parpau, Lefèvre, assesseurs et André Lyonnais, secrétaire, et rédigé absolument dans le même sens que le manifeste de l’Union des Chambres syndicales ouvrières.
- Le conseil municipal d’Autun, se fondant de ce que ie dernier congrès des œuvres ouvrières catholiques s’était réuni dans le local du petit séminaire, a voté une résolution priant le gouvernement d’en retirer à l’évêque d’Autun la « jouissance ». Cette délibération et les considérations sur lesquelles elle est appuyée ont provoqué une réponse de M. Perraud, évêque d’Autun. Sous forme de mémoire adressé au conseil des ministres, M.Perraud s’efforce d'établir les droits de propriété du diocèse sur le petit séminaire. Le mémoire de M. Perraud est accompagné d’une lettre que l’évêque d’Autun a écrite au ministre de la justice et des cultes et au ministre de l’intérieur, en leur adressant son mémoire. Voici cette lettre :
- Autun, le 6 septembre 1882.
- Monsieur le ministre,
- Vous avez reçu communication d’une délibération prise par le conseil municipal d’Autun, le 12 août dernier, et d’un rapport adopté par le conseil général de Saône-et-Loire, le 25 du même mois, relativement au petit séminaire de la ville épiscopale*
- Les auteurs de ces deux documents demandent au gouvernement de révoquer l’arrêté du 19 prairial an XI, aux termes duquel un de mes prédécesseurs aurait reçu du premier consul la jouissance de cet établissement, et ils formulent le vœu qu’il soit transformé ea m lycée*
- p.583 - vue 584/836
-
-
-
- 584
- LE DEVOIR
- Ils justifient leur demande par le fait que j’aurais autorisé dans cette maison, et présidé en personne « des manifestations hostiles à la République ».
- Le présent mémoire a pour but :
- 1° De montrer la valeur qu’il faut attacher à l’arrêté consulaire du 19 prairial an XI, dans l’application qu’on en prétend faire au petit séminaire d’Autun ;
- 2° De restituer leur véritable caractère à des réunions essentiellement pacifiques et parfaitement légales qu’on a travesties en une conspiration contre la sûreté de l’Etat.
- A ces deux titres, monsieur le ministre, ce mémoire se recommande à votre plus sérieux examen.
- Dans la plupart des cas, nos conflits administratifs sont, au moins pour un temps, l’objet de communications manuscrites et quasi confidentielles.
- La bruyante publicité donnée depuis quinze jours à la revendication dont je viens combattre ici le fond qui est injuste, et les considérants qui sont injurieux, m’a imposé l’obligation de renoncer à cette réserve et j’ai dû faire imprimer ces pages.
- Nous avons d’ailleurs tout à gagner à ce que le plus grand nombre possible de citoyens honnêtes et raisonnables aient entre les mains les pièces d’un procès, dont la conclusion ne saurait nous inquiéter, tant que le bon sens et le bon droit feront encore autorité en France.
- Veuillez agréer, je vous en prie, monsieur le ministre, l’expression démon respectueux dévouement.
- -f* ADOLPHE-LOUIS,
- Evêque d’Autun, Chalon et Mâcon.
- Le sixième congrès socialiste national ouvrier de France réuni à Bordeaux suit le cours de ses travaux pendant qu’on s’apprête à tenir à Saint-Etienne un autre sixième congrès national ouvrier. Ce fait indique une scission dont on aperçoit très-clairement l’origine, en remontant aux deux congrès ouvriers tenus parallèlement au Havre en 1880.
- Le sixième congrès national ouvrier estime que les travailleurs s’affranchiront, arriveront à la possession du capital par l’épargne et la fondation d’ateliers corporatifs, leur promettant de conquérir pied à pied la totalité des instruments de travail ; c’est la théorie constamment soutenue dans leurs journaux. La presse intransigeante collectiviste raille,mais avec un certain embarras, le congrès de Bordeaux, qu’elle traite de minuscule; elle emploie, à propos de l’association, de l’atelier corporatif, l’argument suivant: A force d’épargne, de travail, l’ouvrier pourra bien conquérir certaines industries ; mais, quand même il épargnerait pendant des siècles, pourra-t-il arriver à gérer d’immenses usines, au sein desquelles il n’est qu’un rouage, un outil inerte, inconscient ? Dans l’état de sujétion et d’ignorance où on le maintient, il trouvera là des difficutés qu’il ne franchira jamais. Il y a quelque chose de vrai dans cette objection, car ce sont des ingénieurs éminents, des hommes formés dans les écoles commerciales supérieures qui arri-
- vent le plus aisément à diriger les grandes entreprises.
- Souvenons-nous pourtant d’un admirable manifeste des ouvriers elbeuviens, publié l’année dernière dans nos colonnes : « Nous demandons, disaient-ils
- >
- qu’on opère une sélection intellectuelle parmi nos enfants dès l’école primaire, et que les élus passant par les lycées arrivent aux écoles supérieures, à l’Ecole Polytechnique, aux ponts et chaussées, etc. ; on formera ainsi une élite qui sera l’honneur de notre pays. » C’est justement dans cette élite, formée par l’instruction républicaine, que les ouvriers associés trouveront l’élément de talent sans lequel on ne saurait tirer parti du travail et du capital. Voilà la réponse à faire à l’objection principale formulée par la presse collectiviste contre les théories de ce congrès de Bouleaux qui, plus exclusivement qu’aucun des cinq congrès qui l’ont précédé, représente les intérêts de la classe ouvrière et se compose de travailleurs qui travaillent.
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l’immortalité individuelle et collectiveü)
- Le mal est de nature finie- Il doit être réparé par qui Pa fait, et le coupable doit cesser de s’y li-
- Comme si la source du mal se confondait avec la source du bien, comme si Dieu avait engendré la souffrance avant que l’homme n’eût engendré le péché ; comme si dans son infinie bonté il n’aspirait pas à voir toutes ses créatures s’élever à lui dans l’innocence et la béatitude ; comme si dans son infinie puissance tout en leur donnant la liberté, il ne leur avait pas assuré la possibilité de se perfectionner sans sortir du bien, lui qui la leur assure alors même qu’elles ont eu le malheur de cheoir, sur les pentes du mal... Celui-ci peut naître puis-qu’en appelant les créatures eltes-mèmes, dès leurs premiers pas, à l’œuvre de leur développement, la Providence les expose à la chance de s’égarer ; mais rien de ce qui peut servir à les ramener, sans porter atteinte aux lois fondamentales du progrès et de la liberté n’est omis... Dieu est père, en effet, plus encore qu’il n’est roi et il n’oublie pas que ses sujets sont des entants.
- Jean Reynaud, Ciel et Terre, p. 354,371 et 378.
- Dieu est la perfection, il est infini; mais tous les êtres finis, c’est-à dire imparfaits existent et vivent de la vie qu’il leur communique. Bons et méchants tous sont en lui, et il fait servir tous leurs actes à l’accomplissement de ses desseins. Dieu peut être le type du bien absolu, tandis que le mal
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août ; 3 et 10 sep* tembre 1882.
- p.584 - vue 585/836
-
-
-
- ne saurait venir de lui. Il le tolère parce qu’il est une conséquence de la liberté qu’il a donnée à ses créatures. Le mal n’a pas d’existence nécessaire, il est l’accident de la route ouverte devant la créature finie. Il est l'œuvre de ceux qui manquent leur but qui est le bien. Mais puisque les hommes existent dans le sein de Dieu, et qu’ils participent ainsi de la vie-parfaite, cette participation indiquée chez les justes par le sentiment et la volonté du progrès vers la perfection,c’est-à-dire par une tendance constante vers le mieux, se produit chez ceux qui ont failli par le désir de plus en plus efficace d’éviter le mal et de retrouver la voie du bien. Ils s’efforceront de rejeter autant que possible, dans leur passé ce qui les tient éloignés de Dieu et d’acquérir pour leur avenir tout ce qui peut les en rapprocherais agiront pour sortir de l’état de révolte né de l’égoïsme et rentrer dans l’état naturel d’association et d’harmonie.
- La vie future serait mille fois pire que la vie présente si chacun y portait sa méchanceté, et si cette tourbe qui s’y entasserait indéfiniment l’y gardait à tout jamais. Il ne se peut qu’il en soit ainsi, et par suite il est de nécessité que ceux qui furent coupables s’amendent et redeviennent des êtres sociables. Si les tempe où notre raison fut dominée par les passions aveugles nous sont rappelés, que ce soit seulement afin que nous comprenions l’horreur des excès antérieurs, et que nous nous pénétrions d’indul-
- sera petite la part que nous jugerons digne de survivance.
- Tous,et ceux-là mêmes qui prétendent le contraire, nous avons foi dans la bonté parfaite de Dieu à 1 é-gard des enfants qu’il s’est donnés et nous croyons fermement qu’après nous avoir inspiré de la répulsion pour ce qui nous éloigne de lui et de 1 attrait pour ce qui nous en rapproche, il nous tient compte du double jugement de notre conscience, favorisant la réprobation que nous ressentons pour le mal, comme la recherche que nous faisons du bien. Comment ne pas admettre cette conséquence forcée que sa justice inévitable, mais patiente, nous donne indéfiniment le moyen d’accroître la part d individualité digne d’être perpétuée, c’est-à-dire avec le pardon jusqu’à l’oubli du mal réparé, la récompense du bien jusqu’au pouvoir de l’accomplir éternellement.
- Vertu et bonheur sont identiques dans les mondes d’innocence ou de perfection, vertu immédiate et bonheur futur, telle est la condition méritée de 1 humanité terrestre.
- Entre l’espérance paradisiaque la réalité terrestre
- Je vous dis que vous ne sortirez pas de la prison avant que vous n’ayez paye jusqu’à la dernière obole.
- S. Mathieu, chap. 5, v. 26. S. Luc, chap. 12. v 59.
- X
- gence pour ceux qui s’y livreraient encore.
- La vie étant le développement de l’imparfait vers le parfait, l’ascension de l’homme créé vers Dieu créateur, et le passage sur la terre étant une des conditions de ce progrès, le voyage doit se renouveler afin de permettre l’abandon au passé de tout penchant rétrograde et l’acquisition pour 1 avenir de toute aspiration progressive. Nous devons répudier tous les vices de notre passé et, aussi bien que ceux qui auront évité le mal, nous devons acquérir toute la science et toute la vertu possibles. Que pour cela chacun renonce à une portion de soi-même : ce que l’on doit vaincre ce sont les idées, les goûts, les pas_ sions, les habitudes qui nous retiennent dans la révolte et nous éloignent du progrès de la vie, ce sont les défauts que nous rapportons faute de nous en être délivrés et dont il est temps que nous nous débarrassions. Les souillures de l’âme subsistent après la mort et seuls de puissants moyens sont capables de les effacer.
- Soyons juges loyaux et impartiaux de cette individualité mauvaise que chacun aurait honte de con- j server» et quand nous l’aurons répudiée» combien j
- L’homme ne se sent pas digne d’une situation meilleure et cependant il la désire. Aussi Incroyance se répand de plus en plus qu’entre la terre du présent et la demeure de l’idéal, il existe un séjour dans lequel chacun s'y prépare. Expression de la foi au progrès cette croyance aboutit facilement à celle de la vie continue. Il s’agit d’une période d’épreuve, d’amélioration et de marche en avant ; mais de toute nécessité cette vie intermédiaire doit se passer dans des conditions analogues à celles de la vie actuelle. Par suite et en définitive elle est la simple perpétuation de Vindividu et de ses frères semblables à lui, reunis pour qu’ils accomplissent ensemble leur travail d'amendement et de progrès. Après avoir reconnu que cette vie distincte de la béatitude que vous dites infinie, et des peines que vous avez cessé d’admettre éternelles n’est autre chose qu’une vie humaine et terrestre, imparfaite mais progressive, expiation de l’inaccomplissement du devoir, mais acheminement vers la cité des justes, vous devrez bien vite ajouter qu’une seule existence corporelle ne suffisant point au développement de l’àme, la vie terrestre ne saurait être unique, qu’elle comprend une multiplicité de situations morales sur
- p.585 - vue 586/836
-
-
-
- 586
- LE DEVOIR
- terre et dans les mondes semblables, c’est-à-dire inférieurs et de réformation, jusqu’à ce que l’être se soit rendu digne d’habiter les mondes perfectionnés, séjour des sages, des bons et des supérieurs. Tel est le développement successif et continu de notre destinée, c’est-à-dire la triple phase de lutte difficile, de travail et de récompense que doit parcourir un être intelligent et libre, un moment sorti de la voie du juste et du vrai.
- (.A suivre). P. P. Courtépéb.
- LE MAGNÉTISME
- Au nombre des phénomènes produits par le magnétisme animal, il faut mentionner comme un des plus curieux l’inspiration des rêves qui fait que le magnétisme provoque chez le sujet, pendant son sommeil naturel, tel ou tel rêve a sa fantaisie. Voici comment M. de Fleurville raconte, dans son « Etude sur le Magnétisme animal » un fait de ce genre :
- « Nous avons toujours regardé le magnétisme animal, « dit-il, » comme une chose très sérieuse, et pour ainsi dire sacrée... par conséquent nous n’aimons pas à en faire un joujou, un amusement, un objet de pure curiosité : à moins que ce ne soit pour convaincre un incrédule, ou pour instruire quelqu’un en l’amusant.
- « Par exemple, deux charmantes jeunes filles nous demandèrent, ainsi que leur famille, de les rendre témoins d’un phénomène quelconque de magnétisme, sans toutefois les endormir.
- « Alors nous avons pensé à leur inspirer, imposer en quelque sorte un rêve.
- « Ce qui a réussi à peu près pour l’ainée ; mais très bien pour la plus jeune.
- « Dans l’espace de huit jours, nous lui avons inspiré trois rêves, un bal, un spectacle d’un Robert Houdin quelconque, et la vue de Tom Pouce qui venait d’arriver à Paris; ce dernier rêve acheva de convaincre toute la famille,
- « Voici comment se faisait l’expérience ;
- « Nous portions à notre doigt une bague de cette jeune fille pendant toute la durée du bal, du spectacle, etc. Le lendemain nous magnétisions cette bague avec la ferme volonté que la vue du spectacle fut transmise; puis nous enfermions dans une boite cette bague que Ja jeune fille mettait à son doigt, seulement. au moment de s’endormir.
- « Le lendemain elle racontait son rêve devant nous tous, et alors on ouvrait le pli dans lequel nous en avions tracé la description à l’avance. I
- « C’est une expérience qui peut se renouveler, avec succès, sur les personnes qui sont faciles à magnétiser, »
- Ces sortes de faits, dans lesquels la matière inanimée joue un rôle essentiel, semblent indiquer qu’il y a autre chose, dans l’action magnétique, que ce que bien des gens se plaisent à y voir, un effet de l’imagination surexcitée chez le sujet, chez le magnétiseur et même chez les témoins.
- A cet égard, le même auteur raconte un fait où le sujet magnétisé n’était plus une personne humaine, mais un bouquet de fleurs. Nous citons :
- » Un ancien pharmacien très instruit, très expérimenté, mais qui avait beaucoup entendu parler de magnétisme sans avoir vu d’expériences concluantes, nous disait : « Qu’à son avis l’imagination jouait le rôle principal chez les magnétiseurs, les magnétisés, et même les spectateurs. »
- « Je voudrais, me disait-il, pour être convaincu, voir des effets produits sur autre chose que sur des animaux, Soit, lui répondis-je, nous ferons une expérience sur des fleurs; j’ai toujours réussi, et vous aurez une garantie contre leur imagination.
- « En effet, il cueillit dans son jardin des violettes dont il fit deux bouquets en les plaçant en nombre égal dans chaque, et avec des queues de même longueur. Il prit sur un rosier deux boutons de semblable grosseur, avec même nombre de feuilles et il en égalisa les tiges; sur un autre rosier deux boutons un peu plus entr’ouverts, et sur un troisième deux roses épanouies, toujours avec même nombre de feuilles et même longueur de tiges. Il en plaça trois autour des violettes dans chaque bouquet.
- « Enfin il entoura le tout avec du seringat, aux fleurs et tiges similaires; de sorte que chaque bouquet était aussi semblable que possible l’un à l’autre.
- « Il mit à la même hauteur dans deux verres de même grandeur de l’eau prise dans la même carafe.
- « A l’aide d’une échelle, il plaça un des verres sur l’angle d’une bibliothèque élevée, et il me remit l’autre pour le magnétiser.
- « Après l’opération faite, il mit ce dernier verre sur l’autre angle de la même bibliothèque, retira l’échelle et ferma la porte afin que personne ne put venir déranger l’expérience.
- « Il constata que le bouquet magnétisé eût plus de durée que l’autre, c’est-à- dire que les fleurs conservèrent leur fraîcheur plus longtemps ; savoir : les violettes six jours de plus; les roses sept, huit, neuf jours de plus; et les tiges de seringat dix, onze et douze jours de plus que le seringat de l’autre bouquet.
- « Cet excellent homme fut satisfait et convaincu. Nous avons souvent magnétisé des fleurs, et souvent
- p.586 - vue 587/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 587
- avec succès; seulement leur durée n’était pas toujours également prolongée.
- « Nous avons entendu dire souvent qu’on avait magnétisé des fruits qui devenaient plus gros et mûrissaient plus vite que les autres. Nous ne le nions pas, nous ne l'affirmons pas ; mais nous ne l’avons pas vu ni expérimenté nous-même. Le fait est très croyable. »
- L’action magnétique qui, dans les cas cités, se traduit par un accroissement de durée chez les fleurs et de développement chez les fruits, se traduit généralement chez l’homme par le sommeil suivi le plus communément de somnambulisme lucide ou non. Ce sommeil magnétique a un caractère particulier. Dans le sommeil ordinaire, l’âme et le corps semblent plongés également dans un repos absolu, tandis que dans le sommeil magnétique le corps seul paraît endormi, tandis que l’âme veille plus clairvoyante, plus active que jamais.
- Cela s’explique aisément, si l’on accepte la définition de l’être humain que les philosophes spiritualistes, d’accord avec Platon et les sages de son école, sinon avec l’Eglise, admettent, en lui attribuant une nature trine formée: 1® D’un corps ou matière comprenant la chair, les os, cheveux, muscles, nerfs, veines, artères, sang, liquides divers, etc., etc.;2° D’une âme, mens, anima, intellect, flamme divine, corps sidéral, la psuehé de Platon, ou tout autre terme que l’on préférera, car le nom ne fait rien à l’affaire ; 3° Du fluide vital, la vie, la lumière astrale, l’esprit ou toute autre désignation, le twus de Platon.
- Le corps se voit, se touche, se sent, son existence n’est point contestée.
- L’âme ne se voit pas, on ne peut la saisir, ni la palper, mais tous, hormis les matérialistes, en admettent l’existence, parce qu’il est bien difficile d’attribuer aux os, à la chair, aux muscles ou aux nerfs, pas plus qu’au sang, ou au chyle ou à la lymphe les pensées, les actes de la volonté, tous les phénomènes phsychologiques de la vie humaine.
- Quant au fluide vital qui constitue la vie propre, qui sert de trait d’union entre l’âme et le corps, qui les réunit et les soude l’un à l’autre, on ne peut le définir non plus, mais on en constate l’absence dans la mort, et la présence dans la vie. C’est sa présence qui fait que l’on ne confond point un paralytique avec un cadavre, quoique dans la paralysie le corps soit condamné à la même immobilité, à la même insensibilité que dans la mort. C’est aussi sa présence qui dans la folie, cette paralysie de l’âme, donne au corps le mouvement, la sensibilité, la vie.
- Cela posé, il est clair que celui qui a du fluide vital
- en excès, en surabondance, peut en communiquer à
- d’autres, et c’est là, selon toute apparence, ce qui a lieu dans l’action magnétique. De là le soulagement apporté aux souffrances du malade par l’influence magnétique, de là le surcroît de perception des sens puisé par le sujet dans l’absorption du fluide magnétique. De là enfin ce sommeil imposé au corps pour donner à l’âme une somme plus ^considérable de vie, une lucidité plus grande, plus étendue, plus sûre.
- « Le fluide vital, dit l’auteur déjà cité, paralyse, neutralise, si l’on veut, une portion plus ou moins grande du fluide vital du magnétisé.
- « Il en résulte que l’âme du magnétisé, moins retenue à son corps par son fluide vital ainsi paralysé en partie, se dégage en partie du corps, et reconquiert une partie équivalente de sa liberté et de sa lucidité. »
- C’est ce qui explique le singulier phénomène de la transformation de perception des sens, grâce à laquelle l’œil resté ouvert ne voit rien, ou voit toute autre chose que ce qu’on offre à sa vue, l’ouïe est tellement paralysée qu’elle ne perçoit pas le bruit le plus perçant, ou tellement dénaturée, qu’elle prend pour une harmonie des plus suaves les sons les plus discordants, et ainsi de suite des autres sens. Un flacon d’ammoniaque ou un paquet d’allumettes soufrées enflammées placées sous le nez d’un homme plongé dans le sommeil, magnétique ne lui procurerait pas plus de sensation que l’objet le plus inodore, au gré du magnétiseur.
- Dans une récente réunion à la salle des Conférences du boulevard des Capucines, un instituteur hostile à la théorie du magnétisme a offert au public le spectacle de quelques-uns des phénomènes d’insensibilité que provoque ordinairement l’action magnétique, et il les a expliqués par des procédés naturels employés par le sujet. C’est ainsi qu’il affirme qu’en retenant sa respiration avec énergie, l’on arrive à pouvoir supporter la présence sous le nez d’un flacon d’ammoniaque ou des vapeurs sulfureuses se dégageant d’un paquet d’allumettes en combustion. Cela est possible, si l’on veut, mais cela ne prouve absolument rien contre l’insensibilité de l’odorat produite par le magnétisme. En effet, le sujet magnétisé sous les narines duquel on place ces odeurs suffocantes, ne retient point sa respiration, et on le voit continuer à respirer à l’aise comme à l’état de veille, pendant un laps de temps durant lequel il serait impossible à quiconque, quelque soit l’efficacité de l’entraînement respiratoire qu’il ait subi, de rester sans respirer. Le magnétisé respirant et le sujet entraîné ne respirant pas, il est évident que le procédé employé n’étant pas le même, l’un ne prouve rien contre l’autre, et tout le bruit fait au sujet de cette fameuse séance contre le magnétisme, est d»
- p.587 - vue 588/836
-
-
-
- 588
- LE DEVOIR
- bruit pour rien, much ado about nothing, comme
- r 7 i
- disent les Anglais. ,
- Le véritable homme de science n’a jamais de ces > partis-pris de négation quand même, ou d’enthou- ' siasme irréfléchi pour une donnée nouvelle. Il examine avant tout sérieusement, consciencieusement. Les preuves pour ou contre, il les pèse avec soin, les apprécie, les contrôle, et il arrive de la sorte à conclure en connaissance de cause à leur admission ou à leur rejet. Hors de là, tous les applaudissements de la foule, toutes ses huées ne sont rien ; la fouie applaudit ou bafoue suivant ses impressions du moment, sans autre mobile réel. Aussi l’avons-nous vue souvent couvrir des sots fieffés d’applaudissements, et d’incontestables savants de huées. Les marques d’approbation prodiguées à l’instituteur anti-magnétiste dans cette séance fameuse ne peuvent rien prouver contre les faits magnétiques vrais, pas plus que les exhibitions d’un ventriloque ne prouveraient quoi que ce soit contre l’existence du téléphone.
- (A suivre.)
- LA DÉMISSION D'UN PASTEUR
- Le protestantisme est en voie de décadence. Les progrès de la Libre-Pensée se font ressentir aussi bien dans les rangs du catholicisme que parmi les dangereux disciples sournois de Calvin,
- Un pasteur de l’église réformée, M. du Bellay,attaché à la Chapelle de St-Ouen avec le pasteur de Lille, nous adresse aujourdhui la lettre suivante, en nous priant de faire savoir par la voix de la presse qu’il se sépare définitivement du protestantisme.
- Saint Ouen (Seine) 16 août 1882,
- 66, rue des Rosiers.
- Monsieur le rédacteur,
- Veuillez m’ouvrir vos colonnes pour enregistrer la démission ci-après que j’envoie aujourd’hui même à mon chef hiérarchique.
- Assistant au concile du Vatican en 1869-70, j’ai pu constater la désunion de ces hommes que l’on croit forts parce qu'on ne les connaît pas, mais qui, ombres d’un passé maudit, savent que le jour ou la lumière se fera pleine et entière, ils disparaîtront comme la nuit s’efface devant le soleil du matin.
- Prêtre romain et supérieur de communauté, j’ai assisté au hideux spectacle du vol des consciences par l’exploitation d’un Dieu qui rapporte quatre-* vingt pour Ct nt, et qui sert de couvert impénétrable aux mystères des amours idéalisés.
- Entré dans la réforme protestante,il y a deux ans, alors que, sur la terre de l'exil, je me voyais mourir s de faim avec ma famille, par suite d’intrigues que je J dévoilerai un jour, je l’ai servie quinze mois en Amé- f
- rique, et depuis sept mois en France, *avec la conscience d’avoir rempli mon devoir. Pour rester chez elle, il faudrait aujo rd’hui abdiquer, car, si la haine de nos chères institutions socialistes, c’est le propre de la Religion du Vatican, le propre du protestantisme actuel, c’est une déférence inouie pour le papisme de l’Inquisition, et une répulsion presque générale pour un peuple qui veut étouffer le capitalisme dans les bras de ses travailleurs émancipés.
- Enfant du peuple, car le nom n’est rien, la pensée est tout, je n’hésite pas, et je viens me placer sous la lumière de ce peuple libre, qui ne veut plus de cette triple caste, qui suce son sang et celui de ses enfants: Césars, prêtres et financiers, triple ca te qui forme le dernier refuge de l’esprit d’autrefois et la citadelle impuissante où se débat agonisant le bour- ' geoisisme imbécile, dont la dernière épave disparaîtra bientôt.
- Je m’asseois donc au foyer de la libre-pensée, et j’espère pouvoir y rencontrer la paix d’abord et l’honnêteté ensuite, paix que ne peut donner un Dieu de discorde, honnêteté que l’on ne trouvera jamais dans les religions qui, pour premier principe, veulent courber l’humanité devant un mystère qu’on lui refuse de discuter. Recevez, Monsieur le rédacteur, l’assurance de ma cordialité républicaine et socialiste-
- G.-M. du Bellay.
- A M. le pasteur Armand Delille, à Hermance, par Genève (Suisse).
- Monsieur le pasteur,
- Je viens vous remettre la charge que vous m’avez confiée, il y a sept mois, le 5 février dernier, à la chapelle protestante de Saint Ouen, près Paris.
- J’ai servi la Réforme protestante depuis deux ans tant en Amérique qu’en France. Si elle n’est pas la négation totale de la liberté moderne comme le hideux et imbécile papisme, elle s’appuie pourtant sur une révélation trop discutable pour lui permettre de s’élever au niveau de notre société moderne. De plus, oubliant l'esprit de ses fondateurs, oubliant même la mort de ses Héros, elle semble vouloir un peu de cette pourpre romaine contre laquelle Luther a si vaillamment combattu, mais avec laquelle Guizot a beaucoup trop capitulé.
- Rester plus longtemps à vos côtés, Monsieur le pasteur, c’était mentir à ma conscience. Je ne l’ai jamais fait, et si, à bout de forces après trois ans de luttes contre la faim, je me mis des vôtres, il y a deux ans, je me suis promis à moi-même que si le jour vernit où je serais convaincu du néant de vos idées théologiques, je vous quitterais de suite. Un honnête homme, en effet, ne peut continuer à enseigner ce qu’il ne croit plus, sous peine de déchoir.
- Recevez, M. le Pasteur, l’assuranca de ma considération la plus distinguée.
- G.-M. du Bellay.
- i ' i m . mi i—"— *
- AUX OUVRIERS
- Quand vous avez bien travaillé durant la quinzaine, vous recevez une certaine somme, vous payez vos oonsommations, vous réglez vos dépenses, ensuite vous mettez de côté l’argent qui peut vous rester.
- p.588 - vue 589/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 589
- Quand votre petit magot le permet, vous achetez une table, une armoire, une pendule, une maisonnette, un jardinet, un coin de terre, une obligation de chemin de fer, un titre de rente, et vous devenez par cet achat, propriétaire, capitaliste.
- Par conséquent le capital, c’est le travail, corporel ou intellectuel, réalisé, accumulé, entassé soit par nous, soit par nos pères, et transformé en maisons, terres, pâtures, outils, marchandises, etc. Il n’y a que l’ouvrier paresseux ou ignorant, qui puisse crier : « A bas le capital » car anéantir le capital, tout le capital, si la chose était possible, serait le moyen de nous ramener à cet état barbare, sauvage, grossier, misérable dans lequel vivaient nos ancêtres ; ce serait le recul et nous voulons le progrès. Nous ne devons pas chercher à supprimer le capital, il faut au contraire le mettre plus équitablement à la disposition de chacun, par l’égalité des moyens, par l’égalité des conditions.
- Mais, je vous le demande, est-ce qu’il y a égalité de conditions quand, dans la société, d’un côté, vous trouvez l’opulence, la force, le bonheur, le caprice, le superflu, la satiété, la science, la jouissance sans effort, et de l’autre, la misère, limpuissance, la souffrance, la servitude, le dénûment, la faim, l’ignorance, le travail le plus possible ? Est-ce qu’il y a égalité de moyens quand l’un débute avec la fortune, l’instruction, les protections, et l’autre, avec la pauvreté, l’abrutissement, sans aides, ni appuis ? Celui-là va naître, il ne pense pas encore et il a déjà la fortune ; il aura plus tard tel rang, telle place ; on sent qu’il dominera ses concitoyens. Il a dix, douze ans, il va au collège, au lycée, étudie ou n’étudie pas le latin, le grec, l’allemand, l’anglais, récite tant bien que mal du Racine, du Corneille, du Boileau, réussit ou échoue au baccalauréat.
- S’il est intelligent, il a profité de l’instruction ; à la fortune, il a joint la science, il s’est créé un second avantage dans la lutte pour l’existence. S’il est paresseux, léger, insouciant, les biens, les liaisons de la famille sont là pour lui procurer des rentes ou des emplois. Celui-ci, en venant au monde, n’a pas toujours les lang s indispensables ; le lait de la mère mal nourrie ne lui est pas suffisant. Pour lui, déjà le présent est précaire ! Que sera l’avenir? Plus tard, il peut penser aux bienfaits de l’instruction, mais il faut du pain pour vivre, il faut entrer dans un atelier pour gagner quelques sous ; il commence bien jeune cette misérable existence de servitude qui détruit si vite les forces corporelles et intellectuelles.
- Il est urgent de remédier à celà.
- Que faire ? Il faut que la collectivité, l’Etat si vous aimez mieux, se charge de donner aux enfants toute l’instruction possible pour lutter également dans la vie. « Nous n’avons pas d’argent et les impôts sont écrasants », me dira-t-on.
- Mais puisque vous voulez plus d’égalité, plus de justice, au lieu d’écraser la consommation, atteignez l’hérédité civile, augmentez, doublez, triplez, décuplez les droits de succession. Et puis n’est-il pas temps d’habituer chacun à tout attendre de son énergie, de son travail, de son intelligence, à ne plus compter, sur les relations de sa famille, sur la fortune amassée par ses parents ? Est-ce que la vie toute faite, toute gagnée, toute mâchée, est-ce que l’existence sans travail ne vous semble pas une honte, une iniquité, un encourageusement à la paresse, au vice ?
- Ouvriers, vous voulez du capital, vous voulez la vie à bon marché : Ne remarquez-vous pas une nouvelle conception de la propriété, qui tend à se généraliser rapidement, et qui met celle-ci à la portée de tous ? Je veux parler de la possession en commun par un grand nombre d’individus, d’usines, mines, chemins de fer, imprimeries, boucheries, moulins, dont le titre de propriété est simplement représenté par des actions de 1,000, 500, 200, 100 francs, transmissibles presqu’aussi facilement que la monnaie ordinaire.
- Cette conception a permis la création de manufactures, d’usines gigantesques dans lesquelles toute marchandise travaillée, étoffe, drap, sucre, farine, peut être livrée à un prix avantageux pour l’acheteur, le consommateur, désastreux, c’est vrai, pour un petit industriel isolé, mais rémunérateur cependant pour les sociétaires. Le temps est proche où le système d’exploitation en grand envahira également notre agriculture ; cinquante, soixante petites fermes transformées en une seule coûtent, avec l’emploi des machines, infiniment moins à exploiter, tout en donnant plus de produits. Vous voyez que la vie à bon marché se prépare, puisque par la concentration, on arrive à diminuer les frais de production ; et aussi qu’il devient plus facile de posséder, puisque le propriétaire disparaît et fait place à l’actionnaire.
- De même plus tard l’actionnaire devra céder le pas au rentier. On pense déjà au rachat des chemins de fer par l’Etat, et on peut entrevoir dans le lointain avenir la reprise de toutes entreprises, de toutes exploitations industrielles et agricoles. Par là viendra le retour à la collectivité du fonds, du sol, du capital accumulé par les siècles, de l’ensemble des biens qui ne doivent servir qu’au bien-être générai.
- (Nord de la Thiérache). Ch. S.
- p.589 - vue 590/836
-
-
-
- 590
- LE DEVOIR
- LA CHARITÉ
- Il y a dix-huit mois, au numéro X... de la r-ue de la Raffinerie, habitait une pauvre femme mariée avec un nommé P... Quatre enfants à nourrir, dont un de 15 mois, un mari dépensier et sans cœur, une femme travailleuse, voilà l’ensemble de la famille.
- Un jour celle-ci tomba poitrinaire.
- Un chaud et froid qu’on ne soigne point, et c’est fait !
- Voilà donc la mère malade, crachant ses poumons, s’affaiblissant, maigrissant, pouvant à peine se traîner, mais marchant!
- Elle avait au. cœur cet honneur qui fait qu’on n’ose aller mendier une aumône et implorer la charité.
- Elle n’allait point à la messe aux jours de santé...} elle ne voulut point s’y traîner pour obtenir un pain et un morceau de bœuf.
- Elle travaillait donc encore {le mari mangeant ce qu’il gagnait) afin.de pouvoir nourrir ses enfants.
- Elle avait un fils occupé à la verrerie, tout jeune (c’était l’aîné) ; il fallait qu’il se relevât à minuit pour aller travailler et le pauvre petit avait peur... La mère allait l’accompagner, et en rentrant, assise sur son lit, pendant une heure toussait !
- Mais la maladie allait et un jour elle s’alita.
- Vint la misère affreuse.. » On criait famine dans le grenier 1
- Pauvre mère ! son cœur se brisait, et un jour elle finit par demander secours.
- On vint..., et savez-vous ce qu’on lui dit ?
- — Nous vous secourrons, mais à une condition, c’est que vous quitterez votre mari.
- — Comment voulez-vous que je le quitte ? leur dit-elle, les larmes aux yeux, entre deux quintes.
- Je n’ai plus la force de marcher! ajouta-t-elle, tandis qu’un sourire ironique et amer courait sur ses lèvres décolorées.
- Quelque temps après on l’emportait à l’hôpital et huit jours plus tard elle trépassait.
- Quand je me souviens du jour qu’on l’emporta, j’ai toujours dans les oreilles les cris du plus petit : maman ! maman ! maman !
- *
- ¥ *
- Voilà ce qu’avait répondu la charité, lorsqu’à bout de forces on l’avait implorée,et pendant ce temps en bas on donnait à des gens qui n’avaient pas besoin 1
- *
- * *
- Ce fait est typique, il prouve combien peu la Charité secourt les vraiment malheureux. i
- N on que je blâme ceux qui la font, ils veulent et
- croient faire le bien, ce dont je les félicité certainement,mais cela profite trop à ceux qu’on peut appeler des paresseux et des lâches.
- La charité bien faite et répartie justement, soulage je le sais des misères, mais malheureusement lorsqu’elle ne devrait être que la main inespérée qui relève le misérable abattu, elle est la maison qui accueille le fainéant.
- Lis prêtres qui veulent un plus grand nombre de fidèles à leurs messes, font l’aumône à ceux qui y vont.
- Puis les personnes de charité ne jugent pas les nécessiteux à leur dénùment, mais à leur pleurnicheries.
- Celui qui sans honte tend la main se gorge.
- Le malheureux qui n’ose pas, meurt de faim.
- Je ne dis pas que les gens bienfaisants fassent mal sciemment. Oh non ! mais ils s’y laissent prendre.
- Et souvent quand une famille est dans la détresse, le secours ne lui viennent que si le hasard fait connaître leur sort à la presse, et que par celle-ci des souscriptions soient ouvertes.
- Peut-on cependant faire mieux mais avec la charité? — Oui.
- Mais beaucoup mieux? — Non.
- La charité abaisse les personnes et les froisse, quand elles ont de l’honneur. Elles n’y ont recours qu’au dernier moment, tandis que celui dont l’âme est vile en profite.
- Je le dis, elle rend peu de services, et le moindre vice dans la manière de la distribuer, la rend nuisible.
- Elle ne sert qu’à faire des oisifs.
- Et cependant, tant que notre Société sera semblable à celle qui existe, la charité vivra, remède inefficace à une plaie que nous avons créée, et que certains maintiennent ouverte.
- (Journal de Choisy). E. Belon.
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NA.ISS.ANC:E
- Le 6 septembre — de Jeanne-Léonie Ribeaux, fille de Ribeaux Jules et de G-ladieux Emilienne.
- Le 7 septembre - de Emilienne-Adrienne Coupé, fille de Coupé Ernest et de Marie Rousseau.
- DÉCÈS
- Le 4 septembre — de Fournier Camille, âgé de 1 an.
- Le 5 » — de Bridoux Louise, âgée de 11 mois.
- p.590 - vue 591/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 591
- Une loterie sans pareille
- A propos de toutes ces loteries, plus ou moins baroques, en cours d'émission ou en gestation, aucune n’est certes aussi originale que celle qui fut tirée jadis à la Tour de Londres.
- C’est une histoire un peu longue. Vous l’entendrez néanmoins jusqu’au bout, ami lecteur, qu'elle est cueillie pour vous, tout exprès dans le Tam-Tam.
- Adoncques, il y avait une fois, enfermé dans la Tour de Londres, un haut et puissant seigneur, condamné à mort pour crime de haute trahison.
- La perspective d’être décapité majestueusement, au lieu d’être pendu vulgairement, comme un simple vilain, bien que très flatteuse lui souriait néanmoins très peu.
- Aussi signa-t-il des deux mains, un recours en grâce.
- Le roi, qui était en humeur, de demi-clémence, lui fit grâce de la confiscation de ses biens et recula d’un trimestre la date de l’exécution de la sentence, ajoutant que, même alors, le noble lord pourrait se pourvoir d'un remplaçant volontaire.
- Qu’eussiez-vous fait, à la place du haut et puissant seigneur en question ?
- Vous eussiez crié, tempêté et maudit l’exécrable farceur qui vous gratifiait d'une grâce aussi grotesque, n'est-il pas vrai ?
- Eh bien, c’est ce qu’il fit d’abord notre homme.
- Ensuite, vous auriez cherché le moyen de trouver le mortel qui consentit volontairement à prendre votre place sur le fatal bilot, pendant le plus intéressant quart d’heure.
- C’est ce qu’il fit aussi.
- Et, — ce que vous n’eussiez sans doute point fait, — il trouva.
- Voici comment :
- «
- Il créa trente billets de loterie.
- De singuliers billets, sur ma parole !
- Il ne les vendait pas.
- Il ne les donnait pas.
- Mieux que cela ! il payait 4,000 livres sterling (100,000 francs) à tout individu qui voulait bien en accepter un, et 11 le laissait incarcérer auprès de lui.
- De tirage devait avoir lieu la veille de la date de l’exécution.
- Le gagnant recevait un million, mais...
- . Car il y avait un mais, et un cruel !
- Mais il avait le cou coupé !
- Et les billets furent pris ?
- — Parfaitement.
- Le premier amateurj fut un mathématicien exagé-ftaire. Très fort sur le calcul des probabilités, ce brave
- homme calcula qu’étant donné son âge, il avait 47 chances. 3/4 de mourir avant trois mois écrasé par un carrosse, tandis qu’il n'en avait qu’une sur 29, ou 30 sur 870 de prendre la place du lord condamné. Il avait donc tout avantage à prendre les 4.000 livres.
- Le second billet fut pris par un spleenétique fatigué de l’existence et épris d’un goût subit pour le suicide par la hache, évidemment impraticable dans toute autre circonstance.
- Le troisième,par un sous-ofïicier fatigué d'avoir cent fois risqué sa vie pour arriver à une fortune dont il ne réussissait qu’à s’éloigner de plus en plus.
- Le quatrième par un gymnaste chargé d’une famille qui devait tomber dans la misère le lendemain du jour ou il succomberait à la rupture de son anévrisme.
- Etc., etc,
- Bref, au bout de six semaines, 29 billets étaient placés.
- Alors, le noble lord réfléchit.
- Tout compte fait, sa fortune suffisait juste au paiement de ces 30 billets et du gros lot.
- C’était, pour lui, la vie sauve mais la misère.
- — Sot que je suis, s’écria-t-il, de ne point m’être gardé une poire pour la soif.
- Puis il eut une subite idée :
- — Mais ce que font ces malheureux pour sortir de la misère, pourquoi ne le ferais-je pas moi-même?
- Et, d’après ce beau raisonnement, il garda le dernier billet.
- Ce fut celui-là qui gagna.
- La stupeur dans laquelle le plongea ce résultat, qu’il avait négligé de prévoir, fut telle que le haut et puissant seigneur en question en eût infailliblement perdu la tête si on ne la lui avait pas coupée le lendemain !
- Grégoire de Tours.
- LE PAUPÉRISME
- | Depuis longtemps, l’assistance par l’Etat et la cha-1 rité privée a fait preuve d’insuffisance ; il faudrait, j en effet, pour être complète que ses ressources fus-| sent à la hauteur des besoins. Or, il est à peine be-i soin de dire qu’il n’en est ainsi dans aucun pays. En j Angleterre, où l’assistance est due à tout indigent, î on s’est vivement préoccupé d’enrayer le paupérisme, dont les progrès sont effrayants. On a établi deux catégories d’indigents recevant des secours intérieurs (in door relief) donnés dans les maisons de travail, ou des secours accordés en dehors de ces établissements (out door relief).
- Les individus appartenant à la première catégorie
- p.591 - vue 592/836
-
-
-
- 592
- LE DEVOIR
- ne peuvent, en vertu d’une disposition spéciale, être assistés que dans les maisons de travail. En cela, le bureau de la loi des pauvres a agi sagement, puisque cette classe ne comprend que des individus valides. Mais ce n’est pas dans les wcrkliouses, où les pauvres sont déjà tombés au dernier degré de la misère physique et morale, que l’on peut espérer restreindre l’extrême indigence ; ce n’est que pa^mi les pauvres secourus au dehors. Ceux-ci, recevant des secours en nourriture, combustible et argent, sont aidés aux premiers moments de la détresse. Il semble donc, si l'on tient compte de la sollicitude avec laquelle il est pourvu immédiatement à leurs besoins les plus pressants, si l’on so :ge aux sommes relativement considérables provenant de la taxe des pauvres, qui sont distribuées, qu’une proportion assez forte doive sortir de l’état de souffrance qui a amené l'intervention de la charité ? Ii n’en est rien : le nombre des pauvres recevant des secours extérieurs, qui était de 121,000 à Londres, a augmenté de 10,000 en une seule année.
- Que signifie donc ce progrès persistant de la misère dans un pays où les sociétés charitables opèrent avec une entente admirable ? Cela donne à supposer ou bien que les secours sont insuffisants, ou bien que la société n’est pas quitte envers l’indigent quand elle l’a soulagé. Nous écartons la première hypothèse, au moins en ce qui concerne les indigents valides et adultes; mais nous acceptons la seconde, car nous sommes d’avis que la charité publique ou privée a en outre le devoir de favoriser aux pauvres les moyens de sortir de l’état qui a nécessité son intervention.
- En présence des résultats négatifs obtenus dans un pays où la réforme de la misère a été poursuivie avec autant d activité que de conviction, nous sommes contraints, si nous voulons arrêter ou prévenir le paupérisme, de chercher le remède dans les causes , du mal lui-même.
- Que résulte-t-il des enquêtes officielles ou partielles du paupérisme ? Deux choses : la première, que l’indigence peut être provoquée par des causes tout à fait indépendantes de la volonté humaine, comme les maladies, les infirmités, le chômage, les crises commerciales, etc. ; la seconde, qu’elle est surtout le résultat de l’imprévoyance.
- Ainsi, c’est l’oubli du lendemain, l’absence du sentiment de l'ordre et de l’économie, l’absorption de l'individu par les jouissances du moment, qui déterminent avant tout l’indigence. On doit donc s’attacher à favoriser par tous les moyens, sociétés mutuelles ou associations diverses, cet esprit de prévoyance qui vit plus dans l’avenir que dans le présent;
- qui organise avec une incessante activité les moyens d’utiliser, au profit de la vieillesse, les années les plus fructueuses de la vie ; qui oppose pour ainsi dire une barrière infranchissable au paupérisme. On pourrait dire que la prévoyance n’est qu’un instinct de conservation, instinct raisonné qui naît de l’expérience.
- Une des gloires de notre siècle sera.d’avoir fondé une série d’institutions telles que les sociétés de secours mutuels, les assurances sur la vie et contre les accidents, les caisses de retraite pour la vieillesse, les caisses d’épargne, toutes destinées à réduire la sphère d’action de la charité publique ou privée. Aujourd’hui, le travailleur a les moyens de faire fructifier ses épargnes ; or, les conséquences de ce fait sont de la plus haute importance aussi bien au point de vue économique que social. II ne peut, en effet, résulter dufonctiormementdeces institutions qu’une réduction du nombre de ceux qui, après avoir vécu dans des conditions supportables, tombent dans la misère, et une augmentation de ceux qui, après avoir été indigents, se relèvent par le travaij. Il n’est pas non plus douteux que grâce à elles le travail devienne plus attrayant pour l’ouvrier dont les économies seront productives, et que celui-ci ne compromette moins facilement sa santé et ses épargnes dans les excès de toutes sortes.
- Les sociétés de secours mutuels représentent assurément le système le plus intéressant de la prévoyance. Nous n’en ferons point l’historique. On sait que, placées avant 1848, comme toutes les associations, sous l’empire de l’article 291 du code pénal, leur liberté fut plus ou moins restreinte suivant la forme des gouvernements. La première intervention pécuniaire de l’Etat fut une dotation de 10 millions affectés, par le décret du 23 janvier 1852, aux socié-de secours mutuels reconnues et approuvées. Ces avantages ne visaient que les sociétés qui consentaient à soumettre leurs statuts au gouvernement et à recevoir de sa main un président. C’était un échange de concessions réciproques agréables au pouvoir désireux d’étendre son action sous forme de faveur. Les sociétés autorisées, c’est-à-dire privées ou libres, ne recevaient aucune subvention. Elles restèrent soumises jusqu’en 1870 aux caprices des préfets complaisants qui pouvaient en prononcer la dissolution sous le prétexte le plus fallacieux.
- {A suivre.)
- Le Directeur-Gérant : G-ODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36.
- p.592 - vue 593/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. — n° 211. Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 24 Septembre 1882
- LE DEVOIR
- REVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne
- Toutes les communications doivent être adressées à M. GODIN Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit an bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Union postale
- Un an. . . . 10 ir. »» Six mois ... 6 »» Trois mois . . 3 »»
- Un an. . . . llfr.u» Autres pays Un an . . . . 13fr. 60
- ON S’ABONNE A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- m ss
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Le Principe des Nationalités et le Progrès Social.— La Mission des nations dans le Progrès. — Un bon exemple. — Faits politiques et sociaux. — L’Infaillibilité et le Syllabus. — L'Unité de la vie passée, présente et future. — Le Grand Séminaire. — Les femmes ouvrières. — Le Paupérisme (fin). — Tribunaux.
- Le principe des nationalités & le progrès social
- Les craintes d’un de ces grands mouvements de race que nos néologues désignent par des mots dont la syllabe pan et la terminaison isme encadrent la désignation, hantent le cerveau de bien d’excellents esprits de nos jours. Le plus récent et le plus imminent suivant eux, grâce à l’expédition de Tunis et à celle d’Egypte, serait le panislamisme, et à ce sujet un de nos amis nous écrit :
- «Voyez-vous un soulèvement panislamique, c’est-à-dire cent cinquante millions de musulmans Se ruant sur l’Europe au cri de : « Mort au chré-
- tien ! Elle est agréable au cœur d’Allah ! » Gigantesque drame humain dont les acteurs, l’Orient et l’Occident, se chiffrent par millions de têtes,et dont les tableaux seraient l’incendie, la ruine, le pillage, les scènes de carnage et de désolation ! » L’ère des grandes invasions n’est pas encore fermée. La vérité est éternellement une, en philosophie comme en esthétique et en religion, de même que dans les sciences, aussi les grandes lois de la philosophie de l’histoire, dans les époques de révolution, me paraissent-elles ressembler beaucoup aux non moins grandes lois géologiques de notre petite planète. (Souvenez-vous du déluge Noachique, de l’Atlantide, etc. »)
- Nous croyons, à notre sens, ces craintes à peu près chimériques. Un moment, au début de cette expédition d’Egypte, que nous persistons à croire injustifiable au point de vue du droit réel, on a pensé que le mouvement provoqué par Arabi était le fait d’une nation lassée d’un joug devenu intolérable, et voulant elle aussi s’épanouir au soleil de la liberté des peuples, en un mot, un mouvement égyptien pour l’affranchissement politique et social de l’Egypte. Mais le rapide succès des Anglais a démontré qu’il n’en était rien, et qu'il n’y avait parmi les partisans d’Arabi rien qui ressemblât aux aspirations d’un peuple désireux de vivre de sa vie propre, et de se débarrasser des entraves imposées par l’étranger. L’imminence du mouvement panislamique redouté ne paraît donc pas réelle, et c’est à tort que quelques pessimistes la craignent sincèrement, et que des politiques ambitieux ont fait semblant de l’appréhender de leur côté pour mieux déguiser leurs malsaines convoitises.
- p.593 - vue 594/836
-
-
-
- 594
- LE DEVOIR
- Dans tous les cas, si un pareil danger était à craindre, comme remède à ce danger terrible, il y aurait lieu d’admettre et de mettre en pratique le plutôt possible l’idée féconde et rationnelle de la fédération de l’Europe, qui doit remplacer les organisations politiques que nous avons actuellement. Si l’union fait incontestablement la force, la division engendre non moins fatalement la faiblesse, et la fédération des peuples de l’Europe serait le meilleur préservatif contre toute invasion nouvelle possible des barbares. Le jour où l’on aurait accepté franchement cette idée, et où l’on aurait réalisé cette union toute-puissante, on aurait accompli un progrès sérieux et inappréciable.
- Mais,pour atteindre ce but si éminemment désirable, il faudrait que chaque nation renonçât à ses visées malsaines d’ambition, qui lui font convoiter sans cesse la prépondérance sur sa voisine, et que, bien pénétrée de son rôle dans le concert européen, elle sut vouloir s’y renfermer constamment. Or, si chimérique que soit actuellement le danger signalé du 'panislamisme, il n’en est pas moins vrai qu’il peut naître un jour, et son existence doit être rangée dans le nombre des futurs contingents possibles. Il serait donc peut-être sage de l’envisager d’avance bien en face, pour se mettre sérieusement en garde contre lui.
- Le panislamisme, comme le pangermanisme et le panslavisme, sont certainement des obstacles réels aux grandes réformes sociales indispensables aux progrès à réaliser au sein de l’humanité. Ces mouvements sont tentés en vue de la guerre et de l’invasion, ils ont pour but l’annexion violente, et dans la lutte aucun progrès n’est possible. Ce n’est point par leur triomphe que le prolétaire Musulman, ou Slave ou Germain verra son sort s’améliorer, et ils n’auront au contraire d’autre résultat pour lui que de le rendre encore plus précaire. Ils sont la conséquence naturelle du fameux principe des nationalités imaginé par l’homme de Décembre, qui n’en avait certainement pas pressenti toute la portée, et grâce auquel, l’Italie désormais unifiée convoite encore aujourd’hui le Tyrol, et si elle l’obtenait, convoiterait demain la Suisse Italienne, la Savoie et Nice.C’est lui qui a encore poussé la Prusse à s’emparer du Sleswig-Holstein, à convoiter FAutriche, à s’annexer l’Alsace, et à réformer tant bien que mal cette expression géographique éphémère que l’on nomme l’Empire d’Allemagne.
- C’est le pangermanisme qui fut la principale cause de la terrible guerre de sécession qui ruina les Etats du Sud, au sein de la grande, République Américaine ; c’est lui qui combattait l’Autriche à
- Sadowa, lui encore qui provoquait, en profitant de l’ineptie du gouvernement impérial, la guerre Franco-Allemande si désastreuse pour notre pays. C’est à son tour le panslavisme qui a donné lieu à la guerre Russo-Turque, qui a entamé si fortement l’Empire Turc en Europe, et c’est la prétendue crainte du panislamisme qui a servi dans ces derniers temps de prétexte aux expéditions de Tunis et d’Egypte.
- Bien des millions ont été gaspillés dans ces diverses entreprises pour arriver à des résultats tellement insignifiants, qu’il aurait infiniment mieux valu ne pas les chercher. Employés autrement pour organiser chez les peuples chez lesquels, comme en Egypte, on prétendait ne vouloir que le rétablissement de l’ordre, un système politique et social de gouvernement conforme à leurs aspirations et à leurs droits, ces immenses capitaux auraient été bien autrement féconds et productifs de résultats utiles pour tous. Mais ce n’est pas ainsi que les promoteurs de ces luttes stériles peuvent donner satisfaction à leurs ambitieuses visées.
- Pour que l’application du principe des nationalités soit légitime, il faut que les faits de la conquête soient sanctionnés par le vote des populations intéressées, comme cela â eu lieu en Italie, à l’époque de son unification. C’est le vœu des peuples qui seul peut consacrer le droit d’annexion, et c’est pour cela que l’unité de l’Italie est un fait légal parfaitement établi et qui durera malgré tout désormais, tandis que l’annexion des duchés Danois et de F Alsace-Lorraine est un fait illégal, sans aucun élément de durée. Le premier de ces procédés engendre la paix et la prospérité du peuple, tandis : que l’autre ne peut engendrer que les haines et la guerre, avec toutes ses désastreuses conséquences. Les peuples ayant seuls le droit de régler leur nationalité, leur forme de gouvernement et leur constitution politique, tout ce qui porte atteinte à ce droit imprescriptible et sacré est un crime de lèse-humanité, qui ne saurait rien consacrer de légal. Donc la conquête, l’annexion violente qui ne tient aucun compte de la volonté nationale du vaincu ne saurait constituer un titre légitime de possession.
- Les succès récents de l’Angleterre en Egypte éloignent sans doute le danger de ce chimérique \ mouvement des Musulmans, qui est plutôt un pré-f texte politique à l’usage des gouvernements belli-j queux qu’un péril sérieux, mais quelles que puis-i sent en être les conséquences, ils ne contribueront | certainement pas à accélérer l’apaisement et l’inauguration de cette ère de paix entre les peuples, sans laquelle le progrès social est rendu presqu’impossi-
- p.594 - vue 595/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 595
- jjle. Sans parler des complications que ces succès peuvent faire naître dans le reste de l’Europe, des idées d’oppositions qu’ils pourront provoquer de la part de la Russie, de l’Allemagne, de la Turquie ou des autres puissances plus ou moins intéressées, on peut dire que dans l’usage que fera l’Angleterre de sa victoire, il y a des difficultés sans nombre à prévoir, et des luttes à redouter. Or, chose étrange ! Si l’on étudie le sentiment des peuples en général, leurs aspirations et leurs tendances, on se convainc aisément qu’ils sont à peu près unanimes à désirer cette paix féconde propice à leur prospérité et à leur avancement, et que ce sont leurs gouvernements qui, animés de sentiments différents, les lancent le plus souvent dans des guerres que rien ne justifie ni motive.
- Qu’on trouve en effet une bonne raison à l’appui de cette expédition d’Egypte ! Cette entreprise, fâcheuse à tous les points de vue, n’est probablement que le résultat d’une conspiration de l’élément politico-financier, qui prend son mot d’ordre dans le cabinet de M. de Bismarck d’une part, et dans ceux des gros banquiers Juifs de France, d’Angleterre et d’Allemagne cl’autre part. C'est une politique de convoitises de tout ordre qui fait échec de la sorte aux aspirations les plus légitimes des peuples, et au progrès de l’humanité. N’en sera-t-il pas toujours de même tant que dans un pays il pourra dépendre de la volonté d’un ou de quelques hommes de déclarer la guerre et d’y aventurer bon gré, mal gré, la nation ?
- Le mouvement panislamïque quel’onfait semblant de redouter pour avoir un prétexte de mettre à exécution des projets d’ambition louche et de convoitise inavouable, ne se produira que si l’on le provoque, en abusant outre mesure de la force que l’on persiste à mettre à la place du droit, et si l’on pousse les conséquences de la victoire jusqu’à exaspérer les vaincus, et à surexciter chez eux le fanatisme. Mais pour cela, il ne faudrait pas continuer trop longtemps à étouffer par la violence les aspirations légitimes des peuples vers l’autonomie et la liberté, et à professer l’opinion que les intérêts d’une grande puissance suffisent pour mettre obstacle à l’affranchissement politique des petits peuples. Le droit des faibles est aussi fondé, aussi respectable, aussi sacré que celui des forts , s’il ne l’est pas davantage encore, et l’on ne peut se dire civilisé si l’on refuse de le respecter. Il n’y a point de civilisation, sans le Aspect des droits et de la justice. Or toutes ces guerres que rien ne justifie sont anticivilisatrices au premier chef, et l’on ne petit s’empêcher de rougir fersqu’on voit des journaux, comme « la République
- française » affirmer que les Anglais, en faisant la guerre à l’Egypte, ont rendu service à la civilisation. Quelle idée se font donc ces journalistes de la civilisation ? La vérité est que cette expédition : recule de plusieurs années l’inauguration définitive | de l’ère de civilisation vraie et de progrès humain.
- • Comment asseoir solidement sur ce terrain mouvant et tourmenté le nouvel édifice social, dont les assises fondamentales doivent reposer sur le roc inébranlable de l’ordre et de la paix ? Comment travailler sérieusement aux réformes indispensables qui seules peuvent assurer aux peuples la sécurité, le I bien-être et la prospérité, au bruit de la canonnade, j aux lueurs de l’incendie, et au milieu des gémisse-j ments des mourants et des blessés ?
- Que l’on cesse donc une bonne fois de croire à un progrès quelconque réalisé par la force des armes. Rien de bon n’a jamais été créé par la violence. Quel bien les peuples ont-ils jamais retiré des grandes victoires de leurs chefs en aucun lieu du monde ? Quelle amélioration au sort du peuple Français, est résultée des triomphes de Napoléon Ier ? Quel avantage a tiré le peuple Prussien, ou Bavarois, ou Saxon, des succès de la guerre Franco-Allemande ? Dans l’un ou l’autre cas, le souverain y a gagné une couronne plus fermée et plus précieuse peut-être, et ses lieutenants quel-qu’apanage plus riche, mais la nation n’y a absolument rien gagné que de lourdes charges de plus.
- Laissons donc les rêveurs ambitieux projeter des mouvements de races les unes contre les autres. Que les individus qui appartiennent à ces races et qui en forment l’ensemble s’unissent contre tous les aventuriers qui les poussent, et qu’ils provoquent la fédération des peuples pour affermir à jamais la paix, et travailler efficacement à l’œuvre providentielle de l’organisation sociale et du progrès de l’humanité, conformément à la justice et au droit natu* rel. La mission de l’homme n’est point de conquérir et de dominer, mais bien de travailler au bonheur de chacun et de tous.
- Que les peuples imitent le bel exemple donné récemment par la Chambre française des députés en imposant la paix à leur gouvernement, et les velléités de conquêtes disparaîtront de la tête et du cœur des chefs d’Etat, ramenés à leur véritable rôle de serviteurs et exécuteurs de la volonté nationale.
- p.595 - vue 596/836
-
-
-
- 596
- LE DEVOIR
- La mission des nations dans le progrès
- Le « Sunday Herald » de Boston publie sous ce titre les lignes suivantes :
- La France, l’Angleterre et l’Allemagne étant les trois nations européennes qui pensent, comme le dit si bien M. Taine, et étant les trois peuples du monde les plus avancés au point de vue de la pensée et des idées, aussi bien que de la puissance matérielle, (car l’univers entier reconnaît volontiers leur suprématie intellectuelle), devraient contribuer plutôt à faire progresser les intérêts de la civilisation, qu’à se combattre l’une l’autre, et à paralyser leur influence sous l’empire de mutuelles jalousies.
- La coopération dans une entente commune de la France, de l’Angleterre et de l’Allemagne aurait promptement réglé la question d’Orient, et placé les régions qui constituent l’empire turc à même de recouvrer quelque chose de leur fertilité et de leur prospérité d’autrefois. Les nations, comme les hommes, sont les agents de cette divinité qui seconde ou déjoue nos projets, suivant les cas, de quelque façon que nous les concevions. Elles n’ont pas le choix du rôle qu’elles doivent jouer dans le développement historique du monde.
- Les anciens Romains, presque dès l’aurore de leur existence nationale, dùrent boucler leur armure et entrer en campagne, pour réduire les tribus guerrières hostiles, désunies, isolées, les races et les nationalités à un état de sujétion et d’harmonie, de nature à leur imposer le fait qu’elles ne formaient ensemble qu’une seule race, et constituaient une unité, une unique humanité, avec des intérêts communs et une destinée commune. Mais ces anciens Romains, malgré leurs sueurs et leur travail, malgré leurs marches et contremarches incessantes, et leurs luttes sur tous les points du globe à cette époque, ne réussirent qu’imparfaitement à remplir leur mission. Avec leurs légions stationnées partout, ils furent comme les agents de la paix de leur temps, et le centre de l’ordre et de la loi. Finalement Rome disparut, comme le levain dans la pâte, dans la masse de son propre empire, suivant l’expression d’un auteur distingué.
- Mais la tradition et les traces de sa grandeur évanouie ont encore une influence puissante sur des millions d’hommes de notre temps. Néanmoins une grande partie de la terre languit encore dans les ténèbres de la barbarie, professant des croyances barbares et soumise à de barbares despotismes. Pourtant la brillante civilisation actuelle, avec ses machines puissantes et ses incomparables facilités
- de iocomotion et de communication, est suffisamment armée pour propager ses bienfaits et les étendre à tout le globe, si, bien entendu, les nations les plus avancées veulent bien coopérer à cette œuvre.
- En attendant, l’Angleterre, avec ses travers d’in, sulaire et sa dédaigneuse indifférence pour l’opinion du monde extérieur, a néanmoins plus que toute au* tre nation moderne, et même que toutes les nations modernes réunies, rempli ce rôle antique dans les deux hémisphères, parla colonisation et la conquête. Dans ces conditions, en présence du service rendu, nous ne regarderons pas trop à la bride du cheval donné ; nous ne scruterons pas de trop près les mobiles de l’Angleterre dans ses colossales acquisitions territoriales, et nous nefnous préoccuperons pas de savoir si elle n’a agi que par pure avidité commerciale. Toutefois, nous devons reconnaître, avec une autorité militaire autrichienne distinguée, que le rôle de l’empire britannique dans l’organisme politique et intellectuel du monde a été considérable. Il a fait de ce pays comme une sorte de boulevard de la civilisation, et de son peuple un agent actif, un puissant et habile lutteur dans la grande bataille livrée par le genre humain à tous ses ennemis sur la terre.
- La France, dans le Nord de l’Afrique, siège de la puissance commerciale la plus considérable de l’antiquité, est sérieusement engagée dans l’œuvre de subjuguer la barbarie. Pourquoi donc le fellah misérable, surmené et exploité outre mesure, ou le modeste travailleur de la vallée du Nil, ne verraient-ils pas la main de la civilisation s’interposer en leur faveur, pour alléger le fardeau de leur misère héréditaire, et de cette dégradation qui a été leur lot depuis l’avènement des rois pasteurs ? Us méritent autant de sympathie au moins que les esclaves de notre vallée du Mississipi, au temps de leur servitude imméritée.
- Nous avons donc raison de dire que pour la France, l’Angleterre et l’Allemagne, la coopération, dans l’intérêt de la civilisation, pour la rapide extinction de l’empire de la barbarie, de la tyrannie, de la cruauté et de la superstition sanguinaire en Orient, et dans le continent africain, est le rôle qu’elles doivent adopter de préférence à celui que leur dicte la jalousie réciproque et un antagonisme pernicieux à tous.
- UN BON EXEMPLE
- L’Etat de Iowa aux Etats-Unis, par une imposante majorité de 40,000 voix, vient d’exprimer le désir de voir introduire dans sa constitution une disposition
- p.596 - vue 597/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 597
- légale portant que^nul dans les limites de l’Etat ne pourra fabriquer pour la vente, vendre ou mettre en vente comme boisson, aucune liqueur enivrante de quelque nature que ce soit. La question a été discutée dans chaque ville, canton et village. D’immenses sommes d’argent ont été envoyées dans cet état par les intéressés au commerce des liqueurs de la contrée, pour influencer le peuple en leur faveur, mais en vain. La population des campagnes, clairvoyante et pleine de discernement sent que ce commerce est un obstacle sérieux à sa prospérité matérielle et morale, et elle est décidée à s’affranchir de son joug.
- Les membres des Sociétés de tempérance assurent que leur cause a fait des progrès considérables durant les trois ou quatre dernières années. Si peu observateur que l’on soit, en présence de résultats obtenus spécialement au Kansas,dans l’Iowa et dans quelques parties de l’Illinois, on ne saurait contester ces progrès. Le peuple dans presque tous les centres actifs de ce pays médite sur ee sujet, et le fruit de ces méditations se traduit dans un sens pratique. Les conversations et le ton de la presse locale reflètent ces sentiments.
- Puisse l’exemple du Kansas et de l’Iowa, ne fut-ce qu’au point de vue économique seulement, sans parler des bénéfices plus importants encore qui en résulteraient à d’autres égards, influer d’une manière efficace sur la conduite des Etats voisins et de ceux de l’Est,pour bannir à jamais de chez eux cette cause efficiente de paupérisme et de crime, avec son lourd fardeau accumulé de taxes et d’impôts *
- —cpjooœcw»
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- La situation. — Les Anglais sont vainqueurs, l’armée d’Arabi battue et en fuite, le général Wolseley maître du Caire, l’Egypte sous la main de l’Angleterre. Espérons que la phase des bombardements et des exécutions militaires est terminée. Mais tout est-il fini? Il serait plus juste de dire que tout va commencer. Quel salaire l’Angleterre vat-t-eüe s’adjuger, ou demander à l’Europe ? Le protectorat du canal, de la Mer Rouge, de l’Egypte? bref, de tout ce qui devrait être déclaré par l’Europe international, neutre et indépendant ? Demandera-t-elle aussi sous le nom de statu quo ante le rétablissement de l’odieux contrôle? La force même de la résistance prouve qu’il y a vraiment un peuple égyptien. Va-t-on remettre ce peuple sous le pressoir ? Point de fointe, point d’hypocrisie ; l'abolition ou le rétablissement du contrôle sera la pierre de touche? M Gladstone aura-t-il la force de refouler l’égoïsme des Jin-gos ? L’ivresse du triomphe brutal lui montera-t-elle au cerveau ? Va-t-il vraimeDt démentir sa belle vie et déshonorer sa vieillesse ?
- La France a la partie difficile mais bien belle ! qu’elle ne regrette point de s’être abstenue en Egypte, au contraire qu’elle en soit fière et qu’elle en profite. Qu’elle prenne, pacifiquement, le beau rôle de protectrice du peuple égyptien ; qu’elle répudie poür sa part la politi-
- que de l’usure, qu’elle rompe avec la tradition malhonnête du Contrôle, qu’elle laisse les créanciers du khédive s’arranger avec le khédive ; que dans la Conférence ou dans le futur Congrès elle se porte — pacifiquement toujours — le défenseur obstiné des Fellahs, qu’elle gagne en la méritant la confiance des Musulmans, qu’elle se fasse pardonner l’occupation de la Tunisie. Qu’elle fasse partout — toujours pacifiquement — opposition à la politique machiavélique de l’empire allemand.
- *
- ¥ ¥
- Les projet» anglais. — On donne pour certain que sir Garnet Wolseley a résolu de maintenir définitivement l’occupation de Port-Saïd, Ismaïlia et Suez.
- Cette occupation une fois bien établie, le gouvernement de la reine enverra à lord Dufferin des instructions lui enjoignant de provoquer une réunion de la conférence à Thér ipia.
- Le bruit est très accrédité à Londres que la convention tendant à conférer à l’Angleterre son droit de suzeraineté sur l’Egypte est depuis longtemps déjà conclue entre l’Angleterre et la Turquie.
- L’institution du contrôle serait profondément remaniée, et d’anglo-français le contrôle deviendrait pure-et simplement anglais.
- *
- ¥ ¥
- L’Angleterre & le» puissance». — Une
- nouvelle phase commence en Egypte. Le contre-coup des succès des Anglais va se faire sentir en Europe.
- L’Angleterre &> la Russie
- Un journal dit avoir reçu de Constantinople des informations de bonne source "suivant lesquelles on soupçonnerait l’Angleterre de s’entendre avec la Russie. Si l’une, dit-il, s’installait en Egypte, l’autre s’installerait en Arménie. On sait, d’ailleurs, ajoute-t-il, que la Russie pousse activement ses armements militaires dans la Bessarabie et au-delà du Caucase.
- La Novoie Vremia, de Saint-Pétersbourg, publie cette nouvelle, qui produit une grande sensation :
- « Le ministre de la marine a ordonné de préparer tout dans les arsenaux, pour que l’armemeüt des vaisseaux de guerre puisse être effectué immédiatement. »
- L’Angleterre &> l’Allemagne
- D’après la Gazette nationale, le bruit court à Berlin que la conférence de Constantinople reprendra ses travaux dès le commencement du mois prochain.
- On croit que la partie de la tâche qui reste à achever à la diplomatie européenne est plus considérable que celle qu’elle a déjà accomplie.
- Le TagUatt dit :
- « L’Europe attend maintenant que l’Angleterre confirme les promesses de loyauté qu’elle a faites, par les propositions qu’elle va lui soumettre et les explications qu’elle va lui donner relativement à l’Egypte.
- « Il faut avant tout que l’Angleterre dise ce qu’elle compte faire, maintenant qu’elle a étouffé la révolte d’Arabi, et qu’elle obtienne l’assentiment de l’Europe à ses prétentions. »
- La feuille allemande nous semble bien naïve f
- ♦ *
- M. de Bismarck, qui a déjà fourni la Turquie de colonels et de majors, la fournit maintenant d’administrateurs civils : il lui donne pour sous-secrétaire d’Etat aux travaux publics un M. Sebaldt, directeur du chemin de fer de Francfort, et pour secrétaire d’Etat à l’agriculrure un conseiller secret, M. Nordenflycht. Dans le Congrès futur M. de Bismarck sera probablement favorable au protectorat anglais et au rétablissement du statu quo ante, hostile à l’émancipation et à l’indépendance du peuple égyptien. Que la France ne craigne point de le contrecarrer, qu’elle n’oublie point deux choses, l’une c’est que FAlsace et la Lorraine ne sont point encore libres, l’autre que les conditions économiques, financières et sociales de l’empire d’Allemagne ne sont point changées.
- p.597 - vue 598/836
-
-
-
- 598
- LE DEVOIR
- ITALIE
- La démocratie italienne n’a pour le moment qu’une seule chose à faire, qu’un seul but à viser ; se donner une bonne Chambre, et par cette Chambre un bon gouvernement. Que toutes les dissidences s’effacent donc, que toutes les rancunes soient oubliées, toutes les discussions ajournées, toutes les forces réunies, toutes les aspirations confondues. Que tous les patriotes progressistes, démocrates, républicains, socialistes,mazziniens, garibaldiens ne forment qu’une seule phalange électorale ; l’accord qui a fait l’Italie une, doit aujourd'hui la faire libre.
- NORWÉGE
- Nous avons déjà parlé de l’opposition que le roi Oscar rencontre en Norwège dans le Storthing ot dans le peuple. Les Norwéglens inclinent fort à se'séparer de la Suède et à se constituer en république. Des élections générales sont proches, le roi a* voulu soutenir sa cause en personne, et il est allé en Norwège combattre les ennemis de la royauté. Avant son départ, bravade, méfiance, épigramme, il a fait assurer sa tête 600,000 couronnes. Bonne affaire pour les assureurs, car ce n’est point la vie du roi qui est en danger, mais bien la royauté.
- GRÈCE
- Le différend entre la Grèce et la Turquie au sujet de la frontière thessalienne au lieu de s’apaiser s’envenime. Peut-être serait-il plus exact de dire qu’on l’envenime. Pourquoi ne point soumettre le cas à des vrais arbitres? Non pas à des rois, à des empereurs, à dès diplomates, mais tout simplement à d’honnêtes et habiles jurisconsultes ?
- *
- 4 4
- X>e sociïilisiïie eu A-lletnag^ne. — On mande de Munich :
- « La police recommence à prendre des mesures sévères contre les démocrates socialistes de Munich. Dimanche, on a fait plusieurs visites domiciliaires, dès le matin, et on a arrêté un ouvrier chez qui, paraît-il, on a trouvé des exemplaires du journal le Démocrate socialiste, de Zurich.
- « On a confisqué non-seulement les journaux trouvés, mais encore les cendres de poêle, qui paraissaient provenir de papier brûlé.
- « On a fait aussi une perquisition chez l’invalide Luber qui n’a qu’un bras ; autrefois, il gagnait misérablement sa vie comme colporteur,et on lui avait retiré l’autorisation de vendre des imprimés.
- « Il était tombé par suite de cette défense, dans une profonde misère, et quelques personnes charitables lui avaient fourni les moyens de vendre des cigares dans les rues.
- « Mais la police a soupçonné encore sous les cigares la présence d'écrits prohibés et elle a soumis les marchandises de l’invalide à un examen sévère, mais elle n’a rien trouvé qui confirmât ses soupçons. »
- :k
- 4 4
- Hie Congrès européen. — La réunion d’un Congrès européen, chargé de régler définitivement toutes les questions se rattachant aux affaires d’Egypte, peut être considérée dès à présent comme à peu près certaine.
- Nous avons précédemment annoncé que l’Allemagne prendrait l’initiative d’une proposition en ce sens. La proposition de l’Allemagne serait appuyée officiellement par la Russie.
- On croit toujours que les représentants des puissances se réuniront à Rome.
- La question de la neutralité du canal de Suez fera l'objet principal de8 délibérations du Congrès.
- D’après des renseignements particuliers, nous som mes eu mesure d’annoncer que la Russie vient de sp joindre au gouvernement allemand pour provoquer la réunion d’un Congrès chargé de régler définitivement la question égyptienne. " 1
- Des pourparlers sont déjà entamés dans ce but avec les puissances européennes.
- TURQUIE
- Le Mémorial diplomatique assure que la Porte a appelé, il y a quelque temps, l’attention des puissances sur plusieurs questions se rattachant à l’exécution du traité de Berlin. Pendant que le gouvernement ottoman a accompli en majeure partie les obligations qui lui incombent en vertu de ce traité, d’autre part, les engagements stipulés en sa faveur sont loin d’être exécutés. Tel est le cas surtout des Etats nouvellement créés et de ceux dont les territoires ont été agrandis par le Congrès de Berlin, lesquels devront, soit payer tribut à la Porte, soit prendre à leur charge une part proportionnelle de la dette ottomane : ce sont la Grèce, la Serbie, la Bulgarie et le Monténégro. Les puissances, d’après le Mémorial, ne tarderont pas à être saisies de ces différentes questions, dont la solution importe autant au relèvement des finances ottomanes qu’aux intérêts des créanciers de la Turquie.
- ANGLETERRE
- MM. Parnell, Davitt, Dilîon et Brennan ont décidé de convoquer les représentants irlandais, avant l'ouverture de la prochaine session d’automne du Parlement, à une réunion, à l’effet de jeter les bases d’un nouveau mouvement national en faveur de l’autonomie d'Irlande, de l’abolition du régime actuel de la propriété, de l’extension de l’industrie indigène, des droits des ouvriers agricoles et de la rémunération de la représentation au Parlement. Une commission a été en même temps chargée de prendre les arrangements préliminaires.
- SUISSE
- Assemblée générale extraordinaire de la Ligue internationale do la paix et de la liberté. — Le dimanche 10 septembre, à 9 heures du matin, s’est ouverte dans l’Amphithéâtre de la Faculté de théologie, l’Assemblée générale extraordinaire convoquée sur la neutralisation du canal de Suez et du canal de Panama.
- L’Assemblée vote à l’unanimité la Résolution suivante:
- RESOLUTION
- Considérant que le canal de Suez qui transporte actuellement plus de cinq millions de tonnes de marchandises par an, et plus de 80,000 voyageurs produit au profit du genre humain une économie de temps et da force qu’on ne peut évaluer à moins d’un milliard et demi de francs ;
- Que la destruction, même partielle, des ouvrages qui constituent le canal, le moindre obstacle apporté à la liberté et à la continuité des communications dont il est l’instrument, seraient un fléau dont tous les peuples ressentiraient immédiatement le contre-coup ;
- Que toute tentative par un peuple quelconque pour s’attribuer sur le canal ou sur ses dépendances un droit exclusif de jouissance, d’occupation, de protection, de garde ou de contrôle, doit être considéré comme un attentat commis contre le genre humain et réprimé en conséquence à l’egal d’une piraterie ;
- Que toutes les nations, et en première ligne les nations maritimes, ont donc le devoir et le droit de s’unir pour prendre, pacifiquement et en commun, des mesures qui assurent a tous, par le concours de tous, la jouissance et la sécurité absolue du canal et de ses dépendances)
- Que la Conférence récemment tenue à Thérapia P»r
- p.598 - vue 599/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 599
- l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, la Russie et la Turquie, a reconnu et consacré par un vote unanime le principe de ce devoir et de ce droit ;
- Que la liberté et la sécurité du canal et de ses dépendances ne peuvent être assurées que par leur neutralisation absolue ;
- Qu’il appartient aux nations européennes de 'prendre l’initiative de cette neutralisation ;
- Que cette neutralité du canal serait incomplète si les difficultés auxquelles pourront donner lieu les institutions qui l’établiront pouvaient être vidées par d’autres voies que celles de l’arbitrage sanctionné par une force internationale.
- Par ces motifs :
- L’Assemblée déclare :
- Que la neutralisation du canal de Suez et de ses dépendances est le droit international universel, et que toutes les nations civilisées ont le droit et le devoir d’assurer cette neutralisation;
- Que cette neutralisation doit consister : En ce qui touche le canal, dans le libre passage en tout temps, en toute circonstance, sous les mêmes tarifs, charges et conditions de tous navires quelconques de commerce ou de guerre, quels que soient le pavillon et le chargement de ces navires, sans la double et expresse condition que ces navires ne commettront dans les eaux ni sur les dépendances du canal, directement ou indirectement aucun acte de guerre, et ne débarqueront sur aucun point compris dans les dites dépendances aucun soldat, aucune arme, aucune munition de guerre ;
- En ce qui touche les dépendances du canal, franc-bords, villes, ports, prises, canaux, conduites, réservoirs d’eau douce dérivée du Nil, en ce que les dites dépendances seront en tout temps et contre tous agresseurs mises et tenues à l’abri de toute occupation, destruction, interruption, dérivation ou obstruction quelconque ;
- Que pour être effective, la neutralisation du canal doit emporter la neutralisation simultanée du territoire égyptien et de la Mer Rouge qui n’est que le prolongement du canal ;
- Que la neutralisation du territoire égyptien a pour conséquence forcée la reconnaissance de l’indépendance et de l’autonomie du peuple égyptien, lesquelles d’ailleurs sont de plein droit ;
- Que cette indépendance et cette autonomie entraînent la cessation de toute vassalité de l’Egypte envers la Turquie et l’abrogation de toutes les clauses de la convention du 15 juillet 1840 qui établissent ou reconnaissent cette vassalité, aussi bien que l’abrogation de tous les firmans qui s’appuient sur cette même vassalité;
- Que l’abrogation de cette convention et des firmans qui s’y rattachent, la neutralisation du canal et de ses dépendances, la neutralisation de la Mer Rouge et de ses deux rives, la neutralisation du territoire égyptien, les mesures à prendre pour l’institution d’un tribunal arbitral international spécial, et pour l’entretien d’une force internationale qui assure l’exécution des arrêts de ce tribunal, doivent être librement et solennellement réglés par un Congrès des nations européennes dans lequel seront appelées a siéger, à délibérer, à voter non-seulement les sept puissances qui ont figuré à la Conférence de Thérapia, mais tous les peuples européens sans exception y compris bien entendu, et sous réserves de ses droits imprescriptibles et inaliénables, le peuple égyptien.
- Décide que les présentes Résolutions seront envoyées à tous les gouvernements, à toutes les Assemblées parlementaires et aux principaux journaux d’Europe.
- *
- ¥ ¥
- Le Congrès ouvrier. — Le congrès socialiste ouvrier de Bordeaux vient de terminer ses travaux. Il est à remarquer que ce congrès a été fidèle à son origine et à son but, en n’admettant dans son sein,comme membres délibérants, que de véritables délégués ouvriers. De là, peut-être, l’inexpérience de parole avec laquelle certaines questions ont été traitées, inexpérience qui a provoqué parfois les rires et les interruptions du public, notamment dans la discussion sur l’é-
- mancipation de la femme. Mais, comme J’a très justement dit dans la séance de clôture, un des-membres du congrès, M. Aufant : « Les ouvriers ne sont pas des orateurs. A treize ans ils ont quitté l’école pour travailler, gagner leur pain et aider leurs parents ; il n’est donc pas étonnant que ceux qui restent en classe jusqu’à vingt ans, sachent parler plus correctement que les autres; mais il y a une chose sur laquelle l’ouvrier n’admet la supériorité de personne, c'est le dévouement au peuple et au pays.
- « Nous avons su, a-t-il ajouté, distinguer ceux qui ont fait du tapage ; ils se composent de trois sortes de gens :
- 1° Ceux qui vivent aux dépens des ouvriers;
- 2° Les ouvriers paresseux qui ne connaissent pas les chambres syndicales, et qui ne viennent à elles que quand ils ont besoin de vivre;
- 3° Quelques jeunes gens, convaincus que la gaîté française ne perd jamais ses droits, et qui trouvent par-tout*des occasions de rire ; mais il y a un moment où il ne faut pas rire, c’est quand on veut bien entendre l’exposition, à une tribune, des idées nécessaires au bonheur de tous.
- Ces paroles ont été couvertes d’applaudissements.
- Les résolutions suivantes ont été adoptées par le Congrès dans sa dernière séance :
- « 1° Abrogation de toutes les lois restrictives sur les associations ; liberté absolue de toute association ouverte et publique en laissant aux membres la liberté absolue d’adopter la forme qui leur conviendra, la liberté d’association impliquant la liberté de réunion;
- « 2° Reconnaissance des chambres syndicales comme personne civile et leur admission aux adjudications des travaux publics ;
- « 3° Suppression des bureaux de placement et leur remplacement par les bureaux de syndicats;
- « 4° Approbation des règlements d’atelier par les chambres syndicales et les conseils de prud’hommes ;
- « 5° Défense aux patrons de créer aucune société de secours mutuels dans leur maison ;
- « 6° Irréductibilité du salaire, sous forme de retenue ou d’amende;
- « 7° Suppression du travail dans les prisons, et son remplacement par des pénitenciers agricoles ; suppression du travail dans les couvents, on tout au moins soumission de ces établissements au droit commun;
- « 8° Suppression des octrois et des impôts indirects, des impôts de consommation ;
- « 9° Création d’un impôt unique sur le capital fixe ;
- a lû° Autorisation par la loi de former des sociétés à l’aide d’actions à un taux aussi bas que les fondateurs voudront le fixer ;
- a il0 Application à l’Algérie de toutes les lois appliquées en France; indemnités aux colons, lorsqu’ils sont forcés de prendre les armes pour combattre une insurrection. »
- ————
- ÉTUDES ANTICATHOLIQUES
- L’Infaillibilité Sc 1© Syllabus
- La doctrine de l’infaillibilité du pape a été pendant des siècles une cause d’antagonisme en France entre les partisans de l’ultramontanisme et les Gallicans. Les ultramontains ne se basant sur aucun texte précis, ni sur aucun précédent, prétendent que le Souverain pontife est infaillible dans tous les cas. Les Gallicans,* au contraire n’admettaient l’infaillibilité papale que dans le cas spécial, où, prononçant, eœ cathedrâ (c’est-à-dire du haut de son siège officiel) il
- p.599 - vue 600/836
-
-
-
- 600
- LE DEVOIR
- proclame des décisions de l’Eglise universelle assemblée en concile. Cette doctrine,qui compte parmi ses plus ardents défenseurs, Bossuet, Fénélon et tous les évêques de France jusqu’à ces derniers temps, s'appuie sur les nombreuses décisions des conciles œcuméniques, c’est-à-dire de l’Eglise universelle. C’est ainsi que ses partisans invoquent en faveur de leur opinion la décision du 1er concile de Jérusalem tenu 51 ans après la mort du Christ,qui condamne comme erronée la doctrine de St-Pierre, chef de l’Eglise,au sujet des rites Mosaïques; la polémique engagée entre le pape Etienne et l’évêque de Carthage Cyprien, à qui un concile donna raison en l’an 256; les conciles d’Arles et de Milan prononçant au 4e siècle la condamnation des doctrines d’Athanase d’Alexandrie, que partageait le pape Libère; la sentence d’excommunication prononcée au 6® siècle contre le pape Pelage, et celles des 7® et 8® conciles oecuméniques contre le pape Honorius déclaré hérétique et fauteur d’hérésies, et enfin les actes des conciles des 9®, 10®, 11® et 12* siècles établissant l’autorité de l’Eglise sur la papauté.
- Le clergé de France, réuni en assemblée générale en 1681, formula sa doctrine dans une déclaration fameuse,qui établit les libertés de l’Eglise Gallicane, et dont les quatre articles peuvent se résumer ainsi : indépendance du pouvoir royal, et subalternité du pape, dont l’autorité n’est ni absolue, ni infaillible sans le consentement de l’Eglise, ou autrement dit suprématie des conciles généraux.
- Cette déclaration, qu’innocent XI et son successeur Alexandre VIII avaient refusé d’accepter, fut implicitement ratifiée par le pape Innocent XII en 1693, et a formé depuis la règle de conduite de l’épiscopat français.
- Jusqu’à l'époque du dernier concile du Vatican, tous les évêques de France, a peu d’exceptions près, étaient ardents Gallicans, et peu disposés à faire la moindre concession aux doctrines ultramontaines. Mais les rares partisans de ces dernières,habilement secondés par les membres de la Société de Jésus, étaient désireux de triompher de leurs résistances à tout prix, et c’est pour cela que n’osant pas s’attaquer à la déclaration de 1681 elle-même, ils commencèrent la lutte par la question subsidiaire de la lithurgie. Leurs manoeuvres eurent un tel succès, qu’en 1864, sur 82 diocèses français, (sans compter ceux de la Savoie récemment annexée), 75 avaient déjà renoncé à la lithurgie Gallicane, plus grandiose, plus poétique et plus conforme aux goûts et aux idées françaises, que les rites insignifiants et froids du cérémonial Romain. Les hymnes de Santeuil durent faire place aux compositions Grégoriennes,et le
- rituel imposant des diocèses français au rituel plus banal de Rome.
- Le clergé de Lyon eût seul le courage de protester contre ce changement, qui était une abdication, sinon une abjuration. Mais ses timides protestations n’eurent d’autre résultat que d’ajourner jusqu’à la mort de son archevêque, le cardinal de Bonnald, doyen de l’épiscopat français,l’adoption de la mesure redoutée.
- C’était un premier pas. En effet, au mois de décembre de cette même année, le pape, évidemment conseillé par la curie Romaine, publiait le Syllabus, violente diatribe dirigée contre toutes les institutions civiles des peuples modernes. Ce document digne d’un autre âge s’attaque à la plupart des lois fondamentales du droit actuel,en s’efforçant d’imposer aux fidèles l’obligation de résister à l’autorité civile, lorsque ses décisions portent atteinte à la suprématie de l’autorité ecclésiastique sur le pouvoir civil, ce qui est évidemment contraire non seulement au bon sens et à la raison, mais encore aux enseignements du Christ lui-même, ordonnant formellement à ses disciples de rendre à César, c’est-à-dire à l’autorité laïque, ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
- Tout clérical qu’il fut,le gouvernement de l'homme de Sedan ne put admettre la possibilité de laisser pénétrer en France de pareilles doctrines, et en conséquence défense fut faite aux évêques de publier ce document subversif de l’ordre public, dont nous citerons les extraits caractéristiques suivants :
- « De notre temps », dit Pie IX, « il s’est trouvé un grand nombre de personnes qui appliquant à la Société civile le principe impie et absurde du naturalisme, ainsi qu’ils l’appellent, osent enseigner que la parfaite raison de la Société publique et le progrès civil exigent absolument une Société humaine constituée et gouvernée en dehors de toute considération de religion, comme si elle n’existait pas, ou du moins sans faire de distinction entre la vraie et la fausse religion.
- « Et contrairement à la doctrine de l’Ecriture, de l’Eglise et des Saints, ils n’hésitent pas à affirmer que la meilleure condition pour une société est celle où le pouvoir laïque n’a pas charge de réprimer, par des peines édictées, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est dans les limites où la paix publique l’exige.
- « Par suite d’une idée aussi absolument fausse du gouvernement social, ils n’hésitent pas à propager cette opinion erronée et très nuisible au Salut de l’Eglise catholique et des âmes, à savoir : que la liberté de conscience et des cultes est le droit propre
- p.600 - vue 601/836
-
-
-
- de chaque homme, droit qui doit être proclamé et affirmé par la loi dans tout Etat bien constitué, et qu’il existe pour les citoyens un droit de manifester et de déclarer, avec une liberté que ne peuvent limiter ni l’autorité ecclésiastique, ni l’autorité civile, leurs convictions quelles qu’elles soient, soit par la parole, soit par la presse ou par d’autres moyens.
- » Enseignant et professant la très funeste erreur du socialisme et du communisme, ils affirment que la société ou la famille entière emprunte sa raison d’être seulement au droit civil, d’où il faut conclure que c’est de la loi civile que dépendent et découlent tous les droits des parents sur leurs enfants,et avant toit celui de les instruire et de les élever.
- u Par des opinions et des manifestations aussi impies, ces esprits faux s’efforcent d’éliminer de l’instruction et de l’éducation de la jeunesse la salutaire doctrine et l’influence de l’Eglise Catholique, et d’infecter et dépraver misérablement par leurs pernicieuses erreurs et leurs vices les âmes tendres et souples des jeunes gens.
- « D'autres, reprenant de méchantes erreurs bien des fois condamnées, osent, avec une insigne impudence, soumettre l’autorité suprême de l’Eglise et de ce siège apostolique,à qui elle a été conférée par Dieu lui-même, au jugement de l’autorité civile, et nier tous les droits de cette même Eglise et de ce siège, en ce qui concerne l’ordre extérieur.
- « Ils ne rougissent pas d’affirmer que les lois de l’Eglise n’obligent pas en conscience, si elles ne sont point promulguées par le pouvoir civil.
- « Que l'Eglise ne peut rien décider qui puisse astreindre les consciences des fidèles, dans un ordre de choses temporelles,etc.
- « C’est pourquoi, ajoute le pape, ensemble et isolément, toutes les mauvaises opinions et doctrines mentionnées spécialement dans ces lettres, nous les réprouvons, proscrivons et voulons qu’elles soient tenues pour réprouvées, proscrites et condamnées par tous les enfants de l’Eglise Catholique. »
- Ainsi la liberté de conscience, et la liberté des cultes sont de mauvaises doctrines que l’on réprouve, proscrit et condamne au nom de la religion catholique, qui seule a droit non-seulement à la liberté mais encore à la souveraineté et à la suprématie même sur l’autorité civile. « Il est certain, » lit-on encore dans le Syllabus, « qu’il est avantageux pour les souverains, lorsqu'il s’agit de la cause de Dieu, de soumettre, d’après les règles établies, leur volonté royale aux prêtres de Jésus-Christ, et non de la leur imposer.
- Nous ne savons si cette soumission des rois leur ®st avantageuse, mais il est certain que cela l’est au
- suprême degré pour les ministres du culte, et cet aveu dépouillé d’artifice exprime très clairement le but que de tout temps ont poursuivi la papauté et le clergé, la domination sur les souverains et par eux sur les peuples. C’est pour cela que la liberté qui est un obstacle à cette omnipotence est considérée avec raison par eux comme l’ennemie, et qu’ils la flétrissent de leur mieux comme chose mauvaise, impie, et condamnable.
- Le Syllabus anathématise la doctrine qui affirme que tout homme est libre d’embrasser et de professer la religion qu’il croit vraie, guidé par la lumière de la raison ; que la puissance ecclésiastique ne doit pas exercer son autorité sans la tolérance et l’assentiment du gouvernement civil ; que l’Eglise n’a pas le droit de se servir de la force, ni d’exercer aucun pouvoir temporel direct ou indirect; que les ministres de l’Eglise et le Pontife Romain doivent être absolument exclus de tout soin et domination concernant les choses temporelles ; que l’autorité laïque a le droit de déposer de leurs fonctions les évêques,et enjoindre aux établissements religieux de n’admettre personne sans sa permission à prononcer des vœux solennels, aussi bien que prêter son appui à tous ceux qui veulent quitter la vie religieuse et rompre leurs vœux; que l'Eglise doit être séparée de l’Etat; que le pontife Romain peut et doit se réconcilier avec le progrès, le libéralisme et la civilisation etc.
- Par cette publication, Pie IX plaçait maladroitement les catholiques Français dans une situation impossible, puisque pour se mettre d’accord avec ses prescriptions il fallait qu’ils se révoltassent ouvertement contre les institutions de leur pays. C’est ce qui faisait dire à un écrivain, que l’Encyclique du 8 Décembre rendait extrêmement difficile de trouver en France, même parmi les Evêques, un vrai catholique selon Pie IX. Opter entre ses devoirs certains de citoyen et ses devoirs douteux de chrétien, telle était l’alternative offerte aux catholiques par ce pape égaré.
- Si jamais pape commit une erreur grossière et une faute lourd e,ce fut bien Pie IX dans cette circonstance. Ainsi, que penser de la raison des pères du Concile du Vatican,qui,quelques années plus tard,vont, sous l’influence pernicieuse des Jésuites, proclamer ce prêtre frappé d’aberration mentale infaillible ? En présence d’une décision pareille, on se demande si tous ces docteurs ne sortaient pas des petites maisons plutôt que des séminaires ? Il est impossible en effet de rompre plus nettement en visière avec le bon sens, la raison et la logique.
- Mais ne nous en plaignons pas ; cet acte absurde
- p.601 - vue 602/836
-
-
-
- 602
- LE DEVOIR
- du Concile a achevé l’œuvre du Syllabus, et porté le dernier coup à cette religion Catholique, qui a tant fait de mal à l’humanité, en luttant pendant tant de siècles contre la raison, la science et la civilisation. Sa dernière heure est près de sonner, le Syllabus et la proclamation du dogme de l’infaillibilité l’ont sin' gulièrement hâtée, et à ce point de vue,ils ont rendu au monde le plus grand service qu’ils fussent capables de lui rendre, et nous devons nous en féliciter pour la cause du progrès humain.
- L’Unité de la vie passée, présente et future on l'immortalité individuelle et collective(1)
- Nous sommes des déchus, la terre est an lien de régénération. «Justice de la peine et de la réparation.
- XI
- La terre est un lieu de souffrance... l’homme y est en définitive aux travaux forcés, et il n’y a de choix pour lui qu’entre la prison et la mort ; comment donc expliquer tant de dureté puisque l’on ne peut mettre en doute ni la toute puissance, ni la bonté de l’auteur du monde. Trouvez, en effet, si vous le pouvez, ailleurs que dans une faute antérieure la clef des conditions de la terre.
- Jean Reynaud, Ciel et Terre, p. 13 et 161.
- Regardons la vie de près; elle est ainsi faite qu’on y sent partout une souffrance permanente, souvent atroce et toujours inévitables,c’est un lieu d’épreuve et de réformation.
- Races et individus, tout est soumis à la souffrance partout et toujours. Il n’y a de différence que dans le degré. Il y a similitude parfaite dans i’impuissance d’y échapper.
- Qui décrira les souffrances de tout genre au milieu desquelles s’est accomplie la destruction de vingt races humaines, cette extermination de tant de peuples divers, s’immolant les uns les autres, cette anthropophagie des peuplades sauvages n’absorbant les plus faibles que pour tomber sous le feu, le fer et le poison des nations dites civilisées.
- Ombres des. hommes de l’âge de pierre parlez-nous des horreurs de vos luttes journalières ; ombres des peuples oubliés contez-nous vos barbaries; ombres des Astèques, des Incas, des Scioux, des Osages, des Mohicans et des Natchez, dites-nous vos martyres .
- N’est-ce pas une épreuve que de naître sur cette terre soumis à toutes les difficultés qui proviennent
- (*] V£ir *AîJ)woir * de3 13> 20> 27 août ; 3, 10 et 17 septembre 1882. ’
- de la variété des saisons et de leur rigueur? — que de naître, l’heure et les conditions eussent-elles été choisies, pour subir tous les maux inhérents à l’organisation imparfaite du corps humain ? — que de souffrir dès la plus tendre enfance ces maladies du corps qui ont plus de noms que la vie la plus longue n’a de jours ? — que d’être en proie à ces accidents inévitables qui nous privent, nous vivants, d’un de ces sens bornés dont la réunion est cependant la condition nécessaire d’une existence à peine supportable ?
- Demandons à nos hôpitaux, le secret de leurs douleurs ? pourquoi des aveugles, des muets, des sourds et des infirmes impotents qui traînent avec peine un reste d’existence, impuissants à vivre et à mourir ?
- N’est-ce pas une épreuve en vue de la réformation que cet emprisonnement d’une âme, d’une intelligence dans un corps crétin, idiot ou paralysé lequel résistant à l’impulsion produit des actes désavoués par la raison ? — que de dépendre de tous par l’enfance et la v'eillesse, ces deux maladies organiques qui nous prennent les deux tiers de notre vie ? — que de paraître dans tel ou tel pays soumis à des lois qui vous oppriment ? — que d’être classé dans telle catégorie supérieure, moyenne ou subalterne, dans un monde tout fait, ou les uns s’appellent grands pour être exposés à la haine et aux attentats des inférieurs, et les autres petits pour être victimes de l’oppression des grands, sans qu’il y ait entre eux rien de commun que la mort, — que d’aspirer follement à une égalité impossible des conditions, égalité tellement impraticable que si l’utopiste la créait une minute, elle serait à l’instant même détruite par la différence des aptitudes, des passions et des volontés.
- N’est-ce pas une épreuve que d’endurer ces misères de la condition sociale, auxquelles l’un n’échappe qu’au détriment d’un autre, — de poursuivre un métier horrible, et cependant nécessaire pour ces milliers d’hommes mourant de défaillance, de faim, de froid et de nudité, — de pénétrer le pic à la main dans les entrailles de la terre, — d’amollir le sol à force de bras, — de semer par la pluie et de moissonner sous les feux de la canicule, — d’engraisser l’agneau pour le dépouiller de sa laine et le livrer à la mort, d’attacher son cœur à la vache qui vous a donné son lait et de la vendre au boucher, — d’assommer sans haine des animaux dont on dépèce les chairs palpitantes, — de n§ pouvoir vivre sans dévorer, —• et subissant la loi du talion d’être livré en pâture au plus vil des reptiles ?
- N’est-ce pas une expiation que d’être torturé moralement par ces myriades de douleurs qui nous poi-gnent depuis que nous avons la puissance de sentir, c’est-à dire de souffrir! — Peines de l’être aimant
- p.602 - vue 603/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 603
- qui s’attache et se déchire en emportant un morceau de son cœur à chaque déchirement d’un autre cœur! — Peines de la femme qui adhère à l’homme comme la chair aux os ! — Peines de l’époux qui voit sécher sur son sein la compagne dans laquelle il a mis toutes ses complaisances ! — Peines de la mère qui voit son enfant dépérir sous sa mamelle pleine du lait qu’elle répand à terre parce que la bouche mourante se détourne de la coupe d’amour! •— Peines du fils qui se voit enlever le père fort ou la mère jeune qui lui ont communiqué la vie 1
- Qu’est-ce que tout cela, sinon des épreuves ayant pour objet d’opérer en nous un travail d’épuration et de réformation propre à nous relever dans la vie ?
- N’y a-t-il pas épreuve partout et toujours, épreuve pour le crime qui se torture lui-même et dont le remords est le premier bourreau, qui peut tuer des milliers de victimes, mais qui ne peut tuer son propre supplice! — Pour le vice qui se punit lui-même en se satisfaisant ! — Pour la vertu qui se sent honnie et persécutée sur la terre et qui n’a d’autre récompense que la calomnie, et d’autre consolation que la voix faible et lointaine de la conscience qui lui parle bas comme une voix qu’on discerne à peine, et qui lui dit les secrets de Dieu !
- N’y a-t-il pas épreuve pour l’âme qui est condamnée au doute alors qu’elle ne peut vivre que de foi, et qui est obligée de passer par les ténèbres de l’existence et celles de la tombe entre l’incertitude et le désespoir ?
- Enfin la vie est si peu autre chose qu’un théâtre d’épreuves, de réformation et de réparation, que la seule et plus définitive vertu que nous ayons pu inventer ici-bas, c’est la compassion réciproque, l’assistance mutuelle, la pitié active, la charité de main et de cœur, et que sans cette vertu, personnifiée dans des êtres dévoués, ce monde serait inhabitable et la vie une peine trop rigoureuse pour les plus déchus d’entre nous.
- Qn a cru qu’il fallait placer ailleurs un enfer, c’est une des plus inutiles conceptions ; il n’y en avait que trop en nous et autour de nous.
- Soyons sincères; avec un pareil monde, il n'y a pas â chercher Vamélioration ailleurs que dans le cœur de chaque homme, et ce qu’il faut recommander à chacun de nous, c’est l’abandon des haines et des convoitises engendrées par l’égoïsme ; c’est la recherche du bien de tous, l’amour delà vie humaine, l'ardeur au travail pour la réalisation du bonheur général.
- Ce que nous avons été, ce que nous sommes plus ou moins, sauf quelques rares initiateurs qui s'immolent pour nous et nous suivent au milieu de nos
- épreuves nécessaires, disons-le sans ambages : Nous sommes ou nous avons été des- déchus de la loi de d'amour. Nous irriter, nous débattre contre notre situation, c'est prouver que nous sommes restés ce qne nous nous étions faits.
- Cette puissance invincible et souveraine que les hommes refusent orgueilleusement d’avouer, son nom est écrit partout. En vain nous le dissimulons sous le nom de force des choses : l’univers nous crie, c’est la loi même de la vie portant la créature à réparer ses erreurs passés.
- Cessons de croire à des imperfections et à des souffrances inhérentes à notre condition fatale. Elles sont attachées à notre individualité telle que nous nous la sommes faite. Ne nous livrons pas au désespoir qui conduit à la révolte. Déchus que nous sommes, acceptons qu’on nous parle de réparation, afin que nos cœurs s’ouvrent à l’espérance» De cette fange où nous sommes emprisonnés, de cette poussière désagrégée des êtres transfigurés par l’amour peuvent sortir.
- Homme je me sons libre d’agir. J’ai pu en suite de mes erreurs choisir mon lieu de réformation et délibérer les conditions de ma vie; si j’étais parfait au moral je ne subirais pas les maux inhérents à l’organisation volontairement défectueuse de mon corps terrestre. Je crois que Dieu dont toutes les œuvres sont parfaites, m’aurait donné un corps irréprochable si mon âme n’avait pas erré. Je connais la vérité. Je suis arrivé déchu, j’admettrai donc une faute précédente, rien ne me semble plus certain. Lajeune humanité n’a pas compris la vérité qui lui a été enseignée. Elle l’a faussée par la tradition. J’en rejette la iormule pour ne m’attacher qu’au fond réel et sérieux qui doit être rétabli. Je ne crois pas à une culpabilité de race et matérielle, mais à une déchéance individuelle, résultat d'une faute personnelle. Tout s’expliquant alors, je ne serai plus en révolte contre ma destinée, dont je comprends la justice et le but. Je serai résigné dans ma situation présente. Je ne demanderai compte à personne de mes souffrances : ce sont mes erreurs et mon ignorance qui m’ont fait tomber dans cette prison terrestre : Il me reste à les réparer.
- J’ai secoué mon linceul, les ombres de la mort se sont entr’ouvertes, j’ai aperçu les justes, leurs demeures et leurs félicités ; je ferai ce qu’ils ont fait, j'irai les rejoindre. Frères, travaillons tous ensemble ; aimons-nous et aidons-nous les uns les autres ; marchons d’un même pas dans la voie nouvelle de la réparation.
- [A suivre). P. F. Courtépée.
- .......ge-— - — -
- p.603 - vue 604/836
-
-
-
- 604
- LE DEVOIR
- LE GRAND SÉMINAIRE
- Les Vocations ecclésiastiques
- Par son enseignement dogmatique et spirituel, le séminaire fait œuvre de corruption intellectuelle et sociale. Le jeune homme formé dans cette école d’ignorance et de fanatisme devient forcément un ennemi de la liberté et de la raison. Dans la vie civile il aurait pu être un homme de valeur, appliqué à la réalisation de produits utiles. Sous l’influence du séminaire il saturera son esprit des principes de l’intolérance, deviendra, si les circonstances s’y prêtent, un Torquemada et fera mourir de pauvres victimes dans d’aflreuses tortures. Et, par suite de la perversion de son éducation intellectuelle et sociale, il imposera tous ces supplices et commettra toutes ces cruautés en chantant un hymne à la divinité et en croyant lui être agréable.
- Cependant tous les jeunes gens entrés au séminaire n’y restent pas. Les uns plus développés que les autres, plus instruits quelquefois, plus penseurs et plus philosophes peut-être, peut-être aussi ayant vécu jusqu’alors dans un milieu plus cultivé, sont difficiles à accepter la théologie romaine; et la trouvant opposée aux faits et aux démonstrations scientifiques, ils dépouillent la soutane, disent adieu à leurs maîtres et à leurs amis et s’en vont dans le monde travailler pour être utiles et se faire une position.
- Ceux qui restent peuvent se ranger dans une double catégorie, les croyants et les sceptiques. La plupart des jeunes gens qui restent au séminaire et veulent s’approcher du sacerdoce sont sincères. Quelquefois cependant il y a des hypocrites. Ces derniers n’ont aucun principe de foi et de morale et ne restent au séminaire que parce qu’ils auront plus tard, comme prêtres, une vie commode, exempte de travail et facile à la jouissance et aux plaisirs. Certains hommes ne voudront pas me croire. Pourtant les faits sont là. Je pourrais citer un séminaire où, le jour d’un vendredi-saint,trois simples tonsurés i et un diacre, par mépris de la religion romaine dont ils se préparaient à être les ministres, se sont réunis pour manger une dinde truffée. Après le repas, les os de la dinde ont été pieusement recueillis, soigneusement empaquetés et ensuite suspendus à la porte du supérieur de la maison. Le fait a été découvert. Les trois tons.urés, n’ayant reçu aucun ordre majeur, ont été renvoyés. Pour le diacre, il a été mis au crochet, c’est-à-dire, ses supérieurs l’ont envoyé expier | sa faute dans un petit séminaire et Pont fait attendre |
- plusieurs années avant de l’admettre à la prêtrise. Partout où il est allé, ce prêtre a fait des siennes surtout auprès des femmes; et actuellement encore il prêche, confesse, monte à l’autel, courtise les femmes, dirige des chœurs de chanteuses, écrit des livres de polémique cléricale, chante laYierge, Saint Joseph et le Sacré-Cœur de Jésus et guerroie rudement contre les libéraux, en faveur de l’église romaine.
- Quant aux autres séminaristes, que deviennent-ils sous l’influence de leurs maitres ? Pour apprécier les effets de cette influence, il faut tenir compte des intelligences et des volontés qui sont plus ou moins trempées et plus ou moins puissantes.
- Il y a des natures grossières, lourdes, épaisses, sentant peu, comprenant peu, vivant surtout de sensations. Ceux-ci marchent comme on les pousse. Ils acceptent sans contrôle tout ce qu’on leur enseigne, disant Amen à toutes les paroles de leurs professeurs et sont incapables de discuter sérieusement une question. Ils sont destinés plus tard à faire des vicaires et des curés insouciants et viveurs, bêchant leur jardin, visitant leurs confrères, fumant leur pipe, buvant le champagne et le petit bleu, avalant l’eau-de-vie, et se laissant aller plus ou moins souvent, suivant les circonstances à faire la cour aux femmes. On les appelle dans le monde des prêtres bons vivants. Ils peuvent faire les plus grandes sottises, mais ils sont incapables de faire grand mal. Si l’église romaine n’avait que cette sorte de champions, elle serait vite ruinée.
- Mais à côté de ces natures molles et nonchalantes, il y a des natures viriles et oourageuses. Chez ces dernières, le fanatisme a tué la réflexion sage et philosophique et la bonté large et vraie ; mais il n’a pas éteint l’initiative, au contraire il l’a fortifiée. Les jeunes gens de cette dernière catégorie travaillent sans relâche, prient avec ferveur, s’imposent des mortifications pénibles, n’ont pas de vues intéressées et ne songent qu’à travailler à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Plus tard ils deviendront des prêtres appelés saints ou des charlatans adroits grimaçant une vie pieuse. Les uns conservent toute leur vie les illusions du séminaire et les superstitions de la théologie et travaillent sincèrement et courageusement dans leur ministère ; ils sont l’exception. Les autres, au contact du monde, par l’étude sérieuse et réfléchie des dogmes romains, perdent leurs anciennes illusions et ne voient plus dans leur profession qu’un métier et qu’une comédie. Ce sont ces derniers qui crient le plus fort contre la république et la libre-pensée; peu soucieux de la gloire de Dieu, mais âmes damnées de l’église romaine, ils sont dans
- p.604 - vue 605/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 605
- la polémique religieuse, les chevaliers les plus avancés du Syllabus et du Pape; en même temps, ils sont hommes de plaisirs, de fraudes et d’adultères.
- Cependant, parmi ceux qui finissent par perdre leurs illusions théologiques, il y a des natures toujours sincères et honnêtes. Quelques-unes gémissent toute leur vie d’être condamnées à l’hypocrisie et au mensonge ; ce sont des martyrs de l’intolérance et des préjugés. Mais ceux qui sont plus virils et plus hardis ne consentent pas à continuer un tel rôle, ils disent adieu à l’église romaine et entrent dans le monde où ils deviennent de bons citoyens et d’excellents pères de famille.
- A certaines époques disséminées, le grand conseil du séminaire s’assemble. Supérieurs, directeurs et professeurs forment un conciliabule secret où YEs-priUSaint est tenu de résider en personne. On passe en revue tous les séminaristes les uns après les autres ; on considère leur origine ; la condition de leurs parents ou de leurs protecteurs, leur fortune personnelle, leurs qualités ou leurs défauts d'intelligence et de cœur ; et on se prononce, après cet examen, pour ou contre l’appel au sacerdoce. Alors de vives émotions préoccupent les jeunes séminaristes. Les hypocrites ont peur; l’hypocrisie est quelquefois découverte. Les niais et les bornés tremblent aussi. Ne va-t-on pas les exclure à cause de leur ignorance et de leur ineptie ? Quelques-uns ne tremblent pas ; ce sont les jeunes gens intelligents qui ont conscience du devoir accompli par le travail et la piété et en qui domine l’esprit de la confiance divine. D’autres jeunes hommes, intelligents aussi et doués d’une volonté énergique, tremblent pourtant et sont douloureusement agités ; ceux-là prétextent leur indignité devant une fonction que leurs directeurs leur ont montrée comme supérieurs aux fonctions mêmes des anges.
- Vient le moment décisif. Un directeur va frapper à la porte des bienheureux élus et leur apprend la grande nouvelle qu'ils sont appelés au sacerdoce.
- Il faut alors à chaque élu une nouvelle discussion de ses attraits et de sa vocation sacerdotale. Cette discussion sérieuse et définitive se fait avec le confesseur ; celui-ci décide son pénitent au sacerdoce. Cette décision est de la part du directeur, qui a conscience des engagements qu'il va faire contracter à son pénitent, un attentat à la liberté. Et puisque ces condamnations d’hommes jeunes et illusionnés à une vie hybride et contre nature se font encore dans tous les séminaires de France, c’est un devoir de justice et de protection pour le gouvernement répu-
- blicain que de réformer ces institutions contraires à l’ordre public.
- L’êvêque connaît ses prêtres, tels qu’ils sont. Il les connaît, pour la plupart, paresseux, viveurs, hommes de plaisirs et de corruption. Il sait que le grand nombre restent dans le sacerdoce seulement parce qu’ils y sont, parce qu’ils ont fuit le plongeon, comme ils le disent communément. S’ils étaient sûrs de se créer une position dans le monde, s’ils ne redoutaient pas cette lutte pénible et écrasante qui attend tout prêtre déserteur de l’autel, ils se dépouilleraient de leur soutane et embrasseraient une profession ou un métier. Les évêques savent cela ; les supérieurs et professeurs des séminaires le savent. Et cependant, parce qu’ils ne veulent pas voir s’éclaircir les rangs du clergé, parce qu’ils savent que toute la force de l’église romaine réside dans ce bataillon noir qui porte la soutane, parce qu’ils comprennent bien que le plus grand danger de l’église romaine est de voir tarir les vocations ecclésiastiques, ils n’hésitent pas à fabriquer des victimes et à faire contracter à des jeunes gens, pour la plupart naïfs et inexpérimentés, des engagements antisociaux et injustes.
- Certes, nous avons le droit d’être étonnés quand nous voyons le gouvernement français aider les évêques dans cette œuvre. Ces jeunes gens, pour la plupart, croient à la vertu sacerdotale, à celle de leur évêque, à celle des vicaires et des curés qu’ils ont connus dans le monde. L'évêque connaît cette confiance juvénile. Mais il sait aussi qu’elle n’aura qu’une courte durée. Après quelque temps de séjour dans le monde, ces jeunes gens auront perdu, un assez grand nombre la foi aux enseignements théologiques, la plupart, la vertu et la pureté, tous à peu près le repos de l'esprit et la tranquillité de l’âme. Et cependant l’évêque les ordonne sous-diacres, diacres et prêtres et les condamne ainsi souvent à l’immoralité, à la corruption, toujours au malheur.
- Mais n’anticipons pas ; plus tard nous verrons le prêtr e à l’œuvre dans les collèges, dans les communautés de femmes, dans les pensions de jeunes filles, dans les paroisses et dans les missions.
- Un ancien Prêtre.
- p.605 - vue 606/836
-
-
-
- 606
- LE DEVOIR
- LES FEMMES OUVRIÈRES
- M. Martin Nadaud a utilisé ses vacances parlementaires en s’occupant de la situation des ouvrières adultes qui travaillent en atelier. A cet effet, il a écrit à un grand nombre d’ouvriers syndiqués de nos différentes villes manufacturières la lettre suivante :
- Citoyen,
- A la date du 17 juin dernier, j’ai eu l’honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre des députés, une proposition de loi tendant à modifier la loi du 19 mai 1874, relative aux heures de travail des femmes mineures et des enfants.
- Dans mon nouveau projet, je laisse de côté ces deux catégories de travailleurs pour m’attacher à améliorer la lamentable condition des femmes adultes, employées dans les grands et petits ateliers, le plus souvent de 7 heures du matin jusqu’à 10 et 11 heures du soir.
- M’inspirant de la loi anglaise de 1867, qui réduit à 10 heures la journée des ouvrières dans tous les ateliers, sans exception, je voudrais arriver au même résultat chez nous.
- Si, comme je fi’espère, les membres des différentes chambres syndicales ouvrières me prêtent leur com cours, la campagne sera conduite avec prudence, mais aussi avec beaucoup d’énergie, j’ose vous l’affirmer.
- Je pense qu’en m’adressant à des ouvriers syndiqués et sincèrement républicains et socialistes, je n’ai besoin d’entrer dans aucun détail. Faites-moi connaître, je vous prie, l’état réel des ouvrières de votre localité (salaires, heures de travail par jour, prix des logements, distance à parcourir pour se rendre à la fabrique, etc., etc.)
- En vous occupant de cette intéressante question, vous ne perdrez pas votre temps, car je prends au sérieux le mandat que les électeurs ont bien voulu me confier.
- Cordialement à vous.
- Martin Nadaud.
- Sur ce point, nous sommes volontiers avec M. Martin Nadaud, et nous pensons que la Chambre des députés, qui a dû repousser, il y a deux ans, le rapport de M. Richard Waddington, tendant à réduire à 10 heures la durée de la journée de travail des ouvriers employés dans les* usines et manufactures, pourra se montrer plus accommodante à l’égard des ouvrières.
- En ce qui concerne les femmes ouvrières, la réduction de la durée de leur travail touche à des questions de haute moralité, qui priment toutes les autres considérations.
- Il importe avant tout que la femme ouvrière, mère de famille, puisse donner à ses enfants les soins que
- l’hygiène réclame, et l’éducation des premières années qui influe sur toute l’existence. Or, si cette femme est occupée au dehors de son ménage de sept heures du matin à dix et onze heures du soir, ses enfants dorment quand elle part de son logis, et ils dorment lorsqu’elle y revient. Leur éducation est faite par des étrangers # Ce n’est pas en vain qu’on dit qu'il faut aux enfants les soins de leurs mères. Les conséquences de cet abandon forcé se traduissent par "des mœurs relâchées,, et par des statistiques criminelles lamentables.
- D’autre part, les forces de la femme ouvrière lui permettent-elles de rester aussi longtemps dans un atelier, où l’atmosphère est loin d’être saine ? Elle s’use avant l’âge, d’autant plus que son salaire minime ne lui permet pas de se nourrir suffisamment. Qu’en résulte-t-il ? Lorsque les ouvrières sont jeunes, elles se dégoûtent de leur métier, et la plupart d’entre elles se livrent pour goûter d’une vie moins pénible. Ce premier pas les entraîne loin dans l’abîme. Elles deviennent mères. Leurs séducteurs les abandonnent. Alors, elles ont recours à la prostitution, dont les ravages dans la société sont aujourd’hui si grands, que les Chambres vont être saisies, à la rentrée, des moyens de les atténuer.
- Il nous semble qu’il vaudrait mieux couper le mal dans sa racine, c’est-à-dire ne pas tolérer que les femmes ouvrières fussent occupées si longtemps et si péniblement dans les ateliers, afin qu’elles puissent soigner comme il convient leurs ménages et leurs familles. Aussi, estimons-nous que M. Nadaud a été sagement inspiré en déposant sa proposition de loi.
- LE PAUPÉRISME
- [Suite]
- Nous avons recueilli les résultats comparatifs des recettes et des dépenses de la plupart des sociétés de secours mutuels depuis 1865. Il résulte de ces renseignements que la recette moyenne par membre est de 17 fr. 71 contre une dépense moyenne de 15 fr. 37. Les dépenses ont été nécessitées, par une proportion pour 100 membres,de 28.15 malades, qui ont reçu un prix de journée de maladie, pendant une durée moyenne de 5 jours 51. Les frais de maladie (médecins, médicaments, etc.) ont été payés pendant 20 jours 14 pour 100 sociétaires, ceux de gestion ont été, pour 100 francs de la dépense totale, de 0 fr. 89.
- Ces quelques chiffres permettent d’apprécier dans quelle mesure peut s’étendre l’action bienfaisante ! des sociétés de secours mutuels. Nous devons ajouter que les résultats des sociétés peu nombreuses
- p.606 - vue 607/836
-
-
-
- LÈ DEVOIR
- 607
- sont de beaucoup supérieurs à ceux des sociétés importantes, où la difficulté de surveiller et de prévenir les abus s’accroît en raison du nombre des sociétaires. On n’a pas encore pu fixer les cotisations des sociétaires d’après des tables de maladie et de mortalité préparées chaque année par le gouvernement. Nous appelons l’attention du gouvernement sur cette lacune, qui ne peut qu’être préjudiciable au bon fonctionnement des institutions.
- On a critiqué l’intervention de l’Etat au point de vue de la subvention, en s’appuyant sur un des principes de la science économique, qui condamne l'immixtion des gouvernements dans la gestion des intérêts privés. Nous répondrons qu’ici l’intérêt est essentiellement public et général, puisqu’il s’agit de l’amélioration des conditions d’existence des classes ouvrières.
- On a reproché aussi à ces institutions de favoriser la paresse chez l’ouvrier, de le contraindre souvent à prendre des engagements qu’il ne peut tenir ou qui sont trop onéreux, enfin de ne pouvoir conjurer les chômages.
- Il est évident que dans la masse des sociétaires on rencontre des individus qui simulent une indisposition pour ne pas se rendre à leur travail; mais outre la constatation de la maladie pa ’ le médecin, ce qui rend une simulation assez difficile, l’intérêt même de l’ouvrier l’excite à travailler, puisque l’indemnité pécuniaire qui lui est allouée par la société est toujours inférieure au montant de son salaire. D’autres ont quelquefois essayé de combler ces indemnités en adhérant à plusieurs sociétés, et ont touché par ce moyen une somme supérieure au produit de leur travail. Il est facile de prévoir cet abus en invitant les sociétés à se communiquer mutuellement la liste de leurs membres.
- L’observation relative aux cotisations que l’on trouve trop élevées mérite d’attirer l’attention. Il est évident que des recherches auraient dû être faites depuis longtemps sur ce point. Il nous semble que les sociétés de secours mutuels n’étant qu’une sorte d’assurance de l’ouvrier contre certains risques, la cotisation peut être assimilée à la prime des Compagnies d’assurances. On devrait donc établir des tables suivant le sexe, l’âge, la profession des sociétaires. Un tel travail aurait pour résultat immédiat de faciliter l’accès des sociétés à ceux qui a’ont pu jusqu’ici en faire partie.
- Si les institutions propres à développer chez l’ouvrier l’esprit de prévoyance sont impuissantes à conjurer les chômages, est-ce une raison pour les rejeter? Evidemment non, puisqu’il n’existe jusqu’ici au-cun moyen d’empêcher les crises commerciales. On I
- n’ira pas, en effet, jusqu’à prétendre que la charité publique ou privée prévient la suspension du travail industriel, et cependant la bienfaisance est utile, nécessaire, et tout homme s’honore de la pratiquer. Or, la bienfaisance, qu’elle émane de l’Etat ou des particuliers, a l’inconvénient de placer celui qui en est l’objet dans une condition inférieure à celui qui l’exerce.
- Certes, en face de la misère, il n’y a pas lieu pour l’assisté de manifester un sentiment de susceptibilité; mais nous demandons aux adversaires du principe de la mutualité ce qu’ils préféreraient : d’être secourus par un bienfaiteur dont ils deviendraient par le fait les débiteurs, ou bien de recevoir le fruit de leur prévoyance et de leur économie ?
- L’association a en outre l’avantage de répandre librement ses bienfaits sans porter atteinte aux convictions individuelles ; il n’en est pas de même de la charité, qui, lorsqu’elle ne s’exerce pas dans l’unique but de soulager l’humanité, peut froisser les opinions, sinon devenir une propagande. D’autres considérations qui n’ont pu prendre place ici démontreraient aussi la part considérable que les sociétés de secours sont appelées à prendre dans la situation matérielle des classes ouvrières. Nous reviendrons sur cette question, particulièrement intéressante à oau’Sfedes intérêts multiples qu’elle embrasse. Nous croyons que les associations, dont le succès est aujourd'hui incontestable, hâteront la solution du problème des slasses laborieuses, et concourront à l’extinction du paupérisme dont une des causes principales est l’imprévoyance.
- OHÉ ! MULLER, OHÉ !
- Un peu bruyante sans doute, mais bien franche, la gaieté qui, les dimanches et fêtes, circule sur là ligne deVincennes. De Paris à la Yarenne, chaque train jette en passant sa fusée de fous rires et ses rumeurs joyeuses. C’est surtout le soir, au retour de ces échappées dans la campagne parisienne, qu’il faut entendre à chaque station la formidable explosion de la joie populaire en rupture de fortifications.
- Aux portières, ce ne. sont que , faces enluminées échangeant les lazzis les plus fantaisistes et les interpellations les plus imprévues ; à l'impériale éclatent des fanfares d’orphéonistes qui, ù défaut d’harmonie,
- ' ‘ " * ' : ; - - ! ' • JJ
- p.607 - vue 608/836
-
-
-
- 608
- LE DEVOIR
- mettent au service de leurs cuivres d’infatigables poumons. Et quels chœurs ! Ici, Un jambon de Mayence qui en est à la centième édition ; là, Un petit navire qui n’en finit pas de naviguer ; plus loin, un Frère Jacques, dormez-vous ? à réveiller les morts. Le tout entrecoupé d’appels, d’interjections, d’onomatopées, de gloussements, de mugissements qui s’entre-croisent dans cette Babel qui roule. De la locomotive au wagon des bagages serpente un immence Ohé ! ohé ! qui semble faire au train comme une ceinture de gauloiserie. Qui n’a vu ça ne sait rien des mille cris de Paris.
- M. Prosper-Anselme Parizaut, teinturier, a vu tout ça et ne désire pas le revoir, si on en juge, par la poursuite pour coups et blessures qu’il vient d’intenter devant la 9e chambre du tribunal de la Seine au sieur OnésimeBovalet. Ecoutons-le narrer sa mésaventure.
- Pour lors, dit-il, j’étais allé le dimanche 6 août, avec mon épouse, souhaiter la fête à notre tante,'qui s’appelle comme qui dirait Gaëtana, et qui est en villageture (Rires) à Fontenay-sous-Bois. On avait passé la journée confortablement, même qu’on était allé tous en chœur pêcher à la ligne, même que ça ne mordait pas...
- M. le président. — Laissez ces détails oiseux.
- Le plaignant. — Z-oiseux, comme dit M. le président mais je voulais donner au tribunal une faible teinture...
- Le prévenu (ironiquement). — Ici, il n’y a pas d’teinturier, il n’y a que de la justice.
- M. le président. — Voyons, n’interrompez pas ; et vous, plaignant, allez au fait.
- Le plaignant. — M’y voilà. Donc que nous revenions, avec mon épouse et moi, par le chemin de fer de Vin-cennes. Le train était archi-plein ; enfin on nous case, tant bien que mal, dans un compartiment de seconde. Mais dans quel milieu, mon président ! J’espérais me recueillir. Ben oui ! j’vous en donne mon billet. C’étaient tous jeunes gens et jeunes personnes hurluberlus, qui faisaient des cris d’animaux, à se croire dans une vraie basse-cour ; avec ça qu’ils avaient des amis dans le compartiment voisin et qu’ils s’amusaient à s’envoyer des mots et des calottes par la portière ! Enfin, bref, faut croire qu’il y en avait un qu’ils avaient perdu, parce que dans le compartiment voisin ils criaient tout le temps : Ohé ! Muller, ohé ! que ça devenait agaçant à la fin.
- Aussi, voilà que je passe la tête à la portière pour demander ce qu’ils voulaient à ce Muller ; mais subito, v’ian ! je reçois sur la joue gauche une giroflée à cinq feuilles, que j’en ai vu trente-six chandelles. (Montrant le prévenu.) M. Onésime Bovalet, ici présent, venait de violenter un paisible teinturier et père de famille. Mais pas moyen de se dérober à la justice, monsieur le président. (Triomphalement.) J’avais saisi au passage la main homicide, et je la serrai comme dans un étau jusqu’à la station de Bel-Air. Là, j’appelle l’autorité.
- Le conducteur du train arrive ; je lui conte mon cas.
- « Eh bien, qu’il me dit, c’est-y vous Muller ? — Mais non, c’est pas moi ! — C’est pas vous ? Eh bien, alors rentrez dans ie train ; il y a mal donne. (Rires.)
- M. le président. — Vous concluez dans l’assignation à 10,000 fr. de dommages-intérêts. Le soufflet que vous avez reçu a-t-il causé quelque lésion dans votre organisme ?
- Le plaignant. — Pour ce qui est de Yorguenisme, non ; mais j’ai été blessé dans mon moral. C’est la teinturerie française qui a été gifflée en ma personne I
- M. Onésime Bovalet, garçon coiffeur, explique au tribunal qu’il n’a calotté M. Périzaut que pour rire. « Partout, dit-il, on criait « Ohé ! Muller ! » et on s’amusait à se lancer des bourrades d’une portière à l’autre. Pour passer le temps, quoi ! Moi, j’ai reçu comme ça une calotte, en riant, que j’ai passée à mon voisin. Pourquoi aussi que M. Parizaut mettait sa tête à la fenêtre ? J’ai cru qu’il était du jeu. Je dois ajouter que monsieur m’a tellement serré le poignet en m’arrêtant, qu’il m’a enfoncé mon bouton de manchette dans la chair, même que j’ai eu du mal à le retirer. (Sourires d’incrédulité.)
- Le prévenu, exprimant un sincère repentir de son acte et protestant du profond respect qu’il a toujours eu pour la teinturerie française, le tribunal ne le condamne qu’à 16 fr. d’amende et aux dépens.
- C’est égal, M. Prosper-Anselme Parizaut n’oubliera pas la fête de la tante Gaëtana !
- Jean Débonnaire.
- ——
- Un propriétaire assez pratique, que ses rhumatismes empêchent de descendre à la cave, est obligé d’y envoyer son domestique, nouveau venu à son service.il lui demande donc :
- — Savez-vous siffler?
- Le domestique s'exécute
- — Bien, mon ami, très bien, le son est perçant et soutenu, rien de mieux ! Quand vous irez à la cave, vous sifflerez tout le temps, comme cela. Je serai sûr que, pendant que vous sifflerez cet air, vous ne sifflerez pas
- irmn vin ! ! !
- — Une vieille coquette rencontre l’autre jour une de ses amies et lui dit :
- — Tu sais, c’est ma fête aujourd’hui, qu’est-ce que tu me donnes ?
- — Ma foi, répond l’amie, je te donne quarante-cinq ans bien sonnés.
- Le comte de B... rentre chez lui hier, à l’improviste, venant de passer la belle saison à la mer. II trouve François, son valet de chambre, dans un état d’ébriété difficile à dissimuler.
- Il lui fait de vifs reproches, qu’il termine par cette apostrophe :
- — Malheureux ! tu n’as donc aurnn amour-propre ?... Si, dans cet état-là, on te ramassait dans la rue ?...
- — Oh ! monsieur le comte n'a pas à s’inquiéter, balbutie l’ivrogne... J’ai toujours une carte de monsieur le comte sur moi !...
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneür, Grand’Place, 86.
- p.608 - vue 609/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. - n° 212. Hhe numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 1er Octobre 1882
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr. »» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr. »» Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- ÜL ’W JEL f®sS
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé au bureau de Guise après le 4e numéro, Vadministration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La Morale dans Vhumanité. — Nouvelles du Familistère. — Faits politiques et sociaux. —VUnité de la vie passée, présente et future. — Le Travail à travers les âges. — Pourquoi tromper ? — Etat-civil. — Le Magnétisme. — Lakanal. — La Question du Concordat. — C'est la loi. — Suppression du Baccalauréat. — La Langouette.
- LA MORALE DANS L'HUMANITÉ
- I
- Dans notre siècle tourmenté par cl’ardentes aspirations, trop lentes à satisfaire vers le progrès, tout le monde sent, comprend et formule le besoin urgent de réformes dans le domaine de la politique et dans celui de l’économie sociale. Depuis que la forme du gouvernement a cessé d’être en opposition Avec les saines notions des droits et des devoirs des hommes et des peuples, depuis que la Souveraineté a été restituée à son légitime possesseur, la nation,
- la nécessité de ce progrès est devenue manifeste, et l’on peut dire d’elle ce que disait de la République le général Bonaparte : Elle est comme le Soleil, aveugle qui ne la voit pas.
- Oui les réformes politiques et sociales en vue du progrès de l’humanité sont urgentes, parce que les institutions actuelles ne sont pas encore suffisamment conformes aux exigences de la vie, aux prescriptions de cette grande loi primordiale de tous les êtres, la Loi suprême de la vie. Tout n'étant certainement pas pour le mieux dans notre globe, il est du devoir de tout le monde de travailler de toutes ses forces à y améliorer de toutes manières les conditions de l’existence. Aux lois injustes encore en vigueur qui sont un fâcheux héritage de régimes mauvais heureusement disparus, il faut en substituer d’autres qui respectent et protègent d’une façon plus équitable les droits formels 'de tous, sans exception, au lieu de n’accorder, comme celles d’aujourd’hui, leur protection qu’à certaines catégories privilégiées de citoyens, au détriment des autres. Il faut que l’égalité humaine soit mieux établie légalement, et que la liberté plus respectée permette aux initiatives fécondes de se produire et de travailler efficacement à l’œuvre commune.
- Mais pour que ce vaste travail de réformation politique et sociale puisse s’accomplir utilement et porter tous ses fruits, il est nécessaire que les mœurs des peuples soient réformés aussi, dans le sens du bien et du juste, de telle sorte que le champ de la morale humaine soit parfaitement préparé pour recevoir la précieuse semence et la faire germer et fructifier. Les peuples n’ont guère fque les lois que leur morale comporte, et c’est ce qui fait dire à Mon-
- p.609 - vue 610/836
-
-
-
- eio
- LE DEVOIR
- tesquieu que » quand un peuple a de bonnes mœurs les lois deviennent simples. » Plutarque raconte que Solon, interrogé s’il croyait que les lois qu’il avait données aux Athéniens étaient les meilleures, répondit : « Je leur ai donne les meilleures lois de celles qu’ils pouvaint souflrir. » Donc pour mériter et obtenir de bonnes lois, il faut avoir de bonnes mœurs, une manière de faire et de vivre de tous points conforme aux lois sacrées de la morale.
- Cela posé, il nous paraît utile d’étudier sérieusement la nature et les caractères essentiels de la morale, afin de voir clairement en quoi pourra consister le progrès indispensable à réaliser en vue du perfectionnement complet de l’homme, soit dans les mœurs, soit dans les institutions politiques et sociales des peuples.
- La morale est la Science qui a pour objet, dans ses applications, la production du bien. C’est par suite d’une équivoque fâcheuse que l’on a reconnu l’existence dans le monde de diverses sortes de morale, et que l’on dit: il y a la morale des anciens, celle des modernes, la morale des Orientaux, des Turcs, des Chinois, celle des hommes libres, celles des nations à esclaves ; c’est à tort que l'on affirme que les païens en avaient une différente de celle des Chrétiens, et que dans le sein du christianisme même on en trouve plusieurs, la morale idéaliste, mystique de saint Paul, la morale philosophique et sentimentale du vicaire Savoyard, celle des divers ordres religieux, la morale facile et mondaine des Jésuites, qui est combattue par la morale raide et austère des Jansénistes.
- « Qu’est-ce donc, s’écrie Voltaire, que la morale de Socrate, de Zaleucus, de Charondas, de Cicéron, d’Epictête, de Marc Antonin ? Il n’y a qu’une morale, comme il n’y a qu’une géométrie. Mais, me dira-t-on, la plus grande partie des hommes ignore la géométrie. Oui ; mais dès qu’on s’y applique un peu, tout le monde est d’accord. Les agriculteurs, les manœuvres, les artistes n’ont point fait de cours de morale, ils n’ont lu ni de Finibus, de Cicéron, ni les Ethiques d’Aristote ; mais sitôt qu’ils réfléchissent ils sont sans le savoir les disciples de Cicéron ; le teinturier Indien, le berger Tartare et le matelot d’Angleterre connaissent le juste et l’injuste. Confucius n’a point inventé un système de morale comme on bâtit un système de physique. Il l’a trouvé dans le cœur de tous les hommes. »
- Nous avons vu de nos jours, le clergé catholique, à propos des lois sur l’éducation récemment discutées et votées, revendiquer exclusivement pour eux l’enseignement de la morale, et soutenir avec insistance qu’en les éloignant de l’école, on en écartait
- par le seul fait l’instruction morale de la jeunesse. Rien n’est plus faux, plus mensonger que cette prétention. « La morale, dit encore Voltaire, n’est point dans la superstition, elle n’est point dans les cérémonies, elle n’a rien de commun avec les dogmes. On ne peut trop répéter que tous les dogmes
- sont différents, et que la morale est la même chez tous les hommes qui font usage de leur raison. La morale vient donc de Dieu, comme la lumière ; nos superstitions ne sont que ténèbres. »
- Ce qui prouve surabondamment cette vérité de l’unité de la morale chez tous les hommes de tous les temps et de tous les peuples, c’est que tous les législateurs, tous les chefs de doctrines à toutes les époques ont à cet égard professé les mêmes principes. Sous des formes différentes, tous ces réformateurs, fondateurs de religions ou de peuples ont constaté les mêmes faits, codifié les mêmes idées, formulé les mêmes lois.
- Le plus ancien d’entre eux, Manou recommande la pratique des vertus qui constituent le devoir, et qui consistent à ne jamais nuire à autrui ni même en concevoir la pensée, à rendre le bien pour le mal. Rends le bien pour le mal, imite le bois de Sandal qui embaume la hache qui le coupe. Après lui, Mânes en Egypte édite à son tour des préceptes analogues, ainsi que Zoroastre dans la Perse, Minos en Grèce, Moïse dans la Palestine, Confucius en Chine et Jésus le dernier en date dans la Judée.
- Ainsi dès la. plus haute antiquité, tous les grands initiateurs ont révélé aux hommes les salutaires préceptes de la grande loi morale de l’humanité, qui peut se résumer dans la recommandation si éminemment humaine du Christ : « Aimez-vous les uns les autres ; faites du bien même à ceux qui vous font du mal », ou dans la belle formule du moraliste chinois Meng Tseu : « Il n’y a dans le monde que deux grandes voies : celle de l’humanité et celle de l’inhumanité. » Zoroastre avant eux avait dit: « Appliquez-vous à penser le bien, à dire le bien et à faire le bien, et évitez le mal en pensée, en parole et en action. »
- La morale est dans un sens plus étroit, la science des droits et des devoirs, et elle est réalisée dans la pratique par le respect du droit ou, ce qui est au fond la même chose, par l’accomplissement du devoir. « Partout ou s’éveille l’idée du juste, dit M. Barrier, surgit en même temps celle dune obligation, et comme cette idée ne peut naître que dans les rapports d’une personne avec elle-même ou avec d’autres personnes, cette obligation est, comme le mot l’indique, un lien qui rattache l’un à l’autre par une action réciproque s’exprimant, d'un côté par le
- p.610 - vue 611/836
-
-
-
- LK DEVOIR
- 611
- droit et de l’autre par le devoir. On a peine à comprendre que la justice puisse avoir un objectif autre que la personne humaine, et qu’il existe d’autres devoirs que ceux qu’on a envers soi-même et envers autrui. »
- Il est cependant des cas où l’idée du bien moral, du juste, s’élève dans notre âme, provoque notre adhésion, notre assentiment et nous entraîne à donner à cette approbation la sanction efficace de nos actes. C’est alors qu’on arrive véritablement à faire le bien pour le bien, à pratiquer la vertu pour elle-même, et à accomplir la justice en vue de la justice purement et simplement. C’est ainsi que l’on fortifie en soi le sens moral et qu’on peut contribuer à le développer chez les autres par l’ascendant toujours puissant de l’exemple.
- La morale ayant pour but la production du bien, il est nécessaire : 1° De définir son objet, le bien, et de donner un critérium positif et certain pour distinguer ce qui est bien de ce qui est mal ou de ce qui est indifférent, et pour mesurer les degrés du bien et du mal ; 2° De déterminer les moyens les plus efficaces de produire le bien, et de détruire le mal dans la société humaine.
- L’attribut essentiel de l’être dans la nature, la fonction organique de l’Être Infini à laquelle toute existence doit concourir, c’est la vie. La vie est le but et la fin de tout être, et l’humanité n’a d’autre mission sur la terre que d’y faire fructifier et prospérer la vie, et c’est par le travail qu’elle peut accomplir la loi de vie.
- Les générations se succèdent, travaillent, fécondent le sol, chacune à leur tour, et continuent le travail incessant que leurs ancêtres ont accompli et que leur postérité accomplira après elles, uniquement pour continuer, entretenir et perpétuer la vie. Le minéral qui perce son iilon dans les flancs de la montagne, l’arbre qui abrite sous ses rameaux touffus tout un monde de petits oiseaux, de papillons ou d’éphémères, l’homme qui creuse péniblement son sdlon dans la plaine où germera le grain, la comète flamboyante qui parcourt les immenses étendues de Lnfmi, la radieuse planète qui décrit majestueusement son orbite dans l’espace, le soleil éblouissant qui répand partout autour de lui la lumière et la chaleur, tout concourt dans la nature à l’oeuvre providentielle et divine de la vie qui est un but en meme temps qu’un fait, une tâche et une mission L)ut à la fois.
- La vie, voilà donc le véritable critérium du bien du mal dans le monde. La loi suprême de vie dominant toute loi, le bien dans l’humanité est donc
- tout ce qui est en accord avec la vie humaine, et le mal tout ce qui lui est contraire. Le bien est conforme aux besoins de la vie, et le mal est contraire à ces mêmes besoins.
- Le bien, au point de vue politique et social, défini de la sorte et bien compris rend plus facile l’application dans la pratique des deux grands préceptes qui résument le code moral de l’humanité :
- Agir envers les autres comme tu désires qu’ils agissent envers toi.
- Abstiens-toi à l’égard des autres de ce dont tu désires qu’ils s’abstiennent à ton égard.
- {A suivre).
- NOUVELLES DU FAMILISTÈRE
- Dans rassemblée générale extraordinaire des associés tenue le 17 septembre,
- MM. Laporte Emile,
- Lecaîl Alphonse, père,
- Lefèvre Dominique, ont été élus associés.
- Dans la même séance, M. Jules Sekutowicz, directeur de la fonderie, a été admis à la fonction de Conseiller de Gérance.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- üLti question é^yptie*s*ïe. — Les journaux anglais continuent à disserter sur l’usage que l’Angleterre doit faire de sa victoire. Le Times plaide le désintéressement de ses concitoyens, et ii les défend du soupçon d’avoir fait l’expédition d’Egypte dans le but de s’assurer dans ce pays des avantages exclusifs, au détriment des autres nations européennes. Mais si la Grande-Bretagne agit dans l’intérêt commun, elle agira seule et n’acceptera aucune collaboration : on conuaît cette thèse, le Times l’a déjà longuement soutenue, en s’attachant à démontrer qu’aucune des puissances ne songe à contrecarrer l’œnvre que l’Angleterre va entreprendre f3ur les bords du Nil.
- Aujourd’hui, le Times se montre particulièrement préoccupé de prévenir les susceptibilités de la France, et, tout en nous avertissant que bien des choses seront changées et que la restauration de l’ordre ne signifie point le rétablissement pur et simple du statu quo ante, il affirme que le gouvernement de la reine s’efforcera de régler, autant que possible, son action sur les vues de la France ; il nous promet que l’Angleterre n’oubliera pas les obligations d’une alliance trentenaire et qu’elle ménagera lès intérêts commerciaux de la France aussi bien que les intérêts politiques constitués par notre situation de puissance africaine.
- Le Times donne une note moyenne. Tout autre est le ton du Standard,, qui reflète les allures hautaines de. la politique impériale de lord Beaconsfield,et qui,d’ailleurs, fait d’autant meilleur marché de nos titres, qu’il soupçonne le cabinet au pouvoir de trop de ménagements pour nous. L’organe du parti tory proclame hautement
- p.611 - vue 612/836
-
-
-
- 612
- LE DEVOIR
- que le contrôle anglo-français est mort, sans aucune chance de résurrection. « Il a péri dans l’incendie d’Alexandrie, et le rejet des crédits par la Chambre française en a honteusement dispersé les cendres. » Le Standard estime que le gouvernement britannique a poussé Je respect des scrupules de la France jusqu a l’oubli des intérêts dont il avait la garde; pour complaire à notre pays, il a consenti à aller à la conférence qui n’a imaginé d’autre solution qu’un mandat illusoire donné à la Porte. L’impuissance démontrée du concert européen a délivré l’Angleterre de toute obligation internationale ; elle n’a de conseil à prendre que de son intérêt, et si, comme de juste, elle respecte celui des autres, ce sera seulement dans la proportion qu’elle ne lésera pas ainsi le sien propre. Le Standard pense que l’opinion publique, sur le continent, accepte ces conséquences de l’Intervention anglaise. Quant à la sanction du concert européen, le journal tory en fait asssez bon marché, et conseille au gouvernement anglais de fonder l’édifice qu’il s’agit d’élever en Egypte sur de dont autres bases que sur un contrat international.
- k
- ¥ *
- ILo général « Sterling. » — M. Léon Cahun, du Phare de la Loire, qui connaît l’Orient pour l’avoir pratiqué, ne donte point que sir Garnett Wolseley n’ait trouvé un puissant auxiliaire dans le général Sterling. Après avoir donné ses raisons il termine ainsi :
- ...........................Je ne sais pas combien a
- coûté*aux Anglais la conscience musulmane des généraux égyptiens et des cheikhs bédouins qui étaient établis sur leur flanc droit entre le Tell et K ar a ï in - s a 1 h ê i é ; mais, ce que j’affirme, c’est qu’il n’y a pas une difficulté orientale, dans la zône comprise entre Liban du Nord, Euphrate et Nil, dont on ne vienne à bout moyennant finances. Le général Wolseley a dit, il y a un mois,qu’il ferait son entrée au Caire le ib septembre. Je comprends qu’il ait été exact : la date était une échéance. C’est la victoire à trente jours, fin courant.
- ¥ ¥
- 3Le canal dLe ëhiez et le contrôle. — Il y a deux questions en Egypte : la neutralisation du canal de Suez et de ses dépendances ; le sort du peuple égyptien. Ces deux questions sont liées, car, ainsi que M. Ch. Lemonnier l’a clairement démontré dans une Conférence sur la Crise égyptienne, la neutralisation sérieuse du canal exige la neutralisation de la Mer Rouge, des canaux d’eau douce, de l’Egypte elle-même, ce qui implique l’indépendance du peuple égyptien. Pratiquement, cependant, il semble que ces deux questions doivent être traitées à part. Nous n’avons jamais douté de M. Gladstone ; cet odieux bombardement d’Alexandrie, que rien n’excuse, doit probablement être passé au compte particulier de l’amiral Seymour, et s’expliquer par un abus de cette autorité absolue que la condition même de la guerre est de laisser passer, ne fût-ce que vingt-quatre heures, à l’arbitraire brutal des commandants militaires. Or, sans même parler de la justice, seule base du droit international aussi bien que du droit civil, l’intérêt particulier de l’Angleterre est que les communications de l’Inde avec ia Grande-Bretagne soient en tout temps libres et ouvertes sans interruption à ses vaisseaux de guerre autant qu’à ses navi- 1 res de commerce. Eb bien, le procédé le plus efficace pour s’assurer à elle-même cette libre et incessante communication est d’intéresser solidairement toutes les nations à se la garantir mutuellement, car l’Angleterre ôtant sans contredit la plus forte, il lui suffira de faire partie de la fédération qui garantira cette communication, pour avoir en quelque sorte dans la main le moyen de la faire respecter. Reste le cas spécial d’une guerre avec un peuple quelconque, soit, par exemple, avec la Russie, qui, voulant attaquer l’Angleterre par l’Inde, userait du canal pour le passage de sa flotte. L’objection est puérile, le canal et la Mer Rouge étant neutres, par conséquent toujours ouvertes à toutes les flottes et | à toutes les armées sous la condition rigoureuse de 1 s’abstenir durant le passage de tout acte belliqueux, î
- l’Angleterre aura toujours la facilité d’attendre Tennemi au débarquement, la neutralité ne gêne donc en rien ]a libre défense.
- En ce qui touche l’indépendance du peuple ôgyptien deux points sont essentiels : la suzeraineté de la Turquie qu’il y a justice à faire disparaître, et le contrôle anglo-français que l’honneur des deux gouvernements qui ont commis la faute de l’établir est de détruire.
- Un mode de neutralité très simple ce serait la présen. tation par l’Angleterre à la Conférence européenne <TUn traité tout signé entre elle et la Turquie, stipulant à la fois la neutralité du canal, de la Mer Rouge et de l’Egyte et le rachat de la suzeraineté. L’adhésion de l’Italie et de la France emporterait la balance, car on ne voit point que l’Allemagne eût aucun motif de refuser son consen-tement. Or toute hésitation de 1 Italie ou de la France serait une grande faute.
- *
- * ¥•
- Congrès ou Conférence? — Les grandes puissances commencent, assure-t-on, à attendre avec une certaine impatience les propositions de l’Angleterre pour le règlement de la question égyptienne. Le correspondant officieux de ia Gazette de la Croix croit savoir de bonne source que ni l’Allemagne ni la Russie n’ont jusqu’à présent parlé de congrès. On compte toujours sur les promesses de M. Gladstone ainsi que sur un protocole de désintéressement, et l’on ne doute pas que la conférence des ambassadeurs, —- cette conférence tant raillée, mais qui doit la vie au prince de Bismarck et qui n’a pas dit son dernier mot, — ne soit appelée bientôt à donner sa consécration à un arrangement qui conciliera tout ensemble les droits du sultan, les intérêts de l’Angleterre et ceux du reste de l’Europe.
- On s’attend à Vienne à ce que l’Angleterre fasse, dans quelques jours, des propositions concernant le règlement des affaires d'Egypte.
- Les nouvelles duTyrol et de la Styrie sont moins alarmantes. Malgré les pluies continuelles, le niveau des eaux baisse. Toutefois, la récolte de ces contrées est entièrement détruite. On déplore aussi la mort de plusieurs habitants qui ont été noyés.
- Une lettre de Darwin. —. Dans le congrès des naturalistes et médecins tenue le 18 septembre à Eisenach, il a été donné lecture de la lettre suivante, écrite, en 1879, par Darwin à un étudiant allemand dont la foi dans la révélation divine avait été ébranlée parla lecture des écrits du savant naturaliste :
- * Down, b juin 1879. — Monsieur, je suis très occupe, fort âgé et le mauvais état de ma santé m’empêche de répondre complètement à votre demande, à supposer même qu’on puisse le faire. La science n’a rien de corn-mun avec le Christ, si ce n’est qu’elle habitue ceux qui se livrent aux recherches scientifiques à user de prudence, et à n’accepter les faits qu’après mûr examen des preuves citées à leur appui. En ce qui me concerne personnellement, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu une révélation divine. Quant à la vie future, chacun doit se former lui-même une opinion, et choisir parmi lespw habilités vagues et contradictoires qu’on énonce a c® sujet celles qui lui conviennent. Je vous souhaite bonne santé et j’ai l’honneur de vous saluer.
- « CHARLES DARWIN. »
- ANGLETERRE
- L’Angleterre est victorieuse, mais toute victoire Pa* es armes se paie, la banque de Londres met l’escomp ,5 0/0.—MM. Parnell, Dillon et Davitt commence» m nouveau mouvement en Irlande. Ils Prenne„nU. nain, et ils ont grandement raison, l’intérêt des m*u rriers, des ouvriers agricoles, ils visent à obtenir i lomie de l’Irlande ; nous leur souhaitons bon succès
- p.612 - vue 613/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 613
- Le prochain passage de Vénus, qui se produira le 6 décembre, sera le dernier phénomène astronomique de ce
- eûre que verra notre génération, puisque le passage de Vénus sur le soleil n’aura plus lieu qu’en 2004. De toute la surface du globe, le lieu le plus favorable pour observer ce phénomène, dit le journal la Nature, est le sommet des montagnes Bleues de la Jamaïque. Là les astronomes trouveront un ciel toujours pur, et, de plus, de cette station, toutes les phases de l’entrée, de la sortie seront visibles, et la durée du phénomène sera, très longue, puisque, commencée à 8 heures 30, elle ne finira nu'à 3 heures. Les astronomes auront donc 428 minutes d’observation.
- ITALIE
- UOssermtore Romano publie une encyclique du pape adressée à tout l’épiscopat catholique, à la date du 17 septembre, dans laquelle le pape recommande la propagation du Tiers-Ordre dans le monde entier, comme un excellent moyen de rendre le riche charitable,le pauvre résigné, et de résoudre par la conciliation du riche et du pauvre le problème social.
- On sait que le fondateur de l’ordre des Franciscains établit, en 1221, un tiers-ordre pour les séculiers qui voulaient devenir « frères mineurs », ainsi appelés par raison d’humilité. Le tiers-ordre fut divisé en diverses branches, parmi lesquelles figuraient les Fraticelli et les religieux de Picpus, qui tiraient leur nom de l’abbaye de Paris. Les Franciscains, qui avaient pour rivaux ies Dominicains, fondèrent les ordres des Récollets, des Cordeliers et des Capucins.
- Les papes Nicolas IV, Alexandre V, Sixte IV, Sixte V et Clément XIV leur assurèrent une grande importance en Europe. Au dix-huitième siècle, ils possédaient 8,000 monastères et couvents, comprenant 115,000 religieux et 28,000 religieuses. Ils ont disparu de France avec les autres ordres religieux et se sont établis en grande partie dans l’Amérique du Sud. Ils ont la garde du Saint-Sépulcre à Jérusalem.
- *
- ¥ ¥
- Les grands fleuves italiens le Tessin, le Pô, l'Adige, l’Àda débordent, les campagnes sont sous l’eau,les villes inondées, les villages, les hameaux submergés. L’immensité des désastres présents présage l’immensité des misères futures. Quand donc le gouvernement fera-t il étudier sérieusement un ensemble de travaux publics qui mettent l’Italie à l’abri d’un fléau périodique? Rien n’est impossible aujourd’hui à la science et â l’art de l’ingénieur. Ce n’est point de canons ni de cuirassés que l’Italie a besoin mais de vastes canaux de décharge, d’irrigation et de transport qui transforment le régime torrentiel de ses fleuves.
- ESPAGNE
- On lit dans le Bulletin de la Gazette de VAllemagne du Nord, du 21 septembre:
- Il y a quelques jours, la capitale de l’Espagne a reçu la visite de plusieurs envoyés du sultan du Maroc,venus pour le règlement définif d’une affaire pendante depuis plusieurs années.
- Il s’agit, pour l’Espagne, d’acquérir certains points stratégiques avec les places de Ceuta et de Melilla,* moyennant la cession de l’ile de Santa-Cruz de Mar-Pe~ quena, que le traité de 1860 avait abandonnée à l’Es-pagne et qui est importante au point de vue de l’indus-trie de la pêche.
- Les négociations diplomatiques y relatives sont arrivées à un point qui fait prévoir une conclusion prochaine. Ainsi l’Espagne arrondira sa situation militaire sur la côte septentrionale du Maroc.
- .Le principal intéressé en cette affaire est donc le mi-uistre de la guerre d’Espagne, qui y gagnera une base solide d’opération sur le sol marocain en vue de toute éventualité guerrière qui pourrait se produire.
- A Barcelone, il y aura la semaine prochaine de grandes fêtes, y compris celle de Notre-Dame de la Miséricorde, qui attirent chaque année tout le peuple catalan,depuis les îles Baléares jusqu’à Perpignan.Courses de taureaux, tel le clou du programme. Il y aura bien l’inauguration de plusieurs marchés, d’un musée, de divers monuments, mais on parlera beaucoup plus du torero Lagar-tijo que du général Prim, le héros de 1868, et de Christophe Colomb, le glorieux navigateur, dont les statues doivent orner cette belle ville de Barcelone. A propos de Colomb, que les Génois réclament comme un concitoyen, que les Espagnols vénèrent avec piété et que la France oublie, savez-vous qu’il est né en Corse, à Galvi, où on veut maintenant lui élever une statue, sur le port même, par voie de souscription nationale? J’ai appris cela dans un mémoire rédigé par l’abbé Casanova, compatriote du grand marin, qui est un Français doublement patriote.il demande que l’on reconnaisse emChris-topbe Colomb un saint et un Corse ; la presse l’aidera volontiers dans la seconde partie de sa tâche, mais je me déclare incompétent pour la première, monsieur l’abbé i
- ISLANDE
- La situation de l’Islande est épouvantable. Quarante mille personnes sont pour ainsi dire sans pain, par suite de la perte de la moisson. Il y a en Islande un été très court qui permet à ses habitants de recueillir les denrées indispensables à la vie ; cette année, l’été n’est pas venu. L’herbe est restée sous terre ; les chevaux et le bétail sont affamés et la population est affreusement décimée par une violente épidémie de rougeole. On ne trouve généralement en Islande, ni pauvres, ni mendiants; sa population est courageuse et instruite; mais elle est obligée cette année de faire un appel au reste du monde et de demander de prompts secours. Les routes, en effet, sont barrées dès le mois d’octobre par les glaces. La moitié de ce que l’expédition d’Egypte a déjà coûté à l’Angleterre eût suffi amplement aux besoins de l’Islande.
- * *
- Edgar Poë aurait fait un joli conte avec l’anecdote suivante que le chroniqueur Charles Monselet rapporte aux lecteurs de Y Evènement :
- Le docteur Pouchet, que les sciences regrettent tous les jours, est l’inventeur d’un instrument merveilleux, Yaèroscope, à l’aide duquel on peut analyser des portions d’air dans leurs plus intimes secrets.
- Or, il y a quelques années, un de ses confrères de Lyon lui adresse une bouteille et une lettre.
- La lettre disait à peu près ceci : « Mon cher ami, voici de l’air que je viens de recueillir à l’instant dans mon cabinet. Faites-en l’analyse, et, d’après cette analyse, dites-moi quelle est la personne qui sort de chez moi. »
- Le docteur Poucbet sourit et se mit à l’œuvre.
- Il trouva dans l’air qu’on lui envoyait : 1° de la poudre de riz; 1° de la soie; 3° de l’hermine.
- Zadig n’eût pas hésité; le docteur Poucbet n’hésita pas non plus.
- Ses conclusions furent toutes naturelles. « La personne qui sort de chez vous, — écrivit-il au médecin de Lyon, — est une femme, une femme à la mode, coquette et riche. »
- Nouvelle lettre du Lyonnais :
- « Pas du tout; c’est un évêque. »
- Qui l’eût dit, docteur Pouchet !
- Qui l’eût cru, M. Freppel !
- p.613 - vue 614/836
-
-
-
- 614
- LÉ DEVOIR
- L’Unité de la vie passée, présente et fntnre ou l'immortalité individuelle et collective111
- JUSTICE
- XII
- « Assemblage de monstres de toute espèce, nature hostile, corps infirmes et hideux, crimes, blasphèmes, tortures, désespoir, toute misère est admissible pourvu que la mort n’y manque pas, car c’est elle qui sauve tout, en ouvrant au temps voulu, la porte qui des quartiers les plus désolés du labyrinthe pénitentiaire, conduit à des quartiers meilleurs. Conçue dans ces termes la loi est juste, répressive, terrible, et contrairement à la croyance du moyen-âge elle * a le mérite de n’olïenser ni le principe sacré de
- la miséricorde infinie, ni celui de la prépondérance nécessaire du bien fils du créateur, sur le mal fils de la créature, ni celui de l’immortalité naturelle de toutes les facultés de l’âme. La peine est mesurée à la proportion de la faute, et son degré est én raison de l’amplitude de la défoi mation, lorsqu’en même temps le genre de souffrance est le mieux appliqué à la nature du coupable. . Dans leur propension à améliorer le coupable par sa punition même, nos lois criminelles sont dans le vrai, comme elles sont dans le juste, car si elles n’aboutissent pas dans cette vie nous sentons du moins qu’elles s’y accordent avec une action supérieure qui aboutit dans l’autre, et après nous avoir fourni les principes de notre justice, notre conscience complète leurs effets en les ralliant avec confiance à ceux de la justice de Dieu .. Toute peine est immorale qui n’est pas proportionnée à la gravité du délit qu’elle concerne, qui respire la vengeance sans respirer la charité, qui ne tend pas à l’amendement du coupable.
- Jean Reynaüd, Ciel et Terre, pages 375, 377, 396 et 397.
- <c Versez des pleurs amères, la mort n’est que le commencement de la souffrance pour celui qui n’a pas rempli sa tâche. Jetez des lis à pleines mains, l’âme triomphe, elle est heureusement arrivée au terme de ses épreuves corporelles. »
- Nous bous inquiétons du sort des scélérats qui durant leur vie semblent échapper à toutes les punitions et qui même jouissent de tous les biens refusés par contre à des justes. Ce fait général ne saurait infirmer la justice éternelle. Il parait l’accuser seulement pour ceux qui veulent qu’elle frappe immédiatement comme si tout allait finir avec la vie corporelle, mais elle est justifiée dès que l’on reconnaît que chacun répond de ses actes sur l’ensemble de sa vie.
- Plus nous acquerrons de preuves que les joies terrestres du coupable sont réelles et non pas apparentes, qu’elles ne sont pas troublées, et qu’il n’a pas besoin d’efforts pour cacher un remords qu’il n’a pas conçu, plus nous devrons croire à un avenir prochain ou reculé mais positif dans lequel apparaîtront, le remords,le repentir et la réparation. Que la justice ait son heure dans la vie présente, et que la peine soit
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août ; 3, 10 17, et 24 septembre 1882.
- immédiate, ou qu’elle soit différée pour un temps térieur, c’est faiblesse d’intelligence que de voul0jr la peine et la récompense dès la vie présente, et au moment où le mal et le bien sont accomplis par chacun de nous. Le retard de l’une ou de l’autre ne saurait être difficile à concevoir. Il y a là une raison péremptoire d’admettre la continuité de la vie. La justice s’exerçant dans les existences subséquentes y trouve défavorables occasions de se satisfaire dans la plus exacte mesure. Chacun a un rôle d’expiation en rapport avec ses actes passés, et les générations portent la peine des fautes des générations précédentes. Ces fautes de leurs devancières qui sont en réalité les leurs, font qu’elles poursuivent une marche qui leur est funeste jusqu’à entraîner leur perte ou dont elles souffrent tant qu’elles n’en ont pas réparé les conséquences. Chaque Romain était le peuple Romain maître orgueilleux du monde, comme chacun de nous autres Français porte en lui les vices de sa patrie, pour lesquels il est journellement condamné et puni ; mais nous pouvons aussi porter en nous les vertus qui nous permettent de montrer à d’autres peuples nos frères la route de la civilisation.
- De plus en plus nous possédons parmi nous des hommes qui se nourrissent des œuvres des grands génies, qui se préoccupent de l’exemple des belles âmes, des puissantes créatures de l’idée, de l’art, et de l’industrie. Quelques-uns atteignent le but qu’ils se sont proposé, tous s’élèvent dans la vie, plus ou moins vite, selon leurs efforts. Ainsi s’accroît de plus en plus le nombre de ceux qui,suivant de nobles modèles, prennent leur place définitive parmi les amants de la grandeur et de la vertu.
- De même le nombre des cannibales diminue : il n’y a plus guère de sacrifices humains. Il n’y a plus de Nérons, ils ont expié et se sont amendés : le rôle des despotes tels qu’on en a vus ne séduit plus que les chefs de peuplades sauvages. Une bande de brigands et de contrebandiers armés ne pourrait plus être levée en France. Certains métiers deviennent tellement difficiles et ingrats que personne ne veut plus s’engager dans ces carrières aujourd’hui fort dangereuses et peu productives. Ce n’est plus par attrait et par passion comme jadis, qu’on tue, qu’on vole et qu’on trompe, c’est par nécessité, par misère, par famine et avec la pâleur du remords au front. On a horreur du sauvage qui se glorifie des meurtres qu’il a perpétrés. On ne sait plus ce que veut dire la chasse aux Ilotes. La traite des nègres et la piraterie jugées et délaissées n’enflamment plus personne. Quel empereur ferait dévorer par des bêtes féroces dans un cirque, des prisonniers de guerre et se plairait à entendre, ave Cœsar, morituri tesalutant.
- p.614 - vue 615/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 615
- C’est que le monde de la terre est déjà bien vieux, c’est que chacun de nous a vécu déjà bien des fois, et que laissant dans chacune de ses existences quelque chose de ses imperfections, il s’est amélioré d’une manière notable : c’est qu’il a modifié et amélioré avec lui la Société tout entière dont il fait partie. Peu à peu chacun a expié les actes plus ou moins criminels dont il s'est rendu coupable. Il ne nous reste plus à payer que nos moindres méfaits, à nous débarrasser des dernières imperfections. Ces forfaits monstrueux qui. de temps à autre nous épouvantent sont Vœuvre des retardataires. Dieu nous délivrera de ces horribles compagnons quand nous l'aurons tout à fait mérité, c'est-à-dire quand nul ne devra plus subir les peines que leurs actes infligent, ni ressentir le dégoût que leurs crimes font éprouver.
- Ainsi l’expiation est temporaire comme la faute, elle lui est proportionnée. La peine ne peut être éternelle que pour le vice éternel 'et sans repentir. Aussi devons-nous faire en sorte de hâter le moment auquel luira devant les yeux du coupable la lumière qui l’éclairera sur son passé, et lui fera concevoir le mérite et l’avantage du retour au bien. Comme il n’est pas permis de supposer qu’il en soit un seul qui résiste à nos exhortations et à notre pitié, l’éternité des peines apparaît désormais comme une doctrine sans application possible.
- (A suivre). P. F. Courtépée.
- LE TRAVAIL A TRAVERS LES AGES
- AVANT-PROPOS
- Tout dans l’Univers progresse et concourt à l’œuvre commune de progrès. C’est une loi naturelle supérieure à laquelle tous les êtres obéissent instinctivement, et qu’ils observent fidèlement au moyen du travail qui leur est propre, et qui varie chez chaque espèce suivant le plus ou moins d’étendue des facultés spéciales dont ses individus sont doués à cet effet. Le mieux doté de tous sous ce rapport, l’homme est l’être progressif par excellence,, et aussi la somme du travail qu’il est appelé à fournir dans cette collaboration universelle est-elle plus considérable, plus précieuse et plus utile que celle de tous les autres êtres réunis. C’est lui qui aide la terre à produire tout ce qui est nécessaire à la vie sous toutes ses phases et dans toutes les saisons ; c’est lui qui transforme la matière brute pour en faire des instruments de travail, de bien-être ou de luxe ; lui qui prévient et
- évite les catastrophes et les malheurs que l’œuvre de la nature provoque parfois, comme les débordements de3 fleuves, les éboulements, les incendies, etc. Si l’on a dit que l’homme est le roi de la création, l’on pourrait dire avec plus de raison qu’il est le roi du travail.
- Le travail s’imposa à l’homme dès le premier instant qui suivit son avènement dans le monde. Dès qu’il fut livré à lui-même, il eût à pourvoir à ses besoins, et la nécessité du travail se fit aussitôt sentir ; il devint le moyen de réalisation du progrès, son but suprême. Vouloir écrire l’histoire du travail ce serait donc entreprendre d’écrire l’histoire même de l’humanité, car l’humanité et le travail sont absolument inséparables, et leurs destinées ont une telle solidarité qu’on peut les considérer comme étant communes et identiques. C’est en effet par le travail seul que l’humanité subsiste et qu'elle se développe.
- L’histoire du travail, c’est l’histoire des succès et des revers de l’humanité, de son activité et de son indolence, de sa richesse et de sa pauvreté. C’est l’histoire des sciences qui découvrent et des arts qui appliquent ; de l’industrie qui transforme et du commerce qui transporte. C’est l’histoire de la justice et de l’injustice, de la sagesse et de la folie, de la servitude et de la liberté.
- Elle exigerait des volumes et constituerait l’œuvre la plus complète et la plus intéressante qui put être faite sur l’histoire universelle des peuples et des hommes. Ce n’est donc pas là que nous voulons entreprendre aujourd’hui. Notre objet est de tracer un tableau synoptique des diverses vicissitudes par lesquelles le travail, ou plutôt le travailleur, a passé depuis le commencement des âges, afin de montrer les progrès réalisés et leur marchô rapide ou lente, aussi bien que les reculs éprouvés, si tant est que, comme le prétendent beaucoup d’auteurs, il y ait eu décadence profonde à une certaine période de la vie de l’humanité.
- « Lorsqu’on jette sur les siècles », dit M. Fred-Passy, « ce coup d’œil d’ensemble qui ne voit plus de chacun d’eux que ses traits principaux et vraiment caractéristiques ; on ne peut s’empêcher de reconnaître et de proclamer hautement que, malgré ses erreurs et ses défaillances plus ou moins graves ou longues, l’humanité avance ». Elle avance certainement parce que sa nature l’y pousse insensiblement, attendu que dès qu’elle a atteint le degré qu’elle visait la veille, un besoin nouveau se produit en elle qui l’entraîne à monter plus haut encore le lendemain, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à la perfection, son but définitif et suprême.
- C’est ainsi que du grossier outil primitif en silex,
- p.615 - vue 616/836
-
-
-
- 616
- LE DEVOIR
- l’homme en est progressivement venu à l’admirable machine-outil à vapeur de nos jours, quiprennant la matière brute, la transforme par une série d’actions successives en un instrument parfait et élégant prêt à servir. C’est ainsi que chaque jour une découverte, une invention nouvelle vient ajouter un élément de travail de plus aux éléments déjà acquis et mis en jeu dans cette œuvre immense de l’amélioration des conditions de la vie, à laquelle tout concourt sciemment ou non.
- L’étude de cette longue chaîne d’inventions, de découvertes et d'efforts, qui ont amené le travail au point où il est aujourd’hui offre évidemment un intérêt de premier ordre, et une incontestable utilité, car elle nous montre par quelles luttes pénibles, longues et sanglantes, les travailleurs ont dû imposer, à ceux qui s’étaient fait leurs tirans, l’obligation de reconnaître et de respecter leurs droits, et conquérir cette liberté qui leur est si nécessaire, et dont ils ne jouissent point encore pleinement.
- L’histoire du travail est l’histoire de la guerre soutenue pendant tant de siècles par la classe laborieuse contre les autres classes de la société, guerre acharnéô, incessante, qui ajoutant constamment de nouveaux obstacles aux obstacles opposés par la nature elle-même aux efforts des travailleurs, augmentait les difficultés et les souffrances. Esclaves, ilotes, serfs, prolétaires étaient tous des travailleurs dont les droits étaient méconnus partout dans tous les temps, et qui en avaient à peine conscience eux-mêmes.
- « Dans tous les temps et dans tous les pays, le travailleur des villes, dit M. Camille Pelîetan, s’est trouvé en présence d’aristocraties constituées qui tendaient à l’asservir; l’histoire des classes ouvrières est celle de leurs luttes contre les classes dominantes; contre ces puissants adversaires, quelle arme auront les ouvriers ? Une seule: l’association. Le travailleur est pauvre, et le noble est riche ; le travailleur est misérable, et le noble est puissant, le travailleur est seul, et le noble a pour lui l’orgueil et la solidarité de toute sa caste. Aussi, partout où les ouvriers ont voulu s’émanciper, ils se sont groupés. De là sont nées les associations ouvrières qui s’appelaient collèges à Rome et corporations au moyen âge. »
- Si dans certains moments de la vie de l’humanité, les sociétés ont joui de quelques libertés politiques, c’est à ces associations grossières, mais néanmoins influentes, qu’elles le durent, car ce sont elles qui oonquirent sur la féodalité toute-puissante au moyen-âge, par exemple, les franchises communales, et qui instituèrent certaines républiques, comme celles de Marseille et de Montpellier dans le Midi de la France,
- de Florence en Italie, et de Gand et Bruges dans les Flandres.
- Aussi les nobles et les monarques avaient-ils peur de ce droit d’association contre lequel ils luttaient | de tout leur pouvoir. A Rome, sous la République, j le parti aristocratique travailla constamment, sans | y réussir complètement, à dissoudre, les corpora-| tions, et plus tard, Pline ayant eu l’idée, dans la f province, ravagée par des incendies fréquents, dont j dont il était gouverneur, d’établir une corporation | d’ouvriers pour éteindre le feu, Trajan consulté re-j fusa, parce qu’il trouvait dangereux le groupement | le plus simple d’hommes appartenant aux classes ouvrières.
- Dans ces deux mondes si différents, l’empire romain et la société au moyen âge, l’histoire des associations de travailleurs, collèges ou corporations, traverse les mêmes phases, présente les mêmes résultats et fournit des enseignements analogues qui montrent que l’industrie, et avec elle la richesse nationale, suit exactement les vicissitudes de l’indépendance des classes ouvrières. Plus ces dernières sont libres, plus l’industrie prospère, et plus par conséquent la richesse du pays se développe, mais lorsque la liberté du travail est comprimée, étouffée, détruite, la prospérité de la nation languit, s’épuise et disparaît.
- La question de l’esclavage est intimement liée avec celle du travail pendant bien des siècles, car le travail était réputé œuvre servile, et Cicéron disait : « On regarde comme bas et sordide le métier des mercenaires, ainsi que de tous ceux dont on achète le travail ; car le salaire même est pour eux un contrat de servitude. On n’estime pas davantage ceux qui achètent en gros pour revendre en détail ; à ce trafic on ne gagne qu’à force de mensonges, et il n’y a rien de plus honteux que la mauvaise foi. Toute industrie est vile et méprisable; car il ne peut y avoir rien de noble dans une boutique ou dans un atelier. »
- Ces doctrines insensées et si contraires à la réalité des faits, car qu’y a-t-il et que peut-il y avoir de plus noble au monde que le travail et la production ? n’ont pas disparu avec le paganisme, ni même avec l’esclavage. Leur influence a longtemps pesé et pèse encore sur le travail auquel elle a maintenu la vieille qualification de servile sous laquelle plus d’un hobereau se plait aujourd’hui à l'opposer aux arts libéraux.
- « Certes, dit Rossi, c’est un grand crime d’avoir abusé de la personne humaine au point de l’exploiter comme un capital mort : mais il y a quelque chose de plus grave dans l’esolavage ; c’est d’avoir déshonoré
- p.616 - vue 617/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 617
- 1Q travail. C’est d’avoir, en proscrivant l’efïort libre, arrêté dans sa source la formation et l’ascension nécessaire de cette sève féconde de la vie humaine. »
- « Ce qui est certain, dit à ce sujet M. Fréd. Passy, c’est que l’antiquité en est morte. Dans les républiques de la Grèce, faute d’une production suffisante, c’est-à-dire d’un travail suffisamment actif, la limitation du nombre des citoyens était de rigueur. L’exposition et l’infanticide étaient de droit; et l’on vivait, comme dans les places en état de siège, dans la perpétuelle terreur des bouches inutiles. Rome a vaincu le monde, et elle est morte de faim sur sa proie épuisée. Panemetcircenses, les jeuxdu cirque et le pain de l’aumône, telles étaient les deux préoccupations du peuple-roi. C’est le pain qui a manqué le premier. »
- Il en a été de même de l’Espagne de Charles-Quint que tout l’or des possessions d’Amérique, aux inépuisables mines n’a pu sauver des mortelles conséquences de l’abaissement du travail avili.
- Comment le travail ainsi abaissé a-t-il pu se rele ver? Comment l’homme qui avait été réduit par l’esclavage ou le servage à l’abjecte condition de bête de somme s’est-il retrouvé, et a-t-il pu redresser fièrement la tête pour regarder le ciel après avoir été si longtemps courbé vers la terre ? Comment ces paysans qui, sous le règne du soi-disant grand roi, n’avaient pour toute nourriture que l’herbe des champs, ont-ils pu reconquérir la jouissance de cette terre qu’ils fécondent de leurs sueurs? Comment? Parle triomphe du droit sur la force qui l’avait tenu écrasé sous sa puissance pendant tant de siècles. À la fin du siècle dernier, le peuple français a d’un coup de tonnerre détruit la royauté et la noblesse, et réhabilité du même coup l’homme et le travaii.il a renversé les trônes, aboli les privilèges seigneuriaux et inauguré à tout jamais l’ère féconde de la liberté et de l’égalité. Son œuvre si bien commencée s’achèvera, et c’est à quoi tous les efforts des travailleurs doivent tendre.
- Depuis la révolution, c’est entre le capital et le travail que la lutte a persisté. Le capital se substituant à l’aristocratie a asservi le travail, mais cette servitude injuste disparaîtra comme disparut l’esclavage et le servage, et il faut espérer que le moment en est proche pour le bonheur de l’humanité.
- Ce sont ces diverses étapes péniblement parcourues par le travail que nous voulons retracer aussi succinctement, mais en même temps aussi complètement que possible, parce que ce tableau si sombre le plus souvent renferme pour l’heure présente d’utiles enseignements et de précieuses leçons. Dans un moment, où les travailleurs aspirant à leur affranchis-
- sement définitif cherchent encore leur voie, et croient l’avoir trouvé les uns dans le collectivisme, les autres dans l’anarchisme, dont tous veulent inaugurer le règne par la révolution et la violence, il est bon il est salutaire de montrer dans les luttes de ceux qui nous ont précédé la tactique qui était couronnée de succès et celle qui n’aboutissait fatalement qu’à un échec. Rien de plus instructif que l’enseignement des faits,dont la portée est plus grande que colles des raisonnements.
- (A suivre).
- P0DRQD0I TROMPER ?
- Il y a peu de jours nous lisions dans un journal du matin à propos du suicide de M11* Feyghine les lignes suivantes, qui dénotent l’état d’abaissement de nos mœurs et de nos sentiments publics :
- « Le duc de Morny, se sentant obligé de rompre au « plus vite cette liaison, avait eu recours au vieux « moyen qui est toujours le meilleur, celui d’un « voyage et il avait annoncé à la jeune comédienne « qu’il allait passer plusieurs mois en Russie, chez « un des parents de sa mère. »
- Le journal en question disait cela légèrement, comme une chose toute naturelle, comme une chose passée dans les habitudes de la jeune génération masculine.
- Au nom de la liberté humaine aucun contrat ne doit revêtir un caractère indissoluble, celui conclu, dans n’importe quelles circonstances, entre l’homme et la femme comme tous les autres.
- Dans l’ordre moral et rationnel, l’amour seul doit unir l’homme et la femme ; là où l’amour n’est plus il ne reste à remplir pour les deux conjoints que les devoirs du père et de la mère, dans le cas où il serait survenu des enfants ; le lien est rompu dès que l’un des contractants a cessé de l’accepter.
- Mais il est, en ces sortes de liaisons intimes sur lesquelles reposeront et la famille véritablement conquise et l’avenir social, il est un élément indispensable, la loyauté et la franchise la plus entière.
- Le manque de loyauté, la duperie, le mensonge sont des crimes tolérés qui tous les jours dans nos sociétés modernes sont la cause de l’avilissement ostensible de la femme, de l’avilissement plus irrémédiable encore de l’homme, la base de toute prostitution, la source du désespoir et de la désunion des familles et l’origine de l’abâtardissement physique chez les enfants *
- p.617 - vue 618/836
-
-
-
- 618
- LE DEVOIR
- Que la jeune fille, éclairée dès son adolescence n’ait à accepter que l’amour conditionnel des jeunes hommes, amour entendu de la façon dont ils le comprennent intérieurement, dont ils se le présen-tent entre eux dans ces conversations que les femmes ne savent pas entendre, que cet amour-là leur soit offert en connaissance de cause, et toutes ou presque toutes ces pauvres filles qui tombent par ignorance, par attendrissement ou par confiance, reculeront avec une sorte de dégoût et refuseront de livrer, pour des heures calculées d’avance, leur jeune corps à des libertins.
- Le mensonge est la source de ces unions honteuses qui se paient avec les pièces d’or ou d’argent que l’homme jette à la femme pour une nuit de débauche.
- La plupart des prostituées l’ont été par leur premier amour, car c’est cet amour qui dans la personne de l’homme, a manqué de franchise et a apporté avec lui déception et désespoir.
- Presque toujours la prostitution de la femme remonte au premier mensonge de son séducteur.
- L’amour de la vérité est le fondement de toute morale et pour régénérer le monde, le législateur doit s’efforcer de ramener la sincértté dans toutes les relations. Tout en maintenant l’entière liberté des unions sexuelles, il doit faire que des garanties soient données à la femme et à la famille qui peut naître de telles unions. Il doit faire que dans ces unions libres, l’homme et la femme n’en soient pas moins soumis au respect du devoir et de la loyauté l’un envers l’autre.
- Eugénie Pierre —-----------------
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE
- Le 20 Septembre, de Léon-Eugène Régnier, fils de Régnier Jean-Baptiste et de Eugénie Allart.
- LE MAGNÉTISME
- Le somnambulisme produit par le sommeil magnétique est un état fort singulier qui se présente à nous sous deux formes principales savoir : le somnambulisme simple, et le somnambulisme lucide.
- Le somnambulisme simple est une sorte de sommeil profond, pendant lequel une séparation presque complète s’opère le plus communément entre l’ârae
- et les organes corporels. L’âme veille pendant que le corps est endormi, et ses facultés restent actives. Lors des premières expériences tentées sur un sujet, l’intelligence est ordinairement confuse, et tout en exprimant des idées vraies, la personne endormie ne sait point les coordonner de manière à former un raisonnement suivi. Souvent le sujet, aux premières séances, se montre taciturne et ne parle guère que pour réponde aux questions que. celui qui l’a endormi lui adresse. Cependant comme il perçoit quelquefois parfaitement ce qui se passe en lui, il réfléchit sur cette sensation, et il exprime souvent tout haut l’étonnement qu’il en éprouve.
- La mémoire est une des premières facultés dont on constate l’action chez le somnambule. Il se rappelle avec une précision étonnante tous les événements auxquels il a été mêlé, quoiqu’ils soient parfois si anciens, qu’à l’état de veille il en a complètement perdu le souvenir. L’intelligence se développe ensuite graduellement, et l’on ne tarde pas à arriver à un point où toutes les facultés de l’âme présentent une exaltation des plus remarquables. On s’en convainc facilement en s’adressant successivement à chacune d’elles, et l’on constate alors une mémoire prodigieuse, une sensibilité exquise,un amour-propre étonnant surexcité, une acuité de perception merveilleuse, etc.
- Les instincts,tels que la faim, la soif, les affections se font également sentir chez les somnambules, et lorsqu’ils ont les habitudes d’une bonne éducation ils poussent parfois jusqu’à l’exagération le sentiment des bienséances. Cela répond catégoriquement aux craintes exprimées souvent par les personnes peu au courant des phénomènes magnétiques sur le danger qu’offre cette pratique aux personnes du sexe, par suite de l’abus que pourrait faire de son ascendant sur elles un magnétiseur peu scrupuleux et vicieux.
- Le sommeil magnétique qui produit sur l’âme les effets que nous venons d’indiquer, provoque un engourdissement absolu des sens externes de telle sorte que le somnambule ne perçoit plus d’autres sensations que celles qui lui viennent directement de son magnétiseur. Ainsi les j7eux sont fermés, et si l’on entrouvre mécaniquement les paupières, ce qui est assez difficile, on s’assure que le sujet ne voit pas; l’œil est terne, sans expression et convulsé vers la partie supérieure de l’orbite. ^Lorsque l’opérateur fait ouvrir magnétiquement les yeux, le regard reste fixe, et ne voit que l’objet presque toujours lumineux qu'il plaît au magnétiseur de lui montrer. L'ouie est isolée,si bien que le somnambulen’entend absolument que les paroles qui lui sont adressées par le magnéti*
- p.618 - vue 619/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 610
- seur, ou le plus souvent par une personne mise en communication avec lui, par ce dernier. Le sens de l’odorat est également suspendu, anéanti au peint que la muqueuse des fosses nasales semble avoir perdu toute sensibilité. Une somnambule à qui le docteur Teste fit prendre une prise de tabac, n’en ressentit aucun effet pendant son sommeil, et ce ne fut qu’après avoir été réveillée qu’elle se mit à éternuer avec les contorsions les plus amusantes. Le poivre substitué au tabac dans une autre circonstance produisit un résultat analogue. Dans le cours des expériences de 1820, on plaça des flacons d'ammoniaque liquide sous le nez de plusieurs somnambules qui ne s’en aperçurent même pas. Enfin le sens du goût est également oblitéré chez le sujet endormi. Le même auteur ayant prié son sujet de mâcher sans l’avaler un morceau de coloquinte, après un quart d’heure de mâchonnement la somnambule déclara que la délicieuse dragée qu’on lui avait donnée n’avait aucune saveur.
- Tout cela, bien entendu, n’est pas absolu, car on voit très souvent des exceptions à ces règles qui, par conséquent, ne sont que relatives.
- L'insensibilité physique n’existe pas seulement à l’épiderme, elle affecte également les tissus sous-cutanés, les muscles et les ramifications nerveuses. La preuve en a été soumise par M. Jules Cloquet dans sa communication à l’Académie de médecine, séance du 16 avril 1829.
- Une dame Plantain, âgée de soixante-quatre ans, demeurant rue Saint-Denis, n° 151, consulta M. Cloquet le 8 avril 1829 pour un cancer au sein droit datant de plusieurs années et compliqué d’un engorgement des ganglions axillaires correspondants. M. Chapelain, médecin de cette dame, qui la magnétisait depuis quelques mois dans le but de dissoudre l’engorgement n’avait pu obtenir d’autre résultat qu’un sommeil très profond, durant lequel la sensibilité paraissait anéantie, les idées conservant toute leur lucidité.
- Il proposa à M. Cloquet de l’opérer pendant qu’elle serait plongée dans le sommeil magnétique. Ce dernier, qui avait jugé l’opération indispensable, y consentit, et l’on décida qu’elle aurait lieu le dimanche suivant, 12 avril. Dans les journées du 10 et du 11 la malade fut magnétisée plusieurs fois par M. Chapelain, qui la préparait à supporter sans crainte l’opération, et qui l’amena même à en parler avec indifférence, tandis qu’éveillée elle en repoussait l’idée avec terreur.
- Le jour fixé pour l'opération, au retour de la messe, la malade habillée, assise dans un fauteuil, fat endormie) et parla avec beaucoup de calme de
- l’épreuve qu’elle allait subir. Tout étant disposé,elle se déshabilla elle-même et s’assit sur une chaise.
- M. Chapelain lui soutenait le bras droit, et le gauche fut laissé pendant le long du corps. M Pailloux, élève interne de l’hôpital Saint-Louis, était chargé de présenter les instruments et de faire les ligatures.
- Une première incision partant du creux de Fai-selle fut dirigée au-dessus de la tumeur jusqu’à la face interne de la mamelle. La deuxième, commencée au même point, cerna la tumeur par en bas, et fut conduite à la rencontre de la première. M. Cloquet disséqua avec précaution les ganglions engorgés, à raison de leur voisinage de l’artère axillaire, et extirpa la tumeur. L’opération avait duré de dix à douze minutes.
- Pendant ce temps, la malade continuait à s’entretenir tranquillement avec l’opérateur, et ne donnait pas le plus léger signe de sensibilité : aucun mouvement dans les traits, aucun changement dans le jeu de la respiration ni dans la voix, aucune émotion même dans le pouls ne se manifestèrent : elle ne cessa pas un seul instant de se tenir dans l’état d’abandon et d’impassibilité automatique où elle était avant l’opération.
- Une ligature fut faite sur l’artère thoracique latérale, ouverte pendant l’extraction des ganglions. La plaie étant réunie par des emplâtres agglutinatifs, et pansée, l’opérée fut mise au lit, toujours en état de somnambulisme dans lequel on la maintint pendant quarante-huit heures. Une heure après l’opération, une légère hémorrhagie survint, mais elle n’eut point de suites.
- Le premier appareil fut levé le mardi 14; la plaie fut nettoyée et pansée de nouveau,sans que la malade témoignât ni sensibilité ni douleur, le pouls conservant son rhythme habituel.
- Après ce pansement, M. Chapelain réveilla la malade dont le sommeil somnambulique durait depuis une heure avant l’opération, c’est-à-dire depuis deux jours. Elle ne parut avoir aucune idée, aucun sentiment de ce qui s’était passé; mais en apprenant qu’elle avait été opérée, et voyant ses enfants autour d’elle, elle en éprouva une très vive émotion, que le magnétiseur fit cesser en l’endormant aussitôt.
- La complète insensibilité dont nous venons de donner des exemples n’existe pas toujours chez les somnambules. Il en est, au contraire, qu’on pourrait ;irer de leur état en les pinçant, en les secouant vivement ; et qui en rapport dès le commencement avec les personnes qui les entourent répondent indifféremment à toutes les questions que ces personnes leur adressent. Mais ces cas-là sont assez rares, j pour pouvoir être considérés comme des exceptions.
- p.619 - vue 620/836
-
-
-
- 620
- LE DEVOIR
- Au sujet de cette insensibilité des organes des sens, M. de Fleurville affirme que jamais on ne peut rendre la vue par les yeux à un somnambule sans le réveiller.
- Ordinairement le somnambule éprouve quelque difficulté à se servir de ses bras, de ses jambes, et même à les bouger, mais il suffit de quelques passes magnétiques pour leur rendre toute la souplesse et leur mobilité. Parfois aussi il ne peut point parler; le même moyen leur rend facilement l’usage de la parole.
- En thèse générale, la volonté du magnétiseur peut produire ou détruire cette insensibilité chez son sujet soit d’une manière complète soit partiellement seulement.
- De tout ce qui précède, il nous semble résulter d’une façon incontestable la preuve de l’existence : 1° Du fluide vital désigné plus communément sous la dénomination de fluide magnétique ; 2° De son action sur le corps qu'il insensibilise ou rend plus sensible encore à volonté, et 3° De son action sur l’âme qu’il peut dégager plus ou moins de ses liens avec le corps.
- Nous reviendrons sur ce sujet, lorsque nous aurons parlé de la seconde forme du somnambulisme, le somnambulisme lucide.
- (A suivre.)
- LAKANAL
- Comme beaucoup de ses compagnons d’armes de la Révolution, Lakanal, auquel on élevait dernièrement une statue à Foix, était un ecclésiastique qui, par honnêteté et dégoût, avait jeté le froc aux orties.
- Successivement professeur au collège de la congrégation de Lectoure et au grand séminaire de Saint-Magloire, il avait, en ajournant son ordination, accepté une chaire de philosophie à Moulins.
- C’est là que la Révolution alla le chercher.
- En 1792, son pays natal se souvint qu’il était originaire de Serres, et l'envoya siéger à la Convention, où il vota la mort de Louis XVI.
- Nommé membre du comité de l’instruction publique, il ne tarda pas à en devenir le président.
- Entre autres mesures dues à son initiative, citons, en 1793, les décrets relatifs à la propriété littéraire et artistique, à l’établissement du télégraphe de Chappe, et la transformation du Muséum national d’histoire naturelle.
- En 1794-1795, il proposa et fit voter les lois organisant l’Ecole normale, l’Ecole des langues orientab-
- les, le Bureau des longitudes, les Ecoles primaires et les Ecoles centrales (lycées actuels).
- Réélu aux Cinq-Cents, il établit, d’accord avec Sieyès, l’Institut de France, — dont il fut membre nommé. — Provisoirement commissaire général du Directoire, près les départements du Rhin, il approvisionna et mit en état de défense Mayence et les autres places du Rhin.
- Après le 18 brumaire, il résista à toutes les offres de Bonaparte, et reprit ses fonctions de professeur à l’Ecole centrale de la rue Saint-Antoine (lycée Charlemagne), et au lycée Bonaparte. En 1804, il devint inspecteur des poids et mesures et contribua à la diffusion de l’usage du système métrique.
- Proscrit par la Restauration, il se réfugia aux Etats-Unis, dont le gouvernement l’accueillit à bras ouverts. Il y devint colon et président de l’université de la Louisiane. La chute des Bourbons lui avait inspiré, malgré l’aisance acquise, le désir de revoir la France. Il n’y rentra cependant qu’en 1837, après son élection tardive à l'Académie des sciences, et s’y renferma dans un cercle étroit d’études.
- Il mourut en 1844 d’un catarrhe contracté en se rendant à l’Institut par un froid rigoureux.
- Voilà l’homme auquel on vient d’élever une statue.
- Il est le véritable organisateur en France de l’instruction publique.
- Notre temps, qui fait pour l’enseignement national de si larges sacrifices, devait bien à cet ancêtre une marque de reconnaissance.
- Elle est venue, tardive comme la justice, mais incontestée comme la vraie gloire, — car, à mesure qu’ils avancent, les peuples préfèrent ceux qui vivifient à ceux qui tuent, les héros de la paix à ceux de la guerre, et les victoires de l’intelligence à celles de la force.
- Quelque chose encore est fait pour frapper l’esprit dans cette vie de Lakanal.
- Il est un des hommes de la Convention qui, élus par la nation, n’ont point oublié leur origine.
- Il n’a pas, comme Mirabeau, les Lameth et d’au très encore, trahi la cause du peuple pour celle do la reine.
- Il n’est pas devenu marquis comme Laplace, ni duc et roi comme le jacobin Bernadotte.
- 11 resta ce qu'il était : un homme du tiers qui avait défendu la patrie en guillotinant le,tyran et qui avait fondé la société moderne en jetant les bases de ce grand mouvement éducateur, carastéristique spéciale de la fin du dix-huitième siècle.
- On reste frappé d’admiration quand, à quatre-vingt-dix ans de distance, on considère l’œuvre de ces hommes de la Convention *
- p.620 - vue 621/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 621
- Résistant à l’invasion, levant quatorze armées, repoussant l’ennemi du dehors et domptant l’ennemi du dedans, changeant les bases de la société, grands et féconds, même en leurs erreurs, divisés entre eux, ils n’en accomplissaient pas moins l’œuvre révolutionnaire.
- Eux aussi, ils étaient divisés : girondins, danto-nistes, hébertistes, thermidoriens ; ils étaient durs, pour eux-mêmes comme pour les autres, et, au milieu des décombres amoncelés, des ruines entassées et leur barrant la route, ils allaient à la conquête du monde moderne.
- Notre temps, moins sauvage et moins dur, est aussi moins puissant ; et les contemporains de Laka-nal n’auraient pas eu besoin d’un recensement des professions de foi : il y avait alors des mœurs électorales d’où sortaient les cahiers des Etats généraux.
- Heureux temps où électeurs et élus savaient ce qu’ils voulaient.
- Quoi qu’il en soit, chaque fois qu’un de ces hommes de 1793 se dresse devant nous sortant de l’oubli de la tombe, saluons le en fils respectueux. Car chacun d’eux peut s’appliquer la parole du poète :
- Sur l’autel attesté posant sa forte main,
- La Convention peut, comme l’ancien Romain,
- Répondre fermement alors qu’on l’injurie :
- Je jure que tel jour j’ai sauvé la patrie.
- -----------------------
- LA QUESTION DU CONCORDAT
- Sous forme de lettre à M. Paul Bert, M. Anatole de la Forge vient de traiter avec une grande force de logique la question des rapports de l’Etat et de l’Eglise, en apportant de nouveaux arguments en faveur d'une cause gagnée depuis longtemps dans l’opinion publique, celle de la séparation.
- Malgré leur complexité apparente, les relations de la société civile et de la société religieuse se ramènent à trois. Ou bien c’est l’Etat qui domine l’Eglise, ou c’est l’Eglise qui domine l’Etat, ou, enfin, les deux domaines sont entièrement distincts et indépendants l’un de l’autre. Nous avons dans le premier cas l’anglicanisme britannique, dans le second l’inquisition espagnole, dans le troisième le régime du Directoire et des Etats-Unis.
- Quand Bonaparte signait avec Pie VII le concordat de 1801, on devine qu’elle était sa préoccupation. Quels que fussent les dessous de cette âme encore mal éclairée, quelques traces qu’eût laissées en elle les souvenirs de ^"première enfance, le croyant s’effacait complètement sous le politique. Il devinait dans le catholicisme une force encore vivace dans certaines
- couches de la population, qu’il entendait détourner à son profit. Il renouait la tradition de François lfr et de Louis XIV. La déclaration du clergé de France en 1682 devenait aussi obligatoire dans les séminaires que les sacrements et la Trinité. Il se faisait sacrer par le pape, quitte à l’emprisonner après.
- On sait ce qu’il est advenu de ces espérances. L’Etat ne s’est pas plus soucié de faire respecter ses droits que l’Eglise de tenir ses engagements. Du vivant même de Napoléon, les théories et le nom de Bossuet étaient un texte à plaisanteries ecclésiastiques. Quand, en 1828, M. de Marignac voulut soumettre les petits séminaires au régime de l’Université, l’opposition des cardinaux, archevêques et évêques fut telle, qu’il dut faire appel an secours bienveillant du pape. Par une singulière interversion des rôles, c’était en deçà des Alpes qu’on se montrait déjà la plus ultramontain. Est-il besoin de rappeler en revanche dans quels termes Pie IV parlait du contrat où son prédécesseur avait apposé sa signature ? Nous ne pouvons faire mieux que de citer M. de la Forge :
- Le Concordat avait dit ; « — Il appartient au pouvoir civil de définir dans certains cas les droits de l’Eglise et les limites dans lesquelles elle peut les exercer. »Le Syllabus, paragraphe 9, verset 19, place cette opinion parmi les principales erreurs de notre temps. Ailleurs, le Concordat contient la déclaration suivante : « Il n’est pas permis aux évêques de publier les lettres apostoliques sans l’autorisation du gouvernement. » Le Syllabus repousse cette interdiction.
- Le Concordat donne droit de cité à des cultes autres que le culte catholique. Le Syllabus condamne ceux qui prétendent qu’on peut instituer des églises nationales soustraites à l’autorité du pontife romain.
- Enfin le Concordat avait dit : « L’enseignement dans les séminaires est déterminé par les lois de l’Etat. » Le Syllabus flétrit cet article.
- Ainsi, grâce à l'indifférence des ans, à la complicité des autres, le clergé a fait peu à peu table rase de ce qui le gênait dans le Concordat ; il s’est fortifié dans ce qui en reste, comme dans un bastion d’où il bombarde la société moderne. En voulant prendre ses garanties contre le saint-siège, Bonaparte lui à donné barre sur nous. L’infaillible du Vatican a bien vengé le prisonnier de Fontainebleau.
- On conçoit après cela que M. Freppel se proclame concordataire ! Pour nous, nous nous en référerons aux termes mêmes de Pie IX, son chef impeccable ; nous trouvons le Concordat, sinon impie et blasphématoire, au moins abusif et détestable.
- M. Paul Bert n’a pas la prétention de réussir là où Bonaparte a échoué. Il disait dès son entrée au mi-
- p.621 - vue 622/836
-
-
-
- 622
- LE DEVOIR
- nistère : « Nous ne projetons pas la constitution d’un clergé national. » L’exemple de M. de Bismarck en Prusse et de M. Carteret à Genève n’était pas fait pour l’y encourager. Ce qu’il veut c'est, après la grande guerre, inaugurer la petite. Comme le fait très bien remarquer M. de la Forge, il a « tout un arsenal d’armes judiciaires, de petits moyens vexa-toires, de pénalités ridicules. » Il ruse, il ergote, il chicane. Il conserve le budget des cultes, mais il institue des amendes ; l’Etat reprendrait d’une main ce que de l’autre il accorde. On se plaint que les évêques aillent prendre leur mot d’ordre à Rome; il les confine dans leurs diocèses, comme si ni la poste ni le télégraphe n’étaient inventés.
- Si nous cherchons des précédents pour notre politique, empruntons-les à la Révolution, non à l’empire. La convention — sur la proposition de Saint-Just?de Robespierre ? non , mais de l’intègre et modéré Boissy d’Anglas — se prononçait pour la séparation de l’Etat et des Eglises. Elle estimait qu’il y aurait quelque bizarrerie à faire payer aux catholiques l’entretien des rabbins et des pasteurs, aux protestants et aux juifs l’entretien des curés, aux libres-penseurs les frais du catholicisme, du judaïsme et du protestantisme réunis.
- Les catholiques oseraient-ils se plaindre d’une mesure que Montalembert, l’abbé Gerbet, le père Lacordaire appelaient de tous leurs vœux ? M. de la Forge les cloue sur place avec ce texte tiré d’un des leurs, M. Parisis, évêque de Langres, en 1847: «Nous demandons que l'Eglise soit séparée de l’Etat, et nous croyons pouvoir dire en toute sécurité qu’un tel vœu... s’appuie sur les principes éternels de la j ustice et de la raison. »
- Lamennais, Michelet,‘Edgar Quinet, Victor Hugo, ont-ils jamais parlé autrement ?
- [Rappel) Frédéric Montarghs.
- ----------------
- C’EST LA LOI
- Le Citoyen a raconté tout récemment une histoire navrante qui vaut la peine qu’on y revienne à deux fois.
- Il y a quelques jours, la police met la main sur une petite fille.
- Cette petite fille a onze ans.
- On l’a prise en train de voler dans les poches.
- Il est des mères qui tordent le cou à leur nouveau-né.
- Celles-là, sont les naïves, de pauvres cerveaux subitement déséquilibrés qui éclatent sous la como-
- tion de l’enfantement, et qui,folles de la double folie de la honte et de la misère, paient d’une moyenne de quinze années de prison les fatalités sociales sous l’étreinte desquelles la femme se débat.
- D'autres, — les habiles, — se disent qu’il est ridicule de mourir de ces choses-là, et elles s’arrangent pour en vivre.
- Et en attendant que leur fille soit assez grande pour pouvoir être vendue à l’un de ces riches qui achètent la chair des enfants, elles la lancent à travers la foule et la condamnent au vol journalier.
- Il y a au logis un morceau de pain et une corde.
- Le morceau de pain, ça se jette à la malheureuse, si elle a pu rapporter la somme à laquelle a été évalué son travail.
- Si elle n’a rien trouvé, si ce qu’elle a trouvé est insuffisant, la corde règle les comptes. Et sur la peau meurtrie de la petite torturée, il n’y a plus une place qui n’ait saigné sa goutte de sang.
- Et c’est pour cela qu’on peut voir, dans les rues, guettant aux portes des magasins, se faufilant au milieu des promeneurs, ces pauvres êtres déguenillés qui, à onze ans, ont dans le regard toutes les amertumes de la vie, toutes les angoisses de la faim, qui volent pour manger, et qui n’ont déjà plus de larmes dans les yeux, séchées qu’elles sont dans le cœur par la haine qui s’y accumule.
- La police est là, heureusement, et la prison va les sauver de leur mère.
- La prison ! Plus de corde ! Et de la soupe chaude dans la gamelle, deux fois par jour 1
- Et puis le police qui les a prises, va les remettre entre les mains des juges, à des hommes qui représentent la loi, qui sont pères de famille, et qui, derrière ces enfants du ruisseau grelottant la fièvre et crevant de besoin, verront leurs enfants à eux, les bébés roses qui jouent sur des tapis, dorment dans des lits des plus capitonnés, ont, à table, leurs petites assiettes pleines de mets savoureux, et du vin doré qui rit au fond de leurs petits verres.
- Les voilà sauvées, les pauvres voleuses de onze ans !
- Sauvées ? Attendez donc.
- Le tribunal se réunit. Il y a là, en robe et en toque, solennels sous leur rabat, les trois pères de famille, les juges.
- Et après que ces trois juges ont pesé, discuté, un fonctionnaire arrive qui prend la petite, ouvre une porte, la referme, — et la petite est perdue*
- Elle est dans un asile de correction.
- Et maintenant, quoi qu'elle y fasse, quoi qu’elle veuille,si honnêtement douée qu’elle soit, c’est fini. Au jour de sa liberté, qu’elle prenne à droite ou à
- p.622 - vue 623/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 623
- gauche, où qu’elle aille, elle aboutira à ceci : la prostitution ou le vol, les deux choses ensemble
- souvent.
- Il est vrai que la loi qui tranche si odieusement un problème pareil décide, au nom du peuple français*
- pauvre bonhomme de peuple français, quel métier-on te fait faire !
- Et quelles épaules tu as pour porter si gaillardement de telles monstruosités !
- {Le Citoyen) Casimir Bouis
- -----------------------
- LA SUPPRESSIONS BACCALAURÉAT
- « Le Télégraphe » rapporte que le ministre de l’instruction publique, dès son entrée aux affaires, s’est préoccupé des voies et des moyens à employer pour arriver à la suppression du baccalauréat, que beaucoup de membres de l’Université considèrent comme condamné.
- La difficulté est de trouver à la sortie des classes un mode unique de constater que les études ont été sérieusement et régulièrement faites.
- Des diverses solutions déjà proposées à l’honorable M. Duvaux, aucune ne paraît suffisante. L’ancien certificat d’études serait d’une application difficile, notamment en ce qui concerne les élèves des établissements libres.
- La question sera, d’ailleurs, soumise aux délibérations du conseil supérieur de l’instruction publique dans sa prochaine session.
- La suppression du baccalauréat, en tant que diplôme, ne nous semble pas devoir entraîner des conséquences funestes au point de vue des études.
- C’est le plus souvent un examen qu’on subit mal, alors même qu’on est préparé pour le bien subir; et il arrive parfois que les élèves les plus faibles obtiennent la note la plus élevée.
- Les programmes, plus intelligents que les anciens, mais beaucoup trop vastes de M. Jules Ferry, donnent aux examinateurs le champ si vaste, pour coller le candidat, qu’en vérité, comme disait naguère un homme d’esprit, pas un académicien ne serait peut-®tre de force à subir sans préparation la terrible preuve, dans la stricte acception du programme.
- °n avait proposé de faire examiner les élèves à la ®n des études, soit en philosophie, soit en mathéma. tiques élémentaires, par les professeurs qui les Paient instruits pendant l’année. C’étaient, di-smt-on, les meilleurs juges au point de vue de la jaleur réelle de chaque candidat, et on évitait ainsi °utes les injustices involontaires que fait parfois
- commettre à un examinateur venu de loin, la timidité d’un élève, d’ailleurs sérieux.;
- On a reproché à ce système, dont l’idée revient à M. Paul Bert, de prêter au favoritisme pour les forts, et de présenter pour les faibles la certitude de l’élimination, en détruisant par là même chez ces derniers, tout effort vers le travail.
- On pourrait arriver, ce nous semble, à une solution satisfaisante, en adoptant, dès les classes de grammaire, une mesure radicale, énergique, à laquelle on ne tolérerait pas d’exception. Ce serait de faire subir à chaque élève un examen de fin d’année, examen de passage, pour lequel une certaine moyenne, les 6/10 par exemple, serait requise. Les classes ainsi recrutées, contiendraient toutes des élèves jugés capables d’en suivre les cours, et il n’y aurait plus de nullités, ce qui arrive trop souvent encore en l’état actuel.
- On dira que des circulaires récentes prescrivent en effet l’examen de passage; mais l’application des nouvelles prescriptions se heurte toujours, on le sait, à de vieilles routines, à des usages tellement invétérés qu’ils ont force de loi. Un professeur refusera-t-il un élève ; les parents n’ont qu’à insister, même légèrement auprès du proviseur, et l’élève poursuivra ses cours, en dépit du maître même, et malgré l'incapacité absolue où il est de rien comprendre à ce qu’on lui enseigne. Avec ce système, il arrive parfois de voir en face d’un examinateur de faculté, un élève qu’on tolérerait tout au plus en sixième. Et on comprend qu’en ce cas-là l’idée de M. Paul Bert ne puisse être mise à exécution.
- Que si, au contraire, les classes de rhétorique, de philosophie et de mathématiques élémentaires étaient composées exclusivement d’élèves au moins passables, la moyenne des éliminations, par le système M. Paul Bert, se trouverait considérablement réduite, et il y aurait en outre pour les moins forts, avec du travail et de l’application, l’espoir et presque la certitude de voir cette application et ce travail récompensés.
- L’élément par trop aléatoire du baccalauréat dis paraîtrait, et quoi qu’on dise, le favoritisme, si tant est qu’il existe chez quelques professeurs, ne pourrait se manifester d’une façon éclatante à l’égard des élèves, surtout si une surveillance discrète mais incessante était exercée sur les examens de fin d’année.
- En somme, les dangers du favoritisme ne seraient pas énormes. En effet, étant donnée notre supposition, où les élèves sont très forts, ou ils sont au moins passables.Dans le premier cas,nous ne voyons pas d’inconvénient à ce que le professeur se montre
- p.623 - vue 624/836
-
-
-
- 624
- LE DEVOIR
- envers l’élève très large: dans le second cas, nous n’aurons jamais une nullité diplômée, les examens antérieurs étant comme la garantie de l’examen actuel et Anal.
- C’est un système d’ailleurs depuis longtemps adopté en Belgique, en Hollande, en Italie, en Allemagne surtout, où l’instruction secondaire est organisée d’une façon si remarquable. Des essais montreraient tout le cas qu’il faut faire de l’idée de M. Paul Bert, et nous les désirons pour notre part.
- LA LANGOÜETTE
- C’est lune histoire qu’on m’a contée aux Planches.
- Vous serez on ne peut plus renseigné sur les Planches lorsque je vous aurai dit que la voie ferrée s’arrête à Champagnoles et qu’une vieille patache fait le service de Champagnoles aux Planches.
- La route dévale en pleine nature au bord de précipices suffisamment terrifiants. De tous côtés des fô-rêts de sapins lèchent les flancs montagneux. Au bord des vallées, les villages semblent avoir été roulés par des avalanches. Ils apparaissent comme de points noirs le long du chemin qui serpente monte et descend avec des caprices fd’enfant gâté, mécontent'de rester en place, avide de changement.
- Trente-cinq feux formant le village des Planches, enserré par les montagnes, avec une seule éclaircie du côté de Montbéliard, J’ouvrais des yeux étonnés. Le fouet du conducteur, les grelots des chevaux attiraient les habitants curieux. Ceux-ci réclamaient les journaux, ceux-là dévisageaient les voyageurs. J’avisai l’hôtel de l’Orangerie — gracieuse allusion sans doute à la fleur,emblème de pureté virginale, que méritent tontes les filles du canton — et je m’installai armes et bagages auprès d’excellents amis que j’étais heureux de retrouver.
- Mon séjour dans ce coin perdu dura juste le temps d’apprendre à estimer les braves gens du lieu, et de tenter l’excursion qui motive mon récit.
- Tout auprès des Planches, il est un point pittoresque par excellence, c’est la LaDgouette, cascade étonnante , prodigieuse, féérique, MmeX... m’entraîna le dimanche.
- — Etes-vous mécontent, me dit-elle, n’est ce pas superbement beau? Quel site la Suisse peut-elle montrer de plus merveilleux?
- La cascade forme une sorte d’entonnoir; l’eau jaillit de deux côtés, elle tombe d’une montagne dont le sommet se perd dans les nuages et bondit de rocher en rocher avec un bruit retentissant; en bas, l’eau tourbillonne, s’engouffre dans de profonds abîmes, roule sur des blocs de granit qui miroitent au soleil de mille feux lumineux,se précipite dans d’autres gouffres, et toujours la même écume blanche, les mêmes mugissements, les mêmes bouillonnements I
- L’ombre tomba, le soleil disparut. J’étais fasciné par ce murmure des eaux, battant la montagne avec une égale cadence, une égale vitesse. Près de moi, MmeX... subissait, elle aussi, î’attrait de la solitude.
- — Ecoutez, me dit-elle, je veux vous narrer une fhistoire vraie, qui s’est passée là où nous sommes. Mettons que trente années se sont écoulées :
- ....Elle était vraiment belle, la petite Marie, des
- cheveux d’or, une mine éveillée, de grands yeux aussi bleus que le ciel, Sa vie coulait calme, tranquille. Elle travaillait pour aider son vieux père 'dont elle était toute la joie.
- La fillette gagnait les seize ans; jamais lasse, jamais souffreteuse, elle ne connaissait de la vie que le chant des oiseaux, et les fleurs qui ornaient la tombe de sa mère.
- Elle maniait l’aiguille à plaisir,et comme le travail ne chômait jamais, le bonheur emplissait la maisonnée.
- Pourtant l’heure vint où elle effeuilla la marguerite-Il m’aime ! un peu! beaucoup ! pas du tout. Qui donc dans ce coin perdu de la montagne, tourmentait ainsi la pensée de Marie ?
- C’était un grand beau jeune homme, envoyé par ie gouvernement pour remplir le poste de receveur.
- Dans ce milieu sans orage, il avait porté la tempête Les filles le guignaient derrière les volets; elles l!en-viaient, le convoitaient. Marie l’avait remarquée au. château, où elle cousait à la journée. Le receveur désœuvré multipliait ses visites pour se désennuyer, et dans tout le canton il n’était pas de maison plus hospitalière que celle que Ton décorait du nom de château.
- Le receveur languissait; il trouva l’enfant de son goût et l’attendit au pied de la montagne. Marie accueillit le jeune homme avec un bon sourire.
- Des mois passèrent; l’hiver arriva. L’étranger frappa hardiment à la porte de la cabane, s’insinua auprès du vieux pèra qui, trop confiant, ne vit rien, ne s’aperçut de rien.
- En échange de son amour, Marie ne demanda rien. Aucune promesse ne lui fut faite. Elle se donna dans le premier baiser, au retour du printemps, alors que la vie célébrait la victoire sur la mort, que les hirondelles fugitives regagnaient leurs anciens nids, que les senteurs balsamiques de la montagne montaient fortes et capiteuses.
- La belle enfant riait, pleurait, chantait l’hymne de l’amour éternel.
- Hélas! il part, le bien-aimé. Son stage est fini. Un autre poste l’appelle. La belle nature ne le touche point. Il ne songe qu’aux mortels ennuis de la vie monotone qu’il a subie deux ans. Certes, il a aimé la belle fille des montagnes; mais les choses du cœur est-ce qu’il les ressent, est-ce qu’il les éprouve? il a lu un roman vierge,et maintenant il lui tarde de le profaner par un vulgaire récit.
- Quand Marie apprit la nouvelle, aucune désespérance ne l’envahit. « Il reviendra » ! dit-elle, et chaque soir, au retour du travail, elle attendait à sa fenêtre, les yeux jetés sur la route. Son amour était si grand, sa confiance si immense qu’elle ne pouvait concevoir que tant de rayonnement pût disparaître.
- Les semaines succédaient aux semaines, les mois,aux mois. Alors la clarté se leva, aigüe, impitoyable ; la douleur vint poignante, de tous les instants. Autant le rêve avait duré, autant l’effondrement fut immense.
- — Qu’as-tu ma chérie? demanda un soir le père.
- — Rien, répondit-elle, mais je suis lasse et la vie m’est odieuse.
- — Bizarrerie d’enfant, murmura le pauvre vieillard.
- Les nuits se passaient sans sommeil. Les pensées sombres surgirent: Les hésitations cessèrent. L’heure des résolutions suprêmes sonna.
- Marie mit tout en ordre dans la maisonnette, se vêtit des habits du dimanche et descendit à la cascade. Bien souvent elle avait gagné la Langouette.hras dessus,bras dessous avec le bien-aimé. Que de bonheur rappelait cette solitude! Longtemps elle resta près du gouffre. « Viens, semblait dire le gouffre, je suis le passé,je suis l’oubli. Dans le pur cristal de mes eaux, le bien-aimé, en se mirant, a laissé son image. Dans ma profondeur tu entendras sa voix.
- Marie subissait le charme. Elle approcha du gouffre. L’écume baigna ses pieds. Soudain, elle disparut. L’immensité de l’abîme avait attiré l’immensité de la douleur.
- ! Le tourbillon garda sa proie ; il ne rejeta que les deux ] petits sabots de Marie, que les enfants ramassèrent le i lendemain.
- ] Et les habitants des Planches se rappellent que dans { les sentiers de la montagne on vit, près d’une année, I errer un vieillard qui. le sourire aux lèvres, demandait j aux passants le chemin de la Langouette.
- j [Le Glaneur) Maxime Villemer.
- Le Directeur-Gérant : GrODIN
- Saint-Quentin — lmp. de la Société anonyme du Glaneur
- p.624 - vue 625/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. — n° 213. "Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 8 Octobre 1882
- m
- BUREAU
- A. GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 u»
- Union postale
- Un an. . . . ilfr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE
- A PARIS
- 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LETMAR1E administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- SOMMAIRE
- Aux Journalistes. —Société du Familistère : Assemblée générale. — Faits politiques et sociaux. — Le Travail à travers les âges. — VUnité de la vie passée, présente et future. — La propriété des femmes mariées. — Etat-civil du Familistère.
- AUX JOURNALISTES
- Lorsque nos confrères de la presse s'occupent avec tant d’attention des faits touchant les classes ouvrières et les questions du travail, nous sommes surpris du silence gardé par eux à l'égard de l'association des travailleurs du Familistère de Guise.
- Quel en est le motif ? Pourquoi, lorsque la société du Familistère a réalisé avec tant de succès l’association du capital et du travail, lorsqu'elle résout si complètement le problème de Vavènement des ouvriers à la complète jouissance des fruits de leur labeur, pourquoi, disons-nons, la presse n'a-t-ellë pas un instant d'attention à donner à cette société ?
- Le mot de cette énigme serait-il que pour comprendre T association du Familistère il faut une certaine étude, cette association étant fondée sur des données scientifiques nouvelles, et que pour ne pas tomber dans de grosses erreurs on préfère ne rien dire ? Mais la science sociale est celle que tous les journalistes devraient étudier et discuter.
- La société du Familistère refait de polémique ni violente, ni révolutionnaire. Elle démontre par des faits la marche à suivre dans Torganisation des intérêts ouvriers, démonstration que son fondateur
- appuie, en outre, de théories confirmées par l’expérience.
- Nous adressons à tous les grands journaux de Paris le présent numéro contenant le compte-rendu des opérations de la société du Familistère, et nous leur demandons pourquoi, lorsque chaque année semblable document est publié, aucun d'eux ne s'en occupe.
- Des faits semblables ont pourtant une autre portée que n'importe quel congrès ouvrier ou quel discours violent sur les questions ouvrières.*
- L'association du Familistère ne court pas, il est vrai, après la publicité. Mais de faits aussi considérables que ceux produits par une telle fondation, il se dégage des enseignements d'une réelle valeur.
- Il nous semble qu'il serait du devoir de la presse de les produire et de lés discuter.
- SOCIÉTÉ DU FAMILISTÈRE DE GUISE
- ASSOCIATION COOPÉRATIVE DU CAPITAL ET DU TRAVAIL Exercice 1881 -88 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- Séance du ier Octobre 1882, à 3 h. du soir Présidence de M. GODIN, fondateur
- ORDRE DU JOUR
- 1° Rapport de l’Administrateur-Gérant sur la situation morale, industrielle et financière de l’Association (Exercice 1881-82) ;
- 2° Rapport du Conseil de surveillance surle même sujet;
- p.625 - vue 626/836
-
-
-
- 626
- LE DEVOIR
- 3° Modifications aux deux premiers alinéas de l'art. 128 et aux art. 131, 132 des statuts, pour l’affectation des 25 °/0 non applicables à la Réserve, celle-ci étant complète ;
- 4° Adoption du rapport de la Gérance et de celui du Conseil de surveillance, s’il y a lieu ;
- 5° Election au scrutin secret et à la majorité absolue des votants, de trois commissaires-rapporteurs devant former le Conseil de surveillance pour l'exercice 1882-83.
- Présents : M. Godin et 59 associés comme en témoigne la liste annexée au procès-verbal.
- Absents : MM. Méresse Pierre et Léguiller-Blon-del.
- Le bureau est composé du Président et des conseillers de Gérance ayant qualité d’associés, savoir : MM. Barbary, Dequenne, Pernin, Piponnier et Seku-towicz.
- Après l'appel nominal, M. le Président déclare la séance ouverte. Il constate que toutes les formalités d’affichage et de convocation ont été remplies, conformément aux Statuts.
- L’ordre du jour est abordé.
- M. le Président donne lecture à l’Assemblée du rapport suivant :
- Amis et chers Collaborateurs,
- Conformément aux prescriptions statutaires, je viens vous rendre compte de la situation de notre Société, après l’exercice 1881-82.
- Au point de vue moral, j’ai la satisfaction de constater que le sentiment de la solidarité qui unit le travail et la direction industrielle s’affirme de plus en plus entre nous.
- En général, les ouvriers attachés aux usines ne sont plus sous la pression de celte incrédulité qui leur faisait considérer comme un rêve l’association du Familistère, dont vous êtes membres. Mieux comprise de jour en jour, l’association resserre de plus en plus les liens de bonne confraternité.
- Des cercles, des réunions se multiplient pour l’étude et la discussion, influant ainsi sur le progrès des idées et l’avancement intellectuel des membres de la Société.
- Cette année le nombre des personnes prenant part aux bénéfices de l’Association s’élève à. 857
- Ce nombre se décompose ainsi :
- Associés.......................... 63
- Sociétaires ....................... 70
- Participants.......................571
- Intéressés ....... 153
- Ouvriers n’ayant encore droit qu’aux assurances mutuelles................ 800
- Les titres d’épargne des travailleurs membres de l’Association s’élèvent déjà 4 840,715 fr. 56 c., indépendamment de 508,979 fr. 55 c. appartenant à l’assurance des pensions et du nécessaire et de 460,000 francs à la réserve.
- Bien convaincus que l’avenir de l'association repose sur le progrès intellectuel et moral de ses membres, nous nous sommes attachés cette année à reprendre par sa base l’instruction au Familistère.
- Nous avons à cet effet établi notre groupe scolaire sur un nouveau plan, en y adjoignant quatre salles de classe et un préau coavert. Dans l’état de choses actuel, l’association du Familistère possède pour l’éducation et l’instruction de ses enfants :
- La Nourricerie, salle des enfants de la naissance à deux ans ;
- Le Pouponnât, salle maternelle pour les enfants de 2 à 4 ans;
- Le Bambinat, divisé en deux salles maternelles : une pour les élèves de 4 à 5 ans 1/2 et une pour les élèves de 5 ans 1/2 à 7 ans.
- Après ces quatre premières classes de la basse enfance, viennent les classes d’école primaire proprement dites :
- La classe du cours élémentaire, élèves de 7 à 9 ans. id. du cours moyen, élèves de 9 à 11 ans, id. du cours supérieur, » 11 à 13.
- Une classe doublant le cours supérieur, élèves de 13 414 ans.
- Enfin, le cours supérieur complémentaire, élèves de 13 à 14 ans.
- La nourricerie est l’institution où les enfants, de la naissance à 2 ans, reçoivent tous les soins dûs à leur jeune âge: allaitement par la mère, quand celle-ci peut nourrir ; surveillance des maîtresses; nourriture, linge, propreté, etc., 39 enfants sont reçus journellement dans ce service.
- Le pouponnât est une première salle maternelle qui reçoit les enfants sortant de la nourricerie. Elle les garde de 2 à 4 ans. Les élèves y occupent le temps à des exercices récréatifs, des promenades dans le parc ou des ébats sur les pelouses.
- Vient ensuite le bambinat. Cette partie de l’éducation a reçu des modifications. La salle, autrefois unique, est aujourd’hui remplacée par deux salles constituant les deuxième et troisième salles maternelles; ce qui permet de faire deux divisions dans le Bambinat et d’isoler chaque maîtresse dans ses exercices. La deuxième salle maternelle reçoit les enfants de 4 ans et les garde jusqu’à 5 1/2. Ces enfants | passent ensuite à la troisième salle, où ils restent I jusqu’à Tâge de 7 ans au maximum.
- p.626 - vue 627/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 627
- Dans ces salles maternelles, nous nous efforçons de faire que l’enseignement soit récréatif, qu’il parle aux sens avant de parler à l’esprit, que toujours le fait soit sous les jeux de l’élève pour se graver dans sa mémoire.
- Néanmoins, l’enseignement réclame des perfectionnements que des maîtresses intelligentes, capables de bien s’assimiler les méthodes pourraient seules donner.
- Chacune de nos salies maternelles a une institutrice pour la direction des enfants. Les nouvelles lois qui régissent ces écoles nous créent des obligations nouvelles, difficiles à remplir; car il ne suffit pas d’imposer au professorat des obligations pédagogiques ; il faut avoir formé des professeurs capables de les remplir. Or la France manque de directrices pour les écoles maternelles. En ce qui concerne notre Société, il serait heureux que de jeunes filles sortant de nos écoles se consacrassent à cet enseignement ; une belle carrière leur serait assurée dans cette voie.
- Le nouveau plan des classes d’école primaire au Familistère exige de nouveaux professeurs; il donne lieu à l’établissement d’un programme ordonné de telle sorte qu’il soit méthodiquement et progressivement suivi dans chaque classe, afin de préparer les élèves du cours élémentaire pour le cours moyen, ceux du cours moyen pour le cours supérieur, et ceux du cours supérieur où devra s’acquérir le certificat d’études, pour le cours supérieur complémentaire.
- C’est ce que le comité des écoles du Familistère cherche à réaliser sur les propositions de son chef d’institution, par l’application du programme que voici :
- Programme scolaire
- 1. — Instruction morale, sociale et civique.
- 2. ~~ Exercices de mémoire sur ce premier sujet.
- 3. Lecture bien prononcée, sentie, sans intonation irrégulière.
- 4. — Ecriture bien soignée, enseignement et application des divers genres.
- 5. — Orthographe.
- 6. — Composition française et style.
- 7. — Arithmétique, les quatre régies et les proportions appliquées à tous les faits de l’industrie, du commerce et des choses usuelles et ordinaires de la vie.
- 8. — Géographie universelle, particulièrement celle de la France.
- 9. — Histoire, faits principaux de l histoire ancienne, histoire moderne de la France.
- 10. — Géométrie élémentaire. — Notions d’algèbre.
- 11. — Dessin linéaire.
- 12. — Sciences naturelles élémentaires; mathématique, chimie et physique.
- 13. —* Cours pratique industriel, visite aux ateliers,
- 14. — Musique.
- 15. — Gymnastique.
- Tous les efforts de l’association du Familistère doivent tendre à ce que ce programme soit de plus en plus appliqué avec méthode dans tous ses détails. Nous ferons ainsi de nos enfants, des femmes et des hommes instruits, qui seront l’avenir et la prospérité de l’association.
- Mais en cette matière moins qu’en toute autre, il ne suffit pas d’avoir de bons désirs, il faut la volonté et l’action. Cette volonté et cette action, après les avoir eues dans le plan, la conception et l’exécution des écoles, il faut les trouver encore chez de bons professeurs pour l’enseignement des élèves. Car c’est par un bon enseignement fait avec intelligence et méthode, que l’instruction porte ses fruits chez les élèves.
- Parallèlement à l’enseignement pédagogique, nous établissons des conférences pour enseigner à nos jeune gens les voies du bien qu’ils doivent suivre dans la vie, et les devoirs sociaux qu’ils doivent remplir dans l’association dont üs sont appelés à faire partie.
- Nous espérons extirper ainsi le reste des mauvaises habitudes, et faire de nos élèves des hommes de mérite et de valeur, pratiquant leurs devoirs aussi bien qu’ils connaîtront leurs droits.
- Telle est l’œuvre à laquelle je convie avec ardeur tou-s les membres de l'association. Car c’est des pères et mères que peut nous venir le concours le plus efficace dans l’accomplissement de cette tâche si nécessaire au soutien et au développement de l’association du Familistère.
- L’éducat’on et l’instruction de l’enfance sont classées au rang des garanties mutuelles que notre société s’impose comme premier devoir à remplir à l’égard de tous ses membres.
- Nos assurances mutuelles complètent ensuite la série des égards et de la protection nécessaires à l’existence humaine. Yoici les dépenses et les recettes auxquelles les divers services ont donné lieu :
- p.627 - vue 628/836
-
-
-
- 628
- LE DEVOIR
- Services de l’éducation et de l’instruction de l’enfance
- Les dépenses de ces services pour l’année 1881-82
- sont :
- Pour la nourricerie de... 7.004 60
- le pouponnât de..... 1.206 59
- le bambinat de...... 2.058 31
- les écoles de....... 14.719 55
- Total........... 24.989 05
- L’instruction a donc épuisé le budget minimum prévu par les statuts. Il est à prévoir que le Conseil de gérance devra lui accorder un complément cette année.
- Assurance des pensions & du nécessaire
- Solde en caisse au 1er juillet 1881.... 218.418 52 Parts des auxiliaires et versements statutaires de l’année................. 192.077 83
- Total........... Fr. 410.496 35
- Dépenses de l’année........... 31.516 80
- En caisse au 30 juin 1882........... 378.979 55
- La part des auxiliaires, exercice
- 1881-82, sera d’environ................ 130.000 »
- Le règlement de quelques erreurs pouvant légèrement modifier ce chiffre.
- Capital de l’Assurance des pensions et du nécessaire............. Fr. 508.979 55
- Assurances mutuelles contre la maladie Assurance des hommes
- Solde en caisse au 1er juillet 1881..... 11.420 15 Encaissements de l’année..........«. 47.635 35
- 59.055 50
- Dépenses de Tannée.........-...... 53.038 55
- En caisse au 30 juin 1882......... 6.016 95
- Il y a donc eu un excédent de dépenses sur les recettes de.... 5.403 20
- Cette année nos assurances ont payé en subsides aux malades :
- Section des hommes
- 2.800 bulletins de maladie...... Fr. 49.472 »
- Section des dames
- 462 bulletins de maladie......... 6.417 »
- Frais de pharmacie
- Pour les deux sections............. 7.029 »
- Assurances des dames
- A ssurance des pensions et du nécessaire
- Solde en caisse au 1er juillet 1881.... 6.146 90
- Encaissements de Tannée............ 3.904 90
- 10.051 80
- Dépenses de Tannée.......... 6.417 55
- En caisse au 30 juin 1882.......... 3.634 25
- L’excédent de , dépenses sur les recettes est de....2.512 65
- 21 pensions dont 10 au Familistère et
- 11 au-dehors.............................. 11.624
- A 24 familles comme nécessaire à la
- subsistance................................ 5.810
- A 55 familles à titre d’allocations
- temporaires................................ 9.097
- Aux réservistes.......................... 1.782
- A l’hospice et divers.................... 1.800
- Caisse de pharmacie
- Solde en caisse au 1er juillet 1882... 13.072 07
- Encaissements de l’année......... , 4.405 65
- 17.477 72
- Dépenses de Tannée........ 7.367 94
- Encaisse au 30 juin 1882......... 10.109 78
- L’excédent des dépenses sur les recettes a été de 2.962 fr. 29 centimes.
- Frappés de cette situation de nos assurances, les conseils de l’association ont décidé une augmentation des cotisations dans laquelle la Société intervient pour moitié et les sociétaires pour l’autre moitié, afin d’équilibrer les recettes avec les dépenses lorsque l’équilibre est rompu. De cette façon, les déficits ne pourront plus se produire.
- 93.031 »
- Les -services de mutualité pour l’instruction de l’Enfance, pour la maladie et les besoins dans le malheur, pour les pensions aux invalides et à la vieillesse, sont donc dès maintenant assurés; les revenus du capital suffiront bientôt à eux seuls pour les garanties dues à la vieillesse.
- Les services que toute association fraternelle doit considérer comme une obligation d’instituer, comme un devoir de la communauté à remplir avant tout partage de bénéfice, sont donc en parfait fonctionnement parmi nous.
- En vue de développer davantage la culture des esprits, nous avons essayé cette année de faciliter l’accès à la bibliothèque. Celle-ci a été mise sur un pied qui dépasse les besoins. Quatre salles ont été afifec-
- p.628 - vue 629/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 629
- tées à cette institution, mais l’expérience démontre que la lecture à domicile est toujours préférée ici. Il y aurait donc lieu de réduire au nécessaire le nombre de ces salles, afin de diminuer les frais de loyer, de chauffage et d’éclairage, affectés à la bibliothèque.
- Dans un but analogue de progrès de l’association, nous avons poursuivi diverses améliorations matérielles qui doivent exercer une influence salutaire sur le bien-être et le développement intellectuel et moral de la population.
- De ce nombre est l’achèvement des travaux pour la distribution des eaux au Familistère et à l’usine. Une citerne de 140 mètres cubes a été faite pour l’emmagasinement des eaux du puits artésien, sur le coteau voisin à une altitude de 20 mètres au-dessus de la vallée. Le Familistère se trouve ainsi alimenté d’eau à tous les étages par la pression naturelle des réservoirs, sans qu’il soit besoin de machine à vapeur.
- Le forage alimente en même temps la condensation des machines à vapeur de l’usine.
- Cette eau étant très propre au lavage du linge, l’administration du Familistère a dû naturellement songer à l’introduire dans les lavoirs et buanderies de l’association. Nous avons donc commencé une organisation nouvelle de ce service. Ces améliorations seront suivies sans discontinuer jusqu’à leur entier achèvement, afin de faire disparaître le lavage à domicile, qu’un certain nombre de familles continuent à pratiquer, contrairement aux règles de l’hygiène réclamées des personnes qui habitent le Familistère. Je dois même déclarer à ce propos que, vu les facilités offertes aux habitants par l’établissement perfectionné des nouveaux lavoirs, l’habitude de laver le gros linge à domicile sera désormais une cause d’exclusion de l’habitation du palais social.
- L'insuffisance des logements se fait de plus en plus sentir dans l’association. Afin de recevoir tous les membres qui désirent s’unir plus intimement à elle, nous avons commencé, comme annexe du Familistère, un édifice pouvant contenir 15 à 20 familles. Cet édifice est conçu sur un plan nouveau ; ces habitations seront une nouvelle expérience de ce qu’on peut faire pour l’habitation humaine et sociale.
- A ce sujet je crois devoir appeler l’attention de l’Assemblée générale sur l’urgence qu’il y a à décider dès maintenant des constructions semblables sur les terrains de Jison-Pré, et d’émettre son avis, dès cette réunion.même, afin que les études soient faites en conséquence dès l’an prochain.
- Il se pourrait que les développements de l’industrie de l’Association éprouvassent des embarras si les logements continuaient à faire défaut pour loger le
- personnel de l’Etablissement. Je vous proposerai donc un vote à ce sujet, sauf à renouveler ce vote dans une prochaine Assemblée.
- Un mur de quai a été construit sur le bras de l’Oise à l’ouest du Familistère, pour améliorer les abords du palais de l’association et les préserver des dégradations que les eaux causaient.
- La canalisation du gaz et les compteurs ont été mis en rapport avec les nouveaux besoins.
- En ce qui concerne l’industrie, nous avons agrandi l’usine conformément aux propositions que nous vous avions faites dans l’Assemblée générale du 2 octobre 1881.
- Au nord de l’établissement, l’émaillerie nouvelle est complètement installée. L’ensemble de ces constructions couvre une surface de 1960 mètres carrés. Le magasin de pièces qui en dépend, couvre en outre 840 mètres. Cet atelier contient 18 fours et2 étuves.
- Au midi, des constructions très-importantes ont été entreprises pour l’agrandissement des fonderies, de l’ajustage, de l’emballage et des magasins. Vingt-et-une halles représentant une surface de 6170 mètres carrés, sont aujourd’hui achevées. Ces halles ont été établies en continuation de celles existantes et forment ainsi un tout parfaitement relié.
- Pour desservir ces constructions nouvelles, il a été instalié 1130 mètres de chemins de fer et 36 plateaux tournants. L’outillage de toutes ces constructions est presque fini maintenant.
- Le matériel de l’usine a été augmenté d’une batterie de moulage mécanique, dont les résultats offrent les meilleures espérances pour l’association.
- Une machine à vapeur de la force de 50 chevaux a été installée pour ces agrandissements de la fonderie.
- L’ensemble des travaux faits depuis la fondation de l’association, en constructions et matériel neuf, s’élevait au 30 juin 1881 à 690.095 fr. 65
- Les travaux de l’exercice 1881-82 se sont élevés :
- En constructions
- à Guise. . . . 141.879 fr. 86
- En matériel à
- Guise....... 160.206 fr. 99
- Travaux à Laeken 25.263 fr. 83
- 327.350 fr. 68
- Total des dépenses au 30juin 1882. 1.017.446 fr. 33 Les amortissements prélevés depuis la fondation de la Société s’élèvent à..........................517.871 fr. 25
- Reste en compte. . . 499.575 fr. 08
- De très-sérieuses études ont été faites dans le courant de cet exercice sur diverses questions, en
- p.629 - vue 630/836
-
-
-
- 630
- LE DEVOIR
- particulier celles du chauffage, pour créer de nou-velles ressources à notre société.
- Cinq brevets d’invention et dix certificats d’addition ont été pris en France et en Belgique pour assurer à l’association la priorité des inventions qui ont été la conséquence de ces études et de ces recherches •
- Un nouveau système de chauffage en est résulté et son application donnera lieu à différents appareils dont les modèles sont en cours d’exécution.
- Un nouveau système de jalousie a fait ses preuves aux fenêtres du Familistère; il n’y a plus qu’à le produire pour la vente. Il me semble destiné à un véritable succès; il en est de même d’un nouveau système de cuvette de siège d’aisance.
- 3 modèles foyers économiques 41-42-43 ;
- 2 modèles de calorifère de salle à feu visible ;
- 4 modèles de cuisinière;
- 1 modèle de bac à charbon en tôle;
- 3 modèles de pelles en tôle ;
- 2 modèles de porte-parapluies, sont en fabrication.
- Plusieurs modèles de colonnes à jour et plusieurs
- appareils pour la cuisine au gaz y sont également.
- Diverses autres séries de modèles sont en cours d’exécution et seront aussi bientôt mises en fabrication.
- Le côté commercial de notre Société a un peu souffert de l’absence de froid l’hiver dernier. Des produits étant restés en assez grand nombre chez tous les commerçants, les réapprovisionnements ne se sont pas opérés avec la même ardeur que pendant l’exercice précédent. Le nombre de nos appareils de
- chauffage vendus s’élève à................94.172
- soit 11 mille pièces environ de moins que l’an dernier.
- Nous avons vendu, en outre . . . 130 000
- autres appareils et objets divers. Le chiffre brut des ventes dans les usines de Guise et de Laeken s’élève
- à................................. 5.599.016 fr. 89
- sur lesquels il a été accordé au
- commerce une remise de . 1.030.329 fr. 45
- Total net des ventes. . . . 4.568.687 fr. 44
- Le bilan de cet exercice s’établit de la façon suivante :
- du Familistère de Guise
- AU 30 JUIN 1882
- ACTIF
- PASSIF
- Familistère
- Immeubles................
- Matériel.................
- Marchandises.............
- Comptes débiteurs . . .
- 959.445.71} 36.662.79/ 86.911.88f 1.163.63)
- 1.084.186.01
- Usine <1© Guise
- Immeubles. . .
- Matériel. . . .
- Matières premières Machandises . .
- Valeurs diverses . Comptes débiteurs
- . 431.754.89N
- . 687.396.36 J
- , 966.518.57f
- . 763.453.42f
- 52.793.24\ . 3.439.866.88/
- 6.343.783.36
- TI sine de Laeken
- Immeubles............... 120.000 1
- Matériel............... 53.123.691
- Matières premières . . . 141.529.14 > 654.313.19
- Marchandises........... 167.271,45f
- Comptes débiteurs . . . 172.388.91 *
- Comptabilité «sociale
- Construction et Matériel neuf .... 1.017.440.33
- 9,099.728.89
- Famili stère
- Comptes créditeurs.................... 211.055.91
- Usine de Graisse
- Comptes créditeurs . . . 2.184.434.37 \
- Assurances mutuelles contre la maladie I Hommes. ...... 6.016.931 2.204.195.35
- Dames......................... 3.634.2b J
- Caisse de Pharmacie. . . 10.109.78/
- Usine de Laeken
- Comptes créditeurs.................... 44.081.71
- Comptabilité sociale
- Comptes créditeurs . . .
- Assurances des pensions et du nécessaire. . . .
- Frais d’éducation et d’ins-
- truction .........
- Amortissement des immeubles et du matériel. .
- Fonds de réserve....
- Capital
- social
- /Apports.... 3.551.716.44 } Epargne... 840.715.56 < Epargne de / l'assurance
- \ des pensions 207.568
- Plus value de l’exercice.
- 122.717.89 |
- 171.411.551 9.365.431
- 517.871.25 / 6.640.395.92 355.914.50/
- 4.600.000 I
- 863.115.30/
- 9,099.728.89
- p.630 - vue 631/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 031
- Les produ ts bruts de l’année se décomposent ainsi :
- Familistère (services commerciaux
- et loyers).................. 84.668 66
- Usine de Guise.................... 794.568 23 \
- — deLaeken............ 150.844 31 I
- »... . - - - . i
- 1.030.081 20 |
- Moins les Amortissements statutai- I
- res et les Frais d'éducation et d’ins- !
- traction, passés en écriture...?... 166.965 90 ;
- Plus value au bilan.... 863.115 30 j
- Intérêts du capital social
- à 5 0/0.................... 230.000
- Part de la direction de
- Lacken....................... 4.978
- Reste à répartir, conformément à
- l’art. 128 des statuts : Fr. 628.137 30
- Si vous adoptez les modifications aux statuts que j’aurai l’honneur de proposer à votre acceptation, les 628,137 30 seront ainsi répartis :
- 1° Fonds de
- réserve25 0/0. 157.034fr. 00.
- Pour compléter la réserve........ 104.185 fr. 50
- Reste en ex-
- céd ant...... 52.848 fr. 50.
- 2° Capital et
- travail 50 0/0 = 314.068 -f 52.848 50 = 366.916 fr. 50
- 3° Administrateur-gérant... 12 0/0 75.376 50
- 4° Conseil de Gérance 9 0/0 56.533 00
- 5° — deSurveiliance... 2 0/0 12.563 00
- 6° A la disposition du Conseil. 2 0/0 12.563 30
- Somme égale.... 628.137 fr. 30
- La somme de 366.916 fr, 50 revenant au travail et au capital est répartie dans la proportion des concours
- suivants :
- Salaires payés pendant l’exercice 1881-1882 au
- Familistère..,.......................... 66.092 05
- A l'Usine de Guise................ 1.784.583 20
- A l’Usine de Laeken................. 160.626 00
- Total des salaires.... 2.011.301 25 Concours supplémentaires des associés.........*.................... 144.354 00
- Concours supplémentaires des sociétaires ................................. 62.291 00
- Total des Concours reconnus au
- travail.............................. 2.217.846 25
- Intérêts du Capital social à 5 0/0 sur 4.600.000 fr..................... 230.000 QQ
- Total des services rendus,... 2.447,946 25
- Ce qui,sur le chiffre de 366.916 50 à répartir, donne 15 0/0 de l’évaluation des Concours,
- Répartition des 366.916 fr. 50 au Travail et au Capital.
- Salaires :
- Aux Associés 144.354 Supplément.. 144.354
- 288.708 à 15 0/0- 43.306 fr. 00
- Aux sociétaires........... 124.582
- Supplément.. 62.291
- 186.873 à 15 0/0 28.030 fr. 95
- Aux partici- ,
- pants......... 793.22825 à 15 0/0 118.984 fr. 20
- Aux épargnes
- réservées..... 63.105 à 15 0/0 9.465 fr. 75
- A l’assurance des pensions, épargnes des auxiliaires..... 886.032 à 15 0/0 132.629 fr. 60
- Au capital (intérêts)......... 230.000 à 15 0/0 34.500 fr. 00
- 2.447.946 25 366.916 fr. 50
- Les intérêts et dividendes du Capital seront de 5 fr. 75 0/0.
- La répartition des bénéfices que je viens de vous proposer est subordonnée à une modification aux statuts déjà discutée dans les Conseils, en dehors de cette enceinte, sur la question des 25 0/0 prélevés sur les bénéfices en vue de la réserve. Or, cette année les 460.000 francs de la réserve sont faits, et il reste comme vous l’avez vu un reliquat de 52.848 fr. 50 dont Implication serait faite au rachat d’apports, si les article 131 et 132 des statuts recevaient leur application. Mais depuis longtemps les membres de vos Conseils ont fait observer que ces rachats se faisaient déjà dans une forte mesure au nom de la Société, pour les parts revenants à l’assurance des pensions et du nécessaire, par application des dividendes représentés par le travail des auxiliaires; qu’en cette circonstance il conviendrait de distribuer aux concours du capital et du travail, les sommes provenant de cette réserve, et de ne rétablir le prélèvement de 25 0/0 des bénéfices que dans le cas où la réserve serait amoindrie.
- Cette mesure,après mûr examen, m’a paru fondée; les sommes qui sont distraites des bénéfices ont, en réalité, dépassé mon attente; cela est évidemment dû à la bonne administration que l’association a apportée dans les usines, au zèle que les employés et les ouvriers mettent chacun de son côté â aider à la
- 234.978 00 \
- p.631 - vue 632/836
-
-
-
- 632
- LE DEVOIR
- prospérité des affaires; il est donc juste que chacun jouisse du fruit de ses œuvres.
- En conséquence, je propose à votre sanction ces modifications :
- Le premier paragraphe de l’article 128 après ces mots : « Le bénéfice net est réparti de la manière suivante » serait ainsi rédigé :
- « Il est appliqué d’abord au fonds de réserve « 25 0/0, puis à la répartition comme il est dit arti-« cle 131 et 132, ci...................... 25 0/0.
- L’article 131 serait ainsi rédigé :
- • Dès que le fonds de réserve atteint le dixième * du fonds social, les 25 0/0 affectés au fonds de ré-« serve restent dans les bénéfices à répartir, con-« formément à l’article 128 des statuts. »
- L’article 132 serait ainsi rédigé :
- « Le fonds de réserve reste dans le fonds de rou-« lement de l’Association sans compte d’intérêt.
- « Dans le cas où le fonds de réserve est entamé, le « prélèvement sur les bénéfices est rétabli à son « taux statutaire, jusqu’à ce que ce fonds ait atteint « de nouveau le dixième du fonds social. »
- La parole est au Rapporteur du Conseil de surveillance sur toutes ces questions.
- [A suivre.)
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- Les affaires d’Egypte. — La presse anglaise montre une certaine hésitation à suivre le Times dans la politique qu’il a conseillée à l’Angleterre, et qui consiste à donner toutes les satisfactions possibles à la France, mais surtout à ne substituer à aucun prix, l’alliance allemande à l’alliance française. Sans attacher à cette réserve plus d’importance qu'il ne convient, il importe pourtant délia constater.
- Les journaux de Londres ne donnent aucune affirmation précise sur les intentions du gouvernement anglais relativement à la réorganisation de l’Egypte, et il est probable qu’il en sera ainsi jusqu’à la réunion du Parlement.
- Le Times suppose que,lors de la rentrée du Parlement il sera donné sur la politique du cabinet anglais en Egypte quelques explications qui suffiront à un œil exercé pour dessiner le caractère général des conséquences de l’œuvre qui vient d’être achevée. Mais c’est là tout ce qu’il est permis d’espérer, et il ne faudra même pas être surpris si cet espoir est déçu.
- Enfin, d’après Y Indépendance, la France* l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie seraient déjà d’accord pour la nomination d’une commission internationale, chargée de régler la question des dommages causés par le bombardement d’Alexandrie.
- question diplomatique. — Le P ail Mail Gazette publie un nouvel article sur l’avenir du canal de Suez :
- « Il y a lieu de croire, dit le journal anglais, que les négociations seront prochainement reprises, si elles ne le sont déjà, pour placer la liberté de la navigation du canal de Suez sous l’égide d’un traité européen.
- I* L’occupation permanente de quelques points du canal par les Anglais serait contraire aux idées politiques de M. Gladstone.
- » Le but de la politique anglaise par rapport au canal de Suez est d’ailleurs des plus simples. Le gouvernement anglais cherche à élever la voie d’eau artificielle qui coupe l’isthme de Suez au rang d’un bras de mer accessible en tout temps aux navires de toutes nations, en faisant toutefois une seule mais importante réserve.
- » Nous proposerons d’interdire toutes opérations militaires dans le canal et sur ses bords.
- » Les navires de guerre de toutes les nations, même de celle qui seraient en guerre avec la Turquie, seraient libres de traverser le canal, et en temps de paix et en temps de Fguerre, mais aucune opération militaire ne serait autorisée dans l’isthme, ni à une distance de trois milles de Port-Saïd et de Suez. »
- Pour assurer la protection du canal et l’observation du traité de neutralisation, la Pall Mail Gazette est disposée à adopter l’idée d’une police internationale telle qu’elle a été proposée par l’Italie.
- « Une ou plusieurs puissances recevraient de l’Europe le mandat de protéger le canal, et comme l’Angleterre s’est déjà chargée de cette tâche pendant la guerre actuelle, il lui sera facile d’obtenir à cet égard un mandat de l’Europe. La police internationale", désignée par le concert européen aurait à assurer la sécurité et la liberté du canal contre un gouvernement égyptien, régulier ou révolutionnaire, qui voudrait s’en emparer, aussi bien que contre M. de Lesseps, si cet autocrate du canal s’avisait de présumer trop de la patience de l’Europe. La seule objection contre l’établissement de la police internationale pourrait venir des partisans du priucipe d’après lequel la protection la plus efficace du canal serait celle qu’exercerait une nation neutre assez puissante. Il y a à cela quatre objections de la part de l’Angleterre.
- » D’abord elle a repoussé ce principe à propos du canal de Panama, et conséquemment elle ne saurait l’adopter pour le canal de Suez ; secondement l’Angleterre ne veut pas se charger d’une besogne qui est essentiellement européenne; troisièmement, en admettant qu’elle voulût bien s’en charger, un pareil arrangement lui créerait des difficultés avec l’une ou l’autre des puissances; en quatrième lieu l’Angleterre n’a nullement besoin d’occuper les rives du canal pour le surveiller.
- ♦
- * *
- L’Agitation en Irlande. — Nous avons déjà dit que les chefs de l’agitation irlandaise s’efforcent de trouver un nouveau terrain de combat et de ressusciter la Land leagne sous une forme nouvelle.
- Ce n’est pas pour un autre but qu’est convoquée, pour le 17 octobre, à Dublin, la « convention» des députés irlandais.
- M. Michael Davitt vient précisément de communiquer à M. Parnelletà ses collègues le plan d’agitation dont il se propose de saisir la convention.
- Il s’agirait « d’améliorer la condition sociale et politique du peuple irlandais à l’aide de moyens légaux et constitutionnels les plus propres à assurer le succès des réformes dont l’Irlande a le plus de besoin.»
- M. Dawitt veut, entre autres réformes, l’abolition complète des lois relatives à la propriété des terres ; l’amélioration de la condition des ouvriers agricoles ; la création d’habitations plus saines pour le peuple ; l’établissement de self-government et l’extension de la franchise électorale qu’il compte obtenir plus spécialement par la voie de l’agitation populaire.
- Pour mieux atteindre son but, M. Davitt propose rétablissement d’une « association populaire légale », qui prendrait le nom de « Union nationale et industrielle de l’Irlande » et travaillerait au succès de l’œuvre à l’aide de moyens compatibles avec l’état actuel de la législation en Irlande » et de succursales dans toutes les provinces du pays.
- * ¥
- p.632 - vue 633/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 033
- Plusieurs branches de la Ligue agraire irlandaise ont fait parvenir à M. Gladstone des résolutions demandant qu'Arabi soit traité de la même manière qu’un patriote — le roi Cettiwayo — et que le gouvernement ne permette pas qu’il soit sacrifié à la vengeance des bondhol-ders égyptiens.
- Le Times assure que l’amiral Seymour hésite à accepter la pairie.
- 4e
- ¥ ¥
- Le Diritto publie la dépêche suivante de Constantinople :
- D’après les bruits qui courent, mais qui demandent confirmation, voici quelles sont les propositions qu’adressera l’Angleterre à la Porte :
- 1° Reconnaissance de la suprématie anglaise en Egypte ;
- 2° Conclusion d’un traité confirmant cette reconnaissance ;
- 3° Droit de l’Angleterre d’occuper l’Egypte, à la suite d’un simple avis préalable adressé à ce‘sujet à la Porte;
- 4e LaPorte doit s’engager âne pas débarquer de troupes ottomannes en Egyp‘e sans ie consentement de la Grande-Bretagne ;
- 5e Organisation d’un corps de gendarmerie anglo-égyptien.
- ITALIE
- Un meeting1 ouvrier à Naples, — Un meeting ouvrier a été tenu le 25 à Santa-Maria-Nova. Un grand nombre de Sociétés y ont assisté avec leurs bannières.
- Quatre ouvriers et l’avocat Piça ont pris la parole.
- Les discours ont été, en général, emprunts de modération .
- On a voté l’ordre du jour suivant :
- « Les ouvriers de Naples décident de soutenir les candidatures ouvrières en déférant le choix des noms à une commission exécutive. »
- *
- ¥ ¥
- Pendant que les Trades-Unions tiennent à Manchester un congrès où 160 délégués représentent 500,000 ouvriers associés, et créent une contribution de un penny par semaine et par tête, destinée à défrayer quinze ou vingt ouvriers que leurs camarades veulent faire entrer au parlement, d’un bout à l’autre de l’Italie de nombreuses Sociétés ouvrières, unies pour la propagande électorale aux républicains, aux démocrates, aux progressistes, espèrent faire asseoir dix ou quinze ouvriers sur les bancs de la future Chambre.
- k
- * *
- Les eaux décroissent en Italie : villes, bourgades, villages, hameaux, moissons émergent lentement. On évalue à cent millions la dépense à faire pour réparer le dommage causé aux travaux publics, mais personne n’ose évaluer la somme des dégâts privés. Que de misères ! L’émigration décime les malheureux épargnés par l’inondation ; c’est l’heure fatale où les recruteurs embauchent par centaines des misérables qui demeurent sans pain, sans asile, sans ressources dans le présent, sans espérance pour l’avenir. Ceux qui restent seront dévorés par la pellagre et par la fièvre. Ainsi les fléaux s’engendrent, ainsi s’appauvrit l’Italie.
- AFRIQUE
- Insurrection clans i’Hedjaz. — Une insurrection a éclaté parmi les Arabes de l’Hedjaz qui ne veulent plus reconnaître le sultan comme kalife.
- On attribue la révocation du chérif de la Mecque à la sympathie qu’il aurait manifestée pour ce mouvement.
- Nous avions depuis longtemps annoncé ce mouvement arabe de l’Hedjaz et de l’Yémen qui fait partie d’une suite d’opérations déterminées.
- j L’ère de la révolution étant ouverte en Orient, il n’y a plus de raison pour que ça finisse.
- Vous verrez que les capitalistes n’auront pas aussi facilement raison des chefs arabes de l’Hedjaz que des officiers de cour qui se trouvaient malheureusement dans l’armée d’Arabi.
- Oui, chers capitalistes, la révolution arabe vous ménage une série de surprises aussi désagréables qu’inattendues.
- Et plus vous croirez que ça finit, plus vous verrez que ça recommence.
- RUSSIE
- Le Times rappelle le cérémonial observé pour le couronnement d’Alexandre II, et qui doit être également suivi pour celui d’Alexandre III :
- Les trônes où se trouvaient assis l’empereur et l’impératrice étaient ceux de Jean III et de Michel Feodoro-witch, qui ont servi jusqu’ici dans tous les couronnements, depuis celui de Pierre-le-Grand. Les prélats officiants étaient les archevêques de Moscou et de Nowgo-ro i, qui commencèrent la cérémonie en bénissant la sainte bannière de Russie et celle de Notre-Dame de Kiew. La bannière ayant été aspergée d’eau bénite, fut présentée à l’empereur, qui la fit ondoyer trois fois et la remit ensuite aux mains du primat. Alors Sa Majesté s’agenouilla, et l’on posa sur ses épaules le manteau impérial d’argent et d’hermine. Ensuite, l’empereur se releva. On lui remit l’épée de Jean III, et on lui plaça le sceptre dans la main droite. Enfin, il s’assit sur son trône, le front ceint du diadème impérial. L’impératrice s’ageuouiila devant son époux, qui, ôtant sa couronne, la lui posa un instant sur la tête.
- Une autre couronne, plus petite, fut ensuite placée sur le front de l’impératrice par les dames de la cour, qui la couvrirent aussi d’un manteau, comme celui du czar. Pendant que s’accomplissaient ces cérémonies, on récitait des prières, et le clergé et trois cents choristes chantaient des cantiques. Jusqu’alors le peuple n’a pas encore poussé d’acclamations, le Gzar n’ayant pas encore été oint. C’est la plus importante partie de la cérémonie, et voici comment elle s’accomplit. L’archevêque de Moscou tient en main un vase d’argent rempli d’huiie sainte, dans lequel a été plongé un morceau de la véritable couronne d’épines. Il prend une petite branche de palmier d’or, la trempe dans l'huile et en touche le front du czar, ses paupières,ses oreilles,ses lèvres et la paume de ses mains. Ensuite le clergé se prosterne devant le czar, on entonne le Te Deum ', e\ les assistants poussent des acclamations immenses, enthousiastes. La cérémonie est terminée dans la cathédrale de l’Assomption.
- Une •ville << nflo-fointtlne. — Une intéressante découverte archéologique vient d’être faite près de Poitiers.
- Il s’agit d’une ville gallo-romaine. fVoiei comment M. Lisch, inspecteur des monuments historiques, raconte la chose à M. Marcille, l’antiquaire bien connu :
- Je viens de voir dans ma dernière tournée des trouvailles magnifiques ; c’est une ville entière gallo-romaine que l’on a découverte aux environs do Poitiers; elle renferme un temple de soixante dix mètres de façade, sur cent quatorze de longueur; un établissement thermal qui couvre deux hectares, et qui possède encore ses piscines, ses hypocaustes, ses canaux, ses dallages, etc.; un théâtre dont la scène a quatre-vingt-dix mètres de large avec son enceinte de gradius, ses vomiloires; enfin des rues entières, des maisons, des hôtelleries, en tout près de sept hectares de constructions, et ce n’est pas fini de fouiller. C’est un petit Pompéi au centre delà France.
- Je ne vous parle pas des sculptures qui sont du meilleur style et qui, selon moi, doivent dater du
- p.633 - vue 634/836
-
-
-
- 634
- LE DEVOIE,
- deuxième siècle, euflu d’une quantité d'objets de fer, de bronze, de terre, ete. C’est merveilleux !
- Je viens de voir notre directeur des beaux-arts , M. Mantz, qui a ôté émerveillé de cette découverte, et qui pense, comme moi, qu’il faut arriver à la conserver.
- URUGUAY
- Les trois missions chargées de procéder à l’observation du passage de Vénus sur la côte de Patagonie (à Santa-Cruz, Rio Negro et Chubut), sont arrivées le 14 août dernier à Montevideo.
- L'aviso le Volage, mis à la disposition de M. le capitaine de frégate Fleuriais, chef de la mission de Santa-Cruz, se trouvait à Montevideo depuis le 4 août. Enfin la Romanche, qui se rend dans les parages du cap Horn, pour y procéder à des expériences de magnétisme, de météorologie et d’hydrographie, ainsi qu’à l’observation du passage de Vénus, a mouillé, le 24 août, dans les eaux de ia Piata.
- L’accueil fait au personnel de nos missions scientifiques par les autorités de la République orientale a été particulièrement cordial et empressé.
- Le gouvernement argentin ayant bien voulu accorder à M. Perrotin, chef de la mission de Rio Negro, l’autorisation d’embarquer sur le transport de guerre Villarino, M. Moreau, capitaine de la Gironde, s’est chargé de conduire à Buenos-Ayres, sans frais supplémentaires, le personnel et le matériel de cette station.
- Quant à l’expédition du Chubut, dirigée par M. l'Ingénieur hydrographe Ilatt, elle a dû être portée à son lieu de destination par l’aviso le Labour donnais, de la division navale de l’Atlantique sud.
- Les chefs des missions de Santa-Cruz et de Chubut, et les officiers qui en font partie, s’étant rendus à Buenos-Ayres, ont été également reçus avec la plus grande courtoisie par les autorités argentines.
- Lors du passage de la Gironde à Ric-Janeiro, l’empereur du Brésil a reçu les trois chefs de mission, et leur a montré la plus grande sympathie.
- ALLEMAGNE
- Un avis inséré au Moniteur officiel de Berlin annonce que les élections pour le renouveltement de la Chambre prussienne auront lieu le 19 octobre peur le second degré, et le 25 du même mois pour le premier degré. Aux termes de la Constitution de 1*50, le* députés du Landtag prussien sont élus par le suffrage à deux degrés ; est électeur primaire tout Prussien âgé de vingt-quatre ans, domicilié depuis six mois, et jouissant de ses droits civils ; les militaires en activité de service preunent part au vote dans le lieu de leur garnison. Le collège des électeurs du second degré se compose des éius du suffrage universel, à raison de i délégué par 250 électeurs primaires ; est éligible tout Prussien âgé de trente ans, jouissant de ses droits civils, et domicilié depuis un an, La Constitution ne spécifie pas d’incompatibilités électorales ; aussi les fonctionnaires de tout ordre, et notamment les landraethe, qui correspondent à peu près à nos préfets et qui sont autorisés à représenter la circonscription même qu’ils administrent, occupent-ils toujours un nombre respectable de sièges à la Chambre prussienne.
- Dresde a vu un congrès anti-sémite dans lequel des hommes qui se croient sérieux, et peut-être justes, ont conclu à l’élimination, à l’expulsion, à la disparition des israélites I On accuse les juifs, d’abord d’être supérieurs aux chrétiens en activité, en commerce, en industrie, puis par-dessus tout d’être sémites, d’appartenir à une autre race. Etrange amaigame de fanatisme, de jalousie et de préjugés soi-disant scientifiques ! Croirait-on que 1.40o étudiants de Berlin, et plus de miile étudiants de l Université de Dresde se sont laissés emporter à cette sorte de fureur? Il faudrait plaindre la
- nation allemande si cette odieuse croisade, dont rUn des promoteurs est M. de Bismarck, pouvait descendre de la surface dans les profondeurs du peuple. Les parti-sans de M de Bismarck ont fêté le 23 septembre le vingtième anniversaire du jour où il fut appelé au pouvoir. On n’a pas manqué de le comparer à Cavour La différence est grande. M. de Bismarck n’a point fondé l’unité de l'Allemagne, cette unité se faisait sans lui, ce qu'il a fondé, c’est l’hégémonie de la Prusse, sa création c’est l’empire allemand. Or, en le construisant en le fondant sur la force, en le condamnant à demeurer le mieux et le plus armé des Etats d’Europe, M. de Bismarck l’a fait porter à faux, et sa chute n’est pas seulement possible, elle est certaine; ajoutons qu’elle est désirable. Dieu merci, l’empire allemand n’est point l’Allemagne.
- — —tgr i ------
- LE TRAVAIL A TRAVERS LES AGES
- I
- Origine de l’homme. — Ses besoins. — Nécessité du travail pour y pourvoir
- L’homme a-t-il été créé du limon de la terre il y a à peine six mille ans, être parfait et supérieur, comme le dit la Bible, ou bien l’homme est-il le résumé le plus complet du progrès accompli par les êtres depuis les millions d’années d’existence que la science attribue à la terre ?
- Le récit de la Bible ne reposant que sur une soi-disant révélation divine qui n’a certainement jamais existé, et se trouvant en contradiction manifeste avec les données les plus positives de la science, il semble difficile de pouvoir admettre la création de l’homme telle que le livre sacré nous la fait connaître. D’ailleurs ce texte lui-même, prétendu inspiré, se contredit le plus souvent, et ne mérite aucune créance.
- La science, d’autre part, nous apprend qu’entre l’homme et les animaux il y a progrès, transformation des organes, mais non scission absolue. L’orang-outang, le chimpanzé et le gorille, les trois grandes races d’anthropomorphes, sont quadrumanes, nous dit-elle ; mais entre le pied du gorille et celui des races humaines inférieures la distance est faible. Le cerveau de l’homme et celui du singe sont conformés sur le même type ; il y a dans l’embryon un état ou les deux cerveaux sont identiques. Les nouveaux nés dans les deux genres se ressemblent parfaitement, mais l’un progresse, tandis que l’autre reste stationnaire. De tout cela, la société d’anthropologie de Paris a conclu que les différences organiques qui existent entre l’homme et les singes ne sont pas plus grandes que celles qui se remarquent chez les diverses familles simiennes, et sont moindres que celles qui séparent les simiens des autre*
- p.634 - vue 635/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 635
- groupes vertébrés. En un mot, le singe serait un homme qui aurait subi un arrêt de développement, et l’homme un singe parvenu à son développement complet.
- Sans chercher à résoudre ce problème dans ce sens plutôt que dans un autre, constatons tout simplement que les êtres animés ont suivi sur la terre une marche ascendante régulière, de telle sorte que leurs formes les plus élevées n’apparaissent, dans l’ordre de leur succession, que comme un dévelop pement de leurs formes inférieures. Dans toute la série paléontologique, on n’aperçoit pas un seul groupe d’une organisation supérieure entrer en scène avant l’un quelconque des groupes qui lui sont inférieurs.
- Les mammifères ont apparu avec l’âge tertiaire, et ils avaient atteint leur complet développement au milieu de cet âge. C’est à peu près à cette époque que les types principaux des singes se montrent, et le singe fossile dont on possède des restes nombreux, le Mesophithecus Pentelici appartient à l’étage supérieur du miocène, ou deuxième période de l’âge tertiaire.
- La science possède, comme se rapportant à cette époque, des objets portant les traces d’un travail actuellement regardé comme réellement dû à l’intervention d’un être humain. Ce sont les silex de Thenay, recueillis à une grande profondeur au-dessous d’une couche récente de silex polis, d’une couche quaternaire de silex du type de St-Acheul, et de plusieurs couches tertiaires miocènes avec de nombreux débris de mammifères, haliterium, mastodonte, acrotherium, etc.
- Ce qui dans ces objets remontant à une antiquité si reculée paraît rendre incontestable la main de l’homme, c’est que quelques uns d’entre eux non seulement portent des traces de feu, mais encore ont été pour ainsi dire taillés au feu, la taille par percussion n’ayant servi qu’à corriger celle due à l’action du feu.
- L’existence de ces silex semble donc démontrer d’une façon péremptoire la présence de 1 homme dans la période du miocène moyen. Mais à cette époque il n’y a pas une seule espèce de mammifère identique avec les espèces actuelles ; toutes les espèces animales et végétales se sont modifiées sur notre sol depuis cette période éloignée, et depuis la formation du calcaire de Beauce, à un étage au moins au-dessus des silex de Thenay, la faune mammalogique s’est renouvelée complètement au moins trois fois. « Entre celle du miocène moyen, et celle des temps actuels », ditM. de Mortillet, « il n’y
- a pas seulement des différences d’espèces, mais des différences de genre ».
- Impossible donc d’admettre qu’au milieu de ces changements si nombreux et si complets, de transformations aussi radicales, l’homme seul ait pu rester immuable, quand on songe surtout que les changements des êtres sont d’autant plus rapides que leur organisation est plus complèxe.
- C’est en raison de cette considération d’une portée incontestable, que la taille des silex dont il s’agit a été attribué par M. de Mortillet à un être pre-curseur de Vfiomme, dans le sens le plus large, c’est-à-dire non pas seulement dans le sens d’individu ou même d’espèce, mais dans celui de genre précurseur de l’homme, d’où auraient pu sortir au moins deux types d’hommes à la fois. M. Hovelac-que a essayé de faire une restauration anatomique de ce précureur présumé, d’après la comparaison des singes anthropomorphes et des races humaines les plus anciennes, les uns et les autres étant dérivés d’une souche commune.
- D’autres auteurs, tels que M. Gaudry, se basant sur les exemples nombreux qui prouvent que les singes actuels savent utiliser les outils naturels, tels que les pierres brutes et les bâtons, attribuent la taille des silex de Thenay au dryopithecus, grand singe anthropomorphe découvert par M. Fontan à Saint-Gaudens, et décrit par M. Ed. Lartet, et se rapprochant de l’homme par la taille, les dents incisives, la forme arrondie des mamelons, des arrière-molaires, la courbe de la ligne du menton, etc.
- Nous avons,d’autre part, les preuves de l’existence de l’homme dans l’époque pliocène, trouvées par M. Withney, qui a constaté neuf découvertes d’ossements humains et de restes d’industrie humaine dans le pliocène de Californie.
- L’homme primitif habitait, au début de l’âge quaternaire, les plaines, les plateaux et les bords des grands cours d’eau. Son unique instrument pour tous les usages était une sorte de hache ou de pointe de silex assez lourde et grossière, longue parfois de 24 centimètres, mais en général plus petite. C’est daus les alluvions quaternaires des hauteurs, à Abbeville que les premiers instruments de ce type ont été découverts par M. Boucher de Perthes, mais c’est surtout à St-Acheul, dans les alluvions de la même époque que le docteur Rigollot en découvrit en abondance dès 1850.
- Pour se faire une idée de l’époque à laquelle remonte, d’après ces découvertes,l’origine de l’homme, il faut ne point perdre de vue que Fourier a calculé que la terre échauffée à une température quelconque et plongée dans un milieu plus froid qu'elle,
- p.635 - vue 636/836
-
-
-
- LE) DEVOIR
- mettra 1.280.000 années à se refroidir autant que le ferait un globe de 1 pied de diamètre, dans l’espace d'une seconde, dans les mêmes circonstances ; que d’après les calculs de Becquerel, le creusement de certaines vallées d’une profondeur de 2 mètres 30 dans un sol granitique avait dû mettre 82,000 ans à s’effectuer, et que M. Elie de Beaumont a démontré qu’une végétation de 25 ans ne peut fournir que 2 millimètres de houille, ce qui donne 750,000 ans pour une couche de houille de 60 mètres d’épaisseur. Or, comme les terrains quaternaires où l'on trouve la trace incontestable de l’homme sont à 600 mètres de profondeur approximative moyenne, il s’ensuit que l’homme primitif date de bien longtemps avant les 6,000 ans que la Genèse lui assigne.
- La présence simultanée des ossements fossiles humains et des instruments de travail en silex taillé démontre que, dès son apparition sur la terre, l’homme éprouva des besoins, et qu’il dût recourir au travail pour les satisfaire. Contemporain, dans cet âge du premier diluvium, du mammouth, de l’ours des cavernes, et de l’auroch, dont la disparition a été successive, et poussé par la nécessité de se défendre contre ces puissants animaux, de s’abriter contre les intempéries, et de chercher dans la chasse et la pêche les aliments nécessaires à sa nourriture, il commence à avoir l’idée de l’instrument, arme et outil en même temps. Il prend l’objet le plus résistant et le plus dur qu’il ait à sa portée, deux blocs de silex, et par le choc, il obtient un objet qui dénonce juste assez de travail pour prouver que c’est l’homme qui l’a fait et non le hasard. Connaît-il le feu ? Cela paraît probable, car les étincelles qu’à provoquées le heurt des deux morceaux de silex ont dû lui en révéler l’existence et le moyen de production. Les traces de feu que portent les silex taillés de Thenay le prouvent clairement d’ailleurs.
- D’après M. Leguay, l’homme, au commencement de lage quaternaire, l’âge de pierre, possédait déjà les principaux éléments de la taille des pierres ; le marteau servant à dégrossir les haches, et le percuteur au moyen duquel il détachait de longs éclats. Toutes les haches de cette époque sont en effet taillées, dit M. Zaborowski, au moyen d’un silex long, ayant à peu près la forme d’un marteau, qui enlevait sur les deux faces des éclats se détachant par suite de la propulsion spéciale à tout outil emmanché. On trouve avec elles quelques lames de silex qui, elles, ont été détachées à l’aide du percuteur.
- Une taille relativement aussi régulière suppose une assez longue période de tâtonnement ; mais son uniformité, une fois découverte, ne varie plus pen-
- dant des milliers d’années, puisqu’on en a trouvé à des profondeurs diverses, dans différentes couches et dans presque toutes les parties du globe.
- Ainsi l’homme, dès le commencement, loin d’être parfait et sans besoins, comme la Bible nous représente Adam avant sa chute, éprouve des besoins, et a recours au travail dans la nécessité où il se trouve d’y pourvoir. Ce travail est d’abord la fabrication d’armes pour la chasse aux animaux, qui lui donnaient sa nourriture et de quoi se couvrir en même temps peut-être. Une fois armé, il chasse et pêche il se ménage des abris, soit dans les excavations des coteaux, dans les grottes ou les cavernes, où il peut braver les rigueurs des saisons et les intempéries de l’atmosphère.
- Il ne paraît pas douteux qu’il n’ait vécu, dès le début, en société de ses semblables, en tribus isolées, car si l’absence de l’apophyse géni, saillie osseuse, existant sur toute mâchoire humaine à la partie médiane interne, indique un langage articulé tout à fait rudimentaire chez l’homme primitif, il n’en est pas moins vrai qu’il devait en posséder un, puisqu’ils étaient vraiment de notre espèce, et que le langage articulé est notre unique caractère distinctif incontestable. La sociabilité en est un aussi, et les besoins de l’existence ne pouvaient que la développer et la faire naître au besoin, si elle n’eut pas été instinctive et innée chez l’homme.
- Les hommes primitifs ne paraissent pas avoir été guerriers ni anthrophages, car l’anthropophagie est le résultat de certaines conditions sociales et même religieuses, qui ne peuvent pas avoir existé à cette époque.
- Dominés et guidés par la nécessité de ce travail primitif que leurs instruments nous révèlent, ils se présentent à nous avec des mœurs et un état social au moins aussi voisins de ceux des anthropoïdes, que de ceux des races inférieures actuelles. Dans le lointain dans lequel ils nous apparaissent, ils se montrent doués d’une force prodigieuse, mais obligés, pour se nourrir, de se lancer, la hache de silex en main, à la poursuite des mammifères géants de cette époque, et leur physionomie bestiale, lourde, mais pacifique,nous.inspire la même sympathie que celle du bon et héroïque singe Hanouma célébré dans le Ramayana Indou, ou du Chimpanzé espiègle et débonnaire de nos jours. Leur férocité s’épuisait dans la lutte contre un milieu climatérique et animal écrasant et redoutable.
- Dans ce travail incessant, dans cette lutte constante, l’homme progresse, car aux armes et aux outils en silex taillé, succèdent les objets en silex poli, et alors il sait déjà se créer des instruments plus
- p.636 - vue 637/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 637
- légers et plus maniables, des lances , des couteaux, des grattoirs, qui, plus tard, à l’époque du renne, lui permettront d’exécuter des ornements, des essais de sculpture sur des plaques de schiste.
- Si nous avançons encore, nous le voyons se construire des habitations au-dessus des lacs, comme dans les stations lacustres de la Suisse, sur des pilotis de 15 à 30 pieds de long. Et il bâtit des villages entiers : celui de Morges à 60,000 mètres fcarrés, et devait compter plus de trois cents huttes. On y trouve déjà des molettes de tisserand en poteries, des hameçons d’os, des poids de filets. Puis il a acquis des animaux domestiques : le chien, le porc, le bœuf, une espèce de mouton ayant de grands rapports avec la chèvre ; et enfin il arrive à cultiver le blé, l’orge, etc.
- Ces progrès réalisés de la sorte excluent toute idée de comparaison des hommes primitifs avec les peuplades sauvages actuelles de l’Océanie et de certaines parties de l’Afrique, qui depuis des siècles n’en ont réalisé aucun, et n’en réaliseront probablement pas, tant qu’elles resteront livrés à elles * mêmes. D’où vient cependant cette différence ? Ne serait-ce pas de ce que l’obstacle est un stimulant qui excite et tient en élan les facultés de l’homme, et le pousse à marcher toujours en avant pour atteindre le but? L’obstacle disparu,l’émulation cesse et l’apathie survenant provoque l’immobilité destructrice de tout progrès.
- (A suivre).
- Parmi les faits divers et cancans qui nous arrivent de Constantinople, en voici un qui peutcompter pour une fumisterie de premier ordre :
- Dernièrement un individu bien mis, long pardessus, bottes à l’écuyère, entre dans un établissement à Péra. Il dîne de grand appétit.
- (Un grand appétit est souvent compagnon de qui cache le diable en son porte-monnaie). Le quart d’heure de Rabelais venu, il cherche à s’esquiver. On s’en méfie ; on lui rappelle poliment qu’à Péra l’usage a consacré la bonne habitude de payer son écot.
- — Je n’ai pas d’argent, dit-il alors.
- On veut prendre son chapeau en gags.
- — Non, reprend vivement le sire, je ne puis me passer de chapeau, prenez plutôt mon pantalon.
- Il passe dans la pièce voisine et en rapporte aussitôt ce garant de la pudeur
- Malgré le froid, préservé par ses bottes et son par-dessus contre les regards indiscrets, tant bien que mal, il va frapper à la porte d’un hôtel de Galata. Il demande un gîte, soupe comme il a dîné, monte à sa chambre, fait un paquet de ses hardes, sonne le garçon et lui remet le tout à brosser.
- Le lendemain on lui rapporte ses habits.
- — Où est mon pantalon ? dit-il d’un air fâché.
- Le garçon n’a rien vu.
- L’autre fait mine de s’emporter.
- Attiré par le bruit, arrive le maître de céans.
- — Qu’est-ce, dit-il, pourquoi tout ce vacarme ?
- — Mon pantalon ! mon pantalon ! Qu’avez-vous fait de mon pantalon ?
- L’hôtelier comprend qu’il manque un pantalon et, craignant pour Ja réputation de son établissement, il s’empresse de faire compléter l’habillement de son hôte.
- — Et la bourse, dit celui-ci en fouillant les poches de son pantalon neuf...
- On parvient, nonsans peine, à le satisfaire’
- J’ignore ce qu’il peut avoir reçu, mais ce que je sais, c'est qu’à sou départ, son hôte l’accompagna jusqu’à la porte et lui dit :
- — Surtout, mon ami. ne parlez jamais de cette affaire.
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective(l>
- Contiimité de la vie St retour sur terre
- XIII
- Les juifs lui répondirent : Nous vous lapidons à cause de votre blasphème, parce qu’étant homme vous vous faites Dieu.
- Jésus leur répartit : N’est-il pas écrit dans votre loi : J’ai dit que vous êtes des dieux Saint Jean, chap. 10, v. 32 et 34.
- Jésus lui dit : Allez trouver mes frères et leur mandez de ma part ; je monte vers mon père et votre père, vers mon Dieu et votre Dieu.
- Le même, ehap. 20, v. 17.
- Notre père, que votre nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite, sur la terre comme au ciel.
- Saint Mathieu, chap. 6, v. 9 et 10.
- La manière de vivre de l’homme et ses rapports avec ses semblables se modifient suivant l'idée qu’il se fait de la nature intime de l’auteur de son être et s’améliorent avec le perfectionnement successif de ses connaissances relatives à la personnalité divine, principe de la sienne.
- L’homme a d’abord divinisé les forces de la nature qu’il considérait comme lui étant favorables ou hostiles. Il a ensuite et longtemps attribué à ses dieux des sentiments, des passions et des vertus qu’il trouvait en lui-même.
- Arrivé à la connaissance du Dieu unique, il l’a compris comme un être créateur en dehors duquel il était, qui l’observait et le jugeait ainsi qu’un auteur agit à i’égard de son œuvre.
- Actuellement Dieu est pour lui ia justice, la puissance, la bonté, la beauté, l’intelligence, l’amour et la vie.
- Dominé par ces conceptions diverses, successives ou concomitantes, l’homme a invoqué des puissances admises comme supérieures afin d’obtenir d’elles ce qu’individuellement ou en corps, il te sentait impuissant à conquérir par ses propres forces. Il leur demandait faveur, grâce ou récompense.
- Prier un arbre qui rend des oracles, une statue qui parle, un prétendu maître de tel ou tel élément, de tels ou tels sentiments., passions ou vertus, est toute autre chose que de s’adresser à un Dieu créateur de tout, et père de tous les hommes qu’il a formés afin que chacun d’eux le manifeste par les efforts progressifs de sa volonté vers la science et la vertu.
- Aujourd’hui les peuples éclairés repoussent comme des superstitions et des pratiques vaines, le culte des
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août ; 3, 10, 17, 24 septembre et 1er octobre 1882.
- p.637 - vue 638/836
-
-
-
- 638
- LE DEVOIR
- idoles, des fétiches, et des forces de la nature ou de l'homme divinisées. Mais combien d’autres pratiques tout aussi condamnables n’autorisent-ils pas ou ne pratiquent-ils pas par habitude.
- N’implore-t-on pas chaque jour Dieu, au lit d’un mourant, afin qu’il fasse vivre celui que l’on craint de perdre. Que-l’on prie, mais que l’on sache que si cette mort est en rapport avec la logique des choses, elle est nécessaire et que la demande de la vie ne saurait être exaucée. Celui qui prie peut seulement obtenir d’être résigné à sa douleur.
- Et ce peuple qui prie Dieu afin qu’il le délivre d’une peste ou d’une famine menaçante ou qui l’imploreafin qu’il lui conserve les jours de son chef bien aimé, n’est-il pas un peuple idolâtre et ignorant s’il espère qu’en sa faveur Dieu changera les plans d’une sagesse éternelle. Qu’il prie, mais dans une autre foi, et avec une autre espérance : qu’il invoque Dieu afin qu’il lui fasse comprendre ce qui est juste et légitime, qu’il lui inspire la résolution d’y conformer sa conduite, et le soutienne dans la volonté qu’il a de marcher dans cette voie, comme aussi de favoriser les efforts qu’il tente pour s’y maintenir.
- Quand des bandits invoquent un saint, la madone, Dieu lui-même pour la réussite des projets criminels dictés par leurs passions, c’est une abominable profanation.
- Réprouvons de même l’acte de ces cro}rantsqui demandent à Dieu l’extermination des infidèles et le don de leurs dépouilles.
- Tolérerons-nous encore ces invocations de deux belligérants au Dieu des armées : le père des êtres peut il, quoi qu’on dise, sanctionner des milliers de meurtres accomplis dans une bataille, l’incendie de villes et le ravage des campagnes.
- Quand il prie, l’homme ne saurait faire abstraction de cette idée qu’il est en face de toute justice, que né de Dieu et vivant en lui qui est la justice même, il doit vouloir la réparation de tout mal et la récompense de tout bien. La justice suprême serait en défaut si une seule faute échappait à la réparation, si un seul mérite n’était pour l’être un progrès dans la vie.
- S’il peut appeler Dieu son père, il doit nommer les autres hommes ses frères, et les aimer comme lui-même. Pour lui tous les hommes, fils d’un Dieu unique, ont l’identité de l’origine et celle de la conservation, ainsi que de la destinée: ils sont substantiellement égaux et frères.
- Une communion intime dans l’amour et dans la reconnaissance s’établit du fils au père, de la créature au Créateur; mais si le fils ne peut oublier que le
- père auquel il s’adresse est immense dans sa bonté, il ne saurait se dissimuler davantage qu’il est la source de toute justice.il faut aussi qu’il reconnaisse que la personnalité de Dieu étant infinie, il n’y a pas de personnalité en dehors d’elle,et que toutes les individualités des mondes y sont contenues, que créés du même Dieu, étant en lui et conservées par lui, elles sont sujettes aux mêmes devoirs aussi bien qu’eb les jouissent des mêmes droits : nul ne doit compter sur aucune faveur, ni sur aucun privilège.
- Quand chacun aura compris que tous les hommes vivent et se conservent en Dieu; le respect de la personnalité humaine, de celle des autres comme de la sienne, et le soin de la dignité de tous auront dans chaque conscience la même base inébranlable. Il n’y aura plus de soumission aveugle à l’autorité de ceux qui prétendraient parier au nom de ce père unique. Directeurs et dirigés ne sont ni plus ni moins les uns que les autres, nulle conduite ne doit être forcée, nulle volonté ne doit être contrainte.
- Cette simple croyance que les infidèles mêmes vivent en Dieu, ferait disparaître les barrières que la différence des cultes élève entre les homme». La grande famille sera constituée par elle.
- Souvent les peuples qui se sont dits honorés par privilège de la présence de Dieu, ont montré par leurs actes qu’ils étaient en arrièrede ceux chez lesquels ils prétendaient que Dieu n’avait pas encore daigné paraître. Contracdition et blasphème : Dieu est là, il est partout.
- A cette croyance que l’homme peut et doit prier, il faut que tous nos actes ajoutent cette affirmation du cœur et non des lèvres que la prière ne saurait faire obtenir ce qui n’est pas selon la justice et la volonté de Dieu. Ce n'est pas qu’il y ait des bornes à la toute puissance, mais il y a incompatibilité entre elle et ce qui est anormal et injuste. Ne disons-nous pas tous les jours que le règne de Dieu arrive, que sa volonté soit faite. Rendons-nous compte de ce que signifie cette prière, ayant un caractère si profondément collectif, social, politique, et universel qui comprend le ciel et la terre.
- Assurément nul n’entend que Dieu lui-même interviendra pour assurer l’exécution de sa loi. Chacun sait trop bien que c’est à l’homme libre et responsable qu’incombe la tâche de faire sa destinée, de remplir sa mission, et d’incarner la vertu. Nous entendons que ce règne de Dieu se fera par nous et pour nous, par tous nos frères et pour eux tous. Mais ce n'est ni aujourd’hui ni demain, que ce résultat appa-rait comme possible : nous ne le sentons que trop. Un retour sur nous même nous fait comprendre combien nous sommes loin d’avoir répudié tous nos dé-
- p.638 - vue 639/836
-
-
-
- LÈ DEVOIR
- 639
- fauts, même tous nos vices, combien plus encore il s’en faut que nous soyons ornés de toutes les vertus. Nul n’aura la folle prétention de croire que la fin de cette vie le trouve en mesure de remporter une si brillante victoire.
- Notre demande tend donc en réalité à obtenir pour nous, avec la force de nous réformer, l’occasion de le faire, avec la force d’accomplir la volonté de Dieu et de faire observer sa loi parmi nous, notre réunion sur cette terre, là où nous pourrons, au moyen de cette force, remplir ce but, et où tous convertis les uns par les autres nous amènerons, avec la mise en œuvre de toutes les vertus, le règne de leur auteur.
- Placés en face de la puissance et de la justice infinies, nous ne pouvons manquer de nous rendre compte de la nécessité de concourir par notre volonté à l’exécution de ses desseins, de notre obligation de revenir sur terre afin d’y achever notre mission qui est de i’embeUir ainsi que d’en faire le séjour de fils repentants régénérés et soumis, après qu’elle a été si longtemps le lieu d’exil des enfants ingrats et révoltés. Nous savons que longtemps encore notre terre sera indigne de Dieu ; qu’elle ne saurait devenir son royaume sans que la violence et la brutalité cessent d’y dominer. L’homme s’éloigne et s’éloignera davantage de la guerre pour se rapprocher de la paix, et nous finirons par confondre notre libre arbitre dans la volonté de notre père. Nous serons dignes alors de réaliser l’avènement de la justice sur la terre et Dieu régnera désormais parmi nous aussi bien qu’il règne au milieu de nos frères plus avancés habitants des mondes meilleurs.
- Partisans de la prière qui la comprenez avant tout comme une demande personnelle pour des circonstances spéciales, qui vous sont exclusivement relatives, ne vous sentez-vous pas inconséquents lors-qu’après avoir dit que votre règne arrive, vous formulez une demande avec la pensée d’obtenir quoique ce soit sans que votre effort concoure au but que vous poursuivez. Aide-toi le ciel t’aidera : Sans les œuvres, la foi est vaine. Ne vous sentez-vous pas encore plus inconséquents lorsque vous avez la prétention de limiter le choix et la volonté de Dieu en lui imposant la forme de son bienfait. Qu’une mère implore Dieu pour qu’il protège la vie de son enfant, qu’il soit aussi méritant que possible, que la fa* vaille entière, de nombreux amis partagent le désir ardent de la mère, pour le salut de l’enfant : il meurt néanmoins. Dieu, direz-vous, n’a entendu ni exaucé ces prières. Dites plutôt : Cette mort a eu sa raison d’être. Elle a été la conséquence logique de causes que nous pouvons ignorer, mais qui sont régies par
- les lois des choses et par conséquent identiques aux volontés divines.
- Pensez-vous d’ailleurs que la vie soit toujours avantageuse et la mort toujours regrettable ? Erreur, et quand cela serait, si telle mort est juste, elle est voulue et nécessaire. Loin d’accuser la justice de Dieu que nous ne saurions comprendre, et sa bonté dont nous ne pouvons connaître les ressources, disons-nous que si toujours nous avons besoin de retenir ceux qui partent, c’est de l’égoïsme que de demander qu’ils restent quand leur tâche étant remplie, leur mission est achevée, et que se produit une nouvelle phase de notre épreuve, celle de la séparation.
- La prière individuelle qui, sans tenir compte de la continuité de la vie, limite la puissance de Dieu, en exigeant satisfaction immédiate dans un temps et un lieu déterminés est une prière inconséquente et irréfléchie. C’est demander des biens terrestres qui ne sauraient avoir aucun prix pour qui a tout créé, c’est prétendre à ce qui serait contre nature et impossible, c’est par conséquent demander ce dont le désir même est interdit.
- Mettons notre intelligence d’accord avec nos lèvres : la volonté de Dieu n’est pas contradictoire avec elle-même. Nous ne saurions dès lors réussir en demandant à notre père le contraire de ce qui est dans son intention, en sollicitant de lui, en notre faveur, l’iniquité envers nos frères, ou en l’implorant afin qu’il seconde nos haines et nos convoitises.
- Que votre volonté soit faite cela signifie : nulle prière ne saurait être légitime et bonne c’est-à-dire efficace qu’autant qu’elle a pour but le bien et la justice. Ainsi que la dernière, doit être une action de grâces quelle que soit la manière rude ou facile dont la vie commence ou finisse, nous devons l’en remer-ciercier car toujours nous avons à défaut de l’avantage du présent que le passé commande, la perspective de l’avenir et le moyen d’en faire sortir notre bonheur. Toute la vie doit être une incessant^ prière de pensée, de parole et d’acte, une demande de force pour l’accomplissement du pèlerinage, et la conquête méritée d’une situation meilleure. Où que nous soyons placés dans un monde où nous rencontrons tant de doulears et de misères, nous ne saurions jamais prier, jamais demander à Dieu, et obtenir de lui que la force de supporter bravement la vie que notre passé nous a faite. Nous devons lui rendre grâces de ce que nous sommes nés fussions-nous les derniers des hommes, car nous sommes tels par notre faute, et il dépend de nous d’en devenir les premiers en étant les meilleurs.
- p.639 - vue 640/836
-
-
-
- 640
- LE DEVOIR
- Rendons-lui grâces par nos œuvres de ce que nous ayant fait naître pour que nous le manifestions, il nous a fait renaître afin de nous fournir l’occasion de nous réhabiliter, rendons-lui grâce de ce qu’il nous a donné l’idée de son existence et de notre filiation et prouvons'lui par nos actions que nous voulons devenir des hommes vertueux. Il nous aidera dans la poursuite de ce but : et c’est ainsi que la vie nous acceptera dans sa gloire.
- (A suivre). P. F. Courtépée.
- LA PROPRIÉTÉ DES FEMMES MARIÉES
- Lettre «le Londres
- Le 1er août dernier, l’assentiment de la reine était donné à un acte du Parlement qui établit (à partir du 1er janvier 1883), l’émancipation complète des femmes mariées, pour tout ce qui regarde les affaires pécuniaires ou de justice.
- Ainsi, à partir de la date indiquée, la femme du dernier chiffonnier anglais a un contrat de mariage fait, tout prêt, par un acte du Parlement, lui donnant les droits supérieurs à ceux conférés même par le contrat de la séparation de bien en France, car elle n’aura pas seulement droit de vendre ou acquérir les meubles de toute espèce, mais les immeubles, de même, sans autorisation maritale. Aussi tout notaire, banquier, agent de change ou Compagnie, est obligé de considérer comme à elle tout titre au porteur qu’elle peut leur présenter, et toute propriété inscrite sous son nom.
- En France, même une femme séparée de biens, est constamment ennuyée et gênée par les messieurs cités plus haut ; il faut qu’elle leur prouve son droit de vendre ou de retirer ses titres, et elle est traitée comme si elle avait dt voler ces titres à son mari. Je l’ai souvent éprouvé moi-même, étant mariée à un officier français et séparée de biens.
- A partir donc du 1er janvier prochain, nul mari anglais (même marié avant que cet acte fû.t passé), n’aura aucune espèce de droit sur la dot, les gages, salaires ou héritages arrivant à sa femme ; elle est libre, en plus, de passer tout contrat commercial ou autre,et de se protéger en justice sans son concours, elle peut être poursuivie en justice, sans joindre le nom du mari ; de même que lui est libre dans les mêmes choses, vis-à-vis d’elle.
- Cette loi a été votée par une majorité de 73 voix, dont 7 de ministres, et saluée par des hurrahs de la Chambre. C’est la fin d’une lutte, d’une persistance héroïque, commencée par quatre femmes et un homme (tous presque inconnus), et menée à bonne fin par le lord Thaucilluz. Le Times et le Manchester Examiners parlent de cette nouvelle loi comme faisant « époque dans l’histoire, » d’autres journaux comme d’« une grande révolution sociale et « une excellen-te'réforme. » — Le Worman’s Suffrage Journal dit :
- « Nombreux ont été les travailleurs dans le mouve-vement, mais les noms qui seront à tout jamais associés à la grande consommation de « l’acte sur la propriété des femmes mariées » sont sans aucun doute, ceux d’Elisabeth Elmy et Ursule Bright (belle-sœur de John Bright). Françaises,prenez courage de l’exemple et du succès de vos sœurs anglaises 1
- Maria-Joséphine Salés.
- Ce ne sera pas une petite humiliation, pour le pays qui a proclamé les droits del’homme, de se voir ainsi distancé par l’aristocratique Angleterre sur le chemin de la justice et de la liberté.
- Il n’est que trop vrai. Quand tout marche autour de nous, nous restons stationnaires pour ce qui concerne notre déplorable organisation de la famille, pétrifiés dans une sorte d’admiration pour un code où le plus grand des despotes a laissé son empreinte.
- Il me semble que ce génie fatal exerce encore son prestige à 70 ans de distance, même sur les esprits les plus hostiles à sa dynastie; et tel de nos plus fiers républicains prend un langage ému dès qu’il parie du Code Napoléon, et se signerait volontiers avant de porter une main sacrilège sur le moindre de ses articles, témoin le président de la Chambre, M. Brisson, qui demandait en 1869 avec M. Acollas, la réforme du Contrat de mariage, et qui n’y songe seulement plus depuis qu’il aurait chance de l’obtenir.
- Cependant les nations qui ont dû adopter nos lois civiles à la suite de la conquête, comme l’Italie, ont déjà porté la cognée dans cette forêt d’abus et de vieilleries qui, pour la sécurité et les droits de la femme, est comme un bois de Bondy.
- L’Italie a rendu la femme capable de témoigner dans les actes publics, tandis que l’assimilation de notre mère et de notre sœur avec les fous et les interdits est maintenue dans notre Code, à la honte du législateur.
- Quant aux pays qui sont restés en dehors de notre action, on voit quels progrès fis accomplissent et avec quelle hardiesse ils rompent avec la vieille tradition.
- —---.nwqjgfr.,
- ÉTAT-CIVIL DD FAMILISTÈRE
- NAISSANCES
- Le 28 septembre de Marie-Joséphine Quégneaux, fille de Quégneaux Alfred et de Eugénie Gorin.
- Le 30 septembre de Berthe-Renée Migrenne, fille de Migrenne Alfred et de Eugénie Noiron.
- DÉCÈS
- Le 29 septembre de Léon-Eugène Régnier, âgé de 9 jours.
- Le Directeur-Gérant : GODIN
- SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36*
- p.640 - vue 641/836
-
-
-
- 6e Année, Tome 6. ~n° 214. ’Le numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 15 Octobre 1882
- LE DEVOIR
- BUREAU
- A GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur-Gérant Fondateur du Familistère
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par Fenvoi, soit an bureau-de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an ... . 10 îr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . 11 fr.»»
- Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- ON S’ABONNE A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Ghamps Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement a titre d'essai.
- Si le journal n'est pas renvoyé au bureau de Guise après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- Assemblée générale ordinaire de VAssociation du Familistère. — La morale dans l'humanité. — Faits politiques et sociaux. — Le Travail à travers les âges. — L’ Unité de la vie passée, présente et future. — Le Congrès des Trade- Unions à Manchesteri — Le Congrès des Trade- Unions en Angleterre. — Le Magnétisme. — La Presse socialiste ouvrière. — La rage.— Bibliographie. — Bibliothèque du Familistère. — Etat-civil du Familistère. — Tribunaux. — Variétés.
- SOCIÉTÉ DD FAMILISTÈRE DE GUISE
- ASSOCIATION COOPÉRATIVE DU CAPITAL ET DU TRAVAIL
- ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE
- Séance du ieT Octobre 1882, à 3 h. du soir
- (SUITE)
- Présidence de M. GODIN, fondateur
- Le rapport de M. P Administrateur-gérant étant lu, M. Leblon, rapporteur du Conseil de surveillance, se lève et donne à l’assemblée lecture du document qui suit :
- « Mesdames et Messieurs,
- « Nous venons vous rendre compte du mandat que vous avez bien voulu nous confier dans votre assemblée générale ordinaire du 23 octobre 1881.
- « Notre vérification nous permet de vous affirmer que les chiffres qui figurent au bilan général du 30 juin 1882, concordent exactement avec ceux qui résultent des écritures et des comptes.
- « Conformément à l’article 109 des statuts, nous nous sommes assurés de la bonne tenue des écritures et nous avons constaté que le chiffre des bénéfices acquis pendant l’exercice écoulé s'élève bien à
- 858.137 fr. 30. Ce chiffre, déduction faite des intérêts à 5 pour 100 du capital social, laisse une somme de
- 628.137 fr. 30 à répartir proportionnellement entre tous les concours de l’Association.
- « Les économiesfajoutées aux salaires se sont élevées à 15 pour 100 de l’importance des gains.
- « Ces résultats, Messieurs, bien qu’inférieurs à ceux de l’année dernière, doivent être considérés comme très satisfaisants, surtout après ladiminution des prix de ven-te consentie sur une partie de nos produits et l’hiver très doux que nous venons de traverser.
- « En jetant un coup d’œil en arrière et prenant seulement les trois dernières années, vous pouvez vous faire une idée du degré de prospérité auquel est arrivée notre Société. Pendant cette courte période qui marque le début de l’Association, les bénéfices nets réalisés ont dépassé la somme de 2,050,000 fr* Sur ce total, 840,000 fr. vous ont été distribués ; 366,000 environ vont être ajoutés à vos épargnes et votre réserve a atteint son chiffre statutaire de 460,000 fr.
- p.641 - vue 642/836
-
-
-
- 642
- LE DEVOIR
- « Ces chiffres parlent assez d’eux-mêmes pour que nous soyons dispensés d’appeler votre attention sur l’avenir réservé à notre Société et les bienfaits de l’œuvre que nous a léguée l’homme de bien qui est à notre tête.
- « Vous allez être appelés, Messieurs, à prendre une décision importante : la réserve ayant atteint sa limite légale, il est resté de ce chef une somme de 52,848 fr. 50 disponible et pour l’application de laquelle vos conseils se sont déjà prononcés. Iis ont pensé que la voie la plus sage et la plus pratique à suivre pour l’avenir serait d’employer les 25 0/0, affectés jusqu’ici à constituer le fonds de réserve, à grossir la part du capital et du travail, laquelle s’élève actuellement à 50 pour 100. Cette part interviendrait désormais pour 75 pour 100 dans la répartition des bénéfices nets.
- « Cette solution, très avantageuse pour les intérêts sociétaires, est en même temps celle qui assure d’une façon complète et indéfinie le système si ingénieux et si équitable de la répartition des bénéfices à tous les concours de l’Association.
- « A ce double point de vue, votre Conseil de surveillance n’hésite pas à donner un avis favorable aux propositions qui vous sont faites, touchant les modifications à apporter aux articles 128, 131 et 132 des statuts.
- “Il vous propose également, Messieurs, l’approbation des comptes de l’exercice 1881-82 et la répartition des bénéfices, tels qu’ils vous sont présentés par votre Administrateur-gérant. »
- L’assemblée applaudit les conclusions du rapport.
- La discussion est ouverte d’abord sur le rapport de M. l’Administrateur-gérant et en particulier sur les modifications proposées aux statuts.
- Après délibération, M. le président met aux voix l’ensemble de la nouvelle rédaction des deux alinéas de l’art. 128 et des articles 131 et 132.
- L’assemblée vote à bulletin secret. A l’unanimité, moins trois voix, elle se prononce pour l’adoption.
- L’art. 68 des statuts fixant aux deux tiers des membres présents la majorité exigée pour la validité des décisions de l’assemblée, et le présent vote ayant atteint et au-delà cette majorité, les statuts sont modifiés. La publication de ces modifications sera faite conformément à la loi.
- L’Assemblée invitée ensuite à se prononcer sur la répartition et les comptes tels qu’ils sont fixés dans le rapport delà gérance, approuve à l’unanimité ledit rapport.
- M. le Président lui demande alors de se prononcer sur les logements à édifier sur les terrains de Jison»
- Prèe. L’Assemblée émet à l’ananimité un avis favorable.
- La discussion est ouverte sur le rapport du Conseil de surveillance,
- L’Assemblée, à l’unanimité, approuve ce rapport.
- L’Assemblée procède ensuite à l’élection au scrutin secret et à la majorité absolue des votants de trois commissaires-rapporteurs devant former le Conseil de surveillance pour l’exercice 1882-1883,
- Le dépouillement du scrutin donne les résultats suivants :
- Votants.............. 59
- Majorité absolue..... 30
- M. Liênard Edouard obtient 41 voix.
- M. Dequenne père, » 33 »
- En conséquence, ces deux Messieurs sont proclamés membres du Conseil de surveillance.
- Il est procédé à un nouveau scrutin pour l’élection d’un troisième conseiller.
- M. Nicolas Joseph est nommé à la majorité relative de 29 voix.
- M. le Président informe l’Assemblée que les parts d’intérêt seront régularisées et que les intérêts seront comptés aux ayants-droit dans le courant du présent mois.
- Les intéressés seront prochainement avisés par voie d’affiche des lieu, jour et heures de dépôt des titres pour l’inscription des parts du présent exercice et ensuite pour le paiement des intérêts.
- La séance est levée.
- LA MORALE DANS L'HUMANITÉ
- II
- Le bien et le mal moral. — Les moralistes. — Les droits et les devoirs
- La vie étant le critérium infaillible du bien et du mal sur la terre, en même temps que le but, la mis« sion suprême des êtres, le bien est donc tout ce qui est utile à l’existence tout ce qui contribue à faire progresser, et à développer la vie. Muni de ce flambeau précieux, l'homme peut voir clair dans sa vie pendant toute la durée de son existence. Agir conformément aux exigences de la vie en soi-même et chez les autres, conformer tous ses actes à cette loi suprême, c’est donc pratiquer le bien ; agir contrairement aux exigences de la vie, méconnaître dans sa conduite cette règle invariable et divine, c’est faire le mal.
- p.642 - vue 643/836
-
-
-
- LÈ DEVOIR
- 643
- Respecter les droits de tous, de soi-même aussi bien que des autres, à l’existence, tel est le devoir de l’homme ; les voir respecter en soi par les autres, tel est son droit. Le respect dû par la personne,Vest son devoir; le respect dû à la personne, c’est son droit.
- C’est pour cela que tous les moralistes ont prescrit de faire toujours à autrui ce que l’on voudrait que l’on nous fît, et de ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas avoir à subir soi-même.
- « Aimez-vous les uns les autres » dit le Christ à ses disciples, et c'est assurément une des plus belles maximes que jamais bouche humaine ait proférée. Tout homme désire instinctivement être aimé, avoir des amis, et d’autre part, l’amitié fraternelle inspire le désir de faire le plus de bien possible à ceux qui en sont l’objet. Lorsqu’on aime une personne, on lui veut naturellement du bien, et l’on est enclin à faire tout ce que l’on peut pour lui en 'procurer la plus grande somme possible. Les chrétiens ont donné à tort à la vertu enseignée de la sorte le nom de charité, nom insuffisant, car o’est plutôt la fraternité que le fondateur du Christianisme avait en vue, et la fraternité a plus d’ampleur, plus d’étendue et plus de profondeur que la charité. La fraternité embrasse l’humanité toute entière; la charité n’a point et ne peut pas avoir assez d’envergure pour cela.
- Avant le Christ, Zoroastre disait :
- « Ne faites point de mal à votre prochain.,.... Ne prenez pas le bien d’autrui..... Répondez avec douceur à votre ennemi...»
- Ne faites point de mal à votre prochain est un précepte de fraternité que le Christ a complété en y ajoutant la recommandation de faire du bien à ses semblables. Ne point faire de mal n’est point suffisant en effet; il faut aussi faire le bien. Le devoir de l’homme étant de contribuer, dans la mesure de ses forces, à développer et à faire progresser la vie en lui-même aussi bien que dans tous les êtres, il est évident que se contenter d’éviter le mal, c’est-à-dire tout ce qui peut nuire à ce développement et à ce progrès, c’est ne point remplir tout entier son devoir, et pêcher, par conséquent, par omission. Si mon voisin pauvre n’a point le nécessaire pour sa subsistance, et qu’il me soit possible de le lui fournir, si je me contente de ne point entraver ses efforts Pour se le procurer par lui-même, je manque à mon devoir, et tout en paraissant obéir au précepte qui m’enjoint de ne point lui faire de mal, je le viole en réalité, d’une façon passive, si l’on veut, mais certaine, puisqu’en ne faisant pas le bien que je puis foire, je laisse subsister le mal.
- Manou est plus complet, lorsqu’il dit :
- « L’action de rendre le bien pour le mal, la résignation, la tempérance, la probité, la pureté, la répression des sens, la véracité : telles sont les vertus qui constituent le devoir.
- « Dire des injures, mentir, médire tout le monde, et parler mal à propos, sont les quatre mauvais actes de la parole.
- « La souillure du corps humain est enlevée par l’eau; celle de l’esprit, par la vérité..., On ne doit jamais travailler à nuire à autrui, ni même en concevoir la pensée. »
- Rendre le bien pour le mal et ne jamais concevoir même l’idée de travailler à nuire à autrui, implique l’obligation de rendre à plus forte raison le bien pour le bien, et même sans aucune réciprocité, et nous nous rapprochons par conséquent davantage avec Manou du précepte de la véritable fraternité humaine : faire le bien à tous, pour remplir utilement notre commune mission sur la terre.
- « Avoir assez d’empire sur soi-même pour juger des autres par comparaison avec nous,et agir envers eux comme nous voudrions que l’on agit envers nous mêmes, » dit de son côté le grand philosophe Chinois, Confucius, « c’est ce que l’on peut appeler la doctrine de l’humanité, il n’y a rien au-delà. »
- L’humanité de Confucius c’est la fraternité, la vertu par excellence de l’homme qui connaît bien ses devoirs et ses droits.
- « Prendre pour guide de son devoir envers les autres, le désir que l’on a d’exercer son droit, » dit M. Barrier, « c’est revêtir d’une forme simple et lumineuse le précepte fondamental de la morale. » Ainsi le désir qui veut et proclame le droit devient l’instrument du devoir, » Or, ajoute l’auteur, le désir est une attraction ; de sorte qu’en dépit de toutes les discussions nuageuses de la métaphysique, c’est, en définitive, la volonté libre de l’homme en tant qu’elle est motivée, c’est-à-dire dirigée par un motif,ou ce qui est la même chose,par un attrait, c’est la liberté, disons-nous, qui, aidée par la conscience, se formule à elle-même la règle de ses actions. Telle est la véritable base du principe des devoirs et des droits. »
- - Mais ce désir du bien moral, cet attrait doivent être éclairés par la vérité, car sans cela ils pourraient conduire l’homme à pratiquer le mal tout en croyant accomplir le bien. Or lorsqu’on est persuadé que l’on agit en vue du bien, rien n’arrête l’homme ainsi lancé, et c’est ce qui explique les horribles attentats de certains fanatiques, et les crimes politiques commis par certains chefs d’états dont l’histoire des hommes est pleine. La doctrine qui enseigne
- p.643 - vue 644/836
-
-
-
- 644
- LE DEVOIR
- que la fin justifie les moyens est souverainement immorale, mais elle a conservé encore une grande partie de son influence sur les actes des hommes, et c’est grâce à elle, que les Anglais, par exemple, ne craignent point d’affirmer, sans trop le croire eux-mêmes sans doute, qu’ils ont rendu service à la civilisation en bombardant Alexandrie.
- Si l’on juge les actes de ce genre d’après le critérium tiré de la loi primordiale de la vie, l’on arrive à les apprécier autrement, et à se convaincre que la pratique du mal ne peut dans aucun cas produire le bien.
- Mais, dira-t-on, n’est-il pas des cas où il est nécessaire d’en agir de la sorte pour empêcher un mal qui fait obstacle à la pratique constante du bien ? Et les Anglais n’ont-ils pas eu raison de réprimer une révolte qui menaçait l’Egypte d’une ruine complète? Empêcher un mal qui est un obstacle à l’ordre nécessaire au bon fonctionnement des lois de la vie,est un devoir pour l’homme et pour les nations ; mais rien n’autorise à employer pour cela la force et la violence, qui produisent un mal plus grand encore que celui qu’on prétend faire cesser, et de même que l’individu qui surprend un criminel en flagrant délit, ne le châtie pas lui-même, mais le livre à la justice du pays, de même ni individus ni nations n’ont le droit de faire eux-mêmes justice. En d’autres termes, il n’est point conforme à la véritable morale de combattre le mal par le mal, et c’est toujours par le bien que le mal doit être vaincu et dompté.
- Il ne faut point perdre de vue que c’est l’utilité de l’acte par rapport à la vie qui constitue le degré de bonté de cet acte. Et par utile, il faut entendre ce qui sert efficacement aux besoins de la vie humaine. Or il est clair que tout ne lui est pas utile au même degré. Un plaisir physique ne vaut pas une jouissance morale, affective, intellectuelle ou artistique ; la richesse a une valeur moindre que les œuvres utiles, et la satisfaction de la conscience l’emporte sur celle de la gloire. Gela n’empêche point toutes ces choses d’être utiles, et le désir d’en être légitime.
- Il résulte de tout ce qui précède que l’homme, par le seul fait de sa naissance a droit à la jouissance de tout ce qui est indispensable à la vie, afin de pouvoir remplir sa mission qui consiste à concourir par son travail à la conservation, au développement et au progrès de la vie universelle. Ce concours, il le doit à la nature qui lui en fournit libéralement et en abondance les éléments, et dont il n’a qu’à compléter l’œuvre par son travail, à lui-même qui a besoin d’utiliser les ressources fournies et transformées de la sorte pour soutenir et développer sa propre exis-
- tence, et à la société humaine dont il fait partie, et qui lui accorde l’aide et la protection qui lui sont nécessaires pour accomplir son œuvre.
- C’est ainsi que chaque être a son rôle providentiel assigné dans le magnifique épanouissement de J la vie universelle. Depuis les milliards de soleils,
- | qui parsemés dans l’espace remplissent son infinité,, j jusqu’aux innombrables grains de sable qui forment | aux plages magnifiques des Océans comme de riches | cadres d’or, ou les infiniment nombreux brins d’herbe ! qui tapissent les interminables prairies du nouveau \ monde, tout sert à la vie, tout y contribue, tout en i jouit. L’œuvre de vie est comme un sublime concert d’harmonie, où chaque être apporte son mélodieux concours, et de ce merveilleux accord résulte le suprême bien, le progrès constant de la vie.
- Telle est la loi des êtres, dont l’observation rigoureuse constitue l’ordre universel, la complète harmonie de la création. L’homme y est plus particulièrement soumis, non seulement en tant qu’in-dividu, mais encore et surtout en tant qu’être social, élément constitutif des sociétés.
- Elle est aussi nécessairement la loi des sociétés, dont l’ordre doit reposer non point comme aujourd’hui sur la lutte, mais sur l’accord, non point sur les compétitions d’intérêts distincts et opposés, mais sur l’union féconde d’aspirations et de tendances communes, non point sur l’égoïsme brutal et farouche, mais sur la fraternité bienveillante et cordiale. Au lieu de la lutte pour la vie du philosophe, nous voyons, comme instrument de progrès, l’union du travail pour la vie, et n’en déplaise aux Darwinistes, nous prétendons qu’au lieu de combattre pour la conquête des choses nécessaires à la vie, l’homme peut se les procurer par le travail, en les créant lui-même, à l’aide des ressources fournies par la nature.
- La lutte, quelqu’en soit le mobile, aboutit fatalement au mal, tandis que le travail aboutit nécessairement au bien, et la pratique du bien est la loi morale suprême de l’humanité. La lutte est inutile, plus que cela, nuisible, le travail au contraire est utile et fécond, et il est par conséquent le véritable agent efficace du progrès dans la vie.
- [A suivre).
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- J_.9CEavre <îe Brazza. — Stanley, a dit M. de Brazza, est un explorateur comme moi, nous sommes de bons camarades, mais si notre but est le meme, les intérêts qui nous guident sont différents. Il ny a
- p.644 - vue 645/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 645
- donc rien d’extraordinaire à ce que nos récits ne soient pas entièrement d’accord. M. Stanley a dit à votre correspondant de Bruxelles qu'il ne s’agissait pas d’un conflit entte les intérêts beiges et les intérêts français. Rien n’est moins exact. M. Stanley agit au nom dû. roi des Belges pour la Belgique, qui voudrait fonder en Afrique une sorte de comptoir international où. elle aurait la suprématie.
- En admettant même que le roi des Belges soit complètement désintéressé et qu’il donne ses millions dans le seul but de civiliser les tribus sauvages ; en admettant que son œuvre soit internationale et toute pacifique, cela ne m’oblige pas à en être partisan. Moi, je crois qu’il y a une idée politique au fond des sentiments humanitaires du roi des Belges, et je suis loin de l’en blâmer, mais cela ne m'empêche pas d’avoir mon idée politique aussi, et la mienne est fort simple ; la voici : S’il y a un avantage à s'emparer du Congo, j’aime mieux que ce soit le drapeau français que le drapeau helge « international » qui flotte sur cette magnifique contrée africaine.
- M. Stanley dit m’avoir rencontré dans une situation assez critique, au moment où il remontait le Congo pour la première fois. Gela est inexact. M. Stanley croit avoir le droit de conclure de ce que mes hommes étaient peu nombreux et mes marchandises d’échange trop insuffisantes, que j’étais dans une position critique.
- La vérité est que je n’ai jamais eu l’habitude de voyager dans ces pays africains en guerrier, comme M. Stanley, accompagné d’une, légion d’hommes armés, — et je n'avais pas besoin de faire des échanges, parce que, voyageant en ami et non en belligérant, je trouvais partout des gens hospitaliers.
- Et c’est précisément parce que M. Stanley avait pris l’habitude de se faire respecter à coups de füsiL que j’ai pu faire cette conquête pacifique quia tant surpris l’explorateur américain au service du roi des Belges. « Les rois africains, dit M. Stanley, ne voient dans un drapeau qu’un morceau d’étoffe plus ou moins heureusement bariolé, dont ils peuvent se faire une ceinture. » Voilà précisément l’erreur de M. Stanley. Ces rois ont vu dans mon morceau d’étoffe ce que je leur avais dit d’y voir et M, Stanley lui-même a été le premier, en le respectant, à leur montrer que je ne les avais pas trompés. J’ai dit aux rois : « Vous connaissez le frère blanc qui est venu ici et avec lequel vous vous êtes battus. Eh bien, il en viendra d’autres et de plus forts que lui. Si vous arborez le symbole que je vais vous remettre, ils ne prendront pas pied chez vous sans votre permission, et ils ne tireront jamais un coup de fusil sur les vôtres. » Ils ont fait ce que je leur ai dit, et tout le monde s’en est bien trouvé, excepté M. Stanley et le roi des Belges, qui se sont, retirés en bon ordre sur l’autre rivé du Congo, très vexés d'avoir été devancés par moi.
- _ Le roi des Belges met beaucoup d’argent à la disposition de M. Stanley, il lui fournit tout ce qu’il lui faut pour arriver à son but : « En France, disait le roi Léopold à un de ses amis intimes, M. de Brazza aura beau se remuer, il ne réussira jamais à ratifier son traité. On jouera avec le Congo comme avec un jouet. M. de Brazza emploierait son temps bien plus utilement en venant se joindre à nous a Je vous cite textuellement les paroles de Léopold. Inutile d’ajouter que je ne suis pas de son avis et que j’ai trop de confiance dans la clairvoyance de nos députés pour ne pas conserver le bon espoir que ma conquête pacifique ne sera pas perdue pour mon pays.
- Ab ! sans doute, si nos gouvernants voulaient montrer un peu de l’enthousiasmé de nos financiers, les choses iraient plus vite.
- Depuis que je suis rentré, il ne s’est pas passé de jour que je ne reçoive un homme d’affaires, banquier ou amateur, tout prêt à mettre le Congo en actions et à fonder une Société pour exploiter le pays et battre la grosse caisse sur ie dos de cet illuminé de Brazza. Je leur réponds à tous que la partie financière de l’œuvre j ne me coucerne pas. Cependant, entre nous, je puis vous ?
- faire part de ma conviction qu’il y a des fortunes immenses à réaliser là-bas.
- A l’énergie de Stanley, continua de Brazza, j’ai opposé la persévérance et la célérité. Comprenant l’importance de la voie directe et relativement facile de l’Ogooué et de l’Aiima, que trois ans de séjour nous avaient ouverte ; comprenant la nécessité de sauvegarder et d’étendre notre influence dans ces contrées, le ministre des affaires étrangères mit à ma disposition une somme de 10,000 fr,, et ultérieurement le ministre de l’instruction publique voulut bien me charger de continuer, avec le docteur Ballay, l’œuvre que j’avais commencée en 1875.
- C’est qu’après une première campagne de trois ans, je quittai l'Europe le 27 décembre 1879. Cette fois je partis du jour au lendemain et seul, il fallait avant tout assurer à la France une priorité de droits et d’occupation sur le point le plus rapproché de l’Atlantique où le Congo inférieur commence à être navigable ; il fallait sauvegarder sans retard notre avenir dans cette contrée qui, rendue importante par les dernières découvertes, devenait l’objectif de toutes les nations.
- Le docteur Ballay, chargé de terminer nos préparatifs d’exploration, devait venir me rejoindre, en amenant les vapeurs démontables, destinés à naviguer sur l’Aiima et le Congo.
- En attendant, mis par le ministre de la marine à la disposition du comité français de l’Association africaine, et avec son concours, j’allai remplir les instructions du comité, consistant à choisir l’emplacement de deux stations hospitalières et scientifiques et à y apposter deux Européens.
- L’une de ces stations établies sur le haut Ogooué devait servir de point de départ pour nous ouvrir la voie du Congo ; l’autre, sur le Congo même, devait servir de base d’opérations et de points d’appui à l’action humanitaire et civilisatrice que la France était en droit d’exercer dans ce pays, situé à portée de notre colonie française du Gabon.
- Lés principaux résultats de notre dernière exploration ont été :
- 1. La découverte de la seule route vraiment praticable : celle de Niari, qui aboutit précisément à notre station de Ntamo (Brazzaville), clef du Congo intérieur;
- 2. La conclusion du traité en vertu duquel le roi Ma-koko a mis cette clef entre nos mains.
- Notre route par la vallée de Niari est la meilleure, la plus pratique, la seule qui réponde aux besoins d’un transit important ; mais il faut l’ouvrir et la sauvegarder.
- D’autres que nous convoitent la possession de cette contrée et n’attendent qu’un signe d’hésitation de notre part pour s’y installer à jamais. Stanley est déjà établi à Stanley-Pool, sur la rive gauche du Congo, en face de nous.
- Yoilà sept ans que je suis sur la brèche; voilà sept ans que je prends sans cesse la défense d’une cause qui se trouve désormais sur un terrain où je suis impuissant à, Ici défendre seul.
- Deux drapeaux flottent actuellement sur le point le plus rapproché de l’Atlantique où le Congo inférieur commence à être navigable : sur la rive droite, à Brazzaville, le pavillon français, qui représente notre droit d’accès au Congo intérieur, et en face de nous, à Stanley-Pool, un pavillon inconnu qui, à l’abri d’une idée internationale d’humanité, de science et de civilisation, tend à inaugurer le monopole commercial d’une compagnie qui aspire à devenir souveraine et dont le mandataire agit déjà en souverain.
- J’ai adressé, m'a dit M. de Brazza en terminant, un rapport très détaillé dans ce sens au ministre des affaires étrangères, et j’attends la rentrée des Chambres avec le ferme espoir que l’on tiendra compte des raisons que j’invoque pour la prompte ratification du traité conclu par moi au nom de la France.
- (Voltaire.)
- ANGLETERRE
- Les journaux berlinois reproduisent une lettre d’un
- p.645 - vue 646/836
-
-
-
- 646
- LE DEVOIR
- correspondant militaire de la Gazette de Cologne suivant laquelle les soldats anglais auraient tué sans merci et parfois même » inutilement et à plaisir » des soldats égyptiens désarmés ou blessés. La Gazette nationale pense que le gouvernement anglais fera son possible pour justifier l'armée anglaise de pareilles accusations.
- Le correspondant officieux de la Gazette de la Croite constate le calme plat diplomatique qui règne en ce moment autour de la question égytienne.
- *
- * 4
- Il existe à Manchester, sous le nom de Cooperative Wholesale Society, une société qui se charge d’alimenter les magasins de détail des Sociétés coopératives de consommation, sur tous les points du pays. Ses opérations se faisant sur une échelle immense, les sociétés les plus modestes, en s’adressant à elle, peuvent acheter à aussi bon compte que les plus fortes maisons. Dans le courant du trimestre échu fin juin dernier, la Wholesale Society a fourni des marchandises a 794 sociétés différentes, pour une valeur de plus de vingt-quatre millions de francs. On sait que dans la Grande Bretagne les sociétés de consommation comptent actuellement plus de six cent mille adhérents, lesquels, avec leurs familles, représentant une population de 3 millions d’âmes environ. Au Congrès annuel de ces sociétés, qui a eu lieu à Oxford, au mois de juin dernier, le chiffre total des ventes de l’année 1881 a été indiqué comme s’étant élevé à 575 millions de francs, sur lesquels 60 millions de bénéfice net ont été réalisés.
- 4 •*
- Voici un court tableau des altitudes les plus hautes où l’industrie humaine ait fait monter les chemins de
- fer.
- La ligne de l’Apennin s’élève jusqu’à 617 mètres; celle de la Forêt-Noire, à 850; la ligne du Caucase, à 975 ; la ligne du Saint-Gothard monte jusqu’à 1,154 mètres pour arriver au tunnel; celle du Mont-Cenis, à 1,338 mètres ; le Norlh Pacific, à 1,652; le Central-Pacific, à 2,140; l’Union pacifie, à 2,313 ; et enfin, le chemin de fer des Andes atteint 4,769 mètres.
- ALLEMAGNE
- En Allemagne et en Italie des élections vont renouveler, ici le Landtag prussien, là bas la chambre des députés. Les élections du Landtag sont à deux degrés. Les électeurs primaires (tout Prussien âgé de 24 ans ayant six mois de domicile) sont convoqués pour le 19 octobre, les électeurs de deuxième degré (un délégué pour 230 électeurs primaires ; électeur tout prussien âgé de trente ans) voteront le 25 octobre. Point d’incomptabilité entre le mandat électoral et aucune fonction publique ; aussi les Landræthe (préfets) ne se font-ils point faute de faire jouer pour leur propre compte tous les ressorts de la pression administrative, et leur bataillon compact forme-t-il d’habitude le noyau d’une majorité docile. Les élections ne modifieront point la situation. Le parti des hobereaux, les conservateurs purs garderont leurs forces et leur union, le centre catholique conservera sa puissance et son habitude de faire bascule en se portant à droite ou à gauche, ce qui reste des nationaux-libéraux restera indécis et mou, les progressistes demeureront incertains, partagés et timides, il n’y a de résolu en Prusse, et l’on pe.ut dire en Allemagne, que les conservateurs, les catholiques et les socialistes. M, de Bismarck aura donc la majorité ; il s’en passeraitau besoin, méprisant les parlements et le régime parlementaire, n’acceptant de responsabilité que vis-àvis de l’Empereur, mais toujours pris et serré entre les deux branches de cet étau : nécessité de maintenir, voire même d’accroître la force militaire qui lui permet de mettre en dix jours 1,600,000 hommes en ligne; nécessité pour faire faire face à cette énorme dépense improductive d’accroître, sans s’arrêter jamais, la chaîne écrasante des impôt» 4 II y a longtemps qu’uné formule triviale a
- résumé en quatre mots la situation de l’empire aliemand • la chandelle y brûle par les deux bouts.
- *
- 4 4
- On prépare à Berlin une loi sur l’émigration. Pour savoir si l’on ne pourrait pas empêcher les émigrants de quitter le pays avant d’avoir rempli toutes les obligations publiques (service militaire, prestations communales, etc ) et privées (contracts en cours, obligation de fournir des aliments à des membres de la famille, etc.) le chancelier a demandé des renseignements aux différents Etats de l’empire.
- ITALIE
- L’Italie, heureusement pour elle, n’a point trop cédé aux mauvais conseils qui la poussaient, qui la poussent encore aux grands armements. Les inondations vont lui coûter plus de cent millions, où en serait-elle si elle en avait dépensé autant ou davantage pour grossir son armée et pour doubler le nombre de ses cuirassés ? La po-litique do la paix par la liberté est la vraie politique de 1 Italie, et ses véritables alliances sont avec la France et avec l’Angleterre ; qu’elle développe ses travaux publics, qu’elle arrête le courant de l’émigration, qu’elle garde ses enfants, qu’elle les attache à la patrie par le travail facile et mieux pay , qu’elle colonise à l’intérieur. Pour ce faire, que les ouvriers et les démocrates usent de la nouvelle loi qui fonctionnera dans quelques jours. On espère de bons résultats. — Le pape qui penchait, il y a quelque temps, pour une vive action électorale des cléricaux, revient à la pratique de Pie IX, et le terrain de la lutte prudemment exploré, il prescrit définitivement l’abstention; c’est un bon signe et un avis aux libéraux de redoubler d'efforts.
- k
- 4 4
- T*e>® stations m<5-téorologrîqne@j. — On a parlé d’établir dans le voisinage du pôle Nord des stations météorologiques.Les auteurs de ces vastes projets, dit M. Faye, pensent, et c’est là leur raison déterminante, que les glaces des régions polaires sont peut-être le régulateur de nos climats.La science actuelle affirme, au contraire, que ce régulateur n’est ni au pôle Nord, ui au pô’e Sud, mais à 90° de là, dans la vaste zône équatoriale d'où partent, sur les deux hémisphères, les tempêtes et les bourrasques qui se propagent jusqu’à nous. Par conséquent, ce n’est pas près du pôle qu’il faut aller étudier les causes et la propagation des grandes variations atmosphériques, c’est entre l’équateur et nous. Quand on considère, d’une part, les trajectoires que suivent les tempêtes et les bourrasques qui, venues des Etats-Unis, aboutissent aux côtes d’Angleterre et de Norwège et non à celles de France; de l’autre celles de ces tempêtes et ces bourrasques qui nous atteignent directement en passant, on plein Atlantique, sur la région des Açores, on en arrive à cette conclusion . que, si la France voulait organiser une grande station météorologique, utile à la science et à nos ports, ce n’est pas au cap Hom qu’il faudrait aller au bout de l’Amérique australe, c’est aux Açores. L’Espagne et le Portugal y seraient également Intéressés.
- LE TRAVAIL A TRAVERS LES AGES
- II
- Age de l’homme. — L’époque quaternaire. — Habitation «&> Industrie de l’homme. — Période glaciaire. — Age du Renne. — Les armes, les» outils de l’âge de pierre.
- Si, comme semblent l’indiquer les outils trouvés à Thenay* l’homme a vécu pendant la période ter-
- p.646 - vue 647/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 647
- tiaire, son existence se chiffrerait par deux millions d’années. Si, au contraire, il ne remonte pas au-delà de la période du diluvium, sir Charles Lyell estime que l’alluvion de la Somme ne date pas de moins de 100,000 ans. Enfin le sol de la basse Egypte s’exhausse de douze centimètres environ par siècle ; on y a trouvé des objets à une profondeur qui assigne à l’homme une antiquité^d’au moins 72,000 ans. Ainsi on peut reconnaître à l’espèce humaine, d’après les données de la géologie et de la palæontologie, une existence remontant en moyenne à une centaine de mille années, ce qui rejette la chronologie de Moïse au rang des fables et des mythes les plus dénués de fondement.
- Pendant la seconde époque quaternaire que les savants dénomment l’époque du Moustier, parce que c’est dans la grotte du Moustier, dans la vallée de la Vézère, que l’on a relevé les types les mieux caractérisés de l’industrie de ces temps, il s’opéra à la surface de la terre un phénomène d’affaissement, qui, donnant' une grande extension aux glaciers, provoqua un abaissement considérable de température.
- L’homme à cette époque se réfugia au pied des rochers escarpés qui le garantissaient des vents, sous des abris formés par des roches en surplomb, et surtout dans les grottes et les cavernes. C’est là que l’on a trouvé les vestiges de leur passage, les instruments qui permettent d’étudier âge par âge, pour ainsi dire, les progrès du travail de l’homme. Dans la grotte du Moustier, on ne trouve que des silex taillés, mais offrant une certaine variété de forme, et travaillés en vue d’une destination plus spéciale.
- « Ce n’est plus exclusivement par le marteau ou le percuteur que se taille le silex », dit M. Leguay ;
- « c'est par les deux ensemble, ou par un seul employé de deux manières. En s’en servant comme marteau, l’homme taille une face du silex à petits éclats sur le nucléus, puis, en s’en servant comme percuteur, il détache la pièce par un seul coup donné dans une direction parallèle à la première face taillée, en imprimant à la pièce le bulbe de percussion inévitable. »
- Une espèce de racloir qu’on trouve très abondant dans cette station est considéré comme caractéristique de cette époque. Cet instrument dont le tranchant est allongé en courbe peu sensible, est soigneusement taillé en biseau, et peut être tenu à la main par sa partie épaisse.
- Dans la grotte du Moustier on trouve aussi les premières pointes de lance et de flèche de formé ogiv&le, à fade plane oü légèrement côndafe d’un
- côté, la face opposée étant relevée d’arêtes longitudinales ou simplement bombées, avec les deux bords tranchants, unis ou retaillés en festons.
- M. Broca parlant de ce silex dit : « Assez large pour faire de grandes blessures, assez mince pour pénétrer aisément dans les chairs, il constituait une arme bien plus terrible que la hache de Saint Acheul. Emmanché au bout d’un épieu, il pouvait mettre à mort les plus grands mammifères. »
- Jusque là on le voit, les instruments que l’industrie de l’homme s’applique à confectionner sont des armes et non des outils, et ce fait est considérable. Dans ces premiers temps, l’homme pleinement développé au physique, l’est peu sous le rapport de l’intelligence et du moral, et ses' besoins sont tout corporels, simples et rudimentaires pour ainsi dire. Les grottes et les cavernes suffisent pour l’abriter contre le froid, la pluie, la neige, le vent, les orages, et. la chair des animaux lui fournit sa nourriture, tandis que leur peau devient son vêtement. Tous ses besoins se trouvent ainsi satisfaits, il n’a donc pas encore l’idée de demander autre chose â la nature, et toute son industrie s’emploie aux instruments de la chasse dont il vit.
- C’est pour cela que dans toutes les stations découvertes de cette époque, et elles sont nombreuses, on ne trouve que des armes et point d’outils. En France, la superposition des industries humaines de Ces temps s’observe nettement à Grenelle. A la partie inférieure des bancs de sable et de gravier, on a recueilli des haches du type de Saint Acheul, acôom-gnéès de débris du felis spelssd, de V hippopotarrms amphius, de Velephas antiguus, de Yelephas primigé-nius, etc... Au-desSUS, lorsque la faune de l’éléphant antique a complètement disparu, les hachés du Moustier Se trouvent seules avec üne plus grande abondance de couteaux en silex.
- On compte aujourd’hui 125 stations et gisements de cette espèce en France. Elles sont nombreuses aussi en Belgique, en Angleterre, au Mexique, etc.
- A la période d’affaissement succéda naturellement une période d’exhaussetnent par la réaction, qui enlevant à la température son excès d’humidité maintint le climat froid mais seô, ce qui fît retirer en partie les glaciers, c’est l'époque du renne. Les plaines qui venaient d’émerger devaient avoir l’aspect et la végétation des steppes actuelles de l’Europe Orientale. Le cheval qui existait déjà put se développer à l’aise dans ce milieu favorable. On en trouve des débris extrêmement importants se rapportant à des milliers d’individus de l’espèce dans une station de cette période, la grotte de Solütré (Saôtiê-et-Loire). Tôut y indiqué qüë cê Cheval prit-
- p.647 - vue 648/836
-
-
-
- 648
- LE DEVOIR
- mitif se rapprochait de la variété dite Ardennaise, petit de taille, avec une tête volumineuse, du cheval Belge. Il vivait alors à l’état sauvage, et l’homme le chassait et le capturait seulement pour s’en nourrir. L’énorme quantité d’ossements dans les gisements de cette époque ne s’explique point autrement.
- On constate aussi la présence dans les stations de cette période de Vursus ferox, de Yursus arctos, du renne qui y domine,de l’aurochs ou bison d’Europe, le bos primigenius ou urus.
- Cette époque est caractérisée au point de vue de l’industrie humaine, par l’apparition d’un type nouveau, les pointes de lance ou de flèche. C’est une mince et longue plaque de silex taillé sur les deux faces, et avec une adresse si grande, qu’on a peine à en comprendre la fabrication.
- « L’examen des pièces de ce genre », dit à ce sujet M. Leguay, dénote une taille régulière, constante et faite a petits coups,dont l’emplacement de chaque éclat est choisi, réfléchi et réglé de mesure. La pièce n’est plus taillée à main levée, comme toutes celles des époques précédentes ; elle a été posée sur un établi ou un appui, et, afin d’obtenir les résultats, il a fallu pratiquer la taille par contre-coup et employer deux outils différents : une pointe ou un ciseau, et une masse ou marteau, sans doute en bois, afin de modérer les coups pour ne pas briser la pièce, ce qui devait arriver quelquefois. »
- Quelques observateurs sérieux ont pensé que la netteté de ces silex pourrait bien être due à l’action du feu, et qu’elle n’a été obtenue aussi parfaite, qu’en plongeant le silex brut dans un bain de graisse d’animal bouillante, qui le faisait éclater, et lui donnait ces arêtes si vives et si nettes.
- Le mouvement de rehaussement qui se produisit à cette époque s’accomplit-il seulement à l’une des périodes connues sous les noms du Moustier, de Solutré, de la Madelaine, ou s’étendit-il à toutes ces périodes ? C’est ce qu’il est impossible de préciser, mais tout porte à admettre cette dernière hypothèse. Il eût une très longue durée, car il porta le sol de l’Angleterre à 180 mètres au-dessus de son niveau actuel. Or, comme elle s’était affaissée de 660 mètres au-dessous de ce niveau, le calcul indique une durée minima de 136,000 années au mouvement pour obtenir ce résultat.
- L’homme à ce moment cessa presqu’entièrement d’occuper des stations à l’air libre pour se réfugier dans les cavernes. Il habita les grottes des montagnes des Pyrénées, de la Suisse, de la vallée du Rhône etc., et certaines de ces grottes ont été toujours habitées depuis lors jusqu’à l’époque néolithi-
- que. Alors disparaissent peu à peu le mammouth, le rhinocéros, et puis le lion, le lynx, la panthère et l’hyène que l’on ne retrouve plus dans les cavernes belges de l’âge du renne ni dans les couches de Solutré.
- L’inégalité de température entre les étés et les hivers dut en même temps devenir plus grande, et c’est à ce fait qu’il faut attribuer la disparition graduelle, dans la faune de cette époque, des espèces méridionales incapables d’en supporter les effets. Ainsi dès la fin de cette période, faune et climat paraissent s’être rapprochés davantage de la faune et du climat des temps actuels.
- Sous l’action de cette température, l’homme semble alors être devenu un peu plus sédentaire. Le froid le contraignit à séjourner plus souvent et plus longtemps sous les abris et dans les grottes. C’est probablement en partie à ces mœurs nouvelles que sont dus la transformation industrielle et le développement artistique si remarquable de ce temps.
- Dans les stations de la période dite de la Madelaine, qui suit celle de Solutré, on trouve en effet les grattoirs et les couteaux, qui vers leur tiers inférieur se contractent comme pour l’insérer dans un manche, de très petites flèches, triangulaires ou aplaties à pointe aiguë, etc. Ce qui les distingue principalement des précédents, c’est qu’on y trouve un outillage spécial qui ne sert plus directement aux besoins de la vie, mais qui est destiné à faciliter et à perfectionner la fabrication des instruments usuels. L’homme ne fabrique plus exclusivement des armes, il commence à faire véritablement des instruments de travail, et il a franchi par là le premier degré sur l’échelle féconde et sans limite du progrès.
- A Solutré on voit une industrie simple et de première main qui utilisé directement la matière première ; à la Madelaine commence à s’établir cette division du travail « qui doit plus tard centupler la puissance de l’homme et lui assujettir la nature », dit M. Broca. La plus grande partie des outils en silex, les grattoirs, les couteaux reçoivent une destination nouvelle : ils vont servir à travailler l’os, le bois de renne, le bois, la pierre. Aussi trouve-t-on dès lors des poinçons, des phalanges de renne percées en sifflets de chasse, les flèches barbelées en bois de renne, les hameçons, les harpons, les aiguilles, les plaques d’os entaillées comme des marques de chasse, etc.
- « Les aiguilles », dit M. Zaborowski, « les aiguilles qui ont la forme et les dimensions de nos grosses aiguilles actuelles sont percées de trous si petits et si réguliers, que les personnes mêmes les
- p.648 - vue 649/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- Um
- 649
- plus convaincues de l'antiquité de ces objets auraient pu croire qu’il était impossible de faire un trou semblable avec une pierre, Si M. Ed. Lartet nV,n avait pas fabriqué un avec les instruments mêmes trouvés dans la grotte des Eyzies (vallée de la Vé-zère). »
- Les harpons sont formés de morceaux cylindriques de bois de cerf ou de renne, pointus à une extrémité, et armés d’un ou de plusieurs crochets récurrents souvent pourvus d’une rainure creusée dans la longueur.
- Ce n’est pas tout encore. Avec les instruments en os, apparaissent abondantes aussi les gravures et les dessins. Nouveau développement de l’industrie humaine s’élevant pour la première fois jusqu’à la région plus élevée encore de l’art.
- Ainsi, les besoins de la vie ont engendré le travail humain. Le travail à son tour provoque l’industrie qui n’est autre chose que la division du travail appliquée à la production, et poussant toujours sa marche en avant, il entre dans le domaine de l’art qui est le travail lui-même idéalisé.
- Tout cela se trouve en germe déjà dans les productions du travail de l’homme à ces époques primitives de son existence sur la terre. Elles atteignent une perfection relative certainement, mais véritablement étonnante, eu égard aux moyens rudimentaires dont il dispose. Aussi, ces ouvriers des âges préhistoriques sont-ils dignes de figurer avec honneur au panthéon glorieux du travail, et nos travailleurs d’aujourd’hui peuvent se montrer fiers de tels ancêtres.
- (A suivre).
- Veut-on connaître la surface comparée des principaux pays de l’Europe et de l’Amérique ?
- L’Autriche a une superficie de 240,943 milles carrés; l’Allemagne, 212,001; la France, 204,091 ; l’Espagne, 177,781; la Suède, 168,042; la Californie, 157,803; le Dukola, 150,932; le territoire de Montana, 143,776; la Norwège, 122,280; le Mexique, 121,201; la Grande-Bretagne et l’Irlande, 120,879; lTtalie, 114,296; l’Orizona, 113,916; la Nevada, 112,090; le Colorado, 104,500; le territoire de Wyoming, 97,883; l’Orégon, 95,274; l’Utah, 84,476; le Minesota, 83,531 ; le Kansas, 80,891; le Missouri, 65,350; la Turquie d’Europe, 62,028; la Roumanie, 45,642; la Bosnie et l’Herzégovine, 28,125; la Bulgarie, 24,360; la Serbie, 20,850; la Grèce, 19,941 ; la Suisse, 15,235; le Danemark, 14,553; la Roumélie, 13,500; la Belgique, 11,373 ; le Monténégro, 1770.
- Le plus grand est le Texas qui a 274,365 milles carrés, et le plus petit Monaco qui a 6 milles carrés.
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective(l)
- La vie future ne saurait être que l’image & le perfectionnement cLe la vie présente comme celle-ci est la suite & la ressemblance cLe la vie passée. Toutes trois sont collectives. — Voile du passé.
- XIV
- Et si vous entendez que ces facultés demeurées ensevelies parmi nous sedéve-lopperont et produiront alors le mérite ou le démérite des âmes qui les ont reçues, vous supposez donc que ces âmes jouiront après la mort, d’une vie analogue à celle-ci.
- Nous ne nous souviendrions plus que nous avons été enfants, s’il ne se trouvait près de nous des témoins qui nous ont vus autrefois et qui nous apprennent ce que nous étions alors. Comment nous étonnerions-nous donc de ne rien nous rappeler de ces époques lointaines qui sont séparées d’aujourd’hui non par le simple cours des années, mais par les coups répétés delà naissance et de la mort.
- Jean Reynaud. Ciel et terre, p. 171, et 385. Nous nous rendons compte de ce que pourra être la vie future, en observant ce qu’est la vie actuelle. Or, nous n’avous vu nulle part un être vivre dans l’isolement. L’arbre ne vit pas seulement parce qu’il a des racines, un tronc, des branches et des feuilles qui constituent son individualité : sa vie est aussi dans la terre ou plongent ses racines, dans l’air, la lumière et la pluie qu’aspirent hors de terre ses rameaux et sa tige. Sa personnalité est bien distincte abstraitement, mais elle ne saurait l’être comme réalité vivante. De même chaque homme fait constamment échange avec son entourage. Ce n’est ni lui ni moi, c'est nous qui est Vexpression essentielle du mystère de la vie. Nqus ne devons donc jamais considérer notre personnalité comme isolée et abstraite de ce qui nous environne et constitue notre vie. Nous voulons qu’elle se perpétue, mais il n’est pas possible qu’elle persiste dans des conditions incompatibles et contradictoires avec la vie elle-même. Vouloir la survivance, c’est la vouloir pour les autres, comme pour soi. Le sentiment d’avenir, aussi bien que celui d’extension et de développement actuels doit être collectif. Nous devons nous attacher à la vie présente par la considération des êtres, des idées ou des choses qui nous enveloppent et nous enserrent. La vie hors de nous doit nous intéresser autant que celle qui est en nous, car l’une est le complément de l’autre. Il en est ainsi pour le présent, il
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août; 3, 10, 17, 24 septembre ; 1er et 8 octobre 1882.
- p.649 - vue 650/836
-
-
-
- 650
- LE DEVOIR
- n’en peut être autrement pour l’avenir. Le retour à la vie est le sort de tous, il est le retour à la vie collective, c’est-à-dire à la vie terrestre, tant que celle-ci est nécessaire à notre développement.
- Ainsi chacun est tenu d’accepter la vie future telle qu’elle peut être et vainement il la désirerait contraire à ses conditions de possibilité. Il faut dès lors que chacun la veuille reliant de plus en plus l’homme à ses semblables, à la terre et aux mondes livrés à notre activité. Il faut la vouloir progressant et faisant progresser tout ce qui n’est pas elle, grandissant incessamment en souvenirs, en espérances, mais aussi en réalités vivantes. Il faut la vouloir perfectible, aimante et aimée.
- La personnalité présente et son entourage présent se perpétuent simultanément. Nous devenons nous-mêmes l’avenir, nous continuons à y vivre, c’est-à-dire à nous y développer comme nous le faisions dans le passé, par l’union de notre personnalité à celle de nos semblables, les unes et les autres s’améliorant.
- Notre individualité aura une forme différente de celle qui la caractérisait dans le passé, elle prendra peu à peu des sentiments et des pensées différents de ceux par lesquels elle était manifestée à une époque précédente, car c’est précisément ce qu’il faut : qu’elle reste identique, et cependant qu’elle change. L’amélioration n’est possible que de cette sorte. Est-ce qu’aujourd’hui nous nous manifestons par les mêmes pensées, les mêmes sentiments et la même forme qu’il y a dix ans au plus? Assurément non, mais ces changements ne détruisent pas la perpétuation de notre identité vivante. Loin de là et c’est pour les faciliter dans ce qu’ils ont d’heureux et de louable qu’il faut le repos et l’oubli de la mort, avec la résurrection sous une forme quQ nous soustraye aux haines et aux représailles.
- Il faut que nous soyons cachés à tous les yeux. Il suffit que Dieu nous voie et que notre conscience intime nous reconnaisse.
- Le voile du passé est chose essentielle, le fleuve Lethé des anciens devient une allégorie saisissable. Nous le traversons pour reparaître en ce monde. L’inconnu qui nous renvoie nous a pris une part de nous-même. Nous n’avions pas travaillé en vue de nos compagnons, nous n’avions même pas agi envae d’un avenir auquel nous avions le tort de ne pas songer, il ne faut pas que ceux avec qui nous allons revenir nous reconnaissent ; le rappel de nos discordes et de nos haines les raviverait.Lé défaut de souvenir qui nous cache à nous-même, nous dérobe les uns aux autres i C’est plus qu’un bien, c’est une néces- f sité. Ne voyons-nous pas avec quelle difficulté le !
- coupable ou même 1# condamné obtient parmi nous l’oubli du passé, et de quelle méfiance nous le poursuivons jusqu’à la fin. Il est heureux que débarrassé de ce qui eut été un gênant fardeau, chacun de nous ait laissé une partie du bagage ancien et ne rapporte dans le présent que ce qui peut lui servir,les résolutions imprimées au plus profond de sa conscience. C’est ce qui a lieu pendant la vie terrestre, et après la mort du corps la vie se suivant ainsi elle serait semblable à ce qu’elle était depuis le premier jour de la naissance jusqu’à la dernière heure,se continuant dans la veille et le sommeil, c’est-à dire avec des alternatives qui tantôt nous donnent et tantôt nous retirent la conscience de nous-même.
- Et qui pourrait se plaindre de ce qu’il n’a pas la conscience de sa déchéance et de son imperfection. Qui donc oserait vouloir la justice suprême impitoyable et dépassant les bornes du juste, Qui donc oserait se plaindre de ce qu’elle aurait réalisé pour les coupables la pitié tentée par les hommes, à l’égard de ceux que leurs tribunaux ont frappé sévèrement. Ici bas afin de ne pas laisser le condamné face à face avec l’échafaud, on ne lui avoue qu’au dernbr moment le rejet de ses recours, et il se trouverait un de nous ne craignant pas de prétendre qu’obligé d’amener ses enfants, dans les justes voies de la vie, le père des vivants devrait leur montrer à la fois la faute, la cour d’assises et l’instrument du supplice tout dressé, devrait les mettre sous la menace incessante du châtiment. Mais alors la faute serait toujours présente et la punition multipliée rendrait la vie insupportable dans cette marche continuelle vers une répression que chaque jour montrerait plus prochaine et plus menaçante. Bénissons au contraire cette justice paternelle qui laisse seulement dans notre conscience à titre d’avertissement, la résolution prise par nous, d’éviter la route sur laquelle notre chute s’est effectuée.
- Sans nous hasarder à prévoir à l'avancé le sort qui attend la terre et ses habitants, il est permis de supposer que si comprenant le but de la vie, nous avions agi uniquement en vue du prochain, nous n’aurions à craindre aucun regard, et pourrions nous souvenir, car il nous serait possible de nous montrer. Attendons l’époque ou nous pourrons conserver un conscience nette du passé, et afin de l’avancer acceptons les enseignements de la vie présente : que celle-ci nous éclaire sur le caractère d une vie collective comme elle, qu’elle nous fasse répudier l’e-goïsme et qu’elle nous conduise vers la fraternité seule satisfaction commune à nos cœurs et à nos
- | intelligences.
- ) (À suivre). P. F. deuRTipis.
- p.650 - vue 651/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 651
- Le Congrès des Trade Unions à Manchester
- Les unions ouvrières anglaises tenaient cette semaine, à Manchester, leur quinzième congrès annuel. Cent cinquante délégués,hommes ou femmes, représentant un demi-million de travailleurs, ont siégé là pendant cinq jours,assis à de longues tables, leurs papiers devant eux, écoutant, prenant des notes, parlant chacun à leur tour, parlant la langue des affaires, sans déclamations, sans efforts pour briller, comme il sied à des gens qui veulent faire une besogne utile, et qui ne se laissent pas prendre aux mots sonores et vides. On a pourtant touché à bien des questions délicates, dans ces quelques séances si remplies. La surveillance du travail dans les manufactures; la réforme des lois sur la contrainte par corps, supprimée depuis longtemps pour les dettes inférieures à 50 livres sterling ; la refonte partielle de la magistrature; enfin, le régime même de la propriété territoriale.
- Oui, ce sujet si grave, d’un intérêt vital pour l’avenir de l’Angleterre, a été traité par les ouvriers réunis à Manchester, et le Times déclare que toute cette discussion a été conduite avec un calme qu’une assemblée de grands propriétaires fonciers eût en vain tâché d’égaler. Sans doute il s’est produit, à cette occasion, des thèses hardies; de l’esprit chimère a sa petite place dans les têtes les mieuxfaites. Mais le ton général a été excellent, et c’est avec une fierté bien légitime que les journaux anglais proposent le congrès de Manchester à l’imitation des travailleurs étrangers.
- L’an prochain, la seizième session se tiendra à Nottingham. Mais, dans l’intervalle, les résolutions que le congres vient de prendre ne seront pas demeurées sans effet. Il a confié la poursuite de ses desseins à la « commission parlementaire, » c’est-à-dire à des députés qui porteront devant la Chambre des communes les motions adoptées au congrès, qui les y soutiendront, et qui, très probablement, en feront triompher quelques-unes. C’est ainsi que le congrès, depuis sa fondation, a obtenu de sérieux avantages au profit des classes ouvrières. Au lieu d’entrer en lutte ouverte avec le Parlement, il tâche d’exercer sur le Parlement une pression efficace ; et tout en exprimant, comme il l’a fait encore cette fois, le désir qu’une nouvelle loi électorale assure aux ouvriers une représentation directe aux Communes, il use de la bonne volonté et du dévouement des députés * bourgeois. »
- Les membres du Parlement qui se trouvaient à
- Manchester ont été mieux reçus que M. Clovis
- | Hugues ne l’a été à Saint-Etienne. Peut-être aussi prennent-ils plus au sérieux les intérêts économiques des ouvriers, ou paraissent-ils en état de les défendre avec une conpétence technique plus grande? En tous cas, au lieu de s’excommunier, on s’entraide à Manchester; et il ne semble pas que les résultats de cette entente soient si fâcheux. Le premier congrès, qui se tint en 1868, comptait trente-quatre délégués seulement, et n’avait que cent vingt mille adhérents. Les chiffres, nous l’avons dit, ont quadruplé depuis.
- Il est toujours un peu puéril de chercher en Angleterre le modèle de ce qui devrait se faire en France : les conditions historiques, morales, sociologiques, sont si différentes d’un peuple à l’autre ! Jadis, on se demandait sérieusement pourquoi la France n’aurait pas une aristocratie à sa manière, l’aristocratie anglaise paraissant une pièce indispensable du régime parlementaire. Après avoir beaucoup envié la Chambre des lords, on a fini pourtant par comprend! e qu’une institution pareille ne se transplantait point, et qu’il fallait, de gré ou de force, s’en passer. Il en est de même pour l’organisation du parti ouvrier. Cette organisation est infiniment supérieure en Angleterre à ce qu’elle est chez nous : elle vaut mieux pour l’Etat tout entier,’ que personne ne songe à menacer ; elle vaut mieux pour les ouvriers, qui, petit à petit, mais sûrement, obtiennent des avantages considérables de tous points.
- Nous n’aurons cependaut pas la naïveté de demander à nos socialistes français d’imiter les socialistes anglais. Pour qu’un congrès comme celui de Manchester pût réussir en France, il faudrait que le tempéramment français lui-même changeât et devint anglais. On l’a bien vu tout récemment au congrès de Bordeaux. De très honnêtes gens prenaient la parole; ils la maniaient sans expérience ni adresse; et la séance dégénérait en spectacle pour rire. Les orateurs de Manchester n’étaient pas tous de grands orateurs : on nous assure qu’ils se répétaient souvent, et qu’ils n’arrivaient pas sans peine ni travail à exprimer leur pensée sous une forme assez nette. Mais qui donc eût songé à en rire et à s’en amuser ? Il suffisait que ces ouvriers parlassent * de cœur, » comme dit le Times ; on ne leur en demandait pas davantage, et on les écoutait. Ce n’est qu’un point de détail ; mais il nous semble qu’on y peut bien saisir la différence des deux tempéraments. D’une part, la gravité, le sérieux, la solidité des convictions ; d’autre part... nos qualités nationales, qui ne sont pas précisément les mêmes.
- S’il faut renoncer, pour longtemps encore, à l’es-
- p.651 - vue 652/836
-
-
-
- 652
- LE DEVOIR
- poir de voir chez nous un congrès pareil à celui de Manchester, on peut espérer du moins que certains procédés pratiques, dont les Anglais se trouvent si bien, tenterontnos ouvriers et s'implanteront dans nos mœurs. Par exemple,l'action directe des associations ouvrières sur le Parlement, et la revendication légale des droits. Ce qui nous encourage à l’espérer, c’est précisément l’exemple que certains groupes ont donné lors du congrès de Bordeaux. Nous nous souvenons d’une lettre très sage adressée par les ouvriers d’un arrondissement de Paris aux délégués de Bordeaux, et demandant que l’on commençât par nommer une commission chargée de s’entendre avec la Chambre pour hâter le vote de la loi sur les syndicats professionnels. L’idée nous avait paru très heureuse. Certainement, quand cette loi sera votée, toutes les questions sociales qui nous préoccupent ne disparaîtront pas du coup, et nous n’entrerons point, du jour au lendemaiu, dans un renouveau de l’âge d’or; mais un progrès sérieux sera fait. Et c’est ainsi que, jour par jour, année par année, des améliorations de détail viendront modifier l’état des classes ouvrières. On ne leur promettra pas tout, mais on leur donnera quelque chose.
- Le Congrès des Trade-Unions en Angleterre
- Voici la nomenclature des travaux auxquels s’est livré le quinzième congrès ouvrier anglais durant une session de cinq jours ouverte le 18 septembre dernier à Manchester :
- Examen du projet de loi sur la responsabilité des patrons en matière d’accidents atteignant les ouvriers, projet laissé en souffrance par le Parlement durant sa dernière session. Des mesures à prendre pour prévenir l’explosion des chaudières. Du payement des manouvriers, terrassiers, etc.., dans les chantiers et non dans les tavernes. Des obstacles à opposer à une ligue de patrons dite Liberty and Property defence League, dont le but réel est de combattre les lois établies touchant le travail des femmes et des enfants dans les manufactures, et touchant la sécurité que doit offrir la coque des navires. Augmentation du nombre des fonctionnaires chargés de surveiller le travail dans les manufactures. Abus de la contrainte par corps conservée en matière de frais judiciaires. Meilleure organisation de la magistrature inférieure. Réforme des lois concernant le jury. Régime de l’apprentissage. Réforme du système terrien, la commission royale chargée de s’en occuper n’ayant rien fait de sérieux. Réforme du système de l’assistance publique, etc.
- Un travailleur rural qui a conquis une grande notoriété, M. Joseph Arch, délégué de l’Unioa des laboureurs, a parlé de la diminution du paupérisme dans les.campagnesfL’Union a distribué à ses membres malades 500,000 fr. en six mois.
- Telle a été cette laborieuse session, où siégeaient cent cinquante délégués représentant pareil nombre de Sociétés enregistrées au Parlement, et comprenant plus de cinq cent mille unionistes. « Parmi tous les congrès, a dit le Times, il n’en est pas de pratiquement plus intéressant. La richesse de l'Angleterre dépend de ces classes ouvrières, dont l’énergie au travail et le contentement moral sont la base de la prospérité anglaise. Munis de pouvoirs suffisants pour parler au nom des principales industries du pays, les membres du congrès ouvrier exercent, soit pour le bien, soit pour le mal, un pouvoir plus grand que celui du Parlement-lui-même. »
- LE MAGNÉTISME
- Dans l’état de somnambulisme, les fonctions de la vie organique telles que la respiration, la circulation ou d’autres peuvent subir des modifications notables. Ainsi, certains agents médieamentaux ou autres paraissent souvent avoir perdu leur influence sur les organes sur lesquels ils exercent une puissante action à l’état de veille. On sait, par exemple que la fumée de tabac détermine chez les personnes qui fument sans en avoir l’habitude une sensation de malaise extrêmement désagréable, une sorte d’ivresse pénible qui trouble profondément les fonctions du cerveau et de l'estomac. Eh bien, plus d’un magnétiseur a fait fumer d’énormes pipes de tabac à de jeunes somnambules qui n’avaient jamais fumé, et cela sans qu’ils en ressentissent la moindre incommodité. Le docteur Teste cite une expérience de ce genre dans laquelle il fit fumer ainsi non pas une mais même deux pipes à une jeune fille.
- Tous les somnambules ne sont pas lucides, et nous croyons que la lucidité est assez rare pour constituer sinon une exception à proprement parler, tout au moins un fait digne de remarque. Le docteur Teste prétend que la plupart des somnambules peuvent devenir plus ou moins lucides après un nombre d’expériences suffisant. « Quelques-uns, dit-il, sont lucides dès la première séance, d’autres ne le sont qu’à la seconde, ceux-ci à la troisième, ceux-là enfin ne le deviennent qu’après huit ou dix .séances. Ce qui leur advient alors les étonne beaucoup, et la description qu’ils en donnent diffère suivant leur
- p.652 - vue 653/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 653
- caractère et'l’édacation qu'ils ont reçue; mais en définitive cette description constamment la même quant au fond ne varie jamais que par la forme. C’est presque toujours une vive lumière dont ils sont inondés, un beau soleil, suivant l’expression de Catherine Sanson, » (sujet endormi par le baron Dupotet.)
- Si l’on compare les effets produits dans l’état de somnambulisme lucide avec ceux dont on trouve la description dans l’histoire des extatiques célèbres tels que Paul l’Anachorète, François d’Assise, Catherine de Sienne, Le Tasse, Mahomet etc, on est forcé de reconnaître une ressemblance frappante entre eux, ce qui donnerait à penser que ces extatiques pouvaient bien être tout simplement des somnambules lucides. Hystériques ou épileptiques pour la plupart, ils se trouvaient dans des conditions éminemment favorables à l’état magnétique.
- Du reste la lucidité paraît dépendre d’une foule de circonstances extrêmement difficiles à déterminer, d’autant plus que leur variété, leur diversité extraordinaire ne permettent de rien établir de bien assis en fait de règle. Ce qui réussit chez un sujet échoue absolument chez l’autre, et ce qui n’a rien produit dans un cas, devient très efficace dans un autre ayec le même sujet. Parfois la lucidité est intermittente, parfois elle est constante mais peu durable. Dans tous les cas, elle ne parait pas être permanente, et durer au-delà de certaines limites. Les sujets que l’on a le plus remarqués, tels qu’Alexis et autres, ont perdu leur lucidité au bout de quelques années, et nous ne croyons pas qu’il y ait un seul exemple de lucidité sérieusement permanente.
- Les somnambules lucides voient souvent la couleur du fluide vital, et voici ce que dit à ce sujet M. de Fieurville :
- « Les somnambules lucides voient la couleur du fluide vital. Jaune d’or ordinairement quand il est abondant, énergique; bleu de ciel, d’un beau bleu, quand il est doux, bienfaisant ; fgris, grisâtre, gris-pâle, quand il vient d’un magnétiseur faible ou affaibli, fatigué. Ils ne confondront jamais l’eau ordinaire avec l’eau magnétisée puisque celle-ci sera toujours colorée. Ils voient ce fluide s’échapper des mains, des doigts surtout en petites gerbes lumineuses, colorées. »
- Il ne faut pas croire que tout le merveilleux de la lucidité se borne à un simple phénomène de vision. Indépendamment d’une exaltation remarquable de toutes les facultés intellectuelles, il s’en révèle, dans cet état, d’absolument inconnues au physiologiste, et sans aucune analogue possible. La mémoire du somnambule lucide s’étend et semble planer sur
- toute son existence; un instinct indéfinissable lui permet de voir les événements du moment actuel, sans que nul obstacle de distance ou d’espace l’en empêche, et parfois même il va jusqu’à lui permettre de soulever dans une certaine mesure le voile de l’avenir.
- On peut obtenir, et l’on obtient très fréquemment des phénomènes de vision sans le secours des yeux. C’est un des faits les plus communs de la lucidité, et l’un des plus contestés aussi des incrédules, parce que le procédé mécanique dit la seconde vue arrive parfois à le contrefaire d’une façon satisfaisante. Mais nous ne sachions pas que de ce qu’une chose peut être imitée, il s’ensuive nécessairement qu’elle n’a point de valeur et ne mérite point qu’on s’y arrête. Que contrefait-on mieux et davantage que les pièces d’or ou d’argent ? Est-il jamais venu à l’idée de quelqu’un de les mépriser ou de les rejeter pour cela ?
- Des faits de ce genre sont si fréquents et si connus, qu’il semble superflu d’en faire des citations. Le Dr Teste en rappelle un certain nombre, et tous les ouvrages sur le magnétisme en sont pleins. Nous ne nous attarderons donc pas sur ce sujet.
- L’intuition, qui est une des premières parmi les facultés extraordinaires que développe le magnétisme, est parfaite pour ainsi dire chez la plupart des somnambules lucides. C’est comme un sens nouveau, un instinct merveilleux qui révèle à l’intelligence du sujet les mystères les plus cachés de sa nature intime. Le somnambule se rend compte de tout ce qui se passe en lui avec une précision, un tact et une justesse prodigieuse. Aucune fonction organique n’a plus de secret pour lui, et il y découvre avec une lucidité incomparable le plus imperceptible désordre, l’altération la plus légère. Sa pensée peut mesurer,-calculer, apprécier avec une exactitude mathématique le temps, l’espace, les forces de toute nature, la résistance ou la pesanteur des objets, des substances, de toutes choses.
- Une femme en somnambulisme a conscience de sa grossesse dès la première heure de la conception, et cela avec tant de netteté, que huit jours après elle pourra désigner sans jamais se tromper le sexe de son enfant, etc., etc. ( d’. Teste p. 117.)
- « L’intuition, dit le même auteur, l’intuition est à la clairvoyance ce que la physiologie est à l’anatomie ; à cette différence près cependant, que les somnambules, même les moins lucides sentent à priori les actions vitales qui se passent en eux, et n’ont nullement besoin de notions organographiques pour être doués encore d’une appréciation physiologique très passable.
- p.653 - vue 654/836
-
-
-
- 654
- LE DEVOIR
- Cette faculté précieuse de l’intuition, si remarquable chez la plupart des sujets a permis au magnétisme de rendre déjà de très grands services, en s’appliquant au diagnostic des maladies, et en aidant puissamment la médecine pour arriver à leur traitement et à leur guérison. Plus d'une fois le médecin embarrasé par des symptômes contradictoires s’offrant à lui dans une affection morbide, a été utilement renseigné et pleinement éclairé sur leur cause, et a pu de la sorte appliquer le traitement le plus approprié et le plus efficace.
- Elle peut encore rendre des services réels par les révélations qui permettent de se guider plus sûrement dans la conduite ordinaire de la vie. Nous citerons le cas suivant raconté par M. de Fleurville à ce sujet. »
- « Une jeune fille qui faisait vivre sa mère et elle avec ses facultés, somnambuliques, pouvait s’endormir du sommeil magnétique en tenant dans ses mains un objet fortement magnétisé. Quand elle voulait se réveiller, elle mettait cet objet sur un meuble. Le fluide était renouvelé tous les huit ou quinze jours suivant qu’elle s’en était plus ou moins servi.
- « Pendant une absence de son magnétiseur ordinaire, sa mère nous pria de lui rendre le service d’aller endormir sa fille, et de lui magnétiser un autre objet.
- « Comme elle savait que nous refuserions toute espèce de rétribution, elle nous proposa de nous faire donner une consultation gratuite, ce dont nous n’avions nul besoin en ce moment. Mais voici un aperçu de la conversation que nous-eûmes avec la jeune fille :
- « D. Puis-je vous être utile à vous, pour vos affaires présentes ou pour votre avenir ? Vous voyez que ce n’est pas la curiosité ni l’indiscrétion, mais l’intérêt que je vous porte qui m’entraîne à vous adresser cette question à laquelle vous pouvez ne pas répondre, si elle vous inspire un doute ou même la plus légère contrariété ?
- « R. Non, et je sens au contraire que vous pouvez me rendre un service : interrogez-moi.
- « D. Alors, pouvez-vous ou voulez-vous me dire si vous avez une inclination ou un projet de mariage sur lesquels vous désirez avoir votre opinion éclairée par l’état où vous êtes ?
- « R. Je vois très bien les intentions d’un jeune homme que j’ai soigné, (en état de somnambulisme) et auquel j’ai sauvé la vie. Il avait été abandonné par les médecins, qui l’avaient envoyé à la campagne, parce qu’ils n’espéraient plus que dans le bon air et dans la jeunesse pour triompher peut-être de son
- mal, qu’ils avaient inutilement chercher à combattre.
- « Ce jeune homme m'a déjà fait beaucoup de remer-cîments, il m’a rétribuée plus que nous étions convenus ; il m’a fait cadeau en outre, de cette montre et de cette belle chaîne en or ; enfin il m’a offert de m’épouser ; mais je n’ai pas cru à la réalité de cette offre ni ma mère non plus... mais j’ai tort parce qu’il est sincère ; il m’aime beaucoup, gagne de l’argent dans son commerce, et il est plus riche encore que nous ne le supposons — Je voudrais bien voir à mon réveil comme maintenant.
- « D. C’est très aisé, j’ai deux moyens : soit en vous le faisant rappeler, ce qui vous fatiguera un peu le cerveau et vous donnera un mal de tête, peu grave, d’ailleurs. Mais cela peut-être vous contrarira, en apprenant que vous m’avez confié votre secret intime. Ou bien vous allez écrire tout cela, vous plierez votre papier, et vous le mettrez où vous voudrez. Je vous indiquerai seulement le lieu où vous l’aurez placé.
- « Elle employa ce dernier moyen. A son réveil, elle lut son papier qui la surprit beaucoup, et, comme elle hésitait à croire à la véracité de son écrit, je lui 0s rappeler phrase par phrase toute notre conversa» tion sur laquelle je lui promis un secret absolu.
- « Plus tard son mariage eût lieu à la grande joie des intéressés.
- (4 suivre).
- LA PRESSE SOCIALISTE OUVRIÈRE
- Nous saluons avec plaisir la naissance de deux journaux socialistes, qui viennent grossir la phalange des travailleurs qui soutiennent le bon combat, et nous leur souhaitons une prospérité en rapport avec leur bonne volonté et leur dévouement.
- L’un de ces journaux, le premier en date, puisqu’il en est à son 8e numéro, est hebdomadaire et intitulé : « La Bourse du Travail », journal de solidarité, organe hebdomadaire d’union et de défense des associations, caisses populaires et chambres syndicales ouvriers. Les sujets traités sont bien choisis et la rédaction des articles est animée d’un souffle puissant de liberté et de fraternité véritablement démocratiques.
- Le second est intitulé : « Le Moniteur des Syndicats », journal républicain socialiste, organe des chambres syndicales ouvrières de France. Fondé sous les auspices de l’union des chambres syndicales ouvrières de France, ce journal promet d’être l’interprête fidèle des aspirations légitimes des travailleurs, et s’il tient, comme nous n’en doutons pas, sa promesse, il peut être appelé à rendre d’immenses ser-
- p.654 - vue 655/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 655
- vices à la cause si intéressante et si palpitante des classes laborieuses.
- Bonne chance donc à ces deux lutteurs qui viennent de descendre à leur tour dans l’arène.
- LA RAGE
- Le Conseil central d’hygiène a pensé qu’il serait bon de mettre entre les mains des élèves de nos écoles un exposé précis, intéressant, clairement écrit, des symptômes qui précèdent l’explosion de la rage.
- 11 a chargé M. Warnesson, vétérinaire Inspecteur du département de Seine-et-Oise, de rédiger un manuel très-abrégé, sous fqrme de lectures enfantines, qui donnera non pas seulement aux enfants, mais aux instituteurs et aux parents eux-mêmes, des notions précises sur le développement de |a maladie.
- C’est ce petit livre qui vient de paraître sous ce titre : Manuel de la Rage.
- On sait combien est répandu ce préjugé que le chien enragé a horreur de l'eau ; les savants eux-mêmes ont paru vouloir lui ajouter du crédit en donnant à la rage le nom grec d’hydrophobie.
- La vérité, c’est que le chien enragé a surtout la rage de boire.
- Voici ce que dit M. Waruesson ;
- « Oui, il boit, ce chien qui est en train de devenir enragé ; il buvait hier, il boit aujourd’hui, il boira demain, alors que la maladie sera tout à fait déclarée ; et il boira ainsi ou cherchera à boire jusqu’à la fin, c’est-à-dire tant qu’il lui restera la force et la possibilité de boire.
- » Cela vous étonne, parce que c’est en contradiction avec ce que vous avez toujours entendu dire ; parce que cela va à l’encontre du vieux préjugé qui veut qu’un chien enragé ait horreur de l’eau et ne boive point, préjugé qui, à l’instar de l’écume à la gueule et de la queue entre les jambes, ge trouve si profondément ancré dans l’esprit du public, qu’on a toutes les peines du monde à l’en arracher. De combien de malheurs cette erreur fatale n’a-t-elle Pas été cause ! Combien de gens, qui se figuraient que leur chien n’était pas enragé parce qu’il buvait, ont été victimes de cette illusion 1
- » C’est par centaines, enfants, que j’ai été à même de voir et d’observer les chiens enragés; je n’en ai Pas rencontré un seul qui ne bût pas, qui ne se jetât Pas avec empressement .sur l’eau fraîche qu’on lui présentait, venant le plus souvent la lapper jusqu'au goulot même de la bouteille, qui la lui versait à tra-yôrs les barreaux de sa cage. Le chien enragé boit ;
- soyez bien pénétrés de cette vérité, et qu’elle vous ne sorte pas de l’esprit. »
- BIBLIOGRAPHIE
- Monsieur Ch. Lemonnier, le président de la Ligue internationale de la paix et de la liberté, vient de publier une brochure intitulée : Du principe de neutralité et de ses applications (1)
- Il définit d’abord ce qu’est l’état de neutralité des puissances, les droits et devoirs inhérents à cet état . puis il passe aux applications du principe.
- La neutralisation des chemins de fer, des tunnels, des canaux, des fleuves, des détroits naturels ou créés, des mers ; la fédération des peuples neutres ; la nécessité d’un tribunal d’arbitrage international et d’une flotte internationale, toutes ces questions sont abordées d’une façon claire et concise dans cette brochure de 45 pages, que tous les amis sincères du progrès des peuples et de l’émancipation sociale voudront se procurer et liront avec le plus grand intérêt.
- BIBLIOTHÈQUE DU FAMILISTÈRE
- Monsieur Lucien G-uénean, sous-préfet de Gex, nous adresse les deux ouvrages suivants dont il est l'auteur :
- Allocutions prononcées à Gex, souvenirs affectueux a mes administrés et concitoyens.
- Les conséquences de la révocation de l’Édit de Nan* tes et la grandeur de la Prusse, souvenirs d’un prisonnier de guerre.
- Nous offrons à M, Guéneau, au nom de la population du Familistère, nos vifs remerciements pour ces deux bons ouvrages.. . .
- Nous remerçions également M. Ghaix pour l’envoi de la brochure qui contient le Compte, rendu de la distribution des prix aux élèves de l’Ecole profession~ nelle de l’Imprimerie Chaix, 3 septembre 1882. (
- ÉTAT-CIVIL DU FAMILISTÈRE
- NAISSANCE
- Le 3 octobre de Georgette Pesnoyer, fi.Uq de Pesnoyer Georges el de Thorpt Marie.
- I>3É2C3BS:u
- Le 3 octobre de M. Berlemont Victor, âgé de 61 ans.
- (f ) Librairies FischbaeUer, 33, rue de Seine, Paris, et bureau des «Etats-Unis d’Europe» i quai des Bergues, Genève.
- i)9', J :
- p.655 - vue 656/836
-
-
-
- 656
- LE DEVOIR
- TRIBUNAUX
- LE FROTTAGE A PERPÉTUITÉ (petite cause dédiée aux criminalistes).
- Evidemment, ce n’est pas un mince honneur que de cirer les parquets des comtes et des ducs, et une telle besogne anoblit jusqu’à un certain point le maître frotteur ; il ne faudrait pas néanmoins que, oublieux de sa modeste origine, il aspirât à frotter les épaules de ses concitoyens. Telle a été pourtant l’idée bizarre d'Antoine Chamareau, compatriote de M. Rouher, qui comparaissait hier en police correctionnelle (11e chambre), sous l’inculpation d’injures et de coups.
- M. Jules Dubois, négociant en denrées alimentaires, expose ainsi les voies de fait dont il a été victime :
- « J'étais dans le tramway des batignolles à l’Odéon, tranquillement occupé à lire mon journal, lorsque (montrant le prévenu) monsieur monte dans la voiture et vient s'asseoir à côté de moi, avec tout un attirail...
- Le prévenu (fort accent auvergnat). — Gbi on peut appeler cha un... comme vous dites, un tirail ! Ghe n'avais qu’un balai, fouchtra ! mon bâton à chirer, avec ma chire et des chiffons dans un chac, ch’est pas un., comme vous dites. (Hilarité.)
- Le président. — G’était suffisant pour encombrer un omnibus, si tous les voyageurs en apportaient autant !
- Le prévenu (avec conviction). — Ils n’étaient pas tous frotteurs, mon chuge, cb’étals le cheul.
- Le plaignant (continuant),— Enfin, bref, monsieur s’assoit à côté de moi et commence par m’éborgner l’oeil droit avec le manche de son balai. Je me contente de me garer avec la main pendant qu’il payait le conducteur. Mais, après, voilà qu’il m’écrase un cor avec son bâton à cirer : « Aïe 1 que je fais, prenez donc garde ! » Alors, il me traite de bourgeois de quatre sous, me disant qu’il a le droit de voyager à son aise, puisqu’il a payé sa place, tout ça dans un charabia qui faisait rire l’omnibus.
- Le prévenu (pâle d’indignation). — Charabia ! vous l’entendez, mon procureur, il inchulte la langue fran-chaige ! (Hilarité.)
- Le plaignant. — Alors, furieux, monsieur se lève et me crie : Attends un peu, vampire, j’te vas frotter les épaules ! » Et alors, il me frappe, comme il le dit, avec son bâton à cirer. J’en avais même ma redingote luisante comme un parquet ! (Rires.)
- Le prévenu. — Gh’crois ben, de la chire numéro un!
- Le président (au prévenu). — Ainsi, vous avouez avoir frappé monsieur ?
- Le prévenu. — Oh ! mon procureur, chiré un tout petit peu, hichtoire de rire. Cha che fait entre Auvergnats ! Tout cha, ch’est des bêtises et chi monchieur veut me le rendre ?... Gh’ai peut-être été un peu vif, cbe le regrette ben, allez. (Avec des larmes dans la
- Ivoix .) Ghi monchieur le veut, nous le durerons à per. pétuité, de père en fils, foi de Chamareau.
- Malgré d’excellents certificats délivrés par M. je comte de Sangrado et M. le duc, de Bellombre,attestant qu’Antoine Chamareau est laborieux, d'humeur paisible et frotte consciencieusement, le tribunal condamne le prévenu à 25 fr. d’amende et 48 heures de prison.
- Quel dommage que le législateur, s’inspirant de la pensée heureuse d’Antoine Chamareau, n’ait pas condamné les frotteurs irascibles à cirer à perpétuité les parquets de leurs victimes !
- JEAN DEBONNAIRE.
- »---------
- LA VALEUR DE LA VRAIE CROIX
- Evidemment la foi s'en va.
- Un morceau de la vraie croix vient d’être vendu aux enchères publiques pour quarante-neuf sous, y compris les 5 0/0 du commissaire-priseur.
- Si c’est un fragment aussi authentique que celui qui était déposé dans la Sainte-Chapelle, il faut reconnaître que cette denrée a bien diminué de prix.
- En 1254, Saint Louis acquit de l’empereur Baudoin un morceau de la vraie croix, le fer de la lance dont le côté adorable de Jésus-Christ fut percé, et une partie de l'éponge qui servit à lui donner du vinaigre, moyennant la modique somme de deux millions huit cent mille livres tournois, ce qui correspond environ à neuf millions de francs de notre monnaie.
- Aujourd’hui on peut s’offrir une relique de la même qualité pour quarante neuf sous.
- Un pari extravagant a eu lieu entre un Anglais et un Américain. L’Anglais a parié 5,000 livres sterling qu’il se jetterait du haut de la colonne Vendôme sans se tuer, L’Américain s’est laissé tenter par l’appât de la somme, tout en déplorant le sort de son pauvre ami.
- Hier, ils se présentaient comme deux touristes à l’entrée de la colonne. Le gardien remettait à chacun d'eux une lanterne, et ces étrangers gravissaient l’escalier en colimaçon.
- Il avait été convenu que l’Américain regarderait sans rien dire et sans faire la moindre observation.
- Arrivé sur la plate-forme, l’Anglais déroule une corde et l’attache solidement à la rampe. Il passe l’autre extrémité autour de sa taille et s’élance dans le vide. Une forte secousse est imprimée à la rampe, en même temps son corps a rebondi en l’air. La corde étaiten caoutchouc. L’anglais a remonté la corde avec l’agilité d’un gymna-siarque.
- L’Américain a reconnu qu’il avait perdu.
- Le plus curieux c’est que personne ne s'est aperçu de ce tour de force.
- Le Directeur-Gérant : GODIN SAINT-QUENTIN
- Société anonyme du Glaneur, Grand’Place, 36*
- p.656 - vue 657/836
-
-
-
- p Année, Tome 6. - n°215. jLe numéro hebdomadaire 20 c. Dimanche 22 Octobre 1882
- LE DEVOIR
- BEVUE DES QUESTIONS SOCIALES
- BUREAU
- l GUISE (Aisne)
- Toutes les communications et réclamations doivent être adressées à M. GODIN, Directeur*Gérant Fondateur du Familistère
- i'T ' Tl*11 m i n rüi
- ABONNEMENTS PAYABLES D’AVANCE
- par renvoi, soit au bureau de Guise, soit à celui de Paris, de timbres-poste ou de mandats de poste, dont le talon sert de quittance.
- France
- Un an. . . . 10 fr.»» Six mois ... 6 »»
- Trois mois . . 3 »»
- Union postale
- Un an. . . . iifr.u» Autres pays Un an. . . . 13fr.60
- on s’abonne A PARIS 5,r.Neuve-des-petits-Champs Passage des Deux-Pavillons
- S’adresser à M. LEYMARIE administrateur de la Librairie des sciences psychologiques.
- Le journal « LE DEVOIR » est envoyé gratuitement à titre d’essai.
- Si le journal n’est pas renvoyé au bureau de Guise après le 4e numéro, l’administration fait présenter une quittance d’abonnement.
- SOMMAIRE
- La Morale dans Vhumanité. — U Unité de la vie passée présente et future. — Faits politiques et sociaux. — Le Congrès de la Fédération internationale d’Arbitrage et de Paix. — Le Travail à travers les âges. — Le Magnétisme. — Etat-civil du Familistère. — Revue scientifique.
- LA MORALE DANS L'HUMANITÉ
- III
- But <1© l'existence. — Coopération au progrès de la -vie. — Progrès physique intellectuel et moral.
- Le bien sous toutes ses formes est la base de la Morale humaine, et la morale est un des principaux éléments pour ne pas dire le premier agent du progrès dans la vie, but inéluctable et suprême de tout Ce qui existe. Elle est une loi d'amour qui prescrit ai*x hommes de s’aimer entre eux, et de travailler
- individuellement et collectivement au bien de chacun et de tous.
- L’existence matérielle de l’homme n’est qu’un des innombrables degrés de la vie, dans lequel l’être humain doit travailler sans relâche à acquérir les mérites propres à l’élever à un degré supérieur dans cette marche sans cesse ascendante du progrès. Pour cela il faut que l’homme sache triompher de ses imperfections morales, pour les remplacer par les perfections contraires, renoncer à ses convoitises d’égoïsme pour y substituer l’amour du juste, et, par l’amour de ses semblables, établir une équitable solidarité d’intérêts communs entre eux et lui.
- « Vivre pour soi, dit l’auteur de « Mutualité sociale », est le propre de la brute, c’est la condition de la créature confinée dans les appétits matériels. »
- « Vivre pour autrui, c’est la vertu de l’être s’élevant à l’amour de la vie universelle; c’est l’esprit se dégageant des imperfections de la matière pour s’identifier aux vertus des régions supérieures de l’existence. »
- Quand l’homme, ignorant de ses véritables intérêts et des lois morales qui doivent toujours former la règle de conduite de l’humanité sur la terre, est aveuglé par l’égoïsme et ne possède ni le sentiment du devoir ni celui du droit, il n’a pas le sens du juste, ce que l’on désigne sous le nom de sens moral. En effet pour lui, dont la vue est faussée par le sentiment outré de l’individualité, comme celle de l’homme atteint d’ictère l’est par la maladie, le bien est ce qui favorise son intérêt personnel, flatte ses convoitises, et satisfait ses passions. Lui seul est son objectif, et tout ce qui ne se rapporte pas à ses
- p.657 - vue 658/836
-
-
-
- 658
- LE DEVOIR
- besoins, à ses aspirations, est comme s’il n’existait pas. Il froisse impitoyablement, et souvent sans en avoir conscience, les intérêts, les sentiments et les idées des autres, dès que son intérêt personnel est en jeu, parce qu’il a pris pour guide l’égoïsme qui l’égare et lui montre toutes choses sous un jour faux et plein de nuages.
- Au contraire, lorsque l’homme s’éclairant des lumières de la vérité, et s’inspirant de l’amour du bien, acquiert la véritable notion des devoirs et des droits, il ne tarde pas à posséder le sentiment de la justice, il se donne pour règle de travailler au bien de ses semblables qu’il sent inséparable du sien propre, et il concourt activement de la sorte au progrès de la vie humaine et au progrès de la Société.
- Ainsi l’un, l’égoïste, descend dans l’échelle de la vie, tandis que l’autre, l’homme fraternel, monte et s’élève graduellement jusqu’au sommet. L’un perd et l’autre gagne ; le premier est nuisible et le second utile; celui-là est un obstacle au progrès; celui-ci en est un agent actif ; l’un enfin est en lutte contre la loi de la vie, et l’autre l’applique fidèlement avec fruit.
- C’est à faire de tous les hommes des agents utiles du progrès de la vie, qui sans le progrès languit fatalement et s’étiole, que la morale sert et s’applique, en enseignant à tous que le véritable but de l’existence est la coopération au progrès de la vie par le travail. Ouvriers d’une même entreprise, chargés ensemble d’un travail dont l’achèvement et la bonne façon exigent le concours individuel de tous, ils ont un intérêt de premier ordre à s’entendre, à être unis, à marcher la main dans la main à travers leur œuvre, comme des frères, et de là le lien vital de la fraternité, si utile et si indispensable au bien de l’humanité.
- Ce lien qui emprunte une force toute puissante à sa nature même, car la fraternité est un véritable sentiment, comme l’amour, dont elle est une forme réelle, contribue singulièrement à établir l’ordre et l’harmonie au sein des sociétés, et y favorise par conséquent d’une manière efficace le développement du progrès physique, intellectuel et moral. Elle donne de l’attrait à la solidarité existant naturellement entre les hommes, et la fait tendre constamment au bien, conformément aux lois souveraines la vie, en faisant profiter tout le monde des progrès de chacun et chacun des avantages obtenus par tous. Enfin, elle les porte naturellement à pratiquer la mutualité qui fait mieux que guérir les maux sociaux de l’humanité puisqu’elle les prévient et les évite.
- C’est l’oubli, la méconnaissance de ce lien qui fait
- que de nos jours, par exemple, nous assistons parfois au désolant spectacle de Congrès de travailleurs réunis pour étudier la solution des problèmes quj les intéressent le plus, rendus impossibles dès le début, pour les motifs les plus égoïstes, les piUs personnels, et par conséquent les plus futiles, et transformés en champ de bataille par le degré d’exaltation auquel atteignent les passions ainsi surexcitées mal à propos. Au lieu de chercher ensemble la vérité, comme des frères, la main dans la main on s’accuse, on s’injurie, et la haine engendrée par de mesquins froissements d’amour propre détruit tout l’accord, toute l’harmonie que la fraternité eût entretenus et développés parmi ces hommes. En présence de l’œuvre de progrès qui a pour objectif l’humanité, que sont les intérêts particuliers d’un homme ou même ses opinions individuelles ! De même que le soldat qu’anime le patriotisme ne craint pas de sacrifier sa vie pour le bien du pays ; de même le socialiste qui suit les nobles inspirations de la fraternité humaine fera toujours bon marché de ses opinions et de ses intérêts, en faveur de la grande cause du progrès social qu’il a l’honneur de servir.
- Ainsi la fraternité vraie, en inaugurant véritablement dans le monde le règne bienfaisant de la morale, fait réaliser le progrès en toute chose au sein de l’humanité.
- Elle produit le progrès physique, car la destinée de l’homme est d’autant plus haute et plus grande que l’homme possède une activité plus puissante, plus expansive et mieux dirigée. L’énergie et la capacité de l’être humain dépendent de sa constitution primitive et de l’éducation qu’il reçoit.Sans discuter longuement pour savoir si les facultés natives sont égales et identiques chez tous les individus, il est certain que les conditions de l’homme à sa naissance varient en raison des influences héréditaires et autres qui ont pu intervenir dans la conception etpen-dant la gestation. Ces influences toutefois n’entraînent pas toujours chez l’enfant une organisation aussi vicieuse que celle du père. Le plus souvent,le germe morbide est à l’état latent ; le père est malade, l’enfant nait seulement disposé à le devenir*, le père est vicieux, corrompu, abruti] l’enfant naît avec des facultés moins développées et moins aptes à fonctionner régulièrement, mais non encore incurablement atrophiées. La nature aidée par une hygiène bien entendue appliquée avec intelligence peut reprendre tous ses droits, et par une action réparatrice, restituer au germe humain les qualités dont l’influence des parents tendait à le priver*
- La constitution physiologique de la race peut être
- p.658 - vue 659/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 659
- rétablie dans son état normal par une bonne gymnastique de l’esprit et du corps que l’éducation fait faire, et qui développe en même temps la force physique et les aptitudes intellectuelles et morales de l’individu.
- C’est là que le devoir de la Société envers chacun de ses membres s’affirme nettement et s’accentue. Pour l’amélioration progressive de la race humaine, au point de vue purement physique, la mauvaise organisation sociale qui a prévalu jusqu’à présent a été un obstacle sérieux, !parce que la plus grande et la meilleure partie du genre humain a été privée pendant des siècles du libre exercice de ses droits, de la faculté d’expansion naturelle de sa vie, des éléments indispensables à son développement normal . Le règne immoral de la force a imposé son joug féroce à la grande masse humaine, comprimant ses mouvements, entravant sa marche,’et rendant impossible tout progrès. Le faible sans cesse opprimé par le puissant n’a pu que végéter au lieu de vivre, souffrir au lieu de s’épanouir librement dans la vie, et subir la spoliation, la violence, et la féroce domination des forts.
- Dans ces conditions, l’existence était misérable, les privations excessives, et par conséquent le développement physique de l’espèce était irrémédiablement arrêté. La Société d’alors, avec ses institutions tyranniques et son organisation défectueuse, rappelle ces villes du moyen âge dont les rues sont étroites et tortueuses, les maisons rapprochées au point d’intercepter les rayons du soleil, le pavé glissant et tout obstrué d’immondices, et où ni l’air, ni la lumière ne circulent, où les miasmes seuls alimentent l’atmosphère de leurs malsaines émanations, faisant germer et pulluler les ferments morbides qui saturent l’air, et provoquent des épidé -mies périodiques fréquentes qui déciment régulièrement la populatton.
- Au contraire, les institutions sociales conformes aux lois de la morale et de la vie peuvent être comparées au système moderne de construction des villes, dont les voies sont larges et droites, les maisons spacieuses et largement aérées, le pavé toujours bien entretenu, de façon que l’air, l’eau et la lumière circulent partout à pleines masses, portant en tous lieux la vie, la santé, la vigueur. Ainsi le pittoresque malsain et délétère est remplacé par l’uniformité moins plaisante, sans doute, mais plus hygiénique et plus favorable au progrès.
- Si le progrès physique s’accomplit par l’assainissement des locaux d’habitation, par une bonne hygiène et par une utile gymnastique] du corps, le
- progrès intellectuel peut s’accomplir aussi par une bonne éducation, qui est à l’intelligence ce que la gymnastique et l’hygiène sont pour le corps. Inculquer aux esprits les saines notions de la morale et de la science, les débarrasser de toutes les erreurs qui faussaient leur faculté de perception, comme les ronces obstruent l’entrée d’une grotte remplie de richesses, faire en un mot du savoir un auxiliaire • du progrès moral, telle est la mission de l’éducation dans l’humanité. Dans une Société bien organisée l’homme doit s’instruire, non pas pour briller et monter au premier rang, non pas pour acquérir honneurs et fortune, mais pour perfectionner sa propre nature et pour l’améliorer en contribuant de toutes ses forces à améliorer le sort des autres et à perfectionner leur nature.
- Du progrès réalisé dans l’élément physique et dans l’élément intellectuel découlera aisément le progrès moral, le plus important de tous. Lorsque l’homme possédera la pleine et entière connaissance des lois de la nature, de la morale et de la vie, lorsqu’il ne sera plus soumis aux influences mauvaises d’une constitution physique mal équilibrée, il saura quels sont ses devoirs envers lui-même et envers les autres, et rien ne fera plus obstacle en lui à leur accomplissement. Ayant pleine conscience de sa mission, il saura la remplir, et travailler au bien commun de la Société en travaillant à son propre bien. L’égoïsme ainsi fera place partout à la bonne confraternité parmi les hommes, tous solidaires, les uns des autres non seulement en fait, mais par devoir de sentiment désormais, et la Société ramenée à une organisation meilleure, plus conforme aux droits des citoyens et à ses propres devoirs, consacrera définitivement cet état de choses, par l’institution bien réglée et bien entendue de la mutualité humaine.
- La fraternité animant les coeurs, la solidarité franchement reconnue et acceptée s’affirmera logiquement par l’association, la grande régénératrice de l’humanité, dont elle dissipera les màux, et la mutualité couronnera l’œuvre, en consacrant les droits des déshérités, comme l’association aura sanctionné ceux des autres. Tels seront certainement les effets de la bonne application des principes de la saine morale aux institutions sociales pour le progrès de l’humanité.
- (A suivre).
- p.659 - vue 660/836
-
-
-
- 660
- LE DEVOIR
- L’Unité de la vie passée, présente et future ou l'immortalité individuelle et collective(l)
- X3*roparation de la vie future dans la vie présente.
- XV
- L’analogie nous permet de croire à une infinité d’existences antérieures qui ont dû avoir entre «lies de mystérieux rapports. L’existence humaine peut être regardée comme le type d’une vie infinie et immortelle, et sa composition successive de veilles et de sommeils pourrait certainement offrir une image approchée de la succession des naissances et des morts dont la vie éternelle est composée... L’histoire de l’âme présente le tableau d’un développement effectué selon une certaine loi; nous ne gardons le souvenir que des changements qui nous ont été utiles. L’enfant a oublié ce qu’il faisait au sein de sa mère ; bientôt il ne se rappellera plus rien des souffrances et des jeux qui composèrent ses deux premières années, cependant on voit quelques habitudes prises dès cet âge subsister en nous toute la vie.
- Je suis porté à croire que notre nouvel état d’existence sera analogue à celui-ci, et que cet ordre de choses n’en diffère pas essentiellement. C’est ainsi que j’aime à me représenter la vie future.
- J. Humphjw Davy. Derniers jours d'un philosophe
- 11 disait encore que c’était un spectacle curieux de voir de quelle manière chaque âme appelée à une nouvelle existence corporelle faisait son choix : rien n’était plus étrange ni plus digne à la fois de compassion et de risée : la plupart étaient guidées dans leur choix par les habitudes de la vie précédente.... L’âme d’Ulysse à qui le dernier sort était tombé vint aussi pour choisir, mais se rappelant ses infortunes passées, et désormais exempte d’ambition, elle chercha longtemps et découvrit enfin dans un coin à l’écart, la condition paisible d’un simple particulier que toutes les autres âmes avaient laissée, et elle s’écria, en la voyant, que si elle eut été la première à choisir, elle n’aurait pas fait un autre choix.
- Platon. Dialogue de l’Etat ou la République.
- De ce que nous n’avons pas souvenir d’avoir agi, est-ce-à-dire que les faits n’existent pas ? N’avons-nous pas oublié ce que nous avons sensé dit ou fait, il y a une heure ? N’avons-nous pas même exécuté une foule d’actes involontaires et inaperçus dont nous n’avons ni conscience ni souvenir. Ce ne sont pas certainement ces actes qui constituent la vie personnelle à laquelle nous tenons : ce que nous désirons c’est la survivance de notre être doué de ses facultés intellectuelles et morales, c’est la survivance des êtres dont la vie est liée à la nôtre, nous aspirons à persister, et de plus à vivre encore avec ceux dont la mémoire nous est chère et dont par suite la réalité ainsi que l’avenir nous intéressent.
- (1) Voir « le Devoir » des 13, 20, 27 août; 3, 10, 17, 24 septembre ; lfr, 8 et 15 octobre 1882.
- XVI
- Vivante ou perpétuée la personnalité ne saurait se séparer des vivants, et du monde auquel elle est liée. Mère dévouée ce n’est plus ta personnalité qui t’inquiète lorsque tu veilles ton enfant malade, lorsqae tu t’exposes à tout pour l’arracher à un danger, lorsque tu t’épuises pour effacer ses fautes, lorsque tu donnes pour lui ton sang, ton bonheur et ta vie, et lorsqu'enfln à ta dernière heure tu aspires à te reprocher de Dieu afin de l’implorer non pour toi, mais pour lui. De môme pour quiconque se dévoue peu importe la conservation de la vie terrestre, il l’a déjà tout entière et sans réserve sacrifiée à son entreprise.
- Mais pourquoi donc donner ainsi sa vie pour autrui? — Sans doute l’éducation, l’exemple et les récits du passé concourent à l’accomplissement de ces actes généreux; mais cela ne suffit pas pour les engendrer car il a fallu qu’un jour ils commençassent sans précédents. G est qu’ils sont essentiellement dans la nature, c’est que les hommes ayant besoin les uns des autres pour l’accomplissement d’une mission commune sont doués de la faculté de s’immoler eux-mêmes à leur prochain et possèdent ainsi l’agent le plus actif de l’amélioration des âmes et par suite des sociétés qui se succèdent.
- Plus nous pratiquerons le dévouement, plus les nouvelles générations auront de dévoués, et plus nous rendrons la vie facile à nous-mêmes et aux autres. Soyons reconnaissants envers les anciens, nous préparerons la reconnaissance de la jeunesse, et plus vite nous arriverons à l’amour fraternel, à l’affection réciproque des membres de la famille unique habitant une seule patrie.
- Membre d’ixne famille humaine ?
- chaque homme se pex-pétix© avec
- elle.
- XVII
- Les juifs lui dirent : vous n’avez pas encore cinquante ans et vous avez vu Abraham?
- Jésus leur répondit : en vérité, je vous le dis, je suis avant qu'Abraham fut.
- Saint Jean, chap. 8, v. 57 et 58.
- Nul de nous n’est isolé ni par rapport aux autres habitants de la terre, ni par rapport à la population des mondes voisins. Chacun de nous est un élément de ce groupe humain composé de la multitude immense dont la destination spéciale est d'habiter la terre et d’autres astres. Or, à l’origine cette portion de l’humanité était ignorante et nui de nous ne savait rien. Nous avions l’aptitude à apprendre. Aussi de ces temps reculés nul de nous n’a-t-il gardé ni transmis le souvenir; mais depuis nous avons avancé et
- p.660 - vue 661/836
-
-
-
- LE DEVOIR
- 601
- nous avons acquis en même temps que de précieuses connaissances les moyens de les conserver.
- Evidemment nul n’a conscience aujourd’hui;d’avoir pris telle part déterminée aux progrès qui se sont accomplis pendant cette suite de siècles au commencement de laquelle se place la date de notre naissance et de notre création commune; mais de ce que tout souvenir en a disparu, il n’est pas permis de conclure que chacun n’y ait pas pris telle part définie aux yeux de l’auteur des êtres et dont la preuve se trouve dans l’importance progressivement acquise par chaque personnalité, ainsi que dans la valeur qu’elle possède aujourd’hui au milieu de l’état général des idées et des mœurs.
- La vie présente influencée par 3 a vie passée
- XVIII
- Le Christ disait aux infirmes et aux maladss guéris par lui, allez et ne péchez p^us, ou vos péchés vous sont remis, ou encore votre foi vous a sauvé. Il exprimait de la sorte cette idée que la vie présente est la conséquence, et l’expiation de ceUe qui l’a précédée.
- Saint Mathieu, chap. 9, v 2, 6, 22 et 29, Saint Marc, chap. 2, S et 10 v. 3, 24 et 52, Saint Luc, chap. 5, 8, et 18, v. 13, 43 et 48.
- Nous apportons dans la vie les innéités que nos habitudes précédentes ont développées dans notre substance ; nous avons des tendances, des vocations et des désirs sous l’impulsion desquels nous agissons dans le présent. La vie passée nous 1rs donne : elle est en nous, préside à nos erreurs comme à notre raison, à notre sagesse et à notre dignité. Elle inspire nos déterminations bonnes et mauvaises, nos espérances, notre dévouement et notre charité.
- Vous qui fûtes les maîtres de nos pères vous avez laissé parmi eux des disciples qui remplaceront ceux dont la terre n’est pas digne, et nous-mêmes plus tard nous instruirons les générations dés arriérés, et présiderons aux progrès de l’avenir lointain.
- Qu’est-ce 'donc, en effet, que la vie présente ? N’est-ce pas le mélange de ceux qui donnent avec ceux qui reçoivent et de ceux qui aiment avec ceux qui sont aimés. IL faut que tous nous arrivions à prendre rang parmi ceux qui aiment, donnent et instruisent. Notre vie corporelle unique en apparence, est multiple en réalité, comme il est nécessaire que soit celle d’êtres perfectibles voués à un labeur qui demande de longs efforts. Elle constitue avec la vie extra-terrestre Tunité de l’existence personnelle.
- « N’accusons donc en définitive que nous-mêmôs des adversités qui ont pu se rassembler contre nous dès notre entrée dans la vie, et appliquons-nous non-
- seulement à les supporter avec courage, mais à les faire tourner avec pleine conscience dé leur utilité, au service de notre bien futur. Consolons-nous dans l’idée que rien de fatal ne pèse sur nous, et qu’il n’est aucun des maux auxquels nous sommes aujourd’hui soumis dont nous ne puissions par le bon gouvernement de nos actions nous délivrer radicalement lors de la mort. » J. Reynaud, Ciel S terre, p. 304.
- (A suivre). P. F. Courtépée.
- Faits politiques et sociaux de la semaine
- XJ»e entrevue avec Arabi-Pacha. — Le
- correspondant du Daily Chronicle rend compte d'une entrevue qu'il a eue avec Àrabi-Pacha. Voici, en résumé, les déclarations que lui a faites le ci-devant dictateur ;
- Arabi a dit d’abord qu’il a des preuves écrites à l’appui de tous les arguments qu’il produira pour sa défense. Il démontrera avec évidence que, pendant toute la durée du conflit, il n’a agi qu’en vertu d’ordres supérieurs, ainsi que c’était son devoir tant qu’il occupait le poste de ministre de la guerre et de la marine.
- Lorsque, pour la première fois, l'amiral Seymour menaça de bombarder Alexandrie, un conseil de guerre se réunit sous la présidence du khédive et en présence de Dervich-Pacha. Le conseil décida qu’il fallait défendre Alexandrie contre les Anglais, et Arabi fut chargé d’exécuter cette décision.
- Le lendemain du jour où a eu lieu le bombardement, Toulba Pacha a été chargé de négocier avec l’amiral Seymour au sujet des conditions de paix. L’amiral exigeait que trois forts fussent livrés aux Anglais. Un nouveau conseil de guerre se réunit et décida qu’aucune partie du territoire égyptien ne pouvait être livrée sans l’autorisation du sultan. Le conseil chargea encore une fois Arabi de défendre les trois forts susdits.
- Reconnaissant cette défense impossible, Arabi se retira à Bab Sheik et y trouva toute l’armée égyptienne qui avait fui d’Alexandrie. Il la rallia et établit le camp de Kafr Douar.
- Plus tard, lorsqu’on apprit que le khédive était passé aux Anglais, un conseil se réunit au Caire pour examiner la situation. A ce conseil assistaient entre autres trois cousins du khédive, Ibrahim, Ahmed et Kamil.
- Le conseil décida que le khédive, s’étant livré aux Anglais ou devant être considéré comme leur prisonnier, devait être considéré comme déchu, et qu'il fallait à tout prix défendre l’Egypte contre l’invasion étrangère.
- Arabi, à titre de ministre de la guerre, reçut des instructions dans ce sens.
- Enfin, après la défaite de l’armée égyptienne à Tell-el-Kébir, Arabi vint au Caire, et ayant réuni un conseil extraordinaire, fut le premier à déclarer qu’il fallait se soumettre, attendu qu’il était impossible de continuer la résistance. Son avis fut écouté et on se rendit aux Anglais, quoiqu’à cette époque il y eût environ 33,000 hommes de troupes égyptiennes au Caire.
- Eu se rendant aux Anglais, Arabi se considérait comme prisonnier de guerre et non comme rebelle, car il n'avait agi qu’eu vertu des ordres de ses supérieurs.
- Arabi a rappelé enfiu, que pendant toute la durée de la lutte, il a toujours employé tous ses efforts et usé de toute son influence pour prévenir les excès et les pillages.
- + *
- Arabi a comparu devant une cour martiale. Si haut que le gouvernement anglais déclare qu’il entend s’abstenir et laisser libre cours à la justice, il aura devant
- p.661 - vue 662/836
-
-
-
- 662
- LE DEVOIR
- les contemporains et devant la postérité toute la responsabilité de la sentence. Personne ne croit à l’indépendance des juges, personne ne prend au sérieux l’autorité du Khédive. Le maître en Egypte, c’est M. Malet, le consul général; quant à la véracité des témoins elle est suspecte pour les mêmes raisons que l’indépendance des juges. Nous ne dirons point qu’Arabi soit un Guillaume Tell ni un Garibaldi, mais il est évident qu’il a été le représentant, le défenseur d’un peuple durement et longtemps opprimé, il est démontré par le témoignage de M. de Lesseps qu’il a rigoureusement respecté la neutralité du canal, et sauvé la vie à quinze mille Européens ; le fusiller « pour l’exemple » ce serait une atrocité.
- Al
- Le canal «le Suez et l’Angleterre. — Le
- Times revient à la charge contre M. de Lesseps. L'orgueil anglais ne peut supporter que le chef d’une Société commerciale l’ait pris de si haut avec un gouvernement, avec le Gouvernement Britannique! Eh bien, il faut le crier bien haut puisqu’on ne veut point le comprendre : M. de Lesseps a fait noblement et hardiment son devoir : il a défendu le Droit, la justice, il porta parole pour le genre humain. Il faut cependant que les gouvernements, et le gouvernement anglais aussi bien que tous les autres, se préparent à l’avènement prochain d’un pouvoir supérieur au leur, pouvoir légitime puce qu’il émanera du libre consentement des peuples. Pouvoir international, Juridiction européenne. L’antique formule « Ne relever que de Dieu et de son épée » sonne faux, demain elle ne sera plus qu’une vieille rengaine.
- *
- * *
- L’agitation agraire en Irlande. — Le
- Freeman's Journal publie une lettre du député irlandais Mac-Carthy, en faveur ds la conférence panhiber-nienne projetée par les chefs du parti parnellisle. Le Freeman’s Journal ajoute que le projet de conférence a été favorablement accueilli par tous les Irlandais, dont un grand nombre ont chaudement parlé en faveur de la proposition et ont promis leur concours à ses auteurs.
- La Press Association apprend que la cause des ouvriers agricoles irlandais sera plaidée a la conférence par un des défenseurs les plus dévoués des populations ouvrières.
- *
- * *
- Une dépêche de Cahir, publiée par le Standard, annonce que différents fermiers de cette commune ont été assaillis pendant la nuit dans leurs maisons