Les Cahiers d'histoire du CNAM
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- Les Cahiers d’histoire du CNAM
- N° 1
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- Les Cahiers d’histoire du CNAM
- N° 1
- Cnam#Medias, Paris
- 92, rue Saint-Martin, 75141 Paris Cedex 03
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- Couverture : Jean-Claude LAVAISSIERE, Atelier de dessin, CNAM.
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- Cahiers d’histoire du CNAM
- Comité de lecture :
- Hélène GISPERT, Université Paris-Sud, Orsay Nancy GREEN, Ecole des hautes études en sciences sociales Dominique PESTRE, Centre national de la recherche scientifique, Cité des sciences et de l’industrie
- Etienne ROTH, Conservatoire national des arts et métiers Jean-Jacques SALOMON, Conservatoire national des arts et métiers
- Coordination de la rédaction :
- Claudine FONTANON, André GRELON
- Correspondance et manuscrits doivent être adressés à Claudine FONTANON ou André GRELON, Centre d’histoire des techniques (CDHT), Conservatoire national des arts et métiers, 292, rue Saint-Martin, 75141 Paris Cedex 03.
- Vente au numéro : 70 F
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- SOMMAIRE
- Le CNAM, une tradition
- par Guy FLEURY .............................. 9
- Editorial
- par André GRELON ............................ 11
- * Dossier : Les origines du Conservatoire :
- Les origines du Conservatoire des arts et métiers et son fonctionnement à l’époque révolutionnaire - 1750-1815
- par Claudine FONTANON.................................. 17
- Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt, un philanthrope libéral
- par Charles R. DAY..................................... 45
- Un enseignement pour une nouvelle ère : le Conservatoire des arts et métiers - 1815-1830
- par Robert FOX ........................................ 75
- ** Formation des ingénieurs français à l’organisation du travail avant la deuxième guerre mondiale par Aimée MOUTET ............................................
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- Le CNAM, une tradition
- Naissent aujourd’hui les Cahiers d’histoire du CNAM, une initiative qui permettra d’approfondir notre connaissance de cette jeune et vénérable maison qu’est le CNAM. Les manifestations de notre bicentenaire s’étaleront d’octobre 93 à octobre 94. Ces Cahiers en forment donc l’avant-première, les premiers éléments qui permettront de nourrir la réflexion de toux ceux - et ils sont nombreux - qui s’intéressent à la promotion supérieure du travail.
- Cette revue est le premier numéro d’une série à paraître au cours des deux prochaines années. Elle abordera l’histoire du Conservatoire depuis sa création, sous des éclairages variés, à partir, notamment, des travaux du séminaire organisé par le Centre d’histoire des techniques depuis 1991. Comme ses pareilles, elle comporte sans doute des imperfections que les lecteurs se feront un plaisir de signaler. Qu’elle fasse connaître et qu’elle ouvre le débat !
- Cet établissement d’enseignement supérieur, dont l’histoire, la démarche originale, les capacités d’innovation et d’adaptation sont au centre de la relation entre enseignement, économie et innovation, est loin d’être connu de tous, même si un million de nos concitoyens l’ont fréquenté.
- Ces Cahiers seront donc l’occasion de découvrir, à partir de dossiers thématiques, d’articles et de contributions diverses, l’évolution passée et récente du Conservatoire. De faire connaître l’histoire des chaires et des personnalités qui ont marqué l’institution. D’approfondir celle du réseau des centres associés. De mesurer le rôle de l’institution dans la formation des adultes et l’enseignement supérieur technique.
- « Perfectionner l’industrie nationale... éclairer l’ignorance qui ne connaît pas et la pauvreté qui n’a pas les moyens de connaître. » Le 10 octobre 1794, l’abbé Grégoire faisait créer le Conservatoire national des arts et métiers. La réflexion sur les orientations et les
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- choix du CNAM depuis sa naissance, nous entendons la poursuivre ici. Des origines au proche futur. Car plus que jamais, il s’agira d’inventer, d’anticiper, d’innover. Pour répondre aux besoins d’une société plus exigeante. Pour mieux diffuser savoirs et compétences. Pour concilier tradition, excellence et modernité. Bref, pour rester fidèle à l’esprit des Lumières.
- Guy Fleury
- Administrateur général du CNAM
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- Editorial
- André Grêlon*
- Voici le premier numéro des Cahiers d’Histoire du CNAM. En lançant cette revue, nous voulons présenter des travaux qui ont pour fin de décrire divers aspects de Phistoire de cet établissement ou, plus largement, qui rendent compte de questions plus générales auxquelles, à différents moments de son existence, le Conservatoire a été confronté. Cette publication n’arrive pas aujourd’hui par hasard. Elle est à la fois le fruit d’une conjoncture et l’un des effets d’un mouvement intellectuel plus vaste. Cette conjoncture est bien évidemment le bicentenaire du CNAM que cet établissement va célébrer en 1994. Ce type d’anniversaires au caractère hautement symbolique est souvent pour les institutions l’occasion de faire un retour sur leur histoire. Il ne s’agit parfois que d’une auto-célébration exaltant un passé glorieux et ignorant les zones d’ombre anciennes. L’ambition du Conservatoire est plus haute : elle est de tirer bénéfice de ce moment privilégié pour s’investir dans un travail historique rigoureux, permettant de donner peu à peu une vision d’ensemble de l’évolution de l’établissement. C’est que la tâche est rude ! Véritable monument institutionnel, le Conservatoire ne se laisse pas facilement embrasser du regard. Son caractère protéiforme décourage l’investigation et le dernier travail général entrepris en ce sens (déjà à l’occasion d’un anniversaire !) remonte à plus de vingt ans. En fait, pour gagner progressivement la forteresse, il faut multiplier les travaux d’approche et faire œuvre collective. C’est pourquoi le travail historique engagé comporte plusieurs aspects : ouverture d’un séminaire régulier, sur un cycle de trois ans, portant sur l’enseignement des sciences appliquées au Conservatoire, rédaction d’un dictionnaire biographique des professeurs du haut enseignement, publication de ces Cahiers d’histoire. Comme par ailleurs, le Musée National des Techniques a également mis en œuvre la publication d’une revue
- * Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, et LASMAS-CNRS.
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- centrée sur ses collections, rassemblées tout au long de l’existence du CNAM, et sur les questions muséologiques, nous disposerons à terme d’une série d’analyses, permettant alors seulement d’entreprendre une vaste synthèse.
- Outre l’importance propre d’un travail de recherche sur un grand établissement, si ce patient travail collectif des historiens a pu s’amorcer, c’est qu’il prend appui sur un mouvement plus général d’examen de l’histoire des enseignements scientifiques et techniques. Certes la période s’y prête. En 1994, on fêtera non seulement le bicentenaire du Conservatoire mais ceux de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Normale Supérieure. Ce sera également le centenaire de l’Ecole Supérieure d’Electricité et d’écoles d’ingénieurs d’origine universitaire comme l’Ecole de Chimie de Lille. Pour chacun de ces établissements, des recherches sont entreprises qui donneront lieu à publications et colloques. Mais au-delà, c’est bien un mouvement de fond qui s’est amorcé depuis ces dernières années, s’appuyant sur les travaux de quelques pionniers français et sur la forte tradition de recherche en ce domaine des universitaires anglo-saxons. Et sur ce plan, l’examen du Conservatoire des Arts et Métiers représente un enjeu problématique qui dépasse largement l’intérêt du seul cas de cet important établissement.
- Depuis son origine en effet, le Conservatoire s’est trouvé au cœur de débats théoriques importants concernant l’orientation de l’enseignement technique et de l’enseignement scientifique et la nature des relations entre ces deux types d’enseignement. On trouvera dans cette livraison l’analyse d’une des premières discussions à propos du choix entre un enseignement technique proche de l’apprentissage pour un petit nombre d’élèves bien encadrés et suivant une formation à plein temps et l’organisation de la diffusion de connaissances en sciences appliquées pour le plus grand nombre, sous forme de cours du soir, pour des adultes déjà engagés dans des professions. Plus tard, on disputera pour savoir s’il convient ou non d’intégrer des enseignements sur l’hygiène industrielle ou sur l’économie politique. De par sa position dans le système d’enseignement, à chaque moment de son développement, le Conservatoire s’est toujours trouvé sur la ligne de front des polémiques et des réflexions à propos de l’évolution des contenus éducatifs et des modes de transmission.
- En outre, une analyse de ces questions permettra sans doute d’avancer dans le problème ancien des relations entre le développement des enseignements des sciences et des techniques et les
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- processus d’industrialisation. Le cas de la France a souvent été présenté de manière controversée : dans son ouvrage récemment paru en français(1), Charles Day a rappelé les termes de la controverse opposant les tenants de la problématique d’un déclin scientifique et technologique de la France à la fin du xixe siècle, à cause de l’inadéquation de son système d’enseignement formant une petite élite par trop théoricienne, et les partisans d’une «voie française » originale de l’industrialisation, processus s’appuyant entre autres sur un enseignement technique adapté aux besoins des entreprises. Toutefois, l’historiographie sur ce thème a peu pris en compte le Conservatoire des arts et métiers, faute de recherches approfondies sur cette institution. Mais on peut faire l’hypothèse qu’un examen attentif de son rôle, depuis le début du XIXe siècle jusqu’à nos jours, pourrait amener à modifier les termes du débat.
- Toutes ces questions seront donc naturellement présentes dans les livraisons à venir des Cahiers d’histoire du CNAM. Pour structurer cette réflexion, nous avons souhaité organiser chacun des numéros autour d’un dossier thématique ou sur une période déterminée de la vie de l’établissement.
- Dans ce numéro se trouvent rassemblés trois articles qui traitent des débuts du Conservatoire. Claudine Fontanon montre que si le Conservatoire est fondé, difficilement, à l’époque révolutionnaire, cette naissance a été précédée d’une longue genèse tout au long du xviif siècle : attrait pour les machines mécaniques que l’on rassemble en de nombreuses collections, intérêt pour les sciences expérimentales, et surtout peut-être - en rapport avec l’objet central de nos préoccupations -, sentiment qui se forge tout au long du siècle que la transmission des savoirs et savoir-faire techniques comme des connaissances scientifiques doit passer par un enseignement organisé, adapté au public particulier qui veut apprendre dans ces domaines. Cette conviction ne se forge pas sans tâtonnements ni sans discussions comme le démontre à l’envi cet article.
- Le débat qui a eu lieu à la charnière des deux siècles, entre le courant représenté par un La Rochefoucauld-Liancourt, homme des Lumières certes, mais qui avait longuement réfléchi à l’avenir des nations, et le groupe de jeunes savants formés dans les nouvelles institutions de la République, nourris de la science la plus neuve, tel Charles Dupin, est caractéristique des enjeux de
- 1. Charles R. Day, L’enseignement technique en France - Les Ecoles d’arts et métiers, Paris, Belin, 1991.
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- l’époque. Pourtant, il est piquant de constater que près de deux siècles après, on retrouve exposés dans des termes finalement peu éloignés, les questions de mode de formation des cadres techniques, à propos par exemple de la formation des ingénieurs techniques par apprentissage.
- En peignant un portrait détaillé du duc, Charles Day montre que le créateur des écoles d’arts et métiers, premier inspecteur du Conservatoire et premier président de son Conseil de perfectionnement, ne peut se réduire aux traits d’un traditionnaliste étroit, ne comprenant rien à la marche du siècle. Personnalité attachante et complexe, La Rochefoucauld est porteur d’un projet politique d’ensemble qui trouve son application, entre autres, dans un style d’enseignement technique adapté à une population bien spécifiée. En face de lui, le Charles Dupin que nous décrit Robert Fox, est emblématique de cette nouvelle couche d’hommes publics. Polytechnicien brillant, esprit frondeur mais ouvert sur le monde, Dupin partage avec la Rochefoucauld l’idée qu’il faut nourrir ses réflexions aux fruits des réalisations étrangères en dépassant les conceptions étroitement hexagonales. Il n’était guère étonnant qu’il parcoure les îles britanniques à la recherche de solutions neuves pour un pays épuisé par les guerres et les bouleversements politiques et qui devait rattraper son important retard économique. Pourtant la solution qu’il propose pour le Conservatoire n’est pas un calque du modèle britannique mais s’adapte aux réalités locales et emprunte à des structures existantes, comme le Collège de France, l’organisation de cours libres et gratuits, consacrés aux idées les plus neuves, professés par les savants les plus éclairés, et ouverts au plus large public. Cette proposition devait s’avérer féconde puisqu’elle fonde le modèle de développement du Conservatoire, bien que la structure d’enseignement primitive, la « Petite Ecole» se soit maintenue dans ses murs jusqu’en 1874. Nous consacrerons du reste, un des prochains dossiers des Cahiers à ce modeste établissement dont l’apport réel à la formation des techniciens au cours du XIXème siècle mérite examen.
- Nous avons tenu à placer dès ce premier numéro l’article d’Aimée Moutet sur la formation des ingénieurs français à l’organisation scientifique du travail avant la seconde guerre mondiale. Ce texte soulève des questions importantes pour la réflexion car il ne se limite à un examen interne de l’enseignement au Conservatoire, mais il ouvre de très riches perspectives comparatives. Comprendre le fonctionnement de l’institution, analyser ses enseignements, mesurer la portée de ses recherches supposent en permanence le souci de regarder ailleurs, de mettre en parallèle ce
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- qui se fait ici et ce qui se fait là. Enfin, cet article dépasse le cadre du contenu de la formation pour en évaluer les applications dans le fonctionnement professionnel : il aborde là une dimension extrêmement importante du travail de recherche sur l’enseignement technique qui cadre parfaitement avec les orientations que nous voudrions voir inscrites dans l’ensemble de nos travaux.
- Ce volume est donc, nous l’espérons, le premier d’une longue série destinée aussi bien à servir d’outil aux chercheurs en sciences, des techniques et de l’enseignement, qu’à nourrir les réflexions de ceux qui, au Conservatoire National des Arts et Métiers comme dans d’autres établissements, pensent que l’histoire est un mode essentiel de compréhension des réalités d’aujourd’hui et peut servir à fonder des projets d’avenir. Il reste à dire que ce projet n’aurait pu aboutir sans l’appui permanent de la Direction du Conservatoire, sans les conseils judicieux de notre Comité de lecture, et sans l’aide discrète mais constante et précieuse de la Mission du bicentenaire du CNAM. Qu’ils soient tous ici très vivement remerciés !
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- Les Cahiers d'histoire du CNAM, 1992, 1, 17-44
- Les origines du Conservatoire national des arts et métiers et son fonctionnement à l’époque révolutionnaire (1750-1815)*
- Claudine Fontanon**
- Le Conservatoire est fondé par la loi du 19 vendémiaire an III suite à un rapport de l’Abbé Grégoire à la Convention Thermidorienne. Et bien que l’historiographie attribue assez généralement l’initiative de la fondation de l’établissement à l’abbé Grégoire, celle-ci n’aurait pas été concevable sans un certain nombre d’expériences réalisées à la fin du XVIIIe siècle, dans le domaine de l’enseignement technique et de la vulgarisation scientifique et technique. Mais à la différence de l’Ecole polytechnique qui puise son modèle dans l’expérience de l’Ecole du génie de Mézières(1), le Conservatoire s’enracine dans une diversité d’expériences et de pratiques qui, pour plupart, reflètent l’esprit des Lumières mais dont certaines sont annonciatrices de l’ère industrielle.
- Cet enracinement du Conservatoire dans l’esprit des Lumières de même qu’au sein d’institutions parfois très anciennes n’est d’ailleurs pas lisible dans les articles de la loi du 19 vendémiaire an III et en particulier dans les articles 1 et 9.
- * Ce texte constitue une version remaniée de la communication faite par l’auteur à la première séance du Séminaire sur « l’enseignement des sciences appliquées aux 19° et 20° siècles», le 13 octobre 1991 au CNAM. Son objet était de faire la synthèse des publications sur les débuts de l’enseignement technique et le contexte de la création du Conservatoire. Si les références d’archives ne sont pas absentes, la documentation mise en œuvre est essentiellement constituée d’ouvrages et d’articles. Sur la période considérée, une exploration méthodique des archives du Conservatoire a été réalisée dans les années 1970 par Dominique de Place, auteur d’un diplôme de l’EHESS sur la question. Nous avons cru bon de n’y apporter que quelques références complémentaires.
- ** Ecole des Hautes études en sciences sociales. Centre d’Histoire des techniques (EHESS/CNAM).
- 1. R. Taton - « L’école du génie de Mézières » in Taton (R.). Enseignement et diffusion des sciences en France au xvur siècle. Paris, Hermann, 1986, 5e partie, chap. III, p. 557-615.
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- Art.l II sera formé à Paris, sous le nom de Conservatoire (...) un dépôt de machines, modèles, outils, dessins, descriptions et livres dans tous les genres d’arts et métiers.
- Art. 2 - On y expliquera la construction et l’emploi des outils et machines utiles aux arts et métiers...
- Art. 4 Le Conservatoire sera formé de trois démonstrateurs et un dessinateur...
- Art. 9. La Commission d’Agriculture et des Arts, celle de l’Instruction publique, feront rédiger au plus tôt et publier les découvertes consignées dans les rapports du Bureau de Consultation des Arts, du Lycée des Arts et dans les manuscrits de la ci-devant Académie des Sciences, dans les cartons de l’ancienne administration du Commerce, et dans les divers ouvrages qui offriront pour cet objet des matériaux utiles(2).
- Après avoir défini ses missions, la loi précise donc les éléments constitutifs du Conservatoire, et notamment l’origine de ses collections, indiquant par là même une certaine continuité entre le nouveau Conservatoire et les institutions d’Ancien Régime vouées au progrès scientifique et technique et à sa diffusion.
- L’origine des collections
- Le cabinet des machines de VAcadémie des Sciences
- Le Conservatoire sera donc essentiellement un dépôt de machines destinées à être démontrées aux artisans et aux artistes.
- A cet égard, Descartes peut être légitimement considéré comme le promoteur de cette pratique. Fondant son enseignement sur l’observation, l’analyse et l’expérience, il avait lui-même publié un Traité de machines simples et réservé une partie de sa maison à un laboratoire de physique ainsi qu’à un atelier de mécanique. Colbert devait tirer profit de cette expérience lorqu’il fonde officiellement l’Académie des Sciences en 1666. Il accorde non seulement à cette société de savants crédits et subsides pour leurs frais d’expériences et l’achat de matériel, mais c’est lui qui montre aux académiciens l’intérêt que la science pourrait tirer de l’étude des métiers en suscitant la création d’un cabinet des machines. Les
- 2. H.B. Grégoire - Rapport sur l’établissement d’un conservatoire des arts et métiers, 8 vendémiaire an III (29 septembre 1794). Le Moniteur, 3 octobre 1794.
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- collections vont rapidement s’enrichir à la fois de mécaniques construites par les savants ou par de nombreux legs, dont celui de Pajot d’Ons-en-Bray, directeur général des Postes.
- Pour abriter ces importantes collections, en 1785 le roi attribue un local aux académiciens afin de constituer un dépôt des machines qui devront être exposées au public. Ces collections académiques constitueront la première source des collections du Conservatoire. L’Académie reçut aussi pour tâche de rédiger un recueil de descriptions de ces machines, rédaction à laquelle Vaucanson prit une part importante(3).
- Le cabinet des machines de Vaucanson et autres collections
- D’autres collections se formèrent au XVIIIe siècle, en particulier celle de l’inventeur Vaucanson qui devait constituer, après celle de l’Académie des Sciences, la seconde source des collections du Conservatoire.
- Inventeur de génie, notamment d’automates qui firent le tour de l’Europe, Vaucanson attache son nom au perfectionnement de l’industrie de la soie et à la réalisation d’un métier automatique à tisser. Cette innovation arrive trop tôt pour être exploitée par l’industrie textile, mais elle inspira Jacquart au début du xixe siècle. Entré à l’Académie en 1746, Vaucanson amasse une collection de machines, dont un bon nombre de son invention, et s’installe rue de Charonne à l’Hôtel de Mortagne qu’il transforme en un véritable musée mécanique.
- Il lègue sa collection à Marie-Antoinette et en 1782, Louis XVI achète l’Hôtel de Mortagne pour en faire le « cabinet des machines du roi » sur les conseils du Bureau de Commerce.
- En 1783, le mathématicien Vandermonde est nommé conservateur de cette collection qu’il est chargé d’enrichir par l’acquisition de nouvelles mécaniques. Il a aussi pour tâche de rassembler des collections d’outils rares ou coûteux, qui seront mises à la disposition des artisans parisiens. Il est enfin chargé de rédiger un catalogue raisonné de ces machines et outils dans le but de répandre les connaissances techniques les plus récentes.
- 3. J. Fayet - La Révolution Française et la science (1789-1795). Paris, M. Rivière, 1960 - (chap. VII - Vers ie Conservatoire des Arts et Métiers : de Descartes à Grégoire, p. 284-321).
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- En 1785, Vandermonde s’adjoint C.P. Molard comme démonstrateur des machines dont le nombre est passé de 60 en 1783 à 200 en 1787(4).
- D’autres collections se constituent à la même époque alors que les arts et métiers connaissent une vogue à laquelle la Description des Arts et Métiers publiée par l’Académie des Sciences de 1761 à 1789, n’est pas étrangère. Parmi les collections privées, il faut mentionner celle de Pilastre de Rozier, patronnée par le comte de Provence, frère du roi, qui eut un succès mondain, en raison de la création d’un cours de mécanique appliquée destiné aux industriels et commerçants dont les premiers professeurs titulaires furent Condorcet, Fourcroy et Monge(5).
- Les collections révolutionnaires
- Les assemblées révolutionnaires reprirent à leur compte cette politique de patronage de collections de machines et firent appel aux hommes qui avaient acquis une expérience dans ce domaine : Vandermonde, conservateur de la collection des machines de Vaucanson, est nommé en octobre 1790 au Comité d’Aliénation créé pour désigner, parmi les biens du clergé, ceux que le gouvernement devait conserver. Une Commission des Monuments est ensuite créée pour dresser l’état des biens nationaux de première origine qui devaient être exceptés de la vente et servir à l’instruction publique.
- Lors de la mise sous séquestre des biens des Académies et des sociétés savantes, en août 1793, la question de la conservation et de la surveillance de ces collections dispersées se posa de façon aigüe. Quatre conventionnels furent chargés de faire inventorier « les machines, métiers, instruments et autres objets utiles à l’instruction publique » qui étaient dispersés dans différents dépôts et de veiller à leur conservation(6).
- 4. D. de Place - L’incitation au progrès technique et industriel en France de 1783 à 1819, d’après les archives du Conservatoire National des Arts et Métiers. Mémoire de l’EHESS, Paris, 1981, p.27
- 5. A. de Monzie - Le Conservatoire du peuple. Paris, SEDES, 1948 (chap.l - Les origines.)
- 6. Commission temporaire des arts - Introduction sur la manière de conserver les objets qui peuvent servir aux sciences et à l’enseignement. (Rapport au Comité d’instruction Publique). Paris 21 mars 1794, Impr. Nat., 70 p.
- - Conservation des objets de Sciences et Arts réunis dans des dépôts convenables. Séance du 30 thermidor an III (17 août 1795) de la Commission Temporaire des Arts (sans doute de C.P. Molard). Arch. Bibliothèque du CNAM.
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- Cette Commission Temporaire des Arts ne parviendra pas toujours à éviter vols, pillages et destructions. Aussi l’idée d’un dépôt central, avancée par Lavoisier en août 1793 dans ses « Réflexions sur l’Instruction Publique » faisait-elle son chemin.
- En décembre 1793, Mathieu fit adopter un décret chargeant la Commission Temporaire des Arts d’inventorier et de réunir dans des dépôts convenables, les livres, instruments, machines et autres objets de sciences et des arts propres à l’instruction publique. Vandermonde, Molard, Hassenfratz furent chargés de cette tâche. Les machines et objets réunis par cette commission furent regroupés à l’Hôtel d’Aiguillon. Ces collections, formées à partir des séquestres révolutionnaires, constituent la troisième source des collections du futur conservatoire.
- Vulgarisation des sciences et enseignement technique au xvnr siècle
- Descriptions et encyclopédies des « Lumières »
- Parallèlement à ces collections, on voit se multiplier les publications d’ouvrages techniques et descriptions d’arts et métiers. Dans ce domaine aussi, on note la continuité entre les pratiques de l’Ancien Régime et celles de la Révolution ainsi que le rôle incitatif de l’Etat.
- C’est en 1675 que Colbert demande à l’Académie des Sciences d’entreprendre sans tarder la rédaction d’un « traité de mécanique » dans lequel seront décrites toutes les machines en usage dans la pratique des arts. Ce n’est qu’au début du xvnr siècle, sous l’impulsion de Réaumur, que l’Académie se mettra à la tâche. La publication du premier volume n’intervient qu’en 1761. Les 70 volumes de descriptions publiés par l’Académie à partir de cette date devaient inspirer une foule de traités de vulgarisation auquels on doit évidemment rattacher l’Encyclopédie de Diderot(7). Mais, à la veille de la Révolution, certains commençaient à considérer les descriptions de l’Académie comme tout à fait dépassées, la savante institution ayant d’ailleurs elle-même renoncé à poursuivre ses publications.
- 7. R. Tresse - « La “description des arts et métiers de l’Académie des sciences” et le sort des planches gravées en taille douce ». Revue d’Histoire des Sciences. Tome VII, 1954, p. 163-171.
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- Dans ce mouvement de promotion et de vulgarisation des connaissances techniques, l’Encyclopédie, on le sait, eut une part décisive. Elle prit de vitesse le travail des Académiciens et pour Joseph Fayet la publication fut essentiellement une entreprise commerciale exploitant le goût d’un public de plus en plus vaste pour la technique, les inventions et les arts mécaniques. Antoine Picon concède que la réhabilitation des arts et métiers constitue l’un des traits les plus connus de l’Encyclopédie, mais il ajoute avec force dans un article encore inédit que « l’intérêt porté au toucher et au geste et à leurs potentialités éducatives constitue l’une des composantes majeures de la réflexion du xvnr siècle sur l’enseignement technique ». Ouvrage de promotion des arts et métiers et cadre de pensée contribuant à Y« émergence de nouvelles structures mentales »(8), l’Encyclopédie a indirectement ouvert la voie à la constitution d’une institution nationale consacrée aux arts et métiers.
- C’est vraisemblablement à cause de l’interruption des publications de l’Académie que se constitue en 1789, une Société pour la description des arts animée par C.P. Molard. Son ambition était d’établir la liste des arts qui avaient déjà fait l’objet d’une description et la liste de ceux qui restaient à décrire. Un projet de 150 volumes fut mis sur pied et parmi les auteurs pressentis, on note les noms de Lavoisier, Fourcroy, Hassenfratz, Prony, Monge, Le Roy et Daubenton.
- Une entreprise du même type fut engagée par Roland de la Platière qui lança une « encyclopédie méthodique » à laquelle participèrent, entre autres, Vandermonde et C.P. Molard.
- L’idée d’établir un catalogue raisonné de descriptions des machines fut reprise lors de la création de l’Hôtel de Mortagne puis ultérieurement, au moment de l’organisation des collections du Conservatoire ; mais ni Vandermonde, à l’Hôtel de Mortagne, ni Molard, au Conservatoire, ne réussirent à mener à bien cette entreprise(9).
- L’enseignement technique et la formation professionnelle aux métiers industriels firent aussi partie des préoccupations des assemblées révolutionnaires. Dans ce domaine comme dans celui de la diffusion des connaissances, il n’y eut pas véritablement de
- 8. A. Picon - « Gestes ouvriers, opérations et processus techniques. La vision du travail des encyclopédistes ». A paraître dans Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie.
- 9. D. de Place - « Claude-Pierre Molard et les vingt premières années du Conservatoire » (à paraître).
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- rupture entre les pratiques de l’Ancien Régime et celles de l’époque révolutionnaire.
- Nous n’évoquerons ni l’enseignement technique des écoles militaires ni la formation des ingénieurs des grands corps de l’Etat(10), mais exclusivement les formations techniques et professionnelles préparant aux métiers artisanaux et industriels.
- Au xviir siècle, la formation aux métiers industriels se faisait essentiellement par l’apprentissage, dans le cadre des corporations. Pourtant sous l’égide de l’Etat et des congrégations religieuses, un enseignement technique industriel était apparu dans l’idée de perfectionner le travail industriel, notamment celui des manufactures : c’est le cas de l’école d’apprentis fondée en 1748 par le roi à la Manufacture des Gobelins. Mais ce type d’enseignement ne concerne au milieu du xviip siècle qu’une minorité d’élèves privilégiés(11).
- Les écoles gratuites de dessin
- Ce qui nous intéresse plus directement est l’apparition dans la seconde moitié du XVIIIe siècle d’écoles gratuites de dessin qui se multiplient à partir de l’expérience fondatrice de l’école de Rouen(12). On en attribue l’initiative à des cercles d’artistes parisiens.
- En 1746, Ferrand de Monthelon qui était professeur à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, publia un « projet d’établissement d’écoles gratuites de dessin » qui eut un énorme retentissement car il parut dans le Mercure de France{U). Ses idées furent mises en pratique l’année suivante par un certain Jean-
- 10. R. Hahn - «L’enseignement scientifique aux écoles militaires et d’artillerie» in R. Taton, Op. cit., chap. I - 5e partie, p. 513-541.
- - B. Belhoste, A. Picon et J. Sakarovitch - « Les exercices dans les écoles d’ingénieurs sous l’Ancien Régime et la Révolution ». Histoire de l’éducation. INRP, mai 1990 n° 46, p. 52 à 108.
- - A. Picon - L’invention de l’ingénieur moderne. L'Ecole des Ponts et Chaussées, 1747-1851. Paris, Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1992.
- - A. Thepot - Les ingénieurs du corps des Mines au XIXe siècle, 1810-1914. Recherches sur la naissance et le développement d’une technocratie industrielle. Paris, Université Paris-X, thèse d’Etat, 1991.
- IL F.B. Artz - « L’éducation technique en France au xviip siècle (1700-1789) ». Revue d’Histoire Moderne, n° 35 sept.-déc. 1938, p. 361 à 407.
- 12. A. Birembaut - « Les écoles gratuites de dessin» in R. Taton, Op. cit., 5e partie, chap. IV, p. 441-476.
- 13. A. Ferrand de Monthelon - Projet pour l’établissement d’écoles gratuites de dessin. Paris, s.d.(1746) - bibliographie R. Hahn, op. cit.
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- Baptiste Descamps, également peintre, qui ouvrit une école gratuite de dessin à Rouen. Cette école recueillit les souscriptions de l’aristocratie locale et accueillit 300 élèves en 1748. Ce succès fut confirmé par le roi qui accorda au directeur de l’école une confortable pension. L’expérience fut immédiatemment reprise avec plus ou moins de succès en premier lieu par la ville de Reims qui ouvrit en 1748 une double école de mathématiques pratiques et de dessin. Toulouse emboîta le pas en 1750, Marseille en 1753, Lille en 1755, etc. A la veille de la Révolution on dénombre vingt-sept écoles de ce type.
- Qu’y enseigne-t-on ? Essentiellement le dessin de figure, d’ornements, de plans d’élévations, d’architecture et de figures géométriques. Le but de ces écoles était de préparer les élèves à devenir « de bons ouvriers en tous genre ». Car on pense communément à cette époque que le dessin est la base de l’enseignement des arts et métiers. Il est, comme le dira Bachelier, « l’âme de plusieurs branches du commerce, c’est lui qui fait donner la préférence à l’industrie d’une nation ».(14) Idée qui fera long feu.
- L’Ecole Royale Gratuite de dessin
- Mais l’expérience qui devait servir de modèle à l’enseignement du Conservatoire, au moins à l’origine, fut incontestablement l’Ecole fondée par Bachelier en 1766.
- Admis à l’académie Royale de peinture en 1750, Bachelier fut nommé directeur artistique de la Manufacture de Sèvres. Il se souvient alors de ses débuts difficiles d’artisan pauvre et entreprend de fonder un enseignement régulier et gratuit pour former des élèves aux métiers artisanaux et industriels. C’est en 1767 qu’il ouvre, rue Saint-André-des-Arts, une école gratuite de dessin pour 1500 élèves. Le discours qu’il prononce à l’ouverture de l’Ecole « sur l’utilité des écoles élémentaires en faveur des arts mécaniques » est lu en avril 1767 à l’Académie des Sciences par d’Alembert. L’auteur reçoit le prix d’un donateur anonyme pour le meilleur des discours sur les écoles en faveur des métiers (15\
- 14. R. Tresse - « Le dessin industriel à la fin du xviir siècle et la vulgarisation de la géométrie descriptive». Congrès pour l’avancement des Sciences. Caen, 1955. Section d’Histoire des Sciences. (4 p. dactyl./ Doc.2475 - CDHT)
- 15. J.J. Bachelier - Discours sur l’utilité des écoles élémentaires en faveur des arts mécaniques, prononcé par M. B*** à l’ouverture de l’Ecole Royale gratuite de dessin, le 10 septembre 1766. Paris, 1789. (Bibliographie R. Hahn, op. cit.)
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- Pour financer les 1500 bourses d’élèves accueillis gratuitement, Bachelier eut recours aux souscriptions. Le Roi Louis XV et les grands de la Cour s’inscrivirent comme souscripteurs ainsi que les savants et artistes les plus renommés de l’époque (Lavoisier, Darcet, Gossec, Latour...).
- A 1’enseignement du dessin d’ornement, de figure et d’architecture, Bachelier avait ajouté celui de la géométrie. Le corps enseignant comprend à l’origine trois professeurs et leurs adjoints, tous recrutés à l’Académie de Peinture dont Mauduit, chargé de l’enseignement de la géométrie, qui sera ultérieurement nommé à la chaire de mathématiques au Collège de France.
- Chaque année, une distribution des prix avait lieu aux Tuileries sous la direction du Lieutenant Général de Police, représentant la tutelle administrative de l’école. Bachelier y fit régulièrement un discours, instaurant une tradition qui sera reprise à partir de 1806 par les responsables de l’école de dessin du Conservatoire.
- Reconnue par le Roi, soutenue par l’aristocratie et la haute bourgeoisie parisienne, mais aussi par le monde académique et les cercles d’artistes parisiens, l’Ecole Bachelier eut un succès considérable. Pour 1 500 inscriptions, elle dut parfois en refuser 3 500.
- Le Lycée des Arts
- Il convient aussi d’évoquer l’expérience du Lycée des Arts qui eut lieu sous l’égide du Comité d’instruction Publique (créé au printemps 1793). Le but de son fondateur, Desaudray (également membre du Comité d’instruction Publique), était de réunir une société de savants réputés pour former un plan d’instruction publique des connaissances humaines, distribuer prix et encouragements aux inventeurs et faire des leçons publiques sur la science et les arts. Cette institution devait être présidée par un directoire composé de membres de sociétés savantes parisiennes et de professeurs réputés. Ce directoire devait se réunir chaque mois, le dimanche en séance publique, dans la salle du cirque du Palais Egalité, pour présenter au public les découvertes les plus récentes dans tous les domaines des connaissances humaines (présentation de mémoires, livres, gravures, instruments, machines, etc.).
- Le Lycée des Arts mit en chantier un essai de classification des connaissances en huit articles dont les intitulés évoquent à quelque nuance près ceux des futurs enseignements du Conservatoire, au moins en ce qui concerne les disciplines scientifiques et économi-
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- ques : économie politique, économie rurale, mathématiques dont mécanique appliquée aux machines, physique générale, physique expérimentale (dans ses applications à l’optique et l’électricité), chimie dont chimie appliquée aux arts, Beaux-arts, Belles-lettres et technologie. Les citoyens Desaudray, Dumas, Fourcroy et Has-senfratz notamment, furent chargés de ces cours publics.
- Lavoisier, auteur d’un rapport détaillé sur le Lycée, suggéra d’ajouter à ces enseignements essentiellement consacrés aux sciences appliquées, un cours d’agriculture et d’arts mécaniques et d’inclure une activité d’informations sur les travaux des savants étrangers. Le savant proposa aussi la création d’une Société centrale des sciences et des arts que l’on peut considérer comme une préfiguration de la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale, fondée en 1801 par Chaptal .
- Lavoisier pensait alors que le Lycée pouvait « donner une puissante impulsion au mouvement des sciences et des arts et même servir de modèle pour un système général d’instruction publique »(16).
- Ce qu’il faut sans doute retenir du fonctionnement du Lycée des Arts est l’expérimentation d’une forme inédite d’enseignement public et gratuit des sciences appliquées et d’un mode de gestion collégiale de l’institution, éléments pivots de la première réforme du Conservatoire en 1817. A cette date, en effet, est fondé au Conservatoire l’enseignement des sciences appliquées et créé le Conseil de Perfectionnement, véritable instance de direction et de gestion de l’établissement.
- L’enseignement du Lycée des Arts est la première expérience qui rompt radicalement avec les modèles de l’Ancien Régime et se dégage totalement de toute attache avec la formation professionnelle et l’action de bienfaisance. On peut en ce sens l’opposer à l’Ecole de Liancourt, fondée par le duc de La Rochefoucauld, et qui fut à l’origine de la première école d’Arts et Métiers(17).
- 16. Lavoisier - Rapport au Bureau de Consultation sur le Lycée des Arts (1793). Oeuvres complètes. Paris, Ministère de l’Instruction Publique, 1873, p. 559-556.
- 17. P. Leon - «Continuités dans les institutions et méthodes d’enseignement technique ». Actes du 95e Congrès National des Sociétés Savantes, Reims 1970. Tomel (section d’Histoire moderne et contemporaine).
- - et aussi Ch. Day - Les écoles d’Art et Métiers. L’enseignement technique en France. Paris Belin, 1991.
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- Les réflexions de Lavoisier sur l'Instruction Publique
- Il n’est pas non plus inutile d’ouvrir une parenthèse sur Lavoisier et l’influence qu’il eut dans le domaine de la réflexion sur l’enseignement technique. Il remit sur cette question deux rapports, le premier non daté (vraisemblablement début 1793), le second présenté en août 1793 à la Convention(18).
- La Révolution avait fait table rase des institutions d’enseignement de l’Ancien Régime en supprimant les communautés religieuses. L’abolition des corporations en 1791, la vente des biens du clergé et enfin la suppression des congrégations religieuses avaient créé un vide en matière d’éducation qu’il était important de combler mais qui fit, de l’avis des historiens, régresser le niveau général de l’instruction des français.
- Les assemblées révolutionnaires mirent donc la question de l’éducation au cœur de leurs débats ; toutefois rien ne se fit réellement avant 1794. Les principales propositions, celles de Talleyrand en 1790, de Condorcet en 1791, de Lakanal en 1792 furent enterrées, tout comme les plans d’éducation proposés en 1793 par Lavoisier(19).
- Pourtant, dans le contexte d’économie de guerre et de nationalisation des productions qui intervient après la levée en masse de juillet 1793, la Convention Montagnarde se préoccupe de la formation des artisans. En juillet 1793, elle nomme une Commission pour établir un plan sur cette question : Borda, Desaudray, Fourcroy, Hassenfratz et Lavoisier à nouveau sont sollicités pour cette tâche. Lavoisier remet un premier rapport à la Convention. Le débat qu’il suscite fait progresser les réflexions de la Commission en faveur d’un plan général d’enseignement englobant l’ensemble des connaissances humaines.
- L’idée-force de ce deuxième rapport de Lavoisier adressé au Bureau de Consultation pour les arts consiste à introduire un « enseignement technique pour les arts », du primaire au supérieur, au sein du système d’enseignement général.
- En référence à la centralisation politique jacobine, Lavoisier prescrit la création dans chaque district d’une « école élémentaire
- 18. Lavoisier - Réflexions sur l’instruction publique. Lecture au Bureau de Consultation des Arts et Métiers. Oeuvres complètes, tome IV, p. 649-668 (1er rapport non daté). Tome VI, p. 516-528 (2e rapport, août 1793).
- 19. F.B. Artz - « L’enseignement technique en France pendant la période révolutionnaire (1789-1815) ». Revue Historique, juillet-sept. 1946 et oct-déc. 1946, p. 258-286.
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- des arts » où le dessin, la perspective, la géométrie, la composition des machines seraient enseignées ainsi que la physique expérimentale, la chimie appliquée, l’économie politique et la législation. Ces disciplines se retrouvent au niveau secondaire qui doit s’effectuer dans des « Instituts des Arts et Sciences ». On créerait pour cela un établissement par département alors que l’enseignement de niveau supérieur s’effectuerait dans quatorze Lycées implantés dans les principales villes de la France.
- Le sommet de l’édifice serait occupé à Paris par un « Lycée Central des Arts » divisé en six muséums dont un muséum scientifique destiné à l’enseignement des sciences et de leurs applications : mathématiques, physique expérimentale, chimie, métallurgie, etc. Cet enseignement s’appuierait sur les collections de machines relatives aux arts appartenant à la Nation et qui serviraient à la démonstration des professeurs.
- Ainsi, pour la première fois, on propose que l’instruction des Français soit fondée sur un enseignement à caractère scientifique et technique, rompant radicalement avec la tradition de l’enseignement des humanités, réservé jusque là aux couches priviliégiées de la Nation. Cet enseignement « moderne » était destiné, selon Lavoisier, à « l’instruction de la nation toute entière » mais son but dépassait la mission traditionnelle d’instruction des citoyens et prétendait fonder la puissance industrielle du pays. Le système général d’instruction incluait pour cette raison la formation des ingénieurs civils et militaires.
- Enfin, pour élever le niveau général des connaissances scientifiques et techniques, Lavoisier préconisait la création d’une sorte de « CNRS » où des savants appointés par l’Etat auraient toute liberté d’inventer, de publier et de se réunir pour échanger leurs idées.
- Au sommet de cette organisation pyramidale d’écoles, d’instituts, de lycées et de muséums, Lavoisier attribuait une place de premier ordre à ce « Muséum des Arts et des Sciences » dont l’organisation et les missions s’apparentent de très près à celles du futur Conservatoire qui, créé en 1794, peut être considéré comme la première pierre de l’édifice imaginé par le savant. Lavoisier fit, à mon sens, œuvre de visionnaire, anticipant sur les mutations industrielles et les nouveaux besoins de formation à venir. Ne faut-il pas attendre 1829 pour que la formation des ingénieurs civils soit mise en place avec la création de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures et finalement 1939, pour que la recherche
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- scientifique soit organisée sous l’égide de l’Etat, avec la création du CNRS?
- Ce rapport porte aussi incontestablement la marque des circonstances économiques et militaires de l’été 1793. En écho à la levée en masse, Lavoisier ne voit-il pas dans les arts et les sciences « une armée qui doit marcher sur un même front » ? Pour briser le relatif isolement technologique de la France et réduire l’avance industrielle anglaise, le savant préconise de faire appel à la nation toute entière qui doit œuvrer en faveur du progrès scientifique et technique. Toutefois, Lavoisier dépasse cet aspect, en définitif conjoncturel de la lutte armée et de l’isolement technologique français, pour définir un système d’instruction publique rationnel dont la finalité serait de former une nation d’« artistes » car, dit-il, « les arts embrassent l’universalité des travaux dont s’occupent les hommes réunis en société ».
- Grégoire eut connaissance de ces écrits et reprit un certain nombre des propositions de Lavoisier dans son rapport sur la création du Conservatoire.
- De la décision politique à l’organisation du Conservatoire
- On peut mesurer à travers le panorama qui vient d’être dressé, le contexte particulièrement favorable aux arts et métiers dans lequel cette création intervient. On sait, en effet, que le texte fut adopté sans discussion par la Convention.
- Le rapport du 9 vendémiaire an III (octobre 1794)
- Quel fut donc le rôle de l’Abbé Grégoire à qui les historiens du Conservatoire ont attribué à l’unanimité le titre de fondateur de l’institution. Sans doute un rôle politique décisif mais un apport d’idées personnelles beaucoup plus modeste qu’on a pu si souvent l’affirmer.
- Ce qu’il mit à coup sûr dans cette affaire est en premier lieu sa responsabilité politique, au titre de président du Comité d’instruction Publique, mais aussi son talent d’orateur, sa notoriété et son autorité morale. Ainsi, comme le souligne Alain Brix, C.P. Molard, que certains ont voulu considérer comme le véritable
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- fondateur du Conservatoire, n’aurait pu imposer son projet sans l’intervention de l’Abbé Grégoire(20).
- Si l’on analyse le rapport de dix-neuf pages que ce dernier présente à la Convention, on voit d’emblée que Grégoire fait la synthèse des idées popularisées depuis quelques années notamment par Vandermonde, Desaudray, Bachelier et Lavoisier en matière d’instruction technique.
- Ce qui lui est propre en revanche est évidemment la rhétorique parlementaire, l’argumentation destinée à emporter l’adhésion de la classe politique : aussi commence-t-il par évoquer les bienfaits du progrès scientifique et technique qui « agrandit le cercle des connaissances humaines et le nombre des jouissances ».
- Suit une argumentation économique à laquelle l’assemblée ne peut rester indifférente : le Conservatoire, dit-il, est une création utilitaire, un instrument de la puissance industrielle de la nation ; c’est un investissement de l’Etat au bénéfice de l’industrie pour l’aider « à secouer le joug de l'industrie étrangère », notamment de l’Angleterre, mais aussi un instrument de moralisation de la vie publique et privée. Cette argumentation prend tout son sens lorsqu’on se réfère aux valeurs de « terreur et vertu » qui président en l’an II à la politique du Comité de Salut Public. Et bien qu’une partie de la Convention se soit élevée contre la politique de terreur économique et sociale des robespierristes, les conventionnels restent en leur majorité très attachés à l’idéal de vertu, fondateur de la République, et ne manquent pas d’être sensibles au dernier argument. Grégoire fit aussi vibrer la fibre nationale en rappelant le génie inventeur de la France, rendant au passage un hommage discret aux prouesses des savants dans l’organisation de la défense nationale en l’an II.
- Au terme de ce plaidoyer, il en arrive enfin à proposer la réunion des collections dispersées, relatives aux arts et métiers, dans un seul et même lieu qui portera le nom de conservatoire.
- C’est en fait au niveau de la définition du fonctionnement du Conservatoire et dans la définition de ses missions, que Grégoire fait la synthèse des projets de ses prédécesseurs et des expériences antérieures en matière d’enseignement technique et de vulgarisa-
- 20. A. Brix - «L’Abbé Grégoire (1750-1831) et l’éducation des adultes». Revue de Lorraine. 1988, p. 287-301.
- P. Painlevé - « Discours à l’occasion du centenaire de l’Abbé Grégoire ». Annales du Conservatoire, n° spécial, 4e série, 1933, p. 9-23 et aussi A. De Monzie, op. cit., p. 30 à 35.
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- tion scientifique. Il faudra donc réunir dans un seul lieu ces collections éparpillées et les mettre en ordre. S’inspirant directement des réflexions de Lavoisier, il affirme que l’agriculture doit y avoir le droit d’aînesse car toutes les autres industries, à cette époque, en découlent (filature, meunerie, etc.). Il évoque également le projet non réalisé par Vandermonde à l’Hôtel de Morta-gne de procéder à une description de ces machines.
- Sur l’enseignement en revanche, le rapport de Grégoire reste un peu flou. S’il n’est pas question de faire du Conservatoire une école d’apprentissage, «ce n’est pas dans ce conservatoire qu’on enseignera par exemple à faire des bas et des rubans », dit-il, l’établissement doit être le lieu de diffusion des connaissances techniques les plus récentes, avec toutefois une part réservée aux aspects plus théoriques : il faudra y enseigner « la partie mécanique, la construction des outils et des machines les plus accomplies » mais aussi « leur jeu, la distribution du mouvement, l’emploi des forces, cette partie des sciences également neuve et utile », en d’autres termes et selon le concept défini ultérieurement par Jean-Baptiste Poncelet, la mécanique industrielle.
- Le texte de loi précisera toutefois que cet enseignement se fera de visu, par la démonstration, comme à l’Hôtel de Mortagne.
- L’enseignement théorique, évoqué par Grégoire dans le rapport de vendémiaire disparaîtra en fait du texte de loi du 19 vendémiaire an III(21).
- Enfin, le Conservatoire devra largement diffuser l’ensemble de ces connaissances, notamment en éditant des livres élémentaires sur les arts et métiers. Cette documentation sera puisée dans les rapports du Bureau de Consultation, les mémoires du Lycée des Arts, ceux de la ci-devant Académie des Sciences et du Bureau de Commerce qui, chacun dans leur pratique et leur spécificité, ont apporté un ou plusieurs éléments à l’élaboration de la nouvelle institution.
- L’abbé Grégoire
- L’instruction technique a toujours été la préoccupation de ce fils de paysans lorrains, élevé chez les jésuites. Vers 1780, il ouvre une bibliothèque populaire dans le village où il exerce son
- 21. Recueil des documents fondamentaux relatifs à l’origine de l’institution et l’organisation du Conservatoire National des Arts et Métiers. Paris, Impr. Nat., 1889, 138 p.
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- ministère, bibliothèque où figurent des ouvrages d’initiation technique.
- Nommé le 27 juin 1793 au Comité d’instruction Publique, il côtoie à la Commission de l’Enseignement les encyclopédistes Fourcroy et Guyton de Morveau. Dès sa nomination à la présidence de cette commission en septembre 1793, il s’emploie à accélérer le rythme des réformes dans le domaine de l’enseignement technique. C’est à lui que l’on doit la création du Bureau des Longitudes sur les conseils des savants Laplace, Lagrange et Delambre. Il s’occupe aussi d’enseignement agricole et rapporte sur ce sujet un projet de décret concernant les moyens d’améliorer l’agriculture (octobre 1793). Il préconise à cette occasion la création de maisons d’économie rurale et la mise en place de formations pratiques au sein de fermes expérimentales. Il fut aussi chargé, en germinal an II, de présenter à la Convention un programme sur les livres élémentaires relatifs aux sciences et aux arts. Pouvait-on alors trouver meilleur avocat pour plaider la cause du Conservatoire ?
- Il faut en effet rendre justice à ce talentueux rapporteur qui entraîna l’adhésion de la Convention, pourtant fort divisée par ailleurs, sur la création du Conservatoire le 10 octobre 1794. Un tel succès pourtant, tient aussi à ce qu’il témoignait d’un mouvement général de la société en faveur des arts et métiers, du progrès technique et scientifique. S’il engage sur cette question ses convictions personnelles, sa responsablité d’homme politique et son talent d’orateur, il faut aussi rappeler que des savants comme Vandermonde, Molard et Lavoisier eurent également une part déterminante dans la promotion des connaissances concernant les arts et métiers industriels à la fin de la Monarchie et dans les premières années de la Révolution, et donc dans la genèse du projet de Conservatoire.
- Les circonstances de la décision
- Les revendications du mouvement des sans-culottes parisiens en matière d’éducation que la Convention Montagnarde a pris en compte dans la Constitution de l’an II, interviennent pour une part non négligeable dans la décision politique. Le mouvement populaire parisien à l’apogée de sa puissance poussa la Convention Montagnarde à inscrire, pour la première fois dans les textes, le droit pour chacun à l’instruction gratuite ainsi que le droit au travail et aux jouissances. Pour le sans-culotte de l’an II, la
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- jouissance passe essentiellement par l’exercice d’un métier qui procure les revenus de l’existence et donc par l’instruction et la formation. C’est grâce à l’instruction aussi, selon la rhétorique populaire, que chaque individu pourra exercer son droit nouvellement conquis de citoyen de la République(22).
- On ne doit pas non plus négliger l’influence du contexte politico-militaire : à partir de l’été 1793, la République menacée sur ses frontières (et à l’intérieur par la révolte fédéraliste) doit fonder sa puissance économique et industrielle pour faire face à l’Europe coalisée. La Convention reconnait l’urgence de réorganiser l’instruction technique des ouvriers, catégorie tout aussi indispensable à la nation en lutte que les soldats de la nouvelle armée révolutionnaire. Le célèbre « Avis aux ouvriers en fer sur la fabrication de l’acier », me paraît illustrer avec force cette volonté pédagogique du Comité de Salut Public qui associe étroitement mobilisation militaire, mobilisation économique et instruction technique. « Pendant que nos frères prodiguent leur sang contre les ennemis de la liberté (...), il faut que notre énergie tire de notre sol toutes les ressources dont nous avons besoin, et que nous apprenions à l’Europe que la France trouve en son sein tout ce qui est nécessaire à son courage (...). Nous allons vous présenter quelques notions qui doivent vous guider dans une entreprise généreuse pour ce moment, utile à notre industrie pour l’avenir ». Ce préambule est suivi d’informations techniques à l’usage des ouvriers métallurgistes sur les procédés de fabrication de l’acier(23).
- C’est donc la convergence de l’ensemble de ces facteurs qui suscite, à l’automne de l’année suivante, l’adhésion unanime des conventionnels au rapport de l’abbé Grégoire le 8 vendémiaire (29 septembre) et le vote de la loi sur la création du Conservatoire des arts et métiers le 19 vendémiaire an III (10 octobre 1794).
- Les débuts difficiles du Conservatoire
- Malgré le consensus qui préside à la création du Conservatoire, l’institution eut d’énormes difficultés à s’installer dans les faits contrairement à l’Ecole polytechnique dont le succès fut immédiat.
- 22. H.B. Grégoire - Rapport au Conseil des cinq cents du 26 Floréal an VI (17 mai 1798). (Sur l’affectation de l’abbaye de Saint-Martin des Champs au Conservatoire.)
- H.B. Alquier - Rapport au Conseil des cinq cents. Séance du 27 nivôse an VI (1798). Paris, Impr. Nat., Pluviôse an VI, 16 p.
- 23. Avis aux ouvriers en fer sur la fabrication de l’acier, publié par ordre du Comité de Salut Public. Paris, s.d. (1793), Impr. du Département de la Guerre. Fac. similé, Le Verbe et l’empreinte.
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- Il faut attendre 1798 pour que les collections commencent à être acheminées rue Saint-Martin dans les locaux de l’Abbaye de Saint-Martin-des-Champs, alors que les locaux avaient été officiellement attribués en 1796. Les députés Alquier et Grégoire durent monter à la tribune en 1798 pour remobiliser la classe politique sur cette question et même éviter que le Conservatoire ne passe sous la tutelle de l’Institut de France nouvellement créé. Le Conservatoire fut à nouveau remis en cause en 1812 par Napoléon qui signa, le 21 mars, un décret ordonnant le transfert de l’établissement au Louvre alors qu’une école centrale devait occuper les locaux de la rue Saint-Martin. La décision fut toutefois suspendue après l’intervention de Saint-Jean d’Angely. Suspendus aussi les traitements des démonstrateurs en 1795, par mesure d’économie. Les caisses de l’Etat sont vides, on envisage même de vendre l’Abbaye.
- C’est la menace de transfert des missions du Conservatoire à l’Institut qui détermine Molard, nommé conservateur des collections de l’Hôtel d’Aiguillon, à faire pression sur Alquier pour présenter un rapport au Conseil des Cinq-Cents, relatif à l’organisation du Conservatoire. Par une argumentation très convaincante, le député réussit à obtenir la formation d’une commission d’examen où siéga notamment Grégoire. Alquier mit en avant l’urgence et la nécessité d’instruire les ouvriers pour favoriser le redressement de l’économie. Pour justifier l’utilité d’un Conservatoire autonome, il opposa d’un côté la compétence des trois démonstrateurs, leur participation à l’économie de guerre depuis 1792, à l’incompétence des académiciens qui avaient laissé dormir dans les greniers du Louvre les collections d’objets mécaniques qui auraient pu aider l’industrie française à soutenir la compétition économique avec l’incontestable leader industriel anglais. « Le Conservatoire, dit-il, nous affranchira de ce honteux asservissement » et « évitera que nos fabricants en soient réduits à devenir de simples commis des fabricants anglais de Manchester »(24). Le 15 mai 1798, Grégoire gagne à nouveau la cause du Conservatoire en obtenant l’attribution effective d’une partie de l’Abbaye de la rue Saint-Martin.
- A quel facteur doit-on attribuer les difficultés de fondation d’une institution dont la création avait réuni l’unanimité de la classe politique ? Le contexte économique, financier et politique a indéniablement joué un rôle important. Et tout d’abord, la crise économique et financière qui se développe dès l’hiver 1794 et qui culmine en 1797 avec la banqueroute financière de l’Etat. Le
- 24. H.B. Alquier - Op. cit.
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- papier monnaie a perdu 99 % de sa valeur nominale à cette date et les caisses de l’Etat sont vides. Sous l’effet du chômage et de la cherté des prix, les classes populaires continuent à s’agiter. La Convention thermidorienne puis le Directoire doivent faire face à une crise politique et sociale intérieure d’une exceptionnelle gravité. La menace vient aussi de l’extérieur, alors que l’armée révolutionnaire, désorganisée par l’abandon de l’économie dirigée, connaît de sérieux revers(25). Enfin, dans le mouvement de réaction politique et sociale amorcé par les thermidoriens, s’il reste une priorité en matière d’éducation, celle-ci est donnée à l’instruction des élites et à la formation des cadres de l’Etat. Après la chute du gouvernement révolutionnaire et l’écrasement de la Montagne et des sans-culottes parisiens, les assemblées ne sont peut-être plus pressées d’organiser une institution qui s’enracine dans les revendications populaires de l’an IL
- Pourtant, le Conservatoire survit à cette période de crise et réussit à s’établir et fonctionner à l’extrême fin du xviif siècle.
- Les activités du Conservatoire de 1794 à 1819
- La démonstration des collections
- Dominique de Place a minutieusement étudié le fonctionnement du Conservatoire dans les années qui suivent sa création. Nous retiendrons les traits essentiels de ce travail érudit, fondé sur l’exploitation des archives du Conservatoire(26). Selon notre auteur, c’est essentiellement grâce à l’activité des trois démonstrateurs nommés en octobre 1794 par la Convention que le Conservatoire parvient à un début d’existence : l’académicien J.B. Leroy, le savant Conté, inventeur du substitut de la plombagine pour la fabrication des crayons et ancien élève du physicien Charles, ainsi que Vandermonde, mathématicien et ancien conservateur de l’Hôtel de Mortagne auxquels on adjoint Beuvelot au poste de dessinateur(27).
- 25. A. Soboul - La révolution française. Paris, Gallimard, 1984, chap. V - La Convention thermidorienne.
- 26. D. de Place - Op. cit. (4) 2° partie - La Convention et la création du Conservatoire des Arts et Métiers, p. 81 à 191.
- 27. R. Tresse - « Les dessinateurs du Comité de Salut Public ». Techniques et civilisations. Vol. V, n° 1, 1956, p. 1-9.
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- Ces quatre savants, grands serviteurs de la Révolution, avaient acquis des compétences particulières dans le domaine de la mécanique des machines, la gestion de collections et la démonstration des machines dans les institutions de l’Ancien Régime. Ils poursuivirent, dans le cadre de la nouvelle institution, leurs activités de conservation et de démonstration des machines.
- Toutefois, de 1794 à 1798, les collections restent dispersées en trois dépôts qui ont été évoqués précédemment : à l’Hôtel de Mortagne, situé rue de Charonne, à l’Hôtel d’Aiguillon, rue de l’Université, et dans les greniers du Louvre où sont entreposées les machines de la ci-devant Académie des Sciences.
- On connait fort mal l’activité des trois démonstrateurs au cours de ces années où le Conservatoire n’eut pas d’affectation définitive.
- On sait, en revanche, par le règlement intérieur de l’an IV, que ces premiers enseignants avaient aussi pour mission de réorganiser les collections et de rédiger un catalogue de descriptions détaillées de ces machines, d’effectuer des démonstrations à date fixe et d’informer le gouvernement et l’industrie des inventions et de leurs perfectionnements(28).
- Un autre plan de fonctionnement plus détaillé mais anonyme fut remis au Ministre de l’Intérieur en l’an VII(29). Molard, qui a succédé à Vandermonde, aurait été, selon Dominique de Place, l’auteur de ce plan. Aux missions de l’établissement définies en l’an IV, est ajoutée l’élaboration d’une technologie, c’est à dire l’établissement d’une terminologie fixe et uniforme pour les arts et métiers qui était loin d’exister à cette époque. L’auteur suggérait aussi de mettre en chantier une géographie industrielle et manufacturière de la République. Le Ministre approuva le projet mais demanda de ne point se contenter de Y instruction muette (démonstration des machines) et proposa d’accorder une place plus importante à l’instruction théorique, en particulier par la création d’un cours de dessin.
- A cette date, la composition du Conseil des démonstrateurs qui était chargé d’administrer le Conservatoire, venait de changer. Jean-Baptiste Leroy, très âgé, restait seul du premier Conseil, Conté qui faisait partie de l’expédition d’Egypte fut remplacé par
- 28. Recueil de textes fondamentaux... op. cit., p. 16.
- 29. Plan d’activité du Conservatoire, 27 pluviôse an VII (15 février 1799). Procès verbaux du Conservatoire - Arch. CNAM. 10-483 ( sans doute de C.P. Molard).
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- l’abbé Grégoire et C.P. Molard prit la place de Vandermonde, décédé en 1796.
- Le bureau des dessinateurs
- Malgré la conjoncture peu favorable, le Conservatoire se mit en place. Un bureau de dessinateurs fut créé pour la mise en valeur des collections en août 1796. Il s’agit du Bureau des Dessinateurs du Comité de Salut Public dont Molard avait demandé le rattachement au Conservatoire et qui siégeait à l’origine au dépôt de la rue de l’Université. Ce fut le premier service du Conservatoire à fonctionner et à s’établir rue Saint-Martin en 1798. Sa mission était d’établir les dessins de toutes les machines connues et en usage dans l’industrie. Il devait servir à constituer dans les vues de Molard « les archives de l’industrie », entreprise gigantesque mais encore réalisable dans l’état des techniques de cette fin de période préindustrielle.
- La bibliothèque
- Une bibliothèque fut ensuite organisée. Son activité consistait à l’origine à établir une bibliographie des ouvrages techniques français et étrangers et à effectuer la traduction des périodiques techniques étrangers. Cette bibliothèque n’était pas, comme de nos jours, ouverte au public, mais sa mission principale était d’informer le Ministre de l’Intérieur des progrès réalisés dans les arts et les manufactures en France comme à l’étranger. Gruvel fut le premier bibliothécaire. On lui demandait alors de connaître l’anglais et l’allemand.
- L’atelier de mécanique
- D’autres services furent créés avant 1800, comme l’atelier de construction et de réparation des machines qui fonctionnait comme à l’Hôtel de Mortagne pour l’entretien des collections. Molard semble l’avoir conçu aussi comme un atelier de perfectionnement pour l’industrie mécanique car il mit à la disposition des artisans et constructeurs une instrumentation de précision et un outillage coûteux et encore peu répandu dans les ateliers parisiens.
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- L'installation rue Saint-Martin
- Un pas décisif fut franchi en Frimaire an VIII (fin 1798), lorsque Molard prit sur lui la décision de transférer le Bureau des Dessinateurs et le secrétariat du Conservatoire rue Saint-Martin.
- A partir de cette date, les collections purent être progressivement acheminées et installées dans les anciens dortoirs de l’abbaye.
- Le disciple de Vandermonde eut, à partir de 1796, un rôle de premier plan dans l’organisation du Conservatoire. En 1798, il était, en effet le seul à avoir assuré la continuité de l’institution. A cette date, le conseil des démonstrateurs avait de nouveau changé : Conté, revenu d’Egypte, avait repris sa place, Leroy décédé fut remplacé par Montgolfier. Molard seul resta donc du précédent Conseil. Il fut d’ailleurs nommé unique administrateur du Conservatoire en 1801, fonction qu’il occupera jusqu’en 1817.
- Dés le début des années 1800, les conditions deviennent plus propices au développement de l’établissement. Les collections s’organisent et s’enrichissent. C’est le cas en 1805 avec l’attribution au Conservatoire du cabinet du physicien Charles, puis en 1807 avec le transfert au Conservatoire des modèles et machines de l’Exposition Nationale de l’Industrie ainsi que de la collection d’horlogerie marine de Ferdinand Berthoud, acquise par Louis XVI en 1782.
- Chaptal, Ministre de l’Intérieur, favorisa d’ailleurs cette organisation en accordant d’importants crédits pour l’achèvement des travaux des galeries, ouvertes au public en 1802(30).
- Expertises et incitations industrielles
- Mais le Conservatoire devint plus particulièrement le lieu d’expertise du Bureau Consultatif du Ministère de l’Intérieur chargé à cette époque du commerce intérieur et extérieur, des arts et inventions. La principale mission de ce Bureau consistait à distribuer prix et récompenses aux inventeurs. Le Conservatoire devint aussi le champ d’expérimentation de la Société d’Agricul-ture, restaurée par François de Neufchateau, et de la société d’Encouragement fondée sous l’égide de Chaptal en 1801(31).
- 30. G. Christian - Introduction au catalogue des collections par l’Administrateur du Conservatoire. Paris, Huzard, 1818.
- 31. R. Tresse - «Le Conservatoire et la Société d’Encouragement pour l’industrie nationale au début du xixc siècle ». Revue d’Histoire des Sciences, 1952, tome V, p. 262.
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- Dans le cadre de l’amélioration de l’industrie de la soie, l’établissement reçut par exemple des crédits pour élever des vers à soie blanche. Ainsi l’on pratiqua la culture du mûrier dans les jardins du Conservatoire. La culture de la betterave fit son apparition à l’occasion des recherches sur la fabrication du sucre indigène. Mais les essais les plus nombreux concernèrent la filature et le tissage, domaine où l’Angleterre avait pris une avance considérable. Le Conservatoire organisa notamment le concours de l’an X pour la filature de coton et en 1810, celui de la filature du lin doté d’un prix d’un million de francs (non attribué).
- Plus inattendue fut l’apparition d’une activité de production dans le domaine de la construction mécanique.
- En l’an Y, l’atelier de réparation fort bien équipé construisit un métier à haute lisse pour la manufacture des Gobelins. Il participa à l’effort de guerre en perfectionnant, pour le compte du Ministère de la Guerre, une machine à faire les bottes de foin. Il favorisa aussi directement le progrès agricole et industriel en livrant charrues, jougs et moulins portatifs et modèles de machines élévatoires.
- Dans le domaine de l’instrumentation et des poids et mesures dont le Conservatoire se fera une spécialité au xixe siècle, l’atelier de mécanique livrera, entre autre, un appareil de physique pour l’étude de la dilatation des métaux, 150 presses à bascule et 150 fourneaux pour marquer les nouveaux poids et mesures en vigueur depuis la loi instaurant l’usage du système métrique.
- Les premiers enseignements au Conservatoire
- A côté de l’enseignement par la démonstration des machines, le ministère de tutelle avait suggéré en l’an VII, la mise en place d’un enseignement théorique. Molard esquissa, en 1798, un programme d’enseignement du dessin géométrique et de technologie qui devait donner naissance à l’école élémentaire de dessin.
- En 1800, Chaptal qui tentait d’organiser un enseignement technique public, proposa la création de trois écoles pratiques dont une à la Manufacture des Gobelins pour l’enseignement de la teinture, une à l’Administration des Mines pour la métallurgie
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- et une au Conservatoire pour l’enseignement des machines. Mais cette proposition ne fut pas concrétisée(32).
- D’autres propositions intervinrent à cette époque en faveur de la création d’un enseignement public de sciences appliquées. Il faut toutefois attendre 1819 pour que l’enseignement du Conservatoire prenne cette direction sous l’impulsion de novateurs comme Charles Dupin et Jean-Baptiste Say(33).
- Avec la création de l’école de filature en 1804 dans la foulée du concours de l’an X, l’enseignement du Conservatoire ne se dégage pas encore des modèles traditionnels d’enseignement technique liés à l’apprentissage(34). L’activité de l’atelier de mécanique du Conservatoire, lieu d’initiation des constructeurs parisiens à la mécanique de précision, en est le meilleur exemple. Il se rapproche en cela de l’enseignement de l’école de Liancourt fondée par La Rochefoucauld à la fin du xviif siècle, organisée en Ecole d’arts et métiers en 1803(35). D’ailleurs, un décret de juin 1808 instaure la tutelle du Conservatoire sur cette école transférée en 1806 à Châlons ; les élèves qui avaient fait des progrès marquants, pouvaient désormais compléter leur formation à Paris. Molard fut, dans un premier temps, chargé de l’inspection des travaux de ces élèves et créa au Conservatoire un atelier particulier pour améliorer leur formation. Nommé Inspecteur du Conservatoire en
- 1814, le Duc de la Rochefoucauld envisagea même d’y créer une école de perfectionnement pour les élèves de 1’ école de Châlons et de celle de Beaupréau, ouverte en 1811 et transférée à Angers en
- 1815. Cette solution, on le sait, ne prévalut pas. En fait, dès la fin de l’Empire, l’enseignement professionnel du Conservatoire est vivement contesté. Un rapport anonyme de juin 1814 indique que le Conservatoire ne doit pas être une école de perfectionnement, ni un atelier de charité. Il est précisé que l’Ecole de dessin doit former des « directeurs instruits » et non des ouvriers(36). Cette Ecole de dessin, organisée officiellement en 1806, dispense en effet un
- 32. R. Tresse - « J.A. Chaptal et l’enseignement technique (1800-1819) ». Revue d’His-toire des Sciences et leurs applications. Centre International de Synthèse, tome X, 1957, p. 169-174.
- 33. R. Fox - « Education for a new âge : the conservatoire des arts et Métiers, 1794-1830 » in Artisan tograduate. Manchester University Press 1974, Cardwell ed., p. 23 à 38. (Voir la traduction de cet article dans ce numéro).
- 34. C.P. Molard - Rapport sur la nécessité de faire germer l’instruction relativement à la construction et à l’emploi des machines à filer le coton. 23 prairial an XII (12 juin 1804). Arch. CNAM / Musée : série 9/4.
- 35. C. Day - « Des ouvriers aux ingénieurs. Le développement des Ecoles d’Arts et Métiers et le rôle des futurs élèves ». Culture Technique n° 12, mars 1984, p. 281-291.
- 36. Arch. (Bibl.). CNAM - n°160.
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- enseignement plus théorique, mieux adapté aux nouveaux besoins de formation des secteurs industriels de pointe comme la construction mécanique(37).
- Un enseignement plus théorique de haut niveau ne devait pas tarder à faire aussi son apparition. En 1816, le physicien Charles avait obtenu la création d’un laboratoire de physique expérimentale au Conservatoire. A l’achèvement des travaux du laboratoire à la fin de l’année 1815, le savant demande au Ministre de l’Intérieur, Vaublanc, l’autorisation d’ouvrir un cours de mécanique et d’hydraulique. Six mois plus tard, il propose de faire gratuitement un cours de physique expérimentale aux élèves de l’école de dessin suffisamment avancés pour suivre cet enseignement. Ce cours est encore signalé en 1818 dans le catalogue des collections du Conservatoire ^8). Il fut supprimé avec le départ de Charles en 1819, mais réapparaîtra en 1829 avec la création de la chaire de physique appliquée dont le premier titulaire sera Claude Pouillet. Le cabinet de physique fut en revanche pris en charge par la Conservatoire à la disparition de Charles en 1823.
- La réforme de 1817
- La monarchie restaurée entend bien apposer son sceau sur l’institution révolutionnaire que l’on rebaptise évidemment Conservatoire royal des arts et métiers. Molard, seule personnalité rescapée de cette épopée révolutionnaire, est mis à l’écart par le règlement de 1817 qui instaure un Conseil d’amélioration et de perfectionnement, présidé par un Inspecteur Général nommé par le roi. Un nouveau directeur est nommé, Gérard Christian, alors que Molard qui présidait aux destinées de la maison depuis vingt ans, se retire à l’hôtel de Mortagne avec une modeste pension. Avec lui disparaîtra la fonction de démonstrateur, reflet d’une pratique presque démodée à l’aube de l’époque industrielle. La Rochefoucauld dont les convictions monarchistes sont connues, est nommé au nouveau poste d’inspecteur du Conservatoire(39).
- Dans un premier temps, les missions du Conservatoire définies par les textes révolutionnaires sont réaffirmées par la nouvelle direction. Christian les rappelle dans la préface du premier catalogue des collections.
- 37. Arch. CNAM - 3 EE /I - Ecole de dessin (1806-1835) et aussi D. de Place, op. cit., chap. V, p. 130 à 135.
- 38. G. Christian - Op. cit., note (32).
- 39. Voir l’article de Ch. Day dans ce numéro.
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- Mettre la science et la technique au service du progrès industriel et de la puissance nationale reste bien la mission essentielle de l’établissement. La composition du nouveau Conseil de perfectionnement consacre d’ailleurs cette alliance entre la science, l’industrie et l’Etat. Aux cotés des académiciens Thénard, Charles et Héron de Villefosse, siègent le grand industriel Ternaux mais aussi le directeur d’un grand service technique de l’Etat, D’Arcet, vérificateur de la Monnaie.
- Après 25 ans de relatif isolement technologique et industriel, la France entend aussi renouer ses relations avec sa principale rivale l’Angleterre et recevoir l’impulsion de l’industrie « européenne », notamment en développant une correspondance avec les pays voisins pour acclimater leurs inventions et les perfectionner. Grâce à cette politique d’ouverture scientifique et d’échanges technologiques, le Conservatoire devait rapidement bénéficier hors de nos frontières d’une notoriété exceptionnelle. Mais ce qui devait donner une impulsion décisive à l’établissement fut l’institution de cours publics de sciences appliquées par l’ordonnance royale du 25 novembre 1819.
- Conclusion
- Institution fondée par l’Etat pour la promotion des techniques et des connaissances utiles aux arts et métiers, le Conservatoire entre dans la tradition colbertiste, qui depuis deux siècles contribue directement par des mesures d’incitation au progrès technique, au développement industriel de la nation.
- Dépôt de machines et d’outils, il se rattache incontestablement au mouvement encyclopédiste dont il adopte initialement les méthodes et c’est sans doute cette référence qui se démodera le plus vite au xixe siècle. En quelques décennies et avec l’évolution des méthodes scientifiques et la complexité croissante des procédés techniques, la démonstration sera abandonnée au profit d’autres méthodes d’enseignement ; manuels pratiques et éditions de cours remplaceront les descriptions d’arts et métiers si caractéristiques de l’époque des Lumières.
- Comme lieu de formation des artisans et ouvriers, le Conservatoire hésitera au cours de cette période entre les modèles expérimentés au xviip siècle et qui se rattachent encore à la formation professionnelle et à l’apprentissage, d’une part et entre une pratique plus nouvelle qui n’a fait l’objet que d’expériences fragiles
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- comme celle du Lycée des Arts en 1793, d’autre part. Les responsables ne trancheront définitivement qu’en 1819, avec l’instauration d’un haut enseignement des sciences appliquées, destiné à la formation scientifique et technique de toutes les catégories industrielles, renouant ainsi avec la pensée visionnaire de Lavoisier.
- Ce que le Conservatoire doit plus particulièrement à la Révolution est incontestablement ses fondements idéologiques qui s’expriment dans la définition d’un enseignement « libre et gratuit », définition d’un mode d’enseignement qui distingue le Conservatoire de l’ensemble des institutions vouées à l’enseignement technique et industriel. Ces valeurs fondatrices de l’enseignement du Conservatoire s’enracinent dans les revendications populaires de l’an IL Cette référence n’a pas été assez mise en valeur pour éclairer la singularité du Conservatoire dans le sytème d’instruction technique qui se met en place à partir de 1794. Seul Anatole de Monzie ancien ministre de l’Education Nationale et président du Conseil d’Administration de Conservatoire de 1935 à 1945, y fait allusion dans un texte peu connu mais remarquable, intitulé « Le Conservatoire du Peuple »(40).
- Le Conservatoire demeure pendant plus d’un demi-siècle la seule institution d’enseignement qui se réfère explicitement à ces principes de l’an IL Dès l’époque Directoire et plus franchement sous la Restauration, le gouvernement revint rapidement à une politique d’éducation en faveur des élites, ce qui explique à la fois le succès d’une autre institution créée par la Convention, l’Ecole polytechnique, et les difficultés du Conservatoire à s’imposer au cours des trois décennies qui suivent sa création(41).
- 40. A. de Monzie - Op. cit. Les débuts (an II à 1819). Chap. III, p. 45 à 57.
- 41. R. Tresse - « L’Ecole Polytechnique et le Conservatoire des Arts et Métiers de 1794 à 1814 ». 8 p. dactyl. (Doc. CDHT 923).
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- Indications bibliographiques complémentaires
- ARTZ (F.B.) - Les débuts de l’éducation technique en France (1500-1700). Revue d’histoire moderne, n° 29/30, sept.-déc. 1937, p. 469-519.
- BALLOT (C.) - L’introduction du machinisme dans l’industrie française. Genève, 1923.
- CASPARD (P.) - Un chantier déserté : l’histoire de l’enseignement technique. Formation - Emploi, INRP, 1989, n° 27/28, p. 193.
- CHAPTAL - De l’industrie française. Paris, 1819 (chap. VI sur l’apprentissage).
- BOUTRY et al. - Cent-cinquante ans de haut enseignement technique au Conservatoire National des Arts et Métiers. Paris, CNAM, 1970,
- 188 p.
- CHARLOT (B.) et FIGEAT (M.) - Histoire de la formation des ouvriers (1789-1884). Paris, Minerve, 1988.
- CHATELAIN (A.) - Pour une histoire sociale de l’enseignement technique au xixc siècle. Technique, Art, Science. Paris, 1955, n° 8.
- DAY (Ch.) - Education for the industrial world. The Ecole d’Arts et Métiers and the Rise of French Industrial Engineering. MIT Press, 1987.
- EDMONSON (J.) - From mécanicien to ingénieur. Technical éducation and Machine industry in xix"' century, France. New-York /London, Garland Publishing, 1987 (Thèse d’Université de Delaware, 1981) -chap. 1 : L’éducation technique en France, 1750/1850).
- FOX (R.), WEISZ (G.) ed. - The organisation of science and technology in France (1808-1914). Cambridge, Cambridge University Press et Paris, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1980.
- LEON (P.) - Analyse de la demande de formation au xixe siècle. Education permanente. Mars 1982, n° 62/63.
- - Promesses et ambiguités de l’œuvre d’enseignement technique en France (1800-1815). Annales historiques de la Révolution Française, 1970, vol. 42, n° 201.
- MORIN (A.) - Note sur le Bureau de Consultation des Arts et Métiers créé le 12 septembre 1791. Annales du Conservatoire, tome 8, 1867.
- de PLACE (D.) - Le Bureau de Consultation pour les Arts, Paris 1791-1796. History and Technology, 1988, vol. 5, pp. 139-178.
- TRESSE (R.) - Les origines d’une institution nationale. Le Conservatoire National des Arts et Métiers. Revue des travaux de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, 1952, 1er sem., p. 101-111.
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- Les Cahiers d’histoire du CNAM, 1992, 1, 45-74
- Le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, un philanthrope français (1747-1827)
- Charles R. Day*
- Les quatre-vingts ans de la vie du duc de La Rochefoucauld-Liancourt (1747-1827) embrassent plusieurs régimes et s’étendent de l’Ancien Régime à la Restauration, en passant par la Révolution et l’Empire. Ce fut une époque bien remplie qui a vu l’avènement de l’âge de la science, de la technologie et de l’industrie et la montée de la bourgeoisie et du peuple. Les idées du duc reflétaient les accomplissements et les tensions de ce temps : dans le milieu politique, il était à la fois monarchiste constitutionnel et libéral ; et dans sa vie personnelle, c’était un grand seigneur, un homme des Lumières, un propriétaire foncier, un industriel, et un philanthrope. Malgré ce caractère universel, et à part quelques années sous Louis XVI, il ne jouit pas de l’influence directe sur la politique d’un Mirabeau, Chaptal, Talleyrand, La Fayette, ou bien d’un Jefferson, Adams, Franklin, ses amis américains. Quoiqu’il ait été un industriel et propriétaire très avisé, on se souvient plus de lui aujourd’hui pour sa philanthropie et son action au service d’autrui que pour ses réussites professionnelles.
- En fait, l’originalité de la vie et de la pensée du duc se trouve dans l’accord entre ses idées et ses actes. Homme modeste et réservé, qui n’aimait pas les grandes causes, les dogmes et les idéologies, il s’intéressait à toutes les évolutions importantes de son temps, qu’elles soient scientifiques, agronomiques, industrielles, médicales, pédagogiques ou institutionnelles. Son existence lui a donné une compréhension des problèmes de son époque et lui a fait prendre conscience de la nécessité de trouver des solutions avant l’avènement de changements inexorables. Il a compris surtout la nécessité de faire bénéficier les classes laborieuses des bienfaits de la science et de l’industrie et d’assurer la coopération
- * Professor of History, Simon Fraser University, Burnaby, B.C., Canada V5A 1S6.
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- de toutes les classes à la création d’une société libérale, sociale et démocratique. Il a prévu le rôle central de l’Etat dirigiste moderne, spécialement dans les domaines de l’économie, de l’éducation nationale et de l’aide sociale. Au cours de sa vie, il a pu réaliser des réformes d’une très grande envergure : l’introduction de la vaccine en France en 1800, la création des Ecoles d’Arts et Métiers, des Caisses d’épargne et l’amélioration des prisons et des hôpitaux.
- L’Ancien Régime
- François Alexandre Frédéric de La Rochefoucauld, duc de La Rochefoucauld-Liancourt, était le fils de Louis François Armand de la Rochefoucauld de Roye, duc d’Estissac (1695-1783) et de Marie de La Rochefoucauld. Il tire son origine des deux côtés de la famille La Rochefoucauld. Du côté de sa mère, il descend de Louvois, dont il est l’arrière-arrière petit fils, et par son père, de François, duc de La Rochefoucauld (1613-1680), l’auteur des Maximes. Issu d’une famille « vertueuse jusqu’à la sévérité », il étudie le latin au collège et reçoit aussi des leçons de précepteurs(1). S’intéressant aux idées des Lumières, et surtout des physiocrates, il connaît Condorcet, d’Alembert, Turgot, Mably, parmi d’autres. A 16 ans, il commence sa carrière dans l’armée et devient commandant de régiment puis colonel des dragons. A 17 ans, il épouse Sophie Félicité de Lannion, fille de Marie de Clermont-Tonnerre, qui est issue d’une autre branche de la famille La Rochefoucauld. Cette union a donné trois fils et une fille. Lors de l’exil aux Etats-Unis, La Rochefoucauld et sa femme divorceront(2).
- Attaché au duc de Choiseul, l’ennemi de Mme du Barry, il partage sa disgrâce et s’exile à Chanteloup en 1770. Ensuite, il voyage en Angleterre et en Suisse, où il étudie les nouvelles méthodes d’agriculture. Après la mort de son père en 1783, Liancourt, fils unique, s’occupe de la gestion de ses domaines, dont la plupart se trouvent dans le futur département de l’Oise, au nord de Paris. Il prend en charge aussi la fonction de grand maître de la Garde-robe du roi, achetée par son père en 1768 pour 400 000 livres. A la suite de ses voyages en Angleterre et en Suisse, il
- 1. François-Alexandre-Frédéric de La Rochefoucauld-Liancourt, Fragments de Mémoires du duc de La Rochefoucauld-Liancourt sur sa vie politique, s.d.
- 2. J.D. de La Rochefoucald, C. Wolikow et G. Ikni, Le duc de la Rochefoucauld-Liancourt 1747-1827, de Louis XV à Charles X. Un grand seigneur patriote et le mouvement populaire. Paris : Perrin, 1980, pp. 41-74. Voir surtout l’introduction, pp. 13-40.
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- améliore les modes de culture de ses terres : il remplace le système de jachère par des prairies artificielles, il instaure l’alternance des cultures, fait planter pommes de terres et navets, importe les races de bestiaux les plus fécondes et remembre ses terres. Il établit également une fabrique de cardes, une filature de coton et une filature de laine dans le village de Liancourt et une tuilerie-briqueterie à Rantigny(3).
- En 1780, il fonde dans la ferme de la Faïencerie, en haut de la montagne de Liancourt, une école technico-militaire destinée aux enfants des soldats et aux orphelins de son régiment. En 1786, l’école compte près de cent élèves et reçoit l’agrément d’une ordonnance royale. Le duc veut que soient enseignés les matières de base aussi bien que les métiers, afin de former « des citoyens instruits et laborieux. » Il s’intéresse beaucoup à l’école et aux élèves. Le personnel se compose des officiers et des sous-officiers invalides de son régiment. Malgré ses limites, l’école de La Montagne représente le premier essai en France pour relier l’éducation élémentaire à l’enseignement technique, à l’intention des enfants pauvres(4).
- Liancourt partage son temps entre le château de Liancourt, son hôtel à Paris et son appartement à Versailles. Réservé, affligé d’un défaut d’articulation (il bégaie), il évite les salons mais entretient des amitiés avec des philosophes et réformateurs, notamment avec Turgot et Malesherbes, et plus tard avec Jacques Necker. De par ses fonctions de grand maître de la Garde robe, il jouit d’un accès permanent au roi. Il use de son influence et de son amitié avec le monarque pour promouvoir les réformes et spécialement l’amélioration des hôpitaux, des prisons et des œuvres de secours aux pauvres, la réforme judiciaire et la tolérance envers les protestants et d’autres minorités. Pendant les années 1780, sous le règne de Louis XVI, La Rochefoucauld dispose d’une influence sur la politique qu’il n’aura plus dans l’avenir. Il croira pour le reste de sa vie à la Monarchie constitutionnelle dont la légitimité est fondée sur le soutien du peuple et le service du pays tout entier(5).
- 3. Ferdinand Dreyfus, La Rochefoucauld-Liancourt, 1747-1827. Un philanthrope d’autrefois. Paris : Plon, 1903, pp. 32-38.
- 4. C.R. Day, Les Ecoles d’Arts et Métiers. L’enseignement technique en France, xix-xx siècle. Paris : Belin, 1991, pp. 111-115.
- 5. Frédéric-Gaëtan La Rochefoucauld-Liancourt, Comte de, Vie du duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Paris : Delaforest, 1827, pp. 21-23. Par le troisième fils du duc.
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- La Révolution
- En mars 1789, Liancourt est élu député aux Etats Généraux du deuxième état du Clermont-en-Beauvaisis. Aristocrate libéral, il appartient, selon Georges Lefebvre, au Comité des Trente ; il vote pour l’union des états et la formation d’une Assemblée nationale en juin(6). Le 25 juin, il est un des 47 nobles libéraux qui quittent le deuxième état pour s’intégrer à l’Assemblée nationale. Après la prise de la Bastille, le soir du 14 juillet, « il traversa la cour royale, le salon de la Guerre, la Grande Galerie, le cabinet du Conseil, pénétra jusqu’à la porte de la chambre royale ; sa charge lui en permettait l’accès ; il entre et va droit à l’alcôve. Le roi dort ; il l’éveille et lui apprend les événements de la capitale : « C’est une grande révolte, lui dit Louis XVI. Non, Sire, lui répondit Liancourt, c’est une révolution ! »(7)
- Liancourt persuade le roi de se mettre à la tête du mouvement populaire pour l’application d’un vaste programme de réformes dont la monarchie sortirait grandie(8). Le 18 juillet 1789, La Rochefoucauld est élu le premier président de l’Assemblée constituante. Il facilite le retour de Necker le 29 juillet et, avec le duc d’Aiguillon, organise la nuit du 4 août au cours de laquelle l’aristocratie et le clergé renoncent à leurs privilèges féodaux.
- Le 21 janvier 1790, il persuade l’Assemblée de créer un Comité de la mendicité afin de rédiger un rapport « sur les moyens de détruire la mendicité. » La Rochefoucauld est élu président de ce comité. Selon Alan Lorrest, c’est « a spokesman of the highest calibre, indefatigable in pursuing his proposed reforms and in pressing them on both deputies and hospital administrators »(9). Le comité tient 70 réunions pendant les dix-huit mois qui suivent, invitant les experts et lançant des enquêtes statistiques sur le rôle de l’assistance publique, les détenus des asiles, des hôpitaux, des maisons de détention et des prisons, et ce dans 85 départements. Les résultats, qui surprennent même La Rochefoucauld, révèlent que la pauvreté est beaucoup plus répandue qu’on ne l’avait cru, en n’étant pas seulement confinée aux vagabonds et mendiants. Entre une personne sur 5 et 10 en Lrance, selon les régions, souffre des effets de la pauvreté(10).
- 6. G. Lefebvre, La Révolution française. Paris : PUF, 3e éd., 1963, p. 121.
- 7. F. Dreyfus. Un philanthrope d’autrefois, p. 12.
- 8. J.D. de La Rochefoucauld. Un grand seigneur patriote, pp. 149.
- 9. Alan Forrest, The French Révolution and the Poor, Oxford : Blackwell, 1981, p. 30.
- 10. Ibid., pp. 24-25.
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- Dans le Plan pour les travaux du Comité de mendicité, La Rochefoucauld écrit : « Tout homme a droit à sa subsistance ... cette vérité fondamentale de toute société a paru au Comité la base de toute loi... »(11) La charité doit céder la place au concept nouveau de « la bienfaisance », l’obligation de la société d’aider tous ceux qui ne peuvent pas se défendre ; le secours public n’est pas une charité mais un droit humain que la nation doit à ses citoyens. A cause de la fin du régime seigneurial et du déclin du rôle charitable de l’Eglise, seul l’Etat se trouve capable d’assumer la responsabilité de l’assistance publique et de l’instruction populaire au niveau national. En général, les arguments du comité persuadent les assemblées nationales (la Constituante, la Législative, la Convention) d’accepter la responsabilité de la bienfaisance. Sous le Directoire, cependant, l’inflation et la guerre ruinent les finances publiques et inquiètent les hommes d’Etat. Dépourvus de sources traditionnelles de revenus, les hôpitaux, les asiles, les maisons de charité connaissent un grave déclin.
- En sa capacité de président de l’Assemblée et de président du comité de la mendicité, La Rochefoucauld-Liancourt joue un rôle actif pendant les années 1789 à 1790, mais après la fuite du roi à Varennes (le 20 juin 1791), sa position, comme celle des Feuillants en général, est compromise. Avec la fin de la Constituante le 30 septembre 1791 et la renonciation des députés à se présenter aux élections à la nouvelle assemblée, La Rochefoucauld cesse d’être député. La guerre contre l’Autriche survenant en 1792, il demande et reçoit la commande du secteur de Rouen, une ville favorable aux Feuillants. Son plan de faire venir le roi à Rouen échoue, comme beaucoup d’autres projets similaires. Comme le roi est dépourvu de ressources, le duc lui donne 160.000 livres de sa propre fortune(12).
- La chute de la monarchie, le 10 août 1792, oblige le duc à fuir en Angleterre. Refusant de se joindre aux émigrés, il voyage aux Etats-Unis et au Canada (1792-1799) où il renoue avec Franklin, Jefferson, et John Adams. Il rédige un compte-rendu de ses voyages et fait une étude sur les prisons de Philadephie(13). Il
- 11. La Rochefoucauld-Liancourt. Plan pour les travaux du Comité de mendicité. Paris, 1790, p. 5.
- 12. Charles J.D. Lacretelle, Dix années d’épreuves pendant la Révolution, Paris, 1842, pp. 57, 93-107.
- 13. La Rochefoucauld-Liancourt, Des prisons de Philadelphie par un Européen, augmenté de quelques idées sur les moyens d’abolir promptement en Europe la peine de mort., lre éd., 1796, 2e et 3e éd., Amsterdam, 1798,4e éd., Paris, 1819. Voyage dans les Etats-Unis, Paris, an VII, 6 vol.
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- souffre aussi de la solitude et de l’isolement : « Comme émigré, je suis rayé de la liste des citoyens français : proscrit, banni, je ne suis donc pas citoyen français, je n’ai même pas le droit d’en porter les enseignes... »*14) Dans le monde des affaires, il trouve les américains obsédés par l’argent et la spéculation foncière. Homme du centre en politique, il pense que les fédéralistes sont trop conservateurs et les démocrates trop jacobins. Il compatit au triste sort des indiens et des noirs : « Le traitement des indiens, l’esclavage des nègres sont deux taches, deux grandes taches pour la liberté américaine. » Mais de telles sympathies sont rares à l’époque. Jefferson est propriétaire d’esclaves et la plupart des hommes d’Etat américains ne pensent pas à l’assimilation des peuples indigènes. Talleyrand trouve les indiens « bornés, indolents et par-dessus tout, repoussants de saleté »(15). De plus en plus, La Rochefoucauld ne rêve que de retourner en France, ce qui lui est finalement permis en 1799, après sept ans d’exil.
- L’Empire
- Lors de son retour en France, La Rochefoucauld découvre que ses terres ont été confisquées et vendues. Heureusement le Département de l’Oise avait conservé le château et son parc pour y abriter l’école de la Montagne, la future Ecole d’Arts et Métiers. Manquant d’argent pour restaurer le château qui était très délabré, il démolit tout sauf une aile, dans laquelle il réside. Il fait déboiser le parc et utilise les revenus qui en proviennent pour le rachat de certaines de ses terres et pour la mécanisation de ses trois fabriques. En 1801, il figure déjà parmi les douze propriétaires les plus imposés du département(16).
- La Rochefoucauld avait créé trois usines dans les années 1780 : une filature de coton, une fabrique de cardes et une fabrique de calicots, plutôt comme une extension de l’économie foncière, mais ces fabriques, trop décentralisées, n’avaient pas réussi. En 1800, le duc fait importer d’Angleterre de nouvelles machines, les mulejen-nys. La mécanisation et la réorganisation, outre la protection douanière de Napoléon, permettent aux filatures de prospérer. En
- 14. J.D. La Rochefoucauld, Un grand seigneur patriote, pp. 257-268.
- 15. Ibid., pp. 255-257.
- 16. F. Dreyfus, Un philanthrope d’autrefois, p. 253. En 1813, il était le second sur une liste des 600 personnes les plus imposées du département. J.D. de La Rochefoucauld et al., Un grand seigneur patriote, p. 286. Voir aussi Cambry, Description du département de l’Oise, p. 313.
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- 1802, il y avait 20 ouvriers, quelques années plus tard ils étaient 446 (dont 400 enfants, des jeunes filles pour la plupart)(17). Selon la statistique de Chaptal, Liancourt possédait environ un tiers des broches recensées dans le Beauvaisis, mais le département de l’Oise était de loin inférieur au département du Nord en ce qui concerne l’industrie textile(18). Le duc favorisait la protection contre les fils et tissus anglais, et aussi contre les fers étrangers(19). L’Empereur lui décerne la croix de la Légion d’honneur et le fait entrer au Conseil général des fabriques, créé le 31 août 1810.
- La Rochefoucauld s’est rallié à l’Empire, mais Napoléon, peu intéressé par la philanthropie et toujours à la recherche de fonctionnaires dociles, le néglige pour des postes élevés. Son ami, Chaptal, ministre de l’Intérieur entre 1800 et 1804, est plus souple et plus ambitieux. Sa présence à l’Intérieur donne au duc l’occasion de réaliser quelques réformes. En 1800-1801, il introduit la vaccine en France, à ses propres frais, et à Liancourt le 6 février 1801 a lieu la première vaccination publique. Il persuade Chaptal d’introduire quelques réformes pour améliorer le sort des malades, des prisonniers, des enfants trouvés et des pauvres, dont la condition s’est beaucoup dégradée pendant le Directoire(20). Il s’occupe aussi officieusement de l’inspection de l’Ecole d’Arts et Métiers.
- Les Ecoles d’arts et métiers
- A son retour en France en 1799, Liancourt avait bien compris l’importance de la machine à vapeur pour l’industrie, et quelle révolution sociale elle allait entraîner. Si la France voulait concurrencer l’Angleterre, il fallait qu’elle crée un système d’enseignement primaire public et s’intéresse davantage à la formation professionnelle. Il persuade Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur en 1800, de transférer l’école de Liancourt, qui était en piètre état, à Compiègne, où elle faisait partie du Prytanée militaire. Chaptal, chimiste et homme d’affaires, ministre de l’Intérieur de 1800 à 1804, s’associa aux idées du duc sur l’enseignement techni-
- 17. Statistique industrielle du Canton de Creil à l’usage des manufacturiers de ce canton. Senlis, Tremblay, 1826, pp. 47-55.
- 18. J.-A. Chaptal, De l’industrie française, tome 2, Paris, 1819, p. 140.
- 19. La Rochefoucauld-Liancourt, le duc de, Opinion sur le projet de loi relatif à l’importation des Fers étrangers, Chambre des Pairs de France, séance du 29 novembre 1814.
- 20. F. Gaëtan de La Rochefoucauld, Vie du duc, pp. 50-51.
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- que. En 1803, l’école de Compiègne fut transformée en Ecole d’arts et métiers pour la formation d’ouvriers qualifiés et de contremaîtres, et en 1804 la décision était prise de créer une deuxième Ecole d’arts et métiers à Beaupréau (Maineet-Loire), ouverte en 1811 et transférée à Angers en 1815(21). En 1806, l’école de Compiègne fut transférée dans une installation plus convenable à Châlons-sur-Marne. La même année, La Rochefoucauld fut nommé Inspecteur général, fonction qu’il conserva jusqu’en 1823.
- Lors de ses inspections à Châlons, le duc manifestait son souci d’instaurer un enseignement technique distinct du système des lycées et associant formation théorique et pratique. Le programme comprenait l’introduction à la mécanique, à la physique, à la chimie, l’algèbre, la géométrie appliquée, le dessin industriel, le français, et les ateliers d’ajustage, de métallurgie, de fonderie, du bois et d’autres métiers. L’objectif était de produire des ouvriers et contremaîtres qui seraient à la fois formés et avisés, « les sous-officiers de l’armée industrielle »(22). Le duc voulait tirer des leçons à la fois pratiques et morales du cursus et des expériences dans l’atelier. On trouve dans la pédagogie de Liancourt le souci constant de moraliser les activités professionnelles et la vie économique (23).
- La Rochefoucauld a essayé plusieurs fois de réformer les programmes et la vie intérieure des écoles, notamment en 1817, mais en pratique ses efforts furent largement frustrés pour quatre raisons : 1) Les idées du duc sur une pédagogie moderne associant théorie et pratique n’intéressaient que quelques réformateurs d’avant-garde. Les professeurs de Châlons préféraient former quelques élèves d’élite dans des spécialités mathématiques et scientifiques plutôt que de suivre la pédagogie liant théorie et pratique. 2) Le recrutement des deux écoles était hasardeux ; les élèves manquaient d’aptitudes aux études techniques, et par conséquent la discipline était très mauvaise. Napoléon envoyait les orphelins de guerre et fils de soldats de tous les âges à Châlons et, après 1809, il recruta de plus en plus d’élèves pour la conscription. La Restauration y envoya les fils du petit personnel de la Cour, et essaya de transférer Châlons à Toulouse en 1823. 3) De plus, les
- 21. Archives Nationales F12 (Ministère de l’Industrie et du Commerce) 1096-1129b. Ecole d’Angers, d’abord à Beaupréau. AN XI-1829, et F12 1130a-1226b. Ecole de Châlons, d’abord à Compiègne. An X-1841. C.R. Day, op. cit., pp. 115-125.
- 22. Annuaire de la Société d’anciens élèves des Ecoles d’Arts et Métiers, I (1848), pp. 15-32.
- 23. Arch. Nat. Fl2 1085, La Rochefoucauld au Ministre de l’Intérieur, 24 mai 1808, 15 janvier 1807. Fl2 1084, 8 novembre 1808.
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- ateliers des écoles étaient mal équipés et les mentalités pré-industrielles de l’artisanat prévalaient dans les écoles, où aucune machine à vapeur ne devait être installée avant les années 1840 ; l’énergie nécessaire aux ateliers était fournie par le vent ou l’eau, parfois par des chevaux, des travailleurs de force ou les élèves eux-mêmes. 4) En réalité, l’industrie française n’était pas suffisamment développée pour que les patrons puissent comprendre l’importance du personnel d’encadrement ; comme les artisans, ils favorisaient la formation sur le lieu de travail plutôt que dans les écoles, ce qui rendait difficile l’embauche des élèves à la fin des études(24).
- Aussi sous l’Empire et la Restauration beaucoup d’anciens élèves choisissaient-ils des postes dans l’armée ou l’administration plutôt que dans l’industrie, ce qui provoqua bien des critiques au motif que les écoles gaspillaient l’argent des contribuables. En 1831, Arago essaya de persuader le Parlement de remplacer les écoles d’arts et métiers par dix écoles municipales professionnelles situées dans les grands centres industriels. En 1849, Berryer demanda leur suppression, et pendant le Second Empire, Anthime Corbon et Frédéric Le Play les accusèrent d’arracher les jeunes gens au foyer et à l’atelier paternel au profit d’un enseignement qui n’avait aucun lien avec le travail réeE25).
- En fait, les écoles furent créées trop tôt, en avance sur leur temps. L’avènement du chemin de fer sous la Monarchie de Juillet et le développement rapide des industries mécaniques et métallurgiques qui s’en est suivi, aussi bien que la réforme des programmes et des ateliers en 1832, a amené une grande amélioration du recrutement, de la formation technique, et du placement des élèves dans les industries mécaniques qui ont ressenti tout d’un coup un énorme besoin de contremaîtres et chefs d’atelier formés dans les écoles. Si les Ecoles d’arts et métiers n’ont pas réussi sous la tutelle de La Rochefoucauld entre 1806 et 1823, il faut souligner que les efforts du duc se sont heurtés à une multitude d’obstacles. Sur le long terme, sa vision s’est trouvée justifiée, et les six écoles (d’abord Châlons et Angers puis Aix-en-Provence, 1843, Cluny 1891, Lille, 1901, Paris, 1912, et Bordeaux, 1974) ont contribué de façon très importante à la technologie industrielle de la France.
- 24. Arch. Nat. F12 1085. Rapport de 1806.
- 25. Annuaire de la Société des Anciens Elèves, 3 (1850), pp. 155 ; 12. André Guettier, Histoire des Ecoles impériales d’Arts et Métiers, Paris, 1865 (2e éd. 1880), pp. 53-54, 350-351, 356-374. A. Corbon, L’enseignement professionnel, Paris, 1859 ; F. Le Play, Les ouvriers européens. Etudes sur les travaux, la vie domestique et la condition des populations ouvrières de l’Europe. Paris, 1855.
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- Un des plus grands freins au progrès des écoles sous l’Empire et la Restauration fut le problème de l’indiscipline, surtout à Châlons. Malgré ses interventions personnelles, le duc ne put améliorer l’atmosphère d’indifférence aux études et d’indiscipline à Châlons. La plupart des élèves de Châlons étaient des enfants de soldats ou des orphelins de guerre, et nombre d’entre eux savaient à peine lire. Vols, chahuts, révoltes et évasions étaient la plaie de l’école. Les élèves ne redoutaient pas les punitions ni même l’expulsion. En 1807, La Rochefoucauld, avec l’appui du ministre de l’Intérieur, décida de placer l’école sous régime militaire. Les élèves furent organisés en régiments et compagnies, commandés par des anciens soigneusement choisis et baptisés sergents ou caporaux. Les « fautes graves » furent définies en termes militaires : désertion, insubordination, vol et mutinerie. La punition devait être, selon La Rochefoucauld, « prompte et exemplaire », et, dans les cas les plus graves, aller jusqu’à un ou deux mois de détention dans une prison du département. Tout gendarme attrapant un déserteur recevrait une prime de 3 francs, payable « à la remise de l’élève à l’école »(26).
- Pour prévenir les évasions, le duc voulait « un redoublement de surveillance et l’isolement de l’école. » Il fit réparer les murs, acheter et démolir les maisons avoisinantes, redoubler les tours de garde. Cet enfermement de Châlons accompagnait l’introduction de surveillants militaires en 1809 et instaurait un régime de surveillance permanente qui ôtait aux élèves toute possibilité de vie privée et tout moyen d’épancher leurs jeunes énergies(27). L’influence du corps professoral diminua au profit d’une administration toute puissante, et les professeurs ne furent plus désormais que des employés aux ordres, mal payés, mécontents de leur sort et s’intéressant peu à la vie de l’Ecole(28). Cette conséquence des réformes de La Rochefoucauld était le fruit des conceptions classiques de l’époque sur la possibilité de modifier les comportements.
- A la décharge du duc, on doit reconnaître qu’il n’a admis ni les châtiments corporels ni l’exclusion ; pour des élèves qui n’avaient pas de foyer (beaucoup étaient orphelins de guerre), cela serait revenu à les pousser au désordre. La formation d’un encadrement choisi parmi les élèves permettait d’éviter aux soldats de mettre
- 26. Arch. Nat. F12 1085, Directeur de l’Ecole de Châlons au Ministre de l’Intérieur, 23 avril 1806, 13 mars 1807 ; Fl2 1084, La Rochefoucauld au ministre, 24 mai 1809.
- 27. Ibid.
- 28. Arch. Nat. F12 1085, septembre 1806, 15 janvier 1807.
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- eux-mêmes la main sur les élèves désobéissants. En outre, La Rochefoucauld n’introduisit ces dispositions sévères que contre son gré ; il tenta de persuader les élèves d’améliorer leur conduite. Il visitait régulièrement les écoles, prodiguant ses conseils, son assistance et quelquefois son argent aux élèves les plus démunis. Il utilisait également ses relations pour trouver du travail aux meilleurs d’entre eux et soutenait financièrement les efforts de plusieurs pour fonder des ateliers(29). A une époque où les classes supérieures regardaient de très haut la classe ouvrière et le travail manuel, lui au moins prenait les élèves au sérieux et respectait ce qu’ils entreprenaient.
- Après sa révocation en 1823, les écoles tombèrent dans les mains des cléricaux et le régime devint beaucoup plus dur. Le duc dut aller jusqu’à embaucher un avocat pour protéger des élèves injustement inculpés par une administration capricieuse, d’avoir provoqué une émeute(30). Pendant la Monarchie de juillet (1830-1848) les écoles furent réformées et, avec l’avènement de la révolution industrielle, les anciens élèves furent de plus en plus recherchés par les chemins de fer et les industries mécaniques et métallurgiques(31). Après sa mort en 1827, La Rochefoucauld fut quasi canonisé par les élèves comme le Père fondateur et protecteur des écoles et des « gadzarts ». La Société des anciens élèves, fondée en 1847, a érigé un monument au duc en 1860 à Liancourt ; à chaque banquet, un buste du duc, orné des armoiries des écoles et de drapeaux, souvenirs et reliques, est placé au centre de la salle comme une sorte de châsse. Il est obligatoire de porter un toast au duc comme s’il était encore vivant, au milieu de tous. La mémoire du Père fondateur a joué aussi un rôle très important dans les fêtes du centenaire de 1880 et du bicentenaire de 1980(32).
- Le duc, le Conservatoire des arts et métiers et les Sociétés philanthropiques sous la Restauration
- A partir de 1815, La Rochefoucauld s’engage de plus en plus dans les sociétés philanthropiques, notamment comme président ou membre du conseil de perfectionnement de la Société pour
- 29. C.R. Day, Les Ecoles d’Arts et Métiers, pp. 216-315.
- 30. Ibid., p. 218. Voir surtout F12 1152, 19 février 1827.
- 31. Day, chap. 9 et 10.
- 32. Ibid., p. 268. Il y a actuellement une école, aujourd’hui grande école d’ingénieurs, comprenant six centres régionaux (Angers, Aix, Bordeaux, Châlons, Cluny, Lille) et un centre parisien où sont réunis tous les élèves en dernière année.
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- l’Instruction élémentaire (président en 1818 et 1821), de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (censeur, 1817-1827), du Conseil des fabriques et manufactures (vice-président 1815), et du Conservatoire des arts et métiers (président 1817-1823). Les personnels de toutes ces sociétés se connaissent et collaborent avec le Conservatoire des arts et métiers, en particulier la Société d’encouragement(33). Le Conservatoire, fondé en 1794, était un musée de techniques industrielles et un dépôt de machines, modèles, dessins et livres dans tous les genres d’arts et métiers, qui offrait aussi des cours publics en sciences appliquées et industrielles. Claude-Pierre Molard, démonstrateur au Conservatoire depuis 1794 et administrateur entre 1800 et 1816, fut l’ami et collaborateur de Chaptal et de La Rochefoucauld. Ils envisagaient la création d’un réseau d’écoles professionnelles formant leurs élèves au dessin industriel, à la mécanique, à la chimie appliquée aux arts et à la construction des machines et outils. Le Conservatoire serait un centre vers lequel se dirigeraient les meilleurs élèves des Ecoles d’arts et métiers et d’autres écoles professionnelles(34). Ainsi, une école pratique de filature et de tissage fut ouverte en 1804, et une « petite école » de dessin pour enseigner le dessin de machines et d’ornement et la géométrie descriptive selon la nouvelle méthode de Monge fut créée au Conservatoire en 1806(35).
- En 1814, l’inspection de Liancourt sur les Ecoles d’arts et métiers s’étend au Conservatoire. Le 16 avril 1817 est fondé un Conseil de perfectionnement du Conservatoire que Liancourt préside. La Rochefoucauld joue donc un rôle central au Conservatoire entre 1814 et sa retraite en 1823 et il est vraisemblable qu’il a été nommé à ces fonctions afin de faciliter les liens du Conservatoire avec les Ecoles d’arts et métiers, et avec les industries mécaniques en France. Chaptal a rejoint le Conseil de perfectionnement du Conservatoire en 1818. Le duc et Chaptal travaillent ensemble pour organiser l’exposition industrielle de 1819. Cette exposition se situe à la suite d’autres expositions montées en 1798, 1801, 1802, et 1806 ; Chaptal et Molard avaient été les organisateurs de deux d’entre elles, en 1801 et 1802(36). En 1819, La
- 33. René Tresse, « Le Conservatoire des Arts et Métiers et la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale au début du xix' siècle. » Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, V, 3 (1952), pp. 246-264.
- 34. J.-A. Chaptal, Mes souvenirs sur Napoléon. Paris : Plon, 1893, pp. 90-92, 100.
- 35. René Taton, L’œuvre scientifique de Monge, Paris: PUF, 1957, pp. 368-375, et Frédéric Artz, The Development ofTechnical Education in France 1500-1870, Cambridge, Mass. : the MIT Press, 1966, p. 101.
- 36. René Tresse, « J. A. Chaptal et l’enseignement technique de 1800 à 1819», Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, X, N° 2 (1957), pp. 167-174.
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- Rochefoucauld est chargé de l’organisation du travail préparatoire et il est nommé président du jury central. Le 25 septembre, l’Exposition est ouverte au Louvre par le Roi. Dans son discours, La Rochefoucauld célébré « l’alliance de l’industrie du peuple avec la grandeur et la majesté du trône » et le progrès industriel « qui, pendant 25 ans, avait donné à la France les industries qui lui manquaient. » Le duc a la satisfaction de voir l’Ecole de Châlons gagner une des deux médailles d’or attribuées à la section des arts mécaniques(37).
- Entre 1798 et 1818 la conception d’une « technologie mécanicienne », issue de l’esprit de l’Encyclopédie, a prédominé au Conservatoire. Chaptal, Molard et La Rochefoucauld, tous hommes du 18e siècle, ont essayé de mettre sur pied les petites écoles professionnelles spécialisées pour mieux servir les industries naissantes(38). Cependant cette approche n’était pas acceptée par un groupe de jeunes scientifiques, Dupin, Arago, Thénard, Gay-Lussac, qui la trouvaient démodée et trop artisanale. En 1819, Charles Dupin, polytechnicien, ingénieur de la Marine, a pris l’initiative d’instaurer au Conservatoire un haut enseignement scientifique destiné à enseigner aux producteurs la mécanique, la physique, la chimie, et l’économie industrielle. Ayant quitté la Marine en 1816, Dupin s’est rendu en voyage d’information en Grande Bretagne où il a découvert le Mechanics Institute de Glasgow dans lequel les constructeurs de machines à vapeur initient leurs ouvriers aux notions de physique et de géométrie(39). De retour en France en 1818, il propose la transformation du Conservatoire en « une haute école d’application à la Science au Commerce et à l’Industrie publiquement et gratuitement ouverte aux adultes »(40). En 1819, il persuade le duc de Decazes, ministre de l’Intérieur, de nommer une commission de trois personnes, dont Arago, Thénard, et Clément-Desormes, pour étudier la création d’un enseignement technique supérieur. L’ordonnance du 25 novembre 1819, rédigée par Arago, établit au Conservatoire un enseignement public et gratuit pour l’application des sciences aux arts industriels. Charles Dupin, Nicolas Clément-Desormes et Jean-Baptiste Say, sont nommés professeurs de trois nouveaux cours en mécanique, en chimie et en économie industrielle.
- 37. Dreyfus, pp. 417-418.
- 38. R. Tresse, « Evolution de l’enseignement donné au Conservatoire des Arts et Métiers 1798-1939, Techniques, Arts, Sciences, 186-187 (février-mars 1965), pp. 16-25.
- 39. Ibid., pp. 18-20.
- 40. F.C.P. Dupin, Mémoires sur la marine et les ponts et chaussées de France et d’Angleterre, Paris, 1818, pp. 67-70. Voir aussi Avantages sociaux d’un enseignement public appliqué à l’industrie, Paris, 1824.
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- La Rochefoucauld manifesta de la réserve devant la création de ces trois cours, c’est-à-dire devant l’idée d’introduire l’enseignement technique supérieur au Conservatoire(41). Les trois professeurs voulaient recevoir leur traitement pour l’année 1820 ; La Rochefoucauld ne voulait verser qu’un demi-traitement pendant toute la période durant laquelle les cours n’avaient pas effectivement commencé et alors qu’un nouvel amphithéâtre était en construction. Il écrivait le 8 août 1820 : « On ne peut douter que l’ordonnance de novembre sur le Conservatoire n’en ait été une de précipitation, rendue sans connaissance au moins apparente ni des localités du Conservatoire, ni même des ordonnances précédentes qui régissaient cet établissement »(42). Néanmoins, le 21 novembre 1820, le Conseil approuvait les programmes des cours et les horaires. Les professeurs se contentèrent par force de leur demi solde pour les onze premiers mois de 1820, et touchèrent leur plein traitement à partir de décembre. Les travaux de l’amphithéâtre se terminèrent fin 1821, et le 8 janvier 1822, La Rochefoucauld présida l’inauguration du nouvel amphithéâtre de 300 places, dans lequel Dupin prononça un grand discours. La tradition des cours publics du Conservatoire était établie pour les 80 années suivantes dans ses trois branches essentielles : mathématiques et mécanique, physique et chimie, économie appliquée(43).
- Comment expliquer les réserves du duc devant le projet Dupin ? Selon Robert Fox, il appartenait au groupe de « traditionalistes », que René Tresse appelait « les mécaniciens » (dont Chaptal et C.P. Molard) qui s’attachaient aux méthodes artisanales du 18e siècle et voulaient favoriser la formation spécialisée dans les petits groupes d’élèves sous la tutelle d’un maître expérimenté^. En revanche, Dupin avait établi que l’Angleterre disposait d’une très grande avance sur la France dans le domaine de la technologie industrielle et qu’elle était le modèle évident pour tout développement industriel en France ; toutefois, les anglais formaient largement leur personnel qualifié par des méthodes empiriques, ce qui rendait la valeur de toute instruction technique aléatoire. Dans un pays pré-industriel comme la France, qui ne
- 41. Robert Fox, « Education for a New Age, The Conservatoire des Arts et Métiers, 1815-1830», sous la direction de D.S.L. Cardwell, Artisan to Graduate. Manchester: Manchester University Press, 1974, pp. 23-28. [La traduction de ce texte de R. Fox est donnée dans ce numéro. N.D.E.]
- 42. Boutry et al., Cent-cinquante ans de haut enseignement technique au Conservatoire, 1820-1970, Paris : CNAM, 1970, pp. 19-28, p. 23.
- 43. R. Tresse, Techniques, Arts, Sciences, pp. 16-25.
- 44. Fox, « Artisan to Graduate », pp. 26-28 ; R. Tresse, « Evolution de l’enseignement », p. 19.
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- possédait que quelques centaines de machines à vapeur en 1815, il était très difficile de définir une pédagogie de l’instruction technique, difficile de trouver les groupes ayant besoin d’une instruction et les moyens de les instruire, et difficile de former les maîtres et d’équiper les ateliers. Il y avait danger à créer une école en choisissant un cursus inadapté : l’école de filature et de tissage au Conservatoire, par exemple, semble avoir perdu ses rapports avec la pratique dans l’industrie et fut fermée en 1814. Dupin en avait conclu qu’il était plus logique d’enseigner les qualifications techniques sur le lieu de travail et d’enseigner les sciences industrielles à l’école(45).
- Bien que Fox et d’autres historiens soutiennent en général la position de Dupin, les idées de La Rochefoucauld ne furent pas tout-à-fait celles de l’artisanat du 18e siècle. Lui, comme Chaptal et Molard, cherchait un moyen terme entre l’artisanat du passé et l’industrie plus mécanisée et plus savante de la deuxième moitié du 19e siècle. Leurs idées s’accordaient bien avec celles de la plupart des industriels de l’époque qui préconisaient l’enseignement pratique du dessin industriel et des éléments des sciences chimiques et mécaniques pour les adolescents se préparant à tenir les postes de contremaître et chef d’atelier dans l’industrie. L’idée initiale fut d’affranchir la France de la dépendance des techniciens anglais. Dans les premières décennies du 19e siècle, les entreprises en France étaient petites et peu mécanisées, et leur personnel, patrons compris, était normalement formé sur le lieu de travail. Même les rares grandes entreprises étaient organisées en série d’ateliers plus ou moins autonomes. Bien que la plupart des industriels aient été méfiants vis-à-vis des écoles, ils savaient aussi qu’il fallait trouver des moyens de libérer l’industrie française de l’emprise de la technologie anglaise ; c’est pourquoi la quasi-totalité des industriels pendant la première moitié du dix-neuvième siècle favorisèrent la Petite Ecole comme modèle d’enseignement, au Conservatoire comme ailleurs ; c’est à dire l’enseignement professionnel pour les adolescents plutôt que le haut enseignement technique pour les adultes(46).
- Industriel lui-même, le duc n’était pas partisan du haut enseignement technique dans le domaine de l’enseignement industriel. Il ne partagait pas l’enthousiasme pour les Mechanics Institutes
- 45. Archives du CNAM, Conseil de Perfectionnement du Conservatoire des Arts et Métiers, procès-verbaux, Séances du Conseil, juillet 1817 à janvier 1819, 1 vol.
- 46. James M. Edmonson, From Mécanicien to Ingénieur. Technical Education and the Machine Building Industry in Nineteenth Century France. New York : Garland Publishing Co., 1987, pp. 181-209.
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- d’Angleterre, car il prévoyait, avec raison, que ces instituts n’offriraient qu’un modèle médiocre pour la France. Les grandes conférences proposées le soir par des scientifiques distingués seraient bien au delà de la portée des ouvriers et petits industriels, mal instruits et déjà exténués par une longue journée de travail ; elles n’attireraient qu’une petite élite d’artisans et d’ouvriers de qualité. Bref, il considérait l’introduction du haut enseignement technique au Conservatoire comme une grave erreur, et il préférait les écoles professionnelles spécialisées liant la théorie à la pratique et préparant les étudiants directement pour le monde du travaiF47).
- La Petite Ecole, qui est restée ouverte jusqu’en 1874, a rendu de grands services aux industries mécaniques et métallurgiques. Claude-Pierre Molard fut remplacé comme directeur par V. Leblanc en 1816, lui-même fils du chimiste Nicolas Leblanc, qui, au Conservatoire, effectuait des recherches sur les applications industrielles de la chimie, notamment sur la soude. En 1829, Jean-Jacques Armengaud, ancien élève de l’Ecole d’arts et métiers de Châlons (1825), devint professeur à la Petite Ecole et succéda à V. Leblanc comme directeur en 1835. Le Blanc et Armengaud entreprirent de faire du Conservatoire un centre de diffusion de la technologie industrielle en créant le Recueil des machines, instruments et appareils, publié de 1819 à 1852 et sous la direction d’Armengaud à partir de 1829. Le même Armengaud créa en 1841 la Publication industrielle des machines, outils et appareils qui fut jusqu’en 1890 le principal périodique du genre en France(4^.
- Armengaud était non seulement professeur de dessin industriel au Conservatoire mais aussi associé à son beau-père Nicolas-Guillaume Cartier dans une entreprise de mécanique, et également avec son frère Charles (Châlons 1828), comme directeur d’une importante société d’ingénieurs conseils spécialisée dans les questions de brevets de l’industrie et des chemins de fer. En tant qu’ingénieur conseil très écouté, il eut une influence majeure quant à la formulation de la loi de juillet 1844 sur les brevets d’inven-
- 47. Arch. Nat. F12, 1085, La Rochefoucauld au Ministre de l’Intérieur, 15 janvier 1807. Voir aussi J.-A. Chaptal, De l’industrie française, 1819, t. II, p. 235, 299-308. Mes souvenirs sur Napoléon Ier, pp. 90-92, 100.
- 48. J.-E. Armengaud, rédacteur. Recueil des machines, instruments et appareils servant à l’économie rurale et industrielle Paris, 1819-1852, et Publication industrielle des machines, outils et appareils les plus perfectionnés et les plus récents, 32 vol., Paris, 1841-1890. Armengaud publia le Nouveau cours raisonné de dessin industriel, Paris, 1848, et avec son frère, Charles, publia également Le Génie industriel. Revue des inventions en France et à l’étranger. Paris, 1851-1871.
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- tion(49). A travers ces différentes fonctions, Armengaud s’attachait à démontrer l’importance de la technologie pour l’industrie et l’utilité du dessin industriel. Un certain nombre de futurs industriels (Charles Dollfus, Eugène Schneider, etc.) ont suivi les cours de la Petite Ecole, ce qui a fini par réduire les préjugés des industriels dans les industries mécaniques envers l’instruction technique(50).
- Malheureusement la Petite Ecole fut reléguée au deuxième plan par les réformes Dupin-Decazes. C’était une erreur, comme La Rochefoucauld l’avait constaté, pour deux raisons : les réformes séparèrent la théorie de la pratique, les sciences des applications, et elles détruisirent la possibilité de faire du Conservatoire un centre pour la diffusion des techniques industrielles, tissant des liens étroits avec les industries mécaniques, les Ecoles d’arts et métiers et d’autres écoles professionnelles dans les provinces. L’œuvre d’Armengaud et d’autres démontra que l’enseignement des sciences appliquées à l’industrie dans les écoles s’intégrait dans un programme plus large de coordination de l’enseignement scientifique et technique avec les recherches et pratiques industrielles. A long terme cette approche a réussi : au cours du 19e siècle la France et l’Allemagne ont établi des hiérarchies d’écoles techniques qui leur ont permis de rattraper l’Angleterre dans la technologie industrielle et la formation du personnel qualifié(51).
- Au début des années 1850, un nouveau directeur du Conservatoire, le général Arthur Morin, créa un laboratoire industriel et augmenta l’instruction pratique. Il fut aussi à l’origine de la création de deux chaires : l’une de filature et tissage en 1852, l’autre de constructions civiles en 1854. Morin a été l’un des premiers à formuler l’idée de « l’Université industrielle », un système d’enseignement lié étroitement à l’industrie et au commerce, une idée qui a vu le jour vers la fin du xixe siècle avec la création d’un ensemble d’écoles techniques et professionnelles sous la tutelle du ministère de l’Industrie et du Commerce (transférée en 1920 à la nouvelle division de l’enseignement technique dans l’Education nationale). Bien que ce système soit resté longtemps séparé de l’enseignement classique et mathématique et considéré comme inférieur, il a fini par émerger dans les années 1980 comme
- 49. Bulletin de la Société des anciens élèves des Ecoles d’Arts et Métiers, Février 1891, pp. 98-109.
- 50. Edmonson, From Mécanicien to Ingénieur, pp. 181-209.
- 51. Ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, Enquête sur l'enseignement professionnel. Rapport et Notes par A. Morin. Paris, 1865, pp. 28-35, 83-89. Voir aussi L’Annuaire de la Société des Anciens Elèves, 1859, p. 17.
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- renseignement le plus important dans l’Education nationale. Cette évolution est à mettre en relation avec les buts de La Rochefoucauld, père de l’enseignement technique en France, qui avait prévu l’époque où théorie et pratique, esprit et corps, loisir et travail, seraient réunis lorsque la France entreprendrait de créer une nouvelle civilisation industrielle.
- Pour en revenir au Conservatoire, les différences d’opinion quant à l’enseignement technique ne paraissent pas avoir laissé d’amertume entre La Rochefoucauld et Dupin. En 1823, ils combattirent ensemble un projet ministériel de transférer l’Ecole d’arts et métiers de Châlons à Toulouse. En 1827, Dupin délivra l’oraison funèbre du duc, et en 1830-31 et 1849-50 il défendit au Parlement l’œuvre de La Rochefoucauld contre ses critiques, luttant, avec succès, contre les projets de suppression des Ecoles d’arts et métiers(52).
- La Rochefoucauld s’intéressait aussi à l’enseignement primaire du peuple. La Société pour l’Instruction élémentaire fut fondée le 18 juin 1814 pendant les Cent Jours, le jour même de Waterloo, sous le ministère de Carnot, afin de populariser la méthode anglaise de Lancaster et Bell, appelée en France « le mode mutuel ». Pour chaque matière (principalement la lecture, l’écriture, le calcul), les élèves étaient organisés en groupes de 6 à 10, en fonction de leur capacité et non de leur âge, sous la direction d’un moniteur, qui était un élève plus âgé et plus avancé. Le maître donnait aux moniteurs une instruction spéciale avant les classes. C’était une méthode à la fois mécanique et facile, un moyen de faire beaucoup avec peu dans un pays où les instituteurs manquaient et où beaucoup de jeunes ne savaient ni lire ni écrire(53). Le Conseil de la Société pour l’Instruction élémentaire, fondé pour encourager la nouvelle méthode, était composé de notables libéraux comme le Baron de Gérando, le Comte Alexandre de Laborde, le Comte Charles de Lasteyrie, le banquier Benjamin Delessert et La Rochefoucauld qui voyaient dans la méthode un moyen d’alphabétisation rapide du pays et un moyen de former rapidement un corps d’instituteurs à bon marché. La Rochefou-
- 52. Annuaire de la Société des Anciens Elèves, 3, 1850, pp. 1-55 ; 12. André Guettier, Histoire des Ecoles impériales d’Arts et Métiers, Paris, 1865 (2e éd., 1880), pp. 53-54, 350-351, 356-374.
- 53. Antoine Prost, L’enseignement en France 1800-1967, Paris: Colin, 1968, p. 116. Maurice Gontard, L’Enseignement primaire en France de la Révolution à la loi Guizot 1789-1833. Des petites écoles de la monarchie Bourgeoise, Paris : Editions «les Belles Lettres », 1959. Raymond Tronchot, L’enseignement mutuel en France de 1815 à 1833. Les luttes politiques et religieuses autour de la question scolaire. Thèse présentée devant l’Université de Paris, le 30 juin 1972, 3 vol., Lille, 1973.
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- cauld traduisit le livre de Lancaster et présida deux fois la société, en 1818 et 1821. Il implanta quatre écoles mutuelles à Liancourt à côté de l’hospice, des usines et autres installations qu’il y avait établies(54). Mais l’Eglise et le gouvernement se méfiaient d’une association pleine de libéraux et de protestants et d’une méthode hors de contrôle des congrégations. Après quelques années de croissance rapide, le système périclita, faute de soutien des autorités publiques(55).
- Malgré ce revers, La Rochefoucauld prévoyait un bel avenir pour l’instruction publique :
- « L’instruction du peuple n’était jusqu’ici parmi nous qu’un vœu philanthropique ; elle est maintenant regardée comme un droit pour les nations, comme un devoir pour les gouvernements... ne pas instruire le peuple, c’est l’empêcher de pouvoir exercer les biens dont chaque individu, riche ou pauvre, peut réclamer la jouissance... Lorsqu’un jour l’instruction sera universelle, il n’y aura plus de degré d’amélioration que les sociétés humaines ne puissent atteindre... Donner du pain à ceux qui en manquent est un devoir du gouvernement, mais les besoins moraux ne sont-ils pas aussi des besoins qu’il n’est pas permis de négliger? Une école d’enseignement vaut mieux qu’un dépôt de mendicité... »(56)
- Le duc croyait que l’introduction de l’instruction publique élèverait le niveau de l’alphabétisation populaire, établirait l’ordre, et fournirait les moyens d’ascension sociale au peuple, tout en contribuant au développement de l’économie nationale. Liancourt a affirmé également l’importance de l’enseignement primaire joint à l’enseignement professionnel pour les classes populaires, et de l’enseignement des sciences et des sciences appliquées dans le cursus secondaire pour la bourgeoisie. Son insistance sur l’idée que les techniques devriendraient un moyen d’ascension sociale pour les classes modestes, se trouva justifiée au cours du dix-neuvième siècle par les succès des anciens élèves des Ecoles d’Arts et Métiers dans les industries mécaniques et métallurgiques de France. Les idées du mariage de la démocratie à l’utilité et de la coopération des classes dans la création d’une société d’abondance, furent largement en avance sur leur temps.,
- 54. Journal d’éducation, IV (1818), p. 16.
- 55. M. Gontard, L’enseignement primaire ; R. Tronchot, L’enseignement mutuel.
- 56. Journal d’éducation, VIII, 1822, p. 3. F. Dreyfus, Un philanthrope d’autrefois, p. 443.
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- La réforme des prisons
- Tout au long de ces années, La Rochefoucauld poursuivit infatigablement la réforme des prisons. Influencé par les idées de Beccaria et Howard sur la nécessité de réformer à la fois le code pénal et le régime des prisons, il avait acquis une vaste expérience à la suite de ses inspections des prisons pendant les années 1780, en 1790-1791, comme président du comité de mendicité, puis au cours de ses inspections aux Etats-Unis, à Philadelphie par exemple, et finalement en tant qu’inspecteur de la Société des Prisons entre 1814 et 1823. Il préconisait une meilleure hygiène, plus de nourriture, de lumière, la séparation des sexes, la séparation des jeunes d’avec les criminels, il soulignait le besoin de travail et d’exercice, l’importance de l’alphabétisation et l’instruction religieuse. Il croyait que tout châtiment inutile était odieux ; pour achever l’amendement du détenu, il fallait frapper l’âme plutôt que
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- le corps, donc l’isolement absolu
- mort
- comme puissant agent de moralisation(57).
- En ce qui concerne l’amendement des prisonniers, il affirmait :
- « Il faut que les bonnes idées, que les bons principes que l’on veut inculquer à ces malheureux, que les habitudes utiles que l’on veut leur faire contracter, leur arrivent tous les jours, à tous les moments du jour, dans chacune de leurs occupations, dans leurs rares moments de loisir. Il faut en émailler leur existence par tous les moyens physiques et moraux, et que leurs travaux, leurs punitions, leur repos, la contenance de tous ceux qui les approchent, y concourent, comme les instructions religieuses et morales qui doivent leur être données graduellement, sagement et habilement. Il faut que les idées saines, utiles, dont on cherche à les pénétrer, leur entrent pour ainsi dire par tous les pores sans qu’ils s’en doutent. »(58)
- Les mots « Il faut en émailler leur existence par tous les moyens... il faut que les idées saines... leur entrent par tous les pores » indiquent un penchant pour la manipulation et le contrôle à l’encontre de l’esprit libéral de laisser-faire, laisser-passer.
- Dans le même sens, les idées de La Rochefoucauld sur l’architecture carcérale ressemblent à celles de Jeremy Bentham sur le
- 57. Shelby T. McCloy, The Humanitarian Movement in Eighteenth Century France. University of Kentucky Press, 1957, pp. 143, 165, 170.
- 58. F. Dreyfus, Un philanthrope d’autrefois, pp. 462-466.
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- Panopticon (1791), la prison étant construite pour assurer que le prisonnier soit toujours vu par l’autorité sans pouvoir voir lui-même. Selon Bentham : « Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu : dans l’anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu»(59). Dans son Prisons de Philadelphie, rédigé aussi dans les années 1790, le duc expliquait : « L’emplacement destiné à cette prison doit être vaste, isolé, s’il se peut, de tout autre bâtiment, rendu d’une grande sûreté, et arrangé de manière que le plus grand nombre de ses points puissent être aperçus à la fois, pour que la surveillance en soit plus facile... Les cellules solitaires, placées dans un bâtiment isolé, doivent être elles-mêmes séparées les unes des autres »(60).
- Technologies de discipline : Le duc face à Michel Foucault
- Il ne fait aucun doute que certaines des idées de La Rochefoucauld peuvent être rapportées aux théories de Michel Foucault. Dans Surveiller et Punir, Foucault remarque que le Panopticon fonctionne comme « une sorte de laboratoire de pouvoir avec ses mécanismes d’observation » qui permettent de pénétrer dans le comportement des hommes. Ces mécanismes font partie des technologies de discipline et de contrôle qui se sont développées pendant les xvir et xviif siècles comme instruments de domination. La technologie des prisons s’étend facilement aux autres institutions : les écoles, les usines, les hôpitaux et les asiles et comporte des méthodes similaires : l’encadrement des effectifs et leur surveillance continuelle, l’isolement des cas intraitables, l’organisation minutieuse de l’environnement et sa manipulation par les experts(61).
- Dans le domaine de l’éducation, « l’esprit réglementaire » joint au « principe de clôture » décrit par Foucault, permet de créer un système fermé et minutieusement réglé de surveillance et de discipline, de récompenses et de punitions, de notations et de rangs, propre à engendrer un produit social acceptable(62). Les internats des lycées et des Ecoles d’arts et métiers, fondés par Napoléon, sont organisés sur le modèle monastère-caserne. Face
- 59. J. Bentham, Panopticon versus New South Wales, Works, ed. Bowring, t. IV, p. 177.
- 60. La Rochefoucauld-Liancourt, Prisons, 1796.
- 61. M. Foucault, Surveiller et Punir. Paris : Gallimard, 1975. p. 206.
- 62. Ibid., p. 143.
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- à une indiscipline chronique à l’Ecole d’arts et métiers de Châlons, La Rochefoucauld a eu recours presque automatiquement à la remilitarisation et au renfermement de l’école. Une administration toute-puissante régnera dans les écoles jusqu’à la fin du siècle, ce qui provoquera la résistance acharnée des étudiants et l’affaiblissement des études dans ces établissements. Face aux « techniciens de répression », les gadzarts refusèrent systématiquement de devenir des « corps dociles » tels que prévus par Foucault.
- Dans la même lignée, l’école mutuelle, tellement favorisée par le duc, est vue par Foucault comme une méthode de fabrication d’« hommes machines ». Si le modèle de l’école secondaire est le principe de clôture (les collèges des Jésuites, le lycée de Napoléon), le modèle pour l’école mutuelle est le camp militaire perfectionné dans le règlement prussien de 1743. Dans l’école mutuelle, « chaque instant qui s’écoulait était peuplé d’activités multiples, mais ordonnées ; et d’autre part le rythme imposé par des signaux, des sifflets, des commandements imposait à tous des normes temporelles qui devaient à la fois accélérer le processus d’apprentissage et enseigner la rapidité comme une vertu »(63). L’école devient donc un appareil de contrôle formant les jeunes ouvriers et cultivateurs pour les horaires stricts de l’usine moderne : « L’horlogerie complexe de l’école mutuelle se bâtira rouage après rouage : on a confié d’abord aux élèves les plus âgés des tâches de simple surveillance, puis de contrôle du travail, puis d’enseignement ; si bien qu’en fin de compte, tout le temps de tous les élèves s’est trouvé occupé soit à enseigner soit à être enseigné. L’école devient un appareil à apprendre où chaque élève, chaque niveau et chaque moment sont en permanence utilisés dans le processus général d’enseignement » (^4).
- Dans quelle mesure alors peut-on dire que La Rochefoucauld fut libéral ? Est-il possible que le despotisme de l’Empire, l’obsession de Napoléon de contrôler tous les détails de la vie nationale, et les petites tyrannies de la Restauration lui aient donné une réputation de libéralisme qu’il ne méritait pas? Il n’y a aucun doute qu’un aspect de sa pensée, et de la pensée libérale qui provenait des Lumières, était autoritaire et manipulateur. Comme Foucault l’a dit, « Les Lumières qui ont découvert les libertés ont aussi inventé les disciplines »(65). Par contre, il y a sans doute une certaine exagération dans la pensée de Foucault qui associe d’une
- 63. Ibid., p. 156.
- 64. Ibid., p. 167.
- 65. Ibid., p. 224.
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- façon trop étroite l’avancement des connaissances avec la volonté de pouvoir dans les institutions principales de l’Occident. « L’ar-chipeligo carcéral », par exemple, s’étend difficilement aux hôpitaux et aux asiles(66). Même si la volonté de domination caractérise les classes dirigeantes, il n’est pas obligatoire que les classes populaires se laissent entraîner - on peut citer, par exemple, la résistance des gadzarts à l’encontre des efforts de l’administration des écoles pour les modeler(67).
- La Rochefoucauld croyait que l’application des sciences à la vie et à l’industrie nécessiterait des prodiges d’énergie et d’organisation pour que la France, et l’Occident, puissent passer d’un mode de vie pré-industriel à l’âge infiniment plus complexe de l’industrie moderne. Il croyait que l’application de la science aux institutions politiques et sociales dans l’avenir rendrait inévitable une technologie de discipline, et renforcerait par conséquent la nécessité des contrôles démocratiques et de la consolidation des forces sociales, par le développement de l’économie, l’établissement d’un système d’éducation nationale, la coopération des classes et l’élévation des mœurs publiques. L’époque avait déjà produit un Robespierre, un Napoléon et un Charles X. La nouvelle technologie de discipline donnerait aux dictateurs du futur une puissance inouïe. Il faudrait désormais éviter l’anarchie qui fraie le chemin aux dictateurs : « le combat est aujourd’hui entre la liberté et le despotisme. Si la cause de la liberté prévaut, elle pourra s’organiser, se régulariser, cesser d’être anarchie, devenir réellement liberté. Si le despotisme triomphe, il ne s’organisera que pour enchaîner l’univers »(68). Passer par les étapes de l’industrialisation, de la montée du peuple, et de la centralisation et urbanisation, sans révolutions et sans guerres, pour arriver un jour à la démocratie moderne requérait, bien sûr, un niveau extraordinaire de discipline, d’éducation, d’organisation, de bonne volonté, et toutes les ressources que les sciences pourraient offrir.
- Pour La Rochefoucauld, une monarchie vraiment constitutionnelle était le meilleur moyen de réaliser ses buts libéraux. Mais pendant la Restauration où trouver une telle monarchie? La Rochefaucauld fut élu président de la Société de la Morale chrétienne lors de sa fondation en 1821 jusqu’à sa retraite en 1824. Pour lui, cette société représenta une sorte de « Ministère de
- 66. Colin Jones, The Charitable Impérative, Hospitals and Nursing in Ancien Régime and Revolutionary France, London, Routledge, 1989, p. 8.
- 67. C.R. Day, Les Ecoles d’Arts et Métiers, ch. 7.
- 68. La Rochefoucauld-Liancourt, Voyage dans les Etats-Unis, t. 1, p. 39.
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- Bienfaisance » et fut un puissant moyen de moraliser une société en plein changement. Théoriquement, la Société ne se mêlait pas de politique ; elle s’opposait à la traite des esclaves, aux loteries et à l’alcoolisme, mais elle soutenait aussi l’indépendance des Grecs contre les Ottomans. Le gouvernement de Charles X la considérait comme une machine de guerre contre le régime. Il avait raison, mais la Société était révolutionnaire uniquement par rapport au régime réactionnaire des Bourbons. Elle se composait de notables (le duc d’Orléans, le duc de Laborde, Guizot, Cousin), le personnel futur de la Monarchie de juillet.
- Le duc de la Rochefoucauld est mort en 1827 avant l’avènement de la Révolution de juillet qui accompagnait les débuts de la révolution industrielle en France. S’il avait vécu plus longtemps il aurait été très certainement déçu par l’immobilisme de ce régime, un régime qui n’a produit qu’une seule grande réforme en dix-huit ans, la loi Guizot sur l’instruction primaire de 1833. Il aurait espéré un régime plus dirigiste, plus social et plus porté vers les problèmes de la société industrielle. Sans doute le duc se serait-il trouvé une fois encore à la tête de l’opposition libérale.
- En effet, La Rochefoucauld est toujours resté à part, sous tous les régimes sauf celui de Louis XVI, car ses idées ne furent guère populaires ni dans l’aristocratie légitimiste ni dans la bourgeoisie conservatrice de la première moitié du dix-neuvième siècle. Le duc refusait d’identifier les pauvres avec les classes dangereuses. Concevant le travail comme « la propriété indisputable de chaque homme », il voulait « mettre le progrès au service des pauvres. » Il croyait donc que l’Etat avait pour fonction de diriger l’économie pour augmenter la richesse nationale, assurer le droit du travail pour ceux qui en étaient capables et instaurer un sytème national d’écoles primaires. Ce n’était pas un socialisme utopique qu’il prônait mais plutôt le développement des forces de la nation, sous toutes ses formes, matérielles et humaines, par les sciences et techniques et par l’éducation populaire(69).
- La Rochefoucauld a vu les avantages de la coopération économique entre l’Etat et l’industrie pour investir dans l’économie et, plus important encore, dans les ressources humaines, car un peuple prospère est le meilleur moyen de soutenir des rapports sociaux : « un peuple peut rarement, quand il est pauvre, connaître d’autres conditions que celles de la servitude ; il ne peut avoir l’enthousiasme de la liberté quand il n’a rien à défendre, quand il
- 69. J.D. La Rochefoucauld, Un grand seigneur patriote, p. 24.
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- lutte sans cesse contre le besoin, et qu’une inégalité monstrueuse des rangs et des fortunes ne lui fait connaître, dans les lots de la vie, d’autre partage que l’abjection et l’orgueil, la misère et le luxe. » Par contre, un peuple prospère est la source de l’ordre, du travail et de la consommation(70).
- La Rochefoucauld plaide toujours la cause des opprimés : des ouvriers, des jeunes, des esclaves, des indiens américains. « Les hommes ne sortent pas mauvais des mains de la nature. » L’homme ne naît pas méchant ; il le devient. La misère, l’imprévoyance, l’ignorance sont souvent les causes du crime ; s’il y avait plus d’écoles, plus de bien-être, plus d’institutions d’épargne, il y aurait moins de prisons et elles seraient moins pleines. Si les hommes ne sont pas mauvais, cela veut dire pour lui qu’un bon gouvernement, de bonnes lois, un bon système d’éducation sont nécessaires pour les améliorer(71). Ainsi, La Rochefoucauld était hanté par le besoin de moraliser l’industrie et la démocratie de l’avenir. L’Occident ne devait pas entrer dans l’âge moderne sans armature morale.
- Malgré sa méfiance à l’égard des cléricaux, surtout de La Congrégation, La Rochefoucauld est resté chrétien, mais plutôt du type protestant libéral et non-confessionnel(72). Comme beaucoup de notables de l’époque, il était trop porté à faire des discours moralisants et à rédiger des contes sentimentaux pour l’élévation morale des prisonniers et des élèves. Il avait une confiance exagérée dans l’efficacité de l’émulation, de l’influence des hommes honorables sur les faibles(73). Sa conviction qu’une meilleure éducation des pauvres réduirait le crime et conduirait automatiquement à l’amélioration sociale était naïve, mais son idée d’intégrer à la fois l’instruction populaire de base avec la morale et la technique, et d’attacher la petite propriété au régime libéral, était originale et se rapprochait plutôt de la Troisième République et même de la Cinquième en ce qui concerne la centralité de la technique. Enfin, le duc accomplit des réformes qui rendaient de vrais services aux pauvres : notamment les Ecoles d’arts et métiers, les Caisses d’épargne et les réformes des hôpitaux, des asiles et des prisons. Charles Dupin estimait que l’introduction de la vaccine en
- 70. La Rochefoucauld-Liancourt, Plan de travail du Comité de mendicité, s.d.
- 71. Ibid.
- 72. Gaëtan de la Rochefoucald, Vie du duc, p. 87.
- 73. Rapport de M. le duc de la Rochefoucauld sur le concours ouvert pour un ouvrage destiné à servir de lecture aux détenus. Société royale pour l’amélioration des prisons, s.d.
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- France par La Rochefoucauld en 1800 avait sauvé peut-être deux millions de vies(74).
- S’il est donc vrai de dire que la pensée du duc n’était pas toujours originale et reposait parfois sur l’esprit disciplinaire décrit par Foucault, il est aussi juste de dire que d’une façon générale, le duc a appartenu à la tradition plus généreuse et sociale des Lumières de Rousseau, Jefferson et John Stuart Mill plutôt qu’à celle de « l’homme machine » et de « l’esprit réglementaire » de La Mettrie et Jeremy Bentham. Généreux, modeste, désintéressé, promoteur de bonnes œuvres, d’une grande noblesse d’âme, préférant vivre tout près de la nature loin 4es corruptions de Paris - tout en acceptant volontairement ses obligations politiques et philanthropiques - le duc ressemblait un peu au portrait d’Emile de Rousseau. Et Michelet en effet l’a comparé à Rousseau ; tandis qu’un autre observateur l’a appelé « le Vincent de Paul du vieux libéralisme »(75). Il est peut-être même possible de le comparer au Dr. Rieu dans La Peste d’Albert Camus, celui qui a rendu service aux autres sans justifications abstraites ou idéologiques, avec la conviction « qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser. »
- Il est certain que, toujours modeste, il aurait rejeté toutes ces comparaisons. Il y avait même un élément tragique dans sa vie : cet ami des pauvres, des malades, des jeunes et des travailleurs, fut injustement exilé en 1792, attristé par l’exécution de Louis XVI et par la disparition, avec le bon roi, de son rêve d’une monarchie libérale ; négligé par Napoléon, et persécuté à la fin de sa vie par Charles X, il resta un homme plein d’idées et de bonne volonté qui n’a jamais joui sur la politique de l’influence qu’il méritait.
- Le 15 juillet 1823, le duc étant alors âgé de 75 ans, le ministre de l’Intérieur Corbière, dans un acte de petitesse sans pareil, le démettait de tous ses postes officiels, officieux et bénévoles(76) :
- Monsieur le Duc,
- J’ai l’honneur de vous informer que par ordonnance en date d’hier, motivée par la lettre que vous avez écrite le 4 de ce mois au préfet de police, le roi vous a retiré les fonctions d’inspecteur général du Conservatoire des Arts et Métiers, de membre du Conseil général des prisons, du
- 74. C. Dupin, Eloge funèbre de La Rochefoucauld-Liancourt, 30 mars 1827.
- 75. Dictionnaire biographique de Michaud, cité par J.D. de la Rochefoucauld, Un grand seigneur patriote, p. 36.
- 76. Gaëtan de La Rochefoucauld, Vie du duc, pp. 69-71.
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- Conseil général des manufactures, du Conseil d’Agriculture, du Conseil général des hospices de Paris et du Conseil général du département de l’Oise.
- Le ministre secrétaire d’Etat de l’Intérieur,
- Corbière
- La réponse de La Rochefoucauld, le 16 juillet, est bien connue, mais il est instructif de la citer encore une fois, car elle illustre l’indisputable supériorité de l’homme :
- Monsieur le Comte,
- J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m ’écrire en date d’hier m ’.annonçant que par un ordre du roi, dont l’ampliation n’est pas jointe à votre lettre, Sa Majesté m’a retiré les fonctions d’inspecteur général du Conservatoire des Arts et Métiers, de membre du Conseil des prisons, du Conseil général des manufactures, du Conseil d’agriculture, du Conseil général des hospices de Paris et du Conseil général du département de l’Oise. Je ne sais comment les fonctions de président du Comité pour la propagation de la vaccine, que j’ai introduite en France en 1800, ont pu échapper à Votre Excellence à laquelle je me fais un devoir de les rappeler.
- J’ai l’honneur d’être, etc.
- Le duc de La Rochefoucauld
- Même dans la mort, le 27 mars 1827, le duc est resté un sujet de controverse. A ses obsèques, la famille demanda que huit élèves de l’Ecole des arts et métiers de Châlons choisis par elle portent son cercueil, mais à peine le convoi funèbre s’était-il ébranlé que les gadzarts se virent entourés de policiers les accusant de ne pas avoir la permission officielle de porter le cercueil et leur intimant l’ordre de le déposer. Soutenus par le fils du duc, les gadzarts refusèrent. L’officier de police, qui assurait avoir des ordres supérieurs, ordonna alors à ses hommes de leur arracher le cercueil de force. Dans la bagarre qui suivit, le cercueil tomba à terre, s’ouvrit, et le corps du duc roula sur le pavé devant tous les assistants. La presse donna un large écho à ce sacrilège et en fit rejaillir la faute sur le gouvernement(77). Ainsi agonisait une monarchie dont le duc avait jadis tant attendu pour l’avenir de la France.
- 77. Ibid., pp. 88-92.
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- Les Cahiers d’histoire du CNAM, 1992, 1, 75-92
- Un enseignement pour une nouvelle ère : le Conservatoire des arts et métiers, 1815-1830*
- Robert Fox**
- L’été de 1815, une fois achevé l’épisode des Cent Jours, et les Bourbons définitivement rétablis, les Français se préparèrent à la paix. Comme le pays avait connu la guerre de façon presque continue depuis plus de vingt ans, cette expérience était inédite pour la plupart d’entre eux et elle leur était d’autant plus étrangère qu’il s’agissait d’un défi totalement nouveau ; même ceux qui avaient dépassé la trentaine et qui par conséquent se souvenaient des années de paix sous Louis XVI, étaient mal préparés à y faire face.
- Ce nouveau défi, plus économique et industriel que militaire ou politique était une conséquence de l’isolement de la France, par rapport aux îles britanniques en particulier, durant les périodes révolutionnaire et napoléonienne. Il est vrai que durant ces années l’industrie française était loin d’avoir stagné. Ainsi, aussitôt après la restauration des Bourbons, le chimiste J.A.C. Chaptal qui avait été ministre de l’Intérieur de 1800 à 1804 pouvait-il revenir avec orgueil sur les réussites industrielles françaises sous Napoléon.
- « C’est sous son règne qu’on s’est affranchi du tribut que nous avions payé jusque-là à l’étranger. C’est sous son règne qu’on a vu, pour la première fois, tous nos produits industriels rivaliser sur tous les marchés de l’Europe, pour le prix et la qualité, avec ceux des nations les plus éclairées en ce genre. Ces progrès rapides de l’industrie sont dus principalement à la prohibition dont il avait
- * Ce texte, traduit de l’anglais, est extrait de l’ouvrage publié sous la direction de D.S.L. Cardwell, Artisan to graduate. Essays to commemorate the foundation in 1824 of the Manchester Mechanic’s Institution, now in 1974 the University of Manchester Institute of Science and Technology (Manchester, 1974). Il est publié ici avec l’aimable autorisation des Manchester University Press. La version française a été revue par l’auteur.
- ** Professor of the History of Science, Modem History Faculty, Broad Street, Oxford 0X13BD.
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- frappé les produits étrangers et à la sévère vigilance avec laquelle on les repoussait. »(1)
- Mais l’évaluation de Chaptal quant aux réussites industrielles de la France sous Napoléon et quant à la valeur de la politique protectionniste de l’Empire était extravagante. Car de 1792 à 1815, le développement industriel du pays, quoique vigoureux à certains égards, avait été dénaturé par les demandes de guerre. De l’avis de la plupart des observateurs des débuts de la Restauration, les succès obtenus par certaines industries qui avaient été stimulées par l’effort de guerre, telles les industries cotonnières, sidérurgiques et chimiques, ainsi que l’ingéniosité montrée dans la recherche de substituts au sucre, au tabac et à l’indigo n’étaient qu’une faible compensation au regard de ce dont la France avait été largement privée du fait des guerres et du système continental napoléonien : marchés, compétition, flux de matières premières et expertise technique.
- C’est pourquoi les informations sur l’industrie britannique devenues soudainement disponibles au retour de la paix constituèrent un choc pour la nation. Parmi les nombreux Français qui se pressaient alors en Grande-Bretagne, l’économiste J.B. Say qui voyageait pour le compte du gouvernement, était un écrivain particulièrement populaire et persuasif : son ouvrage, De l’Angleterre et des Anglais, publié en 1815, fut réédité en 1816 et même traduit en anglais et en allemand(2). Ce n’est pas que Say ait fait l’apologie de la Grande-Bretagne - il y trouvait le coût de la vie élevé et jugeait la vie intellectuelle dans une situation alarmante(3) - mais son œuvre est caractéristique des nombreuses recensions françaises de l’époque sur ce pays, par l’accent mis sur la puissance industrielle et commerciale britannique.
- L’ingénieur et polytechnicien Charles Dupin fit plus que quiconque pour compléter les brèves descriptions de Say : il accomplit cette tâche dans les six volumes qu’il consacra à une étude détaillée de la puissance économique et militaire britannique, analyses fondées sur les nombreux voyages qu’il effectua en Angleterre, en Irlande, au Pays de Galles et en Ecosse entre 1816
- 1. J.A.C. Chaptal, Mes souvenirs sur Napoléon, ed. A. Chaptal (Paris, 1893), p. 279. Les Souvenirs semblent avoir été écrits en 1817 lorsque Chaptal, déchu de ses fonctions sous Louis XVIII, vivait reclus dans son domaine à Chanteloup.
- 2. J.B. Say, De l’Angleterre et des Anglais, (Paris et Londres, 1815, 2e éd. Paris, 1816). Les traductions anglaise et allemande sont respectivement de 1816 et 1818.
- 3. Say, op. cit. (note 2) (lre éd.), pp. 9-28.
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- et 1820(4). Mais les industriels français ne se basaient pas seulement sur les faits et les statistiques avancés dans des ouvrages comme les Voyages dans la Grande-Bretagne de Dupin. Car, à partir de 1815, de nombreux techniciens et ingénieurs britanniques trouvèrent en France un nouveau et lucratif débouché à leurs qualifications, et spécialement dans l’industrie du fer. En fait, si cette industrie se révéla être tellement attirante au milieu des années 1820 , c’est qu’il y avait peu d’établissements français, si tant est qu’il y en eût, capables de rivaliser avec celui de l’ingénieur cornouaillais Hum-phrey Edwards à Chaillot ou celui de Aaron Manby et Daniel Wilson à Charenton(5). Le contact avec de tels hommes dont l’expérience avaient été acquise dans l’industrie britannique, ne pouvait que confirmer les relations des voyageurs français sur la Grande-Bretagne. Les preuves étaient écrasantes : dans les procédés techniques, l’industrie française accusait un retard de plus de vingt ans. Dans l’industrie du fer par exemple, le procédé de puddlage de Cort ne fut probablement pas utilisé avant 1817 alors qu’il était connu en Grande-Bretagne depuis les années 1780(6). Et la disparité entre les deux pays quant à l’usage de la machine à vapeur était encore plus frappante. Alors qu’en Grande-Bretagne on utilisait des machines à haute pression - en particulier les machines à deux cylindres d’Arthur Woolf - avant 1815, les quelques engins comparables en fonctionnement en France étaient plus proches du type construit par Boulton et Watt dans les années 1780(7).
- Avec la prise de conscience que la France était distancée par la Grande-Bretagne sur le plan industriel commencèrent les inévitables débats à propos des remèdes à apporter. Bien que toutes ces discussions aient revêtu une très grande importance, surtout lorsqu’il s’agissait de la politique économique et du niveau de l’engagement gouvernemental dans l’activité industrielle, je me focaliserai dans ce texte sur une seule question, celle concernant
- 4. F.P.C. Dupin, Voyages dans la Grande-Bretagne, entrepris relativement aux services publics de la guerre, de la marine et des ponts et chaussées, en 1816, 1817, 1818, 1819, et 1820 (Paris, 1820-1824).
- 5. Pour une étude de l’influence britannique sur l’industrie française au xvnr siècle et après 1815, voir W.O. Henderson, Britain and industrial Europe (T éd., Leicester, 1965), pp. 175. Sur Manby et Wilson qui ont probablement employé plus de 200 ouvriers anglais à Charenton en 1824-1825, voir ibid., pp. 49-58. Pour une référence à Edwards, voir ci-dessous note 7.
- 6. A.L. Dunham, The industrial révolution in France, 1815-1848 (New York, 1955), p. 127.
- 7. Sur l’introduction de la machine de Woolf en France par Humphrey Edwards en 1815, voir R. Fox, « Watt’s expensive principle in the work of Sadi Carnot and Nicolas Clément », Notes and Records of the Royal Society of London, XXIV (1969), pp. 238-40.
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- l’enseignement et je le ferai en me référant à une institution : le Conservatoire des arts et métiers à Paris.
- Un nouveau rôle pour le Conservatoire
- D’une façon typiquement française, la plupart de ceux qui se sentaient concernés par la réhabilitation de l’industrie de leur pays étaient d’accord pour estimer qu’au moins un des moyens résidait dans l’instruction. Il est vrai que les gouvernements de la Restauration, à l’exception du ministère du duc de Decazes (décembre 1818-février 1820) n’en étaient pas du tout convaincus. Et leur indifférence, si ce n’est leur hostilité, envers l’enseignement technique perdura jusqu’à la fin des années 1820. Mais en dehors du gouvernement, ce furent toujours des hommes compétents et d’influence qui plaidèrent cette cause ; pour eux, seule la forme de cet enseignement était matière à discussion.
- En gros, il existait deux écoles de pensée à propos du nouvel enseignement technique. D’un côté, il y avait les traditionnalistes qui, à la différence des innovateurs dont je parlerai plus bas, souhaitaient un élargissement de l’ancien système d’apprentissage conçu comme une formation très spécialisée dans un métier ou une qualification particulière, par un contact personnel entre un maître et un élève ou un petit groupe d’élèves. Le plus influent des traditionnalistes était le duc de La Rochefoucauld-Liancourt. Ce personnage avait joué un rôle à la cour sous Louis XV et Louis XVI et il avait soutenu l’idée d’une monarchie constitutionnelle pendant la Révolution. Puis, après s’être opposé au renversement de Louis XVI, il avait passé plusieurs années en exil en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Canada avant de retourner en France sous le Consulat(8). Dès 1788, La Rochefoucauld avait ouvert une école professionnelle dans son domaine de Liancourt afin de former des enfants de soldats, orphelins, à des métiers tels que tailleur, cordonnier et charpentier. Deux ans plus tard, à Liancourt également, il avait ouvert des ateliers de filature de coton dans lesquels étaient utilisées des machines de pointe peu habituelles en France, des jennys. Fort heureusement l’école et les ateliers survécurent à l’absence de la Rochefoucauld et quand il revint, il était à même de reprendre ses deux entreprises. Depuis le
- 8. Sur La Rochefoucauld, voir F. Gaétan, Vie du duc de La Rochefoucauld Liancourt (François-Alexandre-Frédéric) (Paris, 1827), et F. Dreyfus, Un philanthrope d’autrefois. La Rochefoucauld-Liancourt, 1747-1827 (Paris, 1903).
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- départ de son fondateur, l’école avait été réquisitionnée et était devenue l’objet des lubies gouvernementales. Mais même dans cet état, La Rochefoucauld ne perdit pas tout contrôle sur l’établissement et en 1806 quand l’école fut transférée à Châlons-sur-Marne après quelques années d’installation à Compiègne, le duc fut nommé directeur général de ce qu’on désignait depuis 1803 comme l’Ecole d’arts et métiers.
- Aux débuts de la Restauration, La Rochefoucauld retrouva un rôle en vue dans la vie publique. L’école de Châlons, et dans une moindre mesure une autre comparable ouverte à Beaupréau en 1804 et transférée à Angers en 1815 étaient des réussites, et La Rochefoucauld s’était montré lui-même un membre compétent et actif des comités consultatifs napoléoniens consacrés aux manufactures et à l’agriculture. A cause de ses services et parce qu’il était connu également pour ses liens avec l’Ancien Régime et son libéralisme tempéré, il n’apparut pas surprenant que le duc fût choisi en 1817 pour l’important poste de président du Conseil de perfectionnement du Conservatoire des arts et métiers. Cette instance nouvellement créée faisait de lui le chef véritable de l’institution, position qui lui offrait les possibilités les plus larges pour continuer son œuvre en faveur de l’enseignement technique.
- Bien que le Conservatoire eût été fondé en 1794 comme une simple collection d’appareils et modèles illustrant les procédés techniques, il avait eu depuis longtemps une fonction pédagogique importante, quoique spécialisée^. Des cours, en général basés sur les modèles, avaient été donnés depuis 1796 par C.P. Molard qui fut démonstrateur et la figure dominante du Conservatoire jusqu’en 1816, et en 1799 une école de dessin puis en 1804 une école de filature de coton avaient été ouvertes. En 1814, l’école de filature dut fermer, ses effectifs ayant décliné. Cependant La Rochefoucauld, en tant que Président du Conseil de perfectionnement, encouragea l’école de dessin et, par son infatigable travail pour préparer l’Exposition de l’Industrie française de 1819, en étroite collaboration avec le directeur du Conservatoire, G.J. Christian, il maintint, tout en le réorientant, une forte continuité avec le style d’enseignement technique qui avait été en vogue dans
- 9. Il existe de nombreux comptes rendus des débuts du Conservatoire. Une histoire classique est celle de A. de Monzie, Le Conservatoire du peuple (Paris, 1948). Voir aussi l’utile étude : Cent-cinquante ans de haut enseignement technique au Conservatoire National des Arts et Métiers, par G.A. Boutry et al. (Paris, 1970).
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- les années antérieures à la Restauration, lorsque des expositions similaires avaient été organisées en 1798, 1801, 1802 et 1806(10).
- En janvier 1819, La Rochefoucauld fut rejoint au Conseil de perfectionnement par un allié influent, Chaptal* (11). Il est vraisemblable que Chaptal avait été coopté pour aider à la préparation de l’Exposition de 1819, puisqu’il avait organisé celles de 1801 et 1802. Tout comme La Rochefoucauld, Chaptal avait grandi sous l’Ancien Régime et avait été actif dans l’industrie, en particulier chimique, avant la Restauration. Malheureusement pour lui, son association avec Napoléon avait été de loin plus étroite et de ce fait beaucoup plus dommageable pour sa carrière ultérieure que ne l’avait été celle de La Rochefoucauld, et après les Cent jours durant lesquels il avait servi Napoléon en qualité de ministre de l’Agriculture, du Commerce et de l’Industrie, il se retira de la vie publique jusqu’en 1818, date à laquelle il fut fait Pair de France par Louis XVIII.
- Chaptal avait utilisé ses trois années de loisirs relatifs pour préparer une étude qui fut publiée en 1819 sous le titre De l’industrie française. Dans cet ouvrage, il montrait une similarité de vue sur l’enseignement technique avec La Rochefoucauld en plaidant pour l’établissement d’écoles supérieures spécialisées dans les teintures (aux Gobelins), la métallurgie (sous le contrôle de l’Administration des Mines) et la construction de machines (au Conservatoire), écoles dans lesquelles les meilleurs éléments de l’apprentissage traditionnel deviendraient des maîtres dans leurs métiers(12). On ne sait pas si ces propositions furent jamais prises au sérieux ; mais le fait est qu’elles ne furent jamais adoptées, et il semble improbable qu’en 1819 elles aient pu être prises en considération. Car 1819 fut l’année même durant laquelle les traditionna-
- 10. Les témoignages de ce travail se trouvent principalement dans les procès-verbaux des réunions du Conseil de Perfectionnement du Conservatoire entre juillet 1817 et janvier 1819 (ff. Ir8v). Les procès-verbaux, contenus dans un volume portant le titre « Séances du Conseil » étaient à l’époque de la préparation de cet article conservés au Centre de Documentation d’Histoire des Techniques [actuellement déposées au Musée national des Techniques] sous la direction de Maurice Daumas grâce à qui j’avais pu consulter ces documents. La continuité avec la période d’avant la Restauration est soulignée à cette époque par la publication d’un catalogue des pièces : Catalogue général des collections du Conservatoire Royal des Arts et Métiers (Paris, 1818).
- 11. Conseil de perfectionnement, recueil des procès-verbaux, f. 7v (7 janvier 1819). La source bibliographique la plus utile sur Chaptal est La vie et l’œuvre de Chaptal, publiée en 1893 dans le volume intitulé Mes souvenirs sur Napoléon, cit.( 1)
- 12. J.A.C. Chaptal, De l’industrie française (Paris 1819), pp. 307-9. Sur les travaux de Chaptal sur l’enseignement technique jusqu’en 1819, voir R. Tresse, « J.A. Chaptal et l’enseignement technique de 1800 à 1819 », Revue d’histoire des sciences, X (1957), pp. 167-74.
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- listes du Conservatoire des arts et métiers, tels La Rochefoucauld et Chaptal, perdirent leur influence face à un petit groupe d’innovateurs qui soulignèrent le besoin non pas de formation spécialisée dans un métier ou une technique, mais d’un enseignement beaucoup plus large, exposé sous la forme de cours publics.
- Ce nouveau mode d’enseignement technique fut conçu en totalité par Charles Dupin et mis en œuvre par des hommes qui à une exception près (Jean-Baptiste Say) n’avaient pas connu l’Ancien Régime. Dans une certaine mesure, ce nouvel enseignement avait eu des précurseurs à Paris avec l’Athénée qui, depuis sa fondation en 1781 par Pilâtre de Rozier, avait proposé avec succès des cours publics sur des sujets scientifiques ou littéraires(13), et avec la Sorbonne et le Collège de France où des professeurs comme Thénard, Biot et Gay-Lussac attiraient de larges auditoires attentifs depuis le début de la Restauration(14). Mais évidemment, dans une époque où rivaliser avec l’industrie et la technologie britanniques était pour la France une forte aspiration, le modèle le plus important de ce nouvel enseignement était britannique. Comme Dupin le montre abondamment dans ses Mémoires sur la marine (1818), il s’agissait en fait de l’Institution Andersonienne de Glasgow au sein de laquelle Andrew Ure, professeur de chimie et de philosophie naturelle, « connu par sa bienveillance pour les étrangers et surtout pour les Français », avait été un hôte châleu-reux en 1817(15). Cette institution dispensait des cours du soir peu chers à l’intention des jeunes ouvriers, dans les domaines de la géométrie, de la mécanique, de la physique et de la chimie appliquée, ils avaient des résultats « étonnants », et pour Dupin il n’y avait aucun doute que l’industrie et le commerce de Glasgow tiraient bénéfice d’employés ainsi formés, comme ces deux frères qui profitaient de leurs moments libres au fond de leur boulangerie pour construire d’ingénieux mécanismes(16).
- 13. Voir C. Dejob, De l’établissement connu sous le nom de Lycée et d’Athénée et de quelques établissements analogues (Paris, 1889).
- 14. Sur la remarquable popularité des cours publics après la Restauration, voir R. Fox, « Scientific entreprise and the patronage of research in France, 1800-1870 », Minerva, XI (1973), pp.452-5.
- 15. F.P.C. Dupin, Mémoires sur la marine et les ponts et chaussées de France et d’Angleterre (Paris, 1818), pp. 67-9. La description que Dupin fait de Ure se trouve p. 68. Plus tard, Dupin déclara que c’était sa description de l’institution Andersonienne dans la traduction anglaise de ses Mémoires (Londres, 1819) qui avait encouragé Brougham, Birkbeck et d’autres à fonder les mechanics ’ institutes en Grande-Bretagne. De son point de vue, les instituts et le Conservatoire avaient un modèle commun. Voir F.P.C. Dupin, Conservatoire Royal des Arts et Manufactures, [sic] Historique de l’enseignement industriel et de son influence sur le sort du peuple, de 1819 à 1839, présenté...dans la séance du 15 décembre 1893 (Paris, s.d.), pp. 18-21.
- 16. Dupin, Mémoires sur la marine, cit. (15), pp. 68-70.
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- Même dans une période où l’on prêtait beaucoup d’attention aux défauts de l’industrie française, le plaidoyer de Dupin en faveur d’une Andersonienne française (exprimé dans ses Mémoires sur la marine) aurait bien pu passer inaperçu sans les changements politiques survenus en 1818. Politiquement, Dupin avait été sans aucun doute tenu en suspicion, en particulier pendant les jours sombres de la Terreur blanche et de la Chambre introuvable(17). Sous l’Empire, après être entré major à Polytechnique en 1801 et en être sorti également major en 1803, il avait loyalement servi comme officier de la Navale et comme ingénieur en de nombreux lieux d’Europe. Bien plus, en 1815, il avait hardiment préparé une défense de Lazare Carnot, son ami très cher et mentor, quand ce dernier avait dû s’exiler à l’étranger en raison de ses services auprès de Napoléon(18). De telles collaborations avec l’Empire n’étaient pas facilement oubliées, si l’on en juge par le délai de dix mois, entre 1815 et 1816, durant lequel Dupin dut attendre la permission d’entreprendre ses voyages dans les îles britanniques^. De fait, même lorsque l’autorisation fut accordée, ses ennuis n’en furent pas terminés pour autant. Ses Mémoires sur la marine furent temporairement retirés des bibliothèques de tous les établissements militaires et il fallut requérir l’intervention de Louis XVIII pour garantir la publication de la première partie non expurgée de ses Voyages dans la GrandeBretagne prétendument antipatrioti-
- En dépit de ce qui ne pouvait être interprété que comme une provocation, à savoir la publication d’une biographie de son ancien maître, Monge, quand celui-ci, en disgrâce pour raisons politiques, mourut en 1818(21), la fortune de Dupin commença à changer avec la formation du ministère du duc de Decazes, en décembre 1818, un ministère qui tenait en partie compte de la
- 17. Pour des détails bibliographiques sur Dupin, voir, par exemple, V. Lacaine et C. Laurent, Biographies et nécrologies des hommes marquants du XIXème siècle (Paris, 1844-50), IV, pp. 273312, et J. Bertrand, Eloges académiques (Paris, 1890), pp. 22146.
- 18. La défense que Dupin écrivit ne fut jamais publiée, à la demande de Carnot. Voir Bertrand, op. cit. (17), pp. 234-6.
- 19. Pour un bref commentaire sur cette attente, voir Dupin, Voyages, cit. (4), I, p. X. Pour une analyse plus détaillée des voyages de Dupin en Grande-Bretagne, voir Robert Fox, « From Corfu to Caledonia. The early travels of Charles Dupin (1808-1820) », The light of Nature. Essays in History and Philosophy of Science, sous la dir. de J.D. North et J.J. Roche (Dordrecht, Boston et Lancaster, 1985) ; et Margaret Bradley et Fernand Perrin, « Charles Dupin’s Study Visits to the British Isles, 1816-1824 », Technology and Culture, XXXII (1991), pp.47-68.
- 20. Sur les difficultés de Dupin à propos de ses premières publications, voir Lacaine et Laurent, op. cit. (17), IV, pp. 282-3, et Boutry, et al., op. cit. (9), p. 75.
- 21. La vie de Monge est décrite dans Y Essai historique sur les services et les travaux scientifiques de Gaspard Monge (Paris, 1819).
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- poussée croissante de la gauche aux élections d’octobre de la même année. Finalement Dupin eut l’oreille du gouvernement et il semble en avoir fait l’usage maximum. Car le 25 novembre 1819, à la suite de ses propositions et des longues délibérations d’un comité désigné par Decazes (composé du physicien Arago, du chimiste Thénard et du chimiste industriel Nicolas Clément), le roi signa une proclamation instituant des cours publics en mécanique appliquée aux arts, industrie chimique et économie industrielle au Conservatoire des Arts et Métiers. Mieux encore, Dupin lui-même était nommé à la chaire de mécanique, avec comme collègues Clément à la chaire de chimie et Say à celle d’économie industrielle^.
- La création des trois chaires au Conservatoire était une victoire pour les innovateurs dans ce sens que l’enseignement y était à la fois général, préparant à toutes les branches de l’industrie, et librement accessible au public. De ce point de vue, il rompait ostensiblement avec les traditions de l’apprentissage, mais il marquait également une importante différence avec l’enseignement des grandes écoles scientifiques. Dans certaines de ces institutions, une formation technique spécialisée de très haut niveau était distribuée à des jeunes gens capables et fortunés dès avant la Révolution. L’Ecole de Médecine, par exemple, avait des origines médiévales et l’Ecole vétérinaire d’Alfort (fondée en 1766), l’Ecole des Ponts et Chaussées (1775), le Collège de Pharmacie (1777), l’Ecole des Mines (1783) fonctionnaient avant 1789. Mais ces écoles demandaient en principe un haut niveau académique à l’entrée et leurs enseignements n’étaient pas ouverts au public. Aussi le but de leur activité était-il de préparer à des professions particulières et même dans la seule grande école qui offrait une formation scientifique plus générale, l’Ecole polytechnique, l’accent était fortement mis sur la formation soit d’ingénieurs militaires, soit de candidats à l’une des écoles d’ingénieurs plus spécialisées comme les Ponts et Chaussées ou les Mines. Il n’y
- 22. Il ne semble pas qu’il y ait eu de compétition pour les chaires. Parce qu’ils avaient participé tous trois à l’élaboration des cours, les trois professeurs étaient des choix évidents. Say était presque aussi engagé que Dupin et Clément dans cette préparation. Une lettre de 1818 qu’il adressa à son ami Thénard (à la demande de celui-ci) et dans laquelle il justifiait, sur des fondements purement utilitaristes, l’inclusion de l’économie politique dans l’enseignement prévu au Conservatoire, a été publié dans les Oeuvres diverses de J.B. Say, ed. C. Comte, E. Daire, et H. Say (Paris, 1818), pp. 520-5. Dans les propositions finales, le terme politiquement neutre d’« économie industrielle » fut substitué à celui d’« économie politique » dans une tentative pour calmer les suspicions officielles.
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- avait en réalité dans ces établissements aucune tentative de former des jeunes gens spécifiquement pour l’industrie(23).
- L’enseignement au Conservatoire
- Bien que les nouveaux cours du Conservatoire aient manifestement comblé un vide dans le système national de l’enseignement supérieur, les années 1820 devaient être une période difficile, essentiellement pour des raisons politiques. Le plus grand obstacle était la méfiance envers l’enseignement populaire, encore plus forte que celle des Tories en Grande-Bretagne eux-mêmes(24). Dans une certaine mesure, évidemment, le Conservatoire invitait à la censure, par le choix même de ses professeurs. Dupin et Say, bien qu’il n’aient été en rien radicaux, étaient désignés depuis les débuts de la Restauration comme des critiques anti-gouvernementaux, et il paraissait que les trois professeurs utilisaient leurs chaires comme tribune pour attaquer la noblesse, l’Eglise et les ministres réactionnaires(23). Mais la plupart des problèmes du Conservatoire tenaient à des circonstances indépendantes de la volonté de ses administrateurs comme de ses professeurs. L’enseignement au Conservatoire n’aurait pu commencer dans de pires moments. Le 13 février 1820, le Duc de Berry, héritier présomptif du trône, était assassiné à l’Opéra de Paris, et une semaine plus tard, au milieu d’une poussée de sentiments de sympathie royaliste et d’attitudes anti-libérales, le ministère de Decazes fut remplacé par celui de Richelieu. Comme ce nouveau ministère dépendait du soutien du centre (mais pas de la gauche) autant que le précédent, ce changement n’était pas en lui-même trop grave, mais l’orientation vers la droite qui s’accéléra en 1821, culmina en un nouveau ministère
- 23. Bien que l’Ecole polytechnique ait formé des hommes qui atteignirent des positions éminentes dans l’industrie, la nature fortement théorique et mathématique des enseignements en faisait une formation inappropriée pour les industriels, comme ce fut souvent souligné, surtout avant la fondation de l’Ecole centrale des arts et manufactures en 1829. Selon T. Olivier, dans ses Mémoires de géométrie descriptive, théorique et appliquée (Paris, 1851), pp.XI-XVIII, à Polytechnique les cours devinrent encore plus inadaptés à cette fin après la réorganisation de 1816 sous l’influence de Laplace, Poisson et Cauchy.
- 24. Sur les craintes vis à vis de l’éducation populaire en Grande-Bretagne, en particulier vis à vis des mechanics’ institutes, voir D.S.L. Cardwell, The organisation of science in England (2ème éd. Londres, 1972), pp. 41-2, et la réponse anonyme à «A country gentleman » qui avait provoqué tant de frayeurs, dans Edinburgh Review, XLV (1826-27), pp. 189-99.
- 25. Les indications sur ces attaques de Dupin, Say et Clément qui sont discutées plus loin dans cette section, apparaissent dans les rapports des officiers de la police secrète qui suivaient leurs cours en 1824 et 1825. Voir Dreyfus, op. cit. (8), pp. 415-16, et Boutry et al., op. cit. (9), pp. 23-4.
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- ultra en décembre 1821 et fut le prélude à cinq années de gouvernement Villèle (de septembre 1822 à décembre 1827), le chef compétent mais détesté des ultras à la chambre des députés.
- Ces années de suprématie des ultras furent une période maudite pour les nombreux enseignants de l’enseignement secondaire et supérieur qui avaient des sympathies libérales et pour les institutions, lesquelles, à cause de ces sympathies, devinrent suspectes(26). La suspension de Victor Cousin de sa chaire à la Sorbonne, de 1820 à 1828, et la nomination de Monseigneur Frayssinous, un Sulpicien réactionnaire, au poste de Grand Maître de l’Université en 1822, furent des actes parfaitement politiques tout-à-fait caractéristiques de cette période, et les décisions ultérieures de Frayssinous de fermer l’Ecole Normale (de 1822 à 1826) et l’Ecole de médecine (de novembre 1822 à mars 1823) étaient en conséquence tout aussi prévisibles(27). Dans la mesure où toutes ces mesures reflétaient une politique logique et impitoyable dirigée contre le radicalisme que presque tout l’enseignement, à la seule exception de l’enseignement religieux, était censé encourager, c’étaient là de sinistres présages pour une institution comme le Conservatoire, consacrée à la formation des industriels et des ouvriers, populations dont les sympathies politiques étaient majoritairement libérales et anticléricales.
- Aussi, au moment même où l’enseignement commença, le 2 décembre 1820, devant « un auditoire nombreux et éclairé »(28), l’opinion des cercles gouvernementaux était déjà moins favorable qu’un an auparavant quand avait été signée la proclamation royale. Selon une lettre de La Rochefoucauld du 8 août 1820, le retard pris au démarrage des cours était le résultat d’une précipitation excessive dans la préparation de la proclamation {29\ et ici, il se peut bien que La Rochefoucauld ait eu raison. Il semble parfaitement clair qu’il n’était en rien responsable de cette hâte, et on peut même concevoir que l’enseignement aurait pu commencer plus tôt si le duc avait montré un plus grand zèle pour cette entreprise. Quoi qu’il en soit, l’année 1820 ne fut pas caractérisée
- 26. Pour une discussion sur les conflits entre l’Administration et le corps enseignant à dominante libérale et anticléricale, dans l’enseignement secondaire et supérieur, voir P. Gerbod, «La vie universitaire à Paris sous la Restauration de 1820 à 1830», Revue d’histoire moderne et contemporaine, XIII (1966), pp. 5-48.
- 27. Sur les activités de Frayssinous en tant que Grand Maître, voir Louis Liard, L’Enseignement supérieur en France, 1789-1893 (Paris, 1894), II, pp. 153-66.
- 28. F.P.C. Dupin, « Extrait du discours d’ouverture du cours de mécanique appliquée aux arts, prononcé dans la séance générale d’ouverture des cours du Conservatoire des Arts et Métiers, le 2 décembre 1820», Revue encyclopédique, VIII (1820), pp. 449-50n.
- 29. Boutry et al., op. cit. (9), pp. 22-3.
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- par une coopération croissante entre lui et les nouveaux professeurs, mais plutôt par un conflit qui, bien que portant au départ sur la question limitée des salaires des professeurs, s’est vraisem-bablement aggravé en raison des divergences d’attitude apparues depuis la proposition de 1818 attribuant à l’enseignement la fonction principale au Conservatoire(30).
- En tout cas, le fait que l’enseignement ait débuté en décembre 1820, était probablement plus dû à l’enthousiasme des professeurs qui commencèrent alors à toucher leur plein salaire (après plus d’une année payée à mi-temps) qu’à celui de La Rochefoucauld. Toutefois ce dernier honora de sa présence la séance inaugurale, la présidant en l’absence du ministre de l’Intérieur, le comte de Siméon(31).
- Le signe le plus manifeste de ce caractère hâtif était les mauvaises conditions d’enseignement dans des locaux temporaires décrits comme proches du Conservatoire(32). En réalité, il fallut plus d’un an pour que les équipements adéquats pour les cours soient disponibles, c’est-à-dire quand le nouvel amphithéâtre fut ouvert le 8 janvier 1822. Construit d’après les plans de l’architecte distingué Antoine Marie Peyre à un coût estimé de 50.000 F., ce bâtiment semi-circulaire était situé dans le cloître du prieuré de Saint-Martin des Champs où le Conservatoire avait été installé depuis 1799 (il sera détruit entre les deux guerres pour faire place aux nouvelles installations de la bibliothèque)(33). La séance inaugurale, sous la présidence de La Rochefoucauld, fut une magnifique occasion pour Dupin de délivrer un discours substantiel(34), comme il l’avait déjà fait en ouvrant les nouveaux enseignements en décembre 1820. Le ministre de l’Intérieur qui depuis décembre 1821 était Corbière, un proche de Villèle, était absent, ce qui n’était guère surprenant, mais quand même quelque peu inquiétant, et dans son discours, Dupin n’en fit aucune mention alors qu’il
- 30. Ibid. Le conflit fut ouvert par les professeurs qui réclamaient leurs pleins salaires (5000 F. annuels) à partir de la création des chaires, en novembre 1819. En fait, et apparemment avec l’approbation de La Rochefoucauld, ils ne reçurent qu’un demi-traitement jusqu’à ce que les cours débutent en décembre 1820.
- 31. Dupin, « Extrait du discours », cit. (28).
- 32. L’emplacement est indiqué dans le discours d’ouverture de Dupin du 2 décembre 1820 : Introduction au cours de mécanique appliquée aux arts, ouvert près du Conservatoire des Arts et Métiers (Paris, 1821).
- 33. Les avant-projets de Peyre pour l’amphithéâtre furent approuvés avec de légères modifications par le Conseil de Perfectionnement, le 30 juin 1820. Voir le livre des procès-verbaux du Conseil, f. 9r.
- 34. F.P.C. Dupin, Discours d’inauguration de l’amphithéâtre du Conservatoire des Arts et Métiers, prononcé le 8 janvier 1821 (Paris, 1822). La date de 1821 sur le titre est une coquille.
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- adressa ses plus chaleureux remerciements à Decazes et à Si-méon(35).
- Malheureusement, nous ne disposons pas d’indications détaillées sur les premières années d’enseignement, par exemple sous la forme de registres de présence, mais le succès des cours semble hors de question. En 1824, le nombre des auditeurs de Dupin, qui était à n’en pas douter un enseignant charismatique et éloquent, s’élevait à 2 000(36). En comparaison, Say - dont l’auditoire était d’environ 50 personnes en 1827(37) - et Clément avaient un style quelque peu prosaïque, et l’on dispose de témoignages sur la faible discipline qui régnait dans leurs cours avec des auditeurs qui entraient et sortaient alors que les professeurs étaient en train de parler(38). Mais même Say et Clément avaient leurs disciples et aux yeux de la police secrète, ils étaient tout aussi dangereux que Dupin.
- Les raisons d’un tel intérêt de la police secrète pour ces cours, dans les années 1824-1825, ne sont guère difficiles à interpréter. Car dans ces jours de réaction politique et religieuse de la décennie 1820, des réunions comme celles du Conservatoire étaient perçues comme des menaces flagrantes pour la sécurité. On peut imaginer l’alarme causée par un rapport signalant que les cours de Dupin sont suivis par « des personnes dont les opinions sont très mauvaises, qui n’y vont pas dans le but de s’instruire », alors que dans l’auditoire de Say se sont formés des groupes « qui peuvent fournir à la malveillance l’occasion d’y semer les germes d’un mauvais esprit »{39). Bien plus, cette situation potentiellement dangereuse était aggravée par les professeurs eux-mêmes qui, selon un rapport de 1825, «trouvent toujours moyen de glisser dans leurs leçons des censures sur quelques-unes de nos institutions et sur certaines mesures adoptées par le gouvernement » - censures qui apparemment réjouissaient les auditoires et, lors d’une séance de Clément, faillirent provoquer des applaudissements(40).
- 35. Ibid., pp. 1-2. Cependant, il faut noter que plus tard Dupin donnera crédit à Corbière d’avoir pris la décision hardie d’autoriser les cours, le soir ; voir son Historique de l’enseignement industriel, cit. (15), pp. 21-2.
- 36. Le chiffre est donné dans un rapport de la police secrète signalé dans Dreyfus, op. cit. (8), p. 146.
- 37. E. Teilhac, L’Oeuvre économique de Jean-Baptiste Say (Paris, 1927), p. 36.
- 38. « Les auditeurs y sont beaucoup moins appliqués que ceux qui suivent le cours de M. Dupin, ils entrent et sortent fréquemment [et] circulent dans toutes les parties de chaque salle. » Rapport de la police secrète cité dans Boutry et al., op. cit. (9), p. 24.
- 39. Dreyfus, op. cit. (8), p. 416. Les cours de Dupin à l’Athénée dans l’hiver de 1826-1827 suscitèrent également la suspicion de la police secrète ; voir Lacaine et Laurent, op. cit. (17), IV, p. 290.
- 40. Dreyfus, op. cit. (8), p. 416.
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- Les témoignages concernant la composition de ces auditoires enthousiastes sont fragmentaires et biaisés, la plupart provenant des rapports de la police secrète de 1824-1825. Mais il semble clair que les auditeurs étaient principalement des jeunes gens et qu’il y avait parmi eux une large proportion de salariés de l’industrie mêlés à quelques personnes aux intérêts plus gratuits. Comme l’indique un rapport de police de décembre 1824, « on y voit beaucoup de jeunes gens appartenant à des manufactures, quelques élèves en mathématiques, des jeunes gens attachés à l’école spéciale de commerce et des étudiants. On y remarque aussi quelques personnes qui semblent appartenir à la haute classe de la société »(41). D’autres rapports de police suggèrent, comme je l’ai signalé plus haut, que l’auditoire partageait pleinement les sympathies libérales et anticléricales des professeurs, ce qui serait parfaitement conséquent avec la présence aux cours de Clément en 1823-24 et 1825 du mathématicien Louis Benjamin Francœur qui avait perdu ses chaires d’enseignement les plus importantes à la Restauration pour des raisons politiques, et de Sadi Carnot(42).
- Il est sûr que le ministère Villèle qui avait déjà prouvé son hostilité en démettant La Rochefoucauld de ses fonctions au Conservatoire (ainsi que de toutes ses autres responsabilités publiques) en 1823, aurait souhaité en même temps fermer l’établissement, mais le résultat de la surveillance policière fut simplement d’interdire la tenue des cours le soir, à partir de novembre 1825 (ils commençaient ordinairement à 7 et 8 heures du soir) et d’obliger à un retour à la pratique originelle de les donner l’après-midi(43). Bien entendu, ce changement qui révoltait Dupin(44), eut l’effet voulu de diminuer le nombre des auditeurs.
- La défiance du gouvernement envers le Conservatoire atteint un niveau dangereux en 1825 et elle en resta à ce stade jusqu’à 1828, date à laquelle il y eut subitement une amélioration. Un
- 41. Boutry et al., op. cit. (9), pp. 23-4. L’Ecole Supérieure de Commerce de Paris fut fondée en 1820 par un groupe de capitalistes parmi lesquels Ternaux, Laffitte et Casimir Périer, avec le soutien de Chaptal.
- 42. Fox, op. cit. (7), pp. 245 et 248.
- 43. Boutry et al., op. cit. (9), p. 24. Les horaires originellement approuvés par le Conseil de Perfectionnement étaient le lundi à 13 h. (pour Dupin), le mardi à 14 h. (Clément), et le samedi à 14 h. (Say) ; voir Conseil de Perfectionnement, livre des procès-verbaux, cit. (10) f. 9v (21 décembre 1820). Les cours du soir avaient été ensuite approuvés par Corbière, comme indiqué note 35. Le traitement brutal réservé à La Rochefoucauld en 1823 rehaussa son prestige parmi les libéraux et conduisit aux manifestations de révolte à ses funérailles en 1827, lorsque les sympathisants du duc affrontèrent violemment les militaires.
- 44. F.P.C. Dupin, Forces productives et commerciales de la France (Paris, 1827), II, pp. 232-3.
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- signe du progrès de ces relations fut la fin de l’interdiction des cours du soir en 1828 et 20 heures redevint l’horaire normal des enseignements(45). Un tel changement peut apparaître surprenant si l’on considère l’hostilité qui avait prévalu trois ans plus tôt. Mais entre 1825 et 1828, tant de choses avaient changé qu’il n’est guère difficile d’y trouver une explication. L’évènement le plus important avait été sans conteste la chute de Villèle en décembre 1827 et son remplacement par le vicomte de Martignac, le ministre de l’intérieur et chef effectif du gouvernement, qui fit nombre de concessions aux libéraux en matière d’éducation, avec en particulier la réinstallation de Cousin à la Sorbonne. En outre, 1827 et 1828 avaient été des années désastreuses pour l’industrie, en France comme dans la plupart des pays européens ; aussi les inquiétudes des premières années de la Restauration s’étaient-elles de nouveau manifestées et une fois encore étaient-elles exprimées, comme on pouvait s’y attendre, par la voix de Dupin(46).
- Dans les jours sombres de 1827-28, alors que non seulement l’industrie française, mais encore la liberté individuelle semblaient gravement menacées, les arguments en faveur d’une extension de l’enseignement et tout spécialement de l’enseignement technique acquirent un poids qui leur avait manqué pendant près d’une décennie. Ainsi l’ouverture d’une nouvelle chaire en physique au Conservatoire en 1829(47) aurait-elle été occasionnée par cet enthousiasme renouvelé pour l’enseignement technique, attitude elle-même conséquence des troubles de 1827-1828. Et si nous en croyons Théodore Olivier, il y aurait à n’en pas douter un lien entre ces troubles et la fondation en 1829 de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures(48).
- Le bilan du Conservatoire
- Prendre comme date de fin de la période analysée dans cet article, l’année où les Bourbons en la personne de Charles X renoncèrent au trône de France pour laisser la place à la nouvelle monarchie bourgeoise de Louis-Philippe, semble si évident qu’il n’est guère besoin d’une justification. Dans l’enseignement technique comme dans tant d’aspects de la vie en France, 1830 fut un
- 45. Boutry et al., op. cit. (9), p. 24.
- 46. Dupin, Forces productives et commerciales, cit. (44), I., p.i.
- 47. La chaire fut attribuée à C.S.M. Pouillet qui la conserva jusqu’en 1852.
- 48. Olivier, op. cit. (23), p. XIX.
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- moment décisif qui marqua sur le plan de la politique gouvernementale, la fin des années d’agression et de suspicion et le début d’une phase de tolérance et même, à certaines périodes, d’enthousiasme. En réalité, cette transition ne fut pas si soudaine car, ainsi que je l’ai dit plus haut, les attitudes des cercles gouvernementaux avaient déjà notablement changé à partir de 1828 ; mais au moins l’accession au pouvoir de Louis-Philippe et la mise en place d’une nouvelle majorité libérale à la Chambre offraient-elles quelque assurance qu’on n’en reviendrait plus à l’hostilité du milieu des années 1820.
- Il est sûr que ce nouvel optimisme qui régnait en France dans les années 1830, fut pleinement partagé par les professeurs et administrateurs du Conservatoire. Toutefois, d’une certaine façon, la monarchie de Juillet se révéla une période décevante. Il est vrai que ce furent des années d’expansion avec la création de pas moins de six chaires en 1839 et d’une autre en 1848. Cependant, en 1852, quand Léon Playfair avertissait les industriels britanniques que dans l’avenir, ils risquaient de ne plus retrouver les succès obtenus l’année précédente lors de la première Exposition Universelle à Crystal Palace, c’est l’Ecole Centrale qu’il désignait comme le modèle de l’enseignement technique que, pour lui, la Grande-Bretagne avait un besoin urgent de reprendre(49). Son admiration sans réserve rend bien compte du fait qu’au milieu du siècle, c’est l’Ecole Centrale et non le Conservatoire qui était l’institution dominante pour l’enseignement industriel en France. Dans un sens, semble-t-il, le Conservatoire avait échoué au regard des objectifs élevés que Dupin et ses collègues lui avaient assignés à l’origine.
- Une comparaison entre l’Ecole centrale et le Conservatoire permet d’éclairer cette divergence de leur fortune dans les années
- 49. L. Playfair, « The Chemical principles involved in the manufactures of the exhibition as indicating the necessity of industrial instruction », Lectures on the results of the Great Exhibition of 1852, delivered before the Society of Arts, Manufactures, and Commerce (Londres, 1852), i, pp. 194-207. Dans son Industrial instruction on the Continent (Londres, 1852), pp. 26-8, Playfair faisait l’éloge du Conservatoire («that princely establishment »), mais c’était l’Ecole Centrale qu’il considérait comme « the most important industrial institution in France ».
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- 1830 et 1840(50). Sur certains points, les deux institutions se ressemblaient. Toutes deux avaient été fondées en réponse à une crise économique et industrielle, et dans les deux cas l’initiative de leur fondation avait été le fait de citoyens privés et non du gouvernement (dans le cas de l’Ecole centrale, de Théodore Olivier, Eugène Péclet, Alphonse Lavallée et Jean-Baptiste Dumas). Il existe une autre similitude entre l’établissement du haut enseignement au Conservatoire et la création de l’Ecole centrale : ces faits se produisirent durant les courtes périodes de relatif libéralisme des années de gouvernement réactionnaire qui caractérisèrent la Restauration bourbonnienne : les cours du Conservatoire furent approuvés sous Decazes alors que le projet de l’Ecole centrale fut accepté en décembre 1828, durant le ministère Martignac, avec le soutien de Vatimesnil alors ministre de l’Instruction.
- Quant aux différences entre les deux établissements, la plus importante tenait au fait que l’Ecole centrale n’offrait que des enseignements à plein-temps d’une durée de trois ans ; ces cours étaient conçus de façon plus large que ceux du Conservatoire, ne couvrant pas seulement les mathématiques, la mécanique, la physique et la chimie, mais aussi la législation industrielle, le génie civil, la métallurgie minière, la minéralogie, la géologie, l’hygiène industrielle et même l’histoire naturelle (enseignée en référence à ses applications industrielles par Adolphe Brongniart)(51). En outre, alors que les cours du Conservatoire étaient ouverts à tous, l’entrée à l’Ecole centrale exigeait la réussite à un concours basé sur les mathématiques, d’un niveau très proche de celui de Polytechnique. Fait plus important encore, l’Ecole centrale, à la différence du Conservatoire (qui de ce point de vue retrouvait les défauts des mechanics’ institutes britanniques) organisait des examens et offrait une qualification à la fin des études. En bref, l’Ecole centrale se donnait tous les attributs des prestigieuses grandes écoles : son but était de former des hommes pour l’indus-
- 50. Des différentes histoires de l’Ecole Centrale, les plus importantes sont C. de Comberousse, Histoire de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures, depuis sa fondation jusqu’à ce jour (Paris, 1879); F. Pothier, Histoire de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures, d’après des documents authentiques et en partie inédits (Paris, 1887) ; L. Guillet, Cent Ans de vie de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures (Paris, 1929). Voir aussi Olivier, op. cit. (23), pp. XVIII-XXIII. Une histoire récente des premières années de l’Ecole centrale est due à John Hubbel Weiss, The Making of Technological Man. The Social Origins of French Engineering Education (Cambridge (Mass.) & London (En-gland), 1982).
- 51. Les détails de l’organisation et de l’enseignement à l’Ecole Centrale sont plus aisément identifiables à partir des prospectus annuels. J’ai utilisé le prospectus de 1831 qui se trouve à la British Library à Londres.
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- trie qui auraient le statut intellectuel et social des polytechniciens^.
- Ainsi après 1830 le Conservatoire dut-il admettre son rôle secondaire, ne formant pas l’élite industrielle mais, pour autant que nous puissions le savoir, des individus qui voulaient devenir hommes d’affaires, contremaîtres, techniciens de haut grade ou artisans. Ce n’était pas un rôle indigne, loin de là, mais dans un pays qui, aujourd’hui encore, voue une admiration inusitée à l’intellect et à la hiérarchie des institutions d’enseignement, un établissement proposant des cours du soir à temps partiel ne pouvait exiger la plus haute considération. Les promoteurs du grand mouvement de création des mechanics’ institutes en Grande-Bretagne, au xixe siècle, ne pouvaient que compatir du fond du cœur.
- 52. Dans un article du Globe du 8 octobre 1828, cité dans Comberousse, op. cit. (50), p. 18, Paul Dubois mentionne que l’Ecole Centrale alors projetée serait « une sorte d’Ecole Polytechnique civile ». En réalité, l’Ecole Centrale reprit étroitement le modèle de l’Ecole Polytechnique tel qu’il était à sa fondation en 1794.
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- Les Cahiers d’histoire du CNAM, 1992, 1, 93-116
- Rationalisation et formation des ingénieurs en France avant la seconde guerre mondiale
- Aimée Moutet*
- L’introduction des méthodes d’organisation américaines en France a eu un double impact sur les systèmes de formation des ingénieurs. D’une part, la rationalisation a été un instrument de rénovation de l’enseignement de certaines écoles d’ingénieurs, d’autre part les progrès de la rationalisation dans l’industrie française ont créé dans les entreprises le besoin de cadres ayant des connaissances d’un type nouveau. Ce sont ces deux effets que nous nous proposons d’étudier ici. De plus, en abordant la question de la formation des ingénieurs, nous verrons comment, de ce point de vue, l’industrie d’un pays, la France, s’est adaptée à l’implantation de systèmes nés dans un contexte économique étranger, celui des Etats-Unis.
- La place de l’organisation scientifique du travail dans la formation des ingénieurs
- Avant la première guerre mondiale
- Rencontre entre la propagande de Taylor en Europe et les préoccupations de Henry Le Chatelier
- En 1907, Taylor a tenté d’étendre l’application de son système en Europe par les mêmes méthodes qu’il avait utilisées aux Etats-Unis. Son objectif était de créer, comme en Amérique, un groupe d’ingénieurs formés à ces méthodes d’organisation. Il souhaitait toucher des techniciens de haut niveau qui, par leur position dans les directions des entreprises, seraient bien placés
- * Maître de Conférence en Histoire contemporaine à l’Université de Paris XlII-Villeta-neuse.
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- pour convaincre les industriels d’adopter un plan d’organisation inspiré de ses idées. Aussi s’est-il adressé à un ingénieur qui était en même temps un savant de grande renommée, Henry Le Chatelier. Il proposait à ce dernier de recevoir aux Etats-Unis les ingénieurs choisis par lui. Placés dans les entreprises qu’organisaient ses disciples, ces jeunes techniciens apprendraient par la pratique comment mettre en œuvre les méthodes tayloriennes. Cette proposition a été accueillie avec enthousiasme par le savant français. Elle correspondait, en effet, tout à la fois aux idées personnelles de Le Chatelier et à l’effort déployé depuis la fin du 19me siècle par les ingénieurs du corps des Mines en matière d’enseignement. Comme l’a montré A. Thépot dans sa thèse Les ingénieurs du corps des Mines en France au XIXme siècle, cette élite, formée pour le service de l’Etat, a occupé une place éminente dans le développement de l’enseignement scientifique et technique. Les membres de ce corps ont, les premiers, tenté de donner à la formation des ingénieurs une double orientation théorique et pratique. Ils ont ainsi participé par leur enseignement dans les facultés des sciences à la création, par ces dernières, d’instituts industriels spécialisés dans les années 1890(1).
- Henry Le Chatelier était très représentatif de ce courant de pensée. Membre le plus prestigieux du corps des Mines, il était professeur à l’Ecole des Mines de Paris. Savant, élu à l’Académie des Sciences en 1907, il était très lié aux milieux industriels par ses relations personnelles et par les membres de sa propre famille. Aussi sa préoccupation première était-elle de faire profiter l’industrie des progrès de la science. C’est dans ce but qu’il s’efforçait de donner aux futurs ingénieurs les méthodes rigoureuses d’étude des problèmes qui étaient celles de la recherche. Il espérait qu’ensuite ceux-ci seraient capables d’appliquer cet esprit dans leur entreprise pour résoudre les problèmes de la production. Dans le système de Taylor, Le Chatelier vit de prime abord une méthode scientifique appliquée à l’industrie qui pourrait remplacer l’empirisme qui présidait jusque là à l’organisation de la production. Dès la fin de 1906, il écrivait à Taylor :
- 1. A. Moutet, « Les origines du système de Taylor en France. Le point de vue patronal (1907-1914) », Le Mouvement social, octobre-décembre 1975, pp. 1-49 Taylor’s Collection, Stevens Institute of Technology, Hoboken New Jersey, dossier 63B, 10.11.1913, d’H. Le Chatelier à H. Hathaway. Ibid, dossier 63B, 26.10.1913, de Taylor à H. Le Chatelier. Ibid, dossier 63B, 30.1.1914, d’H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 26.10.1913, de Le Chatelier à Taylor. Ibid. 180C, de Taylor à de Ram, 20.9.1909.
- A. Thépot, Les ingénieurs du corps des Mines au XIXme siècle, 1810-1914. Recherches sur la naissance et le développement d’une technocratie industrielle, Thèse, Université de Paris X-Nanterre, 1991.
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- « Nous qui croyons à l’étude scientifique des techniques nous avons tous enseigné à nos étudiants que, pour résoudre des problèmes pratiques, il fallait d’abord déterminer de façon exacte et définir les différents éléments du problème, ensuite classer ces éléments d’après leur degré d’importance et finalement étudier les effets de chacun de ces éléments comme variable indépendante ».
- C’est la méthode que semblaient avoir suivie C. Barth et Taylor dans leur étude de la coupe des métaux, dont ce dernier lui avait adressé le compte-rendu.
- Cependant, si le savant français et l’ingénieur américain avaient une préoccupation commune : introduire une méthode rigoureuse dans l’organisation de la production, leurs points de vue étaient sensiblement différents. Le premier était plus soucieux d’imposer une démarche inspirée des méthodes de la recherche scientifique ; le second visait avant tout à analyser le fonctionnement de la fabrication en vue d’en améliorer l’efficacité. Sa perspective était plus pratique et plus directement opératoire. Sa méthode était enracinée dans la réalité concrète de l’atelier. The Art of Cutting Métal était la partie la plus scientifique des recherches de Taylor. Il devait beaucoup de ce caractère à la collaboration de C. Barth qui était un mathématicien. L’originalité du taylorisme reposait plutôt sur le mode d’organisation des entreprises qui permettait d’élever la productivité en éliminant tous les éléments, individuels, organisationnels ou mécaniques, qui pouvaient freiner le déroulement du processus de production. Il impliquait la création de services spécialisés chargés de l’étude du travail, ainsi que celle de procédures de direction et de contrôle au niveau de l’exécution, afin que temps et méthodes soient respectés et la fluidité de la marche de la fabrication assurée. L’analyse du travail utilisait comme principale méthode le chronométrage des opérations, telles qu’ effectuées par les ouvriers les plus habiles. L’ingénieur taylorien était donc un homme d’atelier, capable de mettre en place ce système de direction et de réformer les pratiques défectueuses existant dans l’entreprise qui l’employait. Taylor estimait qu’un tel savoir-faire ne pouvait s’acquérir que par la pratique, en participant aux travaux d’organisation tels qu’ils étaient mis en œuvre dans une usine donnée. Le stage en entreprise qu’il offrait aux ingénieurs français qui acceptaient de venir aux Etats-Unis devait donc être de longue durée (plusieurs mois). Il consisterait en une participation effective au travail de production et d’organisation.
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- Cette exigence a fait obstacle aux projets de Taylor et Le Chatelier. Ce dernier n’est parvenu qu’à la veille de la guerre à trouver un ingénieur qui accepte de partir dans ces conditions. Encore ne s’agissait-il pas d’un élève des grandes écoles, mais d’un chimiste diplômé de l’Institut de chimie appliquée de la Faculté des sciences de Paris, E. Nusbaumer. La notion de stage en entreprise ne correspondait en effet nullement au mode de formation des ingénieurs dans les grandes écoles. Celle-ci comportait une part importante de savoir théorique fondé sur l’enseignement des mathématiques à un niveau élevé et une orientation vers l’application des découvertes scientifiques à la technique, mais aucun contact n’était prévu avec le monde de la production. Seuls les élèves des Ecoles des Mines devaient faire un stage dans une exploitation houillère. Mais, étant donné le faible rôle des ingénieurs dans la direction du travail au fond, ce stage ne pouvait leur faire découvrir la réalité de la production. Il en allait, semble-t-il, de même pour le stage qu’imposait l’école d’application du Génie maritime aux jeunes polytechniciens qu’elle recrutait par concours. D’après un ingénieur de ce corps d’ingénieurs de la Marine nationale, dans une lettre datant de 1917, en deux ans d’enseignement les stages se limitaient à cinq ou six visites au laboratoire central de la Marine. Les séances, qui ne duraient qu’une heure chacune, étaient occupées par l’initiation au travail d’ajustage selon les méthodes les plus traditionnelles. De même, le voyage d’étude qui aurait dû faire découvrir la vie des arsenaux n’était pas pris au sérieux. Il se déroulait après le concours de sortie, et était considéré par les élèves comme une récréation après une période de bachotage intensif. De plus, ce voyage ne débouchait sur aucune étude sérieuse faute de directives, d’encadrement et de sujet défini qui aurait donné lieu à un mémoire. Ainsi, lorsque le jeune ingénieur recevait à sa sortie de l’Ecole la direction d’un atelier ou d’un service, comme c’était l’habitude dans les arsenaux de la Marine, c’était sa première prise de contact effective avec le travail de production.
- Les premiers contacts de l’industrie française avec le système de Taylor ont donc amené à prendre conscience d’une lacune dans la formation des ingénieurs des grandes écoles. Le Chatelier allait jusqu’à penser que le grand problème posé par l’introduction de l’organisation scientifique dans les entreprises, viendrait non de ces usines même mais de la difficulté de trouver des ingénieurs capables d’appliquer une méthode aussi éloignée de leurs préjugés et aussi nouvelle pour eux. N’ayant eu, au cours de leurs études, aucun contact avec les ouvriers, ils seraient ensuite bien embarras-
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- sés pour leur donner les instructions nécessaires au changement de leurs habitudes. L’application du système Taylor imposait donc de compléter la formation des ingénieurs par un enseignement des méthodes d’organisation. Ces connaissances nouvelles ne pouvaient s’acquérir qu’en ajoutant à la formation scolaire des élèves une expérience effective du travail en usine et des problèmes posés par la marche de la fabrication dans les entreprises* (2).
- Les conséquences de la guerre
- Le rôle de Léon Guillet
- La guerre a eu pour effet de révéler l’impérieuse nécessité d’une organisation scientifique de la production industrielle. Elle a aussi été l’occasion pour Le Chatelier, chargé de s’occuper de ce problème au début du conflit, de passer le relais à un homme nouveau, Léon Guillet. Celui-ci était tout désigné pour assumer cette tâche. Ancien élève de l’Ecole centrale, c’était un ingénieur civil qui avait commencé sa carrière dans l’usine de construction automobile de Dion Bouton. Il s’était ainsi trouvé placé dans le secteur qui, avec celui de l’armement, était à la pointe de la recherche dans la métallurgie, industrie dans laquelle la France avait une avance technique sur l’ensemble de ses concurrents. Les besoins spécifiques de la construction automobile ont amené Léon Guillet à s’engager dans la recherche dans le domaine des alliages légers. Sa carrière fut dès lors, comme celle de Le Chatelier, à la jonction entre la recherche, l’industrie et l’enseignement. Professeur au Conservatoire national des arts et métiers en 1906, puis à l’Ecole centrale en 1911, il succéda pendant la guerre à Le Chatelier à la direction de la Revue de Métallurgie, publication
- 2. P. Fridenson,« Un tournant taylorien de la société française », Annales ESC, septembre-octobre 1987, p. 1038. D. Nelson, Frederick W. Taylor and the Rise of Scientific Management, The University of Wisconsin Press, Madison, Wisconsin, 1980. Taylor’s Collection, dossier 63A, 7.12.1906, H. Le Chatelier à Taylor. F.W. Taylor,« La taille des métaux», Revue de Métallurgie, mars 1907, pp. 233-336. Taylor’s Collection, dossier 14D, 1915, Ch. De Fréminville. Fr. Le Chatelier, Henry Le Chatelier. Sa vie son œuvre, son temps, Paris, 1969. «Henry Le Chatelier», VUsine, 11.2.1922. «Henry Le Chatelier», Ibid.,14.9.1936, p.ll. M. Ponthière, «Henry Le Chatelier», Bulletin du CNOF, Juillet 1936, pp. 236-239. Taylor’s Collection, dossier 63A, 2.2.1907, H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 14.6.1912, H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 2 et 5 .9.1913, d’H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 5 mai, 14 juin, 2 et 5 juillet, 3 août,
- 2 novembre 1912, d’H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 27.7.1913, d’H. Le Chatelier à Taylor. Ibid, dossier 63B, 17.7., 19.11. 1912, de Taylor à H. Le Chatelier. Ibid, dossier 180C, 27.1., 26.3. 1913 et 7.3.1914, de Taylor à de Ram. »Lettre à M.L.Guillet«, N.Ingénieur du génie maritime, Revue de Métallurgie, mai-juin 1917. Taylor’s Collection, dossier 180C, 11.4.1913, d’H. Le Chatelier.
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- dont ce dernier avait tenté de faire le lieu de rencontre entre recherche pure et science appliquée à la technique.
- Pendant le conflit, en 1915, c’est d’abord Le Chatelier qui fut chargé d’inspecter les usines métallurgiques afin d’étudier la cause des nombreuses malfaçons qui s’étaient révélées dans la fabrication des obus. Son analyse conclut naturellement à la nécessité d’organiser cette production selon des méthodes scientifiques. C’est alors Guillet qui assura la direction de l’organisation, inspirée des principes de Taylor, qui fut mise en œuvre dans ces ateliers métallurgiques. Par ailleurs, à la fin de 1916, répondant aux vœux du gouvernement qui demandait une enquête sur l’enseignement technique, il a lancé un vaste débat sur la formation des ingénieurs au sein de la Société des ingénieurs civils de France, association créée en 1848 qui réunissait essentiellement des ingénieurs issus de l’Ecole centrale. Enfin, en 1917, c’est à lui que le Ministère de l’Armement adressa André Citroën qui cherchait par quels moyens améliorer la qualité de sa fabrication d’obus schrapnel. Par ses conseils, il fut ainsi à l’origine de la création de laboratoires de métallurgie aux usines Citroën. Ces installations ont toujours par la suite été désignées par le grand constructeur d’automobiles comme la pierre angulaire de son entreprise. Ainsi, à la fin de la guerre, Léon Guillet apparaissait comme le promoteur de l’application de la science à l’industrie.
- En ce qui concerne l’enseignement, cet ingénieur a défini dès 1916 les conceptions qu’il devait appliquer, après la fin du conflit, au CNAM et à l’Ecole centrale, dont il prit la direction en 1921. L’objectif, selon lui, était d’introduire dans l’enseignement les principes qui correspondaient aux nécessités de l’industrie, et de permettre simultanément aux entreprises d’appliquer les méthodes scientifiques dans la production. L’enseignement donné aux futurs ingénieurs ne devait être ni trop exclusivement théorique, c’est-à-dire dominé par les mathématiques, ni purement descriptif. Il devait porter sur les principes de base qui sont communs à l’ensemble des industries. Parmi ceux-ci, les deux principaux concernaient le prix de revient et la qualité. L’enseignement théorique débouchait donc directement sur les problèmes concrets de production industrielle ; du point de vue pédagogique, il insistait sur le caractère expérimental que devait présenter la formation des ingénieurs. Il mettait ainsi l’accent sur les travaux en laboratoire. Pour établir la liaison entre enseignement et pratique industrielle, il préconisait de développer les voyages d’étude et les visites d’usine, et de rendre oligatoires les stages en entreprise. Enfin les projets de fin d’étude devaient être l’expression de l’initiative
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- personnelle et des idées de l’élève et non une compilation livresque. Pour répondre aux besoins de l’industrie, il souhaitait le développement de nouvelles filières correspondant aux secteurs les plus modernes, comme ceux de la construction électrique et de la chimie. Ces enseignements pourraient être institués par les universités ou par des organismes indépendants (sans doute pensait-il aux syndicats patronaux et peut-être aux associations d’ingénieurs, voire à des industriels dirigeant de puissantes entreprises) (3).
- Ce programme fut d’abord mis en application au CNAM, où Léon Guillet fit créer des laboratoires d’essai et de mesure. Ceux-ci devaient servir à l’enseignement ainsi qu’aux entreprises pour contrôler la marche de la fabrication et la qualité de leur production. Les élèves prendraient l’habitude d’utiliser mesures et contrôle, et pourraient appliquer ces pratiques dans leur travail. Les établissements trop peu importants pour posséder leurs propres laboratoires auraient néanmoins les moyens d’assurer et de vérifier la qualité de leur fabrication. En même temps, Guillet a institué, à côté des cours du soir, qui étaient gratuits et ouverts à tous, un enseignement de jour, payant. Celui-ci s’adressait à des techniciens envoyés par leur entreprise. Il leur offrait la possibilité de compléter leur formation ou de poursuivre des recherches et de préparer une thèse sanctionnée, à partir de 1922, par le titre d’ingénieur du CNAM. La liaison était ainsi établie entre enseignement et recherche d’une part, production industrielle de l’autre. L’industrie pouvait suivre le progrès technique, et la recherche profiter de l’expérience acquise par les ingénieurs dans leur travail.
- A l’Ecole centrale, Léon Guillet a lancé dès 1922 un vaste programme de construction de laboratoires et d’ateliers dont la réalisation s’est étendue jusqu’au début des années 1930. Ces installations ont connu une nouvelle phase de développement à la veille de la seconde guerre mondiale alors que se préparait la
- 3. AN (Archives nationales de France, Paris), 94 AP 80, 14.6.1915, Rapport de l’usine de Saint-Chamond. Ibid. 94 AP 73, 20.9.1915, Rapport de l’Inspection des Forges. Ibid. 94 AP 343, M. Roques, «L’effort de guerre français». Ibid., 94 AP 350, 25.8.1915, Rapport d’H. Le Chatelier. L. Guillet, Mémoire sur le traitement thermique des obus, Introduction de H. Le Chatelier, Paris, janvier 1916. «Léon Guillet», la Technique Moderne, 15.4.1932, p. 15. L. Guillet et H. Godefroid, «Les laboratoires des usines André Citroën », Revue de Métallurgie, janvier-février 19Î8, pp. 19-64. « Conférence d’A. Citroën aux anciens élèves de l’Ecole centrale », Information ouvrière et sociale, 7.3.1918. L. Guillet, « L’enseignement technique supérieur en France et en Allemagne », 3.11.1916, Réunion de la Société des ingénieurs civils, Bulletin de la Société des Ingénieurs civils de France, novembre-décembre 1916, pp. 617-705. « La formation des ingénieurs », débat, Revue de Métallurgie, novembre 1916, mai-juin 1917, pp. 169 et suivantes, pp. 403 et suivantes.
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- mobilisation de l’industrie au service de la défense nationale. Certains laboratoires et ateliers ont été complétés, de nouveaux enseignements développés (fonderie, machines-outils et soudure autogène). L’emploi de ces installations par les élèves de l’Ecole ainsi que par des ingénieurs de l’industrie ou des stagiaires étrangers était devenu une pratique courante. Services publics (en particulier le Ministère de l’air) et groupements corporatifs s’en servaient pour poursuivre leurs recherches. Ces réalisations permettaient d’inculquer aux futurs ingénieurs les méthodes scientifiques appliquées à l’étude de la fabrication ainsi que les principes qu’imposait la production en usine. On pouvait affirmer que désormais l’Ecole enseignait « en particulier des questions de lieux, de temps, de transport, etc. Elle apprend également les méthodes de travail et d’étude, de contrôle et de discussion des résultats qui sont indispensables non seulement au travail scientifique, mais même à tout travail utile et profitable, sans oublier le côté du rendement de ce travail ».
- En même temps, elle offrait aux entreprises la possibilité de suivre le progrès en poursuivant des recherches et en faisant donner à leurs ingénieurs une formation aux techniques nouvelles. « Ainsi l’Ecole concourt au progrès que les recherches apportent à l’industrie ». Léon Guillet a su donner à l’Ecole qu’il dirigeait une personnalité originale. Selon un ingénieur, élève de cet établissement entre 1927 et 1930, l’Ecole centrale se distinguait des autres grandes écoles, en particulier Polytechnique, par l’aspect très technique et concret de la formation qui y était donnée. Les éléments théoriques qui étaient enseignés, débouchaient immédiatement sur une application. Les professeurs étaient des hommes qui avaient l’expérience de l’industrie, et savaient faire passer celle-ci à travers leurs cours. Cependant les systèmes d’organisation rationnelle étaient peu enseignés. La formation dispensée en impliquait simplement l’emploi. Par exemple, les cours d’utilisation des machines-outils étaient présentés dans le cadre d’une organisation rationnelle, en tenant compte du processus de fabrication et des prix de revient correspondant aux types d’équipements utilisés. Notre interlocuteur nous faisait remarquer que dans ingénieur, il y a le mot ingénieux. C’est cette qualité que développait l’Ecole chez ses élèves. Elle préparait des hommes que les problèmes de l’atelier et de la fabrication ne prendraient pas au dépourvu. Mais elle ne leur imposait pas d’expérience directe de la production. Au début des années 1930, les stages en entreprise n’étaient toujours pas obligatoires. Elle ne leur permettait pas non plus, et ceci n’est peut-être pas sans rapport avec cela, de disposer
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- des techniques d’organisation scientifique du travail. Comme pour les procédés de fabrication, ou pour les installations mécaniques, cet enseignement s’en tenait aux principes généraux. C’était aux ingénieurs de faire ensuite leur propre expérience en fonction des conditions particulières à l’industrie et à l’entreprise qui les employait(4).
- L’enseignement de l’organisation scientifique du travail
- Le progrès continu de la rationalisation dans l’industrie française tout au long de l’entre-deux-guerres a posé aux entreprises un problème également constant de recrutement ou de formation de cadres capables d’appliquer les méthodes américaines. Au sortir de la guerre, ces systèmes ont tout d’abord été très populaires du fait du rôle qu’ils avaient joué dans l’essor des industries d’armement. Ayant rendu possible la victoire sur « l’autre Front », celui de la production, ils semblaient être la panacée pour conquérir les marchés extérieurs et y supplanter l’industrie allemande. Ils allaient permettre de gagner la paix. D’autre part, les gains de productivité et la réduction des prix de revient qu’ils avaient engendrés avaient convaincu les industriels qu’une production de masse était réalisable en France, et que celle-ci trouverait des débouchés presque illimités. Si la crise de 1921 a refroidi cet enthousiasme, la conjoncture favorable qui s’est instaurée entre 1926 et 1930 a remis la rationalisation à l’ordre du jour. Les nouveaux débouchés, l’arrêt de l’inflation et la pénurie de main d’œuvre, en particulier le manque d’ouvriers qualifiés, se sont conjugués pour imposer l’emploi de méthodes qui permettaient d’accroître la production tout en comprimant les prix de revient et en utilisant une masse de travailleurs non professionnels.
- Dans les années de la grande crise, c’est la nécessité d’abaisser les coûts de fabrication pour accompagner la chute des prix de vente, et celle non moins impérieuse, de s’adapter à des conditions
- 4. J. Cournot, « Le laboratoire de métallurgie et le travail des métaux au CNAM », Bulletin de la Société des Ingénieurs civils de France, mars-avril 1927, pp. 371-387. « Rénovation de l’Ecole centrale», Y Usine, 4.7.1925. L. Guillet, J. Durand, L’industrie française. L’œuvre d’hier, l’effort de demain, Paris, 1920, pp. 178-179 et 183-184. L. Guillet, « Les nouveaux ateliers et laboratoires de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures », Génie civil, 23.5.1925, pp. 497-509. « Le centenaire de l’Ecole Centrale », Y Usine, 1 juin 1929, pp. 25 et 27. L. Guillet, «Le laboratoire industriel en France et aux Etats-Unis », Comité d’Etudes sociales et populaires, Rationalisation, décembre 1929, pp. 39-40. L. Guillet, « Les laboratoires et ateliers de l’Ecole Centrale des Arts et Manufactures », Génie Civil, 16 septembre 1933, pp. 269-273.
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- de vente très défavorables aux producteurs (le caractère incertain du marché), qui ont amené une nouvelle diffusion des méthodes d’organisation. Dans tous les cas, pour appliquer ces systèmes, les entreprises devaient disposer d’un encadrement capable de réaliser cette opération. Les grandes entreprises ont eu largement recours aux Etats-Unis, soit en embauchant des ingénieurs américains, soit en envoyant leurs techniciens se former dans des usines outre-Atlantique. Ce fut le cas de sociétés comme Renault et Citroën dans l’automobile, de Thomson-Houston dans la construction électrique. Les compagnies houillères ont, de leur côté, organisé des voyages d’étude, d’abord dans la Ruhr puis également dans d’autres régions charbonnières d’Europe. Une telle politique n’était évidemment pas accessible à la masse des entreprises. On assiste donc à la multiplication des initiatives visant à fournir à l’industrie les moyens de mettre en œuvre les méthodes nouvelles d’organisation. Celles-ci se placent dans le prolongement des efforts développés avant la guerre par Le Chatelier. A partir de 1926, ce sont les organisations corporatives, du patronat ou des ingénieurs, qui se sont préoccupées du problème. Mais il faut attendre la seconde moitié des années 1930 pour qu’apparaisse une véritable école d’organisation scientifique du travail.
- Les initiatives dues à H. Le Chatelier et à son entourage
- Au lendemain de la guerre, Le Chatelier a tiré la leçon de ses efforts précédents pour convaincre les ingénieurs de la nécessité des stages en entreprise afin d’acquérir la connaissance du taylorisme. Il a disposé du soutien financier d’une grande entreprise qui avait été en relation avec Taylor en vue d’organiser ses ateliers dès 1912, la société Michelin de Clermont-Ferrand. Enfin, il a pu utiliser les services des ingénieurs qui se réclamaient en France des idées du père de l’organisation scientifique du travail. Cette collaboration a abouti à la création d’un Comité d’organisation rationnelle, fondation Michelin, qui devait faire connaître et adopter les méthodes scientifiques d’organisation.
- La première tâche de cet organisme fut de créer un enseignement de la rationalisation pour les élèves des grandes écoles. Celui-ci comportait une partie théorique sous forme de conférences présentées par des ingénieurs proches de Le Chatelier, comme Albert Caquot du corps des Ponts et Chaussées, ou spécialistes de l’organisation. Selon Nusbaumer qui a joué un rôle actif dans l’entreprise, ces conférences, dont le texte a été publié en 1925, constituaient alors l’un des ouvrages les plus importants sur le
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- système Taylor, au moins en France. Les élèves recevaient également une formation pratique. Ils étaient initiés au chronométrage à l’Ecole des arts et métiers de Paris. Ils devaient faire un stage de deux semaines dans une entreprise où les problèmes d’organisation étaient étudiés de façon rigoureuse, et présenter un rapport à l’issue de celui-ci. Enfin, le Comité Michelin organisa, en collaboration avec la Compagnie générale transatlantique, un voyage d’étude aux Etats-Unis et offrit une bourse aux jeunes ingénieurs qui souhaitaient faire un stage dans les usines américaines.
- Cette formation, si l’on en juge par le nombre de stages réalisés, a touché 306 jeunes gens issus des écoles d’application de Polytechnique (Ponts et Chaussées, Mines, PTT, Aéronautique, Génie militaire et Artillerie navale) entre 1921 et 1925. L’entreprise a connu un succès croissant, puisque le nombre des stagiaires s’est élevé dans ce temps de 75 à 128. Cependant l’expérience fut abandonnée en 1925. Elle coûtait cher à Michelin qui a versé au Comité une subvention de 81.600 francs en 1922-23 et de 100.000 francs l’année suivante.
- Or, la majorité des jeunes ingénieurs ne tiraient que peu de profit de la formation reçue. Ils n’ont une fois de plus pas pris au sérieux les stages en usine. Nusbaumer, qui organisait le placement de ces jeunes dans les entreprises de la région du Centre, s’est montré scandalisé par le comportement de certains d’entre eux et par la médiocrité de la plupart des rapports. Sortant de l’Ecole, imbus de savoir scientifique et ignorants des problèmes d’exécution du travail, les stagiaires se sont peu intéressés au chronométrage et aux questions d’organisation de la marche de la fabrication. D’une part ils ont affiché leur mépris pour la tâche qui leur était imposée ; l’un d’entre eux, par exemple, se faisait apporter un fauteuil pour chronométrer plus à son aise un ouvrier au travail, un autre lisait franchement le journal pendant la dernière demi-heure de la matinée, et cela en plein atelier. D’autre part, leurs rapports n’étaient souvent que des compilations de notes de cours ou d’ouvrages théoriques. Ils attestaient ainsi du peu d’effort qui leur avait été consacré. Ils montraient aussi que les stagiaires n’avaient pas vu les problèmes de fabrication posés par le caractère particulier de l’entreprise qui les accueillait. Ils n’étaient pas assez préparés à l’exercice pratique de leur métier pour s’apercevoir de l’intérêt que présentait pour eux l’expérience de la vie en usine. Sur 73 rapports examinés par le Comité, 5 seulement faisaient l’étude d’un problème précis se posant dans l’entreprise, et aboutissaient à une conclusion. Parmi les autres stagiaires, ceux qui avaient pris la peine de considérer l’usine où ils se trouvaient, s’étaient conten-
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- tés d’en décrire les installations. Aussi, à partir de 1925, Michelin a-t-il supprimé ses subventions. La société s’est contentée de former ses propres ingénieurs aux méthodes de Taylor en imposant aux jeunes nouvellement embauchés de suivre l’enseignement de son école ; celui-ci comportait une part prépondérante d’exercices d’organisation à partir de problèmes pratiques ; ceux qui n’acceptaient pas de se plier à cette discipline n’avaient qu’à s’en aller ; L’enseignement de l’organisation s’est trouvé limité aux écoles que créaient les grandes entreprises pour la formation de leurs cadres subalternes ou supérieurs. On retrouve le même système chez Citroën au seuil des années 1930(5).
- Les établissements formant des techniciens ont été peu nombreux à introduire l’organisation dans le cycle de leur enseignement. Il s’agissait tout d’abord d’écoles ayant une orientation pratique et s’adressant à un public de techniciens d’atelier. Tel était le cas des écoles d’arts et métiers qui formaient à l’origine des contremaîtres. En liaison avec les réalisations du Comité Michelin, l’école de Paris a ainsi créé un enseignement pratique du chronométrage dès l’année scolaire 1922-23. Elle y a ajouté l’année suivante quelques cours portant sur l’organisation.
- Le CNAM, quant à lui, était ouvert à tous et ses cours du soir étaient gratuits. Il accueillait surtout des ouvriers qualifiés ou des contremaîtres qui désiraient se perfectionner, acquérir un savoir plus général mais néanmoins directement utilisable pour assurer leur promotion professionnelle. L’influence d’hommes de l’entourage de Le Chatelier, à commencer par Léon Guillet, n’est sans doute pas étrangère au fait que, dès 1927, un cours d’Organisation
- 5. Aimée Moutet, « La rationalisation industrielle en Allemagne et en France avant la deuxième guerre mondiale. Intervention sur l’exposé de Peter Hinrichs et Ingo Kol-boom », in Frankreich und Deutschland, München 1990, pp. 411-416. A. Moutet, « L’industrie française des années 1930 : une rationalisation de crise», Annales ESC, septembre-octobre 1987, pp. 1061-1078. « Discours d’A. Citroën aux étudiants des Arts et Manufactures», la Journée Industrielle, 22 octobre 1918. AN 91 AQ 24, Usines Renault, Mai-Juin 1932, Jannin, visitant des usines aux Etats-Unis. «J. Mongon, »La vie dans les usines américaines«, conférence de l’UIMM », V Usine, 22 février 1929. «Thomson-Houston», Ibid., 5 août 1920. «Communication de Bellouard, 15 mars», Bulletin du CNOF, Avril 1928, pp. 1-15. E. Rosay, « La rationalisation dans les mines : enquête sur la rationalisation menée dans les mines de la Ruhr », La Tribune, mai-juin 1927, p.3. Taylor’s Collection, dossier 63B, 30 juillet 1912, d’H. Le Chatelier à Taylor ; de Taylor à Le Chatelier, 21 août, 17 septembre 1912, 8 juillet 1913. Ibid, dossier 180B, 8 septembre, 4 octobre 1912,de H.K. Hathaway à M. Michelin. E. Nusbaumer, L'organisation scientifique des usines, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1924, Préface de H. Le Chatelier, pp. VII-IX. Archives de la famille d’H. Le Chatelier, 30 mai 1919, 5 octobre 1920, 12 juin 1923, 13 mai 1924. Ch. Thumen, « Le rendement industriel », Cahiers du redressement français, 1927, n° 8, pp. 142-143. Interview de J. Milhaud à Paris, octobre 1975.
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- scientifique du travail (OST) était donné dans cet établissement. En 1930 fut créée une chaire spécialement consacrée à ces questions ; l’organisation devenait ainsi une des branches de l’enseignement auquel avaient accès les cadres subalternes des entreprises de la région parisienne, mais elle ne faisait pas partie de la formation de la majorité des ingénieurs,et en particulier ceux issus des grandes écoles n’y étaient pas initiés. Une seule exception, mais de portée limitée, celle qui concerne les ingénieurs sortant de l’Ecole nationale supérieur d’aéronautique(6).
- Cette réalisation est de portée limitée dans la mesure où elle s’inscrit dans le cadre de l’action de l’Etat dans un secteur de production qui, par son utilisation à des fins surtout militaires, intéressait directement les pouvoirs publics. Elle se situe d’autre part dans le prolongement direct de l’œuvre menée par Le Chatelier au moyen du Comité Michelin.
- En 1928 est créé un Ministère de l’Air. L’objectif était d’opérer un redressement de l’industrie aéronautique qui avait décliné depuis la fin de la guerre. Les modèles fabriqués étaient produits en quantité insuffisante, la qualité était très défectueuse, et les types d’avions surannés. Aussi en 1929, Albert Caquot fut-il nommé à la direction des services techniques du nouveau ministère. Sa tâche serait à la fois de donner une impulsion à la recherche dans l’avionnerie comme dans la construction des moteurs, et de promouvoir le développement d’une industrie bien organisée, capable de fabriquer à une cadence élevée des appareils de qualité irréprochable. Orientée surtout vers la recherche, la politique de Caquot a donc visé également à introduire dans les usines d’aviation les méthodes d’organisation qui restaient l’apanage de la construction automobile. Cela s’imposait d’autant plus qu’en poussant les industriels à mettre au point des prototypes d’avions nouveaux, le directeur des services techniques créait des conditions de production peu favorables au progrès des rendements et de la qualité. Les nouveaux modèles risquaient en effet de n’être fabriqués qu’en série courte, voire de ne pas dépasser le stade du prototype. Or Caquot était très préoccupé d’efficacité
- 6. Archives de la famille d’H. Le Chatelier, 12 juin 1923, Comité d’organisation rationnelle, sur le rapport cité. Archives de l’Organisation internationale du travail (OIT), Genève, Suisse, N 401/2/2/0, Scientific Management Institute, 8 janvier 1928, note. Réunion de la Société d’Encouragement, 7 décembre, Bulletin de la Société d’Encouragement, juillet, août, septembre 1930.
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- industrielle, et très convaincu que les méthodes d’organisation américaines étaient le seul moyen d’assurer cette dernière. Ingénieur des Ponts et chaussées, il avait commencé sa carrière par des travaux sur le béton, ce qui l’avait mis en relation avec Le Chatelier dont les études faisaient autorité en la matière. Comme celui-ci, il était convaincu que le progrès ne pouvait venir que d’une collaboration entre savants, ingénieurs et industriels. Sa situation au Ministère de l’Air lui offrait la possibilité d’appliquer ses idées à l’aviation. Outre ses efforts pour promouvoir la recherche selon ce schéma, il a orienté le corps des ingénieurs de l’aéronautique, élite de techniciens au service de l’Etat, vers une collaboration avec l’industrie.
- C’est dans la double perspective de former des chercheurs en même temps que des techniciens capables de comprendre les problèmes de l’industrie et de répondre aux besoins de cette dernière, qu’a été réorganisée l’école aéronautique. L’ancien établissement privé, qui avait été créé en 1909, a été remplacé par une Ecole nationale supérieure de l’aéronautique en 1930. Celle-ci formait les membres du Corps, elle recevait aussi des élèves se destinant à l’industrie ou des non spécialistes désireux d’acquérir une connaissance technique de l’aéronautique. Comme à l’Ecole centrale, l’enseignement faisait une large place aux travaux pratiques réalisés en laboratoire et au travail personnel des élèves. En une année, ceux-ci devaient étudier quatre projets. Des séances de bureau d’étude et des visites à l’extérieur complétaient le caractère très technique de cette formation. L’originalité de cet enseignement, par rapport à celui des autres grandes écoles, était qu’il proposait, en dehors du cycle obligatoire de deux années, des cours facultatifs portant aussi bien sur le domaine de la science pure (comme la théorie de la relativité) que sur les questions industrielles ou économiques. C’est dans ce cadre qu’ont été faits des cycles de cours sur l’organisation des entreprises et l’hygiène industrielle. Cet enseignement a été confié à des ingénieurs tayloriens qui avaient une grande expérience personnelle de l’application de ces méthodes. Il s’agissait, en effet, des très prestigieux organisateurs des ateliers d’entretien et de réparation du matériel ferroviaire de la Compagnie d’Orléans et de la CGCEM (sous-traitant de la première). Mais les ingénieurs qui profitaient de cette formation étaient plus des membres des services techniques du ministère que des praticiens de l’industrie. De plus, cet enseignement restait facultatif. Au total, l’essentiel des ingénieurs recrutés par l’industrie restait démuni de toute initiation aux méthodes d’organisation tayloriennes ou fordistes. Seule l’Ecole des Mines de Saint-Etienne
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- s’était préoccupée de faire connaître à ses élèves les méthodes allemandes d’exploitation au fond(7).
- Les initiatives dues aux organisations corporatives des patrons et des ingénieurs
- A partir de 1927, l’engouement pour les méthodes d’organisation américaines s’est traduit par la floraison des comités d’OST. Le premier a été créé dès 1924-26 par des techniciens spécialisés dans l’application des systèmes de Taylor et de Fayol (l’organisation administrative des entreprises) sous le nom de Comité national de l’Organisation française (CNOF). Sont ensuite intervenus les syndicats patronaux. Celui de la métallurgie, l’UIMM, a institué son propre comité d’OST, en même temps qu’il soutenait financièrement le CNOF avec lequel il agissait de concert. La Confédération générale du Patronat français (CGPF) a institué, sous le patronage des grands industriels qui appliquaient les méthodes américaines dans les entreprises, la CEGOST. Mais l’objectif de ces comités était d’étudier et de faire connaître les méthodes nouvelles afin d’en assurer la diffusion, non de donner une formation aux cadres des entreprises qui les adoptaient. Le Comité d’OST de l’UIMM et le CNOF se sont contentés d’organiser des conférences périodiques et des visites d’usine. La CEGOST s’est d’abord occupée d’étudier les méthodes d’organisation, et a concentré ses efforts sur le mode de calcul des prix de revient. Elle a ensuite mis au point un système d’échange d’expérience inspiré de l’exemple américain. Dans des sections spécialisées, les cadres subalternes des entreprises se rencontraient pour présenter les solutions qu’ils avaient apportées aux problèmes qui se posaient à
- 7. P.L Richard, « L’aviation d’après-guerre », Revue Politique et Parlementaire, 20 avril 1934, pp. 68-76. «A. Caquot, directeur général de l’Aéronautique», Y Usine, 29 juillet 1932, p. 25. « Albert Caquot, président de la Société des Ingénieurs civils, séance du 14 janvier», Ibid., 27 janvier 1938, pp. 21 et 23. E. Chadeau, L’industrie aéronautique en France, 1900-1940, Thèse, Paris X-Nanterre, 1985, pp. 907-908, et pp. 785 et suivantes. R. Lemaire, «Ecole nationale supérieure de l’Aéronautique à Paris», Génie Civil, 18 mars 1933, pp. 245-249. E. Rimailho, L’organisation à la Française, Paris Delmas 1943, deuxième partie, p.l et suivantes, Leçons professées à l’Ecole nationale supérieure d’aéronautique, 1930-1934. M. Barbier, «Les houillères françaises et sarroise et le mouvement en faveur de l’organisation scientifique », Revue de l’Industrie minérale, 1 août 1929, p. 454. «J. Coumot, conférence », Y Usine, 23 mai 1930, p. 25.
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- eux et qui étaient communs à l’ensemble des participants(8). Seuls deux organismes patronaux ont fait une place à l’enseignement de l’organisation dans l’école qu’ils ont créée. Il s’agit des organisations professionnelles de la fonderie (Association technique de la Fonderie, ATF, et Syndicat général des fondeurs de France) et de la Chambre de Commerce de Paris.
- ATF et Syndicat général des fondeurs ont créé dès 1926, avec le soutien de la direction de l’enseignement technique, une Ecole supérieure de fonderie. Ce sont des cours du soir qui s’adressent aux ingénieurs envoyés par leur entreprise. Cet enseignement doit donner aux jeunes, à la sortie des écoles, un complément de formation pour les adapter à leur fonction dans l’usine. L’Ecole se propose de développer leurs qualités d’observation, d’organisation et de leur donner le sens du commandement. Pour les ingénieurs plus anciens,il fallait mettre à jour leurs connaissances techniques. Dans tous les cas, cet enseignement avait une forme très pratique. A partir de 1928, l’Ecole disposait à l’Ecole des arts et métiers de Paris, d’installations modernes sur lesquelles les élèves pouvaient s’exercer. Les questions les plus importantes étaient l’organisation de l’usine de fonderie et la qualité de la fabrication. Elles correspondaient aux problèmes particuliers à cette industrie.
- Au début du siècle, les techniques appliquées par les fonderies françaises pouvaient facilement supporter la comparaison avec celles appliquées dans les usines américaines. Mais depuis lors, à l’exception des ateliers dépendant de grandes entreprises automobiles ou métallurgiques, le plus grand nombre des fonderies, qui étaient de taille médiocre, ne s’était guère modernisé. La création de l’Ecole supérieure de fonderie correspondait au désir de rattraper ce retard. Il fallait permettre l’emploi d’engins mécaniques de transport et de production (au stage du moulage) ; introduire des méthodes d’étude et de contrôle scientifiques de la fabrication afin d’assurer la qualité et par là le rendement. Ce n’est certes pas un hasard si à l’origine de l’Ecole on trouve un industriel qui dirigeait
- 8. « Deuxième congrès international de l’OST à Bruxelles, 14-18 octobre 1925 », Y Usine, 7 et 14 novembre 1925. «Naissance du CNOF», Bulletin de l’IOST, août 1927. « Progression des effectifs du CNOF », Bulletin du CNOF, mars 1929. « Organisation scientifique du travail », Revue mensuelle de l’UIMM, octobre 1926. « Le service d’OST de l’UIMM », Bulletin du CNOF, janvier 1929. « Diffusion des recherches concernant l’organisation scientifique en France», Bulletin de l’IOST, février 1932, pp. 28-29. J. Milhaud, Chemins faisant, Paris, Edition Hommes et Techniques, 1956, pp. 64-69. Interview de J. Milhaud à Paris, octobre 1975. « Cours d’OST de l’UIMM », Bulletin du CNOF, Juillet 1928. « Conférence de l’UIMM à l’Ecole Centrale de Paris », Y Usine, 28 décembre 1928, p. 7. « Troisième conférence de l’UIMM destinée à la maîtrise », Ibid. 1 février 1929.
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- une entreprise de construction de matériel pour la fonderie (la société Bonvilain et Ronceray à Choisy-le-Roi) d’une part, et l’influence de Nusbaumer sur les usines du département du Cher, dont il était le conseiller, de l’autre. Pour Ronceray, c’était un moyen d’élargir les débouchés de l’industrie qu’il représentait. Quant à Nusbaumer, si c’était un taylorien convaincu, il avait aussi une formation de chimiste. Il trouvait ici à employer ses deux compétences et peut-être davantage la seconde que la première. L’Ecole supérieure de fonderie devait permettre de mettre de l’ordre dans des usines où régnaient la saleté et l’encombrement. Elle devait faire adopter des méthodes d’étude scientifique. On ne pouvait guère espérer développer l’emploi de méthodes d’organisation rationnelle à proprement parler. Cet idéal restait hors de la portée des usines auxquelles l’Ecole offrait ses services.
- La Chambre de Commerce de Paris a été entraînée dans le mouvement général qui amenait les institutions patronales à créer des Comités d’organisation. A la fin de la décennie 1920, elle créa ainsi un Institut d’organisation commerciale et industrielle ainsi qu’un Bureau de recherche industriel et commercial. Son objectif était, comme pour les syndicats patronaux, de développer propagande et étude de la rationalisation. Arrivant en dernier, elle proposait de regrouper l’ensemble des efforts déployés par le patronat. Mais cette coordination ne s’est pas réalisée. En revanche, Institut et Bureau de recherche ont mis sur pied un Centre de préparation aux affaires largement inspiré par l’exemple de la Graduate school of Business Administration de l’Université d’Harvard. Ce Centre, dans son école d’application, utilisait en effet la méthode d’étude de cas réels, comme son homologue américaine, et c’est lui qui fournissait les cas soumis aux élèves. L’enseignement comportait en outre des conférences faites par des spécialistes. Il devait porter aussi bien sur l’organisation industrielle que sur les domaines propres à la Chambre de Commerce (organisation commerciale, comptabilité, vie financière des entreprises, etc.)
- Cet enseignement a été confié à Louis Danty-Lafrance, un centralien qui s’était acquis une réputation de spécialiste en matière d’organisation rationnelle des entreprises pendant la guerre. En effet, il avait été affecté en 1917 à la Manufacture d’armes de l’armée à Saint-Etienne pour mettre au point une machine permettant d’élever le rendement des ouvriers qualifiés employés au dressement des canons de fusil et ainsi d’économiser cette main d’œuvre devenue rare. A cette occasion, il avait découvert et remis en pratique le système de salaire à prime
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- Rowan, appliqué dès avant le conflit dans les établissements industriels de l’armée. L’accroissement de rendement obtenu par ce moyen avait démontré ses capacités d’organisateur, tandis que sa participation à l’amélioration des méthodes de production pour les besoins de la guerre l’avait mis en rapport avec tous les spécialistes de l’organisation qui se consacraient à cette tâche. Grâce à ses relations, il fut le premier à enseigner de façon régulière les méthodes en usage dans l’industrie française. Ses cours au Centre de préparation aux affaires de la Chambre de Commerce de Paris devaient permettre aux cadres de direction de l’industrie et du secteur tertiaire d’intégrer les systèmes d’organisation dans leur mode de gestion des entreprises. Cependant ce n’est pas la Chambre de Commerce de Paris qui pouvait fournir aux établissement industriels les cadres de production formés aux méthodes d’organisation qui leur faisaient défaut. Cette formation des ingénieurs ne s’est en fait mise en place que très progressivement ($\
- La création d’un enseignement de l’OST
- L’enseignement de l’OST s’est développé en deux temps. Tout d’abord, entre 1925 et 1930, ont été créées deux chaires consacrées à ce sujet, toutes deux occupées par Danty-Lafrance, l’une à l’Ecole centrale, l’autre au Conservatoire national des arts et métiers. Au milieu des années 1930, c’est le CNOF qui a instauré un enseignement systématique de la rationalisation.
- 9. «Discours de Ronceray à l’ATF », Ibid. 17 janvier 1925, p. 29. H. Coqueugnot, «Impressions de voyage en Amérique», Ibid., 12 mars 1927, p. 27. L. Thomas, « Tendances modernes présidant à l’installation des fonderies », Ibid. 4 mars 1922. M. Magdelenat, «Organisation rationnelle de la fonderie », Ibid., 17 septembre 1927. « Conférence de L. Thomas », ibid. 25 février 1927. « Série de conférences annuelles de l’ATF. Organisation rationnelle du travail en fonderie», Ibid., 24 décembre 1927. Ronceray, « Ecole Supérieure de Fonderie, ouverture de la session de 1928 », Ibid., 1 juin 1928, p. 29. « Inauguration des locaux de l’Ecole Supérieure de Fonderie à l’Ecole des Arts et Métiers de Paris», Génie Civil, 4 février 1928, pp. 120-121. «Conférence de Nusbaumler à L’ATF, séance du 29 mars», L’Usine, 26 avril 1924. «Le Congrès international de la fonderie », Ibid, 17 septembre 1927. « Organisation de la diffusion de la recherche concernant l’OST », Bulletin de l’IOST, février 1932, pp. 28-29. FNSP Archives, Archives Cournot, JC4 Dr7, 2! février 1935, CNOF, réunion du Comité directorial. Ibid., JC4 Dr7, 12 juin 1935, réunion du Comité directorial. Ibid., JC4 Dr7, lé février 1936, Réunion du Comité directorial. AN 94 AP 74, 26 octobre 1916, Manufacture d’armes de Saint-Etienne. « L. Danty-Lafrance, conférence aux Arts et Métiers», Y Usine, 24 mars 1929. Ch. Thumen, «Le rendement du travail ouvrier», Cahiers du Redressement français, N°8, p. 82. Archives du CNAM, Professeurs, fiche L. Danty-Lafrance, 7 juin 1937, Luc, Rapport au ministre de l’Education nationale.
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- Dans la première période, on retrouve l’influence plus ou moins directe de Léon Guillet. Dès 1925, alors que s’achevait la construction de la première tranche des nouveaux laboratoires de l’Ecole centrale, le directeur nommait Louis Danty-Lafrance maître de conférences, chargé d’un cours d’organisation des usines. Cet enseignement comportait 16 conférences par an d’une heure trente chacune et s’adressait aux étudiants de troisième année. Il devait se poursuivre jusqu’aux années 1950.
- Au CNAM ce sont d’abord les industriels, imbus des méthodes américaines qui ont présenté leurs conceptions au cours de conférences d’actualité. En 1927, Louis Bréguet a exposé ce qu’était l’« Organisation industrielle aux Etats-Unis ». En 1929, André Citroën a longuement expliqué ses vues sur l’industrie automobile et la nécessité pour les constructeurs français d’adopter les méthodes fordiennes. Il a également proposé que soit créée une chaire d’organisation des usines automobiles au CNAM. Ce souhait, correspondant au moment où la rationalisation connaissait un premier grand succès dans l’industrie française, a convaincu le CNAM de créer une chaire d’OST en août 1929. Louis Danty-Lafrance, qui avait déjà présenté une conférence dans cet établissement l’année précédente, a été élu à ce poste et l’a occupé jusqu’à sa retraite, en 1954.
- Cependant, l’enseignement donné tant à l’Ecole centrale qu’au CNAM n’a pas suffi, et de loin, à former un nombre d’ingénieurs compétents en matière d’organisation qui corresponde aux besoins de l’industrie. Selon le propre fils de Danty-Lafrance, qui avait suivi les traces de son père, l’influence de ce dernier sur les élèves de l’Ecole centrale a été des plus limitées. Elle n’aurait touché que trois étudiants par promotion de 300 ingénieurs. Cette estimation est confirmée par le témoignage d’un ingénieur des chemins de fer qui a affirmé , lors de l’entretien qu’il nous a accordé en 1976, qu’il n’existait pas de cours d’OST à l’Ecole centrale lorsqu’il poursuivait ses études dans cet établissement au début des années 1930. Alors même qu’elle y était enseignée, l’organisation scientifique ne s’était donc pas intégrée dans la formation normale d’un ingénieur issu de l’Ecole centrale.
- Les cours offerts par le CNAM ont eu davantage d’influence ; mais ils s’adressaient à un public de cadres moyens, d’ouvriers qualifiés cherchant à s’élever dans la hiérarchie professionnelle ou de contremaîtres, et non à des ingénieurs. Ils leur apportaient une synthèse théorique de l’ensemble des systèmes d’organisation utilisés dans l’industrie française. Danty-Lafrance illustrait ses
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- propos par la présentation des différentes fiches en usage dans les Usines pour organiser la production. Mais ayant fait toute sa carrière dans la direction d’usines à gaz, au service de la Société du gaz de Paris, il n’avait pas d’expérience personnelle de l’application de ces méthodes, car celles-ci n’étaient pas nécessaires dans une production en flux continu. Il s’est donc contenté d’être un bon vulgarisateur des systèmes mis au point par les spécialistes de la rationalisation. Il apportait ainsi une formation théorique à des cadres subalternes qui avaient déjà une connaissance pratique de la marche des ateliers. Il n’a pas en revanche retenu l’attention d’élèves ingénieurs dénués d’expérience sur le terrain.
- C’est finalement le CNOF qui a instauré un enseignement systématique de l’OST destiné aux ingénieurs et qui s’adressait aux cadres en exercice dans les entreprises de l’industrie ou du secteur tertiaire. Deux écoles ont ainsi été créées, la première à Paris au tournant de 1934-35, la seconde dans le Nord à Lille, à la fin de 1936. Elles étaient une conséquence directe de la crise qui, en France comme partout, a atteint son point d’intensité maximum en 1932, et cela de deux façons. D’une part, le CNOF a connu des difficultés financières, les industriels qui le commanditaient lui retirant leur aide afin de réduire leurs dépenses. Les dirigeants de cet organisme ont donc cherché quel service suffisamment utile ils pourraient offrir face à la crise, pour que les chefs d’entreprise considèrent leur inscription au CNOF comme une dépense profitable. Il est apparu que la formation des cadres aux méthodes d’organisation correspondait à une urgence pour le patronat. La grande dépression a, en effet, amené l’extension de ces systèmes à de nouvelles entreprises dans les secteurs où ils étaient déjà appliqués et à des branches d’activité qui les avaient ignorés jusque là. Dans les deux cas s’est posé le problème du recrutement de cadres compétents en matière d’organisation. Il revêtait une forme particulièrement aiguë dans les entreprises de taille médiocre qui n’avaient pas les moyens financiers de recourir aux services de conseillers en organisation à un moment où leurs profits s’amenuisaient. La question était également difficile à résoudre dans les secteurs où n’existait aucune expérience dont s’inspirer.
- Les techniciens qui dirigeaient le CNOF ont apporté à ces industriels ce dont ils avaient besoin. Ils leur ont proposé de transmettre aux cadres de leur entreprise l’expérience des méthodes d’organisation qui était la leur. Cette formation devait déboucher sur des applications immédiates. Aussi était-elle de courte durée, un an, et comportait-t-elle outre des cours de caractère général, des spécialisations précises et des exercices pratiques ainsi
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- que la visite d’établissements où les méthodes étudiées étaient appliquées. Le résultat a été un succès immédiat. A Paris, dès l’ouverture des cours, en décembre 1934, 85 élèves ont été inscrits par leur employeur, 60 ont été assidus tout au long de l’année. Le chiffre des inscriptions s’est ensuite élevé. Il était de 100 en 1935-36 et de 300 en 1937-38. Les effectifs de l’Ecole de Lille furent aussi importants puisqu’on comptait 98 élèves dès la première année. La moitié de ceux-ci provenaient d’un secteur dans lequel la rationalisation n’était apparue que dans les années 1930 pour faire face à une chute des prix de vente particulièrement accentuée, celui du textile. Au total, au début de 1938, 600 élèves avaient été formés par les écoles d’OST du CNOF tant à Paris que dans le Nord. Il s’agissait de techniciens, ingénieurs ou cadres subalternes, en fonction dans des entreprises qui les inscrivaient, et payaient leur formation. Les cours avaient lieu le soir et le samedi après-midi. La formation était soigneusement adaptée aux besoins des établissements concernés. Par exemple, en 1935, le Président du comité de direction de l’Ecole suggérait que les exercices de chronométrage soient réalisés par les élèves dans leur usine, selon un programme fixé d’un commun accord par le chef d’entreprise et le directeur de l’Ecole.
- Les besoins créés par le progrès de l’organisation ont ainsi été à l’origine du système de formation continue des cadres en vue d’adapter ceux-ci aux changements des modes de production. Le CNOF s’est d’ailleurs spécialisé, après la seconde guerre mondiale, dans les stages de formation pour le personnel d’encadrement des entreprises. Apparaissait ainsi le recours des industriels à des prestataires de service spécialisés et non plus seulement à des sous-traitants fournisseurs d’éléments pour la fabrication(10).
- La portée de ces réalisations
- La rationalisation, sous la forme du système Taylor, s’est inscrite en France dans une mutation de l’industrie qui voit l’essor,
- 10. Ibid., juillet 1929, Vacance de chaire d’OST, L. Danty-Lafrance. Ibid., 15 janvier 1957,1. Danty-Lafrance. « Conférence d’A. Citroën au CNAM », Y Usine, 29 mars 1929. Art. cit., Ibid., 24 mars 1929. L. Danty-Lafrance, «Qu’est-ce que l’OST?», Anciens élèves et ingénieurs du CNAM, décembre 1930 - janvier 1931, pp. 7 à 9 et 15 à 17. L. Danty-Lafrance, L 'organisation des usines, Paris, Ecole Centrale des Arts et Manufactures sd. 106 p. L. Danty-Lafrance, Cours du CNAM OST, 1936 Fasc. 2, Programme des leçons 1935-1936, 2me partie, 1939, Fasc.l, cours de première année, 1ère partie, programme. Interview de J. Danty-Lafrance, décembre 1973. Interview de D. Bellier, janvier 1976. L. Danty-Lafrance, «L’organisation des entreprises», La Vie technique,
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- à partir du début du siècle, d’une grande production utilisant de puissants moyens mécaniques et des techniques de pointe. Le secteur concerné était la métallurgie dont les transformations ont été précipitées par deux industries pilotes : la fabrication des armements dans les manufactures de l’Etat, la construction automobile. C’est dans ce contexte que l’élite des ingénieurs et savants appartenant aux grands corps de l’Etat ou au génie civil ont cherché à introduire en France le modèle allemand déjà adopté par les Etats-Unis, en associant recherche théorique et appliquée, science et industrie. C’est au sein des grandes écoles d’ingénieurs qu’ils ont essayé d’établir les fondements de cette collaboration. Mais si Henry Le Chatelier voyait dans le taylorisme le moyen d’introduire les méthodes scientifiques dans l’industrie , après la grande guerre, avec Léon Guillet et ses épigones, c’est le laboratoire qui doit jouer ce rôle. La formation aux méthodes d’organisation rationnelle n’a pas trouvé sa place dans le cycle d’enseignement. Elle en a été écartée également, du fait de la nature de ces systèmes dont la valeur tenait plus à leur mode d’application qu’à la nouveauté ou au raffinement des principes sur lesquels ils reposaient. L’étude des méthodes d’organisation ne pouvait donc faire l’économie d’une initiation à la vie en entreprise. Or les stages en usine étaient trop éloignés du système d’enseignement des grandes écoles. Les élèves de ces établissements n’ont dans leur ensemble pas accepté de les prendre au sérieux. Bien plus, dans l’entre-deux-guerres il s’établit une coupure entre Le Chatelier qui associe toujours méthode scientifique, organisation et expérience des problèmes concrets de l’usine, et les réformateurs plus jeunes, comme Guillet, qui mettent l’accent sur le progrès de la recherche et ses applications dans l’industrie. Pour eux, la science doit entrer dans la production, mais l’entreprise dans la réalité de son fonctionnement ne fait pas partie de l’enseignement, alors même que celui-ci s’adresse aux futurs cadres de celle-là. Dans ces conditions, l’enseignement des systèmes d’organisation a été entièrement à la
- janvier 1920, pp. 279-281. «Inauguration de l’Ecole d’OST créée par le CNOF, 10 décembre », Y Usine, 27 décembre 1934, p. 29. « L’Ecole d’OST de Lille », Nord Industriel, 9 octobre 1937, p. 1524. Aimée Moutet, article cité, Annales ESC, septembre-octobre 1987, pp. 1061-1078. Archives FNSP, Archives Coutrot, JC4 Dr6, november 3, 1932, J. Coutrot à M. Bloch. Ibid. JC4 Dr7, 12 juin et 16 décembre 1935, CNOF, réunion du Comité directorial. « Assemblée générale du CNOF, 20 janvier », Bulletin du CNOF, janvier 1938, pp. 129-130. Archives FNSP, Archives Coutrot, JC15 Dr3, 17 mars 1937, CNOF, réunion du Comité directorial. Ibid., JC5 Dr2, 19 juin 1934,CNOF, rapport du Comité directorial. «L’Ecole d’OST, 1935-1936», Bulletin du CNOF, novembre 1935. « Ecole d’OST de Lille », Nord Industriel, 22 mai 1937, p. 775. Les entrepreneurs français engageaient aussi des ingénieurs-conseil pour résoudre leurs problèmes techniques ou pour mettre en place l’organisation scientifique du travail dans leurs ateliers.
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- charge des dirigeants de l’industrie et de leurs associations, qu’il s’agisse de patrons, d’ingénieurs spécialistes de ces questions ou même de la Chambre de Commerce de Paris(H).
- C’est ainsi que ce type d’enseignement s’est développé sous l’aspect d’une formation complémentaire donnée aux cadres en fonction dans les entreprises. Mais les sociétés assez puissantes et convaincues de son utilité pour créer leur propre école d’OST sont restées une exception, représentée par Michelin dès 1925 et Citroën quelques cinq ans plus tard. Les techniciens qui souhaitaient se mettre au courant des méthodes nouvelles ne trouvaient, jusqu’au milieu des années 1930, d’autre enseignement que celui institué par le CNAM à Paris. Or, dès les lendemains de la grande guerre, le manque d’hommes capables de les appliquer a constitué un frein à la diffusion des systèmes rationnels, et donc un handicap pour les entreprises. Il nous semble que ce retard s’explique par la nouveauté et l’origine étrangère des systèmes eux-mêmes. Dans un premier temps, il fallait faire découvrir ceux-ci et les acclimater au contexte français. Aussi bien Michelin que les comités d’OST créés par le patronat se sont en premier lieu occupés de faire connaître les méthodes américaines, en réunissant une documentation, en organisant des conférences, des voyages d’étude aux Etats-Unis ou le séjour de techniciens dans des usines de ce pays. Par exemple le CGPF a financé le voyage de H. Dubreuil, au cours duquel ce mécanicien hautement qualifié, ancien militant syndical, a pu se faire embaucher comme ouvrier chez Ford. Le patronat a ensuite permis la publication de Standards, l’ouvrage dans lequel Dubreuil rendait compte de son expérience. Michelin a fait de même en faveur d’un ingénieur de Polytechnique, Bricard. Il fallait ensuite montrer comment ces méthodes pouvaient être appliquées dans les
- 11. E. Rimailho, ouvrage cité, part 2. pp. 92-93. J.P. Bardou, J.J. Chanaron, P. Fridenson, J.M. Laux, La révolution automobile, Paris Albin Michel 1977, pp. 44-51, 92, 98, 99. J. Compagnon, «Charles de Fréminville », Bulletin du CNIF, juillet 1936,pp. 239-243. Ch.Mesuré, « Aperçu historique sur l’usine Saint-Jacques de Montluçon. 1913 », Amis de Montluçon, avril-juin 1914, pp. 165-166. A. Abaut, « Le travail d’usine », Revue de Métallurgie, septembre 1913, p. 1147. Y. Cohen, Ernest Mattern, les Automobiles Peugeot et le pays de Montbéliard industriel avant et pendant la guerre de 1914-1918, Thèse, Besançon, 1981. P. Fridenson, Histoire des usines Renault, Paris Seuil 1972, p. 35. Archives privées, Séance de la Société des Ingénieurs civils de France, 12 janvier 1934. M. Flageollet, « Une firme pionnière : Panhard et levassor jusqu’en 1918 », Le Mouvement social, octobre-décembre 1972, pp. 27-49. L. Guillet, texte cité in Comité d’Etudes sociales et politiques, Rationalisation, décembre 1929. «Léon Guillet», Technique Moderne, 15 avril 1932, p. 15. « L. Guillet - discours d’inauguration des nouveaux laboratoires de l’Ecole Centrale », l’Usine, 10 juin 1932, p. 5. « Conférence de C. Brull, directeur des laboratoirees Citroën à la Société des Ingénieurs de l’Automobile. »Rôle du laboratoire dans l’industrie auttomobile« , Ibid. 21 décembre 1933, p. 34. A. Portevin, discours de rentrée à l’Ecole Supérieure de Fonderie », ibid. 17 février 1938, p. 25.
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- entreprises françaises. C’est ce à quoi s’est appliqué le comité de l’UIMM en créant à la fin des années 1920 des cycles d’étude consistant en voyages au cours desquels les participants visitaient des usines sous la direction des ingénieurs qui en avaient assuré l’organisation. Le système des échanges d’expérience de la CEGOS correspondait à la même préoccupation, mais concernait les cadres subalternes des usines. Ce n’est qu’une fois que l’expérience des méthodes d’organisation a été solidement établie dans un certain nombre d’entreprises, surtout dans les industries mécaniques et dans les secteurs qui en étaient proches, que la transmission de ce savoir a été possible. Ce sont les spécialistes de l’organisation que réunissait le CNOF qui ont assumé cette fonction. Ce qu’ils enseignaient c’étaient les méthodes d’organisation qu’ils avaient eux-même mises en œuvre à partir des systèmes américains. Il y avait désormais une Organisation à la française, selon le titre d’un ouvrage publié en 1936 par l’un des spécialistes du taylorisme, E. Rimailho, directeur de la CGCEM. Celle-ci pouvait être enseignée. Mais à la veille de la seconde guerre mondiale, en dehors du CNAM, il n’existait encore que trois écoles dispensant cet enseignement, celles du CNOF à Paris et Lille et l’Ecole nationale supérieure d’aéronautique et, de façon secondaire, l’Ecole Centrale. Le manque de moyens financiers des sections régionales du CNOF, ou de l’Etat n’avaient pas permis de plus amples réalisations0^. Faute de moyens financiers, tous les efforts déployés par le Comité d’organisation scientifique du travail (COST), qu’avait créé en 1936 le Ministère de l’industrie nationale en vue d’obtenir la multiplication des écoles du CNOF, ont été vains.
- 12. Interview de J. Copin, 29 juillet 1981. « Application pratique de la rationalisation », Bulletin de l’IOST, janvier 1931, pp. 11-12. J. Milhaud, ouvrage cité, p. 56. H. Dubreuil, J’ai fini ma journée, Paris, Librairie du Compagnonnage 1971, pp. 120-123. H. Dubreuil, Standards, Bernard Grasset, 1929, Préface H. Le Chatelier. G. Bricard, Organisation scientifique du travail, Paris A. Colin 1927, p. 3 « Voyage d’étude de la section d’OST de l’UIMM», Y Usine, 7 mars 1930, pp. 25 et 27; 19 décembre 1930, pp. 43 et 44, 12 décembre 1930, pp. 33 et 35. « Rapport annuel de l’UIMM », ibid., 25 mars 1932, p. 19. Archives FNSP, archives Coutrot, JC18 Dr3 Sdr. b. Ibid., JC20 Drl Sdr.c, 1938, réunion du Comité mixte COST. Ibid., JC19 Dr2 Sdr.c, 8 octobre 1937, rapport du COST.
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- Le Conservatoire national àes arts et métiers s 'apprête à célébrer le bicentenaire àe sa création en 199-1. A cette occasion, un certain nombre àe manifestations et àe publications seront organisées pour marquer l'anniversaire àe ce grand établissement à 'enseignement supérieur technique et àe son musée.
- Les Cahiers à histoire àuX'nam, dont la parution va s’échelonner au cours àes àeu.v années à venir, seront l’occasion àe renàre compte àe révolution àe l'institution àepttis ses origines et à’analyser ses choix en matière àe formation et àe diffusion àes connaissances. Ils s ’appuieront sur les travaux àu séminaire àit Centre à'histoire àes techniques mais accueilleront également àes contributions extérieures.
- Ce premier numéro est consacré aux origines àu Conservatoire et au courant à’iàées qui, à partir àes Lumières et grâce aux efforts àe personnalités telles que l'Abbé Grégoire et le duc àe La Rochefoucaulà-Lianeourt a. conàuit au àéve lof pétri e n t à’un nouveau moàe à enseignement. Par ailleurs, le àossier hors thème traite àe la formation àes Ingénieurs fronçant à l’organisation àu travail avant la seconàe guerre mondiale.
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